Auteur/autrice : Emiliano Villa

J’ai testé le traitement « Aviator » contre l’hépatite C

Traînant une hépatite C chronique de génotype 1b depuis un bon quart de siècle, elle fut inopinément diagnostiquée en 2003. J’ai suivi un premier traitement incluant un cocktail d’interféron et de ribavirine. Et une biopsie, pour faire bonne mesure. Ainsi qu’une quantité quasi industrielle de Doliprane®, pourtant assez nocif pour le foie. Au bout d’un an, le traitement semblait avoir réussi. Six mois plus tard, rechute. Rebelote en 2006, nouveau traitement avec les mêmes molécules. Et le même résultat. En 2008, mon médecin estimait qu’il serait inutile d’entreprendre le même traitement une troisième fois. Et me conseilla d’attendre l’arrivée de nouvelles thérapies. Une attente qui durera cinq ans.

En trois mois, le virus avait plié bagage

En 2013, j’aurais pu entamer un nouveau traitement, mais cette fois associant bocéprévir (ou télaprevir), interféron pégylé et ribavirine. À vrai dire, autant l’hépatite obérait tout projet à moyen ou long terme, autant l’idée de m’infliger l’infâme cocktail pendant un an ne me remplissait pas d’un enthousiasme délirant. Mais je pouvais aussi attendre six mois de plus et faire le cobaye pour une étude en cours. « Étude randomisée, en double aveugle, contrôlée versus placebo, visant à évaluer l’efficacité et la tolérance de l’ABT-450/r, de l’ABT-267 et de l’ABT-333 coadministrés avec la ribavirine chez des patients adultes présentant une infection chronique par le VHC de génotype 1 et ayant déjà été traités. » Coup de bol, je faisais partie du groupe n’ayant pas reçu de placebo.

En trois mois, le virus avait plié bagages, à raison d’un rendez-vous tous les quinze jours à l’hôpital. Les effets secondaires m’ont paru négligeables, comparés aux deux traitements précédents. Faut savoir qu’autour de 10% des patients ressentent de la nausée, de la fatigue et des maux de tête. Ça m’est arrivé aussi, mais très épisodiquement. Comme pour les deux traitements précédents, la prise de ribavirine entraîna une anémie, quelques problèmes mineurs aux poumons et une irritabilité exacerbée. Mais sans commune mesure avec l’agressivité incontrôlable que je ressentais les deux premières fois.

Mes perspectives se sont inversées

Autre différence : l’abstinence. En 2003 et 2006, les médecins avaient été catégoriques sur l’interdiction de consommer la moindre goutte d’alcool pendant les années de traitements. Et les fois où je me suis risqué à ignorer cette injonction, je le payais au prix fort les jours suivants. Pareil pour les médicaments autres que l’interféron et la ribavirine. J’avais des troubles du sommeil et étais dans un état dépressif, mais mon médecin d’alors ne pouvait me prescrire ni d’anxiolytiques ni de somnifères. Rien de tout ça pour le troisième traitement. J’ai pu continuer à prendre du Xanax® et à boire occasionnellement sans que ça me rende malade.

Mais c’est surtout sur le plan psychologique qu’il se passe quelque chose à la conclusion du traitement : alors que j’étais devenu un « aquoiboniste » chevronné, mes perspectives se sont inversées. Maintenant, mes envies se démultiplient plus vite que je ne peux les réaliser. Et ça, c’est vraiment grisant.

Zohydro ER, l’« héroïne en cacheton »

Zohydro est arrivé ! L’héroïne en cacheton

Zohydro ER, l’« héroïne en cacheton »

 

Alors que les Américains connaissent depuis dix ans ce qu’ils appellent eux-mêmes une « épidémie d’addictions aux opioïdes et à l’héroïne », le laboratoire pharmaceutique californien Zogenix a mis sur le marché au printemps dernier un nouveau produit : l’hydrocodone bitartrate.

Comme l’OxyContin®, longtemps tête de gondole des narcotiques les plus détournés aux USA, il pourra être pulvérisé et ingéré de façon à décupler ses effets et leur intensité. Le ZX002 ou Zohydro® ER est un opiacé à effet prolongé (douze heures) 5 à 10 fois plus dosé que le Vicodin®. Ce dernier est un cocktail d’ibuprofène et d’hydrocodone, dont la popularité aux US est de notoriété publique. En 2010, c’était le médicament le plus prescrit outre-Atlantique : 131 millions d’ordonnances remplies.

