Nice people…

La bannière étoilée, le shérif planétaire inventeur de la guerre à la drogue, offre de consommer du cannabis dans un cadre thérapeutique dans vingt États et légalise la fumette dans six autres. Plus au Sud, c’est la totalité des pays d’Amérique latine qui ont peu ou prou abandonné la répression de l’usage au profit de politiques allant de la simple dépénalisation à la régulation publique du marché, comme en Uruguay. Enfin, pour boucler ce tour d’Amérique, c’est au Canada, sous la houlette de son charismatique Premier ministre, Justin Trudeau, de proposer du « pot » légal aux autochtones d’ici la fin 2016.

En Europe aussi, même si on se donne beaucoup de mal pour ne pas en avoir l’air, les rats quittent le navire du prohibitionnisme dur. Après les Pays-Bas, l’Espagne, la Tchéquie et le Portugal, c’est l’Autriche qui rejoint le club des pays ayant dépénalisé le cannabis, sans doute suivie par l’Italie et l’Irlande en 2016 si l’on s’en tient aux déclarations de leurs gouvernants. Ajoutons que l’Allemagne et la Croatie ont remplacé les sanctions juridiques par des amendes, et que la Suisse reste le champion du monde incontesté du nombre de programmes d’héroïne médicalisée. Sans rompre formellement avec la guerre à la drogue, la majorité des pays européens semble se rapprocher singulièrement de la demande d’armistice.

Si ce parfum de réforme imprègne les discussions préparatoires de la prochaine session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies (lire Rien ne va plus à Kuala Lumpur !), la France, elle, reste de marbre. Toute remise en cause de l’interdit légal est frappée de nullité au nom de la sacro-sainte protection de la jeunesse, tout orateur responsable commence par une profession de foi : les drogues sont un fléau qu’il convient de combattre pour protéger la santé des jeunes. Étrangement, le caractère éminemment moral de ce préalable obligatoire n’est jamais souligné, et l’idée qu’il pourrait exister une demande légitime et rationnelle de stupéfiants est tout simplement inconcevable. Or la consommation exponentielle telle qu’elle se manifeste depuis quarante ans ne se résume ni à l’attrait des plaisirs défendus, ni à une vulnérabilité sociale ou psychique. Il existe une demande rationnelle de drogues, volontaire, raisonnée, une demande qui plébiscite les consommations modérées à risques réduits. Cette demande rationnelle de stupéfiants est sans doute l’acteur central du débat. Un acteur, souvent issu des classes moyennes, qui a de plus en plus d’exigences en matière de sécurité des échanges, de rentabilité de ses investissements, et même de respectabilité sociale. C’est précisément cet ectoplasme qui justifie le changement de la politique américaine. De l’autre côté de l’Atlantique, il se fait entendre en espèces sonnantes et trébuchantes lorsqu’il est contribuable au Colorado mais aussi comme électeur excédé par la violence des barrios. Hélas, le diktat moral qui pèse sur le débat français empêche encore pour de longues années tout partisan du changement de s’allier publiquement avec cette ombre toujours présentée masquée dans les médias.. Il lui faut encore et toujours tenter le pari impossible d’expliquer que si l’on veut rendre les drogues plus accessibles, c’est pour mieux les combattre…. Et l’on s’étonne de ne pas réussir à convaincre. Le camp des réformateurs doit accepter enfin de mettre bas les masques : moins d’« evidence based » et plus de « nice people takes drugs », un slogan qui, vu sous un certain angle, est aussi une évidence.

Drogués, sortez à découvert !

L’autre jour, je croise deux pêcheurs au bord d’un lac. L’un amorce la ligne, l’autre roule un joint. Je regarde mieux, pas de signes extérieurs d’exotisme ni de branchitude…Un kil de rosé dépasse de la musette, l’œil est placide… Ces deux-là sont de vrais pêcheurs, deux pépères à moustache bien de chez nous, simplement le pétard a remplacé la pipe. D’aucuns pourraient croire que la drogue est devenue un non-objet, un élément de décor habituel de notre société addictogène selon la formule consacrée.

« Je ne sais pas quel lien il y a entre le vin et l’alcoolisme. J’ignore s’il existe… »
Philippe Meyer, France Culture, L’esprit public, Dimanche 05 juillet 2015, 11h 45

Il y a un an, Libération titrait « droguez vous avec modération ! ». Michel Henry pointait l’avènement du cannabis comme drogue de masse et la montée en gamme des nouveaux produits de synthèse sur le web. A l’époque nous répondions « Droguez-vous avec… libération » pour insister sur le caractère libératoire de cette parole d’un grand quotidien de gauche longtemps partagé entre la dénégation en mode «honteuses » et la dénonciation de l’opium du peuple.

« Le darknet, c’est « génial » » nous dit Olivier Peron, journaliste à Humanoïde. Plus sûrs que dans la rue, moins chers et de meilleure qualité, les produits vendus en trois clics sont en passe de renvoyer les dealers au rayon des accessoires vintage. Parce qu’avec Internet, l’absurdité de la prohibition éclate au grand jour, nous dit Pierre Chappard. Le classement d’une molécule comme stupéfiant n’empêche pas sa diffusion et participe quelques fois de sa promotion.

Mais si la vente de drogues sur le Net réduit considérablement le risque policier, il est bon de rappeler que, selon que vous êtes puissant ou misérable, l’usage, l’achat ou la vente d’une substance prohibée n’ont pas les mêmes conséquences sur votre vie. La couleur de votre peau peut devenir un signal qui attire le regard policier, comme nous le racontent les nombreux témoignages du site GDGR. C’est aussi la société addict aux gênes !

Au-delà du risque sanitaire, le risque pénal est celui que la foule des « usagers cachés » craint par-dessus tout. La fouille humiliante, la garde à vue suivie de l’inénarrable « stage de sensibilisation aux dangers de l’utilisation de produits stupéfiants » où des psychonautes de 50 berges, vétérans de toutes les ivresses, se retrouvent à devoir ânonner des « je ne recommencerai plus » devant un addictologue boutonneux.

En 2013, 163 000 personnes ont été interpellées pour ILS (Infraction à la législation sur les stupéfiants). Parmi elles, certains sont des travailleurs sociaux exerçant en Caarrud ou en Csapa. Or, malgré tous nos beaux discours sur la réduction des risques, le cadre réglementaire de ces professions double la sanction pénale d’une sanction professionnelle en cas de délit lié à l’usage de stupéfiants (lire Les usagers-salariés du médicosocial).

Voilà clairement posées les limites de cette banalisation de l’usage de drogues dont on nous rebat les oreilles. Banales, les drogues le sont au quotidien, mais les consommateurs, gibiers de prétoire potentiels, demeurent les contestataires d’un ordre qui reste moral sous des discours sanitaires lénifiants.

Alors sortons du bois, marchons à découvert, éducateurs, journalistes, pêcheurs à la ligne, faisons l’Addicto Pride, fondons les « Narcotiques unanimes » pour redonner un sens commun à cette consommation de stupéfiants dont on veut nous faire croire et nous faire dire qu’elle est insensée.

 

Après Charlie, d’un pharmakon à l’autre

Nous sommes donc entrés dans l’ère post-Charlie. Une de ces périodes historiques en forme de césures où l’on se surprend à penser à l’avant et à l’après. Après Charlie, plus rien ne sera comme avant. Chacun se rappelle ce moment crucial du 7 janvier : À qui a-t-on parlé ? Où étions-nous ? Le 11 septembre français a éclipsé des événements majeurs comme les aventures littéraires de Valérie Trierweiler ou le périple carcéral de Nabila. L’espace d’un court instant, nous voilà tous obligés de réfléchir à nos vies, nos métiers, et forcément ici, à la rédaction d’Asud, la question est venue d’elle-même : Et la drogue dans tout ça ?

La réponse, c’est le pharmakon, ce mot grec signifie à la fois le remède, le poison et la victime expiatoire, le bouc émissaire que l’on sacrifie… On comprend aisément pourquoi ce mot fascine les spécialistes des addictions. Il désigne à lui seul les faces multiples du monstre connu sous le nom de « drogue ». Poison pour les uns, remède pour d’autres, mais surtout bouc émissaire, prétexte idéal, casus belli de rêve. Le pharmakon, c’est une entrée permanente pour les chars en Pologne, un attentat quotidien de Sarajevo. Grâce à lui, les hommes riches et puissants de nos vieilles démocraties d’Occident peuvent dormir tranquilles, il sera toujours là pour être brandi si nécessaire. Depuis 1970, le pharmakon nous aide à maintenir l’ennemi sous pression, à savoir les jeunes, les minorités d’origine africaine, les pauvres, et de préférence, ceux qui sont tout cela à la fois.

Le pharmakon, donc. Il y a quelques années, nous avions déjà évoqué ce lien entre l’usage de substances psychoactives et le recul de la religion. Nous avions suggéré de considérer la place occupée dans nos sociétés matérialistes et athées par le nouveau clergé en blouse blanche qui détient le pouvoir magique de prescription. Nous avions écrit sur les « chimiocrates », ceux, addictologues ou addicts tout court, qui croient au pouvoir des petites pilules pour changer la vie. À l’époque, les fous de Dieu commençaient à faire la Une des journaux, mais les quartiers dits « sensibles », peuplés de descendants d’immigrés, étaient depuis longtemps engagés dans une sinistre dialectique entre le dealer d’un côté et l’imam de l’autre, la République ayant déclaré forfait.

Le temps a passé, creusant toujours le même sillon… Pharmakon : poison, remède et bouc émissaire. Aujourd’hui, c’est l’islam qui colle point par point à ces trois définitions. Attention, un pharmakon peut en cacher un autre…

edito-asud-56 Djihadistes anonymes

Enfants contre les drogues, tout contre !

Un nouvel Asud Journal, c’est comme tester un nouveau produit. La promesse du plaisir se mêle à la crainte d’être déçu. Alors pour augmenter la dose, un petit extra cette fois : une nouvelle maquette. Là aussi, l’excitation se joint à l’appréhension du jugement. N’hésitez pas à réagir. Sur le fond, point de changement. Vous retrouverez les rubriques et chroniques habituelles.

En effet, le navire Asud maintient son cap éditorial grâce à un puissant vent réformiste sud-américain et ce, malgré le roulis des financements et les récifs de nos détracteurs.

Dans ces pages, nous accostons une Terra Incognita que les cartographies convenues représentent peuplée de dealers aux sorties d’écoles, de dépendances instantanées, de déchéances sociales programmées… C’est ainsi que l’on raconte La Drogue aux enfants. La plupart de ceux qui n’en prendront jamais croiront toute leur vie à cet enfer.

En opposition, s’est développée une autre croyance, celle des paradis artificiels, inoffensifs et bénéfiques à tous. Un prosélytisme souvent porté par ceux qui en ont pris et qui n’ont pas rencontré les monstres dont ont leur a parlé enfant. Leur aurait-on menti sur toutes les lignes ?

Détourner en couverture l’imagerie Disney et sa morale manichéenne est un poncif qui marche. L’artiste José Rodolfo Loaiza Ontiveros l’utilise comme baromètre de l’ouverture d’esprit de notre société, de sa capacité à regarder la réalité en face.

Oui, nos enfants vivent entourés de produits psychoactifs légaux ou illégaux. Dressons-leur une carte précise de ce continent afin qu’eux et leurs parents puissent choisir (ou pas) un rivage duquel ils pourront repartir à tout moment avec facilité. Mais pour cela, il faudra d’abord tuer le seul vrai monstre qu’ils y croiseront à coup sûr : la Prohibition.

