Enfants contre les drogues, tout contre !

Un nouvel Asud Journal, c’est comme tester un nouveau produit. La promesse du plaisir se mêle à la crainte d’être déçu. Alors pour augmenter la dose, un petit extra cette fois : une nouvelle maquette. Là aussi, l’excitation se joint à l’appréhension du jugement. N’hésitez pas à réagir. Sur le fond, point de changement. Vous retrouverez les rubriques et chroniques habituelles.

En effet, le navire Asud maintient son cap éditorial grâce à un puissant vent réformiste sud-américain et ce, malgré le roulis des financements et les récifs de nos détracteurs.

Dans ces pages, nous accostons une Terra Incognita que les cartographies convenues représentent peuplée de dealers aux sorties d’écoles, de dépendances instantanées, de déchéances sociales programmées… C’est ainsi que l’on raconte La Drogue aux enfants. La plupart de ceux qui n’en prendront jamais croiront toute leur vie à cet enfer.

En opposition, s’est développée une autre croyance, celle des paradis artificiels, inoffensifs et bénéfiques à tous. Un prosélytisme souvent porté par ceux qui en ont pris et qui n’ont pas rencontré les monstres dont ont leur a parlé enfant. Leur aurait-on menti sur toutes les lignes ?

Détourner en couverture l’imagerie Disney et sa morale manichéenne est un poncif qui marche. L’artiste José Rodolfo Loaiza Ontiveros l’utilise comme baromètre de l’ouverture d’esprit de notre société, de sa capacité à regarder la réalité en face.

Oui, nos enfants vivent entourés de produits psychoactifs légaux ou illégaux. Dressons-leur une carte précise de ce continent afin qu’eux et leurs parents puissent choisir (ou pas) un rivage duquel ils pourront repartir à tout moment avec facilité. Mais pour cela, il faudra d’abord tuer le seul vrai monstre qu’ils y croiseront à coup sûr : la Prohibition.

Dr Hart : un neurobiologiste au pays des droits civiques

Sur le site de la conférence Albatros, la biographie du Dr Hart est un petit chef d’œuvre d’Understatement. On y parle de son action « pour contrer la consommation de cocaïne… » et de son « engagement en faveur des patients les plus défavorisés ». Dans les faits, l’auteur de High Price1 prescrit des psychostimulants dans un cadre médical et dénonce la guerre à la drogue comme une guerre menée contre la communauté africaine-américaine. La présence incongrue de Carl Hart le 5 juin dernier au rendez-vous annuel de l’addictologie universitaire à la française constitue en soi une petite révolution. Profitant de son passage à Paris, Asud a voulu en savoir plus sur ce neurobiologiste qui dénonce l’inanité de la neurobiologie.

ASUD : Ma première question est simple. Pourquoi voulais-tu devenir neurobiolologiste ?

Dr. Hart : Je voulais comprendre les mécanismes de la dépendance aux drogues car lorsque j’étais jeune dans les 70’s et les 80’s, le crack était très présent dans la communauté noire. Les gens disaient que le crack allait détruire ma communauté, je pensais que mon devoir était de découvrir les mécanismes neurobiologiques de la dépendance afin de pouvoir guérir les gens. La pauvreté, le chômage, tous ces maux étaient déterminés par le phénomène « crack cocain ». Donc j’ai commencé à étudier la drogue et le cerveau d’un point de vue scientifique.

Tu croyais à l’époque dans la capacité des neurosciences à guérir les gens qui prenaient des drogues ?

Oui, absolument, c’est vrai. En biologie, tu découvres à quel point la cocaïne occasionne des dommages cérébraux. Donc pourquoi ne pas utiliser une autre molécule pour guérir les gens ? C’est le modèle qui m’intéressait, la médicalisation du traitement de la dépendance.

Combien de temps as-tu persisté dans cette voie ?

Une décennie, de 1990 à 2000. En Amérique, on appelle cette période la « décennie du cerveau » (« the brain decade »). À cette époque, on a mis énormément d’argent dans l’étude scientifique du cerveau. Et moi, j’étais totalement immergé dans la médicalisation.

À quel moment as-tu eu tes premiers doutes sur les vertus de la médicalisation ?

Après avoir publié des dizaines de papiers sur l’emploi de dizaines de molécules différentes, j’ai commencé à me dire « ouais, on dirait que ça ne marche pas si bien que ça ! ». Sortir de la pauvreté et être inséré socialement fonctionne mieux pour réduire son usage de drogues. Après avoir vu cette situation se répéter mille fois, j’ai commencé à changer d’avis et à me dire que je devais explorer d’autres champs.

Tu as alors commencé à penser à d’autres méthodes de prise en charge ?

J’ai commencé à regarder les statistiques. En 1998, la phrase favorite de mon directeur de thèse était « montre-moi les statistiques ». Et lorsque j’ai sérieusement étudié ces données, j’ai compris que nous nous étions fourvoyés. Nos priorités auraient dû être orientées vers le psychosocial. La grande majorité des données allaient dans ce sens. Lorsque j’ai compris l’importance de l’étude rigoureuse des données statistiques, j’ai commencé suivre le chemin qui est le mien à présent.

De quelles données s’agit-il ?

Le problème est le suivant : les gens qui étudient les drogues s’intéressent d’abord à la dépendance, c’est une erreur car 90% des gens qui prennent des drogues ne sont pas dépendants… Même si tu ajoutes les consommateurs abusifs et les usagers dépendants, il ne s’agit que de 10 à 20% des personnes qui prennent des drogues.

Comment stabiliser les usagers récréatifs pour les empêcher de devenir dépendants ?

asud55 p04 Hight Price Carl HartCouvOk, laisse-moi te donner les chiffres des gens qui passent de l’usage simple à la dépendance :

  • 10% des buveurs d’alcool vont devenir dépendants ;
  • 9% pour la marijuana ;
  • 15 à 20% pour la cocaïne ;
  • 20% pour l’héroïne ;
  • et un tiers des gens qui fument un jour leur première cigarette.

Comme tu le vois, le tabac est donc en haut de la liste. La question est « Qu’est-ce que la société peut faire pour aider ces personnes à ne pas devenir dépendantes ? ». Il y a des tas de choses à faire. D’abord, regarder en face les vraies causes de la dépendance aux drogues. Il y a les comorbidités psychiatriques, la schizophrénie, les dépressions graves, etc. C’est une première cause de dépendance. Une autre catégorie de gens deviennent dépendants parce que, merde, ils se font chier ! Ils font un choix rationnel vers l’abus de drogues et de leur point de vue, c’est le meilleur choix qu’ils puissent faire…

Est-ce la responsabilité de l’État de nous apprendre à consommer des drogues ?

Prenons le cas des automobiles. Qui a la responsabilité d’apprendre aux gens à conduire prudemment ? C’est la responsabilité de l’État de dire que lorsque tu fumes une drogue, tu prends moins de risques que lorsque tu l’avales. C’est la responsabilité de l’État d’informer sur les doses, de dire « n’en prends pas trop si tu es un consommateur novice ».

Mais qui dans l’État, les docteurs ?

Hein ??… Non, les médecins ne doivent pas avoir le monopole du discours sur les drogues. Qui a des compétences pour aider à l’éducation des personnes qui prennent des drogues ? L’État fait travailler des pharmacologues, des éducateurs, des juristes. Il doit les employer pour aider à réguler la consommation comme il régule le trafic aérien.

Est-ce que cela signifie que ces personnes doivent avoir l’expérience des drogues ?

C’est encore l’histoire du chirurgien qui doit forcément avoir une expérience d’accident pour opérer ?

Non, je parle de professionnels qui se mettent dans la perspective de l’usage, c’est tout.

Appelons cela la compétence. Être compétent signifie ce que tu dis : ouvrir son esprit pour pouvoir envisager l’usage du point de vue des personnes concernées. être capable de se mettre dans une perspective de consommation, c’est tout simplement être compétent.

Parlons maintenant des deux points aveugles français ?

Le premier point aveugle, c’est l’interdiction de présenter les drogues sous un jour favorable. Le second point aveugle, c’est l’interdiction d’évoquer les origines ethniques des personnes dans n’importe quel document officiel.

Quel rapport peut-il y avoir entre ces deux points aveugles ?

Parlons du premier point. Quand j’ai commencé mon speech ce matin [à la conférence de l’Albatros] j’ai tenu les propos suivants :

« Si c’est la première fois que vous entendez dire des choses positives sur les drogues dans un congrès, cela jette un doute sur la compétence des médecins présents dans la salle, vos patients doivent souffrir… »

J’étais le premier à parler alors forcément, les médecins qui ont pris la parole ensuite ont tous dit

« oui, il existe des choses positives dans la consommation de drogues » car ils pensaient « bien sûr que je suis compétent ».

Le problème, c’est le « mais » (« il existe des choses positives, mais… ») : en général, l’ensemble de la démonstration est basée sur ce « mais ».

Ha ha ha !!! Le second point aveugle concernant les races est stupide. On vit dans une société de diversités puis on prétend ne rien voir. On peut comprendre l’esprit généreux qui a présidé à cette réglementation mais en pratique, cela revient à empêcher toutes les statistiques qui permettent de mesurer les niveaux de discrimination…Tu dis que la société ne veut pas mentionner les races, mais il semblerait que certains courants d’opinion, notamment très à droite, évoquent les races, particulièrement quand on parle de drogues ou de prison. Nous avons besoin de connaître la vérité sur ces choses. La seule chose dont les gens pauvres ont besoin, c’est la vérité des chiffres. Ils n’ont pas d’argent, pas de charisme, leur seul espoir, c’est la statistique.

Pourrais-tu essayer de définir pour un public français les liens entre dépendance et discrimination raciale ?

Le rapport entre l’addiction aux drogues et la discrimination ? Il n’y en a pas. Il existe seulement un rapport entre la politique appliquée en matière de drogue et la discrimination raciale. Le rapport entre le racisme et la consommation de drogues est politique. Le titre de mon intervention au congrès était « La politique de drogue, un outil pour continuer la discrimination raciale ».

Alors disons plutôt : existe-t-il un lien entre l’usage de drogue et les problèmes liés à l’identité ?

Bien sûr. J’ai dit tout à l’heure que les gens font des choix rationnels. Donc oui, les gens prennent des drogues quand ils ont mal.

Interview réalisée par Fabrice Olivet à Paris le 5 juin 2014


Notes :

1/ Carl Hart, High Price, drugs, neurosciences and discovering myself, 2013

Le « A » de MILDECA

La Mildt, Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, est devenue en mars 2014 la Mildeca : Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives. Petite analyse sémantique qui illustre l’adage du prince Salina : tout changer pour que rien ne change.

Subrepticement, le « A » de addiction boute le « T » de toxicomanie hors de tous nos acronymes stupéfiants. L’Association nationale des intervenants en toxicomanie est devenue la Fédération Addiction, les Centres d’accueil et de soins pour toxicomanes ont rendu l’âme pour laisser place aux Centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa), bref, plus personne ne veut ni soigner, ni représenter, ni même avoir quoi que ce soit en commun avec… les toxicomanes.

La prison ou la cure !

Quelques mauvais esprits auraient la cruauté de rappeler que « toxico » reste le terme usuel pour stigmatiser un consommateur abusif plutôt désargenté, mais il paraît que cette révolution du A représente globalement un progrès sémantique dont il faut se réjouir. Certes, la toxicomanie ramenait le consommateur de substances illicites à l’univers « psychiatrisé » des années Antonin Artaud (1916). Ce module prison-camisole s’est maintenu jusqu’à la fin du XXe siècle où il a régné en maître, puis sous une forme atténuée ensuite. La prison ou la cure ! Disons le clairement, c’est la prison qui a gagné, et largement, suivie comme une ombre par sa commère la faucheuse. Le maniaque des toxiques fut soigné à la douche froide, au pain sec et à l’eau, puis aux neuroleptiques, benzodiazépines et autres myorelaxants, avant de connaître les délices de la prescription légale d’opiacés pour cause de maladie chronique invalidante : c’est la fameuse addiction.

Addiction piège à…

Osons poser la question : ce changement de nomenclature est-il révolutionnaire pour les usagers ? L’addictologie possède le mérite de médicaliser la consommation de substances, toutes les substances. Nous l’avons écrit mille fois, cette fausse neutralisation de la coupure légale entre cannabis et alcool par exemple, n’a aucune incidence en termes de droits de l’Homme, puisque la ganja, qui n’a jamais tué personne directement, continue de fournir son quota de fumeurs au commissariat alors que la drogue dure tirée du raisin, responsable de plus d’overdoses (dits « comas éthyliques ») que l’héroïne et le crack réunis, continue d’être servie à l’Élysée dans des verres en cristal. Oui, c’est facile, mais c’est également vrai. Le « A » de addiction n’a jamais sauvé un seul usager des griffes du gendarme, ni des foudres d’un procureur zélé parti en croisade. D’ailleurs en y réfléchissant, la croisade contre les addictions, avec son petit air de bonne conscience thérapeutique, peut occasionner encore plus de dégâts en embarquant dans ses fourgons tous les furieux de la prohibition du tabac et les nostalgiques de la prohibition de l’alcool. Passons.

Le « S » de drogues

asud55 p06 Danièle Jourdain-MenningerDonc, côté bouteille à moitié pleine (mais à consommer avec modération), cochons la disparition définitive du vieux concept de toxicomanie et ses relents de camisole. Intéressons-nous également au « S » de « lutte contre les drogues ». Ce pluriel qui s’installe l’air de rien à la fin d’un mot qui ne souffre habituellement pas d’autre nombre laisserait entendre que l’on n’est plus dans la propagation de La Drogue, l’ogre qui dévore les petits enfants, mais dans une approche plus pragmatique qui valide des conceptions scientifiques attachées à différencier les substances du point de vue pharmacologique. Or, ces bonnes intentions sont immédiatement ramenées à l’aune de ce qui reste la politique officielle de notre pays, réaffirmée par Madame Jourdain-Menninger, l’actuelle présidente de la Mildeca. Envoyée en mars dernier comme missus dominici à Vienne lors de la convention annuelle de l’ONUDC, l’organe onusien de lutte contre la drogue, elle s’est exprimée ainsi :

« Nous devons protéger nos concitoyens et nos États des conséquences néfastes sur la santé, le développement et la sécurité, provoquées par la drogue. »1 Chassez le naturel…

La lutte finale

Et puis dans Mildeca, il y a le « L » de lutte. Ce qui résiste, c’est ce fantasme de la lutte, du combat, bref, de la guerre qui doit fatalement terrasser un ennemi. Et là, addiction ou toxicomanie, drogue avec ou sans « S », nous savons nous autres usagers – petits trafiquants, consommateurs, habitants des quartiers périurbains, et divers noctambules – que nous en serons les victimes directes ou indirectes.

Quelques voix commencent à se lever parmi les gens « respectables » pour déplorer cette logique du contre, mais hélas, pas au sein de notre gouvernement. « La guerre à la drogue est d’abord une guerre menée contre les usagers », disait feu John Mordaunt. Le « A » de la Mildeca risque de continuer à rimer pour les Addicts avec Avanies, Attrition et surtout, Arrestations.


Notes :

1/ Lire sur a-f-r.org la Déclaration de la France lors de la 57ème session de la commission des stupéfiants à Vienne le 13 mars 2014.

Quand les Verts font le joint

Qu’ils soient de droite ou de gauche, nous les avons tous apostrophés lors des différentes échéances électorales. Ils nous ont parfois répondu, à droite, des fadaises, à gauche, des foutaises… Certains nous ont amusés avec la sempiternelle ouverture du débat sur les drogues… Mais en définitive, le seul parti à nous avoir soutenus indéfectiblement lors de nos démêlés avec la justice, le seul à avoir partagé des idées et proposé des actions, ce sont Les Verts.

À peine avions-nous reçu le faire-part annonçant la naissance du Circ que nous prenions rendez-vous avec Jean-Luc Bennahmias, un des pionniers de la lutte pour la dépénalisation du cannabis, d’abord dans Antirouille (magazine de lycéens) puis dans la Gueule ouverte (journal écologique), mais aussi en tant que représentant des Verts Europe qui, en avril 1991, proposaient de mettre à l’étude « la dépénalisation complète, avec légalisation des produits ».

Les années complices

Dès 1995, alors que le préfet de police interdisait le rassemblement de l’Appel du 18 joint, Les Verts soutenaient le Circ, un soutien qui déboucha sur une garde à vue à la brigade des stups. Il n’en fallait pas plus pour nouer des liens qui se sont resserrés lorsque Jean-Luc Bennahmias devint Secrétaire national des Verts en 1997. Cette année-là, échaudés par les interdictions de l’Appel du 18 joint, les jeunes Verts se substituent au Circ pour la demande d’autorisation, mais essuient un refus du préfet de police d’autant moins compréhensible que Jean-Pierre Chevènement était le ministre de l’Intérieur du tout nouveau gouvernement socialiste et Dominique Voynet, sa ministre de l’Environnement.

L’année suivante, Act Up est accusé d’avoir présenté les stupéfiants sous un jour favorable en distribuant un tract « J’aime l’Ectasy, je suis pédé aussi ». Quant au Circ, il est convoqué devant la 16e chambre correctionnelle pour avoir distribué des pétards à l’Assemblée nationale, et le lendemain, devant la même chambre mais en compagnie de l’Arev, d’Asud, de Chiche et des Verts, pour avoir bravé l’interdiction de l’Appel du 18 joint 1997.

Unis contre la loi de 70

C’en est trop ! Les Verts participent activement à la création du Collectif pour l’abrogation de la loi de 1970 (Cal 70), mouvement fourre-tout où se côtoyaient tous les acteurs antiprohibitionnistes. Pour fêter ça, leurs députés déposent un projet de loi afin d’abroger l’article L630 de la loi qui nuit gravement au débat sur les drogues, un projet identique sera initié par Jean-Pierre Michel, député du Mouvement des citoyens (MDC).

« … Depuis longtemps nos travaux ont inspiré les Verts, surtout Chiche, au point qu’on ne sait plus bien aujourd’hui qui de Chiche, des Verts ou du Circ défend les propositions de l’autre… » : ainsi m’exprimai-je devant le Conseil national des Verts où je plaidais pour représenter la voix de l’antiprohibition lors de la campagne des Européennes. Dans le fascicule publié pour l’occasion, « Et si on légalisait les drogues ? », les Verts (et le Circ) proposaient d’abroger le L630, de décriminaliser l’usage de toutes les drogues, de retirer le cannabis du tableau des stupéfiants, de reconnaître l’autoproduction et de définir un cadre légal « pour sa production et sa distribution à des fins commerciales ».

Concernant les autres drogues illicites, les Verts militaient pour l’ouverture d’un vrai débat au parlement sur l’accès légal, selon des modalités différenciées, aux produits actuellement classés au tableau des stupéfiants.

Les Verts partageaient avec le Circ, les associations de réduction des risques ou encore la Ligue des droits de l’Homme, la même analyse critique de la prohibition et proposaient pour en sortir de légaliser le cannabis. Une position défendue avec fougue par Noël Mamère lors de la campagne présidentielle de 2002 dans laquelle le Circ s’est illustré en organisant l’opération « Sortez-les du placard ».

Le bug de l’an 2000 ?

Alors qu’avec Jean-Luc Bennahmias nous étions sur la même longueur d’ondes, l’arrivée de Dominique Voynet à la tête des Verts en 2001, puis de Gilles Lemaire en 2003, a stoppé net une coopération fructueuse entre le parti et les associations représentant les usagers. Cependant, tout lien ne fut pas rompu et on se souvient de l’engagement d’Anne Coppel dans la campagne des Européennes de 2009.

Après dix ans de silence radio, Esther Benbassa, sénatrice EELV, dépose (à la grande surprise des associations qui n’ont pas été consultées) une proposition de loi « autorisant l’usage contrôlé du cannabis », proposition qui a été saluée par tous comme une initiative courageuse et inédite. En effet, c’est la première fois qu’un parti politique propose de légaliser le cannabis, une proposition « bancale » pour les premiers concernés – les consommateurs – mais qui ne demande qu’à être améliorée si l’on veut satisfaire toutes les parties en jeu.