Une autorisation de mise sur le marché olé-olé

En France l’hydrocodone est classé stupéfiant. Il n’est pas commercialisé car on préfère les anti-douleurs à base de morphine.

Le jour même où la Food and Drug Administration détaillait de nouvelles restrictions fédérales concernant les hydrocodones combinés comme le Vicodin®, elle annonçait l’autorisation de commercialisation du Zohydro®. Et ce, contre l’avis de son propre comité consultatif. Tandis que l’indignation monte parmi les responsables de santé publique, il semblerait qu’un autre produit, le Moxduo®, une mixture de morphine et d’oxycodone, devrait aussi être commercialisé prochainement. Tant d’incohérences au sein de la FDA peuvent laisser songeur, mais elles s’expliquent assez aisément.

Depuis quelques années, « Big Pharma » a du souci à se faire. Elle ne fait plus partie du « Fortune 500 », le classement des « most profitable » industries. Les profits baissent et les brevets tombent dans le domaine public. Une des solutions pour permettre de se refaire a consisté à faire assouplir la législation relative aux cycles de tests cliniques des nouveaux produits, et, par ailleurs, à inciter les prescripteurs à étendre l’usage des opiacés.

Big Pharma en embuscade

Décidément tout, absolument tout ce qui a été successivement inventé pour remplacer l’opium aura été une catastrophe sanitaire !

Maintenant que c’est chose faite, on peut se demander comment des millions d’Américains1 se retrouvent à croquer autant d’antidouleurs narcotiques, jadis réservés aux patients en phase terminale. C’est parce que « Big Pharma » a arrosé les médecins-conseils afin qu’ils suivent leurs recommandations de prescription de narcotiques. D’après le Milwaukee Wisconsin Journal Sentinel, citons à titre d’exemple le cas de l’American Geriatrics Society qui amenda en 2009 ses recommandations aux médecins, les poussant à prescrire « plus rarement de l’ibuprofène et du naproxène, au profit d’opioïdes pour tous les patients souffrant de douleurs modérées à intenses »2. Ben voyons. La moitié des experts du panel était également conférencier, consultant ou conseil suborné par l’industrie des opioïdes au moment de la publication du rapport. L’université de Wisconsin a aussi encaissé 2,5 millions $ provenant de l’industrie des opioïdes destinés à son « Pain & Policy Studies Group », alors qu’elle prônait un élargissement de l’usage des analgésiques narcotiques.

So ? What else is new ?

D’après l’enquête du Trust for America’s Health, une organisation à but non lucratif basée à Washington D.C., les drogues les plus fréquemment prescrites, genre Vicodin®, Xanax® et Adderall®, causent davantage de morts que l’héroïne et la cocaïne combinées. Certains États paient un tribut plus élevé que d’autres, la Virginie de l’Ouest, le Nouveau-Mexique et le Kentucky se distinguant par leur nombre de décès par overdose. Mais le constat reste valable pour l’ensemble du pays. D’après le Center for Disease Control and Prevention, près de la moitié de la population étasunienne prend au moins un des médicaments impliqués dans la mort de 100 000 Américains par an. Une population de 300 millions d’habitants divisée par 2 = 150 millions de clients plus que fidélisés. Yeah ! 415 $ le flacon de 60 cachets de Zohydro® en pharmacie (20 à 30 $ le cachet dans la rue, ça fait 1 800 billets verts), les actionnaires vont être contents.

zoydrosure lock
Conditionnement avec bouchon dit « de sécurité ».

Y a-t-il un pilote dans l’avion ?

Ben, non. Et c’est bien le problème quand une prétendue « main invisible de l’économie » dicte ses exigences de rentabilité, au détriment de la vie elle-même. Le Zohydro®, futur OxyCodin® 2.0 : la marchandise idéale. Et qui fait gober toutes les autres.