Vive la drogue, nom de Dieu !

Oui c’est vrai, on aime ça. C’est du reste un peu pour cette raison qu’on en a pris, qu’on en prend et qu’on en prendra. Oui, nous sommes des fétichistes du matin glauque où la paupière est lourde et la langue chargée des turpitudes de la veille. Oui, nous appartenons à cette race de chacals (que soit mille fois maudit le jour où leur mère les a conçus) qui voient la modification de conscience comme un continent inexploré, un dieu primitif aux exigences bornées et au pouvoir thaumaturge. Voilà, c’est dit. C’est bon de soulager sa conscience.

Maintenant, s’agit-il vraiment d’un scoop ? Depuis sa créa­tion, Asud est le journal des gens qui en prennent. Notre slogan des années 2000, « le journal des drogués heureux », est une provocation au 180e degré, pas une profession de foi. En fait, comme tous les acteurs de la réduction des risques, nous nous cachons derrière notre petit doigt sanitaire. On nous accuse d’être prosélytes, on répond « sida » et on murmure « hépatite ». Mais ça, c’était avant.

C’était avant que la substitution, le matériel stérile, les conseils pour shooter à moindres risques, bref la politique défendue depuis le premier jour dans ce journal, ne permettent de sortir les drogués des statistiques du sida. Pourtant, si l’on se réfère aux attendus de la loi de 2004 qui légalise la réduction des risques, la menace virale reste la justification officielle. Un changement de cap qui autorise par exemple les usagers à venir piquer du zen dans un Caarud.

Alors, c’est quoi le sujet ? Le sujet, c’est l’ivresse posée comme un problème et non comme la solution qu’elle est de fait pour la plupart d’entre nous. Et là, on diverge. Et gravement. Autant il est vain d’être pour ou contre la drogue (on n’est pas pour ou contre les chaussons ou la saucisse), autant l’ivresse présentée comme une valeur qui honore la condition humaine est une cause qui mérite d’être défendue. Sommes-nous prêts à mou­rir pour cette cause ? Non, justement pas. Nous pensons au contraire que l’ivresse est une valeur de vie, pas de mort. Ne balayez pas cet argument, nous disons tout haut ce que beau­coup de gens pensent tout bas (et vive la marine !). L’ivresse est un état recherché depuis toujours pour explorer les chemins les plus chaotiques de l’existence et nous défendons TOUTES LES IVRESSES, les grandes, les petites, les vulgaires, les raco­leuses, les licites, les illicites, toutes. L’ivresse est un état qui honore l’être humain, une révolte contre la fatalité. L’ivresse est à l’origine de milliers de bonnes actions, de gestes d’ami­tié, de partages, de mots d’amour, de rires surtout. Supprimez l’ivresse, ne serait-ce qu’un instant, vous entendrez un silence étrange, celui qui sert dans l’expression « silence de mort ». Oui, je sais que ce n’est pas bien d’écrire des choses pareilles. Nous sommes l’association des gens qui en prennent, mais nous n’avons pas le droit de dire qu’en prendre, la plupart du temps, ça nous fait rire.

Pochtrons et fumeurs de pet’, même combat !

Pour ceux que les drogues intéressent, les campagnes françaises sont une source permanente d’émerveillement. La visite de l’estaminet d’une bourgade du Cantal ou du Morvan me plonge régulièrement dans l’incrédulité. J’y revois, solidement agrippées au comptoir, les mêmes figures d’homme de la terre bien de chez nous, le nez bourgeonnant, la panse conquérante, la casquette vissée sur un crâne rubicond, été comme hiver vêtu d’un bleu de travail. Tout juste s’il n’arbore pas, collée à la lèvre depuis le petit matin, la fameuse Gitane maïs ou le mégot de petit gris roulé entre deux doigts noueux. Ces figures sont celles de mon enfance, rien n’a bougé en un demi-siècle. Cette bulle spatio-temporelle opère également dans un autre registre : les discours sur le cannabis.

Depuis trente ou quarante ans, nous sommes abreuvés de productions télévisuelles à vocation pédagogique invitant les parents à s’alarmer des progrès d’une drogue particulièrement nocive : le cannabis sativa. France 2 et M6 nous ont dernièrement gratifiés d’une salve d’émissions égrenant tous les poncifs entendus depuis deux générations sur les dangers de Marie-Jeanne. Et de nous remettre le couvert sur l’explosion de la consommation chez les adolescents, les ravages de la drogue sur la mémoire, le fameux “cannabis beaucoup plus dosé aujourd’hui qu’il y a dix ans”. Ça, je l’ai entendu pour la première fois en 1998 à propos de la skunk, l’OGM cannabique hollandais. Il y a dix ans, l’herbe était donc déjà plus dosée que celle fumée dix ans auparavant mais 10 fois moins que celle d’aujourd’hui ce qui nous fait… voyons… une herbe 100 fois plus dosée aujourd’hui qu’il y a vingt ans. Et moi qui croyais être nul en math. Aujourd’hui comme hier, je redis que les colombienne pressée, double-zéro et autre libanais rouge des années 70 n’ont à ma connaissance jamais été mesurés en taux de THC et pour cause, il eut pour cela fallu que les commentateurs s’adressent à de vrais amateurs de cannabis pouvant nous faire partager une véritable sociologie de l’herbe en France depuis un demi-siècle. Laisser ce travail à des pharmacologues ou des policiers revient à demander à l’église catholique de fournir une exégèse du libertinage au XVIIIe siècle.

Cela nous conduit naturellement à une autre imposture qui sert de colonne vertébrale à la pensée dominante  en matière de politique de drogues, celle qui s’impose progressivement comme une science donc une vérité. L’un des poisons qui gangrènent le monde occidental depuis l’ère industrielle : la technocratie. Si les blouses blanches monopolisent aujourd’hui la communication sur les drogues (loin tout de même derrière la police et la justice), c’est au nom de cette vielle idée que la politique ne sert à rien, que c’est du blabla pour le gogo électeur. Ce qui compte, c’est le savoir scientifique, la vérité des chiffres et en l’occurrence, celle des molécules. Au nom de cette espérance, de brillants cerveaux ont tourné le dos à la démocratie en s’appuyant sur l’idée suivante : la vérité scientifique n’a que faire du vote des électeurs. Cette religion des experts est particulièrement opératoire en matière de drogues, justement car c’est un univers tenu à l’écart de toute influence démocratique. Nous l’avons souvent écrit dans ces colonnes : les usagers sont bringuebalés des griffes du dealer aux affres du système judiciaire. Hélas, l’irruption du pouvoir médical dans ce jeu de dupes n’apporte pas de réel soulagement, dès lors qu’il s’inscrit comme un troisième pouvoir totalitaire, qui dénie tout comme les deux autres toute légitimité au malade drogué.

Nos pochtrons de village n’ont qu’à bien se tenir. Ils peuvent encore clamer leur innocence grâce à un lobby vinicole particulièrement puissant à l’assemblée, mais pour combien de temps ? Le moment approche où il va falloir présenter un front uni : pochtrons et fumeurs de pet’, même combat. Échapper à la fois au flic, au dealer et au docteur est un challenge particulièrement ardu pour le consommateur de substances psychoactives du XXIe siècle.

Halte au fou… Halte au feu

«Halte au fou !» Ah la belle locution interjective. Conviviale, empathique, tout ce qu’on aime dans la France. C’est aussi la conclusion d’une énième tribune consacrée au journal d’Asud. L’objet du délit : notre cinquantième édition et ses 50 produits testés pour vous. Dans la foulée de Valeurs Actuelles, notre meilleur ennemi, une armée de plumitifs plus ou moins réacs se sont lancés dans un Asud‑bashing échevelé, sur fond de vociférations anti-mariage pour tous. Halte au fou donc… C’est entendu.

En l’occurrence, et au‑delà du n° 50, les récriminants en veulent à notre pognon. Le crime des crimes, le plus impardonnable des forfaits commis par Asud, c’est la thune ! Le flouze, la maille, le brouzouf… Ce qui est blasphématoire dans Asud, ce n’est pas la seringue qui sert de logo (n°3), ni les conseils pour shooter propre (n°1), ni la recette pour faire du rach (n°21), ni les conseils de petit jardinier pour récolter un bon cannabis thérapeutique (n°22), ni les mille et un papiers qui parlent du plaisir des drogues, du kif, du panard, enfin de ce qui motive la plupart des gens qui « en » prennent. Non ! Ce qui décidément ne passe pas, c’est l’argent. L’argent de « nos » impôts – sous‑entendu les fous n’en payent pas. Quand « ces gens‑là » ont de l’argent, c’est toujours suspect. Vol, escroquerie, mendicité, à la rigueur, mais une subvention de l’État ? Halte aux fous.

Passé un certain seuil de brutalité, la bête, même la plus habituée aux coups, se cabre. Quitte à agoniser, on tente un hennissement (oui, décidément à Asud, on préfère le cheval), non pour attendre le boucher, mais pour au moins laisser une trace sonore à une époque où les traces se comptabilisent sur des sites et avec elles, l’amplitude du cri.

Asud, l’association des drogués est une création de l’État français. Même dans leurs cauchemars les plus hallucinés, nos camarades arrêteurs de fous ne peuvent le concevoir. Tout cet argent qui se déverse par wagon sur l’association des drogués n’aurait jamais été dilapidé si un jour un fonctionnaire – forcément « petit » et forcément « de gauche » – n’avait jugé bon de signer le document fatal : 10 000 francs pour Asud, 10 000 francs pour fabriquer le premier journal fait par des drogués, pour des drogués, qui ne parle que de drogues. Et après on s’étonne…

Alors finissons‑en, bas les masques. Oui, nous sommes ces fous, ces êtres étranges venus d’une autre planète qui utilisent des substances psychotropes pour mille et une raisons et notamment parce qu’ils se sentent plutôt mieux après qu’avant. Ces dangereux criminels qui ont fondé une association pour ne plus mourir du sida. C’était il y a vingt ans. Depuis, la science a progressé et ce qui était lubie de maniaques de la dope est partiellement devenu politique publique d’État. Mieux encore en matière de traitement de substitution – des opiacés délivrés gratuitement avec l’argent de nos impôts – où la France est un leader mondial. Oups ! Fallait pas le dire. Dommage, car nous marchons dans le sens de l’histoire. Kofi Annan, ancien secrétaire général de l’Onu, Mario Vargas Llosa, prix Nobel de littérature, et une vingtaine de pointures internationales l’affirment dans un rapport salué par le monde entier.

Un dernier mot, relisez Montesquieu. « Comment peut-on être persan ? », demandaient ses Lettres persanes qui restent l’un des plus beaux manifestes antiracistes offerts par les Lumières. Oui, comment peut‑on être pédé, toxicomane, travailleur(euse) du sexe, Noir, Blanc, Jaune ? Prenons cette locution au premier degré : comment peut‑on être un drogué ? Asud vous propose (presque) gratuitement une méthodologie à chaque nouvelle parution. Et on a bien l’intention de continuer.

Pour le pouvoir d’usage

Le sénateur Jean-Vincent Placé a récemment plaidé pour la sortie d’une économie basée sur l’acquisition de biens matériels pour passer à une notion d’usage1. On comprend l’idée, c’est le principe du Vélib généralisé à tous les services. On ne possède plus, on troque, on use, on donne, on partage. Plutôt que l’appropriation des moyens de production, un slogan légèrement teinté rouge sang, on fait une révolution douce dont l’objectif est de désacraliser la propriété et les objets de consommation.

