Dans la jungle des sites antidrogues

Il suffit de taper les mots clés « enfant/enfance/drogues/cannabis » sur Google pour avoir le vertige. Le moteur de recherche vous dégueule des flopées de références, ça sort de tous côtés. Dans le seul espace francophone, c’est une véritable jungle d’associations, de sites, de ligues et autres groupements avec kit, brochures, pdf, ligne d’appel 24/24, forums… tous dédiés à ce « fléau ».

Ce qui saute aux yeux dans tous les messages des forums, c’est la terreur qu’inspire « la drogue » – il n’y a guère que le Jihad islamiste qui paraisse plus flippant. À la profusion de sites évoquée plus haut répond leur uniformité de pensée. Si, dans le détail, on trouvera quelques singularités, celles-ci masquent (mal) une espèce de pensée unique. Leur point commun le plus flagrant : une propagande à double détente, à savoir préserver les enfants des drogues et les enrôler dans cette lutte. On les invite à s’abstenir de la drogue et à se positionner contre, à devenir des acteurs de ce combat (via serments ou la délivrance d’un « diplôme » idoine validant l’engagement de l’enfant).

La prolifération des sites rendant impossible un listing exhaustif, nous avons choisi de vous en présenter une demi-douzaine « représentatifs », en mettant l’accent sur certains sites sectaires. Nous nous arrêterons dans un prochain numéro sur « Enfance sans drogue », véritable archétype du genre.

drogues.gouv.frMILDeCA
MILD&CA : Les drogues et les conduites addictives

Créée en 1982, la Mildt, aujourd’hui MILD&CA (lire notre article Le « A » de MILD&CA), placée sous l’autorité du Premier ministre, définit des actions par le biais de plans (prévention/prise en charge sanitaire sociale/recherche/lutte contre le trafic). Le dernier en date cible plus particulièrement la jeunesse. L’accent est mis sur la prévention des premières consommations (drogue/alcool) et sur la « responsabilisation des parents » désormais considérés comme les « premiers acteurs de prévention » (Assises de 2010). Plusieurs campagnes médiatiques ont été lancées en ce sens, notamment des spots publicitaires destinés à valoriser le rôle des parents et leur capacité à intervenir.

asud55 p16 Drogues Info Servicedrogues-info-service.fr
Pourquoi se drogue-t-on ?

Émanation de l’Adalis, financé par l’Inpes, Drogues-info-service.fr dépend du ministère de la Santé mais regroupe l’action conjointe de plusieurs autres ministères et associations. Son rôle se focalise autour de la prévention contre tout type d’addiction et cible en particulier les enfants et ados. Au 1er juillet 2014, le forum accueillait 331 témoignages et abordait 76 sujets avec un onglet spécifique « avoir un enfant qui se drogue ». Le site met à disposition du matériel pour mener des campagnes de sensibilisation, affiches, cartes postales, plaquettes. Un espace spécifique appelé « adosphère » se veut informatif et ludique. On y trouve le tout-venant ordinaire sur les effets et conséquences des drogues mais aussi un onglet « philo » et « ludique » avec bibliographie, quiz et autres jeux (pendu !).

asud55 p16 Infordroguesinfordrogues.be
Le plus vieux des sites sur les jeunes

Il s’agit du site de l’une des plus anciennes associations de lutte contre la drogue, créée en 1971 sur l’initiative de responsables de différentes institutions du secteur médical et psychosocial. L’association dispose par ailleurs d’une permanence téléphonique et propose aux pro de l’éducation permanente engagés dans des campagnes de sensibilisation les « productions de son service documentation en éducation permanente », comme des « outils d’informations et d’animation » (plaquettes, vidéo…).

