Les Droguézeureux ? Nouvelle émission sur YouTube

Pour ceux qui n’ont pas eu la chance de voir le direct vous pouvez retrouver toutes nos vidéos sur notre chaine Youtube ASUD MEDIA

Rendez-vous pour notre première émission, dimanche 6 février 2022, à 18h30 sur la chaîne YouTube de ASUD .

En prendre ou pas ? Comment la santé a effacé les droits humains dans les débats relatifs à nos politiques de drogue ?

À l’heure de la COVID, la population générale est en train d’expérimenter en grand ce que les usagers de drogues expérimentent en petit : l’annulation de libertés fondamentales au nom de la santé globale.

Dans le contexte de la campagne électorale des présidentielles de 2022, Asud vous convie à une série de débats/réflexions sur la nature des politiques de drogues dans la République et les raisons d’un immobilisme qui a fêté ses 50 ans en 2020, avec l’anniversaire de la loi de 1970.

Notre premier débat évoquera la fausse opposition instaurée entre abstinence et consommation pour statuer sur la pertinence d’une politique. On peut apprendre à ne pas consommer pour mieux re-consommer des drogues ou apprendre à mieux consommer pour réussir à ne pas consommer.

Un paradoxe qui sera évoqué à travers les parcours individuels de plusieurs invités.

Invités : Bénédicte Desforges, cofondatrice de Police contre la prohibition, Romain, Fabrice Olivet, ancien président d’Asud, Jean-Maxence Granier, président d’Asud, George Lachaze, Kiki Picasso…

Thèmes de discussions abordés :

–       Histoire de la lutte contre le sida et la fin du mythe de l’abstinence dans la prise en charge 1987-2004

–       Naissance de l’addictologie : fin des années 1990 à nos jours

–       Rôle du pouvoir médical et des laboratoires pharmaceutiques  

–       Dry January, maitrise des consommations ou retour du moralisme en addictologie ?

Rubrique : « cut the bullshit »

Pourquoi toutes les coups sont permis quand on parle du crack ? à partir de la vidéo sur le crack d’après les « Grandes gueules » de RMC…

Ce programme s’inscrit dans la ligne éditoriale d’un nouveau média, Zone Grise, qui cherche une voie entre le documentaire et le journalisme, avec l’ambition de traiter des sujets dans l’interstice de nos consensus, ni noir ni blanc. Cette exploration de nos zones grises est d’abord celle de notre pays, de ses contradictions, de ses tabous, de ses mythes fondateurs, de son déni du réel. Las des stratégies de disqualification ou de neutralisation médiatique et politique de ceux, de plus en plus nombreux, qui dénoncent les hiérarchies sociales et raciales, le sexisme, les inégalités, les violences et les atteintes aux libertés fondamentales, nous voulons revenir au réel, aux vécus et aux corps dont on parle en permanence et que l’on n’entend pas. Nous inaugurons Zone Grise par une collaboration avec Asud, auto-support d’usagers de drogues. La Guerre à la drogue échoue sur quelques centaines de consommateurs de crack dans l’Est parisien, bringuebalés de force depuis des décennies d’un quartier à un autre, sans solution. La guerre à la drogue est d’abord une guerre aux drogués…

Nous suivrons Asud lors de ses rencontres avec les protagonistes de la scène de Crack à Paris : les crackers eux-mêmes, les modous (les dealers, que nous espérons approcher), les riverains, les professionnels de la Réduction des risques, la police, les addictologues, et bien sur les politiques concernés, Anne Souyris, Maire-adjointe écologiste à la santé d’Anne Hidalgo, Eric Coquerel, Danièle Obono, etc. Zone Grise ne s’interdit aucun format, émissions en direct, rubriques, entretiens, reportages, documentaires, podcasts et aucun sujet..

Dr Hart : un neurobiologiste au pays des droits civiques

Sur le site de la conférence Albatros, la biographie du Dr Hart est un petit chef d’œuvre d’Understatement. On y parle de son action « pour contrer la consommation de cocaïne… » et de son « engagement en faveur des patients les plus défavorisés ». Dans les faits, l’auteur de High Price1 prescrit des psychostimulants dans un cadre médical et dénonce la guerre à la drogue comme une guerre menée contre la communauté africaine-américaine. La présence incongrue de Carl Hart le 5 juin dernier au rendez-vous annuel de l’addictologie universitaire à la française constitue en soi une petite révolution. Profitant de son passage à Paris, Asud a voulu en savoir plus sur ce neurobiologiste qui dénonce l’inanité de la neurobiologie.

ASUD : Ma première question est simple. Pourquoi voulais-tu devenir neurobiolologiste ?

Dr. Hart : Je voulais comprendre les mécanismes de la dépendance aux drogues car lorsque j’étais jeune dans les 70’s et les 80’s, le crack était très présent dans la communauté noire. Les gens disaient que le crack allait détruire ma communauté, je pensais que mon devoir était de découvrir les mécanismes neurobiologiques de la dépendance afin de pouvoir guérir les gens. La pauvreté, le chômage, tous ces maux étaient déterminés par le phénomène « crack cocain ». Donc j’ai commencé à étudier la drogue et le cerveau d’un point de vue scientifique.

Tu croyais à l’époque dans la capacité des neurosciences à guérir les gens qui prenaient des drogues ?

Oui, absolument, c’est vrai. En biologie, tu découvres à quel point la cocaïne occasionne des dommages cérébraux. Donc pourquoi ne pas utiliser une autre molécule pour guérir les gens ? C’est le modèle qui m’intéressait, la médicalisation du traitement de la dépendance.

Combien de temps as-tu persisté dans cette voie ?

Une décennie, de 1990 à 2000. En Amérique, on appelle cette période la « décennie du cerveau » (« the brain decade »). À cette époque, on a mis énormément d’argent dans l’étude scientifique du cerveau. Et moi, j’étais totalement immergé dans la médicalisation.

À quel moment as-tu eu tes premiers doutes sur les vertus de la médicalisation ?

Après avoir publié des dizaines de papiers sur l’emploi de dizaines de molécules différentes, j’ai commencé à me dire « ouais, on dirait que ça ne marche pas si bien que ça ! ». Sortir de la pauvreté et être inséré socialement fonctionne mieux pour réduire son usage de drogues. Après avoir vu cette situation se répéter mille fois, j’ai commencé à changer d’avis et à me dire que je devais explorer d’autres champs.

Tu as alors commencé à penser à d’autres méthodes de prise en charge ?

J’ai commencé à regarder les statistiques. En 1998, la phrase favorite de mon directeur de thèse était « montre-moi les statistiques ». Et lorsque j’ai sérieusement étudié ces données, j’ai compris que nous nous étions fourvoyés. Nos priorités auraient dû être orientées vers le psychosocial. La grande majorité des données allaient dans ce sens. Lorsque j’ai compris l’importance de l’étude rigoureuse des données statistiques, j’ai commencé suivre le chemin qui est le mien à présent.

De quelles données s’agit-il ?

Le problème est le suivant : les gens qui étudient les drogues s’intéressent d’abord à la dépendance, c’est une erreur car 90% des gens qui prennent des drogues ne sont pas dépendants… Même si tu ajoutes les consommateurs abusifs et les usagers dépendants, il ne s’agit que de 10 à 20% des personnes qui prennent des drogues.

Comment stabiliser les usagers récréatifs pour les empêcher de devenir dépendants ?

asud55 p04 Hight Price Carl HartCouvOk, laisse-moi te donner les chiffres des gens qui passent de l’usage simple à la dépendance :

  • 10% des buveurs d’alcool vont devenir dépendants ;
  • 9% pour la marijuana ;
  • 15 à 20% pour la cocaïne ;
  • 20% pour l’héroïne ;
  • et un tiers des gens qui fument un jour leur première cigarette.

Comme tu le vois, le tabac est donc en haut de la liste. La question est « Qu’est-ce que la société peut faire pour aider ces personnes à ne pas devenir dépendantes ? ». Il y a des tas de choses à faire. D’abord, regarder en face les vraies causes de la dépendance aux drogues. Il y a les comorbidités psychiatriques, la schizophrénie, les dépressions graves, etc. C’est une première cause de dépendance. Une autre catégorie de gens deviennent dépendants parce que, merde, ils se font chier ! Ils font un choix rationnel vers l’abus de drogues et de leur point de vue, c’est le meilleur choix qu’ils puissent faire…

Est-ce la responsabilité de l’État de nous apprendre à consommer des drogues ?

Prenons le cas des automobiles. Qui a la responsabilité d’apprendre aux gens à conduire prudemment ? C’est la responsabilité de l’État de dire que lorsque tu fumes une drogue, tu prends moins de risques que lorsque tu l’avales. C’est la responsabilité de l’État d’informer sur les doses, de dire « n’en prends pas trop si tu es un consommateur novice ».

Mais qui dans l’État, les docteurs ?