L’or vert du cannabis

Ces dernières semaines, on a vu pousser des feuilles de weed dans tous les médias. Nouvel album de snoop dogg ? Même pas. Ce sont les récents changements politiques en Uruguay et dans quelques états nord-américains (Washington et Colorado) qui en sont la cause. Comme cela n’a pas pu vous échapper, ces états ont franchi le pas de la légalisation du cannabis. Plus qu’un changement de politique, c’est une petite révolution.L’engouement des médias en témoigne.

Les arguments financiers

D’un seul coup, le sérail médiatique est passé du puritanisme à YouPorn, nous inondant d’articles, de reportages et de sondages, entraînant quantité de déclarations et de débats. La plus remarquée est celle de Barack Obama abordant sa consommation juvénile de cannabis. Nos politiques hexagonaux sont, eux, d’une réserve consternante. Manuel Valls reconnaît avoir peut-être malencontreusement glissé sur un tarpé tel Richard Virenque se piquant « à l’insu de son plein gré » avec une shooteuse d’EPO, et notre ministre de la Santé, Marisol Touraine, sur le plateau du Grand Journal, n’arrive même pas à formuler un début d’argument valable contre un changement de législation.

Le plus surprenant dans cette frénésie est l’intérêt de certains médias financiers. On a vu fleurir des articles dans  La Tribune ou Bilan, des titres généralement éloignés des questions sociétales, et la presse généraliste aborder le sujet dans les rubriques économiques. Pourquoi donc cet intérêt de la part de cette presse financière ? Une théorie pourrait l’expliquer et, par la même, expliquer ces changements législatifs en série.

Dans les épisodes précédents, la guerre à la drogue sévissait. Face aux troupes de l’Empire, une poignée de rebelles a déployé pendant près de quarante ans une politique médicosociale et un argumentaire démontrant la contreproductivité de cette approche répressive. Criminalisation, risques sanitaires, cohérence des actions de prévention et de RdR ou risques liés au trafic clandestin, le discours de ces militants était résolument orienté sur des problématiques de santé publique et sociétales. Les différents modèles de légalisation du cannabis prônés par ces acteurs prenaient déjà en compte l’économie des fonds alloués à la répression, la manne financière générée par cette activité et la diminution du trafic et de ses conséquences.

Le paradoxe bancaire

Mais c’est sur ces arguments financiers que se concentre la majorité des articles en question. Si l’argent n’a pas d’odeur, aujourd’hui en Amérique, il commence à sentir la weed. Un sondage fait apparaître que 58% des Américains sont en faveur d’une légalisation du cannabis, mais que c’est « l’argument fiscal [qui] semble séduire les plus conservateurs ». Des économistes s’emparent du sujet, comme Pierre Kopp qui souligne « le coût élevé des politiques répressives et les recettes potentielles provenant d’une taxation de la marijuana ». Et l’on vante l’initiative du Colorado qui « a vu se transformer une économie souterraine et illégale en un business autorisé, rentable et attractif ».

Ces arguments sont étayés d’estimations les plus diverses quant aux profits. Que ce soit sur une légalisation hypothétique sur l’ensemble des États-Unis qui, selon les économistes, « pourrait représenter entre 45 et 100 milliards de dollars (33 et 74 milliards d’euros) ». ou, selon l’évolution des législations, sur un « marché du cannabis qui pourrait peser 10 milliards de dollars par an d’ici cinq ans aux États-Unis contre environ 2 milliards en 2014 » évoqué par certains.

Et, chose impensable il y a encore quelques mois, on en parle comme d’une valeur boursière. Des termes comme « bulle spéculative » sont utilisés pour expliquer qu’en « 2011, les prix du cannabis se sont effondrés, conduisant à un crash » On scrute les « entreprises liées à l’industrie du cannabis [qui] ont vu leurs actions bondir […] aux États-Unis, au lendemain de l’entrée en vigueur de la vente libre de marijuana dans l’État du Colorado » Et on spécule déjà sur le fait que « cet État a l’opportunité de construire les premières grandes entreprises et les premières grandes marques ». Un hoax déclarant que Marlboro lançait sa marque de pétards a même déjà circulé sur la toile.

Pour autant, ces enjeux financiers se confrontent à un paradoxe de taille : celui des banques. Effectivement, « les professionnels du secteur se voient refuser les services des grandes banques américaines », au motif est que ces établissements « craignent une sanction ultérieure des autorités fédérales, avec amendes à la clé », du au « mille-feuilles législatif aux États-Unis ». Pour résumer, le droit d’un État comme le Colorado s’oppose au droit fédéral régissant l’ensemble des États-Unis. Le Colorado est dans l’illégalité face au droit fédéral américain. C’est pour cette raison que « le procureur général James Cole avait envoyé aux établissements bancaires une circulaire rappelant les peines prévues pour toute participation, directe ou indirecte, au commerce des stupéfiants selon le droit fédéral ». Le plus ridicule est quand même que ces établissements bancaires profitent depuis des décennies de l’argent du trafic en fermant les yeux sur sa provenance, parfois même, facilitant son blanchiment, mais qu’ils deviennent frileux et consciencieux une fois cet argent devenu légal. L’administration fédérale a depuis demandé que cette situation soit réglée pour que ces entreprises cannabiques bénéficient de services bancaires.

asud55 p09 Plante cannabisL’absence du médicosocial

Par ailleurs, quasiment aucun article ne s’interroge sur l’utilisation de ces profits, et notamment leur possible affectation au domaine médicosocial. Seul un article relève le fait que « cette légalisation s’accompagne d’une mesure qui a séduit les électeurs lors d’une nouvelle consultation publique le 5 novembre : une taxe de 15% s’appliquera sur le prix total et devrait rapporter au moins 27,5 M $ (20,3 M €) annuels pour la construction des écoles publiques du Colorado. Une autre taxe de 10% sera consacrée à des campagnes de prévention contre la drogue ».

Ce produit qui jadis menaçait les écoles va donc servir à en construire. Serge Lebigot appréciera…

De toute cette littérature, il ne ressort presque rien sur l’aspect médicosocial de ces nouvelles politiques. Or c’est précisément l’argument sanitaire et social qui a conduit, officiellement, à la guerre à la drogue et, a fortiori, à l’antiprohibitionisme. Si, pour le premier, l’interdiction et l’éradication des drogues sont des moyens de protéger la santé des personnes malgré elles, pour le second, c’est cette clandestinisation qui aggrave les risques sanitaires et la criminalisation des usagers. Et le versant économique d’un changement de politique est, dans l’argumentaire antiprohibitioniste, un moyen de renforcer la prévention, la RdR et la prise en charge médicale des usagers de substances.

C’est, au final, La Tribune qui remet les choses en perspective, l’économiste Pierre Kopp y rappelant qu’il « ne faut pas perdre de vue l’objectif de santé publique, et non de renflouement des caisses de l’État ».

Bien qu’il soit évidemment trop tôt pour avoir des données médicosociales exploitables permettant d’évaluer l’impact de ce nouveau modèle législatif, l’intérêt autour de ces questions semble minime et laisse penser que cinq années de crise économique ont eu plus d’effet sur les politiques des drogues que quarante ans de militantisme. Réjouissons-nous de ce changement, mais restons vigilants.

Brèves sur le dépistage de cannabis au volant

KanaCleaner : bidon ou pas bidon ?

Il est aujourd’hui possible de se procurer des produits censés éliminer toute trace de cannabis de la salive. Ainsi, le site Internet de Kana Cleaner prétend pouvoir rendre systématiquement négatifs les tests salivaires de la police nationale. À l’aide d’un vocabulaire qui fait mal à la tête (« dérivé technoïde aux ligands endogènes et exogènes » ou « chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse »), on nous invite à investir 50 euros dans deux flacons d’un produit-miracle. Comment ça fonctionne ? C’est très simple : on le pulvérise dans sa bouche. Abondamment et partout : les gencives, les parois internes des joues, les dents, la langue, rien ne doit être oublié ! Ensuite, on attend 3 minutes que le produit fasse effet, c’est à-dire qu’il fixe et neutralise le THC. Enfin, dernière étape : on rince et on crache !

Alors info ou intox ? Pour se faire une idée, le mieux est d’aller faire un tour sur les forums. Eh bien nos amis internautes-usagers de cannabis, quand ils ne crient pas à l’escroquerie, sont plutôt sceptiques sur la pertinence d’investir dans le Kana Cleaner. Car certains avaient déjà réfléchi à la meilleure façon de passer entre les mailles du filet lors des contrôles sur la route. Depuis longtemps, ils utilisent avant de conduire l’un des différents bains de bouche vendus en pharmacie : Eludril pour Jimlixe ou Synthol pour Weedibix. Quant à Lamictale, il utilise du Plax en le reconditionnant dans un spray vide afin de l’utiliser de la même manière que celle décrite dans la notice du Kana Cleaner ! Rastafarie prétend que l’un de ses amis, routier de profession et néanmoins amateur de ganja, aurait récemment été contrôlé négatif grâce à des brossages de dents toniques et réguliers. Ils sont en tout cas nombreux à avoir une hygiène buccale irréprochable lorsqu’ils conduisent !

asud55 p10 CannaCannabis chez le buraliste. Pour commencer, le test de dépistage

Qui n’a pas entendu parler ces derniers mois, parmi ses amis ou dans ses relations, d’un permis suspendu à la suite d’un contrôle destiné à dépister la consommation de stupéfiants ? Car la police ne se contente plus de vérifier si nous conduisons sous l’emprise d’alcool. De plus en plus souvent (environ une fois sur deux maintenant dans certaines régions), l’alcootest est suivi d’un autre qui concerne l’usage de drogue. Il était donc urgent qu’à l’instar de ce qui existe pour détecter sa consommation d’alcool, l’automobiliste puisse aisément savoir s’il est positif, ou pas, aux drogues. Bien que se limitant, pour l’instant, à la détection du seul cannabis, des tests sont depuis peu en vente chez certains buralistes.

S’il était déjà possible de s’en procurer sur Internet et dans quelques pharmacies, on ne pourra que se réjouir de cet accès plus facile. Car, quoi qu’en pensent certains, il est avéré que la conduite avec quelques joints dans le cornet est dangereux – le « pire » étant de conduire en ayant bu ET fumé. Des risques d’accident respectivement multipliés par 2 et par 14.

Par ailleurs, il est bon de préciser qu’un test peut facilement se révéler positif chez une personne qui n’aura pas fumé. Passer une soirée dans une pièce mal aérée avec des amis usagers, ou monter en voiture avec quelque un qui fume un bédo peut vous coûter cher. Si vous êtes un conducteur non fumeur et que votre passager s’apprête à rouler un petit stick, arrêtez-vous pour qu’il le fume tranquillement à l’extérieur.

Attention !

Les tests que l’on trouve dans le commerce ne sont pas ceux que les forces de l’ordre utilisent et ne répondent pas aux mêmes normes. Les résultats peuvent donc être différents.

Si, pour l’instant, seuls 3 000 bureaux de tabac vendent ces tests, il est possible, depuis le mois de mars, de s’en procurer chez Norauto et Feu Vert. Dénommé « Cannabis Verdict », il est vendu 3,50 € pièce (moins cher que ceux jusqu’à présent disponibles sur le Net, dont les prix oscillent entre 5 et 15 €) et se présente sous forme de bandelette sur laquelle on dépose quelques gouttes d’urine. Dix à quinze minutes plus tard, c’est le (cannabis) verdict. Dernière précision, et pas des moindres : ces tests peuvent se révéler positifs même si vous n’avez rien fumé dans les heures qui précédent. La consommation pouvant même remonter à un ou deux jours !… Pour un consommateur de shit assez régulier, le test risque aussi de n’avoir que peu d’intérêt dans la mesure où il sera, très probablement, positif. Il lui faudra en effet passer plusieurs jours sans fumer de joints avant que son corps ait éliminé toute trace de THC. Une abstinence à laquelle il pourra peut-être parvenir en lisant le livret de sensibilisation de 24 pages (eh oui, il faut bien ça !) qui accompagne le Cannabis Verdict !

Le cannabis fait peur aux libraires

Adoptée en 1970, la loi « relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l’usage illicite de substances vénéneuses » se singularise en punissant tant la « présentation sous un jour favorable » que « l’incitation ou la provocation à l’usage » de stupéfiants. Et marche allègrement sur les droits de l’Homme en mettant en péril la liberté d’expression.

Cachez ces livres que je ne saurais voir

Dans les années 1990, de nombreuses associations voient le jour pour remédier au manque de courage politique du gouvernement Mitterrand sur les problèmes de société. C’est ainsi que, dans la foulée d’un livre, Fumée clandestine, sera créé le Circ (Collectif d’information et de recherche cannabique), association dont l’objectif est de collecter et de diffuser toute information liée à l’usage du cannabis.

Cet ouvrage à vocation encyclopédique qui a fait les beaux jours des libraires est vite devenu le porte-drapeau des partisans du changement jusqu’à ce jour de 1997 où, sous le titre « Cannabis, savez-vous planter des joints ? », une journaliste de France Soir s’en prenait à la Fnac qui exposait, au su et au vu de tous, un livre (en l’occurrence, le second tome de Fumée clandestine) dans lequel étaient transmises des informations sur l’art de cultiver du cannabis chez soi.

Comme on s’y attendait, une quinzaine de jours plus tard les fonctionnaires de la brigade des stups débarquaient à la Fnac Forum suite à une plainte déposée pour « présentation du cannabis sous un jour favorable », plainte qui n’eut jamais de suite. Mais le ver était dans le fruit et les livres qui présentaient la prohibition sous un jour défavorable passèrent des tables d’exposition aux étagères.

La droite est de retour et les censeurs avec…

Une coalition composée d’associations, de mouvements et de partis politiques fondent en 1998 le Collectif pour l’abrogation de la loi de 1970 (Cal 70). Leur première revendication : supprimer l’article L630 du code de la Santé publique, qui punit de cinq ans de prison et de 75 000 € d’amende le fait de présenter le cannabis sous un jour favorable. La nomination à la tête de la Mildt (Mission interministérielle de la lutte contre la drogue et la toxicomanie) de Nicole Maestracci est une bouffée d’air frais. Par hasard, deux éditeurs, le Lézard et Trouble-Fête, découvrent en septembre 2002 que des livres sur la cannabiculture ont disparu du site de Virgin, dont le PDG est par ailleurs un ardent défenseur de la légalisation.

Ils s’en émeuvent. Le responsable du magasin de Toulon, apprennent-ils, a été mis en garde à vue. Pourquoi ? Parce que les policiers ont découvert, lors d’une perquisition chez un jardinier en herbe, des livres sur l’art de cultiver du chanvre achetés en toute légalité chez Virgin… Il faudra un article dans Libération pour que les livres incriminés soient remis en vente.

En 2004, effet collatéral d’un retour en force de la morale à deux sous, la direction de la Fnac (encore elle) demande de « surseoir temporairement à la vente » de quatre livres sur le cannabis « suite à une enquête de la brigade des stupéfiants » dans l’un de ses magasins, sans pour autant en informer les éditeurs concernés… Des livres qui, à l’exception de Fumée clandestine, sont tous consacrés à la cannabiculture.

Une censure qui n’a jamais ose dire son nom !

Ne pouvant interdire des livres, les ennemis de la liberté d’expression portent plainte, et si les grandes enseignes (Fnac, Virgin, Cultura) sont les premières visées, les libraires indépendants ne sont pas à l’abri d’une descente de police dissuasive. Les livres incriminés ne font pas de prosélytisme pour le cannabis comme voudraient nous le faire croire les associations (familiales et catholiques) qui usent et abusent de l’article L3421-4 pour intimider, voire menacer, les libraires. Une manœuvre qui a fonctionné au-delà de toute espérance. J’en veux pour preuve la dernière production de Trouble-Fête, Cannabis, 40 ans de malentendus, un livre sur la petite et la grande histoire du cannabis boudé par les grandes enseignes et les libraires indépendants, de peur qu’une simple feuille de cannabis leur attire des ennuis.

Nous ne sommes plus au temps de l’inquisition

En 2011, la Global Commission on Drug Policy, qui réunit des personnalités au-dessus de tout soupçon comme l’ancien secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, ou encore trois anciens présidents de la République et deux prix Nobel de littérature, publiait un rapport dénonçant une « guerre à la drogue » inutile et criminogène.

En 2013, l’Uruguay, talonné de près par le Colorado, légalisait le cannabis. En France, entre une timide avancée sur le front du cannabis thérapeutique et une proposition de loi déposée au Sénat par une élue d’Europe Écologie-Les Verts, le débat est relancé… Et le triste temps où les fonctionnaires de la brigade des stups triaient les bons des mauvais livres sur les drogues dans les librairies est révolu.

La drogue racontée aux enfants

Il était une fois un pays où les gens qui fumaient de l’herbe et qui ingurgitaient des pilules pour découvrir la vraie couleur des éléphants étaient pourchassés et mis dans une cage peinte en gris qui perdait alors sa couleur (ça s’appelle dégrisement). Une malédiction lancée par une sorcière habillée en blouse blanche et un sorcier en uniforme bleu… marine, dont la formule magique était la suivante : « La drogue est un fléau pour la jeunesse.»

Eh oui, il existe encore des choses avec lesquelles on évite de déconner. La drogue, le sida, les chambres à gaz, la pédophilie… Vous voulez casser l’ambiance d’une soirée pétards où tout le monde la ramène avec les coffeeshops ? Dites simplement « crack babies » (les bébés nés sous crack) ou « crack mothers » (les mamans crackeuses), vous verrez que les partisans de la légalisation ne la ramèneront plus. C’est un fait, c’est connu, c’est évident, la drogue est un fléau pour la jeunesse.

La drogue, c’est qui ?

Étudions l’affaire en détail : qu’entend-on exactement par « jeunes » ? S’il s’agit des enfants de 0 à 12 ans, je crains que le dossier ne soit mince. Bien sûr, on trouve toujours le cas d’espèce de tel gamin de 11 ans qui sniffe de l’héro ou de la coke à la cité Youri Gagarine de Savigny-sur-Orge. Ok. Soyons sérieux. S’agit-il d’un phénomène de masse ? Non. La très grande majorité des enfants de 0 à 12 ans ne prend ni ne voit de drogues en France. Alors comment justifier l’hystérie de la plupart des gens qui proclament « la drogue est un fléau pour la jeunesse » ?

Il s’agit sans doute de la seconde tranche, celle des 13-18 ans. Ceux-là sont concernés sans l’ombre d’un doute. La moitié d’une classe de première a au moins testé le pétard, et le méchant dealer qui traîne à la sortie des écoles a toutes les chances d’être un enfant, voire votre enfant. Alors c’est dramatique… Enfin, c’est grave… Enfin, préoccupant. Qu’est-ce qu’ils deviennent ces pauvres gosses ?

La majorité d’entre eux vont devenir consommateurs récréatifs et s’arrêter d’eux-mêmes aux alentours de 30 ou 40 ans, époque où ils seront à leur tour parents et pourront entonner le refrain alarmiste sur les dangers de la drogue sur le mode « oui , mais de mon temps, ça n’avait rien à voir ». Certes, le phénomène est amplifié de génération en génération, ce qui au moins interroge sur les mérites de l’interdit qu’il faudrait, paraît-il, « maintenir ». Mais globalement, les 13-18 ans sont-ils à ce point menacés que le sujet suscite autant de mines graves, promptes à dégainer sur le thème « la drogue est un fléau pour la jeunesse » ?

Passons à la troisième tranche. Ceux qui ne sont pas récréatifs et/ou qui vont tester d’autres drogues entre 18 et 25 ans. En statistique pure, quand on parle des « drogués », ce sont eux. Les toxicos, c’est eux. Pas des seniors de 40 ou 50 ans, restés en vie grâce à la substitution puis installés dans la dépendance par les vertus de la médicalisation. La grande majorité des gens qui cherchent, prennent, achètent et vendent des drogues, appartient à cette classe d’âge. Ceux qui déboulent à pas d’heure, qui ne savent pas s’arrêter et finissent à quatre pattes pour retrouver des bonbonnes imaginaires sur le lino. Ceux qui tiennent les murs, vont en teuf, achètent sur Internet, crient, cassent, courent pour en avoir, plus, toujours plus. La drogue, c’est eux, ils aiment ça, ils en veulent pour bosser, pour baiser, pour danser, pour séduire, pour se battre, pour écouter de la musique, pour conduire, pour dire « j’existe ». Une frénésie qui se relativise avec l’âge. Alors, pourquoi répéter à longueur d’antenne que la drogue serait un fléau pour la jeunesse quand, pour eux, le fléau c’est « y a plus rien ! » ?

