The Ramones – Too much junkie business

Too Young Too Fast, les Ramones auront été le premier groupe punk US signé par une major à l’été 1975, quelques jours avant Patti Smith. Au milieu de la flopée de combos arty punk new-yorkais, les Ramones détonent. Pire, ils semblent suspects : trop purs pour être honnêtes et pourtant… Ces Hillbilly Cats urbains jouent un rock’n’roll résolument, furieusement, blanc. White Trash. No Beatnik Black. No Soul, No Rhythm & Blues.

Début des seventies, au cœur du New York de Taxi Driver et de Maniac : quatre merdeux, enfants du baby boom de l’après-guerre, bourrés de speed et d’héro (celle de la French Connection) glandent dans le Queens du côté de Forest Hills, une aire bétonnée suintant d’ennui, conquise par la dope, le speed et l’acide. Ils ont 22 ou 23 ans et, nés avec ou non, ils ont maintenant la Haine chevillée au corps. Loosers parmi les loosers, drop-out, ces authentikkk voyous jouent au Ringolevio version Orange Mécanique sous quaaludes. Braquages, agressions, bastons, prostitution constituent leur quotidien. Finalement, en dehors de la dope, le rock’n’roll est la seule chose qui les accrochent.

Les Ramones, Toronto, 1976
Les Ramones, Toronto, 1976

Frères de rue, frères de rock, ils sont tous des Ramones, même si entre eux les coups pleuvent : Dee Dee, qui carbure à l’héro depuis qu’il a 15 ans tient la basse, Joey est au chant (et à la batterie), Johnny à la guitare et Tommy, ex-manager, assure rapidement la succession de Joey aux drums. Jeans, perfectos, coupe au bol, baskets. Voilà pour l’uniforme. Et en vingt ans d’existence, ils n’en changeront plus.

Au moment où les Led Zeppelin, Clapton, Deep Purple et autres se perdent en virtuosité, les Ramones portent l’estocade. Le Pub rock est enfoncé. Bye bye les Flamin’ Groovies ! Coup de grâce. De génie. Avec les Ramones, le rock ne retourne pas simplement à la rue, il retourne au caniveau. L’innocence rock’n’roll parfaite revisited seventies. Traqueurs de mirages en pleine Blitzkrieg Bop, ils balancent leurs morceaux minimalistes ultra speed. Lyrics idoines, acidulés et pervers, du Leiber/Stoller amphétaminé. Le turn-over des musiciens n’altère ni l’identité ni la musique du groupe. Posées une fois pour toutes en 1975, ces bases sont immuables.

Ramones - Hey ho let's goPunks rockers, chassant le dragon rock’n’roll, animal légendaire qui a toutes les chances de n’être qu’un fantasme insaisissable, mais qui les obsède, ils inciteront Spector, aux neurones déjà bien grillés, à sortir de sa torpeur psychotique le temps d’un album arraché au chaos. Après avoir offert Because The Night à Patti Smith, l’outsider qu’est Bruce Springsteen avant 1980 leur composera un Hungry Heart sur mesure et il faudra l’intervention de son très avisé manager, Jon Landau, pour que le futur Boss se résolve à garder cette pépite pour lui : grand bien lui en fera puisque ce sera là son premier hit single !

En Europe, notamment en Angleterre et en France, les Ramones sont adulés. Ils joueront avec les Sex Pistols, sillonneront pendant deux décennies le vieux continent, suivis par leurs légions indéfectibles de fans purs et durs. De la vague punk hardcore californienne aux grunge nineties qu’ils adouberont, les Ramones auront exercé pendant vingt-cinq ans une influence majeure sur toute l’avant-garde underground punk !

Une tournée d’adieu, peu avant le nouveau millénaire, scelle la fin des Ramones. L’épilogue est déprimant à souhait, crucifiant, en forme de réaction en chaîne maudite : en moins de trois ans, les trois ex-teenages losers de Forrest Hill passent de vie à trépas. Et comme pour boucler la boucle, Joey viendra enregistrer avant de mourir un titre en duo avec Lisa Marie Presley. Preuve que le King lives ! TCB !

Robert Francis

Un quatrième album « Heaven » paru en avril 2014, une tournée passée par Paris. Un charisme fou, Robert Francis est bien – et je pèse mes mots – le dernier espoir du rock’n’roll !

