Prévention jeune en mode mineur

« La prévention des conduites addictives chez les adolescents, même si elles ne concernent qu’une minorité, constitue un enjeu majeur pour la société », rappelle un rapport de l’Inserm1 en 2014. Si tout le monde est globalement d’accord sur le fait que plus des consommations commencent tôt, plus il y a de risques de complications médicosociales à terme, l’impact d’une consommation précoce et l’ampleur des risques ne font pas l’objet d’un consensus universel pour autant.

Pétrifiés comme Andromède

Dans ce même rapport, l’Inserm précise que « les actions à développer doivent cibler en priorité l’alcool et le tabac, voire le cannabis, en raison des niveaux d’usage et des dommages associés (en termes de santé publique) qui prédominent sur les autres substances et les jeux ». Donc que la consommation de produits psychoactifs licites, « voire le cannabis », entraîne plus de complications que les drogues illicites…

Pour beaucoup, telle Andromède, le simple fait de regarder de la drogue pétrifie et rend immédiatement accro, même les plus vertueux. Mais tout ce qui touche les plus jeunes fait toujours plus peur. Quelques grammes de shit sont vendus dans un collège ? Il faut mettre en place des tests urinaires, systématiser les fouilles à l’entrée, mettre des détecteurs à shit, envoyer l’armée et les chiens renifleurs. Branle-bas de combat. En plus, les plus jeunes ne font rien comme les adultes. Ils ne se bourrent pas la gueule, ils « binge drink ». Ils ne vont pas en discothèque, ils font des free parties et des teknivals. Ils ne partouzent pas, ils font des « tournantes » et autres « gang bangs ». Bref, ils font tout de travers ces cons-là.

RdR ou médico-psycho-pathologisation

Donc on fait de la prévention, très bien. Mais comment ? L’approche de la RdR s’étend de la prévention jusqu’au soin : « le mieux, c’est de ne pas consommer. Si tu consommes, protège ta santé en réduisant les risques. Et si tu souhaites arrêter, il existe des prises en charge ». Cette approche nécessite que le discours de prévention soit basé sur une information objective et réaliste, à savoir les effets négatifs, mais aussi les effets positifs car le vrai problème de la drogue, c’est que c’est bon. Pouvoir aussi expliquer que l’usage de drogues n’est pas qu’une question de produit mais la rencontre de plusieurs facteurs (personne, produit(s), contexte). Et, si besoin, pouvoir aborder des conseils pour réduire les risques, maîtriser, diminuer, voire même stopper, une consommation, selon les demandes exprimées. Ce discours est-il en phase avec la demande institutionnelle et avec les professionnels des structures travaillant auprès des jeunes ?

Le cadre institutionnel de la prévention des addictions chez les jeunes est fixé par le plan 2013-2017 de la Mildt (Mildeca de nos jours, lire notre article Le « A » de MILD&CA), qui définit les grandes lignes directrices de la lutte contre la drogue et les conduites addictives. C’est ce document qui régit les axes de travail concernant les addictions, tant sur le volet sanitaire que répressif. La première partie concerne le volet sanitaire et social et s’intitule « Prévenir, prendre en charge et réduire les risques ». Des recommandations spécifiques à destination d’un public jeune sont saupoudrées tout au long de cette partie. Jusque-là, tout va bien.

Il y est précisé qu’afin « d’éviter l’entrée en consommation ou de retarder au maximum l’âge d’initiation, les adolescents doivent être les principaux bénéficiaires des actions de prévention »2. De même, le Guide pratique de la protection de l’enfance précise que « la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance fait de la prévention un axe majeur de la protection de l’enfance. Elle vise à prévenir le plus en amont possible les risques de mise en danger de l’enfant en évitant qu’ils ne surviennent ou en limitant leurs effets »3. Idem dans le rapport de l’Inserm, qui recommande de « prévenir les initiations ou en retarder l’âge » et d’« éviter les usages réguliers »4. A priori, rien de fondamentalement contradictoire avec un discours de prévention RdR, même si « éviter l’entrée en consommation » et prévenir « les risques de mise en danger de l’enfant en évitant qu’ils ne surviennent » n’implique pas les mêmes discours ni actions que « prévenir les risques de mise en danger […] en limitant leurs effets ». Un des principes de la RdR est de pouvoir faire du « sur mesure » en s’adaptant à la personne, en l’occurrence à un groupe. Cela nécessite de pouvoir s’adresser à des groupes homogènes (usagers, non-usagers, etc.), ce qui est illusoire d’un point de vue pratique et discutable d’un point de vue pédagogique, mais c’est un autre débat.

De même, la dernière recommandation de l’Inserm pose question : « Repérer au plus tôt les usages précoces et réguliers et promouvoir une prise en charge adaptée pour éviter les dommages sanitaires et sociaux » renvoie au risque d’hyper médico-psycho-pathologisation de ces actions de prévention.

Si t’en prends, ben, t’arrêtes !