En attendant, le bilan humain est plutôt lourd : plus de 17 000 décès par overdose d’opiacés par an. Et les hospitalisations pour surdose due aux narcotiques de synthèse sont passées de 299 000 en 2001 à 885 000 en 2011. Taxé de légèreté et d’avoir fait primer les intérêts de Zogentix sur ceux des consommateurs, le porte-parole de la FDA, Morgan Liscinsky, opina : « Les prescripteurs disposent maintenant d’une option hydrocodone pour les patients requérant un opiacé à effet prolongé. » Ouf ! Tout va pour le mieux, alors…


Notes :

1/ Représentant à peine 5 % de la population mondiale, les Américains consomment 80 % des produits opioïdes, d’après ABC News.
2/ Grâce à cette opportune réévaluation du rôle des opioïdes dans la pharmacopée, Businessweek relève qu’ils sont maintenant prescrits pour une large palette de pathologies : douleurs lombaires, céphalées, arthrite, fybromyalgies, douleurs dentaires, dépressions et même dans des cas de « chômage ».

Dr Hart, a neurobiologist in the land of Civil Rights

Dr Hart’s biography on the Albatros Congress’ website is a masterpiece of understatement. Reference is made1 to his “therapies to reduce cocaine consumption“ and his commitment on behalf of underprivileged patients”. In fact, High Price’s author prescribes psycho stimulants in a medical environment, while denouncing the warfare waged against Afro-Americans in the name of the War on drugs. Seemingly out of place at the annual international congress of addictology, his lecture was in itself a small revolution. ASUD took this opportunity to find out a bit more on this neurobiologist, who fingers the futility of neurobiology.

ASUD: My first question is straight forward: why did you want to become a neurobiologist?

Dr Hart: When I was young — in the 70’s and even more so in the 80’s — crack was extremely prevalent in the black community, and I wanted to have a better understanding of the mechanisms of drug addiction. There was a consensus that crack was destroying the black community. I thought it was my duty to discover the neurobiological mechanisms of addiction, and to cure the members of my community. Poverty and unemployment, all these ills sprung from “crack cocaine”. So I determined to study drugs and the brain, from a scientific viewpoint.

ASUD: And at that time you believed in the power of medicine to cure people who take drugs?

Dr Hart: Absolutely! In biology you discover how much crack cocaine causes brain damage, and so why not use medication to cure people? What interested me was the concept of the medicalization of treatments for addiction.

ASUD: And how long did you pursue this course?

Dr Hart: For a decade. 1990 to 2000. In the U.S. this period was referred to as the “decade of brain”. Consequent funding was made available for the scientific study of the brain. And I was completely steeped in this medicalisation.

ASUD: When did you start having your first doubts on the medical treatment of dependency?

Dr Hart: After having published dozens of articles on as many different medications, I started telling myself: “Hum, they are not working that well after all!”

Not being poor and socially integrated conditions one’s drug usage. After noting this recurring fact thousands of times, my point of view started shifting, as the need to explore other fields of study.

ASUD: So you started investigating alternate means of treatment.

Dr Hart: I looked at the statistics. In 1998, my mentor’s motto was: “Show me the data”. And when I earnestly examined the data, I realized we were barking up the wrong tree. Our priorities were misguided, and should have been more of a psycho-social nature. The data was overwhelming. When I understood the significance of rigorously analyzing the data, I also found the direction I wanted to take.

ASUD: So, could you try to define — for our French readers — the relationship between addiction and racial discrimination?

Dr Hart: The relationship between drug addiction and discrimination? There isn’t any. What there is — is a correlation between drug policy and racial discrimination.

ASUD: So how can policy be changed?

Dr Hart: Part of the problem is that people who study drugs are mainly concerned with addiction. This is irrelevant, because 90% of the people who do drugs, are not dependent… In addition, if you tally drug abusers and dependent users, it only amounts to 10 to 20% of the people who take drugs.

ASUD: How could one stabilize recreational drug users, and prevent them from developing addictions?

Dr Hart: All right, let me give you the numbers for those who go from recreational to compulsive drug taking:

  • 10% of those who drink alcohol will become dependent.
  • 9% for marijuana
  • 15 to 20% for cocaine
  • 20% for heroin
  • and 1/3 of those who light up their first cigarette.

Tobacco is plainly at the top of the list. The question really is what can a society do to prevent people from becoming dependent. And the answer is: plenty. First off, let’s face up to the real causes of addictions. There are many psychiatric comorbidities, schizophrenia, anxiety and severe depression are all major causes of dependency.

Another category of people develop dependencies because — shit — their life sucks, and they are making a rational choice in abusing drugs. And from their point of view, it’s not the worst thing they could choose…

ASUD: Is it the state’s responsibility to teach us how to use drugs?

Dr Hart: Let’s make an analogy with automobiles. Who’s responsibility is it to teach responsible driving? It’s up to the state to inform you that smoking a drug is safer than eating it. And to warn you “go easy on the dosage if you’re a novice”.

