Je fume, tu fumes, nous fumons…

Planter le décor

Un couple, quadra pour Elle et quinqua pour Lui, et deux enfants âgés respectivement de 13 et 15 ans qui ne sont pas à Lui, mais à Elle. Une vie de patachon comme on dit, d’un emploi à l’autre pour Elle, le chômage mâtiné d’un brin de délinquance pour Lui… Bref, une famille ordinaire logeant dans un appartement trop petit pour eux dans un quartier populaire de Paris où les dealers stationnent à chaque coin de rue.

Quand bien même ils l’auraient voulu, ils auraient eu beaucoup de mal à dissimuler leur consommation quotidienne de cannabis, des cigarettes qui dégagent une drôle d’odeur et se partagent entre amis, parfois s’échangent contre quelques billets de banque. Il a bien fallu dès leur plus jeune âge leur expliquer qu’il s’agissait d’une activité condamnée par la société pour des raisons diverses qu’ils comprendraient plus tard, des propos qui éveillent de la curiosité chez tout adolescent normalement constitué et qui précèdent le discours concernant les dangers du cannabis sur un cerveau malléable… Un discours préventif, tenu en l’élargissant à d’autres substances telles que l’alcool, une drogue en vente libre et dont les effets sont dévastateurs à long terme.

Qu’ils touchent un jour ou l’autre et l’un ou l’autre à la « drogue », leurs parents s’y attendaient, espérant néanmoins que ce jour vienne le plus tard possible et que les enfants se tournent vers eux pour goûter au fruit défendu, l’occasion de les conseiller sur la manière de consommer propre (gare au tabac !) et sur les règles à respecter pour que le cannabis ne prenne pas trop de place dans leur vie.

Cet article a été publié dans le blog d’ASUD sur Rue 89 sous le titre Cannabis : elle et lui fument et soudain, leurs ados s’y mettent.

Ne jamais faire confiance à un ado

Un matin, Elle reçoit un appel du collège où l’aîné de ses garçons poursuit des études chaotiques. Le proviseur, qui refuse de lui dire de quoi il s’agit, l’invite à venir d’urgence à son bureau. Craignant qu’il ne soit arrivé un malheur à son garçon, elle se précipite et apprend (ouf !) que ce dernier (aïe !) a trouvé le moyen de se distinguer en essayant de vendre la beuh qu’il leur avait subtilisée.

Un coup de fil passé en douce du bureau du proviseur et voilà qu’Il panique et s’en va cacher ses provisions chez un ami. La mère n’a pas nié l’évidence devant le conseiller d’éducation : Elle et son compagnon consomment du cannabis pour des raisons qui les regardent. Leur grande faute – ou simple erreur, selon le point de vue qu’on adopte –, c’est de l’avoir laissé à portée de main des enfants, une erreur qui ne se reproduira plus. Il s’était déjà pris la tête avec Elle sur le thème : il ne faut jamais faire confiance à un ado.

Qu’auriez-vous fait à la place des parents ? Si vous ignorez tout de cette plante, si vous puisez vos informations sur le site « Parents contre la drogue » et si, dans votre tête, cannabis rime avec schizophrénie, sans doute l’auriez-vous traîné de force chez un médecin spécialisé, un addictologue comme on dit maintenant. Peut-être auriez-vous fouillé sa chambre la peur au ventre, par crainte de dénicher une boulette…

Eh bien ces parents-là n’ont même pas appelé « Drogues info service » dont on dit le plus grand bien, ils s’en sont pris à eux-mêmes et à leur manque de perspicacité. Quand le gamin (il avait 14 ans) est rentré tête basse, son beau-père l’a traité de petit con, lui a fait remarquer que sa conduite mettait en danger la cellule familiale, que plus jamais ils ne lui feraient confiance. Sa mère a abondé dans son sens et ils ont décidé que désormais, à titre exceptionnel, en tout cas jamais durant la semaine et s’il se comportait correctement, une petite tête d’herbe lui serait octroyée de temps à autre.