Hein ??… Non, les médecins ne doivent pas avoir le monopole du discours sur les drogues. Qui a des compétences pour aider à l’éducation des personnes qui prennent des drogues ? L’État fait travailler des pharmacologues, des éducateurs, des juristes. Il doit les employer pour aider à réguler la consommation comme il régule le trafic aérien.

Est-ce que cela signifie que ces personnes doivent avoir l’expérience des drogues ?

C’est encore l’histoire du chirurgien qui doit forcément avoir une expérience d’accident pour opérer ?

Non, je parle de professionnels qui se mettent dans la perspective de l’usage, c’est tout.

Appelons cela la compétence. Être compétent signifie ce que tu dis : ouvrir son esprit pour pouvoir envisager l’usage du point de vue des personnes concernées. être capable de se mettre dans une perspective de consommation, c’est tout simplement être compétent.

Parlons maintenant des deux points aveugles français ?

Le premier point aveugle, c’est l’interdiction de présenter les drogues sous un jour favorable. Le second point aveugle, c’est l’interdiction d’évoquer les origines ethniques des personnes dans n’importe quel document officiel.

Quel rapport peut-il y avoir entre ces deux points aveugles ?

Parlons du premier point. Quand j’ai commencé mon speech ce matin [à la conférence de l’Albatros] j’ai tenu les propos suivants :

« Si c’est la première fois que vous entendez dire des choses positives sur les drogues dans un congrès, cela jette un doute sur la compétence des médecins présents dans la salle, vos patients doivent souffrir… »

J’étais le premier à parler alors forcément, les médecins qui ont pris la parole ensuite ont tous dit

« oui, il existe des choses positives dans la consommation de drogues » car ils pensaient « bien sûr que je suis compétent ».

Le problème, c’est le « mais » (« il existe des choses positives, mais… ») : en général, l’ensemble de la démonstration est basée sur ce « mais ».

Ha ha ha !!! Le second point aveugle concernant les races est stupide. On vit dans une société de diversités puis on prétend ne rien voir. On peut comprendre l’esprit généreux qui a présidé à cette réglementation mais en pratique, cela revient à empêcher toutes les statistiques qui permettent de mesurer les niveaux de discrimination…Tu dis que la société ne veut pas mentionner les races, mais il semblerait que certains courants d’opinion, notamment très à droite, évoquent les races, particulièrement quand on parle de drogues ou de prison. Nous avons besoin de connaître la vérité sur ces choses. La seule chose dont les gens pauvres ont besoin, c’est la vérité des chiffres. Ils n’ont pas d’argent, pas de charisme, leur seul espoir, c’est la statistique.

Pourrais-tu essayer de définir pour un public français les liens entre dépendance et discrimination raciale ?

Le rapport entre l’addiction aux drogues et la discrimination ? Il n’y en a pas. Il existe seulement un rapport entre la politique appliquée en matière de drogue et la discrimination raciale. Le rapport entre le racisme et la consommation de drogues est politique. Le titre de mon intervention au congrès était « La politique de drogue, un outil pour continuer la discrimination raciale ».

Alors disons plutôt : existe-t-il un lien entre l’usage de drogue et les problèmes liés à l’identité ?

Bien sûr. J’ai dit tout à l’heure que les gens font des choix rationnels. Donc oui, les gens prennent des drogues quand ils ont mal.

Interview réalisée par Fabrice Olivet à Paris le 5 juin 2014


Notes :

1/ Carl Hart, High Price, drugs, neurosciences and discovering myself, 2013

Alain Roy « Une éducation nationale à la consommation de drogues s’impose »

Le sociologue Alain Roy accumule les expériences et les savoirs, tant personnels que professionnels sur les drogues depuis 1967. Il fréquente aussi bien les consommateurs vulnérables, les toxicomanes précaires, les usagers sans problème, les ados curieux, que les consommateurs sans limites ou les dealers. Pour ses observations, il s’est aussi glissé à l’occasion du côté des trafiquants.

Formateur et concepteur d’outils pédagogiques chevronné pour les parents, les pro ou encore les institutions, il a écrit le livre Exploration Drogues : premier contact destiné au 11-15 ans.

ASUD : Vous commencez votre livre par une anecdote mettant en scène le discours caricatural de votre mère sur les drogues quand vous étiez enfant. Quels rapports avez-vous avec vos 2 enfants au sujet des drogues ?

Alain Roy : Mes enfants ont reçu une éducation sur les drogues depuis leur tout jeune âge, au même titre que la santé, l’alimentation, la sexualité, etc. Ils savent qu’idéalement, il serait préférable de n’en consommer aucune avant l’âge de la maturité, autour de 17-20 ans. Ils savent aussi qu’il peut tout de même y avoir un usage acceptable tel que défini dans le livre.

À 3-4 ans, ils avaient goûté du bout des lèvres à l’alcool qu’ils ont réessayé à 15 ans. Au même âge, ils ont connu leur première cuite. À 6 ans, ils savaient déjà que le chocolat contenait entre autre une substance excitante et qu’il fallait en consommer modérément et préférablement avant 15 heures pour ne pas nuire au sommeil. Bien sûr, il y avait les fameux cas d’exception qui confirment la règle. À 14 ans, Alexis a essayé la marijuana qu’il a tout de suite délaissée. Au même âge, il a fumé la cigarette à laquelle il s’est attaché jusqu’à l’âge de 27 ans. Comme père monoparental avec garde de ses enfants à temps complet, je dois dire que la consommation de mes enfants a été acceptable sauf pour la consommation de cigarette d’Alexis. Ils n’ont jamais essayé aucune autre drogue illégale.

Aujourd’hui adultes (35 et 37 ans), ils consomment de l’alcool à l’occasion, prennent 1 ou 2 cafés par jour et n’ont jamais consommé de médicaments psychoactifs. Mon éducation sur les drogues a joué un tout petit rôle mais elle était essentielle. Mon rôle de père est venu confirmer ma vision des drogues.

Revenons au livre. Comment son message est-il accueilli par les ados et les éducateurs ?

Avant la parution, j’avais déjà une bonne idée de l’accueil qu’il recevrait. Pendant des années, j’ai livré la vision et le contenu du livre auprès des jeunes, des parents et des intervenants.

Les jeunes trouvent le livre très beau et attrayant. Ils disent qu’ils ont beaucoup appris, que ça les a fait réfléchir, qu’ils ont eu des réponses à leur questions et que les messages étaient réalistes et convenaient à leur âge. Quant aux parents et aux intervenants, ils se disent contents d’avoir un livre qui leur permette d’aborder le sujet des drogues de manière objective, réaliste, concrète, rigoureuse, nuancée et adaptée aux jeunes et à eux. La majorité se montre d’accord avec la vision, le contenu et les propositions d’usage acceptable.

À part quelques exceptions, le message global passe très bien auprès des jeunes, des parents, des intervenants et des institutions. La population accepte bien l’idée d’aller vers une éducation à la consommation, ce qui inclut la non-consommation. Les plus grands utilisateurs du livre sont les éducateurs et les intervenants des écoles et des centres de réadaptation pour les jeunes en difficulté qui s’en servent comme programme éducatif.

Cependant quelques intervenants croient que les parents ne sont pas encore prêts à entendre et accepter ce discours. Évidemment, je suis en désaccord avec eux car mes rencontres m’ont démontré le contraire.

cerveau sens
Illustration issue de Exploration Drogues : premier contact (MultiMondes, 2013)

Le livre n’aborde en détail que le plus banalisé des stupéfiants, le cannabis. Donnez-vous les mêmes conseils et la même liberté de choix aux mineurs qui parfois consomment d’autres produits illicites tels la cocaïne, l’héroïne, le MDMA… ?

Oui, je donne essentiellement, avec certaines nuances, les mêmes conseils et la même liberté de choix aux mineurs pour ces autres substances. Mon rôle consiste à donner aux jeunes les éléments de connaissance et de réflexion suffisants pour les amener à faire des choix éclairés et argumentés de consommation ou de non-consommation. Cette conscientisation effectuée, je leur précise qu’ils ne seront plus jamais les mêmes devant leur choix de consommation. Ils ne pourront plus se servir de l’argument de l’inconscience.

Les jeunes se retrouvent donc face à eux-mêmes et à leur propre choix. Ils savent qu’ils doivent se poser plusieurs questions sur eux-mêmes et sur ces drogues avant de consommer. Ils sont au courant des risques de consommer ces substances et de la difficulté de connaître la composition des substances. Ils connaissent les lois et les issues positives ou négatives de la consommation de ces drogues illicites. Ces jeunes se trouvent un peu désemparés de se retrouver seuls face à ce choix qui les responsabilise. Devant ce questionnement difficile et cette responsabilité trop lourde à assumer, la majorité préfère ne rien prendre. C’est donc une minorité qui fait le choix de consommer malgré leur connaissance des risques de leur consommation. Et pour la majorité d’entre eux, cette consommation sera exploratoire et transitoire. Et pour les autres qui s’enfoncent, leur consommation constitue un problème parmi tant d’autres déjà vécus avant de consommer.