À ce stade, d’aucuns vont nous dire : « On vous voit arriver de loin avec vos gros sabots d’Asud, votre projet c’est open bar, base à tous les étages, puisqu’ils en veulent, il n’ y a qu’à leur en donner. » Grave erreur. Si nous proposons un dossier sur ce thème, c’est justement parce que les anciens jeunes que nous sommes considèrent que le discours entendu sur la drogue au moment de nos pics de consommation ne nous a ni aidés, ni même alertés, sur le vrai danger que constitue la dépendance. Et il ne s’agit pas d’une affirmation gratuite. Marcha Rozenbaum (voir p.20), dans Safety First, a trouvé une formule choc pour résumer notre malaise : « Just say no or say nothing at all » ! Dire non à la drogue ou ne rien dire du tout. Nous l’avons souvent écrit, la logorrhée antidrogue est une tautologie qui ne convainc que les jeunes (de plus en plus rares) qui, pour des raisons psychosociales, ne transgresseront jamais l’interdit. Pour tous les autres, c’est le chiffon rouge.

Une prévention très primaire

Prévention primaire, la bien nommée

En langage médicosocial, la prévention primaire consiste à mettre en place des actions qui dissuadent les non-consommateurs de franchir le pas. Elle se distingue de la prévention secondaire qui vise à accompagner des usagers confirmés en leur fournissant des outils conceptuels et matériels pour garder la tête hors de l’eau. Cette savante distinction est destinée à traduire la politique de réduction des risques dans un langage politiquement correct. Or, elle marche sur la tête. Cette doxa enracinée dans la prévention des épidémies reste cohérente avec le mythe de « la drogue, fléau de la jeunesse ». Hélas, qui aurait précisément besoin de conseils de consommation à moindres risques ? Les apprentis, justement, ceux qui n’ont pas encore franchi le pas ou qui sont sur le point de le franchir. À l’inverse, qui s’intéresse naturellement à une baisse puis un arrêt progressif de ses consommations ? Les usagers de 30 ou 40 ans. On ne peut s’empêcher de penser que la prévention secondaire, réservée aux « toxicos » confirmés (es malades chroniques récidivants du DSM V), est un alibi social qui masque une grande hypocrisie. Les autres, les jeunes, partie encore saine de la population, doivent être préservés à tout prix du virus de la drogue. On marche sur la tête.

La stratégie de prévention primaire (voir encadré), celle qui consiste à vouloir empêcher ou même retarder les consommations, et notamment celles de cannabis, est un échec retentissant. Pourquoi ? Parce qu’elle est assise sur ce dogme du fléau de la jeunesse qui n’a jamais pris soin de consulter les premiers intéressés. Qu’est-ce que la culture rock sinon une histoire de jeunes, de musique… et de drogues ? Tout le quiproquo vient de l’impossibilité d’intégrer l’usage de psychotropes dans sa dimension culturelle, comme phénomène sociétal délibérément et même rationnellement choisi (comme le dit Carl Hart, voir p.4) par la jeunesse. Plutôt que de focaliser sur l’hypothétique future dépendance de nos enfants, aidons-les à rester usagers récréatifs, mais cela suppose de quitter le registre de l’interdit (ça, c’est Alain Roy qui en parle p.21). Nul ne doute de l’opportunité des conseils de prudence quand on commence un cursus d’usager de drogues. Nul ne doute que les jeunes soient les plus à même de modifier leurs habitudes dès lors qu’ils créditent les donneurs de conseils d’une véritable empathie pour des objectifs qui ne coïncident que rarement avec l’arrêt de la consommation. Du reste, les conseils les plus suivis sont ceux donnés par d’autres jeunes, en général consommateurs eux-mêmes. Les bons comme les mauvais conseils.

Guerre à la drogue & guerre à la jeunesse

Et si finalement toute cette affaire n’était que l’un des nombreux subterfuges mis en place par les croisés de la guerre à la drogue ? Comme pour les minorités visibles (C’est Michelle Alexander qui dénonce ça), la guerre à la drogue est l’instrument idoine pour contrôler, réprimer, voire stigmatiser, un certain type de population. Alors malgré le jeunisme officiel, peut-être que nous détestons les jeunes et que l’une des fonctions de l’interdiction de consommer des drogues est de leur faire la guerre. Ce fut vrai dès les années 70, c’est toujours vrai dans les teknivals ou dans les cités. Du hippie aux racailles de banlieue, le policier a depuis quarante ans un portrait-robot du délinquant que l’on peut arrêter et fouiller au corps pour présomption d’usage ou de vente. Cette cible, étrangement, a toujours eu le visage de la jeunesse.

« La drogue, fléau de la jeunesse » est donc bien ce conte pour enfants raconté aux grandes personnes qui s’abritent derrière lui pour poursuivre leurs objectifs de grandes personnes : punir, réprimer et brutaliser sous prétexte de morale ou d’hygiène. Le concept de jeunesse est une invention relativement récente qui est, depuis, l’obsession de ceux qui veulent faire votre bien malgré vous, qu’ils soient en blouse grise, en blouse blanche ou en uniforme bleu.

Prévention jeune en mode mineur

« La prévention des conduites addictives chez les adolescents, même si elles ne concernent qu’une minorité, constitue un enjeu majeur pour la société », rappelle un rapport de l’Inserm1 en 2014. Si tout le monde est globalement d’accord sur le fait que plus des consommations commencent tôt, plus il y a de risques de complications médicosociales à terme, l’impact d’une consommation précoce et l’ampleur des risques ne font pas l’objet d’un consensus universel pour autant.

Pétrifiés comme Andromède

Dans ce même rapport, l’Inserm précise que « les actions à développer doivent cibler en priorité l’alcool et le tabac, voire le cannabis, en raison des niveaux d’usage et des dommages associés (en termes de santé publique) qui prédominent sur les autres substances et les jeux ». Donc que la consommation de produits psychoactifs licites, « voire le cannabis », entraîne plus de complications que les drogues illicites…

Pour beaucoup, telle Andromède, le simple fait de regarder de la drogue pétrifie et rend immédiatement accro, même les plus vertueux. Mais tout ce qui touche les plus jeunes fait toujours plus peur. Quelques grammes de shit sont vendus dans un collège ? Il faut mettre en place des tests urinaires, systématiser les fouilles à l’entrée, mettre des détecteurs à shit, envoyer l’armée et les chiens renifleurs. Branle-bas de combat. En plus, les plus jeunes ne font rien comme les adultes. Ils ne se bourrent pas la gueule, ils « binge drink ». Ils ne vont pas en discothèque, ils font des free parties et des teknivals. Ils ne partouzent pas, ils font des « tournantes » et autres « gang bangs ». Bref, ils font tout de travers ces cons-là.

RdR ou médico-psycho-pathologisation

Donc on fait de la prévention, très bien. Mais comment ? L’approche de la RdR s’étend de la prévention jusqu’au soin : « le mieux, c’est de ne pas consommer. Si tu consommes, protège ta santé en réduisant les risques. Et si tu souhaites arrêter, il existe des prises en charge ». Cette approche nécessite que le discours de prévention soit basé sur une information objective et réaliste, à savoir les effets négatifs, mais aussi les effets positifs car le vrai problème de la drogue, c’est que c’est bon. Pouvoir aussi expliquer que l’usage de drogues n’est pas qu’une question de produit mais la rencontre de plusieurs facteurs (personne, produit(s), contexte). Et, si besoin, pouvoir aborder des conseils pour réduire les risques, maîtriser, diminuer, voire même stopper, une consommation, selon les demandes exprimées. Ce discours est-il en phase avec la demande institutionnelle et avec les professionnels des structures travaillant auprès des jeunes ?

Le cadre institutionnel de la prévention des addictions chez les jeunes est fixé par le plan 2013-2017 de la Mildt (Mildeca de nos jours, lire notre article Le « A » de MILD&CA), qui définit les grandes lignes directrices de la lutte contre la drogue et les conduites addictives. C’est ce document qui régit les axes de travail concernant les addictions, tant sur le volet sanitaire que répressif. La première partie concerne le volet sanitaire et social et s’intitule « Prévenir, prendre en charge et réduire les risques ». Des recommandations spécifiques à destination d’un public jeune sont saupoudrées tout au long de cette partie. Jusque-là, tout va bien.

Il y est précisé qu’afin « d’éviter l’entrée en consommation ou de retarder au maximum l’âge d’initiation, les adolescents doivent être les principaux bénéficiaires des actions de prévention »2. De même, le Guide pratique de la protection de l’enfance précise que « la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance fait de la prévention un axe majeur de la protection de l’enfance. Elle vise à prévenir le plus en amont possible les risques de mise en danger de l’enfant en évitant qu’ils ne surviennent ou en limitant leurs effets »3. Idem dans le rapport de l’Inserm, qui recommande de « prévenir les initiations ou en retarder l’âge » et d’« éviter les usages réguliers »4. A priori, rien de fondamentalement contradictoire avec un discours de prévention RdR, même si « éviter l’entrée en consommation » et prévenir « les risques de mise en danger de l’enfant en évitant qu’ils ne surviennent » n’implique pas les mêmes discours ni actions que « prévenir les risques de mise en danger […] en limitant leurs effets ». Un des principes de la RdR est de pouvoir faire du « sur mesure » en s’adaptant à la personne, en l’occurrence à un groupe. Cela nécessite de pouvoir s’adresser à des groupes homogènes (usagers, non-usagers, etc.), ce qui est illusoire d’un point de vue pratique et discutable d’un point de vue pédagogique, mais c’est un autre débat.

De même, la dernière recommandation de l’Inserm pose question : « Repérer au plus tôt les usages précoces et réguliers et promouvoir une prise en charge adaptée pour éviter les dommages sanitaires et sociaux » renvoie au risque d’hyper médico-psycho-pathologisation de ces actions de prévention.

Si t’en prends, ben, t’arrêtes !

Structures réticentes

Concernant les structures travaillant auprès d’un public jeune, c’est un peu plus compliqué. Elles représentent une palette extrêmement large (Éducation nationale, clubs de prévention spécialisée, foyers, Aide sociale à l’enfance, missions locales, PJJ, etc.), avec des objectifs et des missions spécifiques. La plupart reconnaissent, à juste titre, ne pas avoir les compétences nécessaires sur la problématique des addictions et délèguent la prévention à des structures spécialisées, qui vont de l’association antidrogue moralisatrice aux consultations jeunes consommateurs, en passant par la brigade de prévention de la délinquance juvénile de la gendarmerie. Un tel décalage dans la palette d’intervenants s’explique de plusieurs manières. Déjà, tout le monde n’a pas géographiquement une offre de structures de prévention suffisante, donc on fait avec l’existant. Mais aussi parce qu’un certain nombre de dirigeants et de professionnels au sein de ces structures n’adhèrent absolument pas au discours de prévention RdR car leur mission est de protéger les jeunes. Donc la drogue, c’est mal, et si t’en prends, ben t’arrêtes, point ! Et il en existe encore beaucoup qui préfèrent s’en tenir au slogan reaganien du « Just Say No » ou « la drogue, c’est de la merde ». Certains ne se préoccupent d’ailleurs pas des jeunes, mais uniquement de la réputation de leur établissement, comme un patron de club. Faire de la prévention, c’est reconnaître que de la drogue circule. Donc l’intervention privilégiée est celle de la gendarmerie pour signifier que la drogue ne passera pas les portes de cette citadelle éducative. Puis, il y a aussi ceux qui comprennent bien qu’il faut dépasser cette posture mais que ce n’est pas aussi simple. Dans la vraie vie – enfants, adolescents, jeunes adultes, adultes, vieux –, ça n’existe pas. Juridiquement, il n’existe que mineurs et majeurs, point ! Et ça fait une grande différence. Ce qui concerne les mineurs engage la responsabilité pénale des détenteurs de l’autorité parentale. Et comme beaucoup de parents ne veulent pas qu’on dise à leurs enfants qu’il y a des effets positifs avec les drogues, bon nombre de dirigeants de structures, même de bonne volonté, sont réticents à mettre en place des actions de prévention objectives, par peur des retombées hiérarchiques, tutélaires, voire judiciaires en cas de plainte de parents.

Inclure les parents

Tout ceci représente une vue d’ensemble succincte de la complexité des actions de prévention auprès des jeunes. Dans son plan, la Mildeca souhaite renforcer l’impact des programmes de prévention en encourageant « leur inscription dans les projets d’établissements scolaires, d’enseignement supérieur, de centres de formation d’apprentis, de centres de loisirs, d’associations sportives ainsi que dans la formation des jeunes salariés, dans les dispositifs de cohésion sociale et dans la formation des personnels d’éducation, de santé et sociaux »5. Mais au-delà, se pose la question de la formation à la RdR des équipes intervenant auprès des jeunes. Il faut pour cela que ces équipes soient prêtes à passer outre leurs représentations sur la drogue, qui sont conformes à celles de l’opinion publique. Pour ces mêmes raisons, la prévention doit inclure les parents, car elle ne devrait pas être que du ressort des professionnels mais aussi et d’abord des parents. Mais cela nécessite un meilleur maillage géographique, beaucoup de temps et de moyens humains de la part des structures médicosociales spécialisées, consultations jeunes consommateurs en tête. Ce qui n’est pas le cas. Renforcer la coopération, les partenariats et la mixité pluridisciplinaire des équipes se heurte aux mêmes problèmes. D’ailleurs, pour conclure ses recommandations, le rapport de l’Inserm précise bien que « pour atteindre ces objectifs, il est nécessaire d’assurer une coordination nationale et régionale des actions ainsi qu’un soutien financier pérenne ».

Si les intervenants en RdR sont désormais protégés par le code de Santé publique et le Référentiel national encadrant les actions de réduction des risques, qu’en est-il des professionnels exerçant dans un autre cadre, et particulièrement de ceux qui travaillent avec des mineurs ? De plus en plus de professionnels de première ligne avec des mineurs identifiés comme consommateurs renoncent à organiser des séjours avec des jeunes mineurs, par crainte d’une infraction de l’un d’entre eux lors d’un contrôle des forces de l’ordre pour une boulette traînant dans une poche histoire d’assurer la conso durant le séjour. Donc, pour toutes ces raisons, les actions de prévention (soi-disant) « dissuasives » sont privilégiées par conviction, par manque de moyens ou par prudence. Au final, quelle RdR pour les jeunes, notamment mineurs ? Aux adultes, notamment ceux qui ont le pouvoir de décision, de prendre leurs responsabilités !


Notes :

1/ INSERM, Conduites addictives chez les adolescents. Usages, prévention et accompagnement. Principaux constats et recommandations. Pôle Expertise Collective ITMO Santé publique – Aviesan. Février 2014. P.37.
2/ MILDT. Plan gouvernemental de lutte contre la drogue et les conduites addictives 2013-2017. P.17.
3/ Guide pratique de la protection de l’enfance. Prévention en faveur de l’enfant et de l’adolescent. P.2.
4/ INSERM, Conduites addictives chez les adolescents. Usages, prévention et accompagnement. Principaux constats et recommandations. Pôle Expertise Collective ITMO Santé publique – Aviesan. Février 2014. P.38.
5/ MILDT. Plan gouvernemental de lutte contre la drogue et les conduites addictives 2013-2017. P.20.

Dans la jungle des sites antidrogues

Il suffit de taper les mots clés « enfant/enfance/drogues/cannabis » sur Google pour avoir le vertige. Le moteur de recherche vous dégueule des flopées de références, ça sort de tous côtés. Dans le seul espace francophone, c’est une véritable jungle d’associations, de sites, de ligues et autres groupements avec kit, brochures, pdf, ligne d’appel 24/24, forums… tous dédiés à ce « fléau ».

Ce qui saute aux yeux dans tous les messages des forums, c’est la terreur qu’inspire « la drogue » – il n’y a guère que le Jihad islamiste qui paraisse plus flippant. À la profusion de sites évoquée plus haut répond leur uniformité de pensée. Si, dans le détail, on trouvera quelques singularités, celles-ci masquent (mal) une espèce de pensée unique. Leur point commun le plus flagrant : une propagande à double détente, à savoir préserver les enfants des drogues et les enrôler dans cette lutte. On les invite à s’abstenir de la drogue et à se positionner contre, à devenir des acteurs de ce combat (via serments ou la délivrance d’un « diplôme » idoine validant l’engagement de l’enfant).

La prolifération des sites rendant impossible un listing exhaustif, nous avons choisi de vous en présenter une demi-douzaine « représentatifs », en mettant l’accent sur certains sites sectaires. Nous nous arrêterons dans un prochain numéro sur « Enfance sans drogue », véritable archétype du genre.

drogues.gouv.frMILDeCA
MILD&CA : Les drogues et les conduites addictives

Créée en 1982, la Mildt, aujourd’hui MILD&CA (lire notre article Le « A » de MILD&CA), placée sous l’autorité du Premier ministre, définit des actions par le biais de plans (prévention/prise en charge sanitaire sociale/recherche/lutte contre le trafic). Le dernier en date cible plus particulièrement la jeunesse. L’accent est mis sur la prévention des premières consommations (drogue/alcool) et sur la « responsabilisation des parents » désormais considérés comme les « premiers acteurs de prévention » (Assises de 2010). Plusieurs campagnes médiatiques ont été lancées en ce sens, notamment des spots publicitaires destinés à valoriser le rôle des parents et leur capacité à intervenir.

asud55 p16 Drogues Info Servicedrogues-info-service.fr
Pourquoi se drogue-t-on ?

Émanation de l’Adalis, financé par l’Inpes, Drogues-info-service.fr dépend du ministère de la Santé mais regroupe l’action conjointe de plusieurs autres ministères et associations. Son rôle se focalise autour de la prévention contre tout type d’addiction et cible en particulier les enfants et ados. Au 1er juillet 2014, le forum accueillait 331 témoignages et abordait 76 sujets avec un onglet spécifique « avoir un enfant qui se drogue ». Le site met à disposition du matériel pour mener des campagnes de sensibilisation, affiches, cartes postales, plaquettes. Un espace spécifique appelé « adosphère » se veut informatif et ludique. On y trouve le tout-venant ordinaire sur les effets et conséquences des drogues mais aussi un onglet « philo » et « ludique » avec bibliographie, quiz et autres jeux (pendu !).

asud55 p16 Infordroguesinfordrogues.be
Le plus vieux des sites sur les jeunes

Il s’agit du site de l’une des plus anciennes associations de lutte contre la drogue, créée en 1971 sur l’initiative de responsables de différentes institutions du secteur médical et psychosocial. L’association dispose par ailleurs d’une permanence téléphonique et propose aux pro de l’éducation permanente engagés dans des campagnes de sensibilisation les « productions de son service documentation en éducation permanente », comme des « outils d’informations et d’animation » (plaquettes, vidéo…).

Infor drogues dit proposer une alternative aux discours antérieurs relatifs aux traitements médicaux. Le site affirme que la surexposition des drogues dans les médias serait responsable de l’angoisse parentale et définit dix « astuces » pour engager un dialogue avec l’adolescent : « parler n’est pas facile », « choisir des arguments qui touchent », « oser fixer des limites », « bâtir une relation de confiance »

www.grc-rcmp.gc.ca
« les enfants et les drogues — Guide de prévention pour les parents »

Ce site, à l’iconographie sinistre, consultable en PDF, compte 42 pages et date de 2008. Il s’agit d’un « projet conjoint de l’ AADAC, de l’AHS (Alberta Health Services) et du Service de sensibilisation aux drogues et au crime organisé de la GRC » (la gendarmerie royale du canada). Posé en préambule, le site diagnostique « Notre culture consommatrice de drogue » et établit d’emblée un lien entre incivisme et drogue, tout en évoquant une désinformation massive autour du sujet avec en point d’orgue la banalisation du cannabis.