Cela fait bien longtemps que j’ai renoncé à m’intéresser à ce qui se passe de nouveau dans le monde pop rock. D’abord, parce que quelque chose de la mythique rock’n’roll semble s’être perdue en cours de route, à moins que ça ne soit moi ! Et puis, difficile de suivre le rythme. Des artistes et groupes, il en surgit de nouveaux toutes les semaines et leur durée de vie est volatile. Un petit tour sous les projos et puis patatras… dans les limbes !

Alibi

Bref, j’en étais là. C’est-à-dire à me contenter tous les deux-trois ans du nouveau Dylan en écoutant de la country années 20 et 30. Et puis Robert Francis a déboulé. Plus exactement, il m’est tombé dessus via la radio il y a deux ans. En entendant Junebug, son seul hit à ce jour, j’ai décelé là un truc indéfinissable qui vous prend à l’âme. Ni une ni deux, j’ai foncé derechef acheter ses deux albums, j’ai plongé sur YouTube voir à quoi ça (il) ressemblait live… C’était convaincant ! À mort ! Quelques semaines plus tard, le troisième album me renversait pour de bon !

Comment dire l’effet que ça m’a fait… ? Ce qui s’en approche le plus, c’est encore la phrase de Laurent Tailhade à propos de Rimbaud lorsque Verlaine publia ses poèmes en 1883 : « l’effet d’une aurore boréale ». C’est ça : Robert Francis a été une aurore boréale en pleine nuit musicale.

Je n’irai pas jusqu’à prétendre, comme Landau en 1975 à propos de Bruce Springsteen, avoir « vu le futur du rock’n’roll » parce que je ne sais vraiment pas si le rock a un avenir. En revanche, je peux dire sans craindre de me tromper que Robert Francis en est le présent. Il fait d’ores et déjà partie de cette Histoire du rock !

heaven Robert Francis

Somethings never change

Robert Francis, c’est d’abord un musicien surdoué et inspiré, un fantastique songwriter ! Laissez tomber la filiation avec les Ryan Adams ou Elliott Smith, quels que soient leurs talents respectifs, ce mec a un truc en plus… Rock star ! Je sais bien qu’en ce moment, il y en a pléthore des Wannabe, les Kurt Vile and co courent les rues, mais Robert Francis est au-dessus du lot. Je veux dire, il a ça dans le sang, il est de cette trempe-là, point. Matez sa dégaine, jetez un œil sur une vidéo live, ça saute aux yeux ! Il a tout ce qu’il faut, le talent, la pose, l’arrogance et aussi cette « fêlure » chère à Fitzgerald, ce « crack up » et un tas de démons rôdant autour de lui qu’il chasse à coups de riffs.

Accouché dans la douleur, son quatrième album s’appelle Heaven parce que Robert Francis a plongé aux enfers. Il en revient avec ce disque abouti, complexe, plein de méandres, un album douloureux traversé de fulgurance et d’espérance qu’il a produit entièrement.

D’où viens-tu Robert ?

Comme Gram Parsons ou Townes Van Zandt, Robert Francis n’est pas né dans la rue. Il a grandi dans un environnement privilégié : son père est un compositeur de comédies musicales reconnu et son parrain s’appelle Ry Cooder, lequel lui aura transmis quelques-uns de ses riffs secrets.

Multi-instrumentiste, Robert enregistre son premier album, One By One, à l’âge de 18 ans, un album très personnel qui lui vaut l’oreille de la rock critic, pas du grand public… Rock and roll my little girl !

Les paroles – comme la voix – ont ce mélange d’orgueil et de fragilité, quelque chose déjà qui vous prend aux tripes et sonne différent (Good Hearted Man)

La culture musicale de cet insensé collectionneur de partitions est exceptionnelle mais digérée. Parmi ses influences, il cite volontiers Doug Sahm, Van Morrison, Dylan, Springsteen et surtout, Townes Van Zandt.

Le second album, Before Nightfall, porte l’hymne Junebug, gros succès en France. Passé chez Vanguard, un label indie, Francis publie Strangers In The First Place, son troisième album : chef d’œuvre à la manière du Born to Run du jeune Springsteen. Le disque s’écoute d’un bout à l’autre et chaque nouveau titre dépasse le précédent en intensité.