Le sénateur Jean-Vincent Placé a récemment plaidé pour la sortie d’une économie basée sur l’acquisition de biens matériels pour passer à une notion d’usage(1). On comprend l’idée, c’est le principe du Vélib généralisé à tous les services. On ne possède plus, on troque, on use, on donne, on partage. Plutôt que l’appropriation des moyens de production, un slogan légèrement teinté rouge sang, on fait une révolution douce dont l’objectif est de désacraliser la propriété et les objets de consommation.

Quel rapport avec les drogues ? Cette utopie écolo est au cœur de la réflexion sur les « impasses » désignées par Anne Coppel et Olivier Doubre. Que l’on soit un dealer de shit marseillais ou un douanier chti, l’obsession, l’horizon indépassable du débat reste l’objet « drogue » dans son acception la plus matérielle. Et chacun de brandir des records, en tonnes saisies d’un côté, en argent blanchi de l’autre. Le bouchon conceptuel qui n’a jamais sauté, c’est celui du « fléau de la drogue », une expression qui en dit long. Nous l’avons souvent écrit, la prohibition est le boulevard des partisans d’un « laisser-faire » poussé jusqu’à la sauvagerie. Pour paraphraser Clauzewitz, le grand banditisme, c’est faire du commerce par d’autres moyens, la finalité restant la conquête de marchés qui saturent nos medias de faits divers… en rafales.

Le dossier du dopage est un autre exemple de l’imprégnation ultracapitaliste du discours ambiant dès que le mot drogues est prononcé. Sportifs, commentateurs, médecins plus ou moins véreux, tout le monde salive autour du cocktail miracle, celui qui fera gagner n’importe qui, n’importe quand, l’hystérie antidopage n’étant pas en reste dans ce culte rendu aux substances monnayables.

« Le service, l’usage, l’humain sont les mots clés de l’économie de demain », nous dit Jean-Vincent Placé. On croirait un slogan conçu spécialement pour promouvoir les Cannabis social clubs (2) ou les salles de consommation à moindres risques. Car tout est là. Les Cannabis clubs esquissent une solution qui rejoint le concept fondateur d’Asud : rendre toute sa place à l’usage, au service et à l’humain, plutôt que communier sur les ravages (ou les mérites) d’un marqueur chimique baptisé THC. Au fond, le consommateur de drogues est le seul à pouvoir évaluer le véritable prix des substances. Il sait la place de la magie d’un instant volé, la puissance incontrôlable des affects, les pièges douloureux de la mémoire qui restitue ses angoisses sans carton d’invitation. Voilà un indicateur autrement pertinent que celui du marché. Après tout, qui voudrait payer pour un bad trip ou une overdose ? Mais, prisonniers du dogme de la substance tyrannique, tous les acteurs acquiescent au « pour » ou « contre » la drogue. Pour ou contre le cannabis, pour ou contre les salles de consommation. Attention à la sémantique ! Le pouvoir de l’usage est un exercice de citoyenneté qui suppose de remettre les substances à leur place de choses inertes et sans valeur, en dehors du circuit de la cupidité et de la convoitise. Substance Mort, écrivait Philip K. Dick, un connaisseur.

1. Jean-Vincent Placé, « Pour le pouvoir d’usage », Libération du 22 novembre 2012

2. Pour en savoir plus sur la régulation, voir également l’article de Laurent Appel et Jean-Pierre Galland sur Rue89 http://tinyurl.com/bjqxrrf

Asud, le journal qui s’amuse à réfléchir

Amies lectrices, amis lecteurs, Asudiennes, Asudiens, ivrognes invétérés, communistes, jet-setteuses, intermittents du spectacle, femmes de mauvaise vie, pigistes de Valeurs Actuelles, bref vousqui savez qu’en France, les drogués ont un journal, nous vous saluons. Ceci est notre cinquantième numéro.

La petite bande de tox réunie un soir d’hiver 19922n’était pas censée durer et encore moins perdurer. Décimés par le sida, surveillés par la police, dégagés en touche par les gens sérieux – « c’est quoi ce Journal des drogués heureux ? » –, notre survie économique, sociale et politique tient du miracle, une formule magique en trois lettres dont le sens reste obscur au plus grand nombre : RdR, la politique de réduction des risques liés à l’usage de drogue. Aujourd’hui, tous les acteurs du soin la revendiquent. Appelée « réduction des dommages » par certains, camouflée en prévention secondaire par le lexique médicosocial (cf) cette politique – car il s’agit d’une politique – n’est plus contestée par personne. Et pourtant, la distorsion qui continue d’exister entre son principe fondamental et la législation pénale constitue probablement la meilleure des raisons pour continuer à nous battre.

Prenons un exemple concret : pour ce cinquantième numéro, nous avons choisi de tester et de vous présenter cinquante produits licites ou illicites. Ce choix éditorial pose avec limpidité tous les termes d’un débat qui sépare notre définition de la réduction des risques de sa dénomination officielle, définie par la loi de 2004. Notre réduction des risques flirte dangereusement avec les limites posées par l’article L 3421-4 du code de la santé publique, qui punit la provocation à l’usage, et pour cette raison, nous avons besoin de l’aide de nos plus proches alliés : les professionnels de l’addictologie.

Usages, abus et dépendances. Le célèbre triptyque du professeur Parquet, rendu public dans un rapport cosigné par Michel Reynaud3, résume à la fois les enjeux et les limites de ce « pacte addictologique » passé entre l’État et le système de soin. Cela ne va pas faire plaisir à tout le monde, mais Michel Reynaud n’est pas loin de représenter l’équivalent contemporain de ce que fut le Dr Olievenstein dans les années 70 (tiens, le temps se gâte du côté de Toulouse4). Olive était le pape de la toxicomanie, Michel Reynaud est un peu le pape de l’addictologie. Mais à l’heure des coupes sombres, il lui faut partager cette papitude avec une constellation de papounets et d’antipapes qui n’existaient pas, ou moins, aux temps bénis de l’invention du toxicomane. À ce détail près : le positionnement des deux figures est incroyablement symétrique.

asudjournal50p3Leur doctrine est fondée sur un triptyque simple, intelligent, dont la fonction est essentiellement diplomatique. Pour Olive, c’était la rencontre « d’un produit, d’un individu, et d’une histoire », pour Michel Reynaud, c’est le déjà cité « usages, abus et dépendances ». Tous deux contournent habilement le cœur du problème posé par « la drogue », laissant ainsi toute latitude à la police et aux douanes, les vrais spécialistes, de continuer à exercer leur art sans souci éthique superflu. Aujourd’hui comme hier, le pôle répressif se moque comme d’une guigne des spéculations intellectuelles des mandarins de l’addictologie. Ils se contentent d’un syllogisme mis en vogue par notre dernier Drug Czar : la drogue c’est dangereux, d’ailleurs c’est interdit. Enfin, et ce n’est pas le moindre des paradoxes à quarante années de distance, nos deux figures pontificales finissent par souffler une petite brise discordante vis-à-vis du pouvoir. Rappelons que le Dr Olievenstien a tenté tardivement de revenir sur l’interdiction de vente des seringues, sans grand succès il est vrai. De son côté, le Pr Reynaud prêche de plus en plus ouvertement pour une réforme de cette bonne vielle loi de 70 mise en musique avec l’aval de son prédécesseur5.

Cette petite brise est-elle destinée à devenir tempête ? Les cinquante produits testés et présentés par Asud dans ce journal franchissent délibérément les limites instituées par le « pacte addictologique ». Comme hier le « soin aux toxicomanes », le pacte addictologique, c’est un peu la trahison des clercs. Aujourd’hui comme hier, nous autres consommateurs de drogues avons besoin du soutien de ces personnalités qui nous soignent, nous accueillent et la plupart du temps, veulent notre bien (coup de tonnerre du côté de Marseille cette fois6).
Mais à la toute fin, ils nous trahissent. En 1970, le slogan olievensteinien de rencontre entre « un individu, un produit et une histoire » avait subrepticement évacué le produit pour ne retenir que l’individu et son histoire (généralement racontés sur un divan), au point de bannir de la clinique des toxicomanes toute référence aux effets des drogues ou à la question posée par leur interdiction. Aujourd’hui, « usages, abus et dépendances » connaît approximativement le même travers. Seuls les deux derniers termes sont l’objet d’une véritable clinique.

L’usage, notion cruciale partagée par des millions de consommateurs, est laissé au bon soin de la maréchaussée ou… d’Asud.

La dépendance est en train d’étouffer ce droit à l’usage qui est pourtant implicite dans l’énoncé du triptyque Parquetto-Reynaldiste. Contrairement à ce que croient les autorités, rassurées par le caractère scientifique de l’addictologie, c’est l’usage qui est au cœur du « problème de la drogue ». C’est l’usage qui génère les millions d’euros de profit, pas la dépendance, ni même l’abus7.

C’est l’usage qui intéresse les jeunes consommateurs et rend le discours classique de prévention totalement inopérant, justement parce qu’il ne parle que de dépendance comme le démontre le mouvement Youth Rise. Enfin, c’est l’usage qui pose le problème dans sa dimension sociologique et sécuritaire, comme le souligne Anne Coppel avec sa sagacité habituelle.

Asud est donc condamnée à défendre cet usage, courant, classique, BANALISÉ – le mot interdit qui vous vaut un contrôle urinaire instantané. Avec les amoureux et les poètes, nous savons que l’ivresse est un trésor caché qui mérite d’être défendu, analysé, socialisé. Si la dépendance et l’abus sont à juste titre dénoncés comme des nuisances, l’équilibre voudrait que l’usage, convivial ou solitaire, soit innocenté.

Mangez-le…

Il y a deux ans, Jean Teulé publiait un opuscule1 relatant l’histoire de la démence collective d’un petit village normand. Au début de la guerre de 1870, un voyageur est brusquement assailli par une horde éthylique qui s’empare de lui aux cris de « À mort le Prussien ». Frappé, cloué sur un établi, puis ferré comme un cheval, le malheureux subit en crescendo une série de tortures raffinées avant d’être dépecé, débité et… mangé. Une histoire de cannibales gaulois, tirée d’un fait divers, métaphore édifiante de la folie répressive endurée par les usagers de drogues.

Mangez-le ! En 1970, la représentation parlementaire française s’est brusquement aperçue qu’elle avait aussi un Prussien à disposition. Depuis, les « drogués » sont passés par toutes les stations d’un supplice codifié remontant en fait à 1916, date de la première proscription légale. À trop souvent parler de notre chère loi de 1970, on finit par oublier que la répression de l’usage de psychotropes a été revisitée en un siècle par une cascade de dispositions toujours orientées dans le sens de l’aggravation des peines. Condamnés au sida par la loi sur l’interdiction des seringues, emprisonnés comme usagers-revendeurs, voire ensuite expulsés au fil du zèle législatif des années 1980-19902, les consommateurs de drogues peuvent aujourd’hui faire le bilan d’un quinquennat qui n’a pas manqué de respecter cette tradition de matraquage. En 2007, la loi dite de « prévention de la délinquance » et ses nombreux artifices juridiques ont fourni leur quota de toxicos à recycler derrière les barreaux. On frémit désormais à l’idée de ce que nous prépare le prochain vainqueur de la course présidentielle, quel qu’il soit (voir ASUD Journal N°49 p8).