Infor drogues dit proposer une alternative aux discours antérieurs relatifs aux traitements médicaux. Le site affirme que la surexposition des drogues dans les médias serait responsable de l’angoisse parentale et définit dix « astuces » pour engager un dialogue avec l’adolescent : « parler n’est pas facile », « choisir des arguments qui touchent », « oser fixer des limites », « bâtir une relation de confiance »

www.grc-rcmp.gc.ca
« les enfants et les drogues — Guide de prévention pour les parents »

Ce site, à l’iconographie sinistre, consultable en PDF, compte 42 pages et date de 2008. Il s’agit d’un « projet conjoint de l’ AADAC, de l’AHS (Alberta Health Services) et du Service de sensibilisation aux drogues et au crime organisé de la GRC » (la gendarmerie royale du canada). Posé en préambule, le site diagnostique « Notre culture consommatrice de drogue » et établit d’emblée un lien entre incivisme et drogue, tout en évoquant une désinformation massive autour du sujet avec en point d’orgue la banalisation du cannabis.

Ici encore, l’accent est mis sur le rôle des parents : avoir « une pensée critique », « ne pas sermonner » est suivi d’un « est-ce que j’utilise positivement des techniques disciplinaires ? », le tout conclu par « établissez des règles et des limites ». Un tableau de classification des drogues avec leurs effets à court et à long terme est consultable. Enfin, un glossaire, non des drogues mais du langage périphérique, complète cet ensemble.

Internet un boulevard sectaire

Bon nombre de ces sites ont des liens plus ou moins nets avec des mouvances sectaires. Encore faut-il les identifier derrière la profusion de sites & blog divers. Dire qu’elles avancent masquées serait sans doute un peu excessif. Par contre, leur référencement sur Google pose quand même question puisque des structures comme la Scientologie ou IVI se trouvent quasi en tête de gondole.

Le combat de la Scientologie contre les drogues remonte aux années 60. Ce serait une erreur de considérer cet engagement uniquement sous un angle manipulateur. Les thèses de la Scientologie – fourre-tout conceptuel relatif à la nature et à la place de l’homme dans l’univers – s’opposent « philosophiquement » aux drogues, qui sont considérées comme nocives sur le plan physique et spirituel. On ne peut omettre cet aspect, même si on connaît la propension de la Scientologie à brouiller les pistes pour enrôler de nouveaux membres. C’est également le cas de certaines mouvances sectaires chrétiennes comme IVI (créée en 1987 par Mme Trubert prétendant, entre autres, pouvoir guérir le sida par simple apposition des mains). Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Internet est un espace tout à fait approprié à la stratégie arachnéenne de la Scientologie : toutes les conditions sont réunies pour lui permettre de tisser sa propre toile, justement. L’action de la Scientologie dans la lutte contre la « peste blanche » – au sein de laquelle la question des enfants n’est qu’une composante – mériterait à elle seule un dossier.

Une nébuleuse souvent propice à confusion

Devant la multiplicité des sites, blogs francophones, régionaux ou non, affiliés à la Scientologie, il n’est pas exagéré de parler de nébuleuse :

En 2012, en Suisse, trois clips d’information à destination de la jeunesse conçus et réalisés par « Non à la drogue, oui à la vie » étaient régulièrement projetés en salle. Or cette association – présente en France comme dans d’autres pays – n’est pas simplement liée à la Scientologie, elle en est l’émanation principale pour tout ce qui concerne le problème des drogues et de l’enfance. Il aura fallu l’intervention de la presse pour que soit révélé ce lien étroit et que les clips soient retirés. « Non à la drogue, oui à la vie » mène par ailleurs des actions de propagande sur le terrain, notamment à Paris, via la distribution de livrets d’information. Les passants sont invités à signer leurs pétitions et à devenir ambassadeurs « pour une vie sans drogue ».

Signalons pour conclure ce trop bref aperçu les démarches entreprises par les scientologues pour ré-ouvrir leurs centres de sevrage, les Narconon (évoqués dans le livre Moi, Christiane F…) de sinistre réputation, fermés en France en 1984 à la suite du décès d’un patient.

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