Ici encore, l’accent est mis sur le rôle des parents : avoir « une pensée critique », « ne pas sermonner » est suivi d’un « est-ce que j’utilise positivement des techniques disciplinaires ? », le tout conclu par « établissez des règles et des limites ». Un tableau de classification des drogues avec leurs effets à court et à long terme est consultable. Enfin, un glossaire, non des drogues mais du langage périphérique, complète cet ensemble.

Internet un boulevard sectaire

Bon nombre de ces sites ont des liens plus ou moins nets avec des mouvances sectaires. Encore faut-il les identifier derrière la profusion de sites & blog divers. Dire qu’elles avancent masquées serait sans doute un peu excessif. Par contre, leur référencement sur Google pose quand même question puisque des structures comme la Scientologie ou IVI se trouvent quasi en tête de gondole.

Le combat de la Scientologie contre les drogues remonte aux années 60. Ce serait une erreur de considérer cet engagement uniquement sous un angle manipulateur. Les thèses de la Scientologie – fourre-tout conceptuel relatif à la nature et à la place de l’homme dans l’univers – s’opposent « philosophiquement » aux drogues, qui sont considérées comme nocives sur le plan physique et spirituel. On ne peut omettre cet aspect, même si on connaît la propension de la Scientologie à brouiller les pistes pour enrôler de nouveaux membres. C’est également le cas de certaines mouvances sectaires chrétiennes comme IVI (créée en 1987 par Mme Trubert prétendant, entre autres, pouvoir guérir le sida par simple apposition des mains). Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Internet est un espace tout à fait approprié à la stratégie arachnéenne de la Scientologie : toutes les conditions sont réunies pour lui permettre de tisser sa propre toile, justement. L’action de la Scientologie dans la lutte contre la « peste blanche » – au sein de laquelle la question des enfants n’est qu’une composante – mériterait à elle seule un dossier.

Une nébuleuse souvent propice à confusion

Devant la multiplicité des sites, blogs francophones, régionaux ou non, affiliés à la Scientologie, il n’est pas exagéré de parler de nébuleuse :

En 2012, en Suisse, trois clips d’information à destination de la jeunesse conçus et réalisés par « Non à la drogue, oui à la vie » étaient régulièrement projetés en salle. Or cette association – présente en France comme dans d’autres pays – n’est pas simplement liée à la Scientologie, elle en est l’émanation principale pour tout ce qui concerne le problème des drogues et de l’enfance. Il aura fallu l’intervention de la presse pour que soit révélé ce lien étroit et que les clips soient retirés. « Non à la drogue, oui à la vie » mène par ailleurs des actions de propagande sur le terrain, notamment à Paris, via la distribution de livrets d’information. Les passants sont invités à signer leurs pétitions et à devenir ambassadeurs « pour une vie sans drogue ».

Signalons pour conclure ce trop bref aperçu les démarches entreprises par les scientologues pour ré-ouvrir leurs centres de sevrage, les Narconon (évoqués dans le livre Moi, Christiane F…) de sinistre réputation, fermés en France en 1984 à la suite du décès d’un patient.

Je fume, tu fumes, nous fumons…

Planter le décor

Un couple, quadra pour Elle et quinqua pour Lui, et deux enfants âgés respectivement de 13 et 15 ans qui ne sont pas à Lui, mais à Elle. Une vie de patachon comme on dit, d’un emploi à l’autre pour Elle, le chômage mâtiné d’un brin de délinquance pour Lui… Bref, une famille ordinaire logeant dans un appartement trop petit pour eux dans un quartier populaire de Paris où les dealers stationnent à chaque coin de rue.

Quand bien même ils l’auraient voulu, ils auraient eu beaucoup de mal à dissimuler leur consommation quotidienne de cannabis, des cigarettes qui dégagent une drôle d’odeur et se partagent entre amis, parfois s’échangent contre quelques billets de banque. Il a bien fallu dès leur plus jeune âge leur expliquer qu’il s’agissait d’une activité condamnée par la société pour des raisons diverses qu’ils comprendraient plus tard, des propos qui éveillent de la curiosité chez tout adolescent normalement constitué et qui précèdent le discours concernant les dangers du cannabis sur un cerveau malléable… Un discours préventif, tenu en l’élargissant à d’autres substances telles que l’alcool, une drogue en vente libre et dont les effets sont dévastateurs à long terme.

Qu’ils touchent un jour ou l’autre et l’un ou l’autre à la « drogue », leurs parents s’y attendaient, espérant néanmoins que ce jour vienne le plus tard possible et que les enfants se tournent vers eux pour goûter au fruit défendu, l’occasion de les conseiller sur la manière de consommer propre (gare au tabac !) et sur les règles à respecter pour que le cannabis ne prenne pas trop de place dans leur vie.

Cet article a été publié dans le blog d’ASUD sur Rue 89 sous le titre Cannabis : elle et lui fument et soudain, leurs ados s’y mettent.

Ne jamais faire confiance à un ado

Un matin, Elle reçoit un appel du collège où l’aîné de ses garçons poursuit des études chaotiques. Le proviseur, qui refuse de lui dire de quoi il s’agit, l’invite à venir d’urgence à son bureau. Craignant qu’il ne soit arrivé un malheur à son garçon, elle se précipite et apprend (ouf !) que ce dernier (aïe !) a trouvé le moyen de se distinguer en essayant de vendre la beuh qu’il leur avait subtilisée.

Un coup de fil passé en douce du bureau du proviseur et voilà qu’Il panique et s’en va cacher ses provisions chez un ami. La mère n’a pas nié l’évidence devant le conseiller d’éducation : Elle et son compagnon consomment du cannabis pour des raisons qui les regardent. Leur grande faute – ou simple erreur, selon le point de vue qu’on adopte –, c’est de l’avoir laissé à portée de main des enfants, une erreur qui ne se reproduira plus. Il s’était déjà pris la tête avec Elle sur le thème : il ne faut jamais faire confiance à un ado.

Qu’auriez-vous fait à la place des parents ? Si vous ignorez tout de cette plante, si vous puisez vos informations sur le site « Parents contre la drogue » et si, dans votre tête, cannabis rime avec schizophrénie, sans doute l’auriez-vous traîné de force chez un médecin spécialisé, un addictologue comme on dit maintenant. Peut-être auriez-vous fouillé sa chambre la peur au ventre, par crainte de dénicher une boulette…

Eh bien ces parents-là n’ont même pas appelé « Drogues info service » dont on dit le plus grand bien, ils s’en sont pris à eux-mêmes et à leur manque de perspicacité. Quand le gamin (il avait 14 ans) est rentré tête basse, son beau-père l’a traité de petit con, lui a fait remarquer que sa conduite mettait en danger la cellule familiale, que plus jamais ils ne lui feraient confiance. Sa mère a abondé dans son sens et ils ont décidé que désormais, à titre exceptionnel, en tout cas jamais durant la semaine et s’il se comportait correctement, une petite tête d’herbe lui serait octroyée de temps à autre.

Cette aventure les a refroidis et obligés à adopter des ruses de Sioux pour planquer (et parfois oublier à quel endroit) leur provision de beuh. Comme tous fumeurs sérieux, ils redoutaient la saison estivale et s’arrangeaient pour mettre de côté de quoi satisfaire (à raison de deux maigres pétards par jour) leur toxicomanie. Aussi sont-ils restés comme deux ronds de flanc le jour où ils ont extirpé la beuh de secours (une variété millésimée) de sa cache spéciale et constaté qu’il ne restait plus que quelques miettes au fond du sac. Pas besoin de mener une enquête pour trouver le voleur qui a tout avoué et s’est justifié en disant qu’il n’avait pas su résister à la tentation… Que c’était trop bon.

Branle-bas de combat : cet ado, si l’on s’en tient aux critères en vigueur, a un problème avec le cannabis. Il lui arrive de fumer seul et il est capable, tout brave garçon qu’il soit par ailleurs, de dévaliser les précieuses réserves de ses parents. Une consultation dans un centre pour jeunes drogués en détresse s’imposait, non ? Ce n’est pas la solution que choisirent ses parents, réalisant que le cannabis l’aidait à calmer la détresse et la colère qui bouillonnaient en lui à la moindre contrariété.

Un cannabis social club familial ?

Ils n’en pouvaient plus de vivre à l’étroit et déploraient que la chambre des enfants soit devenue un coffeeshop fréquenté par leurs copains, des fils de bobos susceptibles de leur attirer des ennuis. Mais ils préféraient les savoir se droguer à la maison plutôt que dans la rue à la merci du premier contrôle de police venu, ce qui n’a pas empêché sa mère d’aller un jour récupérer le cadet dans un lointain commissariat de banlieue. L’inspecteur de police a été contrarié quand elle a dit, sans larmoyer pour autant, qu’elle était au courant de la consommation de son fils alors âgé de seize ans. Elle aurait pu, dans la foulée, lui expliquer qu’elle préférerait ravitailler son fils en cannabis et lui éviter de fréquenter des cités où le shit est coupé avec des produits nocifs et où lui seront immanquablement proposées d’autres drogues illicites, mais elle s’est tue.

Évidemment, chaque fois qu’ils le pouvaient, Elle et Lui rappelaient à tous ces ados que le cannabis n’est pas une drogue innocente, qu’il se marie très mal avec l’alcool, qu’il n’est guère compatible avec les études et qu’en le consommant, on risque de se retrouver avec un casier judiciaire, un handicap pour débuter une vie d’adulte.

La famille a enfin trouvé un grand appartement avec une chambre d’amis et lorsque l’aîné des garçons qui allait sur ses dix-huit ans a manifesté le désir de cultiver en intérieur, Elle comme Lui ont cherché des raisons de lui interdire cette activité agricole. Mais ils n’ont rien trouvé de pertinent, aussi ont-il décidé de partager les frais d’installation de la chambre de culture et le fruit de la récolte en deux parts égales, une pour eux et une pour leurs enfants… Une chambre d’amis, mais aussi une terrasse assez vaste pour accueillir une dizaine de plantes à partager selon le même principe que précédemment. Ainsi, ils éviteraient les cités, ses prix prohibitifs et ses herbes de piètre qualité !

Les enfants ont grandi, ils sont tous les deux majeurs et vivent à temps partiel chez leurs parents. En quelques saisons, Elle comme Lui sont devenus des cannabiculteurs expérimentés, et cette année, ils ont l’intention de reconsidérer le deal passé avec les enfants. Parce que c’est un travail journalier et que rarement ils leur donnent un coup de main, parce qu’ils ont l’âge de travailler et que la vie au quotidien devient de plus en plus dure, Elle et Lui ont décidé de prélever une commission sur la prochaine récolte afin d’améliorer l’ordinaire. Mais aussi pour éviter, preuve que leurs enfants ont un usage récréatif, qu’ils vendent à un prix « commercial » une partie de leur part au lieu de chercher du boulot… Et au risque de se faire pècho en pleine transaction.

Petit guide pratique pour parents stressés

Les parents d’ados/jeunes adultes du XXIe siècle sont souvent des amateurs de cannabis du XXe siècle. Teufeurs chépers, clubbers poudrés ou héroïnomanes substitués, ils ne semblent pourtant pas toujours mieux armés pour parler drogues à leur progéniture. Alors qu’Internet colporte le meilleur et le pire de l’information et du conseil, la propagande prohibitionniste reste majoritaire sur les autres médias. Et si les structures de RdR font un gros travail de terrain, parents angoissés et enfants mal formés aux drogues et aux addictions sont encore bien trop nombreux.

Just Say No ou ne rien dire du tout

La pénalisation de la consommation et la prévention par l’abstinence totale évitent souvent aux parents tout dialogue sur les drogues et surtout, d’établir clairement la gestion des comportements addictifs au sein de la famille et en société. Cela les dispense de raconter leurs frasques passées et de faire des concessions sur leurs pratiques futures. Il suffirait pourtant d’avoir un discours informé et pragmatique à base de RdR et de bon sens pour établir la confiance entre les générations sur ce sujet trop souvent tabou ou biaisé.

L’échec de la prévention primaire

Dans son texte « Que dire aux enfants ? », issu du Pot Book de Julie Holland et traduit sur le site cannabistext.org, Marsha Rosenbaum propose d’abord une analyse de l’échec de la prévention conventionnelle dont l’efficacité a été compromise par :

  • « le refus de distinguer usage de drogues et abus en affirmant que  » tout usage est abus  » » ;
  • « le recours à la désinformation pour faire peur » ;
  • et « l’incapacité à fournir des informations complètes qui aideraient les usagers à réduire les dommages pouvant résulter de leur consommation ».

Une stratégie fondée sur la peur et la désinformation ne peut pas fonctionner à long terme, encore moins à l’ère d’Internet et de l’information largement vérifiée et propagée à une échelle globalisée. Et si Marsha Rosenbaum focalise son propos sur le cannabis, sa méthodologie peut très bien s’appliquer à d’autres substances. La Drug Policy Alliance (DPA) a adapté ce texte comme modèle global de prévention « Safety First » (la sécurité d’abord).

Information vs désinformation

Pour apaiser la peur, le document rappelle que : « La quasi-totalité des études ont pourtant montré que la grande majorité des étudiants qui essayent les drogues licites et/ou illicites ne deviennent pas toxicomanes (US GAO, 1993 ; Duncan, 1991). Nous devons parler de l’alcool et des autres drogues de manière élaborée et distinguer usage et abus. Sinon, nous perdrons notre crédibilité. »

Marsha Rosenbaum répond aux questions récurrentes que les parents posent sur la marijuana lors des ateliers qu’elle anime dans le cadre de son travail de sociologue médicale :

  • Est-elle vraiment beaucoup plus puissante et dangereuse aujourd’hui que par le passé ?
  • Est-elle vraiment aujourd’hui plus addictive que jamais ?
  • Pousse-t-elle vraiment les usagers à se tourner vers des drogues plus « dures » ?
  • Fumer de la marijuana provoque-t-il vraiment le cancer du poumon ?

Elle conseille d’abord deux livres, auquel j’ajoute les chapitres du Pot Book traduits sur cannabistext.org, Marijuana, mythes et réalités (1997) et Marijuana: A New Look at the Scientific Evidence (2005). « Chacun montre que les affirmations concernant les risques de la marijuana ont été exagérées, voire dans certains cas fabriquées (Zimmer et Morgan, 1997 ; Earleywine, 2005). » Puis elle consacre un paragraphe à chaque réponse.

La sécurité d’abord

À la place du « Just Say No », elle propose le concept « Safety First ». Une approche basée sur la réalité permet aux adolescents de prendre des décisions responsables en :

  • « donnant une information honnête, basée sur la science » ;
  • « encourageant la modération si l’expérimentation persiste » ;
  • « favorisant la compréhension des conséquences juridiques et sociales de l’usage de drogues » ;
  • « faisant de la sécurité une priorité grâce à la responsabilisation personnelle et à la connaissance ».

Elle insiste sur l’information fondée sur des données scientifiques fiables, sur la répartition de l’information sur les drogues dans la plupart des matières enseignées, sur l’apprentissage de la modération et l’évaluation réelle du risque de prison et de stigmatisation sociale.

Que faire concrètement ?

Marsha propose aux parents un programme en 5 étapes : écouter, apprendre, agir, guider, aider. « Une relation ouverte, basée sur la confiance, avec un parent ou un adulte respecté est en réalité le meilleur moyen de dissuader les tendances à l’abus. » Cela ne veut pas dire encourager ou autoriser l’usage de drogues mais être présent au côté des enfants pour en comprendre les enjeux et en assumer les conséquences avec leur sécurité comme première préoccupation.

Les professionnels de la RdR et les décideurs français seraient bien inspirés d’adopter ce modèle.

Alain Roy « Une éducation nationale à la consommation de drogues s’impose »

Le sociologue Alain Roy accumule les expériences et les savoirs, tant personnels que professionnels sur les drogues depuis 1967. Il fréquente aussi bien les consommateurs vulnérables, les toxicomanes précaires, les usagers sans problème, les ados curieux, que les consommateurs sans limites ou les dealers. Pour ses observations, il s’est aussi glissé à l’occasion du côté des trafiquants.

Formateur et concepteur d’outils pédagogiques chevronné pour les parents, les pro ou encore les institutions, il a écrit le livre Exploration Drogues : premier contact destiné au 11-15 ans.

ASUD : Vous commencez votre livre par une anecdote mettant en scène le discours caricatural de votre mère sur les drogues quand vous étiez enfant. Quels rapports avez-vous avec vos 2 enfants au sujet des drogues ?

Alain Roy : Mes enfants ont reçu une éducation sur les drogues depuis leur tout jeune âge, au même titre que la santé, l’alimentation, la sexualité, etc. Ils savent qu’idéalement, il serait préférable de n’en consommer aucune avant l’âge de la maturité, autour de 17-20 ans. Ils savent aussi qu’il peut tout de même y avoir un usage acceptable tel que défini dans le livre.

À 3-4 ans, ils avaient goûté du bout des lèvres à l’alcool qu’ils ont réessayé à 15 ans. Au même âge, ils ont connu leur première cuite. À 6 ans, ils savaient déjà que le chocolat contenait entre autre une substance excitante et qu’il fallait en consommer modérément et préférablement avant 15 heures pour ne pas nuire au sommeil. Bien sûr, il y avait les fameux cas d’exception qui confirment la règle. À 14 ans, Alexis a essayé la marijuana qu’il a tout de suite délaissée. Au même âge, il a fumé la cigarette à laquelle il s’est attaché jusqu’à l’âge de 27 ans. Comme père monoparental avec garde de ses enfants à temps complet, je dois dire que la consommation de mes enfants a été acceptable sauf pour la consommation de cigarette d’Alexis. Ils n’ont jamais essayé aucune autre drogue illégale.

Aujourd’hui adultes (35 et 37 ans), ils consomment de l’alcool à l’occasion, prennent 1 ou 2 cafés par jour et n’ont jamais consommé de médicaments psychoactifs. Mon éducation sur les drogues a joué un tout petit rôle mais elle était essentielle. Mon rôle de père est venu confirmer ma vision des drogues.

Revenons au livre. Comment son message est-il accueilli par les ados et les éducateurs ?

Avant la parution, j’avais déjà une bonne idée de l’accueil qu’il recevrait. Pendant des années, j’ai livré la vision et le contenu du livre auprès des jeunes, des parents et des intervenants.

Les jeunes trouvent le livre très beau et attrayant. Ils disent qu’ils ont beaucoup appris, que ça les a fait réfléchir, qu’ils ont eu des réponses à leur questions et que les messages étaient réalistes et convenaient à leur âge. Quant aux parents et aux intervenants, ils se disent contents d’avoir un livre qui leur permette d’aborder le sujet des drogues de manière objective, réaliste, concrète, rigoureuse, nuancée et adaptée aux jeunes et à eux. La majorité se montre d’accord avec la vision, le contenu et les propositions d’usage acceptable.

À part quelques exceptions, le message global passe très bien auprès des jeunes, des parents, des intervenants et des institutions. La population accepte bien l’idée d’aller vers une éducation à la consommation, ce qui inclut la non-consommation. Les plus grands utilisateurs du livre sont les éducateurs et les intervenants des écoles et des centres de réadaptation pour les jeunes en difficulté qui s’en servent comme programme éducatif.

Cependant quelques intervenants croient que les parents ne sont pas encore prêts à entendre et accepter ce discours. Évidemment, je suis en désaccord avec eux car mes rencontres m’ont démontré le contraire.

cerveau sens
Illustration issue de Exploration Drogues : premier contact (MultiMondes, 2013)

Le livre n’aborde en détail que le plus banalisé des stupéfiants, le cannabis. Donnez-vous les mêmes conseils et la même liberté de choix aux mineurs qui parfois consomment d’autres produits illicites tels la cocaïne, l’héroïne, le MDMA… ?

Oui, je donne essentiellement, avec certaines nuances, les mêmes conseils et la même liberté de choix aux mineurs pour ces autres substances. Mon rôle consiste à donner aux jeunes les éléments de connaissance et de réflexion suffisants pour les amener à faire des choix éclairés et argumentés de consommation ou de non-consommation. Cette conscientisation effectuée, je leur précise qu’ils ne seront plus jamais les mêmes devant leur choix de consommation. Ils ne pourront plus se servir de l’argument de l’inconscience.