ASUD: By which authority? Doctors?

Dr Hart: What? No. Physicians must not have a monopoly on drug education. Who has the skills to educate people who do drugs? The State employs pharmacologists, educators and legal advisors. They should be used to regulate drug consumption in the same way air traffic is controlled.

ASUD: Are you implying that they should have experienced taking drugs?

Dr Hart: Must a surgeon have experienced an accident in order to treat the victim of one?

ASUD: Of course not, I’m referring to professionals who take into account the users’ perspective.

Dr Hart: Let’s just call that expertise. Opening up one’s mind in order to assimilate the user’s point of view is quite simply, being qualified.

ASUD: OK, I get it. Now I’d like to get your take on two French blind spots. The first one concerns the crime consisting in publicizing the positive aspects of drug taking. The second concerns the directive that no ethnic data may be gathered in any official document. How do these two blind spots relate to one another ?

Let’s talk about the first point. When I gave my lecture earlier today, I started out saying:

“ If this is the first time you are hearing about the positive aspects of drugs during a congress, this casts a serious doubt on the competency of the physicians in attendance. Your patients are suffering…” I was the first lecturer to speak, so of course all the following speakers admitted, “yes there are positive aspects in drug taking”.

The second point concerning racial profiling is just plain stupid. I can understand the generous spirit in which this regulation is enforced, but on a more practical level, it prevents any statistical evaluation of the extent of discrimination… You said French society pretends to be color blind, but in fact a certain part of public opinion — especially on the extreme right wing of the spectrum — spin race issues, in particular when dealing with drugs or prison. We need to know the truth on these issues. The one thing poor people need is the truth on these figures, they don’t have money or charisma, their only hope lies in the data.

ASUD: Is there a link between drug taking and identity disorders?

Dr Hart: Of course. I mentioned earlier that people do make rational choices. So yes, people who do drugs compulsively are experiencing trauma and pain.

Interview by Fabrice Olivet in Paris 06/06/2014


Notes :

1/ Carl Hart, High Price, drugs, neurosciences and discovering myself, 2013

L’enfant radieux

« J’avais du fric, mes toiles n’avaient jamais été aussi bonnes. Je vivais en reclus, travaillant beaucoup, me défonçant beaucoup. J’ai été odieux ».

Basquiat in The New York Times

The Radiant Child
Date de sortie : 13 octobre 2010 (1h28min)
Réalisé par Tamra Davis
Avec Julian Schnabel, Larry Gagosian, Bruno Bischofberger…
Genre : Documentaire
Nationalité : Américain

Habilement construit autour d’entretiens filmés trois ans avant sa mort (par overdose), ainsi que d’interviews plus contemporains, le film retrace la vie météorique et l’œuvre imposante de l’artiste américano-haïtien. Le documentaire est honnête, sincère et bien ficelé. À voir, donc.

Habitant Manhattan de 1976 à 1986, et plus précisément dans le Lower East Side, j’ai souvent croisé, puis sympathisé avec Basquiat. On s’est perdus de vue quand il se mit à fréquenter de moins en moins de zonards, et de plus en plus de « Glitterati1 ».

L’évocation — dans le dernier quart du film — du rôle non négligeable de l’héroïne dans le parcours de Basquiat, m’a intrigué. Remettons-nous un instant dans le contexte de la fin des années 1970, à New York. La ville est officiellement en faillite, le président Ford refuse toute aide financière fédérale et tous les services sociaux subissent une brutale cure d’austérité.

Bien sûr la tension monte, et en 1977, une banale panne de courant sur l’île de Manhattan déclenche l’explosion : 3 jours d’émeutes et de pillage généralisés dans les cinq « Boroughs2 ».
CQFD, le peu de flics encore en poste étaient en grève.

Bushwick
« Noël en juillet » à Bushwick en 1977

C’était l’agonie du « Welfare State », et l’interlude avant l’arrivée de Ronald Reagan et des Neo Cons (ervatives) au pouvoir. Dans les ghettos, et de longue date, la pratique de l’« endiguement » était en vigueur. C’est-à-dire qu’une tolérance limitée du trafic de dope existait.