Structures réticentes

Concernant les structures travaillant auprès d’un public jeune, c’est un peu plus compliqué. Elles représentent une palette extrêmement large (Éducation nationale, clubs de prévention spécialisée, foyers, Aide sociale à l’enfance, missions locales, PJJ, etc.), avec des objectifs et des missions spécifiques. La plupart reconnaissent, à juste titre, ne pas avoir les compétences nécessaires sur la problématique des addictions et délèguent la prévention à des structures spécialisées, qui vont de l’association antidrogue moralisatrice aux consultations jeunes consommateurs, en passant par la brigade de prévention de la délinquance juvénile de la gendarmerie. Un tel décalage dans la palette d’intervenants s’explique de plusieurs manières. Déjà, tout le monde n’a pas géographiquement une offre de structures de prévention suffisante, donc on fait avec l’existant. Mais aussi parce qu’un certain nombre de dirigeants et de professionnels au sein de ces structures n’adhèrent absolument pas au discours de prévention RdR car leur mission est de protéger les jeunes. Donc la drogue, c’est mal, et si t’en prends, ben t’arrêtes, point ! Et il en existe encore beaucoup qui préfèrent s’en tenir au slogan reaganien du « Just Say No » ou « la drogue, c’est de la merde ». Certains ne se préoccupent d’ailleurs pas des jeunes, mais uniquement de la réputation de leur établissement, comme un patron de club. Faire de la prévention, c’est reconnaître que de la drogue circule. Donc l’intervention privilégiée est celle de la gendarmerie pour signifier que la drogue ne passera pas les portes de cette citadelle éducative. Puis, il y a aussi ceux qui comprennent bien qu’il faut dépasser cette posture mais que ce n’est pas aussi simple. Dans la vraie vie – enfants, adolescents, jeunes adultes, adultes, vieux –, ça n’existe pas. Juridiquement, il n’existe que mineurs et majeurs, point ! Et ça fait une grande différence. Ce qui concerne les mineurs engage la responsabilité pénale des détenteurs de l’autorité parentale. Et comme beaucoup de parents ne veulent pas qu’on dise à leurs enfants qu’il y a des effets positifs avec les drogues, bon nombre de dirigeants de structures, même de bonne volonté, sont réticents à mettre en place des actions de prévention objectives, par peur des retombées hiérarchiques, tutélaires, voire judiciaires en cas de plainte de parents.

Inclure les parents

Tout ceci représente une vue d’ensemble succincte de la complexité des actions de prévention auprès des jeunes. Dans son plan, la Mildeca souhaite renforcer l’impact des programmes de prévention en encourageant « leur inscription dans les projets d’établissements scolaires, d’enseignement supérieur, de centres de formation d’apprentis, de centres de loisirs, d’associations sportives ainsi que dans la formation des jeunes salariés, dans les dispositifs de cohésion sociale et dans la formation des personnels d’éducation, de santé et sociaux »5. Mais au-delà, se pose la question de la formation à la RdR des équipes intervenant auprès des jeunes. Il faut pour cela que ces équipes soient prêtes à passer outre leurs représentations sur la drogue, qui sont conformes à celles de l’opinion publique. Pour ces mêmes raisons, la prévention doit inclure les parents, car elle ne devrait pas être que du ressort des professionnels mais aussi et d’abord des parents. Mais cela nécessite un meilleur maillage géographique, beaucoup de temps et de moyens humains de la part des structures médicosociales spécialisées, consultations jeunes consommateurs en tête. Ce qui n’est pas le cas. Renforcer la coopération, les partenariats et la mixité pluridisciplinaire des équipes se heurte aux mêmes problèmes. D’ailleurs, pour conclure ses recommandations, le rapport de l’Inserm précise bien que « pour atteindre ces objectifs, il est nécessaire d’assurer une coordination nationale et régionale des actions ainsi qu’un soutien financier pérenne ».

Si les intervenants en RdR sont désormais protégés par le code de Santé publique et le Référentiel national encadrant les actions de réduction des risques, qu’en est-il des professionnels exerçant dans un autre cadre, et particulièrement de ceux qui travaillent avec des mineurs ? De plus en plus de professionnels de première ligne avec des mineurs identifiés comme consommateurs renoncent à organiser des séjours avec des jeunes mineurs, par crainte d’une infraction de l’un d’entre eux lors d’un contrôle des forces de l’ordre pour une boulette traînant dans une poche histoire d’assurer la conso durant le séjour. Donc, pour toutes ces raisons, les actions de prévention (soi-disant) « dissuasives » sont privilégiées par conviction, par manque de moyens ou par prudence. Au final, quelle RdR pour les jeunes, notamment mineurs ? Aux adultes, notamment ceux qui ont le pouvoir de décision, de prendre leurs responsabilités !


Notes :

1/ INSERM, Conduites addictives chez les adolescents. Usages, prévention et accompagnement. Principaux constats et recommandations. Pôle Expertise Collective ITMO Santé publique – Aviesan. Février 2014. P.37.
2/ MILDT. Plan gouvernemental de lutte contre la drogue et les conduites addictives 2013-2017. P.17.
3/ Guide pratique de la protection de l’enfance. Prévention en faveur de l’enfant et de l’adolescent. P.2.
4/ INSERM, Conduites addictives chez les adolescents. Usages, prévention et accompagnement. Principaux constats et recommandations. Pôle Expertise Collective ITMO Santé publique – Aviesan. Février 2014. P.38.
5/ MILDT. Plan gouvernemental de lutte contre la drogue et les conduites addictives 2013-2017. P.20.

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