Baby was the devil – Mescaline

Mais voilà, en pleine promo, le Californien disjoncte. Il annule pléthore de dates, plaque tout et part – en vrille – avec une fille rencontrée sur la tournée. La relation est destructrice : alcool, dope, dépression. Accro, il tourne le dos à la musique et empile les médocs… Il a l’âge pour ça ! Je veux dire l’âge d’en revenir. Ce qu’il fera avec son nouvel album sorti en avril, Heaven, signé Robert Francis & Night Tide, son nouveau groupe dont le nom figure désormais aux côtés du sien comme le E Street Band de Springsteen. Histoire de bien marquer l’alchimie qui unit ces musiciens et leur leader (David Kitz, drums/Ben Messelbeck, bass/Jim Keltner et Joachim, beau-frère de Robert, à la guitare).

Avec Heaven, Robert Francis poursuit sa Quête. Et c’est ça qui définit un artiste. La nécessité et la Quête ! En un mot comme en mille, Robert Francis est la meilleure chose qui soit arrivée au rock depuis longtemps ou le truc le plus excitant que le rock nous ait donné depuis un long moment… au choix !

Lou Reed Street Hassle

Le son de la télé coupé/le journal de 20h déroulait son ennui/une photo de Lou Reed sur l’écran et puis quelques images d’archives – J’ai compris, inutile de monter le son… L’info a fait grand maximum une minute au JT, une demi-page dans Le Parisien, deux dans Le Monde et un 3/4 de couv chez Libération ! On naît peu de chose… Et on meurt pareil !

Daddy Punk

Dans les semaines qui vont suivre, les magazines balanceront leurs nécros dont il y a tout lieu de croire qu’elles sont prêtes depuis un moment. On y retracera le parcours du jeune New-Yorkais étique des sixties, accroc à la gloire plus encore qu’à la came, on convoquera – à titre posthume – Nico, Warhol, Burroughs, Vaclav Havel. Il y a des chances pour que John Cale lui se taise… De longs articles referont l’histoire de la contre-culture, de la Factory, de l’underground new-yorkais, et on tressera les lauriers du Lou Reed respectable daddy punk. Car, à partir des années 1990, Lou Reed est devenu la figure de proue de ce concept étrange qu’on appelle « le rock adulte », avec Patti Smith comme pendant féminin.

Je ne sais plus si c’est Bowie ou Lester Bangs qui disait en substance que Lou écrit sur la rue depuis sa fenêtre, tandis qu’Iggy lui, vit dans le caniveau. Et c’est un peu ça ! Pas un hasard si Lou Reed représenta alors le fer de lance de cette entreprise qui vise à donner au rock ses « lettres de noblesse », en mettant le paquet sur sa dimension culturo-sociale et politique…

Le rock s’est transformé en une activité sérieuse, austère, quasi janséniste et surtout, donneuse de leçons sous l’impulsion d’une poignée de rock critics intelligents et cultivés qui ont récupéré l’histoire, l’ont confisquée et se sont éloignés de la rue pour cette bonne raison que ces jeunes gens modernes n’y foutent jamais les pieds. Ces ancêtres des geeks, fils de bourges ou middle class, auront passé leur adolescence boutonneuse claustrés dans leur chambre à ingurgiter la mythologie rock pour nous la recracher bien lessivée avec ce qu’il faut de fausse subversion. Il faudra faire un jour l’histoire de ce glissement tout en finesse qui a vidé le rock de sa substance (mort) sex and drugs mais reste malgré tout un formidable « joujou extra » pour séduire les filles et prendre du bon temps, bref le credo originel ! Passons, ce n’est que mon avis…

Art cynique et vieilles charrues

Par hasard, cet été je suis tombé sur la rediffusion à 3 heures du mat du dernier concert de Lou Reed aux Vieilles Charrues, filmé en 2012. Un choc, visuel d’abord : son visage avait perdu ce côté martial, impénétrable et intimidant. À la place, il y avait un septuagénaire. J’aurais pas dit malade, non, vieux, simplement. Il égrenait un chapelet de titres du Velvet avec un j’en foutisme consternant, entouré de jeunes musiciens respectueux s’échinant eux à jouer aussi droit que possible Sweet Jane ou Sunday Morning. Lou, placide jusqu’à l’absence, massacrait son répertoire avec détachement. Lou Reed, un pépère de 71 ans !! Merde, comment en est-on arrivé là ? J’ai vu d’abord dans cette prestation une nouvelle manifestation du cynisme du personnage. J’avais tort en partie… enfin, peut être…? Dylan, 71 printemps aussi, jouait également l’an passé aux Vieilles Charrues. Hué par les spectateurs, il a été crucifié par la presse vilipendant sa performance tandis que le vieux new-yorkais lui était absout. Curieux tout de même !

