Le « A » de MILDECA

La Mildt, Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, est devenue en mars 2014 la Mildeca : Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives. Petite analyse sémantique qui illustre l’adage du prince Salina : tout changer pour que rien ne change.

Subrepticement, le « A » de addiction boute le « T » de toxicomanie hors de tous nos acronymes stupéfiants. L’Association nationale des intervenants en toxicomanie est devenue la Fédération Addiction, les Centres d’accueil et de soins pour toxicomanes ont rendu l’âme pour laisser place aux Centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa), bref, plus personne ne veut ni soigner, ni représenter, ni même avoir quoi que ce soit en commun avec… les toxicomanes.

La prison ou la cure !

Quelques mauvais esprits auraient la cruauté de rappeler que « toxico » reste le terme usuel pour stigmatiser un consommateur abusif plutôt désargenté, mais il paraît que cette révolution du A représente globalement un progrès sémantique dont il faut se réjouir. Certes, la toxicomanie ramenait le consommateur de substances illicites à l’univers « psychiatrisé » des années Antonin Artaud (1916). Ce module prison-camisole s’est maintenu jusqu’à la fin du XXe siècle où il a régné en maître, puis sous une forme atténuée ensuite. La prison ou la cure ! Disons le clairement, c’est la prison qui a gagné, et largement, suivie comme une ombre par sa commère la faucheuse. Le maniaque des toxiques fut soigné à la douche froide, au pain sec et à l’eau, puis aux neuroleptiques, benzodiazépines et autres myorelaxants, avant de connaître les délices de la prescription légale d’opiacés pour cause de maladie chronique invalidante : c’est la fameuse addiction.

Addiction piège à…

Osons poser la question : ce changement de nomenclature est-il révolutionnaire pour les usagers ? L’addictologie possède le mérite de médicaliser la consommation de substances, toutes les substances. Nous l’avons écrit mille fois, cette fausse neutralisation de la coupure légale entre cannabis et alcool par exemple, n’a aucune incidence en termes de droits de l’Homme, puisque la ganja, qui n’a jamais tué personne directement, continue de fournir son quota de fumeurs au commissariat alors que la drogue dure tirée du raisin, responsable de plus d’overdoses (dits « comas éthyliques ») que l’héroïne et le crack réunis, continue d’être servie à l’Élysée dans des verres en cristal. Oui, c’est facile, mais c’est également vrai. Le « A » de addiction n’a jamais sauvé un seul usager des griffes du gendarme, ni des foudres d’un procureur zélé parti en croisade. D’ailleurs en y réfléchissant, la croisade contre les addictions, avec son petit air de bonne conscience thérapeutique, peut occasionner encore plus de dégâts en embarquant dans ses fourgons tous les furieux de la prohibition du tabac et les nostalgiques de la prohibition de l’alcool. Passons.

Le « S » de drogues

asud55 p06 Danièle Jourdain-MenningerDonc, côté bouteille à moitié pleine (mais à consommer avec modération), cochons la disparition définitive du vieux concept de toxicomanie et ses relents de camisole. Intéressons-nous également au « S » de « lutte contre les drogues ». Ce pluriel qui s’installe l’air de rien à la fin d’un mot qui ne souffre habituellement pas d’autre nombre laisserait entendre que l’on n’est plus dans la propagation de La Drogue, l’ogre qui dévore les petits enfants, mais dans une approche plus pragmatique qui valide des conceptions scientifiques attachées à différencier les substances du point de vue pharmacologique. Or, ces bonnes intentions sont immédiatement ramenées à l’aune de ce qui reste la politique officielle de notre pays, réaffirmée par Madame Jourdain-Menninger, l’actuelle présidente de la Mildeca. Envoyée en mars dernier comme missus dominici à Vienne lors de la convention annuelle de l’ONUDC, l’organe onusien de lutte contre la drogue, elle s’est exprimée ainsi :

« Nous devons protéger nos concitoyens et nos États des conséquences néfastes sur la santé, le développement et la sécurité, provoquées par la drogue. »1 Chassez le naturel…

La lutte finale

Et puis dans Mildeca, il y a le « L » de lutte. Ce qui résiste, c’est ce fantasme de la lutte, du combat, bref, de la guerre qui doit fatalement terrasser un ennemi. Et là, addiction ou toxicomanie, drogue avec ou sans « S », nous savons nous autres usagers – petits trafiquants, consommateurs, habitants des quartiers périurbains, et divers noctambules – que nous en serons les victimes directes ou indirectes.

Quelques voix commencent à se lever parmi les gens « respectables » pour déplorer cette logique du contre, mais hélas, pas au sein de notre gouvernement. « La guerre à la drogue est d’abord une guerre menée contre les usagers », disait feu John Mordaunt. Le « A » de la Mildeca risque de continuer à rimer pour les Addicts avec Avanies, Attrition et surtout, Arrestations.


Notes :

1/ Lire sur a-f-r.org la Déclaration de la France lors de la 57ème session de la commission des stupéfiants à Vienne le 13 mars 2014.

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