Mangez-le ! Un peu partout dans le monde, la figure du toxicomane est brandie pour masquer des enjeux sociaux, économiques ou politiques. L’écran de fumée est moraliste, noyé de bons sentiments, la « bien?pensance » le disputant généralement au misérabilisme. Ce procédé est également utilisé pour stigmatiser une autre catégorie de « déviants » : les putes, qui partagent avec les drogués le souci d’être protégé(e)s de ceux qui leur veulent du… bien. Une hypocrisie remise au goût du jour par la polémique sur la pénalisation des clients des prostitué(e)s.

Mangez-le ! La guerre à la drogue (War on Drugs) menée aux États-Unis depuis 1969 est aussi une guerre raciale séculaire née sur les décombres de l’esclavage. Telle est la thèse de Michelle Alexander, une sociologue américaine, auteure d’un best-seller3 curieusement ignoré par la presse française : « Parler des vertus du traitement de la toxicomanie plutôt que de l’incarcération pourrait avoir plus de sens si l’objectif de la guerre contre la drogue était d’en finir avec les abus de drogue. Mais cela n’a jamais été l’objectif principal de cette guerre. Cette guerre n’a pas été déclarée pour faire face à la criminalité, elle a été déclarée afin de gérer les personnes noires. »4 D’initialement tiré à 3 000 exemplaires, l’ouvrage s’est diffusé à 175 000 et la polémique qui a suivi renvoie nos vaticinations hallal au rayon jouets versus amateurs d’Haribo. S’appuyant sur le chiffre des incarcérations de Noirs depuis quarante ans (une donnée impossible à reproduire en France, rappelons-le), Michelle Alexander affirme que le gouvernement américain a délibérément utilisé la lutte contre la toxicomanie pour canaliser le racisme latent de la population et réprimer l’ennemi héréditaire, le Noir pauvre du ghetto. On a le Prussien qu’on peut. Mangez-en tant qu’il en reste, il faudra ensuite penser au plat suivant.

    1. *Mangez-le si vous voulez, Jean Teulé (Julliard, 2009).
    2. *1972 :Interdiction de vente des seringues dans les pharmacies ;
      1986 : Loi sur les usagers-revendeurs ;
      1994 : Nouveau code de procédure pénale et doublement des peines pour trafic de drogues ;
      2003 : Création du délit de conduite sous l’emprise de stupéfiants ; 2007 : Loi sur la prévention de la délinquance.
    3. *The New Jim Crow : Mass Incarceration in the Age of Colorblindness, Michelle Alexander (The New Press, New York, N.Y., 2010, réédition poche en 2012).
    4. * Interview de Michelle Alexander par le site web Talking Drugs.

 

La méfiance

En juin 2011, le président de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et les toxicomanies (Mildt) a sollicité ASUD pour, je cite, « recueillir vos propositions » quant aux modalités d’application « de la dernière année du plan gouverne­mental 2008-2012 ». Quelle bonne surprise ! Sympa de demander aux gens leur avis sur un plan qui se termine. Dommage qu’il ait fallu attendre quatre ans pour que le président de la Mildt se souvienne de l’existence d’Asud, l’association des « guédro ».

De 1997 à 2007, nous avions établi des relations de confiance avec cet organisme d’État. Nicole Maestracci et Didier Jayle, les deux anciens détenteurs du poste, avaient l’habitude de nous consulter sur des sujets aussi divers que la réduction des risques en milieu festif, le statut légal de la buprénorphine ou la création de communautés thérapeutiques. Depuis la nomination d’Étienne Apaire, c’est fini. La seule et unique fois où nous l’avons rencontré, ce fut pour nous entendre dire que la Mildt « n’avait pas vocation â financer les associations ».
Ce silence caractérisé possède un sens éminemment politique. Certes, la Mildt est un organe interministériel dont la mission est de coordonner toutes les actions de l’État en matière de « lutte contre la drogue ». Mais doit-elle pour autant favoriser systématiquement tout ce qui exacerbe la « guerre aux drogués », selon l’expression aujourd’hui consacrée ? L‘usage de stupéfiants est interdit en Fran­ce, la loi est appliquée, les usagers le savent mieux que n’importe qui, mais depuis de nombreuses années, la politique de réduction des risques a permis d’infléchir la logique qui consiste à pénaliser les consommateurs au détriment de leur prise en charge. La loi de 2004 qui légalise la politique de réduction des risques est arrivée à temps. Quelques années plus tard, elle aurait buté sur l’intransigeance dog­matique du président la Mildt.

De fait, la politique de réduction des risques, telle qu’elle est défi­nie par la plupart des instances internationales est moins la déclinai­son d’un dispositif que l’affirmation des principes éthiques propres à éviter les principaux vecteurs des dommages liés à l’usage des drogues : la discrimination et la marginalité. Le premier de ces principes est le Non-Judgement anglo-saxon. Le fait de ne pas considérer l’usage de drogues comme un crime mais comme un acte ponctuel qui ne définit pas l’ensemble d’une vie mais une action dont il convient d’évaluer la dangerosité. Or c’est bien contre ce Non-Judgement que la Mildt s’est dressée depuis bientôt cinq longues années. Les campagnes de diabo­lisation du cannabis, la sanctification de l’interdit comme fondement de toute politique de prise en charge, l’hostilité acharnée à toutes les innovations européennes comme les salles de consommation ou les programmes d’héroïne médicalisée. Tout nous prouve que la Mildt est devenue sous le mandat de son actuel président un organisme pro­fondément hostile au principe même de réduction des risques.
Alors, que répondre à l’invitation de Monsieur Apaire ? Com­ment ne pas admettre que la méfiance est réciproque. Que ce silence de quatre ans n’est pas un hasard mais une nécessité. Une association de « patients » comme Asud qui ne cesse de remettre en cause le ca­ractère pathologique de la consommation et qui se bat depuis vingt ans contre la pénalisation de l’usage des drogues ne peut être que suspecte et politiquement incorrecte. Nous avons donc choisi de nous abstenir, au risque de ne pas pouvoir faire entendre la voix des premiers concer­nés, les usagers. Mais quelque chose me dit que cette voix n’est légitime que dans une posture de plainte ou de repentir, une partition que nous avons toujours eu du mal à déchiffrer

Guerre à la drogue : la faute aux «ni-ni»

«Qu’est-il arrivé à ce pays ? », se demandait Jack Nicholson juste avant d’être massacré à coup de barre de fer par une bande de « Red Necks » dans Easy Rider. Le film culte de Dennis Hopper sorti en 1971 est à la fois prophétique et réaliste. « Ils n’ont pas peur de toi, ils ont peur de ce que tu représentes… Ils vont te parler tout le temps de liberté individuelle. Mais, s’ils voient un individu libre, ils prennent peur, ça les rend dangereux… »

La même année, le 17 juin 1971, Richard Nixon déclare l’usage de drogue « ennemi public n° 1 » des États-Unis lors d’une conférence de presse à la Maison Blanche, et conclut logiquement qu’une « guerre » doit être menée pour éradiquer ce phénomène. Depuis,le monde s’est habitué. La guerre s’est installée comme une réponse normale aux questions posées par l’usage et la production de substances psychoactives, en Afghanistan, en Amérique centrale, dans le gettho de South Central LA, mais aussi dans nos banlieues françaises.
Mais le consensus est en train d’exploser. Lors d’une séance qualifiée « d’historique » le 2 juin dernier, la Global Commission on Drug Policy a en effet proposé de mettre fin à la guerre à la drogue à la tribune des Nations unies. Composée de dix-neuf personnalités reconnues pour leurs compétences internationales, tels Kofi Annan, l’ex-secrétaire général de l’ONU, ou Henrique Cardoso, l’ancien président du Brésil, la Commission recommande la fin de la pénalisation des usages de drogues, des expérimentations de légalisation du cannabis dans les États qui le souhaitent et plus généralement, la poursuite et l’amélioration de toutes les initiatives de réduction des risques.

Cette véritable bombe diplomatique va-t-elle enfin servir à débloquer le débat français ? On peut en douter. Non seulement parce que notre politique reste l’une des plus répressive de l’UE, mais aussi parce qu’en face, la gauche bon teint continue de se cramponner à un discours « ni-ni » qui prétend dépasser l’opposition « simpliste entre répression et dépénalisation ». Une fausse subtilité qui cache en réalité une vraie lâcheté politique. On ne le dira jamais assez : en matière de drogues, Simone Veil et Michèle Barzach, ministres de centre-droit, ont été mille fois plus courageuses que leurs homologues de gauche.
La politique du « ni-ni » est l’allié objectif du maintien du statu quo,de la prohibition. Le refrain qui consiste à verser quelques larmes de sauriens sur les pauvres toxicomanes tout en martelant la doxa de l’inaltérabilité de la loi est une imposture intellectuelle dont l’absurdité en rappelle bien d’autres. Car l’autre particularité du discours « ni-ni » est le sort fait aux opinions des usagers : si vous voulez exprimer une opinion sur les drogues, dites surtout que vous n’en consommez pas.

L’analogie avec d’autres débats de société est source de perplexité. Un antiracisme dont seraient exclus les non-Blancs, au prétexte que l’expérience de la discrimination empêche une analyse « objective » du phénomène, un féminisme qui craindrait d’être discrédité par l’opinion des femmes, une pétition contre l’antisémitisme qui prendrait soin de n’avoir aucun signataire juif… À bien y réfléchir, tous ces groupes ont eux aussi été, à un moment ou l’autre, taraudés par le même syndrome.

L’abolition de l’esclavage fut longtemps une affaire d’aristocrates blancs membres de la « Société des amis des Noirs ». En définitive, le « ni-ni » est toujours un conservatisme qui ne dit pas son nom. Une posture commode, une tartufferie qui explique la détermination des membres de la Global Commission des Nations unies à préciser d’emblée les termes du débat : la guerre à la drogue est une impasse, en sortir suppose de dénoncer clairement les lois qui organisent la répression.

Opium du peuple et paradis artificiels

Les riverains ont du souci à se faire. Alors qu’ils veulent se débarrasser des toxicos qui fument du crack dans les cages d’escalier, voilà que des barbus en mal de religion viennent « occuper » leur trottoir. L’Islam déborde dans la rue faute de mosquées, des toxicos y vivent faute de domicile. Du coup, la salle de consommation à moindre risques, péniblement hissée au rang de polémique nationale est brusquement chassée par la salle de prière. On planque les seringues, on déroule quelques tapis et on entonne un refrain connu : gestion de l’espace public, peur de l’insécurité et tranquillité du voisinage.

Qui aurait dit que les victimes de l’« enfer de la drogue » et les candidats au paradis d’Allah allaient se retrouver enfermés dans une improbable cohabitation ? Nul doute que certains fidèles vont être choqués que l’on puisse faire un tel rapprochement, mais la faute à qui ? Drogués et musulmans font face à une hostilité commune venue pour partie du même secteur de l’opinion. Certes, la pratique de l’Islam n’est pas (encore) un délit mais visiblement, la limite entre sphère privée et vie publique reste un point de doctrine non éclairci par la lumière républicaine. À l’inverse, la loi de 1970 condamne la « pratique » de l’usage des drogues, y compris dans un espace privé. C’est justement ce que contestent avec vigueur les partisans d’une réforme de la loi qui constatent la progression continue des consommations en dehors de tout espace juridique avec, comme conséquence, le débordement des comportements privés qui s’affichent à la une des journaux (voir page 11 Jean-Luc à la Strass) ou sur la voie publique. Non seulement l’esprit de croisade n’a jamais entravé la multiplication des adorateurs du chanvre, du pavot ou de la coca, mais il leur refuse le droit à la discrétion et l’anonymat (voir page 8).