« Ma poésie, ma moto, ma femme »

S’il est bien un type qui valide le principe selon lequel il faut distinguer l’artiste et l’homme, c’est Lou Reed. Dans ces conditions, l’empathie, comme l’endeuillement, sont difficiles. En l’occurrence ici, l’émotion vient plus de ce à quoi cette disparition nous confronte. Parce que le décès de Lou Reed renvoie à notre propre vie, et à la place qu’il y occupait.

Pour ma part, elle a été conséquente. J’ai écouté et aimé sa musique de très longues années. La première fois, je devais avoir 13 ans. Un mec de 17 balais (un vieux !) m’avait filé une de ses cassettes en me disant à la façon de Vince Taylor « Écoutes-ça, mec, le rock c’est ça ! », histoire que je reste pas coincé sur les fifties & Presley. Il avait compilé des titres des Doors, de Bowie et de Lou Reed, extraits de Berlin et de Transformer. Walk on the Wild Side (c’est aussi le titre d’un roman de Nelson Algreen) me fascinait d’autant qu’à l’époque, une pub pour les kleenex utilisait le final de la chanson. J’étais donc pas tout à fait en terre étrangère et ça a facilité l’approche je pense. Plus tard, quand j’ai compris les paroles de la chanson (« But she never lost her head/even when she was givin’ head »), j’ai trouvé ça cocasse qu’on l’utilise pour vanter la qualité d’un mouchoir en papier !

Street Hassle

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Et puis évidemment, il y a eu le Velvet et tout ce qui y était lié. Au début des années 1980, le Velvet Underground c’était vraiment un truc important en France (à Paris ?). Des labels plus ou moins officiels sortaient des bandes studio, live et bootlegs à tour de bras garrotté. Sans oublier l’album Les enfants du Velvet réunissant les meilleurs groupes du rock français du moment reprenant des titres du Velvet. Ce fut un foutu bon disque en plus d’être le tout premier album collégial du genre et sans doute le plus spontané (aujourd’hui, ça relève de l’exercice et de la niche commerciale !).

Entre Transformer et New York, Lou Reed a connu près de quinze ans d’éclipse (je synthétise). Quinze ans durant lesquels il a pourtant publié une douzaine d’albums dans l’indifférence générale, disques ignorés par le public, détestés par la rock critique (à l’exception peut-être de Sally Can’t Dance). Le nom de Lou Reed certes a continué de circuler via la redécouverte du Velvet par les punks faisant d’Heroin leur credo, mais on peut pas dire qu’il ait vendu beaucoup de disques, ni attiré les foules pendant cette période. Considéré comme un has been à la fin des années 1970, il aura tenté plusieurs comebacks ratés : en 1987, son album Mistrial avait pourtant bénéficié d’une large promo. Au moment de l’explosion de MTV, sa maison de disques tenta de relancer l’artiste en réalisant un vidéoclip tape à l’œil : on y voyait fondre progressivement le visage du chanteur. La peau tombait découvrant une tête de robot genre Terminator. C’était pas très bon mais la métaphore claque d’évidence : Lou Reed n’avait rien d’humain sinon l’apparence et encore, diront les journalistes qui l’ont interviewé !