Un livre sur les drogues illégales auprès des 14-17 ans, poursuivant cette même approche éducative et de conscientisation, pourrait et devrait effectivement être conçu.

En promouvant l’accès à une information objective, vous êtes très proches de la démarche dite de réduction des risques (RdR). Défendez-vous également l’accès au matériel et aux services de RdR : paille, seringue, analyse de drogues, espace de consommation, etc. ?

Mon travail quotidien ne me conduit pas à défendre cette position ; et la RdR, bien que corollaire de mon approche éducative générale, n’est pas un objectif pour moi. Mais il m’apparaît évident que l’accès au matériel et aux services auprès des jeunes consommateurs est une nécessité incontournable. Cela va de soi dans la mesure où ces services sont insérés dans une politique des drogues et des usages, d’une réflexion, et d’une éducation à la consommation acceptable. Il ne faudrait pas que ces services soient donnés sans conscientisation, sans contrôle, sans responsabilisation des usagers. Ceux-ci doivent comprendre que cette démarche, qui suppose des coûts onéreux, doit être faite avec grand sérieux. Ils doivent réaliser qu’une bonne partie de la population est en désaccord avec cette politique qui, selon elle, encourage et perpétue la consommation.

Poussons la logique de l’éducation aux drogues jusqu’au bout. Les enfants sont souvent témoins des consommations des drogues légales de leurs parents. Pensez-vous que les parents consommateurs de produits illicites devraient faire de même en ne cachant pas leur consommation ?

Compte tenu des lois actuelles, je crois que les parents ne devraient faire usage d’aucune drogue illégale devant leurs enfants ni consommer avec eux. Les enfants ne seraient pas en mesure d’assumer les conséquences juridiques d’un tel choix. Ce serait un très mauvais exemple de défier la loi malgré ses incohérences.

Cependant, nous devons leur expliquer notre désaccord et notre choix de ne pas consommer avec eux ou en leur présence. Les parents doivent leur signaler que si nous étions dans une société cohérente, le problème ne se poserait pas. Comme avec l’alcool, ils pourraient le faire devant ou avec eux.

Ma position idéaliste est de ne consommer aucune drogue avant l’âge de la maturité. Ma position réaliste propose un usage qui peut être acceptable pour l’individu et la société, quelle que soit la drogue consommée. Si toutes les drogues étaient légales et que les conditions d’usage acceptable étaient définies pour tous et pour toutes les drogues, les parents seraient les premiers responsables de l’éducation à la consommation auprès de leurs enfants et assumeraient avec eux les conséquences de leurs comportements de consommation.

Drogues & Nous cerveau
Illustration issue de Exploration Drogues : premier contact (MultiMondes, 2013)

Quelle place doit avoir le pouvoir médical à qui l’on confie en priorité nos enfants sur la question des drogues, surtout s’ils en consomment ?

La presque totalité des interventions à réaliser chez les adolescents dans leur consommation de drogues ne nécessite pas d’interventions médicales ni d’interventions spécialisées. Pourquoi ? Tout simplement parce la grande majorité d’entre eux ont une consommation acceptable et ne connaissent pas de problèmes avec les drogues. Leur consommation devient souvent problématique quand la société rend certaines drogues illégales et développe autour des drogues et des usages, une vision négative, alarmante, dramatisante, guerrière, manichéenne, psychologisante, médicalisante, institutionnalisante, interventionniste… Comme le docteur Knock, plusieurs croient encore que derrière tout consommateur sommeille un toxicomane. Et pourtant, ne deviens pas toxicomane qui veut. Ça prend toute une personnalité, tout un usage et tout un environnement pour y arriver. C’est si difficile.

La compréhension du phénomène de la consommation des drogues et de la toxicomanie couvre divers aspects : politiques, économiques, psychologiques, sociologiques, culturels, biologiques, chimiques, philosophiques… Les intervenants médicaux doivent intervenir dans leurs champs de compétence : les cas de dépendance, de consommation abusive ou dans les urgences médicales qui nécessitent des interventions spécialisées de nature physique ou d’urgence. Mis à part les cas d’urgences médicales, leurs interventions devraient généralement arriver en bout de piste, après celles des parents, des éducateurs et des autres intervenants sociaux.

Malheureusement, notre société a développé une approche interventionniste et un réflexe de référence qui a conduit les adolescents, les parents et les éducateurs à croire que la consommation nécessitait une intervention spécialisée et de haut niveau. Pour ma part, je crois qu’il faut rendre les gens autonomes, responsables, compétents et indépendants. Ils doivent recourir aux autres quand ils sont au bout de leurs ressources personnelles. Ils doivent y aller par étape, en essayant de ne pas institutionnaliser et médicaliser les problèmes inhérents à la vie quotidienne.

Dans mes rencontres avec les adolescents et les parents, j’ai toujours dit que je voulais les amener à se passer de mes services le plus vite possible et à se faire confiance. D’ailleurs, je crois que la plupart des gens trouvent les solutions à leurs problèmes, seuls avec eux-mêmes.

Au niveau international, la politique de « guerre à la Drogue » est de plus en plus mise à mal et de nombreuses réformes locales voient le jour. Vers quoi selon vous l' »usage acceptable des drogues pour la société » doit-il évoluer ?

Les classifications internationales sur les drogues n’ont rien à voir avec leur dangerosité. Elles reposent sur des considérations historiques, économiques, politiques, religieuses, morales, etc., bien loin de la science et d’une vision objective des drogues et des usages. De cette illégalité, il en résulte des conséquences désastreuses pour nos sociétés, entre autres celle de ne pas connaître la composition des drogues illicites, ce qui constitue une condition fondamentale de tous les usages.

À partir de cette vision faussée, partiale, réactionnaire et finalement inefficace, nos gouvernements, nos institutions, nos intervenants, nos parents, nos enfants, nos consommateurs, se retrouvent dans la confusion et l’incohérence. Notre discours sur les drogues est illogique et non crédible.

Il devient donc évident que, devant l’augmentation de la consommation, de l’accessibilité et de la diversité des produits, nos gouvernements ont perdu le contrôle. Ils sont derrière un phénomène qui les devance.
Parmi les premiers changements à effectuer, il y aurait les 4 suivants :

  1. Avoir une vision objective, réaliste, nuancée et adaptée aux réalités des drogues et des usages.
  2. Bâtir de nouvelles législations nationales et internationales fondées sur les données scientifiques et dans l’objectif de promouvoir la santé et la sécurité des citoyens.
  3. Réaliser des programmes d’éducation à la consommation dans les milieux scolaires, sociaux et de travail.
  4. Promouvoir l’approche de réduction des risques.

Avec de tels changements, nous pourrions éviter ou diminuer bien des dommages sanitaires, judiciaires et sociaux des substances psychoactives.

Dans votre modèle, quelle place faites-vous aux sanctions envers les consommateurs de drogues ?

Dans mon modèle, il n’y a aucune place pour la pénalisation des usages de drogues illégales, autant chez les mineurs que chez les majeurs. Je suis pour la dépénalisation, la décriminalisation, la déjudiciarisation et la décontraventionnalisation des usages car la consommation ne m’apparaît pas répréhensible en soi.

Par contre, je suis pour la pénalisation des états d’ivresse au volant. Dans ce cas, il ne s’agit pas de punir l’ivresse mais de pénaliser le fait d’être ivre au volant. Ce que nous devons pénaliser, c’est l’acte répréhensible (vol, agression sexuelle…) et non la cause, quelle qu’elle soit.

Quelles soient d’origine naturelle (végétale, minérale ou animale), semi-synthétique ou synthétique, les drogues sont des substances sans conscience et sans intention. Par conséquent, elles ne peuvent être tenues responsables de quoi que ce soit. Comme les marteaux, les automobiles et les couteaux, les drogues font partie des produits à risque et de plaisir, dont l’issue négative ou positive dépend de l’utilisateur, de l’usage qu’il en fait et de l’environnement dans lequel se réalise la consommation.

Couverture de Exploration Drogues : premier contact (MultiMonde, 2013)Lire aussi la critique du livre
Exploration Drogues : premier contact

Laurent Appel d’ASUD fait le buzz à Expogrow

Exprogrow, c’est l’évènement social, culturel et commercial sur le cannabis. Ça se passe chaque année à Irun au Pays-Basque espagnol. Laurent Appel, militant d’ASUD et journaliste, y était présent du 12 au 14 septembre et à cette occasion il a été interviewé par Expogrow et Sud Ouest.