À bien y réfléchir, l’opium du peuple et les paradis artificiels sont deux compères qui font semblant de ne pas se connaître, le plus souvent pour de mauvaises raisons. Thomas Szasz l’a déjà évoqué : l’usage de drogue peut apparaître comme une profanation. Il fut un temps où la pratique du protestantisme ou du judaïsme étaient considérées comme des pathologies spirituelles, dont la contagion risquait d’affecter la collectivité tout entière. Combien de Saint- Barthélemy furent la conséquence de ce désir, souvent fanatique, de vouloir « guérir » les hérétiques contre leur gré ? Bien sûr, on peut objecter que ce type de comparaison est obscène. Que l’abus de drogues est objectivement un enfer. Est-on certain que l’abus de religion mène forcément au paradis ? Prendre des substances pour améliorer sa communication ou conjurer ses angoisses, est-ce tellement loin de certaines pratiques religieuses ?

La secte étrange des fumeurs de tabac qui colonisent tranquillement nos devantures de cafés malgré le froid et la neige semble indiquer que la République peut s’accommoder de certaines pratiques «déviantes » ou minoritaires, même si leur caractère nocif est avéré. Sans doute bénéficient-ils d’un facteur de tolérance crucial : ce fumeur transi, c’est moi, ce fut moi ou ce sera peut-être moi. Voilà probablement le préalable psychologique qui manque pour appréhender judicieusement usagers de drogues et musulmans pratiquants.

Un pas en avant, vingt ans en arrière

Rares sont les moments de débats nationaux sur la réduction des risques et la politique des drogues. Le mois d’août a été de ceux-là. Et comme d’habitude quand il s’agit de réduction des risques, on est vite sorti du cadre de la santé publique pour virer à la polémique et à l’idéologie. Pourtant, ça avait bien commencé…

Suite au rapport de l’Inserm confirmant l’intérêt des Centres d’injection supervisée et à la Déclaration de Vienne demandant aux gouvernements d’adopter une approche de santé publique basée sur des données scientifiques, Roselyne Bachelot annonce en juillet à la Conférence mondiale sur le sida « une concertation, notamment avec les collectivités locales, pour aboutir à des projets concrets de centres de consommation supervisée, pour répondre à des enjeux sanitaires cruciaux ». Mais début août, 14 députés de la droite « réactionnaire » s’opposent violement au projet et le président de la Mildt, Étienne Apaire, se prend pour Platon en affirmant que ces « centres sont discutables sur le plan philosophique ».
Des déclarations contradictoires qui font monter la polémique. Contrairement à l’UMP, le PS, le PC, les Verts, le Modem et le Nouveau centre se déclarent favorables à l’expérimentation. Soutenue par Nadine Morano, la secrétaire d’État à la Famille, Roselyne Bachelot en remet une couche dans un discours à Bayonne, et Jean-Claude Gaudin, le maire UMP de Marseille, affirme vouloir expérimenter ces centres dans sa ville. Une division inhabituelle au sein du gouvernement qui amène les services du Premier ministre à déclarer lapidairement que ces « centres ne sont ni utiles ni souhaitables » et que « la priorité, c’est de réduire la consommation, non de l’accompagner ».

Cette reprise « stupéfiante » du dossier par Matignon témoigne de sa politisation au détriment de la santé publique. Mais le plus grave, c’est que cette phrase, qui résume la position des opposants, est non seulement une négation de l’expertise scientifique de l’Inserm, mais aussi du travail accompli ces vingt dernières années par les intervenants de terrain. Avec ce type d’arguments, il n’y aurait jamais eu de vente libre des seringues ou de programmes de substitution. Une remise en cause de la notion même d’accompagnement des usagers de drogues, pourtant au cœur de la loi de santé publique 2004. Si toutes les associations de terrain sont montées au créneau, c’est parce qu’à travers le débat sur cet outil que sont les centres de consommation, c’est bien la politique d’accès au soin et de réduction des risques qui est en jeu. Vouloir réduire la consommation comme seule priorité est un dangereux contre-sens pour les usagers, qui fait le lit des épidémies et qui ne prend pas en compte d’autres critères tout aussi importants comme la mortalité, la morbidité, l’accès au soin, la lutte contre l’exclusion… Mais c’est surtout remettre en cause à moyen terme la politique de réduction des risques, qui est un maillon indispensable du continuum des soins ( sevrage, soins residentiels…) et qui, pour être efficace et répondre aux nouveaux besoins, doit être dynamique et expérimenter de nouveaux dispositifs. Ne pas lui donner cette possibilité, c’est l’étouffer, la condamner à être une pièce de musée qu’on expose en récitant les bons vieux résultats de la lutte contre le sida.

Le sale coup de Matignon n’aura pas arrêté le débat, et la majorité de la classe politique a finalement pris position en faveur des centres de consommation. Il faudra certainement du temps pour que l’idée fasse complètement son chemin. Encouragés par un sondage IFOP/La lettre de l’opinion, qui montre que 53% des Français seraient favorables à l’ouverture de ces dispositifs, leurs partisans aiguisent leurs armes, en attendant le compte rendu du séminaire organisé pour les élus locaux, le 24 septembre à Paris.

Trop forts ces Américains !

Ils sont forts ces Américains ! On en était resté au Klu Klux Klan et à George « 2 neurones » Bush, ils ont aujourd’hui un président métis qui obtient aussi sec le prix Nobel de la paix. On les croyait les champions de la guerre à la drogue, voilà qu’ils dépénalisent le cannabis thérapeutique. Le président Obama vient de recommander aux procureurs fédéraux de ne plus poursuivre les consommateurs qui reçoivent de la beuh sur prescription médicale (voir ASUD Journal N°41 p14). Quinze États de l’Union ont officiellement autorisé l’ouverture de dispensaires habilités à délivrer de « l’herbe à bobo ». Décidément, après plusieurs années de gros temps, 2009 restera comme une embellie – timide – sur le front des drogues. Dénonçant comme une menace l’interventionnisme répressif de leur voisin du Nord, trois anciens présidents d’Amérique latine ont fondé l’initiative « drogues et démocratie », qui appelle le sud du continent à sortir progressivement de la prohibition. Successivement, le Mexique puis l’Argentine ont apporté d’importantes modifications à leur législation sur les drogues (voir ASUD Journal N°41 p28).

Ils sont forts ces Américains. Avant de faire la guerre aux pauvres, aux Noirs et aux drogués (ce sont souvent les mêmes), ils ont inventé la sociologie « interactionniste », l’observation participante, plus connue sous le nom d’École de Chicago. Une approche révolutionnaire des questions de société qui influence les années 60 et 70. En matière de drogues, la référence classique c’est « How to become a marijuana user », un article sur l’usage contrôlé de cannabis écrit en 1953 par Howard Becker. De quoi horrifier nos french élites du moment. Car si le gendarme du monde semble renouer avec sa face radieuse, la France, elle, replonge avec délice dans les ténèbres de la prohibition la plus obtuse. Comme toujours en matière de drogues, notre pays est à contretemps. Contre les traitements de substitution quand il fallait être pour, partisan béat de
l’addictologie quand de nombreuses voix s’interrogent sur les dérives du pouvoir médical, voilà que nous redécouvrons des mérites à la stigmatisation des usagers. Quand je dis nous, c’est un large pluriel. Une palette qui va de la campagne officielle du ministère de la Santé (voir ASUD Journal N°41 p4) à Laurent Joffrin, patron de Libé, en passant par Manuel Valls, le député-maire socialiste d’Evry. Seul Daniel Vaillant, ancien ministre de l’Intérieur, a le courage de battre en brèche cette vague réactionnaire et découvre sur le tard les vertus d’une sortie de la prohibition du cannabis.

Toute cette effervescence a le mérite de relancer la petite musique hexagonale, pour ou contre la drogue, pour ou contre la légalisation, pour les braves gens, contre les « dealers ». Malheureusement, les drogues c’est compliqué, ça s’accommode mal du noir d’un côté et du blanc de l’autre. C’est plutôt un sujet mixte, un sujet pour le président Obama… D’ailleurs, si la répression des fumeurs semble marquer le pas, les States restent le royaume du repentir biblique et des manifestations ostensibles de culpabilité. Les cliniques pour « people », les « rehab » n’y ont jamais été autant en vogue (voir ASUD Journal N°41 p24). On appelle ça garder deux fers au chaud… Décidément… Ils sont forts ces Américains.

Vive le sida (à bas les hépatites) !

Vous avez adoré le sida dans les années 80 ? Vous allez détester les hépatites dans les années 2010… Le sida, c’était quand même mieux. Pas pour les morts, bien sûr. Les morts sont morts et souvent, pas très proprement. Mais la différence est flagrante pour tous les autres, les vivants, les malades, les soignants, le public. Les porteurs du VHC n’intéressent personne. « To liver and let die », dit Berne le Suédois avec un humour un peu réfrigérant.

Avec le sida, on a découvert les joies du préservatif, les délices du condom, les raffinements du Fémidon®. Que nous proposet-on comme garniture de nos hépatites ? Une cure d’interféron pégylé. Tu parles d’un pied ! Même le nom « hépatites » donne un peu mal au coeur. On a déjà les dents du fond qui baignent.

Et puis les hépatites, tout le monde s’en fout. Ce sont les pauvres ou les gens malades qui attrapent des hépatites, les gens normaux, eux, ne risquent rien. Le sida, oui, voilà un truc dangereux. Regardez Charlotte Valandrey, elle est devenue séropositive en baisant avec un tox qui jouait du rock’n’roll. Aucune chance d’être rock’n’roll roll avec une hépatite. Tout ce qui vous pend au foie, c’est une cirrhose, la maladie des pochtrons. Encore un truc, rien qu’à le prononcer on a envie d’aller au refile.

Pour lutter contre une telle fatalité, il faut donc mettre en scène quelque chose de plus digeste (blurp !). Pendant la Sainte-Hépatites, nous avons ouvert une salle de consommation de drogues illicites. Quel rapport, me direz-vous ? Aucun. Sauf le plan national de lutte contre les hépatites qui n’évoque l’injection de drogues que pour dire : c’est pas bien. Au-delà du fait d’accueillir des injecteurs de drogues, une salle de consommation, c’était donc l’occasion de mettre les pieds dans le plat. Ouvrir une salle de consommation ? C’est possible en France ? Non justement, c’est pas possible. D’où l’intérêt d’en ouvrir une, ou plutôt de faire semblant d’en ouvrir une car le truc de cette salle, c’est qu’il s’agit en fait d’un artefact, d’une performance. Très justement appelée « la salle de consommation du 19 mai », elle n’a eu pour fonction que de susciter la curiosité et le débat, avant de se transporter ailleurs puis de repartir encore, comme une exposition itinérante.

Car contrairement à la Sainte-Hépatites dont chacun se contrefout, les salles de consommation évoquent un sujet tabou : faut-il laisser les drogués se droguer pour éviter qu’ils ne se tuent ? Tous les bons sentiments s’arrêtent aux portes de la salle de consommation.
Toute l’empathie institutionnelle mise en scène pour la prise en charge de ces « pauvres toxicomanes victimes de l’hépatite C » est restée bloquée dans la seringue des usagers qui veulent une salle de shoot pour se shooter. Laisser les gens consommer dans des conditions décentes est pourtant aussi un exercice d’humanité.

Le principal mérite d’une « salle de consommation médicalement assistée » en France, c’est ainsi de transgresser ce nouveau tabou pour sauver les toxicos des ravages de l’hépatite C, en s’attaquant directement à la matrice virale qui a produit deux pandémies majeures : le caractère illicite de l’usage de drogues.