Techno Prisonners

Dans ces années-là, hormis Berlin, ses albums garnissaient les bacs des soldeurs. Beaucoup sont sous-estimés. Je ne doute pas que comme pour Johnny Cash, on ne leur prête bientôt d’étonnantes qualités, mais finalement, ce ne serait que justice. Tous certes ne sont pas exactement des réussites et les moins bons datent des années 1980 (Legendary Hearts, New Sensations et Mistrial) juste avant le soi-disant miracle de New York qui allait relancer le bonhomme au tout tout début des années 1990. Pour ma part, je préfère le dépouillement de Rock and Roll Heart, le baroque de Coney Island Baby, la morgue du double live Take No Prisoners. Je les prétends même supérieurs à tous les concepts albums de Reed qui ont suivi New York et qui n’en étaient bien souvent que des répliques boursouflées. La pochette hideuse de Legendary Hearts, montrant le casque de moto de Lou Reed, cache quelques bons morceaux. Tout comme The Bells, Growing Up in Public (avec au verso une photo de son gang où l’on retrouve le fidèle Carlos Alomar) ou Street Hassle, album noir hanté de 1977 dont la chanson éponyme est une pièce spectrale occupant presque toute la face B à la fin de laquelle un jeune outsider nommé Springsteen psalmodie un bout de texte. The Blue Mask recèle également un gemme de 6 minutes, le très autobiographique, My House, dans lequel Lou alors quadra confesse la plénitude de sa vie. Il y évoque son amitié pour « son mentor » l’écrivain Delmore Schwartz (qu’on a tous lu parce que les maisons d’édition françaises trouvant opportun de le traduire rappelaient avec insistance son lien avec le chanteur) et de conclure sa chanson : « J’ai tout ce qu’il me faut, ma poésie, ma moto et ma femme. »

Ajoutez le karaté/tai-chi et vous avez un morceau du portrait du plus célèbre misanthrope du rock !

Lou  reed

Canonisé

Le retour en grâce s’opère donc avec l’album New York. Song for Drella en hommage à Warhol achèvera le travail via la collaboration d’un John Cale peu rancunier tout de même (inutile de rappeler comment Lou lui a piqué le Velvet en le foutant dehors comme un malpropre). Canonisé, Lou ne redescendra plus jamais de son piédestal. Estimant être enfin reconnu à sa juste valeur après tant d’années de revers, l’homme a conservé la même attitude distante. Mais de se voir devenir un monument du rock de son vivant a sans aucun doute flatté son ego démesuré. Ceci étant, à partir de là, moi, j’ai… décroché !!!…

Je jette ces mots au milieu de la nuit… mais j’écrirai probablement beaucoup d’autres choses si j’avais le temps. Il y a encore beaucoup à dire sur le Velvet justement, sur Metal Machine Music aussi dont on ne sait toujours pas s’il s’agit d’un foutage de gueule en forme de sabordage inaudible pour emmerder RCA à qui il devait encore un album, ou si on a affaire à un concept album bruitiste (l’album expérience d’il y a peu avec Metallica incitant à le penser)… On pourrait évoquer les électrochocs ou comment il rentra vivre chez ses parents pour devenir comptable dans le New Jersey après la fin du Velvet avant de resurgir en punk nazi peroxydé. Sans oublier les interviews homériques avec Lester Bangs qui dégénéraient deux fois sur trois en baston ! Oui, il reste tout à dire.

Mais si ces quelques lignes pouvaient suffire à donner l’envie à quelqu’un qui se contrefout du Lou Reed adult rocker de retourner écouter Rock’n’Roll Animal ou Street Hassle, avant de jeter une ou deux oreilles en direction du génial John Cale, si ça vous poussait à aller voir les films de Warhol ou Mekas, à relire Lester Bangs, mais aussi Please Kill Me, qui raconte sans fard l’histoire du New York underground des sixties aux nineties et du rôle pas toujours très glorieux qu’y joua Lou Reed… Bref, si ces lignes pouvaient produire une étincelle pour allumer la mèche et bien je n’aurais pas perdu tout à fait ma nuit… RIP Lou !

Rock Hero : Jim Morrison

Chaman ? Grand sorcier ? Poète ? Ou rocker… ? Chaman, c’est risible. Grand sorcier, consternant. Poète, si on veut… Alors quoi ?… Rocker ? Peut-être bien, après tout !

C‘est sur le campus de l’UCLA où il suit des études de cinéma que Jim rencontre Ray Manzarek, Robby Krieger et John Desmore, tous trois issus comme lui de la middle class. Ils fondent les Doors, pas vraiment A Feast of Friends, mais l’alchimie musicale entre eux fonctionnent parfaitement : au jeune héros la lumière, tandis que dans l’ombre, les trois autres s’activent à élaborer une musique hypnotique propre à accroître le rayonnement de l’éphèbe solaire.
En 1967, l’année du Love Summer, la jeunesse se découvre un nouvel amant : Jim Morrison. Il a 23 ans, une allure folle de poète sexy rock qu’il cultive à souhait, et un ego à faire pâlir Jagger. Bref, tout pour devenir rock star. Incontrôlable sur scène comme à la ville, il multiplie les frasques et les expériences extrêmes sur fond de quête mystique Luciférico-chamaniKKK. Obsédé par William Blake et Huxley, Jim veut « ouvrir les portes de la perception  », chimère qui deviendra un véritable serpent de mer s’enroulant autour de cet arbre un peu creux d’élévation du niveau de conscience et de perception. L’époque s’y prête ! S’il expérimente les drogues hallucinogènes, acides et psychotropes en tous genres, l’héroïne ne le branche pas plus que ça. L’alcool est sa drogue dure.