Les jeunes se retrouvent donc face à eux-mêmes et à leur propre choix. Ils savent qu’ils doivent se poser plusieurs questions sur eux-mêmes et sur ces drogues avant de consommer. Ils sont au courant des risques de consommer ces substances et de la difficulté de connaître la composition des substances. Ils connaissent les lois et les issues positives ou négatives de la consommation de ces drogues illicites. Ces jeunes se trouvent un peu désemparés de se retrouver seuls face à ce choix qui les responsabilise. Devant ce questionnement difficile et cette responsabilité trop lourde à assumer, la majorité préfère ne rien prendre. C’est donc une minorité qui fait le choix de consommer malgré leur connaissance des risques de leur consommation. Et pour la majorité d’entre eux, cette consommation sera exploratoire et transitoire. Et pour les autres qui s’enfoncent, leur consommation constitue un problème parmi tant d’autres déjà vécus avant de consommer.

Un livre sur les drogues illégales auprès des 14-17 ans, poursuivant cette même approche éducative et de conscientisation, pourrait et devrait effectivement être conçu.

En promouvant l’accès à une information objective, vous êtes très proches de la démarche dite de réduction des risques (RdR). Défendez-vous également l’accès au matériel et aux services de RdR : paille, seringue, analyse de drogues, espace de consommation, etc. ?

Mon travail quotidien ne me conduit pas à défendre cette position ; et la RdR, bien que corollaire de mon approche éducative générale, n’est pas un objectif pour moi. Mais il m’apparaît évident que l’accès au matériel et aux services auprès des jeunes consommateurs est une nécessité incontournable. Cela va de soi dans la mesure où ces services sont insérés dans une politique des drogues et des usages, d’une réflexion, et d’une éducation à la consommation acceptable. Il ne faudrait pas que ces services soient donnés sans conscientisation, sans contrôle, sans responsabilisation des usagers. Ceux-ci doivent comprendre que cette démarche, qui suppose des coûts onéreux, doit être faite avec grand sérieux. Ils doivent réaliser qu’une bonne partie de la population est en désaccord avec cette politique qui, selon elle, encourage et perpétue la consommation.

Poussons la logique de l’éducation aux drogues jusqu’au bout. Les enfants sont souvent témoins des consommations des drogues légales de leurs parents. Pensez-vous que les parents consommateurs de produits illicites devraient faire de même en ne cachant pas leur consommation ?

Compte tenu des lois actuelles, je crois que les parents ne devraient faire usage d’aucune drogue illégale devant leurs enfants ni consommer avec eux. Les enfants ne seraient pas en mesure d’assumer les conséquences juridiques d’un tel choix. Ce serait un très mauvais exemple de défier la loi malgré ses incohérences.

Cependant, nous devons leur expliquer notre désaccord et notre choix de ne pas consommer avec eux ou en leur présence. Les parents doivent leur signaler que si nous étions dans une société cohérente, le problème ne se poserait pas. Comme avec l’alcool, ils pourraient le faire devant ou avec eux.

Ma position idéaliste est de ne consommer aucune drogue avant l’âge de la maturité. Ma position réaliste propose un usage qui peut être acceptable pour l’individu et la société, quelle que soit la drogue consommée. Si toutes les drogues étaient légales et que les conditions d’usage acceptable étaient définies pour tous et pour toutes les drogues, les parents seraient les premiers responsables de l’éducation à la consommation auprès de leurs enfants et assumeraient avec eux les conséquences de leurs comportements de consommation.

Drogues & Nous cerveau
Illustration issue de Exploration Drogues : premier contact (MultiMondes, 2013)

Quelle place doit avoir le pouvoir médical à qui l’on confie en priorité nos enfants sur la question des drogues, surtout s’ils en consomment ?

La presque totalité des interventions à réaliser chez les adolescents dans leur consommation de drogues ne nécessite pas d’interventions médicales ni d’interventions spécialisées. Pourquoi ? Tout simplement parce la grande majorité d’entre eux ont une consommation acceptable et ne connaissent pas de problèmes avec les drogues. Leur consommation devient souvent problématique quand la société rend certaines drogues illégales et développe autour des drogues et des usages, une vision négative, alarmante, dramatisante, guerrière, manichéenne, psychologisante, médicalisante, institutionnalisante, interventionniste… Comme le docteur Knock, plusieurs croient encore que derrière tout consommateur sommeille un toxicomane. Et pourtant, ne deviens pas toxicomane qui veut. Ça prend toute une personnalité, tout un usage et tout un environnement pour y arriver. C’est si difficile.

La compréhension du phénomène de la consommation des drogues et de la toxicomanie couvre divers aspects : politiques, économiques, psychologiques, sociologiques, culturels, biologiques, chimiques, philosophiques… Les intervenants médicaux doivent intervenir dans leurs champs de compétence : les cas de dépendance, de consommation abusive ou dans les urgences médicales qui nécessitent des interventions spécialisées de nature physique ou d’urgence. Mis à part les cas d’urgences médicales, leurs interventions devraient généralement arriver en bout de piste, après celles des parents, des éducateurs et des autres intervenants sociaux.

Malheureusement, notre société a développé une approche interventionniste et un réflexe de référence qui a conduit les adolescents, les parents et les éducateurs à croire que la consommation nécessitait une intervention spécialisée et de haut niveau. Pour ma part, je crois qu’il faut rendre les gens autonomes, responsables, compétents et indépendants. Ils doivent recourir aux autres quand ils sont au bout de leurs ressources personnelles. Ils doivent y aller par étape, en essayant de ne pas institutionnaliser et médicaliser les problèmes inhérents à la vie quotidienne.

Dans mes rencontres avec les adolescents et les parents, j’ai toujours dit que je voulais les amener à se passer de mes services le plus vite possible et à se faire confiance. D’ailleurs, je crois que la plupart des gens trouvent les solutions à leurs problèmes, seuls avec eux-mêmes.

Au niveau international, la politique de « guerre à la Drogue » est de plus en plus mise à mal et de nombreuses réformes locales voient le jour. Vers quoi selon vous l' »usage acceptable des drogues pour la société » doit-il évoluer ?

Les classifications internationales sur les drogues n’ont rien à voir avec leur dangerosité. Elles reposent sur des considérations historiques, économiques, politiques, religieuses, morales, etc., bien loin de la science et d’une vision objective des drogues et des usages. De cette illégalité, il en résulte des conséquences désastreuses pour nos sociétés, entre autres celle de ne pas connaître la composition des drogues illicites, ce qui constitue une condition fondamentale de tous les usages.

À partir de cette vision faussée, partiale, réactionnaire et finalement inefficace, nos gouvernements, nos institutions, nos intervenants, nos parents, nos enfants, nos consommateurs, se retrouvent dans la confusion et l’incohérence. Notre discours sur les drogues est illogique et non crédible.

Il devient donc évident que, devant l’augmentation de la consommation, de l’accessibilité et de la diversité des produits, nos gouvernements ont perdu le contrôle. Ils sont derrière un phénomène qui les devance.
Parmi les premiers changements à effectuer, il y aurait les 4 suivants :

  1. Avoir une vision objective, réaliste, nuancée et adaptée aux réalités des drogues et des usages.
  2. Bâtir de nouvelles législations nationales et internationales fondées sur les données scientifiques et dans l’objectif de promouvoir la santé et la sécurité des citoyens.
  3. Réaliser des programmes d’éducation à la consommation dans les milieux scolaires, sociaux et de travail.
  4. Promouvoir l’approche de réduction des risques.

Avec de tels changements, nous pourrions éviter ou diminuer bien des dommages sanitaires, judiciaires et sociaux des substances psychoactives.

Dans votre modèle, quelle place faites-vous aux sanctions envers les consommateurs de drogues ?

Dans mon modèle, il n’y a aucune place pour la pénalisation des usages de drogues illégales, autant chez les mineurs que chez les majeurs. Je suis pour la dépénalisation, la décriminalisation, la déjudiciarisation et la décontraventionnalisation des usages car la consommation ne m’apparaît pas répréhensible en soi.

Par contre, je suis pour la pénalisation des états d’ivresse au volant. Dans ce cas, il ne s’agit pas de punir l’ivresse mais de pénaliser le fait d’être ivre au volant. Ce que nous devons pénaliser, c’est l’acte répréhensible (vol, agression sexuelle…) et non la cause, quelle qu’elle soit.

Quelles soient d’origine naturelle (végétale, minérale ou animale), semi-synthétique ou synthétique, les drogues sont des substances sans conscience et sans intention. Par conséquent, elles ne peuvent être tenues responsables de quoi que ce soit. Comme les marteaux, les automobiles et les couteaux, les drogues font partie des produits à risque et de plaisir, dont l’issue négative ou positive dépend de l’utilisateur, de l’usage qu’il en fait et de l’environnement dans lequel se réalise la consommation.

Couverture de Exploration Drogues : premier contact (MultiMonde, 2013)Lire aussi la critique du livre
Exploration Drogues : premier contact

Exploration drogues : Premier contact 11-15 ans

Alain Roy relève avec brio le défi d’écrire un livre sur les drogues destiné aux ados. Jamais dramatisant ni banalisant, il tente de renouer la confiance avec ce public qui a arrêté de croire aux mensonges des adultes depuis trop longtemps.

Arrivé à la fin de l’été 2013 pour les jeunes Québécois, Exploration Drogues, Premier contact, est aussi disponible en France depuis cette même date en version papier et électronique. Malheureusement, aucun spécialiste des ados que nous avons rencontrés ou presque ne semble le savoir. De quoi s’agit-il ?

Ceci est une révolution

De la même façon que l’abandon progressif des politiques d’abstinence et de sevrage frappe la fourmilière du traitement des toxicomanies et de l’alcoolisme à grands coups de consommation prescrite, voire maîtrisée, la prévention de l’usage de drogues auprès des jeunes se voit ici reprogrammée en une séance d’informations objectives sur les produits et leurs effets dans une optique plus sociologique que médicale.

À quoi ressemble un choix éclairé de consommation pour un jeune entre 11 et 15 ans ? Pour y arriver, Alain Roy, aka M. Drogues, fait du fonctionnement biologique et psychique des substances psychoactives toutes catégories confondues un passage de lecture obligé. Le premier élément qui permet de briser la glace de la méfiance entre le jeune et l’adulte est la suppression des frontières imaginaires entre les produits légaux et illégaux. C’est juste une norme sociale, explique-t-il, qui n’a rien à voir avec la dangerosité d’un produit. Caféine, nicotine, alcool, médicaments psychotropes et cannabis sont traités pareil, c’est-à-dire en respectant les particularités de chaque substance. Les jeunes ne se fient plus aux messages officiels car ils savent qu’ils visent toujours à leur faire peur, pas à les informer. Alors, M. Drogues informe, montre des images, fait des schémas, vulgarise et répond aux questions des jeunes sans tabou. La maquette est colorée, aérée et psychédélique

Dis papa comment on fait les drogués ?

À travers des scénarios simples et réalistes, il dissèque les comportements des 11-15 ans sous l’influence de ces produits en diverses occasions : seul, en groupe, lors d’une fête, en période d’examen… Il autopsie les facteurs de choix individuels qui conduisent à l’abus, à l’incident, à la dépendance, mais aussi au plaisir d’une consommation maîtrisée ! L’acte de bravoure du livre est de compléter chacune de ses fiches-produits par une série de conseils de consommation à respecter pour rester dans un usage acceptable pour soi et la société.

Loin d’être une autorisation à se droguer, ces conseils impliquent habilement les parents, et leur redonnent une responsabilité dont ils cherchent à se débarrasser et qu’ils ont volontiers déléguée à la morale et/ou aux professionnels. Ce livre ne vise pas à émanciper les collégiens de leurs parents à propos des drogues. Au contraire, il permet de les faire discuter ensemble de cet usage acceptable dans une société en perte de repères sur la question. Ce livre est donc aussi un guide pour que les gens ordinaires puissent se positionner là où les scientifiques et les législations se contredisent. Un cahier d’exercices associé au livre est en vente chez le même éditeur.

Exploration Drogue : Premier contact 11-15 ans (et son cahier d’exercice)
Auteur : Alain Roy assisté par Lisa Ann Ellington
Éditeur : MultiMondes
Tarif : 35€ papier / 20€ électronique (cahier d’exercice : 15€ papier / 7€ électronique)

Feuilleter quelques extraits du livre

M DroguesM. Drogues vs. Drogue Info ServiceDrogues info service

Si en France il n’y a pas d’équivalent au livre d’Alain Roy, il existe néanmoins un service de l’État discret mais efficace 7j/7 qui répond aux questions des jeunes sur les drogues. Nous avons posé à Drogues Info Service les mêmes questions qu’à ce M. Drogues canadien en nous faisant passer pour des ados. Comparatif d’extraits de réponses :

Philippe, 13 ans :
Est-il préférable/acceptable pour un jeune de mon âge de prendre ou de ne pas prendre de l’alcool ?

M. Drogues Drogues Info Service

Si tu respectes les conditions de l’usage acceptable d’alcool, alors c’est vraiment une question de choix personnel.

Commencer à consommer maintenant serait plutôt « inacceptable » et nocif pour votre équilibre tant physique que psychique.

Justine, 15 ans :
Est-il vrai qu’il y a moins de risques d’abuser du shit que de l’alcool ?

M. Drogues Drogues Info Service

Je dois t’avouer que le risque de faire un abus est plus grand avec l’alcool. Chaque année, plusieurs jeunes se retrouvent à l’hôpital à cause de l’alcool, ce qui arrive rarement avec le shit.

Il est vrai que le cannabis a une toxicité moins élevée que l’alcool. On peut mourir d’une trop grosse consommation d’alcool alors qu’il n’existe pas « d’overdose » liée à une consommation excessive de cannabis.

Jérémy, 15 ans :
Est-ce que je peux fumer 10 joints de beuh par an sans nuire à mon développement ?

M. Drogues Drogues Info Service

La réponse est oui.
Depuis une quarantaine d’années, les études démontrent que cette quantité annuelle ne nuit pas au développement de la majorité des jeunes.

D’un point de vue physiologique, certaines études tendent à montrer qu’une consommation précoce de cannabis peut avoir des effets sur les performances intellectuelles à l’âge adulte.
D’un point de vue psychologique, on sait que consommer tôt un produit psychotrope augmente le risque d’en être dépendant dans les années qui suivent

Didi, 15 ans :
Est-il vrai qu’une jeune qui commence à fumer du shit à 14 ans a 80% de chances de finir un jour par prendre de l’héroïne et devenir dépendante ?

M. Drogues Drogues Info Service

Non ce n’est pas vrai. C’est une fausse rumeur.Les études scientifiques démontrent qu’il n’y a même pas 1% des fumeurs de cannabis qui deviennent dépendants de l’héroïne.

La « théorie de l’escalade » est fausse. Ce n’est pas une drogue en soi qui appelle la consommation d’une autre qui serait plus forte, ce sont d’autres raisons, comme par exemple la curiosité, la recherche de plaisir, ou encore une recherche d’effets différents pour tenter de gérer un problème ou une souffrance.

Zohydro ER, l’« héroïne en cacheton »

Zohydro est arrivé ! L’héroïne en cacheton

Zohydro ER, l’« héroïne en cacheton »

 

Alors que les Américains connaissent depuis dix ans ce qu’ils appellent eux-mêmes une « épidémie d’addictions aux opioïdes et à l’héroïne », le laboratoire pharmaceutique californien Zogenix a mis sur le marché au printemps dernier un nouveau produit : l’hydrocodone bitartrate.

Comme l’OxyContin®, longtemps tête de gondole des narcotiques les plus détournés aux USA, il pourra être pulvérisé et ingéré de façon à décupler ses effets et leur intensité. Le ZX002 ou Zohydro® ER est un opiacé à effet prolongé (douze heures) 5 à 10 fois plus dosé que le Vicodin®. Ce dernier est un cocktail d’ibuprofène et d’hydrocodone, dont la popularité aux US est de notoriété publique. En 2010, c’était le médicament le plus prescrit outre-Atlantique : 131 millions d’ordonnances remplies.

Une autorisation de mise sur le marché olé-olé

En France l’hydrocodone est classé stupéfiant. Il n’est pas commercialisé car on préfère les anti-douleurs à base de morphine.

Le jour même où la Food and Drug Administration détaillait de nouvelles restrictions fédérales concernant les hydrocodones combinés comme le Vicodin®, elle annonçait l’autorisation de commercialisation du Zohydro®. Et ce, contre l’avis de son propre comité consultatif. Tandis que l’indignation monte parmi les responsables de santé publique, il semblerait qu’un autre produit, le Moxduo®, une mixture de morphine et d’oxycodone, devrait aussi être commercialisé prochainement. Tant d’incohérences au sein de la FDA peuvent laisser songeur, mais elles s’expliquent assez aisément.

Depuis quelques années, « Big Pharma » a du souci à se faire. Elle ne fait plus partie du « Fortune 500 », le classement des « most profitable » industries. Les profits baissent et les brevets tombent dans le domaine public. Une des solutions pour permettre de se refaire a consisté à faire assouplir la législation relative aux cycles de tests cliniques des nouveaux produits, et, par ailleurs, à inciter les prescripteurs à étendre l’usage des opiacés.

Big Pharma en embuscade

Décidément tout, absolument tout ce qui a été successivement inventé pour remplacer l’opium aura été une catastrophe sanitaire !

Maintenant que c’est chose faite, on peut se demander comment des millions d’Américains1 se retrouvent à croquer autant d’antidouleurs narcotiques, jadis réservés aux patients en phase terminale. C’est parce que « Big Pharma » a arrosé les médecins-conseils afin qu’ils suivent leurs recommandations de prescription de narcotiques. D’après le Milwaukee Wisconsin Journal Sentinel, citons à titre d’exemple le cas de l’American Geriatrics Society qui amenda en 2009 ses recommandations aux médecins, les poussant à prescrire « plus rarement de l’ibuprofène et du naproxène, au profit d’opioïdes pour tous les patients souffrant de douleurs modérées à intenses »2. Ben voyons. La moitié des experts du panel était également conférencier, consultant ou conseil suborné par l’industrie des opioïdes au moment de la publication du rapport. L’université de Wisconsin a aussi encaissé 2,5 millions $ provenant de l’industrie des opioïdes destinés à son « Pain & Policy Studies Group », alors qu’elle prônait un élargissement de l’usage des analgésiques narcotiques.

So ? What else is new ?

D’après l’enquête du Trust for America’s Health, une organisation à but non lucratif basée à Washington D.C., les drogues les plus fréquemment prescrites, genre Vicodin®, Xanax® et Adderall®, causent davantage de morts que l’héroïne et la cocaïne combinées. Certains États paient un tribut plus élevé que d’autres, la Virginie de l’Ouest, le Nouveau-Mexique et le Kentucky se distinguant par leur nombre de décès par overdose. Mais le constat reste valable pour l’ensemble du pays. D’après le Center for Disease Control and Prevention, près de la moitié de la population étasunienne prend au moins un des médicaments impliqués dans la mort de 100 000 Américains par an. Une population de 300 millions d’habitants divisée par 2 = 150 millions de clients plus que fidélisés. Yeah ! 415 $ le flacon de 60 cachets de Zohydro® en pharmacie (20 à 30 $ le cachet dans la rue, ça fait 1 800 billets verts), les actionnaires vont être contents.

zoydrosure lock
Conditionnement avec bouchon dit « de sécurité ».

Y a-t-il un pilote dans l’avion ?

Ben, non. Et c’est bien le problème quand une prétendue « main invisible de l’économie » dicte ses exigences de rentabilité, au détriment de la vie elle-même. Le Zohydro®, futur OxyCodin® 2.0 : la marchandise idéale. Et qui fait gober toutes les autres.

En attendant, le bilan humain est plutôt lourd : plus de 17 000 décès par overdose d’opiacés par an. Et les hospitalisations pour surdose due aux narcotiques de synthèse sont passées de 299 000 en 2001 à 885 000 en 2011. Taxé de légèreté et d’avoir fait primer les intérêts de Zogentix sur ceux des consommateurs, le porte-parole de la FDA, Morgan Liscinsky, opina : « Les prescripteurs disposent maintenant d’une option hydrocodone pour les patients requérant un opiacé à effet prolongé. » Ouf ! Tout va pour le mieux, alors…


Notes :

1/ Représentant à peine 5 % de la population mondiale, les Américains consomment 80 % des produits opioïdes, d’après ABC News.
2/ Grâce à cette opportune réévaluation du rôle des opioïdes dans la pharmacopée, Businessweek relève qu’ils sont maintenant prescrits pour une large palette de pathologies : douleurs lombaires, céphalées, arthrite, fybromyalgies, douleurs dentaires, dépressions et même dans des cas de « chômage ».