Extrait de l’interview de Laurent Appel dans Sud Ouest (13 septembre 2014)

Laurent Appel 2014« La prohibition n’a pas démontré qu’elle protégeait le consommateur, ni pour sa santé, ni pour sa sécurité, ni pour la sécurité publique. En disant « ne consommez pas », on ne donne pas les bons réflexes aux gens quand ils consomment. Si on veut créer une éducation autour du cannabis, on ne peut plus rester dans la prohibition dure. » (cliquez pour lire l’interview complète)

Interview Expogrow (13 septembre 2014)

Dr Hart, a neurobiologist in the land of Civil Rights

Dr Hart’s biography on the Albatros Congress’ website is a masterpiece of understatement. Reference is made1 to his “therapies to reduce cocaine consumption“ and his commitment on behalf of underprivileged patients”. In fact, High Price’s author prescribes psycho stimulants in a medical environment, while denouncing the warfare waged against Afro-Americans in the name of the War on drugs. Seemingly out of place at the annual international congress of addictology, his lecture was in itself a small revolution. ASUD took this opportunity to find out a bit more on this neurobiologist, who fingers the futility of neurobiology.

ASUD: My first question is straight forward: why did you want to become a neurobiologist?

Dr Hart: When I was young — in the 70’s and even more so in the 80’s — crack was extremely prevalent in the black community, and I wanted to have a better understanding of the mechanisms of drug addiction. There was a consensus that crack was destroying the black community. I thought it was my duty to discover the neurobiological mechanisms of addiction, and to cure the members of my community. Poverty and unemployment, all these ills sprung from “crack cocaine”. So I determined to study drugs and the brain, from a scientific viewpoint.

ASUD: And at that time you believed in the power of medicine to cure people who take drugs?

Dr Hart: Absolutely! In biology you discover how much crack cocaine causes brain damage, and so why not use medication to cure people? What interested me was the concept of the medicalization of treatments for addiction.

ASUD: And how long did you pursue this course?

Dr Hart: For a decade. 1990 to 2000. In the U.S. this period was referred to as the “decade of brain”. Consequent funding was made available for the scientific study of the brain. And I was completely steeped in this medicalisation.

ASUD: When did you start having your first doubts on the medical treatment of dependency?

Dr Hart: After having published dozens of articles on as many different medications, I started telling myself: “Hum, they are not working that well after all!”

Not being poor and socially integrated conditions one’s drug usage. After noting this recurring fact thousands of times, my point of view started shifting, as the need to explore other fields of study.

ASUD: So you started investigating alternate means of treatment.

Dr Hart: I looked at the statistics. In 1998, my mentor’s motto was: “Show me the data”. And when I earnestly examined the data, I realized we were barking up the wrong tree. Our priorities were misguided, and should have been more of a psycho-social nature. The data was overwhelming. When I understood the significance of rigorously analyzing the data, I also found the direction I wanted to take.

ASUD: So, could you try to define — for our French readers — the relationship between addiction and racial discrimination?

Dr Hart: The relationship between drug addiction and discrimination? There isn’t any. What there is — is a correlation between drug policy and racial discrimination.

ASUD: So how can policy be changed?

Dr Hart: Part of the problem is that people who study drugs are mainly concerned with addiction. This is irrelevant, because 90% of the people who do drugs, are not dependent… In addition, if you tally drug abusers and dependent users, it only amounts to 10 to 20% of the people who take drugs.

ASUD: How could one stabilize recreational drug users, and prevent them from developing addictions?

Dr Hart: All right, let me give you the numbers for those who go from recreational to compulsive drug taking:

  • 10% of those who drink alcohol will become dependent.
  • 9% for marijuana
  • 15 to 20% for cocaine
  • 20% for heroin
  • and 1/3 of those who light up their first cigarette.

Tobacco is plainly at the top of the list. The question really is what can a society do to prevent people from becoming dependent. And the answer is: plenty. First off, let’s face up to the real causes of addictions. There are many psychiatric comorbidities, schizophrenia, anxiety and severe depression are all major causes of dependency.

Another category of people develop dependencies because — shit — their life sucks, and they are making a rational choice in abusing drugs. And from their point of view, it’s not the worst thing they could choose…

ASUD: Is it the state’s responsibility to teach us how to use drugs?

Dr Hart: Let’s make an analogy with automobiles. Who’s responsibility is it to teach responsible driving? It’s up to the state to inform you that smoking a drug is safer than eating it. And to warn you “go easy on the dosage if you’re a novice”.

ASUD: By which authority? Doctors?

Dr Hart: What? No. Physicians must not have a monopoly on drug education. Who has the skills to educate people who do drugs? The State employs pharmacologists, educators and legal advisors. They should be used to regulate drug consumption in the same way air traffic is controlled.

ASUD: Are you implying that they should have experienced taking drugs?

Dr Hart: Must a surgeon have experienced an accident in order to treat the victim of one?

ASUD: Of course not, I’m referring to professionals who take into account the users’ perspective.

Dr Hart: Let’s just call that expertise. Opening up one’s mind in order to assimilate the user’s point of view is quite simply, being qualified.

ASUD: OK, I get it. Now I’d like to get your take on two French blind spots. The first one concerns the crime consisting in publicizing the positive aspects of drug taking. The second concerns the directive that no ethnic data may be gathered in any official document. How do these two blind spots relate to one another ?

Let’s talk about the first point. When I gave my lecture earlier today, I started out saying:

“ If this is the first time you are hearing about the positive aspects of drugs during a congress, this casts a serious doubt on the competency of the physicians in attendance. Your patients are suffering…” I was the first lecturer to speak, so of course all the following speakers admitted, “yes there are positive aspects in drug taking”.

The second point concerning racial profiling is just plain stupid. I can understand the generous spirit in which this regulation is enforced, but on a more practical level, it prevents any statistical evaluation of the extent of discrimination… You said French society pretends to be color blind, but in fact a certain part of public opinion — especially on the extreme right wing of the spectrum — spin race issues, in particular when dealing with drugs or prison. We need to know the truth on these issues. The one thing poor people need is the truth on these figures, they don’t have money or charisma, their only hope lies in the data.

ASUD: Is there a link between drug taking and identity disorders?

Dr Hart: Of course. I mentioned earlier that people do make rational choices. So yes, people who do drugs compulsively are experiencing trauma and pain.

Interview by Fabrice Olivet in Paris 06/06/2014


Notes :

1/ Carl Hart, High Price, drugs, neurosciences and discovering myself, 2013

THC à THS : la désillusion biarrote

« On y allait pour montrer à des professionnels de santé qui travaillent dans la réduction des risques que le cannabis est aussi un outil de réduction des risques » : en participant au colloque Toxicomanie Hépatite Sida (THS) à Biarritz, l’association Principes actifs pensait surfer sur la vague de légalisation outre-Atlantique et sur l’arrivée timide du Sativex® en France pour asseoir la place du cannabis dans les outils thérapeutiques et de réduction des risques. C’était sans compter sur la diatribe prohibitionniste servie dès l’ouverture par deux «experts » américains. Petit reportage réalisé à chaud sur les paradoxes de ce congrès historique dans le paysage de la politique de réduction des risques liée aux usages des drogues.

THS est une conférence emblématique du changement de politique des drogues en France. Les premières éditions dans les années 90 furent le lieu de controverses au couteau entre « les anciens», partisans du sevrage et de la psychanalyse et « les modernes » militants la substitution et l’échange de seringues. THS est depuis l’origine, un allié de l’auto support et des usagers, en invitant systématiquement ASUD , mais aussi le CIRC, l’association phare des partisans de la légalisation du cannabis.

Cette année nous avions proposé un focus sur le cannabis du fait de l’actualité internationale avec notre partenaire Principes Actifs.

 « Pour certains le cannabis c’est une aide »

Principes actifs est une association créée en 2012 qui rassemble des personnes atteintes de diverses pathologies et faisant usage de cannabis pour soulager leurs symptômes ou diminuer leur consommation de médicaments, Fabienne la présidente raconte :

« On s’est rendu compte que le cannabis pouvait aussi être utilisé comme une aide à la substitution ou comme outil de substitution. Or si certains professionnels sont assez briefés sur le cannabis, nombre de centres de soins « menacent » ou « punissent » leurs usagers pour usage de cannabis, alors que pour eux, c’est une aide Et quand ils l’expliquent, ils ne sont pas écoutés. »

« Pour certains, poursuit-elle, le cannabis est une aide, soit en leur évitant de consommer de l’alcool, soit en leur permettant de maintenir leur sevrage d’alcool tout en réduisant leur consommation de médicaments. Et si on les oblige à arrêter, ils se reportent souvent vers l’alcool, c’est une réalité statistique. »

Et de marteler :

« Il faut tenir compte de ce que disent les gens (je n’aime pas le terme « patients »). Nous voulions porter cette parole et des études lors d’un atelier organisé avec l’aide de Laurent Appel, présenter ce qui se fait actuellement dans certains pays comme la Colombie avec le bazuco, témoigner et débattre. »