Il est mort le poète !

L’héroïne, la drogue maudite des années 80, est revenue en force dans l’actualité. Entre le 20 janvier et le 02 février, un décès par overdose et 49 personnes dans le coma ont été signalés en région parisienne.

En cause, une mystérieuse « héroïne frelatée » achetée sur deux sites de la périphérie, la bien-nommée cité des Poètes à Pierrefitte, et le Clos-Saint-Lazare à Stains. À quelques jours de la mort de Claude Olievenstein, c‘est un clin d’oeil déplaisant adressé par la Camarde à nos emballements médiatiques. En 40 ans de guerre à la Drogue, plusieurs substances ont été transformées en chiffon rouge par la presse grand public. La marijuana dans les années 70, puis le LSD, l’héroïne bien sûr, l’ecstasy, le crack et même dernièrement, le cannabis. À chaque fois, un discours policier ou médical, fortement teinté de moralisme, vient cautionner l’inquiétude des familles françaises, sans jamais aborder le point essentiel : Comment agissent les « victimes de la drogue » ? Quelles sont leurs attentes en choisissant tel produit plutôt que tel autre ? Quelle est la « cuisine » de l’usage au quotidien ? Quelles techniques sont utilisées pour sniffer, fumer ou shooter tel ou tel produit ? Autant de questions qui, prises eu sérieux par les pouvoirs publics, auraient fourni en temps utiles des informations pour réduire les risques.

Reste une question de fond. Accepter de s’intéresser sérieusement à la dynamique culturelle des drogues dans un but préventif suppose de parier que les « toxicomanes » sont capables d’influer sur leur destin, qu’ils ne sont pas indifférents à l’idée de la souffrance et de la mort, et surtout qu’ils sont accessibles à des messages de santé publique, dès lors que ces derniers leur semblent crédibles. Par exemple fin janvier, justement. Avons-nous tenté d’informer les potentiels acheteurs d’héroïne ? Avons-nous communiqué sur la couleur et le type de poudre incriminée ? Brune ? Blanche ? Une de ces dopes qui gélifient dans la cuillère ? Doit-on éviter de la chauffer si cela risque d’accélérer l’adultération toxique du produit ? Était-elle irritante par voie nasale ? À fort goût d’éther quand on la shoote ? Hélas, comme toujours, priorité a été donnée à l’interrogatoire policier, avec pour unique objectif d’arrêter le ou les « méchants dealers » (voir ASUD Journal N°39 p.4), voire – une illusion récurrente des forces de répression – de réussir un jour à agrafer le dealer ultime : celui qui fabrique et vend la Drogue.

Quinze années de réduction des risques liée à l’usage des drogues pour en arriver là. Seule la catastrophe de l’épidémie de sida aura temporairement bousculé les certitudes hypocrites en ouvrant un petit espace d’autonomie pour les usagers de drogues injecteurs qui peuvent (encore) acheter des seringues stériles. Du « drug, set and setting », le triptyque olievensteinien, il ne reste que le drug. C’est toujours la Drogue que l’on combat, c’est autour des performances chimiques des produits de substitution que se mobilise le lobby médical, c’est bien la drogue et seulement la drogue qui intéresse les policiers et les juges qui contrôlent, placent en garde à vue, emprisonnent. Le reste est tabou. Que le nombre de consommateurs récréatifs augmente avec la même célérité que les arrestations depuis 40 ans ne gêne, semble-t-il, personne. Que la grande majorité des consommateurs aient comme priorité n°1 d’échapper à la fois au soin et à la police ne bouscule aucune certitude. Attendons, continuons de faire l’autruche ne sortant la tête du sol qu’au fil des drames sanitaires, sida, hépatites, overdoses. La boulimie française de psychotropes légaux ramenée à notre leadership européen en matière de répression est une schizophrénie que nous finirons par traiter, la question est de savoir comment. Avec une législation rajeunie ou avec encore plus de médicaments

15 ans de réduction des risques, tout changer pour que rien ne change ?

Pour démarrer cette nouvelle année, Asud vous offre un voyage dans le temps : un « best-off » des 15 premiers numéros, couvrant la période de 1992 à 1998.

C’est pendant ces années que la réduction des risques telle qu’on la connait en France s’est pensé et créé. C’est dans cette période qu’une alliance « usagers de drogues-militant de la lutte contre le sida-professionnels de la tox » du nom de « Limiter la casse » s’est scellée pour faire changer la donne et arrêter l’hécatombe du sida.
Dans ce numéro, vous pourrez vous passionner de la mise en place des programmes d’échange de seringues, des boutiques et de la salle de shoot d’Asud Montpellier, vous enthousiasmer de l’avènement de la substitution à la méthadone et au subutex, vous enflammer de la multiplication des Asud et de l’espoir d’une dépénalisation prochaines des drogues. Vous trouverez des cris, des pleurs, de la rage, de l’urgence, de l’espoir. La certitude que l’histoire est en marche et que rien ne sera jamais plus comme avant.

Mais que reste il aujourd’hui de cette vague nommée réduction des risques, qui a opéré son reflux à partir de 98 : Limiter la casse s’est dissout faute de combattant et le nombre d’Asud en France a fondu comme neige au soleil ; le skénan est interdit de substitution et l’héroïne toujours pas médicalisée ; la salle de shoot de Montpellier a disparu et les nouvelles expériences ne se bousculent pas au portillon ; la dépénalisation n’est plus qu’un souvenir et l’état a même renforcé la loi de 70 en créant des stages/punition pour rééduquer les délinquants fumeurs de cannabis ; la stigmatisation et la maltraitance des usagers est toujours aussi forte en particulier dans le système de soins ; il n’y a toujours aucune réduction des risques en prison ; nombre de boutiques se sont transformées en centre sociaux avec option réduction des risques et les avancées comme le programme ERLI (Education au Risques Liés à l’Injection) sont bloquées…La liste est si longue…
Comme si les progrès des années 92-98 n’avait été qu’une aumône pour les morts du sida, un cache-sexe pour la morale des bien-pensants.

Le frein principal au progrès de la RdR aujourd’hui est en effet toujours le même qu’hier : la morale, qui malgré les apparences et les catastrophes, n’a pas changé, elle aussi. Celle qui dans les années 80 a refusé de donner des seringues aux drogués. Celle qui continue sa croisade et qui cherche à éradiquer l’usage de drogue comme on éradique une maladie. Celle qui s’oppose aux résultats scientifiques et aux pratiques de terrain des intervenants du secteur, qui sont quand même bien placés pour élaborer de nouvelles et nécessaires actions.

Devant l’aveuglement des hommes politiques sur les dégâts du VHC/VHB, ces épidémies sourdes et muettes qui font plus de morts que les accidents de voiture, nous avons, usagers de drogues , militants et professionnels, une responsabilité : renouer une alliance et remettre la pensée en mouvement. Ne nous endormons pas sur nos lauriers institutionnelles et profitons au contraire de cette chance pour enfoncer le clou !

Bonne année !

Le Planplan (de la Mildt)

Plan plan, Rantanplan, Plantigrade, plantation, planétarium… Il y a mille et une manières de faire des plans, de rester en plan ou de tirer des plans sur la comète.

Annoncé à grand cris, soit pour le critiquer à l’avance, soit pour prévenir que… vous allez voir ce que plan veut dire, le plan gouvernemental de lutte contre la drogue et les toxicomanies est-il un événement considérable en matière d’addiction ? En bien ou en mal ?
Quand je lis la place accordée à la prévention « disqualifiante », celle qui pense que pour empêcher les jeunes de consommer, il faut que des adultes leur disent que la drogue c’est pas bien, je me souviens de Matt Southwell à la Xe Conférence internationale de réduction des risques de Genève racontant l’odyssée des jeunes acteurs anglais de la campagne antidrogue « Just say no ! » (fin des années 90). Ils en avaient pris tellement pendant le tournage, qu’il a fallu leur faire subir une cure de désinto expresse avant de les rendre à leur parents !

Ce plan-là, il fait dans le sérieux, le technique. Et n’en déplaise aux critiques, dans la continuité. J’ai beau lire et relire les passages qui inquiètent tant une partie de nos amis du soin et de la réduction des risques (le rappel constant à la loi, les références morales, le poids de la prévention au détriment du soin), je ne vois rien de fondamentalement différent de ce qui a précédé.
Non, le décalage essentiel entre la lutte contre la drogue et les autres activités gouvernementales est que la lutte contre la drogue ne s’adresse jamais aux gens qui en sont prétendument l’objet. Les consommateurs ne sont pas les destinataires du plan qui sont, par ordre de préséance, les partis politiques, les associations familiales, les personnels en charge du secteur, les policiers et les douaniers. Mais vous ou moi ? Jamais. Je dis vous ou moi, façon de parler, j’entends ancien ou futur consommateur ou tout au moins, intéressé par l’acte de consommer, engagé dans un soin relatif aux addictions, amateur de ce que les drogues engendrent comme univers, comme culture. Bref, intéressé par les drogues. Pas pour s’en faire une gloire ou pour le déplorer, mais pour comprendre comment ça se passe. Voilà le grand absent du plan et de la plupart des plans qui l’ont précédé. Voilà la grande différence entre un plan de la Mildt et un plan de lutte contre la pauvreté ou contre le cancer. Dans ces derniers cas, la référence symbolique, parfois introduite avec un trop-plein de pathos, c’est le pauvre, le malade, le chômeur, la personne handicapée… C’est à eux que l’on adresse des encouragements ou des avertissements.
Mais quand il s’agit de La drogue, les plans gouvernementaux ne s’adressent jamais aux usagers.
On pourrait rétorquer qu’un plan de lutte contre la délinquance ne s’adresse pas non plus aux criminels. Mais alors, pourquoi parler de maladie ? Pourquoi légaliser les soins destinés aux addicts et faire ensuite semblant d’oublier qu’ils sont la clé du succès… ou de l’échec d’une politique.

Dans la vraie vie, l’usage de drogues est associé à des pratiques festives, à la convivialité, la séduction, au sexe et à de la rigolade. Bien des contextes absolument exclus du genre plan-gouvernemental-de-lutte-contre-la-tox dont les mots-clés se déclinent en sida, pauvreté, violence, souffrance, exclusion… prison.
Comment voulez-vous que les millions de nos concitoyens qui consomment ou qui vont consommer (oui c’est bien de vous dont je parle) se sentent le moins du monde concernés par toutes ces mesures justement destinées à les empêcher de consommer ?
Et Sans parler des millions d’adolescent(e)s qui n’ont pas encore réellement consommé, et pour lesquels on ne prévoit rien d’autre que l’abstinence comme une sorte de futur obligatoire. Une fiction qui disqualifie d’entrée toute possibilité de dialogue avec ceux qui ont déjà en tête un petit joint par-ci, une petite cannette par-là. Pour engager le dialogue, comprendre comment ça se passe, il faut éviter de condamner par avance, sinon la bouche de votre interlocuteur se referme comme une huître et vous pouvez continuer la discussion… avec les parents.
Des parents qui se trouvent ici à nouveau annexés au monde virtuel de l’antidrogue. « Relégitimer les adultes dans leur rôle », « Quand les parents mettent plus d’interdits (…) il y a un effet sur les consommations ». Le rôle des parents dans le théâtre des drogues est un sujet inépuisable. Comme si les parents ne pouvaient être eux-mêmes concernés par des consommations dures ou douces !