Des lignes blanches sur le continent noir

Faire de la réduction des risques en Afrique francophone : voilà le défi qui va s’imposer dans les prochaines années. La consommation locale de drogues dures progresse sans que les tabous qui pèsent sur ce phénomène ne reculent d’un pouce. Hypothèse de travail en noir et blanc, avant de passer à la couleur.

Je me souviens d’une réunion tenue à Amsterdam entre plusieurs ONG européennes et africaines de lutte contre le sida. Nous étions une douzaine, des Noirs, des Blancs, des gays, des hétéros, des francophones, des anglophones, des toxicos, bref, la clique habituelle des militants séropos qui veulent changer le monde en pensant que la planète est une grosse boule hérissée de pointes.

Des histoires de pédés blancs

Dès la fin de la conférence, un de mes frères blacks vient me voir pour me glisser d’un ton de confidence :

« Tu sais ces histoires de pédés blancs, c’est juste pour la money. De toute façon, c’est comme ça depuis le début, tout l’argent est pour eux. »

Je tentais vaguement de protester en disant que peut-être le continent noir lui-même ne représentait pas nécessairement un bloc d’hétérosexualité granitique. Mais mon compère était lancé :

« Non, les pédés, y en n’a pas chez nous, c’est des trucs de Blancs… et puis les toxicos, c’est pareil, c’est un truc des Blancs pour faire du fric avec le sida. »

J’étais présent en tant que représentant d’INPUD (International Network of People who Use Drugs), le réseau international des tox, et peut-être que mon interlocuteur fut pris de la crainte que mon teint halé ne fut que la conséquence de l’ardeur du soleil batave. Bref, nous nous quittâmes bons amis, mais bousculés dans nos certitudes réciproques.

Que conclure de ce type de représentations, hélas souvent partagées dans le milieu des ONG africaines ?

Le sida, calamité naturelle

Tout d’abord, que les causes sociétales du sida sont restées largement sous-estimées, une situation que le caractère massif de la pandémie dans certains pays n’a fait que renforcer. Le sida est en Afrique une autoroute pour la culpabilité occidentale mâtinée de condescendance, un cocktail baptisé Le sanglot de l’homme Blanc par Pascal Bruckner. Au-delà des stéréotypes racistes que l’on est implicitement prié de ne jamais commenter, comme l’exubérance sexuelle, la prostitution galopante avec en creux le poids des injonctions papales, le sida en Afrique reste perçu comme une sorte de calamité naturelle.

Aujourd’hui encore, lors de la conférence de Melbourne, une déclaration apparaît comme révolutionnaire quand elle évoque le stigmate de certaines populations comme agent incontournable de la maladie, en l’occurrence les homosexuels en Afrique et les toxicomanes en Russie. Malgré l’action des grandes ONG internationales, dans la plupart des pays en développement, le sida n’est pas devenu cette maladie politique qui a bouleversé les représentations que nous avons des relations sexuelles entre personnes de  même sexe et, dans une moindre mesure, des usagers de drogues.

Réinventer la réduction des risques

Pourtant, l’homophobie, le racisme, le sexisme, la stigmatisation des usagers de drogues et des prostituées règnent en maître sur le continent noir. La difficulté à instaurer une approche politique de ces phénomènes est particulièrement prégnante dans la question de la consommation de drogues. En effet, il semblerait que des pans entiers de la zone subsaharienne passent de la catégorie « transit du trafic international » à celle de « pays de consommation locale ». Si c’est avéré pour les anciennes colonies de l’Empire Britannique que sont la Tanzanie, le Kenya ou le Nigeria, il apparaît que le phénomène émerge également en Afrique francophone (Lire notre article Fumoirs et Babas en Côte d’Ivoire).

Nous sommes sans doute à l’aube d’une extension prévisible des consommations de drogues illicites en Afrique mais là encore, soyons prudents. Comment éviter de plaquer nos grilles de lecture occidentales sur ce nouveau phénomène ? Tout d’abord, et pour les raisons indiquées précédemment, évitons de nous se servir systématiquement du sida comme porte d’entrée. Ensuite, et c’est probablement le plus important, il faut inventer une politique de réduction des risques qui soit totalement immergée dans le contexte culturel africain, c’est-à-dire communautaire, ancrée dans périmètre familial, et située au plus près des codes en usage sur le terrain. Il semble que l’exploration des scènes nous apprenne beaucoup de choses sur des modes de consommation qui ne s’assimilent pas forcément à leurs équivalents occidentaux.

En résumé, la RdR en Afrique, notamment en Afrique francophone, doit pouvoir obéir à une double injonction contradictoire : d’une part, partir du terrain et respecter les codes culturels en vigueur et de l’autre, impulser une lecture politique du phénomène qui contourne la figure imposée de la prévention virale. Ce paradoxe n’est qu’apparent, la stigmatisation de l’homosexualité, de la prostitution et de l’usage de psychotropes a sans doute beaucoup plus de relents postcoloniaux que ne le laisse entendre le bruit de fond d’une société africaine « entrée dans l’histoire » mais souvent bâillonnée par la nôtre.

Fumoirs et Babas en Côte d’Ivoire

Les « fumoirs », c’est le nom donné aux scènes ouvertes de consommation de drogues dures par les usagers d’Abidjan, capitale de la Côte d’Ivoire. Fofana Sékou a été chargé par Médecins du monde *de l’exploration de ces nouveaux territoires.Il a rencontré les « Babas », moitié dealers-moitié travailleur sociaux.

* Les propos rapportés dans cette interview n’engagent par la responsabilité de l’association Médecins du Monde mais uniquement celle de d’ASUD. 

ASUD: Fofana Sékou, qui es-tu ?

Fofana Sékou : Je m’appelle Fofana Sékou, je suis né en Côte d’Ivoire, je suis venu en France comme étudiant, il y a vingt-cinq ans. Puis, à cause des papiers, je ne pouvais plus continuer mes études, alors j’ai galéré…

À l’époque la scène était à Stalingrad ?

Oui, elle était à Stalingrad. Moi j’habitais à côté dans le XIXe. On avait un squat là bas où on vivait avec beaucoup de toxs. J’ai perdu des amis proches, qui sont décédés d’overdoses, par le VIH, les hépatites et la tuberculose…. . C’était vers les années 90.

A ce moment là, au niveau de ta consommation, tu en étais où ?

Moi je gérais car comme le squat était à ma disposition et sous ma protection, je ne pouvais pas me permettre de faire comme les autres. Il fallait quelqu’un pour veiller sur le bateau. De temps en temps je partais en vrac, comme tout le monde, mais ça ne durait pas longtemps, j’arrivais toujours à revenir.

Comment as-tu été en contact avec Médecins du Monde ?

Je suis venu à la Réduction des Risques en militant contre l’expulsion des sans papiers de l’Église Saint-Bernard. J’ai eu l’occasion de rencontrer l’Abbé Pierre, qui m’a conforté dans l’idée de défendre les pauvres. Puis j’ai formé un groupe de musiciens, Sofa Africa, pour faire des manifestations pour les sans-papiers, pour les mal-logés… Moi, je chantais et je jouais de la guitare, on faisait des concerts et en même temps on pouvait exposer nos idées…Jack Lang est venu nous voir une fois avec le maire du 19ème. Et puis j’ai rencontré Elizabeth Avril [actuelle directrice de l’association Gaïa-Paris en charge du projet de salle de consommation ]. Elle nous donnait des informations dont on avait besoin : où il fallait s’orienter, comment il fallait faire. A l’époque elle bossait au Bus méthadone de Médecins du Monde.

Évidemment, tout cela se passe dans la communauté africaine…

Oui, et ce mot de « communauté » est important. Parce que la réduction des risques communautaire, ça serait pas mal de la mettre en place…souvent, ce sont des gens qui ne veulent pas se mélanger, qui ne comprennent pas l’extérieur.

A Stalingrad, chez les crackers, de quelles communautés s’agit-il ?

On a surtout des gens du Mali, Sénégal et Côte d’Ivoire. Il y a aussi les Antillais à Château- Rouge. Ils ne se mélangent pas, sauf si c’est pour aller chercher les produits et pour vendre…

Comment en es-tu arrivé à réfléchir sur la consommation de drogues au pays ?

Déjà avant de venir, je connaissais un peu le terrain – j’avais déjà goûté là bas… et puis je voyais les petits frères arriver en France.Quand on m’en parlait, je commençais à réfléchir sur la Côte d’Ivoire. Donc j’ai commencé à me former. J’ai eu la chance de travailler avec beaucoup de CAARUD (Charonne, Ego). Un jour, j’ai reçu une lettre qui disait que MdM cherchait quelqu’un pour faire une exploration sur la Côte d’Ivoire pour voir comment ça se passait au niveau de la drogue et de la santé. J’ai postulé, j’ai été choisi, et ils m’ont envoyé à Abidjan pour rencontrer Jérôme, qui suit le projet RdR de Médecins du monde à Abidjan.

Qu’est-ce qu’on consommait là bas quand tu es parti ?

Tout ! L’herbe, l’héroïne, la cocaïne… Il y avait aussi des cachets d’amphétamines, des cachets de speed. C’est ça qui a fait le plus de mal je crois, parce qu’il y en a beaucoup qui sont morts par accident sur la route…

Pour une exploration, c’est rare chez MdM de prendre quelqu’un de la communauté…

Je ne sais pas comment ça se passe d’habitude. Mais je crois qu’il y avait un autre projet : deux personnes étaient parties avant nous, mais elles n’avaient pas réussi à rentrer dans le milieu local. Donc il fallait trouver quelqu’un qui puisse ouvrir les portes pour rentrer. Moi, j’ai fait deux mois, Jérôme six, j’ai ouvert les portes pour que Jérôme puisse entrer.

Ça faisait combien de temps que tu n’étais pas retourné à Abidjan ? Comment ça s’est passé ?

Ça faisait environ 10 ans. J’avais les contacts des gens qui venaient sur la scène à Paris mais ce n’était pas suffisant. Il fallait trouver des gens implantés en Côte d’Ivoire. D’abord j’ai pris contact là-bas avec mes frères et des amis qui sont restés. J’ai vite découvert que beaucoup de mes copains sont tombés dedans, parce qu’avec la guerre civile ils n’avaient rien à faire, ils traînaient….. Quand je suis arrivé je les ai appelés, et voilà, on m’a ouvert les fumoirs.

Comment ça s’est passé avec les autorités ?

MdM avait des contacts grâce à la coordinatrice qui travaille sur place. Ensuite, On a pratiqué une forte pression sur les responsables de la santé et de la lutte contre le sida pour les convaincre de nous laisser aller voir ce qui se passait dans les fumoirs. On est arrivé avec du matériel de détection du VIH, de la tuberculose, etc. Ça c’était l’argument principal, qui passait partout…Du coup ils nous ont mis en relation avec les chefs de quartier, des gens élus par la population de chaque quartier depuis la guerre civile. Une garantie pour ne pas être embêtés quand nous serions dans le fumoir.

Qu’est-ce qu’un « fumoir » ?

Ce sont des espaces ouverts complètement. Par exemple, le fumoir de Treichville [commune d’Abidjan, ndlr], l’un des plus grands, se trouve sur un bout de voie ferrée, même pas abandonné ! Certains ont été blessés par le train, trop foncedés. Ce fumoir regroupe à peu près 200 personnes, sur peut-être 500 mètres.

Qui vit là ?

Des hommes, des femmes… Il n’y a pas d’enfant à Treichville. Pour gagner de l’argent afin d’acheter le produit, les femmes se prostituent occasionnellement, les hommes font du business, du vol, etc. La dose de coke est à 2 100 francs CFA (environ 4 €) – une somme avec laquelle tu vas au restaurant –, ils appellent ça « paho ».

Et l’héro ?

Il y en a aussi, à peu près autant. Le prix, c’est pareil. Seulement ils ne l’injectent pas. Les seuls qui le faisaient, c’était les anciens qui revenaient de France.

Du coup, la question du SIDA… ?

On n’a pas trouvé beaucoup de cas, ni de tuberculose ou d’hépatite. On avait profité la situation pour faire des tests, avec l’accord des gens : peut-être 5 ou 10 personnes par ghetto. Les autres sont dans la précarité avec tous les problèmes associés, mais pas particulièrement malades.

Sais-tu s’il y a une forte prévalence du sida en Côte d’Ivoire en général ?

Je crois qu’on est à environ 3%, ce qui est assez peu par rapport à d’autres pays d’Afrique comme l’Afrique du Sud ou la Tanzanie par exemple.

Tu parlais de Treichville tout à l’heure, c’est un lieu de consommation et de vente uniquement ?

Non, les gens vivent là ! Malgré le train, ils ont construit des petites maisonnées avec des toits en tôle. Ils vivent là.

Et donc là-bas il n’y a pas d’enfants ?

Non, pas à Treichville. Mais il y en a dans d’autres fumoirs, comme celui de Marcori, dans un autre quartier. Il y a environ une centaine de résidents sous la protection d’un « Baba ».

Qu’est-ce qu’un « Baba » ?

Les Babas sont les chefs de fumoir. En Arabe, Baba veut dire « père » et là, c’est le même contexte : le gars est là comme un père, c’est lui qui amène les tox à l’hôpital, qui va les chercher…

Et les Babas, ils consomment ?

Normalement, les Babas ne sont pas consommateurs. Le Baba doit être bien sapé, avoir l’esprit clair et la tête dure, sinon les autres profitent de lui… Une fois, un gars nous a dit qu’il était le Baba, on s’est dit « c’est pas possible, c’est pas lui », il n’arrivait pas à nous expliquer, quand il parlait il n’arrêtait pas de piquer du nez… Et en fait, c’était vraiment lui. Mais celui-là, il va se faire allumer.

Comment devient-on Baba ?

Déjà, la force. Et les connections, les produits.

Comment ça se passe si un mec se ramène avec de la came dans le fumoir ?

Déjà, il énerve le Baba. Ils ont le monopole : le seul moyen d’amener du produit dans le fumoir, c’est de le vendre au Baba. Si tu le vends directement aux clients, tu vas avoir des problèmes.

Donc les tox ne se vendent pas des trucs entre eux ?

Si, mais ça doit rester discret, du dépannage, sinon ça va déplaire au Baba. Le Baba n’est pas là tout le temps, mais il a toujours quelqu’un qui surveille pour lui. Il faut savoir que le Baba, tu ne l’atteins pas comme ça : il faut prendre rendez-vous, gagner sa confiance. Il n’habite pas forcément dans le fumoir. Le premier qu’on a vu, on l’a rencontré dans une boîte de nuit, dans un autre quartier. En fait le Baba, c’est d’abord un dealer.

Et en même temps, tu disais qu’il s’occupe des gens ?

Oui, c’est ça qui est paradoxal : c’est lui qui les amène à l’hôpital, qui achète à manger, qui va les chercher à la police. S’ils sont décédés, c’est lui qui s’occupe de l’enterrement.

Et il connaît les familles

C’est comme ça en Afrique, on se connaît, on connaît toujours quelqu’un de ta famille.

Et les familles, comment elles sont avec les usagers ?

Elles les rejettent, personne ne veut les voir. Si tu es un drogué, tu ne peux plus rien faire. Que ce soit le gouvernement, la population, les professionnels de la santé… personne ne veut les voir. Il n’y a que les Babas qui s’en occupent.

Quand on a été voir les toxs, ils étaient tous étonnés de nous voir aussi relax, ils se demandaient « mais pourquoi venez-vous nous voir ? pourquoi voulez-vous vous préoccuper de nous ? ». En plus on n’était pas comme les chrétiens, on ne cherchait à convertir personne ; on n’arrivait pas avec des slogans comme « La drogue, c’est mal… », ce genre de choses.

Tu as consommé avec eux ?

On n’a pas voulu. On a vite compris que les Babas n’étaient pas trop cools et ceux qui fument, là-bas, sont mal considérés. Donc si tu veux garder une certaine crédibilité aux yeux du Baba, tu ne consommes pas devant eux. Par contre, on fumait souvent des joints avec les usagers pour les rassurer. On roulait ça vite et on fumait, histoire de montrer qu’on était comme eux, qu’on n’était pas des flics… Même si les flics fument aussi !

Parle moi des enfants.

Avec la guerre civile, beaucoup d’enfants sont devenus orphelins ou ont coupé les ponts avec leurs parents. Et finalement, c’est plus dangereux pour eux de vivre dans la rue que dans les fumoirs. Mais c’est à double tranchant : quelle éducation vont-ils avoir ? Physiquement, ils sont protégés : ils ne sont pas mis en esclavage, ils ne sont pas violés

Où trouve-t-on des fumoirs en Côte d’Ivoire ?

Mes amis sont allés à l’intérieur du territoire. Ils m’ont dit qu’à Yamoussoukro [la capitale politique ivoirienne, ndlr], il n’y en avait pas beaucoup, et jamais des très grands – 3 ou 4 personnes en général. A Bouaké et San Pedro, il y en a aussi, surtout à San Pedro où il y en a beaucoup parce que c’est un port, qu’il y a une grande prison et du tourisme dans cette zone.

À Abidjan, il y en a partout : dans chaque quartier – il y en a 10 à Abidjan, chacun correspondant à une des collines de la ville. Tu peux en trouver deux ou trois, généralement un grand avec plus d’une centaine de personnes, et deux ou trois plus petits, avec environ une cinquantaine de résidents.

Penses-tu qu’il y aurait possibilité de faire quelque chose pour aider les personnes sur place ?

Oui. Déjà, le gouvernement actuel semble avoir conscience du problème et pense à laisser la RdR s’installer dans le pays. Le problème pour moi, c’est qu’on a besoin d’une RdR adaptée, une « RdR communautaire », dans le sens où elle doit être adaptée aux réels besoins et aux pratiques des populations locales. On l’a bien vu quand on est arrivé avec une pipe à crack énorme : personne n’utilise ce genre de trucs là-bas ! Ils ont l’habitude des petites pipes pour des petites quantités. Il y a donc besoin d’études de terrain préalables pour identifier les besoins réels des usagers. Après, ça ne devrait pas être trop difficile à mettre en place. Il y a des gens qui nous ont demandé « Pourquoi les usagers de drogues et pas les orphelins de guerre ? ». Les toxicos, là-bas, passeront toujours en dernier parce qu’ils sont stigmatisés !

Les Babas ne risquent-ils pas de se mettre en travers de ce travail ?

En fait, les Babas ne seront pas contre, ça les arrangerait même car ils n’arrivent pas à tout contrôler. Quand quelqu’un a la tuberculose, le Baba ne peut pas faire grand-chose. Ce qu’il faut en Côte d’Ivoire, c’est une association qui éduque les gens à l’hygiène de base, qui les rassure aussi lorsqu’ils ont besoin d’aller à l’hôpital – car cela continue à faire peur à beaucoup d’usagers, en plus d’être très contraignant : les docteurs exigent que les patients soient bien habillés et lavés pour être acceptés dans l’hôpital, mais ce qu’ils ne comprennent pas, c’est que pour ceux qui auraient le plus besoin de soin, il est impossible de se laver ! Il faut plus d’éducation mais aussi plus de possibilités d’accéder à l’hygiène : faire en sorte que chacun puisse accéder aux douches publiques qui existent à Abidjan, par exemple. Il faut leur dire quels sont leurs droits, quels sont leurs devoirs, les accompagner quand ils vont à l’hôpital… Il faut mettre tout ça en place, il y a plein de choses à faire.

Merci aux autorités ivoiriennes pour leur disponibilité et leur prise de conscience de l’importance de la gestion de l’’usage de psychotropes en Côte d’Ivoire.

La longue marche de l’antiprohibition

Speedy Gonzalez continue de nous informer sur les préparatifs de l’Ungass (Session spéciale de l’Assemblée générale des Nations unies) 20161, qui pourrait marquer le tout début de la fin de la prohibition des drogues. Il nous entraîne cette fois dans les arcanes des diverses commissions, conseils et autres offices, et nous présente les premières avancées sur la question. Suivons le guide !