« Je suis allé à THS pour témoigner de l’aide que le cannabis m’a apportée dans mon servage d’opiacés, explique Jérôme de con côté. En tant que patient et en tant que vice-président de Principes actifs (PA) pour parler et informer sur le cannabis thérapeutique. Je m’attendais à assister à une conférence sérieuse sur les dernières études scientifiques réalisées aux États-Unis mais je ne connaissais pas ces deux Alzheimer de Ricains qui n’ont sorti que des vieux trucs du XIXe siècle, un discours de prohibitionniste. »

Désinformation débilitante

En l’occurrence, Herbert Kleber et Robert Booth, de New York et Denver, en vraies vedettes américaines de la cérémonie d’ouverture. Et avec eux, une salve en règle contre l’usage de cannabis, y compris thérapeutique qui aurait, selon Robert Booth, « entraîné une explosion de l’usage récréatif ». Florilège du seul Kleber :

« intoxication plus rapide avec des quantités moindres »,
« déclin neuropsychologique dès 25 ans »,
« peut déclencher une schizophrénie même chez personnes qui ne sont pas à risque »,
« les anecdotes ne sont pas des études scientifiques »,

« les médecins qui en prescrivent peuvent être accusés de mauvaise pratique car ils ne connaissent pas la puissance et la quantité absorbée. J’ai essayé de les avertir de ces dangers, mais c’est une activité très lucrative dans les États où les prescriptions sont autorisées. Certains ne se cachent pas de gagner plus d’un million de dollars par an ». Seules quelques rares indications auraient ainsi valeur à ses yeux, en tant qu’antiémétique, lors de chimiothérapies ou pour lutter contre la cachexie, le Sativex® étant pour sa part réservé à la sclérose en plaques ou à la gestion de la douleur. « Pour le reste, il n’y a pas d’étude scientifique. L’usage médical a servi de prétexte à légalisation de l’usage récréatif. Cela a ouvert la boîte de Pandore et il est très difficile de la refermer. »

Jérôme commente :

« C’était vraiment de la désinformation débilitante tout le contraire de ce que nous nous efforçons de faire à PA. En tant que patient usager thérapeutique, j’ai vraiment été choqué par la manière dont le cannabis a été présenté à des professionnels en contact direct avec des patients usagers et qui venaient à THS pour avoir des informations sérieuses. Au lieu de ça, ils ont pu assister à un grand sketch prohibitionniste de la part de dinosaures anticannabis qui sont sûrement payés par les lobbies pharmaceutiques. »

« Je n’ai vraiment pas compris ce qu’ils faisaient là, renchérit Fabienne. Et eux ouvraient, alors que nous n’avions droit qu’à un atelier en toute fin de congrès. Relégués en bout de course parce que nous n’étions pas des professionnels de santé ou peut-être parce que nous étions trop novateurs pour eux. En tout cas, pas à la bonne place. »

Pallier au manque d’informations intelligentes et consistantes

Pour le vice-président de PA,

« cela rappelle qu’il y a encore beaucoup à faire pour faire circuler l’information sur les applications du cannabis et de ses dérivés. Je pensais vraiment en tirer du positif mais je n’ai vu que des dealers légaux vantant les derniers produits sortis sur le marché. Avec des addictologues qui fument et qui boivent un litre de pinard en mangeant, qui est addict à quoi ? »

« Pour moi, poursuit-il, assister à ce genre de congrès était une première et je pensais que ça serait plus sérieux. Mais dès que j’essayais de discuter avec un addictologue, quand il réalisait que j’étais usager, la discussion s’arrêtait net. On n’a rien pu dire, il n’y a eu aucun débat. »

Plus tempérée, Fabienne en retire quand même quelques points positifs :

« Finalement, il y avait des gens intéressés qui sont restés jusqu’au bout pour assister à l’atelier, mais on a forcément subi le fait d’être positionnés le dernier jour de congrès. Une quinzaine de personnes au total, des gens qui sont directement dans le soin avec les usagers, des éducateurs mais surtout des infirmières. »

Leurs demandes ? « De vraies questions sur le cannabis car il y a encore énormément de gens qui ne sont pas suffisamment informés. Une infirmière travaillant en consultation jeunes me disait par exemple qu’elle était « ennuyée car les jeunes en savent toujours plus que moi sur le cannabis ». Il y a donc tout un travail à faire à ce niveau-là, pour pallier au manque d’informations intelligentes et consistantes sur le cannabis. »

Pour la présidente de Principes actifs, il faudrait donc

« arriver à entrer dans les structures pour informer sur le cannabis, que ce soit au niveau des effets, de l’usage thérapeutique, de la substitution ou de l’aide au sevrage. Aller directement voir les centres pour en parler et toucher directement les gens, plutôt que de passer par ce genre de congrès. Mais c’est vrai que c’est compliqué. »

Cette réelle divergence de fond entre certains professionnels de santé, et le secteur plus militant de la Réduction des risques, n’est pas une nouveauté au Congrès THS. On pourrait même dire que c’est un peu une marque de fabrique. Ce que nous pouvons déplorer c’est l’absence de mise en scène de ces oppositions. Le débat est nécessaire, particulièrement dans le domaine qui nous occupe où sous des airs faussement scientifiques le poids des idéologies est déterminant. Aujourd’hui que l’addictologie a remplacé la réduction des risques comme concept de référence il serait profitable à tous de ne pas laisser croire que la science a permis de dépasser les oppositions de…classe entre pauvres et riches, blancs et noirs, femme et hommes qui consomment. Peut-être est-il nécessaire de mieux poser les enjeux qui se cachent derrière le faux consensus addictologique du slogan : sortons des idéologies et laissons parler la science ! Rien de plus faux ! Dans une autre session le DR Carl Hart, neurobiologiste africain américain anticonformiste invité pour parler de la méthamphétamine a déclaré :

« le problème ce n’est pas les drogues mais la guerre à la drogue ».

Ce propos subversif aurait du provoquer un tollé dans la communauté scientifique présente. Il est passé quasiment inaperçue. Cherchez l’erreur !

Génération H : sexe, drogues, rock’n’roll & Co dans les 90’s

Qu’y a-t-il dans la tête d’un garçon l’été de ses 17 ans ? Depuis l’irruption de la contre- culture, la réponse varie peu : se barrer loin des parents pour expérimenter ou approfondir les jeux du sexe et de l’amour, se regrouper entre semblables dans des campements provisoires pour faire la teuf en amplifiant son empathie et ses perceptions avec de l’alcool et des produits psychoactifs, écouter et danser sur les sons et concerts des musiciens à la mode…

Certains se contentent du camping d’Argelès ou de Soulac-sur-Mer et leur inénarrable discothèque en plein air. D’autres prennent la route au gré du vent et des évènements. Sacha, le héros du roman, fait un trip dans le sud de la France et s’intègre à presque tou- tes les tribus avec un bon joint comme ticket d’entrée. Seul refus mais de taille : Burning Spear, la légende du reggae, qui préfère un verre de bon bordeaux.

Ce livre témoigne bien de l’ambiance festive des années 90, de l’apparition de nouvelles substances comme l’herbe indoor ou le MDMA, du bon gros son qui sortait dans presque tous les genres (l’auteur est aussi critique musical). Il a déjà rencontré son public, l’ouvrage bénéficie d’un deuxième tirage. Pas sûr par contre qu’il plaise à ceux qui n’ont pas vécu des plans Génération H : le style est un peu plat et le récit insiste beaucoup sur les émois amoureux et sexuels de Sacha sans les rendre vraiment passionnants. Laurent Appel

Asud : Le pitch de ton livre ?

Alexandre Grondeau : C’est un road trip musical et hachiché, une bande de jeunes qui prend la route au milieu des années 90 et qui va l’espace d’un été découvrir le début des Teknivals, les squats, les sound systems reggae qui explosent à ce moment. Ces jeunes vont assouvir leur quête de liberté et expérimenter tout un tas de choses. Au‑delà de l’histoire, le propos est d’exposer le développement d’une culture cannabis. La génération H regroupe toutes les personnes de 18 à 70 ans qui consi‑ dèrent que la culture cannabis a totalement intégré tous les pans de la société française.

Génération de glandeurs rastas ?

Je veux casser le stéréotype selon lequel les gens qui fument sont en dehors du système, caricaturaux, tout peace. Il y a 500 000 fumeurs quotidiens et 1,2 million de Français qui fument plus de 10 joints par mois, il n’y a pas 1,2 million d’amateurs de reggae avec des dreadlocks dans la rue. Et quand je parle du mouvement techno, du mouvement rock, de l’explosion du mouvement hip‑hop, c’est pour montrer que tous ses mouvements décrits sociologiquement comme des sociétés tribales ont un vecteur commun : la consommation de cannabis.

N’est-ce pas plutôt la génération H + C + MD + vodka Redbull ?