Cette aventure les a refroidis et obligés à adopter des ruses de Sioux pour planquer (et parfois oublier à quel endroit) leur provision de beuh. Comme tous fumeurs sérieux, ils redoutaient la saison estivale et s’arrangeaient pour mettre de côté de quoi satisfaire (à raison de deux maigres pétards par jour) leur toxicomanie. Aussi sont-ils restés comme deux ronds de flanc le jour où ils ont extirpé la beuh de secours (une variété millésimée) de sa cache spéciale et constaté qu’il ne restait plus que quelques miettes au fond du sac. Pas besoin de mener une enquête pour trouver le voleur qui a tout avoué et s’est justifié en disant qu’il n’avait pas su résister à la tentation… Que c’était trop bon.

Branle-bas de combat : cet ado, si l’on s’en tient aux critères en vigueur, a un problème avec le cannabis. Il lui arrive de fumer seul et il est capable, tout brave garçon qu’il soit par ailleurs, de dévaliser les précieuses réserves de ses parents. Une consultation dans un centre pour jeunes drogués en détresse s’imposait, non ? Ce n’est pas la solution que choisirent ses parents, réalisant que le cannabis l’aidait à calmer la détresse et la colère qui bouillonnaient en lui à la moindre contrariété.

Un cannabis social club familial ?

Ils n’en pouvaient plus de vivre à l’étroit et déploraient que la chambre des enfants soit devenue un coffeeshop fréquenté par leurs copains, des fils de bobos susceptibles de leur attirer des ennuis. Mais ils préféraient les savoir se droguer à la maison plutôt que dans la rue à la merci du premier contrôle de police venu, ce qui n’a pas empêché sa mère d’aller un jour récupérer le cadet dans un lointain commissariat de banlieue. L’inspecteur de police a été contrarié quand elle a dit, sans larmoyer pour autant, qu’elle était au courant de la consommation de son fils alors âgé de seize ans. Elle aurait pu, dans la foulée, lui expliquer qu’elle préférerait ravitailler son fils en cannabis et lui éviter de fréquenter des cités où le shit est coupé avec des produits nocifs et où lui seront immanquablement proposées d’autres drogues illicites, mais elle s’est tue.

Évidemment, chaque fois qu’ils le pouvaient, Elle et Lui rappelaient à tous ces ados que le cannabis n’est pas une drogue innocente, qu’il se marie très mal avec l’alcool, qu’il n’est guère compatible avec les études et qu’en le consommant, on risque de se retrouver avec un casier judiciaire, un handicap pour débuter une vie d’adulte.

La famille a enfin trouvé un grand appartement avec une chambre d’amis et lorsque l’aîné des garçons qui allait sur ses dix-huit ans a manifesté le désir de cultiver en intérieur, Elle comme Lui ont cherché des raisons de lui interdire cette activité agricole. Mais ils n’ont rien trouvé de pertinent, aussi ont-il décidé de partager les frais d’installation de la chambre de culture et le fruit de la récolte en deux parts égales, une pour eux et une pour leurs enfants… Une chambre d’amis, mais aussi une terrasse assez vaste pour accueillir une dizaine de plantes à partager selon le même principe que précédemment. Ainsi, ils éviteraient les cités, ses prix prohibitifs et ses herbes de piètre qualité !

Les enfants ont grandi, ils sont tous les deux majeurs et vivent à temps partiel chez leurs parents. En quelques saisons, Elle comme Lui sont devenus des cannabiculteurs expérimentés, et cette année, ils ont l’intention de reconsidérer le deal passé avec les enfants. Parce que c’est un travail journalier et que rarement ils leur donnent un coup de main, parce qu’ils ont l’âge de travailler et que la vie au quotidien devient de plus en plus dure, Elle et Lui ont décidé de prélever une commission sur la prochaine récolte afin d’améliorer l’ordinaire. Mais aussi pour éviter, preuve que leurs enfants ont un usage récréatif, qu’ils vendent à un prix « commercial » une partie de leur part au lieu de chercher du boulot… Et au risque de se faire pècho en pleine transaction.

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