Do you speak ONU ?3asud55 p27 ONU

  • ECOSOC : United Nations Economic and Social Council (Conseil Économique et Social des Nations Unies) ;
  • CND : Commission on Narcotic Drugs (Commission des Stupéfiants), mise en place en 1946 par l’ECOSOC dont elle dépend, elle est est constituée de 53 membres élus pour 4 ans parmi les pays de l’ONU. Le nombre de sièges est définis pour chacune des 6 régions de l’ONU ;
  • ICSH : Informal Civil Society Hearing (Audition Informelle de la Société Civile) ;
  • INCB : International Narcotics Control Board (Office International de Contrôle des StupéfiantsOICS), elle est chargée du contrôle de la bonne application des conventions sur les stupéfiants dans les pays signataires ;
  • OAS : Organisation of American States (Organisation des États AméricainsOEA) ;
  • ONUDC : United Nations Office on Drugs and Crime (Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime organisé);
  • VNGOC : Vienna Non Governmental Organisations Committee on drugs (Comité de Vienne des ONG sur les drogues). Il vise à faciliter le rapprochement entre les ONG et les organisations de la société civiles (OSC) avec les organes de l’ONU du contrôle des drogues basés à Vienne (CND, ONUDC, INCB). Asud en fait désormais partie tout comme 129 ONG de 53 pays.

Objectif UNGASS 2016

On comprend donc que tout cela se fait en plusieurs temps et l’IDPC2 appelle à être vigilant dans tous ces débats. D’abord, en changeant l’expression « le problème mondial de la drogue » par « les problèmes associés aux marchés des drogues illicites et leur contrôle », qui oriente davantage le problème sur la prohibition plutôt que sur les produits. Il faut aussi intervenir là où on le peut comme au VNGOC, ou dans les instances où les ONG n’ont pas de voix par le biais de l’Onusida ou de l’OMS.

Avant d’aller plus loin, petit retour en arrière : à l’Onu, on a assisté depuis 1970 à la mise en place des trois conventions sur les stupéfiants toujours en vigueur qui n’ont fait que renforcer la situation d’interdiction. Avec elles, les gouvernements croyaient encore qu’ils allaient gagner cette guerre. On s’est voilé la face et l’escalade de la répression a continué. Arrive ainsi 1998 et la dernière Ungass en date sur les drogues qui, comme les précédentes, prolonge sans sourciller la prohibition malgré des résultats déjà catastrophiques. L’épidémie de VIH, « la lèpre du XXe siècle », va pourtant changer quelque peu la donne en forçant les pays, y compris le plus prohibitionnistes comme la France, à appliquer enfin des politiques de RdR… En 2009, malgré une situation internationale désormais hors de contrôle avec notamment le Mexique et l’Afghanistan qui s’enfoncent dans la guerre à la drogue, l’Onu se fixe comme objectif l’élimination ou la réduction significative de l’usage de drogues, de l’offre et de la demande d’ici 2019 !! On semble encore croire au Père Noël en fixant un sempiternel plan d’actions sur la coopération internationale pour lutter contre « ce fléau »

Certainement échaudés par les échecs patents de ceux qui l’ont précédé, les États membres vont cependant décider d’évaluer aussi l’application de ce plan lors d’un Débat de haut niveau, qui devait se tenir avant la CND de 2014. Autres recommandations : que l’ECOSOC consacre l’un de ses Débats de haut niveau à un thème lié au problème des drogues et que l’Assemblée générale elle-même tienne une nouvelle session spéciale sur ce sujet. Initialement prévue en 2019, cette Ungass a finalement été avancée à 2016, suite à la demande de 3 pays (Mexique, Colombie et Guatemala), soutenue par 95 autres États membres lors de l’Assemblée générale de l’Onu. Porté par des États d’Amérique du Sud, ce mouvement a commencé en 2012 dans le cadre de l’Organisation des États américains (OEA), en particulier avec la rédaction du rapport Le problème des drogues sur le continent américain publié en mai 2013, que nous avons déjà présenté brièvement dans le nº54 d’Asud-Journal.

Une longue marche

Concernant le VNGOC, les premiers débats ont permis de faire apparaître des précisions intéressantes, notamment sur le fait que les conventions pourraient être assez souples pour permettre le développement de politiques innovantes centrées sur la santé des personnes. Et que tout est une question d’interprétation des textes et d’application des conventions de la part des États membres. On y a également affirmé que ceux-ci sont maîtres de leurs choix dans la manière d’appliquer ces fameuses conventions. Bien que nous restons encore dans un contexte de contrôle des drogues, on y parle moins de répression et davantage de droits de l’Homme. Les conventions ne doivent plus être un carcan et laisser aux États une certaine marge de manœuvre. Hier les Pays-Bas, aujourd’hui l’Uruguay et l’Équateur, l’ont bien compris !

Mais prière de laisser l’euphorie au vestiaire ! Nous ne sommes qu’au tout début de ce processus qui, bien sûr, sera une véritable Longue Marche longue marche4. Il suffit pour cela de voir les questions abordées lors du HLS des 13 et 14 mars 2014, où les bulldozers de la prohibition genre OICS, CND et autre ONUDC ont à nouveau demandé la « réduction de la demande, de l’usage illicite de drogues et de la toxicomanie… », la « coopération internationale pour l’éradication de cultures illicites destinées à la production de stupéfiants et de substances psychotropes… », et une « lutte contre le blanchiment d’argent et promotion de la coopération judiciaire ». Que ceci soit plus facile si on en finissait avec la prohibition ne les effleure pas encore, du moins officiellement !

Suite au prochain numéro, en restant raisonnablement optimiste car le vaisseau de la prohibition fait eau de toute part… !

asud55 p28 26 juin journée antidrogue


Notes :

1/  Voir l’article « Abattre le mur de la prohibition par le speedé de service, Asud-Journal n°54.
2/ International Drug Policy Consortium : cf. note 1.
3/  Merci à Marie Debrus, présidente de l’AFR, qui nous a éclairés sur toute cette question à son retour de la 57e session de la commission internationale des stupéfiants en mars 2014 !
4/  Mao fut forcé à une retraite longue et coûteuse en hommes devant la poussée des forces nationalistes avant de pouvoir contre-attaquer, victorieusement cette fois.

Hépatite C : éradication en vue

Longtemps « planquée » derrière le VIH, l’hépatite C est restée méconnue des Français, y compris des injecteurs pourtant en première ligne. Face à un virus perçu comme lent et aléatoire, de nombreux UD ou ex-UD ont préféré différer ou éluder la confrontation avec un traitement ribavirine/interféron, jugé lourd et inefficace. C’est à ce noyau dur rétif aux traitements que nous nous adressons car l’éradication du VHC est enfin une perspective réaliste.

L’histoire

Depuis une trentaine d’années, le virus de l’hépatite C (VHC) rôde dans l’univers des usagers de substances illicites injectées. Son omniprésence est une conséquence du décret de 1972 qui a pratiquement empêché la fourniture de matériel stérile aux toxicomanes jusqu’en 1987, date de son abolition. Entretemps, des centaines de milliers de personnes ont été contaminées, soit par le virus du sida, soit par l’une ou l’autre des hépatites virales.

Le VHC a été découvert en 1989. On a commencé à traiter cette infection chronique par de l’interféron alpha, médicament injectable trois fois par semaine pendant un an. Les taux de guérison (suppression du virus) étaient de l’ordre de 6% seulement, et le traitement était difficile car les malades rencontraient beaucoup d’effets indésirables parfois sévères. En 1999, on a rajouté à l’interféron une molécule, la ribavirine, administrée chaque jour en gélules ou comprimés. Ce traitement obtenait des taux de guérison de plus de 30% mais les effets indésirables étaient plus importants. Puis les scientifiques ont mis au point une forme d’interféron retard, plus confortable puisqu’on ne faisait qu’une injection sous-cutanée par semaine. Avec la ribavirine, qui renforçait son action antivirale, on a atteint des taux de guérison de 50% mais toujours avec les mêmes effets indésirables parfois très handicapants et des contre-indications à ce traitement.

asud55 p30 Sovaldi SofosbuvirPremière vague

Jusqu’en 2011, seul ce traitement était disponible. De nouveaux médicaments, le telaprévir et le boceprévir, premiers inhibiteurs directs du virus de l’hépatite C, ont été mis au point par deux labos. Il s’agit de deux inhibiteurs de protéase du virus que l’on rajoutait à l’interféron alpha et à la ribavirine. Les taux de guérison ont augmenté de 15 à 20%, mais uniquement pour un certain type de virus, le « génotype »1 (il n’y a pas qu’un seul virus mais une famille : les génotypes qui vont de 1 à 5), qui représente environ 50% des cas en France.

Le problème était que non seulement on avait les effets indésirables de la bithérapie mais la 3e molécule en rajoutait et parfois des vraiment encore plus sévères. Le mode de prise des médicaments était compliqué, écart précis entre trois prises, prise d’aliments avec les comprimés, etc.

Deuxième vague

Une seconde vague d’inhibiteurs de protéase va remplacer le telaprévir et le boceprévir. D’une efficacité nettement supérieure, beaucoup de malades pourront bénéficier d’un traitement court, avec beaucoup moins d’effets secondaires, et d’une simplification d’administration (une prise quotidienne). Ainsi, après l’Autorisation de mise sur le marché (AMM) du sofosbuvir (Sovaldi®, Gilead Sciences) et du siméprévir (Olysio®, Janssen Pharmaceuticals), le daclatasvir est disponible en Autorisation temporaire d’utilisation (ATU). Ce sont des antiviraux de seconde génération qui, en association, peuvent guérir à 100% les patients et ceci, quel que soit le génotype.

asud55 p29 Olysio SimeprevirTrois stratégies sont possibles : la première est la combinaison de sofosbuvir avec un autre médicament antiviral ; la seconde est la combinaison de trois médicaments sans sofosbuvir ; la troisième est la combinaison de deux médicaments dits de « deuxième génération » sans sofosbuvir. Les premiers résultats des études réalisées avec ces trois stratégies indiquent des taux de guérison de l’ordre de 95%, parfois plus, chez les malades infectés par un virus de génotype 1 et proche de 100% chez les autres.

Aujourd’hui, on peut donc voir que les chances de guérir de son hépatite C en prenant un à deux comprimé(s) par jour pendant 3 mois, sans subir d’importants effets indésirables graves, sont proches de 100 %. Ces nouveaux traitements sont compatibles avec les traitements de substitution et ne bouleverseront pas vos habitudes de vie comme les anciens. Nous sommes donc à un tournant dans le traitement de l’hépatite virale C, une véritable révolution dont il va falloir profiter pour en finir avec une maladie potentiellement mortelle (3 500 décès par an en France, plus que les accidents de la route).

Une offre qui ne se refuse pas

Traiter votre hépatite C, c’est assurer votre avenir. Si vous vous débarrassez de votre hépatite C, vous aurez un problème de moins à gérer. De plus, la prise en charge médicale et sociale de l’hépatite C peut vous permettre de régler d’autres questions (par exemple, ouverture de droits à la Sécurité sociale, allocations…).

asud55 p30 VHC vs Accident de la routeOn nous disait avant l’arrivée de ces nouveaux traitements :

« Du côté des usagers, l’un des principaux freins à l’accès au traitement est de ne pas considérer le VHC comme une maladie grave : souvent, ceux qui sont morts dans l’entourage des toxicomanes sont apparus comme étant séropositifs ou alcooliques, mais on n’a pas retenu qu’ils avaient une hépatite C. Cette difficulté à se représenter la maladie tient aussi au fait qu’elle peut aussi bien être minime, qu’aller jusqu’à la cirrhose et au cancer du foie. À quoi viennent s’ajouter la peur de la biopsie, du traitement – perçu comme rendant malade – et, plus généralement, le rejet du monde médical. Les usagers de drogue redoutent enfin qu’on les contraigne à arrêter leur consommation de drogue ou d’alcool brutalement. »1

Eh bien voici, on a changé de paradigme, on peut en 3 à 6 mois se débarrasser facilement du virus sans rien changer à ses habitudes, sinon bien sûr bien appliquer les principes de réduction des risques pour ne pas se recontaminer. Freiner sur la bouteille à mort, faire gaffe aux produits hépatotoxiques (coke, pilules, etc.) afin de filer un peu de vacances à votre foie. On n’a plus besoin de biopsie, on a très peu d’effets secondaires et on ne prend que deux pilules par jour. Ce n’est pas un gros effort pour changer sa vie et éviter de la raccourcir. Voilà une offre que vous ne pourrez pas refuser ! Il ne faut jamais rater une révolution à ses débuts, souvent ça se gâte quelques années après ou on est trop vieux ou trop malades pour la faire.


Notes :

1/ Laetitia Darmon « Hépatites actualité n° 208 »

« Merdo dis leurs »

La drogue aux enfants ?? Pas pour la leur donner, non pour leur expliquer… Pour leur expliquer quoi ? C’est le sujet du dossier de ce numéro d’ASUD journal, et le moins qu’on puisse dire, c’est que le sujet est… complexe !

Comment s’y prendre ? Ça fait des décennies que le sujet est brûlant. La drogue expliquée aux enfants, donc… Il faut commencer tôt avec des livres éducatifs. Alors, pourquoi pas Martine en Colombie, Le Club des cinq démantèle le cartel des drogues, Oui Oui et la poudre magique, Titeuf qui dit merde aux dealers, ou Sponge Bob et les marchands d’eau pium ?

On a déjà Coke en stock. Mais le titre est un faux ami puisque Tintin se retrouve aux prises avec des trafiquants d’esclaves. En revanche, la cocaïne est au centre de l’album Les Cigares du pharaon, Tintin se faisant même serré pour en avoir transporté à l’insu de son plein gré. Ça n’a pas échappé aux tintinophiles, la drogue est un sujet récurrent pour Hergé. Rastapopoulos, le super méchant, est un ponte du trafic de drogue. Dans Le Crabe aux pinces d’or, il est question d’opium, opium traité sous un jour culturel dans Le Lotus bleu avec ses fumeries !

Tintin se drogueEt on peut également évoquer les crises de delirium tremens du capitaine Haddock. On se souvient qu’au cours de l’une d’entre elles, Haddock sérieusement en manque fut à deux doigts de commettre l’irréparable, ses hallucinations lui ayant fait confondre Tintin avec un tire-bouchon ! On a frôlé la catastrophe ! Tu t’es vu quand t’as pas bu ??

Mon père avait une explication « underground » à la propagation de la came dans les années 80. Le grand responsable était selon lui… Nounours ! Oui, le gentil Nounours, l’ami de tous les gosses des années 60, 70 et 80 ! C’est lui qui nous avait foutu dans la merde ! Sa génération, la mienne, entre autres, y avait droit chaque soir, à Nounours, avant d’aller se coucher. Et que faisait-il du haut de son bateau volant au-dessus de Paris, ce bon gros Nounours ? Il nous balançait sa poudre magique. Elle avait le pouvoir d’endormir Pimprenelle, Nicolas et tous les gentils enfants que nous étions en nous promettant ainsi de faire de beaux rêves.

On a pris ça pour argent comptant – si c’était pas un message subliminal ça !

martine-lsdDrogue et enfance, sujet brûlant donc, la preuve : connaissez-vous Blue Ivy Carter ? Les plus people savent qu’il s’agit du prénom du bébé de Beyonce et de Jay-Z. Les plus… informés (?) expliqueront que c’est désormais aussi le nom d’une nouvelle drogue californienne. Hommage de dealers californiens au couple le plus célèbre des USA ! Un hommage dont ces derniers se seraient sans doute bien passés.

Forcément, le sujet touche de façon bien plus personnelle lorsque l’on a soi-même des enfants.

martine-spacecakeIl y a trois ou quatre ans, je me souviens être tombé par hasard sur un petit film qu’avaient réalisé mon fils et ses potes alors âgés de 10 ou 11 ans. Pour une fois, plutôt que de jouer à la Wii, PSP, PlayStation, ils avaient tourné une petite fiction avec leur tel portable – la scène principale était… stupéfiante ! On y voyait l’un de ces gamins que je connaissais depuis la maternelle incarner le rôle du « junky » et reproduire face caméra une scène de shoot. Non seulement l’idée de « jouer au tox » était en soi surprenante mais le réalisme de leur séquence avait quelque chose de troublant – ils n’avaient omis quasi aucun détail, jusqu’au garrotage du bras. Si un stylo symbolisait la shooteuse (quand même !), pour le reste, cérémoniel et tout le bastringue, la reconstitution était criante de vérité.

martine-crackÇa m’a pas spécialement inquiété ni choqué, mais un peu déconcerté. Ce quim’intéressait, c’était de savoir où ces gosses avaient été choper toutes ces infos. Je savais bien que ça ne venait pas de moi, je suis pas du genre prosélyte, encore moins un adepte du « la drogue, parlons-en mon fils ».

Oh, fallait pas aller chercher très loin : difficile pour un môme d’échapper à ça ! Notre époque, notre culture exhale la came ! Certes, l’argument est largement utilisé par des gens comme les scientologues et autres ligues plus ou moins réactionnaires. Mais que ça plaise ou non, c’est quand même une évidence. Constat commun ne signifie pas adhésion.

fantomette ecstasyParce que quand chaque jour aux heures de grande écoute, les animateurs télé, à commencer par ceux des jeux télé, ne ratent jamais une allusion à la consommation de cannabis, alliant le geste à la parole (« vous avez fumé la moquette » et autres « faut arrêter la fumette »), quand on n’évoque pas « un bon rail de coke » (cf le 3 juillet sur Equipe21, émission L’Équipe du soir). Finalement, ces émissions sont un baromètre assez intéressant pour mesurer la façon dont ces drogues sont entrées dans le paysage. Banales et banalisées !

Ça me dérangerait pas plus que ça si les mêmes « promoteurs » faisaient au moins montre, à défaut d’un peu moins d’hypocrisie, d’un peu de cohérence. Il faut les voir se métamorphoser en pères la morale à chaque fois qu’il est question d’alcool et nous servir le sempiternel « on rappelle, Gérard, l’alcool, avec modération ».

L’art du grand écart ! Au prétexte que tout ça n’est pas sérieux ?

Les problèmes de drogues chez Winnie l'Ourson

24h Chrono de la vie d’un tox au boulot

Pas facile d’être accro et de n’éveiller aucun soupçon à ce sujet sur son lieu de travail. Surtout quand on s’appelle Jack Bauer et que le boulot consiste tous les ans pendant une journée à sauver le monde de la menace terroriste. La drogue au travail est l’une des intrigues secondaire de la saison 3 de la série 24 Heures Chrono.

Après un an passé à avoir infiltré un cartel de narcos mexicain, Jack Bauer a mis leur chef sous des verrous made in USA. L’infiltration de Jack est finie, il va retourner au bureau avec ses collègues. Seul hic, il est entretemps devenu accro à l’héro. L’occasion pour la morale américaine de nous montrer à grands coups de clichés le combat d’un (sur)homme contre son addiction. Il est 13h.

13h20
Jack montre des signes de manque, son coéquipier s’en rend compte. Lourds regards accusateurs et compassionnels à la fois.

13h26
Jack fait une crise de manque seul dans son bureau.

13h50
Son coéquipier lui annonce qu’il sait. Il ne dira rien à la hiérarchie mais désapprouve sa faiblesse.

13h51
Jack se prépare un shoot au bureau.

13h54
Sa fille l’appelle. Elle ne sait rien. Jack pense à elle, se sent coupable et renonce à son shoot.

14h01
Jack jette sa seringue pleine dans la corbeille à papier.

14h05
Son coéquipier lui propose d’essayer la méthadone plutôt que de shooter au bureau.

14h38
Pour son enquête, Jack fait une descente dans un squat de tox et tombe sur un injecteur. Jack marque une pause. Est-il dégouté ou aimerait-il être à sa place ?

15h00
Nouvelle crise de manque pour Jack qui attend quelqu’un dans sa voiture. Il décide de se shooter mais son rencard arrive juste avant qu’il n’ait pu s’injecter. Il planque son matos mais sa préparation glisse côté passager.