Il n’y avait pas encore de vodka/Redbull à l’époque. Il n’y a pas d’opposition entre la génération H et les précédentes générations en recherche de sensations. Elle s’inscrit dans une continuité depuis Baudelaire et Théophile Gautier en passant par Huxley, Timothy Leary, tout un tas de têtes chercheuses qui réfléchissent sur ce que c’est de vivre, le plaisir, la jouissance. Dans ce road trip, ces jeunes se retrouvent dans des contextes d’expérimentations sensorielles où le cannabis prédomine.

Pourquoi la génération H n’est-elle pas très motivée pour militer en faveur de la légalisation ?

La génération H considère que la consommation de cannabis est normale, ils ont voté, ils ont des enfants, leur usage ne semble pas poser de si gros problèmes, il est totalement intégré à leur vie. Ils ne voient donc pas la nécessité de s’engager pour la légalisation du cannabis. Pourtant, il y a des problèmes de qualité des produits, de stress de l’arrestation, surtout si on a des enfants. Moi, je me positionne plus en termes de responsabilisation des citoyens adultes que de légalisation, notre société doit être capable d’être adulte sur cette question et de former la jeunesse à la mesure en matière de consommation, à connaître les effets, à savoir reconnaître les qualités et adapter le dosage. Les excès font partie de la jeunesse, mon bouquin en parle, mais après, on doit pourvoir choisir son parcours de vie et avoir une attitude responsable.

Pourquoi le gouvernement n’est-il pas motivé par l’intégration citoyenne de la génération H ?

Il y a des pratiques mafieuses que la responsabilisation permettrait d’évacuer. La question est donc : les gouvernements ont‑ils un intérêt au maintien de ces pratiques mafieuses ? Si le gouvernement veut acheter une sorte de paix sociale par les trafics, cela ne marchera pas longtemps.

Génération H, Alexandre Grondeau, La lune sur le toit,18€

Interview de Mme le Docteur Annie Serfaty de la Division Sida de la Délégation Générale de la Santé (DGS) du Ministère de la Santé

Nous remercions Madame le Docteur A.SERFATY d’avoir bien voulu répondre à nos questions, au nom du Groupe ASUD constitué d’Usagers de Drogue, d’Usagers sous substitution et d’ex-Usagers de Drogue, dans leur publication. Le Groupe ASUD.

ASUD : Quelle est actuellement la situation en France en matière de Sida chez les Usages de Drogues ?

A. SERFATY : Les données de surveillance des cas de SIDA en France sont répertoriées et analysées par la Division Sida. Tous les Trimestres, un rapport est publié dans le Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire. (La déclaration anonyme des cas de SIDA est obligatoire en France depuis le décret du 10 juin 1986).

La situation épidémiologique de l’infection par le virus de l’immunodéficience Humaine (VIH) liée à l’usage des drogues par voie injectable est encore préoccupante en France.

La France reste un des pays d’Europe les plus touchés par le SIDA (un taux d’accroissement de 30% est observé en 1 an) – avec 341,9 cas de SIDA (cumulés depuis 1978) par million d’habitants au 30 juin 1992 (au 31 mars 1992, ce taux est de 363,64 cas par million d’habitants en Suisse, contre 337 en France). En France, la proportion des cas liés à l’usage de drogues par voie injectable croit plus rapidement que celle des autres groupes de transmission. Au 30 juin 1992, le Ministère de la Santé a répertorie 20 250 cas de SIDA. Les Usagers de Drogues utilisant la voie injectable (UDVI) sont la deuxième population exposée au risque de la contamination par le VIH, après les homosexuels/bisexuels représentant 50,5 % des cas cumulés, soit 10 236/20 250. Les cas de sida chez les UDVI représentent 21,7 % des cas, soit 4 387/20 250. A ces cas, il faut ajouter, 347 homosexuels/bisexuels usagers de drogues, 330 hétérosexuels ayant eu des partenaires usagers de drogues, 119 enfants nés de mères consommatrices de drogues et 22 enfants nés de mères ayant eu des relations avec des usagers de drogues. L’ensemble représente 5 205 cas liés directement ou indirectement à l’Usage des Drogues (UD), soit 25,7% des cas cumulés.

C’est depuis fin 1985 – début 1986, qu’une augmentation significative de la proportion des UDVI parmi les cas de SIDA diagnostiqués dans une année commence à être observée : 3,9% en 1984, 7,4% en 1985, 12% en 1986, 15,1 % en 1987, 20,8% en 1988, 23,4% en 1989, 24,6% en 1990 et 26,5% en 1991. Comparativement, un pourcentage de 65,7% d’UDVI est observé en Italie, 64,2% en Espagne, 37,1% en Suisse, 36,9% en Pologne, 21,5% en France, 8,1% aux Pays Bas et 4,5% au Royaume Uni (Centre Européen pour la surveillance épidémiologique du SIDA).

Concernant la proportion des homosexuels/bisexuels utilisateurs de drogues, elle a plutôt diminué : 2,1% en 1984, 3,2% en 1985, 2,5% en 1987, 1,4% en 1988 et 1,1% en 1990 et 1991. Par contre, sur l’ensemble des cas de SIDA liés à l’usage des drogues, la proportion d’hétérosexuels ayant eu des relations sexuelles avec des partenaires UDVI a augmenté : 4,1% en 1985, 8% en 1987, 16,1% en 1990 et 20,5% en 1991.

Il faut noter par ailleurs les fortes disparités géographiques de l’épidémie : d’après les données de la surveillance, la région PACA (Provence-Alpes-Côte d’Azur) est la plus touchée, avec une prévalence des cas de SIDA liés à l’usage des drogues de 330,9 cas par million d’habitants. La proportion des UDVI parmi les cas de SIDA dans la région est de 43,9% contre 34,2% homosexuels/bisexuels. Cette tendance dans la répartition des «groupes à risque» rejoint celle des cas de SIDA en Corse avec 50% d’UDVI.

Paris-Île-de-France est la deuxième région à être la plus touchée, avec 190,7 cas de SIDA liés à l’usage des drogues par million d’habitants. Les UDVI représentant 17,1% contre 60,1% homosexuels/bisexuels. L’incidence des cas de SIDA chez les usagers de drogues est en nette progression depuis 1985 : elle est de 0,034% en 1985, de 0,12% en 1986, et de 0,82% en 1990. L’incidence des cas de SIDA chez les UDVI, représentant le risque pour un usager de drogues d’avoir un SIDA, celui-ci est 2,5 fois supérieure à celui d’un homo-bisexuel en 1990.

La surveillance des cas de SIDA nous informe sur une partie de l’épidémie chez les Usagers de Drogues. Le Rapport ANRS/DGS sur la prévalence de l’infection par le VIH en France, en 1989, a estimé que 21 000 à 42 000 usagers de drogues utilisant la voie injectable étaient séropositifs. L’enquête du SESI (Service Statistique des Études et des Systèmes d’Information du Ministère des Affaires Sociales et de l’Intégration) sur la prise en charge sanitaire et sociale des toxicomanes trouve un taux d’usagers de drogues atteints d’infection par le VIH s’élevant à 18,1% en Novembre 1990.

ASUD : D’après votre expérience, quels sont les problèmes spécifiques liés à la prévention du Sida chez les Usagers de Drogues ?

A. SERFATY : J’aurais tendance à classer les problèmes liés à la prévention de l’infection par le VIH chez les Usagers de Drogues (UD), selon deux rubriques. 1) celle concernant l’adoption de comportement de prévention 2) celle concernant les difficultés rencontrées dans la mise en place des programmes d’accès au matériel d’injection stérile.

1) Les comportements relatifs au partage des seringues entre UD ont tendance à évoluer de plus en plus vers des comportements de prévention. L’étude menée par l’IREP (Institut de Recherche en Épidémiologie de la pharmacodépendance) en 1990­ 91, sur les attitudes et les pratiques des UD par rapport à la transmission de l’infection par le VIH, constate que 95,5% des UD interrogés achètent leur seringue en pharmacie, 41% déclarent avoir cessé tout partage et 67,3% ne prêtent pas leur seringue, et cela plus souvent en 1990/91 qu’en 1987/88 (Ingold). De même, une étude en Alsace-Lorraine (1991) a montré que 51% des 180 UD enquêtés déclarent ne jamais emprunter de seringue (Jacob). Par ailleurs, plusieurs études ont montré que l’achat et l’usage des préservatifs chez les UD sont plus fréquents mais l’utilisation des préservatifs n’est pas la règle.

Si les UD semblent plutôt bien informés, et concernés par le SIDA, 85% à 90% ont fait un test de dépistage, le maintien des comportements de prévention reste une utopie en regard des conditions de vie du toxicomane.

Comme le souligne le Dr INGOLD, la question qui se pose actuellement est de savoir si l’adoption des comportements de prévention chez les UD a atteint son maximum. Aux Pays-Bas, le Ministère du Bien-Être, de la Santé et de la Culture fait le constat que la dissémination de l’infection chez les UD continue à s’étendre, malgré une politique de réduction des risques bien développée. Cet état de fait questionne le choix des interventions de prévention actuellement en place dans ce domaine.