Le roi Lézard

Se laissant surnommer le roi Lézard, il entretient des rapports ambivalents avec son statut de rock star. Statut qui le gêne aux entournures, panoplie étriquée craquant peu à peu aux coutures comme craquent ses futes de cuir, à mesure que sa silhouette s’épaissit.
Chaman Jim entre en transe, élève sa conscience afin de transmettre son Énergie à ses adeptes ! « Nous sommes des politiciens érotiques  », beugle-t-il, jamais en retard d’une sentence définitive bien sentie. Car les Doors théâtralisent de plus en plus leurs prestations scéniques, cherchent à les transformer en cérémonies mystiques. Hélas, c’est bien cette imagerie empesée, ce fourre-tout Chaman-loo qu’a retenu Oliver Stone dans le biopic roboratif qui exalta le mythe et relança les ventes d’albums.

Heureusement, il y a le concert du 1ermars 1969 à Miami : sur scène, Morrison, ivre, se met à insulter les flics, les provoque avec un sourire sardonique et brandit (ou ne brandit pas, telle est la question) sa queue. Jeté en taule, il en sort rapidement mais reste interdit de concert dans l’attente du procès… Bref, il redevient un rocker. Au moment même où son image de rock star l’encombre, il semble s’affranchir du carcan spiritualo-mystique balourd, mal assimilé et bourré de trous qu’il a entretenu. En juillet de la même année, il assiste subjugué au retour sur scène d’un Elvis Presley sauvage : vêtu d’une combinaison kimono noir, son magnétisme animal irradie et le replace sur le trône. C’est cette pureté originelle, l’Énergie rock’n’roll infestée de Rythm and Blues, que Jim Morrison traque sur l’album Morrison Hotel (Peace Frog) ou sur LA Woman. Aux antipodes du piètre Soft Parade, dont il avait laissé les commandes à Manzarek, lequel s’était englué dans une préciosité éprouvante. Un naufrage artistique et public cuisant ! Avec ses prétentions mégalo symphoniques, l’album annonçait finalement tout ce qui allait suivre, la direction progressiste que prenait le rock et ses tentations virtuoses à venir (les Who de Tommy, Deep Purple et son philharmonique orchestra…)

« Rock is Dead »

Ayant rompu avec les Doors, seul en studio le soir de son anniversaire, Jim Morrison enregistre ses poésies et hurle « Rock is Dead ». Peut-être pressent-il justement l’impasse qui se profile en ce début seventies pour une musique sur le point d’enfler jusqu’à ce qu’une nouvelle génération, punk, ne fasse exploser la bulle dorée.
En mars 1971, le roi Lézard fatigué jette l’éponge, décrète qu’il en a fini avec le rock. Il veut écrire. Méconnaissable, il s’exile à Paris, rejoint par sa compagne Pamela Courson, junky notoire. La mort déjà ricane. Elle l’attend tapie au fond d’une boîte de SaintMichel, et lui tombe dessus sans coup férir. Heavy Drinker, Morrison n’a pas l’appétence de sa compagne pour la dope mais ce soirlà, il déroge et accepte l’héroïne trop pure d’un Frenchy des beaux quartiers, l’un de ces fils de bonne famille jouant au dealer. Foudroyé par une surdose, son cœur lâche. On le ramène (mort ou encore vivant, le mystère demeure) dans l’appartement qu’il occupe dans le Marais. La mort le fige dans son bain rue Beautreillis, dans une posture de rupture irréversible avec le rock. C’est bien le propre d’une mort prématurée que de fixer les êtres dans l’instant où elle les a surpris, ouvrant sur toutes les conjectures possibles.

Personne ne sortira d’ici vivant, comme le comme le chantait… Hank Williams !

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