Cela fait 15 ans que la réduction des risques a compris que pour sortir de la fusion entre prévention et répression, il faut remettre les usagers et les futurs usagers de drogues au cœur du dispositif. Et pour cela, une seule méthode : le non-jugement. Pas seulement à l’égard des usagers atteints d’une hépatite ou malades du sida ni même pour les personnes en traitement de substitution, qui sont des usagers du système de santé. Le non-jugement, c’est pour votre collègue de travail qui se poudre le nez tous les samedis soirs, pour le petit copain de votre fille qui tire sur un bédo, pour votre maîtresse qui écluse son whisky en cachette. C’est de vous et de nous qu’il s’agit, pas d’eux, les autres, les toxicomanes.
Et dire que dans sa lettre de mission, Monsieur le Premier Ministre parle du centenaire de la loi de 1909, la première loi internationale édictée contre les stupéfiants. Il est sidérant de célébrer ainsi une loi qui a à ce point failli dans la tâche qui lui était assignée. Soyons honnêtes, peut-on imaginer cent ans plus tard pire situation au regard de tous les critères communément admis ? Peut-on sérieusement croire que ces lois ont limité le nombre de gens qui fument du cannabis, qu’elles ont contribué à réduire la fabrication d’héroïne ou de cocaïne ? Et plus que tout, qu’elles ont facilité la prise en charge des personnes addictes ?

Ces arguments ont été battus et rebattus. Ce qui compte, ce n’est pas La drogue mais l’idée que l’on s’en fait. Ce n’est pas les gens qui prennent des drogues, mais les parents de gens qui prennent des drogues, les forces de police qui arrêtent les gens qui prennent des drogues, les gens qui vendent des drogues aux gens qui prennent des drogues, et les gens payés pour soigner les gens qui prennent des drogues. Tant que cette logique prédomine, il n’y a pas de bons ou de mauvais plans de la Mildt, il n’y a que des bons citoyens et des mauvais drogués.

Y a t-il un intervenant pour sauver la réduction des risques ?

Une question absurde à première vue, face à la multiplication et à la pérennisation des Caarud découlant de l’institutionnalisation de la réduction des risques. Plus personne – ou presque – ne regrette, en effet, le temps où la survie des programmes d’échange de seringues et des « boutiques » dépendait de financements multiples et précaires.

Au-delà de cette seule santé financière, c’est pourtant la philosophie même du dispositif qui pose aujourd’hui problème. Car quand la parole et l’accompagnement sur les produits et les usages disparaissent au profit des actes sociaux (CMU, RMI…), et quand la distribution de seringues est le seul lien qui subsiste entre intervenants et usagers, c’est tout le dispositif qui se vide de son sens. Et c’est d’autant plus dramatique, qu’à l’heure où la lutte contre le VHC s’enlise et où le message sur la seringue unique ne suffit plus, il faudrait accompagner les usagers au plus près dans leurs pratiques d’injection. Demandez donc à un intervenant ce qu’il y a dans un Kit+ et comment l’utiliser précisément….

Il ne s’agit pas de jeter l’anathème sur les Caarud, et encore moins sur leurs intervenants. Le problème est avant tout systémique et précède, pour partie, l’institutionnalisation de la RdR en 2004. Dès la fin des années 90, les conditions d’entrée « bas seuil » des boutiques ont, en effet, favorisé l’afflux d’une population d’usagers de drogues très précarisés. Demandeurs de services sociaux et d’aide à la survie, ces derniers avaient tout à perdre à parler de leurs consommations. Et les intervenants, trop occupés à palier les insuffisances du système de droit commun, ont été débordés par les demandes et l’engrenage de l’urgence et de la précarité. La parole et l’accompagnement sur les consommations se sont alors insidieusement délités tandis que, se bornant à évaluer le nombre de seringues distribuées et les files actives, les autorités incitaient à faire du chiffre.

Cependant, si rien n’est fait, l’institutionnalisation de la réduction des risques va mettre fin à ce qui devrait être le cœur de métier des Caarud : l’accompagnement et le conseil sur l’usage de produits psychoactifs. Pour satisfaire aux conditions d’homologation, les centres doivent désormais recruter des diplômés, en l’occurrence souvent des éducateurs. Qui, comme tous les travailleurs sociaux, n’ont acquis aucune compétence sur le conseil en matière de produits au cours de leur formation initiale, et qui n’iront certainement pas s’aventurer d’eux-mêmes sur ce terrain qu’ils ne maîtrisent pas, qui les met en défaut face aux usagers, et que la structure n’encourage pas.

Pour renverser la tendance, et en particulier pour pouvoir lutter efficacement contre le VHC, il est donc urgent de s’interroger sur le concept et la pratique de la réduction des risques dans ce nouveau système institutionnalisé. Urgent de repenser la place de l’accompagnement à l’usage, de redéfinir les métiers du social (par exemple celui d’éducateur dans un Caarud) et les compétences associées à ce nouveau contexte, mais aussi de construire des méthodes d’interventions, sans quoi les savoir-faire développés resteront conceptuels…

En signe d’espoir, les projets d’accompagnement à l’injection ou de conseils personnalisés, qui émergent dans certains Caarud novateurs, pourraient indiquer la voie à suivre. Encore faut-il trouver la volonté et les compétences pour pouvoir les étendre au reste du dispositif…

Éditorial n°4 : 1er anniversaire

Avec ce quatrième numéro, ASUD fête son premier anniversaire ! Et nous comptons bien en fêter beaucoup d’autres avec vous. Et nous n’abandonnerons à aucun prix l’espace d’expression dont nous disposons enfin. Il représente pour nous un fantastique ballon d’oxygène et nous redonne un peu d’espoir.

Nous sommes désormais constitués en association loi 1901. Nous avons prouvé aux sceptiques (et à tout le monde) que des “toxicos” étaient capables de s’organiser, d’agir, d’être simplement responsables.

ASUD est devenu pour beaucoup d’intervenants en toxicomanie, un interlocuteur incontournable (et valable !). Bien sûr, nos interventions dérangent parfois certains prétendus “spécialistes”, guère habitués à ce que des vulgaires toxicos leur portent la contradiction et expriment leur avis. Que chacun reste à sa place, semblent-ils penser, et la nôtre est dans la rue, en prison ou à l’hôpital (psychiatrique, bien entendu).

ASUD04_shoot poubelle. wolinskiMalheureusement, cette saloperie de sida progresse toujours plus dramatiquement chez les usagers de drogues, et nous sommes impatients que les changements annoncés par M. Kouchner se réalisent. Notre situation, si précaire, s’accommode mal de la patience qu’on attend de nous. Eh oui ! L’urgence est là, pressante, pesante ; c’est dans ce contexte catastrophique qu’ASUD a dressé une liste (non exhaustive…) de dix mesures d’urgence contre la marginalisation et l’extension du sida chez les U.D (voir p.14).

Simone Veil a succédé à Bernard Kouchner au ministère de la santé. Saura-t-elle nous entendre ? Saura-t-elle prendre les mesures qui s’imposent ? Essayons d’être un peu optimistes, Mme Veil a déjà fait preuve dans le passé d’un courage politique certain (et si rare…).

Alors, comme le clame si bien le groupe rap Assassin : “Le futur, que nous réserve-t-il ?” Il est temps de réagir, de ne plus subir, et ensemble nous pouvons devenir forts.

Éditorial N°3

Par les temps qui courent, les usagers de drogue ne savent plus que penser. D’un côté, on nous souffle le chaud et de l’autre, le froid. Entre Kouchner – La Tendresse qui promet Méthadone et échange de seringues à gogo et Broussard – Père fouettard qui fulmine contre les toxicos de base et nous menace de répression tous azimuts, qui croirons-nous ?

Et, ce ne sont pas ces Messieurs du Gouvernement, Ministre de la Santé et Ministre de l’Intérieur, déclarant à l’unisson – et contre toute évidence ! qu’il n’y a pas de contradiction entre leurs politiques qui risquent d’éclairer notre lanterne : D’un côté, on déclare vouloir privilégier la prévention du SIDA et de l’autre, l’empêcher – car c’est carrément à cela que revient en fin de compte la politique de “guerre totale à la drogue” Essayez d’y comprendre quelque chose !

Mais malheureusement, les UD ont autre chose à faire de leur temps que le gaspiller à analyser les subtilités de ce casse-tête chinois version franchouillarde. Ils ont à vivre, à survivre. Face au SIDA, face à la répression, face à la misère physique et morale – c’est une question d’urgence…

Il ne s’agit plus, face aux discours contradictoires des uns et des autres, de se livrer à des décryptages byzantins des déclarations gouvernementales pour faire la part des intentions sincères et des concessions électoralistes, l’heure est à l’action.

Et l’action, pour le groupe ASUD, cela veut dire lutter pied à pied, au jour le jour, contre l’extension galopante de la contamination VIH dans nos rangs.

Cela veut dire aussi être ouvert à tous les partenariats, à toutes les initiatives – associatives, professionnelles, politiques (et peu importe qu’elles viennent de la gauche, de la droite ou du centre… N’est-ce pas Madame Barzach ?) – à toutes les expérimentations, en France et dans le monde, partout où il s’agit de nous empêcher de crever !

Pour cela, nous avons un instrument : le journal. Un journal où les UD trouveront bien sûr, comme dans nos deux premiers numéros, le maximum d’infos techniques, pratiques, de bonnes adresses et de nouvelles du front de notre lutte quotidienne contre le SIDA. Et aussi contre tout ce qui menace la vie, l’intégrité et la dignité humaine des UD. Informer, témoigner, mais aussi prendre position dans tous les débats de société qui nous concernent…

Comme aujourd’hui, sur la question (par exemple) des produits de substitution. Un terrain où, en réaction à la lamentable affaire du Temgésic.

Une remise en question que les progrès de l’épidémie du VIH rend chaque jour plus inéluctable. Aussi, nous ne l’éluderons pas, et tant pis pour l’hypocrisie d’État, tant pis pour ceux qui préfèrent se voiler la face et réaffirmer les grands principes de la Prohibition en feignant d’ignorer l’hécatombe quotidienne de ces parias qui sont pourtant leurs fils, leurs frères, leurs concitoyens…

C’est dans cet esprit de refus des tabous, d’ouverture à tous les questionnements, à toutes les possibilités de mieux-vivre pour les usagers de drogues que certains d’entre-nous se sont rendus à Montpellier pour participer à une semaine de réflexion sur la légalisation des drogues. Un débat juridique, politique et qui, en tant que tel, n’est pas à proprement parler le nôtre dans la mesure où ce qui nous préoccupe, c’est avant tout le vécu, la réalité quotidienne de la lutte contre le SIDA, contre le désespoir, en un mot contre tout ce qui, au jour le jour, ici et maintenant, nous pourrit l’existence. Mais un débat pourtant, dont nous ne devions, dont nous ne pouvions pas être absents. Nous en retranscrivons ici les points forts – à chacun de juger et, à défaut de trancher et de prendre position, de s’offrir au moins le luxe de la réflexion…

Mais s’agit-il vraiment d’un luxe ? Oui, si, comme le prétendent certains, nous ne sommes qu’un troupeau irresponsable de victimes et de délinquants, trop heureux de se voir octroyer le droit de survivre. Non, si nous arrivons enfin, malgré la répression, malgré les menaces de M. Quilès et les anathèmes de Papy Broussard, à nous considérer enfin comme une communauté, comme une minorité consciente, responsable et agissante au sein de la grande communauté des citoyens, prenant en main ses droits et son identité.