15h23
Jack vomit et ce n’est pas le mal de mer !

asud55 p32 24H Chrono15h40
Une docteure liée à l’enquête monte dans sa voiture et voit sa préparation. Elle comprend qu’il est en manque et le questionne. Jack avoue sa dépendance. Soulagement de pouvoir le dire à quelqu’un qui ne le juge pas.

16h40
Son coéquipier refuse d’exécuter un ordre au prétexte que c’est un camé. Il le prévient qu’il ne le couvrira plus à ce sujet.

17h43
Une collègue de Jack trouve la seringue qu’il a jetée à la poubelle. Elle fait analyser le contenu. C’est bien de LA Drogue. Toute l’équipe perd confiance en Jack et décide de dire à sa fille que son père est un drogué.

18h42
Jack est à nouveau en manque alors qu’il est prisonnier du cartel qu’il avait infiltré. On lui fait remarquer qu’il n’était pas obligé de se shooter pour s’intégrer parmi eux. S’il l’a fait, c’est pour soulager son mal-être.

19h25
Jack se réveille en manque dans un avion après avoir été assommé, ce qui ne l’empêche pas de tuer son gardien rien qu’avec les jambes.

20h15
Jack est en manque dans la villa du cartel.

21h10
Le chef du cartel propose à Jack de la méthadone. Il la prend pour enfin calmer son manque (les scénaristes ont dû se lasser des crises de manque qui ralentissaient l’histoire).

02h07
Jack revient au bureau. Tout le monde est au courant de sa dépendance. Son boss lui demande de se faire soigner sinon ils ne travailleront plus avec lui. Il accepte sur le champ et l’annonce à sa fille avant de se rendre à l’infirmerie pour une prise de sang.

02h30
Jack est envoyé chez un psy à qui il raconte son parcours dans la drogue. Il affirme s’être drogué pour des raisons uniquement professionnelles pour les besoins de l’infiltration. Ses supérieurs en doutent et pensent qu’il y a aussi pris du plaisir. Si c’est le cas, c’est une faute qui peut lui faire perdre sa place.

11h15
Jack explique à son boss qu’il s’est drogué par devoir patriotique et comme il vient de sauver le monde une nouvelle fois, on ne lui annonce pas tout de suite qu’il est viré pour s’être drogué. Il l’apprendra au début de la saison 4.

Bravo Jack, comme beaucoup d’entre nous, tu as dû te cacher, risquer ton job, galérer pour trouver une dose ou un coin tranquille pour shooter. Mais surtout, tu as senti le regard de tes proches, famille et collègues, changer sur toi pour la seule et unique raison que tu avais besoin de remplir ton corps de quelques molécules légalement prohibées et moralement répudiées. Mais en huit heures à peine dans la peau d’un tox, tu as trouvé le meilleur moyen, bien connu par chez nous quand l’ardeur militante n’est pas là, de contourner ces désagréments : le profil bas, le mensonge, le pipotage… Bref, tu leur as servi le discours que la société veut entendre pour qu’on nous fiche la paix. Mais y croyais-tu Jack ?

Les Bolchéviks Anonymes – Les Débuts 2006-2013

Non, ce n’est pas un groupe de parole pour léninistes addicts basé sur un programme en 12 étapes. Cette galette numérique est le fruit de l’atelier musique d’EGO (Espoir Goutte-d’Or). Certes, ce n’est pas la limpidité sonore du dernier Daft Punk, ni la profusion de singles de Pharrell, mais ce n’est pas le but.

Ce onze titres est avant tout l’accomplissement des acteurs qui s’y sont impliqués et de l’initiative d’EGO. Et l’on y retrouve de tout. De l’hommage à la chanson française avec des clins d’oeil à Dutronc, Piaf et Gainsbourg. Des influences allant des Doors à Kravitz, en passant par FFF et Keny Arkana. Musicalement, on trouve un mix de guitares wah-wah et folks, de kazoo, de nappes électros et de beats de TR-808. Chacun peut y trouver son compte. Et c’est sûrement l’attrait majeur de ce disque.

Les textes sont poétiques, touchants, engagés, parfois drôles et pleins de second degré, mais sans aucun pathos ni misérabilisme. Ils sont l’expression de ceux qui vivent l’usage de drogues dans ce qu’il a parfois de plus précarisant et ils le traduisent sous forme brute, instantanée, parfois brouillonne et inachevée, mais sincère.

Cet album a une valeur de témoignage. C’est la voix des sans-voix. Ils ont la parole et, pour une fois, on leur laisse le micro. Ce qu’il en ressort n’est pas de l’apitoiement, de la colère ou de la revendication, mais de l’intime. Ce qu’un consommateur s’interdit d’exprimer telle- ment il est pris par ce sentiment de n’avoir aucun droit. C’est le regard qu’il porte sur lui-même à travers la perception que la société a de lui qui transpire ici. On y ressent le rejet et l’incompréhension de notre société. Si c’était un film, ce serait Un UD dans la ville. Et tout ça s’exprime dans la bonne humeur. Ce disque est le reflet de son quartier, la Goutte d’Or. On y ressent ce brassage culturel, ses coups durs mixés de solidarité, sa richesse dans sa pauvreté. Et cet amour de Paris, pour ce que cette ville a de meilleur comme de pire.

Ce disque n’aura pas les faveurs des Inrocks et ce n’est pas le but. Mais il a le mérite d’exister. Tout d’abord, pour ceux qui l’ont fait. Ils peuvent s’en féliciter car peu de projets de ce type se concrétisent par un CD. Et puis il peut servir à inciter d’autres structures à s’investir dans des projets similaires et à créer des envies chez d’autres usagers. Belle initiative qui n’a pas dû être un long fleuve tranquille à concrétiser.

Dallas Buyers Club

D’emblée, je pourrais dire que Dallas Buyers Club est un film asudien. Et cela devrait te suffire, cher lecteur, pour aller illico le mater par tout moyen légal ou illégal. Ah, je vois que tu continues à lire quand même cette critique, il va donc falloir que j’en dise plus.

Disons que ce film traite à la fois de l’épidémie du sida, de l’autosupport, de l’usage de drogues, du pouvoir médical et de la prohibition, et de comment ce cocktail amène à une révolution de l’âme humaine sans précédent. C’est plus clair à présent ? Non ? Bon, je dois donc développer. OK.

C’est l’histoire d’un chaud lapin texan fan de rodéo, c’est-à-dire un cul-terreux alcoolique et homophobe aussi porté sur la défonce, tour à tour escroc ou électricien, selon les opportunités de jobs du jour. Un expert en survie, quoi.

Le film commence le jour où ce héros (car oui, c’en est un, vous verrez) se réveille à l’hôpital suite à un malaise en apprenant qu’il a le sida et que, vu son taux de T4, c’est un miracle qu’il soit encore en vie. J’ai oublié de vous préciser que nous sommes en 1985 et par conséquent, le médecin affirme qu’il lui reste environ 30 jours à vivre. On lui propose cependant d’entrer dans un protocole de test d’un nouveau médicament : le très controversé AZT.

Le délinquant comme réformateur social

Cela aurait pu être un film sur la mort mais contre toute attente, notre cow-boy, violemment rejeté par ses proches, n’est pas trop con. Seul, il va se renseigner à fond sur cette nouvelle maladie et les traitements en cours de tests partout dans le monde. Rapidement, il se rend compte que l’AZT, c’est bullshit et qu’il existe mieux ailleurs.

N’ayant pas pour habitude de respecter la loi ou de se résigner, notre tête brûlée texane, flanquée d’une folle pédale, entreprend alors d’importer illégalement les médicaments qu’il lui faut et se rend vite compte qu’il peut se faire du blé grâce à tous les autres malades qui en veulent aussi. Il commence alors une entreprise d’import et de distribution : le Dallas Buyers Club, qui réunit des malades condamnés comme lui par l’establishment politico-médical. Ce dernier n’aura de cesse de lui mettre des bâtons dans les roues alors que les faits sont de son côté : allongement de l’espérance de vie, espoir et dignité retrouvés. Il devient alors le symbole du malade militant qui transforme ses proches et la société par ses actes pour survivre.

Cinématographiquement, le film est brillant avec un style simili documentaire. Les deux acteurs principaux, Matthew McConaughey (goldenglobisé en séropo nerveux) et Jarred Leto (oscarisé en homo sexy), démontrent à ceux qui en doutaient encore l’étendue de leur immense talent.

Et pour les derniers sceptiques qui pensent qu’il s’agit d’un conte de fées hollywoodien : le film est bien sûr tiré d’une histoire vraie. Une réelle leçon de militantisme asudien, on vous dit.

 

Faut-il dépénaliser le Cannabis ?

Posez une question sujette à débat. Au hasard « Faut-il dépénaliser le cannabis ? ». Invitez une personnalité au-dessus de tout soupçon pour présenter l’état des lieux, mettez face à face des experts dont les idées sont diamétralement opposées et vous obtiendrez un livre polémique, un livre qui devrait, précise la quatrième de couverture, permettre de vous «  forger votre propre opinion » sur la question posée.

Saviez-vous que « les interpellations d’usagers de cannabis ont été multipliées par six entre 1990 et 2010 » ou qu’avec la loi de la prévention de la délinquance de mars 2005 et les fameux « stages de sensibilisation aux dangers des produits stupéfiants » qui s’ensuivirent, on a assisté à une « repénalisation de l’usage simple » ? C’est que nous rappelle opportunément Ivana Obradovic, chargée d’études à l’Ofdt et médiatrice de cet ouvrage.

Si vous suivez un tant soit peu l’actualité cannabique, vous connaissez forcément Jean Costentin, ses métaphores à deux balles et son mépris pour celles et ceux qui ne partagent pas ses idées spécieuses. Et si vous lisez régulièrement Asud-Journal, vous connaissez forcément Laurent Appel, militant de la réduction des risques et auteur de nombreuses et passionnantes contributions. Ce sont les deux principaux débatteurs de ce duel où s’immisce aussi Alain Rigaud, président de Fédération française d’addictologie.

Jean Costentin, membre de l’Académie de médecine, nous présente le cannabis comme « la drogue de la résignation, de l’indifférence, du rire bête, de la bêtise assumée, de la perte de l’estime de soi, de la sédation, du rêve éveillé (autant dire du délire) et de la faillite assurée ». Pêle-mêle, il nous assène « qu’un joint, c’est pour une semaine dans la tête » et déroule à l’envi les dangers du cannabis, de l’infarctus du myocarde au cancer des testicules. Il croit à la dépendance physique au cannabis et affirme qu’en abuser expose ses consommateurs à des crises de schizophrénie ou encore, que pour cause de récepteurs sensibles, le cannabis est l’antichambre de l’héroïne et qu’il tue. Évidemment, le chanvre n’a aucune valeur thérapeutique et « déguiser le cannabis en un médicament procède de la stratégie du cheval de Troie pour le faire entrer dans la cité sous les acclamations ». Le professeur Jean Costentin qui voudrait qu’on « invalide une performance artistique qui porterait la marque des drogues » méprise tous les scientifiques, et ils sont nombreux, qui ne partagent pas ses délires.

Dans le chapitre intitulé « Pour une régulation du cannabis », Alain Rigaud et Laurent Appel font preuve de plus de discernement et démontrent que le problème n’est pas le cannabis, mais sa prohibition et ses multiples effets pervers.

Alain Rigaud préconise une dépénalisation de l’usage simple, une mesurette déjà adoptée par une majorité de pays européens qui, non seulement « soulagerait le travail de la police et de la justice », mais aussi permettrait de mener une politique de prévention plus réaliste.

Quant à Laurent Appel, il estime que la « dépénalisation ne suffirait pas à réguler le marché ni à financer une politique efficace de prévention ». Aussi milite-t-il pour la légalisation du cannabis avec un pari : « intégrer les populations vivant du deal dans un nouveau modèle de régulation ».

Il appelle de ses vœux la création d’une Agence du cannabis chargée d’organiser tant sa production que sa distribution à travers les Cannabistrots créés sur le modèle de Sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC)… Une mesure qui, en prime, rapporterait (soyons réalistes) beaucoup d’argent au gouvernement sous forme de taxes.

En fin du livre et en quelques lignes, un droit de réponse est accordé aux contradicteurs. Jean Costentin, en mal d’arguments plausibles, s’en prend à Laurent Appel « chantre des drogues et des addictions », mais la bave du crapaud n’atteignant pas la blanche colombe, Laurent répond point par point aux élucubrations du docteur Folamour du cannabis.

Entre le premier qui défend une application stricte de la loi de 1970, le second qui propose de dépénaliser l’usage, donc de maintenir un interdit social, et le troisième qui présente un « bon hybride de libéralisme et de cogestion, ni trop capitaliste, ni trop étatique, avec un contrôle direct des pouvoirs publics et des consommateurs », à vous de choisir !

Vous pouvez même participer au débat en ligne organisé par l’éditeur.

Faut-il dépénaliser le cannabis ? Jean Costentin, Alain Rigaud,Laurent Appel. Le Muscadier, 2014.

Les Chérubins électriques (Guillaume Serp)

Cette autofiction est aussi contrastée que sa couverture. L’écriture est belle et quelques passages restent en tête mais le récit des tribulations de ce post-adolescent dans la jet set underground des années 80 (tendance electro punk/new wave) n’est pas à la hauteur du mythe qui auréole le bouquin. En effet, sa promotion n’a cessé de rappeler qu’il s’agit de la réédition d’un texte introuvable, initialement paru en 1987, dont l’auteur – suicidé à 27 ans – fût, entre autres, le chanteur d’un groupe de new wave. Difficile dès lors de ne pas être déçu par un livre dont l’intrigue mal ficelée s’axe autour des déboires amoureux et des états d’âme d’un alter ego de l’auteur qui – rappelons-le – avait 23 ans à la parution du bouquin…

Les chérubins électriques. Guillaume Serp, L’Éditeur singulier, 2014.

SQUAT (de Yannick Bouquard)

D’un coup de pied de biche, Yannick Bouquard – qui vit depuis huit ans dans les squats d’Île-de France – vous ouvre les portes de son microcosme de glandeurs, de paumés, de toxicos, de punks, de rebelles… Pardon, d’artistes – qui ont comme principal point commun d’être à peu près tout le temps bourrés à la cheap beer et de consommer tous les produits psychoactifs existant en ce bas monde.

Malgré une légère tendance à la misanthropie et une partie franchement cafardeuse, les personnages sont attachants et le bouquin est plein d’un humour contagieux. Impossible par exemple de ne pas se bidonner devant la lettre au Maire ou les pitreries du capitaine Cheval et de son alter ego, le candide M. Pain d’Épice.

À la fois témoignage précis de la vie dans les squats dits « d’artistes », roman hautement divertissant et excellente autofiction, Squat tape très fort pour un premier roman. Chapeau l’artiste !

Yannick Bouquard, éditions du Rouergue, 2014.

Robert Francis

Un quatrième album « Heaven » paru en avril 2014, une tournée passée par Paris. Un charisme fou, Robert Francis est bien – et je pèse mes mots – le dernier espoir du rock’n’roll !

Cela fait bien longtemps que j’ai renoncé à m’intéresser à ce qui se passe de nouveau dans le monde pop rock. D’abord, parce que quelque chose de la mythique rock’n’roll semble s’être perdue en cours de route, à moins que ça ne soit moi ! Et puis, difficile de suivre le rythme. Des artistes et groupes, il en surgit de nouveaux toutes les semaines et leur durée de vie est volatile. Un petit tour sous les projos et puis patatras… dans les limbes !

Alibi

Bref, j’en étais là. C’est-à-dire à me contenter tous les deux-trois ans du nouveau Dylan en écoutant de la country années 20 et 30. Et puis Robert Francis a déboulé. Plus exactement, il m’est tombé dessus via la radio il y a deux ans. En entendant Junebug, son seul hit à ce jour, j’ai décelé là un truc indéfinissable qui vous prend à l’âme. Ni une ni deux, j’ai foncé derechef acheter ses deux albums, j’ai plongé sur YouTube voir à quoi ça (il) ressemblait live… C’était convaincant ! À mort ! Quelques semaines plus tard, le troisième album me renversait pour de bon !

Comment dire l’effet que ça m’a fait… ? Ce qui s’en approche le plus, c’est encore la phrase de Laurent Tailhade à propos de Rimbaud lorsque Verlaine publia ses poèmes en 1883 : « l’effet d’une aurore boréale ». C’est ça : Robert Francis a été une aurore boréale en pleine nuit musicale.

Je n’irai pas jusqu’à prétendre, comme Landau en 1975 à propos de Bruce Springsteen, avoir « vu le futur du rock’n’roll » parce que je ne sais vraiment pas si le rock a un avenir. En revanche, je peux dire sans craindre de me tromper que Robert Francis en est le présent. Il fait d’ores et déjà partie de cette Histoire du rock !

heaven Robert Francis

Somethings never change

Robert Francis, c’est d’abord un musicien surdoué et inspiré, un fantastique songwriter ! Laissez tomber la filiation avec les Ryan Adams ou Elliott Smith, quels que soient leurs talents respectifs, ce mec a un truc en plus… Rock star ! Je sais bien qu’en ce moment, il y en a pléthore des Wannabe, les Kurt Vile and co courent les rues, mais Robert Francis est au-dessus du lot. Je veux dire, il a ça dans le sang, il est de cette trempe-là, point. Matez sa dégaine, jetez un œil sur une vidéo live, ça saute aux yeux ! Il a tout ce qu’il faut, le talent, la pose, l’arrogance et aussi cette « fêlure » chère à Fitzgerald, ce « crack up » et un tas de démons rôdant autour de lui qu’il chasse à coups de riffs.

Accouché dans la douleur, son quatrième album s’appelle Heaven parce que Robert Francis a plongé aux enfers. Il en revient avec ce disque abouti, complexe, plein de méandres, un album douloureux traversé de fulgurance et d’espérance qu’il a produit entièrement.

D’où viens-tu Robert ?

Comme Gram Parsons ou Townes Van Zandt, Robert Francis n’est pas né dans la rue. Il a grandi dans un environnement privilégié : son père est un compositeur de comédies musicales reconnu et son parrain s’appelle Ry Cooder, lequel lui aura transmis quelques-uns de ses riffs secrets.

Multi-instrumentiste, Robert enregistre son premier album, One By One, à l’âge de 18 ans, un album très personnel qui lui vaut l’oreille de la rock critic, pas du grand public… Rock and roll my little girl !

Les paroles – comme la voix – ont ce mélange d’orgueil et de fragilité, quelque chose déjà qui vous prend aux tripes et sonne différent (Good Hearted Man)

La culture musicale de cet insensé collectionneur de partitions est exceptionnelle mais digérée. Parmi ses influences, il cite volontiers Doug Sahm, Van Morrison, Dylan, Springsteen et surtout, Townes Van Zandt.

Le second album, Before Nightfall, porte l’hymne Junebug, gros succès en France. Passé chez Vanguard, un label indie, Francis publie Strangers In The First Place, son troisième album : chef d’œuvre à la manière du Born to Run du jeune Springsteen. Le disque s’écoute d’un bout à l’autre et chaque nouveau titre dépasse le précédent en intensité.

Baby was the devil – Mescaline

Mais voilà, en pleine promo, le Californien disjoncte. Il annule pléthore de dates, plaque tout et part – en vrille – avec une fille rencontrée sur la tournée. La relation est destructrice : alcool, dope, dépression. Accro, il tourne le dos à la musique et empile les médocs… Il a l’âge pour ça ! Je veux dire l’âge d’en revenir. Ce qu’il fera avec son nouvel album sorti en avril, Heaven, signé Robert Francis & Night Tide, son nouveau groupe dont le nom figure désormais aux côtés du sien comme le E Street Band de Springsteen. Histoire de bien marquer l’alchimie qui unit ces musiciens et leur leader (David Kitz, drums/Ben Messelbeck, bass/Jim Keltner et Joachim, beau-frère de Robert, à la guitare).

Avec Heaven, Robert Francis poursuit sa Quête. Et c’est ça qui définit un artiste. La nécessité et la Quête ! En un mot comme en mille, Robert Francis est la meilleure chose qui soit arrivée au rock depuis longtemps ou le truc le plus excitant que le rock nous ait donné depuis un long moment… au choix !

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