2) L’accès aux moyens de prévention : le matériel d’injection stérile, les tampons alcoolisés, l’eau stérile, les préservatifs, l’eau de Javel …, restent insuffisants. Certaines pharmacies refusent encore trop souvent la vente de seringues ou les vendent à plus de cinq francs l’une. La présence de pharmacies ouvertes après 20 heures ou le week-end est rare et ceci est encore plus vrai en dehors de Paris. Par ailleurs, le dispositif de prise en charge des toxicomanes s’est impliqué dans la mise en place d’actions spécifiques de prévention de l’infection par le VIH, mais les projets restent encore limités. Les conseils de prévention concernant les risques sexuels semblent peu intégrés dans la pratique des professionnels (Lert). Les réponses des pouvoirs publics face à l’épidémie du SIDA ont été fondées sur la solidarité avec les personnes vivant avec le VIH. Cependant, à ce jour aucune campagne sur la promotion de la seringue pour usage personnel, ainsi que la récupération du matériel usagé n’a été menée, et cela probablement par crainte de stigmatisation du groupe.

Les programmes de prévention qui ont intégré l’échange de seringues sont encore trop peu nombreux en France. Depuis l’année 1992, le ministère chargé de la santé a pour objectif d’étendre les programmes de prévention du VIH chez les Usagers de Drogues comportant un volet échange de seringues.

ASUD: Quels sont, d’après-vous, les retombés de l’illégalité, et de la répression qui en découle, sur la prévention du SIDA et sur les soins chez les usagers de drogues ?

A. SERFATY : Si on prends l’exemple des programmes d’accès à l’échange de seringues auprès des UD, il a été rapporté à plusieurs reprises par les utilisateurs des programmes, la crainte de garder sur soi des seringues de peur d’être interpellé. Ici, une des conséquences de la répression de l’usage de drogues illicites qui est observée, est la présomption de délit en cas de port de seringue. Cette situation peut, en effet, créer un climat de méfiance et rendre difficile l’accès à l’échange de seringues, ainsi que l’approvisionnement de seringues en pharmacies.

ASUD : Y- a-t-il contradiction entre «lutte contre la consommation de drogues» et « lutte contre l’infection par le V.I.H chez les usagers de drogues» ?

A. SERFATY : Je suis tenté de répondre, pas forcément. Il faut commencer par préciser les niveaux de gravité des deux problèmes à traiter. Dans un cas, il s’agit d’une maladie mortelle, une infection irréversible, dont le moyen d’action prioritaire est de prévenir la transmission du virus, dans l’autre cas,il s’agit de comportements toxicomaniaques dus à la consommation de produits illicites dont les conséquences sur l’individu sont plus ou moins graves selon le (les) produits et la manière de le (les) consommer.

Le premier problème relève de l’urgence de santé publique, le deuxième est un travail thérapeutique et social pouvant s’inscrire sur du moyen ou long terme La dimension préventive du VIH est donc à prioriser par rapport à celle de l’arrêt de la drogue : c’est là où se situe à mon avis cette contradiction, cependant, il ne faut pas négliger non plus le fait que la réduction des risques d’infection chez les usagers passe aussi par la gestion de la consommation des produits.

Je conclurai en disant qu’à ce jour l’extension de l’épidémie liée à l’usage de drogues par voie injectable reste un problème prioritaire de santé publique et les réponses à apporter sont urgentes à mettre en place .

ASUD : Que pensez-vous de l’auto-support comme approche en matière de réduction des risques de prévention du SIDA chez les usagers de drogues?Que pensez-vous de la création du groupe ASUD. Est-ce un partenaire souhaitable,crédible?
Par ailleurs; Quel type de concertation pourrait être envisageable entre le Ministère de la Santé et les usagers de drogues? Par le groupe ASUD? plus concrètement, existe-t-il des possibilités de partenariat entre ASUD et le Ministère de la Santé?

A. SERFATY : Je regrouperai ma réponse à toutes ces questions : je pense tout d’abord que la création d’un groupe d’auto-support des usagers de drogues, dans le cadre de la prévention de l’infection par le V I H chez les usagers de drogues, est un événement important en France. Plusieurs actions de prévention du SIDA chez les U-D avaient déjà intégré et fait participer des ex-usagers de drogues (AFLS).

L’organisation d’un groupe d’usagers ou d’ex-usagers de drogues est nécessaire pour servir de relais de prévention de l’infection par le VIH auprès des usagers.

Il est encore trop tôt pour définir la manière dont le ministère chargé de la santé et ASUD vont travailler ensemble, néanmoins, un champ commun de travail pourrait être envisageable à plusieurs niveaux: consultatif sur la faisabilité de certaines actions de prévention, d’observation sur des situations extrêmes qui échappent à toute approche de prévention, de conseil sur de nouveaux modèles d’actions. De toute façon ,l’existence d’ASUD sera pris en compte. Si en considérant qu’ un des objectifs de la prévention est d’accompagner les usagers pour qu’il deviennent promoteurs de leur propre santé : responsabilité individuelle et envers autrui, implication des intéressés (pairs) et accès aux moyens de prévention sont des approches à prendre en compte.

Par ailleurs,il faut préciser qu’ASUD sera d’autant plus légitimé dans le domaine de la prévention, que ses membres iront se documenter sur le SIDA. S’inscriront dans un réseau de partenaires français, bénéficieront des acquis des expériences françaises et étrangères et pourront repérer les limites de leur champ d’intervention.

ASUD : Nous pensons que l’échange des seringues par les usagers de drogues serait plus efficace. La législation semble bloquer une telle expérience. Faut-il développer l’échange de seringues ? par qui? L’évolution vers l’échange de seringues par les usagers et ex-usagers est-elle envisageable? Si oui, que pensez-vous faire dans ce domaine?

A. SERPATY : Les programmes de prévention de l’infection par le VIH avec échange de seringues apparaissent nécessaires pour accompagner les usagers de drogues à accéder à une information-conseil personnalisée autour des risques de contamination par le VIH ainsi qu’aux moyens de prévention, en particulier les seringues propres, les tampons alcoolisés,les préservatifs de plus, ces programmes interviennent aussi à un niveau plus large sur la maîtrise des risques : ceux des accidents de piqûres accidentelles avec des aiguilles usagers abandonnées sur la voie publique.

Il n’est pas souhaitable de dire que la législation bloque de telles expériences. Actuellement en France des projets sont en court de réalisation : un travail préalable avec les forces de police localement, avec les élus a permis le plus souvent l’obtention d’une neutralité bienveillante autour de ces programmes.

Ces programmes méritent d’être développés dans les zones les plus à risque de toxicomanie Depuis la remise du rapport d’évaluation des trois programmes expérimentaux, la division SIDA de la direction générale de la santé, en collaboration avec le bureau toxicomanie/alcoolisme/tabagisme de la DGS, la direction de l’action sociale et l’AFLS, a mis en place un groupe de travail relatif à l’extension des programmes de prévention avec échange de seringues. En avril 1992, un courrier a été adressée à toute les directions départementales des affaires sanitaires et sociales pour développer ces actions dans les départements…

Communication au groupe ASUD : Alain BAUDOIN (INSERP – Léo Lagrange)

Je crois qu’il est indispensable de commencer par dire qui l’on est, de préciser le point de vue dont on parle : je suis chargé d’organiser des actions de Prévention pour la Fédération Léo Lagrange Île de France, et chargé de mission pour le Comité inter-associatif du Combat pour la Vie Île de France. La plupart des projets sur lesquels je travaille, et donc indirectement mon propre salaire, sont financés par la Délégation Générale à la Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie.

N’étant ni psychothérapeute, ni sociologue, ni médecin, ni juriste, mon point de vue ne saurait avoir la valeur de vérité d’une “Parole de Spécialiste”, même si à travers mes études, une jeunesse tumultueuse, l’exercice de nombreux métiers, une vie parisienne et banlieusarde, et mes fonctions d’animateur et de formateur d’insertion j’ai eu l’occasion de capitaliser des éléments de réflexion et des expériences sur ce domaine.

Quoique non spécialiste, je suis souvent présenté et perçu comme travaillant “sur la drogue”, sorte de “Mister Défonce” à qui l’on demande souvent, pour rire, si il a souvent l’occasion de goûter ce dont il parle, voire, pour les rieurs les plus hardis, s’il n’aurait pas sur lui quelques échantillons choisis pour une dégustation conviviale; comment ne pas repenser à Prévert qui écrivit sur “ceux qui sentent le poisson parce qu’ils travaillent le poisson”.

Cependant, je fais partie de ceux, toujours plus nombreux, qui consacrent beaucoup de temps et d’énergie à expliquer que la prévention de la toxicomanie doit être resituée dans un cadre de prévention sociale et sanitaire générale et que la vraie question n’est pas de “lutter contre le fléau de la Drogue” décrit et représenté comme l’incarnation du Mal Absolu.