Son identité, c’est à dire aussi sa culture, qui, pas plus que la réflexion, ne constitue un luxe à nos yeux, ni n’entre en contradiction avec la priorité absolue que la situation nous oblige à donner à la prévention du SIDA. Car si la prévention du VIH, c’est d’abord, c’est avant tout, une question de seringues propres, ce n’est pas seulement cela, c’est également un état d’esprit, un mode de vie, c’est une volonté de sortir de la marginalité et d’assumer sa liberté…

C’est ce que nous, membres du Groupe ASUD, pouvons vous souhaiter de mieux pour cette année 1993…

Avec tous nos vœux

Éditorial ASUD N°2

Salut ! Eh oui c’est nous, nous revoilà. Avec la sortie du second numéro de son journal, le groupe ASUD s’apprête à fêter ses cinq mois d’existence officielle. Cinq mois déjà ! Ou peut-être, cinq mois seulement, à considérer le chemin parcouru depuis notre première réunion, à l’occasion de la sortie de notre manifeste, le 9 avril dernier.

Peu importe, en fait. Ce qui compte c’est que le groupe ait réussi sa percée. Que le dialogue que nous avions appelé de nos vœux ait commencé à s’instaurer. Avec les usagers d’abord, dont beaucoup, après avoir lu le premier numéro de ce journal – qui, faut-il le rappeler, est le leur avant tout – nous ont contacté, certains décidant même de rejoindre le groupe et de travailler avec nous. Dialogue avec les professionnels, et nous ne dirons jamais assez, l’écoute et la volonté d’agir ensemble, rencontrées chez bon nombre de ceux qui hier encore-quand ils ne se mêlaient pas de notre vie – ne savaient que nous parler réhabilitation, sevrage, abstinence et encore abstinence, tandis que nous nous épuisions à leur crier notre volonté de vivre nos choix et nos désirs face à la répression et à la maladie, fût une divine surprise. Une attitude que d’ailleurs nous n’avons pas trouvée dans le seul monde des intervenants en toxicomanie, mais un peu partout chez tout ceux, médecins, juristes, magistrats, pharmaciens, travailleurs sociaux, journalistes, enseignants, parents et amis de «toxicos» – confrontés aux problèmes.

Mieux encore : à cette percée dans les esprits a répondu un début de reconnaissance officielle. Celle de l’AGENCE FRANCAISE de LUTTE CONTRE le SIDA (AFLS). En nous accordant, comme nous l’avions demandé il y a deux mois dans ces même colonnes, son soutien officiel, sans lequel ce numéro deux n’aurait jamais pu voir le jour. L’AFLS (qui est une émanation du Ministère de la Santé) nous reconnaît ainsi de facto comme partenaire pour l’élaboration d’une politique nationale de prévention du Sida chez les Usagers de Drogues. Bien sûr, cette reconnaissance par un organisme d’État ne nous concerne qu’en tant qu’agents de prévention du SIDA , et non en tant qu’usagers de drogues. Mais en France, dans un pays où la loi de Décembre 1970 ne nous laissait le choix qu’entre le statut de malade irresponsable ou celui de délinquant C’est déjà une première. Et pour nous, un premier pas vers la citoyenneté retrouvée.

Ainsi donc, la brèche est ouverte. A nous de prendre les choses en main et de nous y engouffrer. De redoubler aussi de prudence et de détermination, puisque la balle est désormais dans notre camp. Et que ceux qui nous ont accordé leur confiance – et, plus encore, ceux qui nous l’ont refusée ! – nous attendent au tournant: pas question de nous endormir sur nos lauriers.

Et quels lauriers, d’ailleurs ? Nous ne nous faisons pas d’illusions. Nous savons bien que ce début de reconnaissance, nous ne le devons pas à notre bonne mine, mais à la sale gueule du SIDA. A cette épidémie qui, en créant une situation d’urgence sans précédent, à ouvert les yeux d’une partie de l’opinion et des pouvoirs publics. Personne n’a été frappé par la grâce personne n’a eu de soudain coup de foudre pour les camés. Mais Il se trouve seulement que le Sida fait plus peur que la «toxicomanie» et que tout le monde prend conscience que, pour juguler l’épidémie, il faut «faire avec ce qu’on a» – le groupe ASUD, en l’occurrence, et le faire vite.

De même , nous n’ignorons pas qu’au moment où nous écrivons ces lignes pour nous féliciter de cette volonté nouvelle de dialogue,où nous prenons la parole sous les applaudissements des spécialistes et échangeons des poignées de mains avec les officiels, il y a au même moment des camés qui perdent leur emploi, leur maison, leur famille, qui tremblent de manque sur le béton nu, qu’on enferme à l’hôpital psychiatrique, ou bien qu’on fout en taule pour un joint de shit ou pour un képa de poudre – des camés qui continuent chaque jour à crever du Sida ou de l’hépatite, de came trafiquée, de misère, de solitude … Nous savons bien qu’il n’y a pas de miracle, là non plus.

Pas de triomphalisme donc. Mais nous persistons à dire que ce qui s’est passé ces dernières semaines, ce frémissement que nous avons senti au fil des rencontres et des contacts tous azimuts, a un sens. Et pas seulement parce que cela nous fait plaisir – même s’il est vrai qu’après tant de mépris, il suffise parfois d’un peu de respect, «rien qu’une pointe», pour nous flasher la tête et le cœur. Non, si nous nous réjouissons de la percée du groupe – et de son journal – c’est parce qu’elle correspond à un revirement historique, déterminé en grande partie par la catastrophe sanitaire du Sida, dans la conception même du traitement du problème des drogues. Un revirement voué, à plus ou moins long terme, à se répercuter sur la politique officielle des pouvoirs publics en la matière.

Nous voulons parler du remplacement progressif mais inéluctable de la «Guerre à la drogue» par la «Réduction des Risques» comme objectif prioritaire de toute intervention thérapeutique, sociale ou judiciaire dans le champ de la «toxicomanie».

En fait, ce qu’on appelle «la réduction des risques» n’est rien d’autre que le simple bon sens appliqué au traitement de la question des drogues, et de leur usage dans la société actuelle. Une approche basée sur l’acceptation de la réalité : à savoir que l’usage des drogues, et particulièrement des drogues injectables, est un fait de société, une donnée dont personne n’a jamais réussi à gommer l’existence, ni par des discours et des jugements moraux, ni à l’aide d’un arsenal thérapeutique ou pénal, aussi sophistiqué soit-il. Une réalité qu’il convient une fois pour toute d’accepter en tant que telle. La seule intervention possible face à elle, consiste à réduire les risques qu’elle comporte pour les individus concernés et pour leur entourage. L’émergence du Sida au début des années 80, ainsi que son extension catastrophique ont accru ces risques de façon exponentielle. Ce qui, historiquement, explique l’approche différente d’un nombre croissant de spécialistes et le succès actuel du groupe ASUD dont l’activité se définit précisément en fonction de réduction de risques.

Du point de vue pratique, cela signifie, de donner, d’abord, une information objective sur les implications sanitaires de l’usage de tel ou tel produit, et ensuite, les moyens de rendre cet usage le moins dangereux possible – et ce de façon à justement éliminer au maximum les risques.

Des risques qui, malheureusement, ne se résument pas au Sida, même si celui-ci est l’un des plus graves : que dire de l’hépatite, de la syphilis, de la septicémie en règle générale – sans parler de tous les accidents, parfois mortels, causés par les divers produits de coupe qui transforment le moindre achat de came dans la rue en une partie de roulette russe ? Que dire aussi des problèmes dentaires, de la malnutrition, de toutes ces petites affections dont la convergence finit par dessiner un véritable syndrome de la marginalité ?

La marginalité : nous touchons ici du doigt l’interface des dimensions sanitaires et sociales de la réduction des risques. Tout comme il est impossible de parler de prévention du Sida chez les Usagers des drogues sans parler de la prévention des autres risques sanitaires qui les menacent, il est impossible .de parler de ceux-ci sans parler des conditions d’utilisation des drogues. Des conditions qui, sont elles-mêmes déterminées par la clandestinité liée à la répression et donc à la prohibition Ce qui nous amène à poser le problème en termes de Droits de l’Homme.

De la prévention du Sida aux Droits de l’Homme, de la lutte contre l’épidémie à la remise en question de la prohibition : c’est là que se situe le champ de ce que l’on appelle «La réduction des Risques». C’est à dire le champ d’action du Groupe ASUD.

Éditorial N°1

Pour son premier numéro, le journal ASUD vous offre un scoop : une information exclusive ! Cette information, c’est notre existence elle-même, la naissance ,du groupe ASUD et la parution de son journal. Des usagers des drogues qui s’organisent pour prendre – ou plutôt pour reprendre – la parole : voila en effet du jamais vu en France!

Nous les usagers des drogues, sommes maintenant présents, et plutôt deux fois qu’une, à la tribune du débat national et européen sur ce qu’« ils » appellent la « toxicomanie ». Tout comme nous entendons prendre place au premier rang du combat pour la prévention du SIDA.

Quant à ce journal lui-même, chacune de ses pages, chacune de ses lignes est la pour témoigner, pour se faire l’écho de nos premiers pas d’usagers-citoyens responsables « à part entière ».

Dans la foulée, nous voulons aussi promouvoir un projet qui nous tient tout autant à cœur, celui d’un « café contact », lieu de prévention et de sociabilité, d’échange de seringues géré et animé par les usagers des drogues pour les usagers des drogues, le lieu en fait de toutes les solidarités à venir… Le projet est actuellement en négociation avec les Pouvoirs Publics : leur soutien moral et matériel nous est indispensable pour mettre en place l’ensemble des projets ASUD.

Ce serait là une manière exemplaire de donner la preuve d’une réelle volonté politique de partenariat avec les usagers des drogues.

Depuis des années en effet, des comptoirs de bistrot aux couloirs de ministère nous n’avons que trop entendu l’éternel discours sur le « comportement suicidaire » et « l’irresponsabilité indécrottable du toxico ».

Or ce discours, voilà qu’aujourd’hui, voilà qu’ici même, à travers ces pages, nous faisons entendre notre voix pour le démentir.

Et pour affirmer notre volonté de nous faire les artisans de notre propre destin. A notre façon, pour peu seulement qu’on nous laisse disposer des outils dont nous avons besoin pour atteindre nos objectifs.

Nos objectifs, cela veut dire en priorité : d’une part la prévention des risques sanitaires qui nous menacent (à commencer par le SIDA, cette maladie mortelle qui décime nos rangs à la vitesse grand V) et d’autre part, le respect des Droits de l’Homme … qu’il soit ou non usager des drogues.

Certes des efforts sont faits ici ou là dans cette double direction. Mais l’urgence de la situation nécessite à l’évidence qu’on veuille bien penser de nouvelles forme de fraternité et de solidarité active.

Et que l’on veuille bien, que l’on puisse, en parler sans tabou ni censure. Or, qui mieux que les usagers des drogues est habilité à le faire de façon crédible pour leurs pairs ?

La sauvegarde de notre santé, le respect des Droits de l’Homme : voilà ce qui nous guide. Que ce journal soit comme un pavé lancé dans la mare des préjugés et des indifférences, dessinant des cercles de plus en plus larges se propageant d’onde en onde, à l’infini jusqu’à l’horizon.

Celui d’une humanité souveraine, responsable, enfin rendue à la liberté de ses choix de vie – à la liberté d’être soi-même.

Nous croyons que cela est possible. Si vous le croyez vous aussi, usagers ou non usagers, écrivez-nous, contactez-nous. Ce journal est ouvert à tous, c’est une tribune libre, un lieu d’échange et de confrontation des idées et des expériences dans l’intérêt de tous.

C’est un journal de dialogue…

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