Mais seulement dans les ghettos, et principalement destinée à une clientèle noire et latino. La série The Wire décrit parfaitement l’ambiance qui régnait à cette époque, dans les rues du Lower East Side. La « guerre contre la drogue » comme méthode de contrôle social, en gros. Inutile de préciser que la schnouf était omniprésente, et disponible à tout moment. De longues files d’attente se formaient, en pleine rue et en plein jour, devant les immeubles abandonnés, squattés par les revendeurs. J’avais l’impression que l’autorité de l’État se vaporisait (OK, je l’avoue. Je ne faisais pas trop de différence entre désirs et réalités). Que New York City, ou du moins le L.E.S.3, était devenue une espèce de Zone autonome temporaire. En plus, des décennies de propagande antisoviétique diffusée par le complexe militaro-industriel avaient fini par nous convaincre de l’inéluctabilité d’un holocauste thermonucléaire. A court, ou moyen terme.

« Live fast, die young… » n’était pas juste une « pose » pour ados en manque de punkitude, mais un constat lucide sur la situation que nous vivions. C’est à cette époque que je remarquais d’étranges aphorismes subversifs, bombés sur les murs de la ville, et signés SAMO©.

Graffiti-SAMO-de-Jean-Michel-Basquiat-nos-anos-80-Estados-Unidos-3[1]
Samo©… comme une fin du salariat « j’ai fait des études » « pas ce soir chéri(e) »… Bluz… Réfléchis…

Un de leurs auteurs était Jean-Michel Basquiat. Rencontré au cours de mes propres campagnes d’affichage nocturne, on a sympathisé et il passait irrégulièrement me voir dans le taudis que j’occupais, sur le Bowery. Un gars taiseux. Douloureusement timide. Je ramais comme un damné pour lui arracher quelques mots, au cours de nos simulacres de conversation. Passent quelques mois, et chacun de notre côté, en plus de nos activités de « plasticiens de rue », nous fondons des groupes musicaux. Le sien se nomme « Gray ». Et il ne « savait » pas plus jouer de la clarinette, que moi de la basse… Un avantage, nous semblait-il. La virtuosité est chiante. Ce qui compte, c’est l’intention. Que ça soit en musique, ou en peinture d’ailleurs…

Rock-star/peintre

Mais ce qui m’intrigua chez Jean-Michel fut sa soudaine métamorphose. Plus la moindre trace de timidité. Le gars était devenu disert, plein d’humour, très sûr de lui, et de ce qu’il avait à faire. Comme si tout ce qui était refoulé en lui se libérait subitement. Il développa une force de travail démente, et un sens de l’autopromotion redoutable. Pour rester éveillé et concentré sur une tâche, deux à trois jours d’affilés, me dis-je, c’est qu’il doit être dans cette phase « ascensionnelle » de sa rencontre avec le smack4. Un proche de Warhol rédigea un article élogieux sur son travail dans Art Forum. D’autres journaux suivirent. Il exposa au Times Square Show. Fit la connaissance de Warhol au culot, dans un resto, où il déjeunait avec un galériste.

À partir de là, sa renommée en fit une rock-star/peintre. Il changea d’amis. Naviguait au jugé parmi les « Beautiful People » et devint riche. Sous la pression constante des galeries pour produire toujours davantage, il se défonçait allègrement. Probable qu’à ce stade de son addiction, l’heroïne lui ne lui procurait plus cette « lucidité créative » des premiers jours.

Après une cure de sevrage (la deuxième), de retour chez lui, il s’administra une surdose.

Une fin tristement banale. Ceux qui y échappèrent croisèrent aussi la faucheuse du HIV. [Keith Haring, dont le « succès » critique et commercial était plus patent, y succombera un an et demi plus tard]. Était-ce intentionnel ? Sûr que sa désillusion concernant sa vie, et ce qu’elle était devenue devait être cuisante. La mort de son mentor, Warhol, la chute de sa productivité et de sa cote sur le marché de l’art n’ont sans doute rien arrangé.

asbestos

Reste aujourd’hui environ un millier d’œuvres qui ne sont pas QUE des marchandises5.

Et elles nous donnent encore de précieux indices, pour sortir de ce dédale où nous nous consumons.

 Notes

1 – Jeu de mots sur Litterati, l’élite intello, et Glitterati, l’élite paillettes. Aujourd’hui, on dirait bling-bling.
2 – The Bronx, Brooklyn, Manhattan, Queens, & Staten Island.
3 – The Lower East Side.
4 – Héro.
5 – En 2007, la vente aux enchères de ses œuvres totalisa plus de 115 000 000 $.

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