Il convient, en la matière, d’afficher et de défendre quelques convictions : Prévenir, c’est former, éduquer, donner aux jeunes et aux moins jeunes la possibilité de diriger leur devenir en régatant sur un fleuve large non tranquille, abondamment grossi de larmes qu’est la vie, en choisissant des ports et mouillages et en se gardant des milles périls pouvant surgir des hauts fonds, fondre du ciel, se cacher dans le clapotis de l’entre deux eaux, ou jaillir de leurs propres cœurs.

Éduquer, c’est d’abord tenter de transmettre sincèrement ce que l’on croit être juste, former, c’est avant tout instruire des libertés. Tout ce travail socio-éducatif de prévention est singulièrement entravé par la chape d’hypocrisie et d’exclusion qui recouvre en France la question de la drogue.

La France fait partie des pays engagés depuis de nombreuses années dans une “Guerre contre la Drogue” qui n’empêche pas les trafics de fructifier mais qui fait de très nombreuses victimes dans les rangs des usagers. Parler de victimes ne relève pas de la métaphore : au Pakistan, entre autre, les détenteurs de drogue sont exécutés, en France les Toxico-dépendants infectés par le VIH meurent de devoir choisir entre l’abstinence et l’intégration des protocoles hospitaliers.

Notre nation, grande consommatrice d’alcool et de médicaments, s’obstine à diaboliser certains produits, cultivant la vision fantasmatique de “produits drogue” fabriquant des “drogués”, êtres voués à la désintégration sociale, à la déchéance et à la mort.

Non ! Ce n’est pas le “produit” qui fabrique le “drogué”, c’est la personne qui à travers le rapport qu’elle établit avec un produit se construit une dépendance. Je ne dis pas que tous les produits sont identiques quant à leur aptitude à déclencher l’ivresse et le “voyage”, je ne nie pas que certains sont infiniment plus dangereux que d’autres, tellement plus prompts à entraîner des dépendances; Je ne nie pas que les dépendances puissent avoir des conséquences dramatiques, mais je dis que c’est le Sujet qui reste le centre de l’Histoire. La consommation d’un produit, c’est un élément dans l’histoire d’une vie, le rôle que cela a, la place que cela occupe, dépendent précisément de la personne qui vit l’histoire, de qui elle est, de ce qui compte à un moment donné pour elle, de la société où elle vit, de l’image que cette société lui renvoie.

Au cours des formations organisées autour de la prévention et de la toxicomanie, il est une question que les stagiaires, animateurs, formateurs, enseignants ou gardiens

d’immeubles, posent de façon quasi systématique et qui illustre bien le problème: «comment reconnaître un drogué ?». Expression d’un trouble, car il faut savoir lire les signes, c’est que cela peut bien ne pas être aussi apparent que cela, mais question troublante: comment reconnaître un joueur ? Comment identifier un vrai passionné ? Comment reconnaître un être humilié par son conjoint ? Comment reconnaître une amoureux (une amoureuse) comblé(e), comment reconnaître un contribuable fortuné qui ne paye pas ses impôts ?. Il y a ce qu’on voit et le reste, comme disait Bertold Brecht, tous ceux qui pensant «non» disent «oui», et tous les autres qui disent «non» alors qu’ils pensent «oui». Après tout, pour savoir ce qu’une personne fait, il suffit d’établir un dialogue de confiance assez poussé pour qu’elle puisse vous le dire. Il n’y a pas d’autre choix : sans dialogue de confiance, pas de communication, et sans communication, impossible d’éduquer les libertés. La prévention est dans cet effort constant et peu payant d’établir le dialogue là où il est le plus difficile : au point de l’aveu du manque à être, de la fêlure, de la peur, du plaisir.

Je salue le Groupe ASUD de contribuer, par son existence même, ainsi que par ses activités à faire avancer un débat social qu’il est urgent de mener dans l’intérêt de tous, pour briser les fausses évidences, pour sortir de la logique d’exclusion et remédier aux désastres sociaux et sanitaires dont nous sommes quotidiennement les témoins. Longue vie à ASUD.

Interview de Mme Christine Ortmans

Mme Christine ORTMANS est chargée de mission, responsable des actions de prévention en direction des toxicomanes et des prostitués à l’Agence Française de Lutte contre le Sida (AFLS).

ASUD : Depuis sa création l’AFLS déploie des efforts considérables pour la prévention du sida – quelle est sa politique actuelle, en mai 92, dans le domaine spécifique de la prévention du sida chez les usagers de drogues ?

C.ORTMANS : En ce qui concerne les usagers de drogues l’agence s’est fixé deux objectifs : d’une part la facilitation de l’accès aux seringues stériles et aux préservatifs; d’autre part, la circulation d’une information faite par et pour les usagers. A cet égard, nous ne pouvons que nous féliciter de l’existence et de l’action d’un groupe comme le vôtre . Quant aux seringues et aux préservatifs la tâche est loin d’être simple. Il y a en effet, en ce qui concerne les seringues une sorte de blocage, qui fait que la population n’est pas encore prête à accepter des campagnes d’information préconisant l’usage de seringues stériles et où certaines personnes estiment encore que la vente libre des seringues favorise la prise de drogues illicites. Une enquête menée dans 5 villes de France, après la libéralisation de la vente des seringues en pharmacie, n’a pas mis en évidence une augmentation du nombre des toxicomanes. Dans une société où le seul mot de drogue suffit à effrayer le public, il nous faut aller progressivement.dans nos actions sur le terrain.

“Mais quelles que soient les difficultés que nous rencontrons, c’est une seule et même idée qui sous-tend le double objectif de notre action. A savoir que pour que l’usager de drogues prenne soin de sa santé, à la fois pour lui-même mais aussi pour ses partenaires – en un mot, pour qu’il se respecte , il faut que la société lui offre le respect dû à tout citoyen . Ce qui signifie que pour qu’il accorde du prix à la sauvegarde de sa vie, il faut lui offrir la possibilité d’une vie qui vaille la peine d’être vécue. Que signifient en effet le risque du sida, la prévention pour un être démuni de tout, dans un état de précarité absolue, seul, sans travail, sans ressources, sans refuge , que la rue ou la prison, et voué à l’opprobre général ?

ASUD : A titre d’exemple, la libéralisation de la vente des seringues, en 87, a-t-elle provoqué un tassement de la hausse du taux de contamination chez les usagers de drogues?

C ORTMANS : “Il est impossible de donner des chiffres précis D’abord parce que la clandestinité de l’usage des drogues empêche toutes statistiques. Ensuite, parce que les délais d’apparition de la maladie – plus ou moins l0 ans après la contamination – et l’absence de déclaration de la séropositivité font qu’il est encore trop tôt pour juger des résultats de cette mesure.

La seule certitude que l’on ait c’est que, indéniablement, les comportements ont changé. Ce qui prouve que, si on informe les toxicomanes et qu’on leur donne les moyens d’accès aux soins, aux seringues, aux préservatifs – les usagers de drogues peuvent se montrer responsables et soucieux de leur santé. Les études ont montré que les compor­tements ont changé.”

ASUD : Le tabou qui pèse dans notre pays sur toute information sur la drogue constitue-t-il une gêne, une pierre d’achoppement pour votre action ?

C ORTMANS : “Malheureusement oui. En France, la drogue reste un sujet qui suscite autant la réflexion que la passion. Pourtant, en ce qui concerne la prévention du VIH chez les usagers des drogues, il y a une urgence dont il faut tenir compte en matière de Santé Publique. Mais il faut composer avec la réalité.”

ASUD : Le discours officiel sur les drogues peut-il continuer à arborer le double visage qu’il a actuellement: d’un coté, la prévention (et pour nous, ça signifie promotion de l’usage des seringues stériles) et de l’autre, la répression (stigmatisation de la drogue, déclarations publiques de « guerre à la drogue » etc.)?

C.ORTMANS : “C’est bien là le problème dans notre travail Être patient. Il faut expliquer et expliquer encore au public que ce n’est pas parce qu’on fait de la prévention du SIDA en favorisant le libre accès aux seringues, qu’on incite les jeunes à prendre tel ou tel produit. De même que la promotion du préservatif n’a pas pour objectif d’inciter les jeunes à la “débauche”, mais simplement à se protéger eux-mêmes et leurs partenaires lors de relations sexuelles. Pourtant il y a encore beaucoup de réticences à faire passer la prévention du sida avant celle de la toxicomanie. Néanmoins, je peux vous assurer que les responsables des différentes administrations travaillent ensemble sur ce sujet et que l’on commence à observer une évolution dans les discours et les mentalités.”

ASUD : Pensez-vous que les usagers ont un rôle à jouer dans la prévention du sida ?

C.ORTMANS : “Bien sûr . Il est normal que la prévention passe en priorité par les groupes les plus exposés. A la fois pour eux-mêmes mais aussi pour l’ensemble de la société”.

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