La longue marche de l’antiprohibition

Speedy Gonzalez continue de nous informer sur les préparatifs de l’Ungass (Session spéciale de l’Assemblée générale des Nations unies) 20161, qui pourrait marquer le tout début de la fin de la prohibition des drogues. Il nous entraîne cette fois dans les arcanes des diverses commissions, conseils et autres offices, et nous présente les premières avancées sur la question. Suivons le guide !

Do you speak ONU ?3asud55 p27 ONU

  • ECOSOC : United Nations Economic and Social Council (Conseil Économique et Social des Nations Unies) ;
  • CND : Commission on Narcotic Drugs (Commission des Stupéfiants), mise en place en 1946 par l’ECOSOC dont elle dépend, elle est est constituée de 53 membres élus pour 4 ans parmi les pays de l’ONU. Le nombre de sièges est définis pour chacune des 6 régions de l’ONU ;
  • ICSH : Informal Civil Society Hearing (Audition Informelle de la Société Civile) ;
  • INCB : International Narcotics Control Board (Office International de Contrôle des StupéfiantsOICS), elle est chargée du contrôle de la bonne application des conventions sur les stupéfiants dans les pays signataires ;
  • OAS : Organisation of American States (Organisation des États AméricainsOEA) ;
  • ONUDC : United Nations Office on Drugs and Crime (Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime organisé);
  • VNGOC : Vienna Non Governmental Organisations Committee on drugs (Comité de Vienne des ONG sur les drogues). Il vise à faciliter le rapprochement entre les ONG et les organisations de la société civiles (OSC) avec les organes de l’ONU du contrôle des drogues basés à Vienne (CND, ONUDC, INCB). Asud en fait désormais partie tout comme 129 ONG de 53 pays.

Objectif UNGASS 2016

On comprend donc que tout cela se fait en plusieurs temps et l’IDPC2 appelle à être vigilant dans tous ces débats. D’abord, en changeant l’expression « le problème mondial de la drogue » par « les problèmes associés aux marchés des drogues illicites et leur contrôle », qui oriente davantage le problème sur la prohibition plutôt que sur les produits. Il faut aussi intervenir là où on le peut comme au VNGOC, ou dans les instances où les ONG n’ont pas de voix par le biais de l’Onusida ou de l’OMS.

Avant d’aller plus loin, petit retour en arrière : à l’Onu, on a assisté depuis 1970 à la mise en place des trois conventions sur les stupéfiants toujours en vigueur qui n’ont fait que renforcer la situation d’interdiction. Avec elles, les gouvernements croyaient encore qu’ils allaient gagner cette guerre. On s’est voilé la face et l’escalade de la répression a continué. Arrive ainsi 1998 et la dernière Ungass en date sur les drogues qui, comme les précédentes, prolonge sans sourciller la prohibition malgré des résultats déjà catastrophiques. L’épidémie de VIH, « la lèpre du XXe siècle », va pourtant changer quelque peu la donne en forçant les pays, y compris le plus prohibitionnistes comme la France, à appliquer enfin des politiques de RdR… En 2009, malgré une situation internationale désormais hors de contrôle avec notamment le Mexique et l’Afghanistan qui s’enfoncent dans la guerre à la drogue, l’Onu se fixe comme objectif l’élimination ou la réduction significative de l’usage de drogues, de l’offre et de la demande d’ici 2019 !! On semble encore croire au Père Noël en fixant un sempiternel plan d’actions sur la coopération internationale pour lutter contre « ce fléau »

Certainement échaudés par les échecs patents de ceux qui l’ont précédé, les États membres vont cependant décider d’évaluer aussi l’application de ce plan lors d’un Débat de haut niveau, qui devait se tenir avant la CND de 2014. Autres recommandations : que l’ECOSOC consacre l’un de ses Débats de haut niveau à un thème lié au problème des drogues et que l’Assemblée générale elle-même tienne une nouvelle session spéciale sur ce sujet. Initialement prévue en 2019, cette Ungass a finalement été avancée à 2016, suite à la demande de 3 pays (Mexique, Colombie et Guatemala), soutenue par 95 autres États membres lors de l’Assemblée générale de l’Onu. Porté par des États d’Amérique du Sud, ce mouvement a commencé en 2012 dans le cadre de l’Organisation des États américains (OEA), en particulier avec la rédaction du rapport Le problème des drogues sur le continent américain publié en mai 2013, que nous avons déjà présenté brièvement dans le nº54 d’Asud-Journal.

Une longue marche

Concernant le VNGOC, les premiers débats ont permis de faire apparaître des précisions intéressantes, notamment sur le fait que les conventions pourraient être assez souples pour permettre le développement de politiques innovantes centrées sur la santé des personnes. Et que tout est une question d’interprétation des textes et d’application des conventions de la part des États membres. On y a également affirmé que ceux-ci sont maîtres de leurs choix dans la manière d’appliquer ces fameuses conventions. Bien que nous restons encore dans un contexte de contrôle des drogues, on y parle moins de répression et davantage de droits de l’Homme. Les conventions ne doivent plus être un carcan et laisser aux États une certaine marge de manœuvre. Hier les Pays-Bas, aujourd’hui l’Uruguay et l’Équateur, l’ont bien compris !

Mais prière de laisser l’euphorie au vestiaire ! Nous ne sommes qu’au tout début de ce processus qui, bien sûr, sera une véritable Longue Marche longue marche4. Il suffit pour cela de voir les questions abordées lors du HLS des 13 et 14 mars 2014, où les bulldozers de la prohibition genre OICS, CND et autre ONUDC ont à nouveau demandé la « réduction de la demande, de l’usage illicite de drogues et de la toxicomanie… », la « coopération internationale pour l’éradication de cultures illicites destinées à la production de stupéfiants et de substances psychotropes… », et une « lutte contre le blanchiment d’argent et promotion de la coopération judiciaire ». Que ceci soit plus facile si on en finissait avec la prohibition ne les effleure pas encore, du moins officiellement !

Suite au prochain numéro, en restant raisonnablement optimiste car le vaisseau de la prohibition fait eau de toute part… !

asud55 p28 26 juin journée antidrogue


Notes :

1/  Voir l’article « Abattre le mur de la prohibition par le speedé de service, Asud-Journal n°54.
2/ International Drug Policy Consortium : cf. note 1.
3/  Merci à Marie Debrus, présidente de l’AFR, qui nous a éclairés sur toute cette question à son retour de la 57e session de la commission internationale des stupéfiants en mars 2014 !
4/  Mao fut forcé à une retraite longue et coûteuse en hommes devant la poussée des forces nationalistes avant de pouvoir contre-attaquer, victorieusement cette fois.

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