Après Charlie, d’un pharmakon à l’autre

Nous sommes donc entrés dans l’ère post-Charlie. Une de ces périodes historiques en forme de césures où l’on se surprend à penser à l’avant et à l’après. Après Charlie, plus rien ne sera comme avant. Chacun se rappelle ce moment crucial du 7 janvier : À qui a-t-on parlé ? Où étions-nous ? Le 11 septembre français a éclipsé des événements majeurs comme les aventures littéraires de Valérie Trierweiler ou le périple carcéral de Nabila. L’espace d’un court instant, nous voilà tous obligés de réfléchir à nos vies, nos métiers, et forcément ici, à la rédaction d’Asud, la question est venue d’elle-même : Et la drogue dans tout ça ?

La réponse, c’est le pharmakon, ce mot grec signifie à la fois le remède, le poison et la victime expiatoire, le bouc émissaire que l’on sacrifie… On comprend aisément pourquoi ce mot fascine les spécialistes des addictions. Il désigne à lui seul les faces multiples du monstre connu sous le nom de « drogue ». Poison pour les uns, remède pour d’autres, mais surtout bouc émissaire, prétexte idéal, casus belli de rêve. Le pharmakon, c’est une entrée permanente pour les chars en Pologne, un attentat quotidien de Sarajevo. Grâce à lui, les hommes riches et puissants de nos vieilles démocraties d’Occident peuvent dormir tranquilles, il sera toujours là pour être brandi si nécessaire. Depuis 1970, le pharmakon nous aide à maintenir l’ennemi sous pression, à savoir les jeunes, les minorités d’origine africaine, les pauvres, et de préférence, ceux qui sont tout cela à la fois.

Le pharmakon, donc. Il y a quelques années, nous avions déjà évoqué ce lien entre l’usage de substances psychoactives et le recul de la religion. Nous avions suggéré de considérer la place occupée dans nos sociétés matérialistes et athées par le nouveau clergé en blouse blanche qui détient le pouvoir magique de prescription. Nous avions écrit sur les « chimiocrates », ceux, addictologues ou addicts tout court, qui croient au pouvoir des petites pilules pour changer la vie. À l’époque, les fous de Dieu commençaient à faire la Une des journaux, mais les quartiers dits « sensibles », peuplés de descendants d’immigrés, étaient depuis longtemps engagés dans une sinistre dialectique entre le dealer d’un côté et l’imam de l’autre, la République ayant déclaré forfait.

Le temps a passé, creusant toujours le même sillon… Pharmakon : poison, remède et bouc émissaire. Aujourd’hui, c’est l’islam qui colle point par point à ces trois définitions. Attention, un pharmakon peut en cacher un autre…

edito-asud-56 Djihadistes anonymes

Jimmy Kempfer (1955-2014)

Jimmy s’en est allé, il nous a quittés pour rejoindre Georges, Véronique, Esther, Momo, Mansour, Jean-Pierre, Gérald, Gilles, Olivier, presque tous emportés par le sida ou l’hépatite C.

Avec la mort de Jimmy, la famille Asud paye encore un nouveau tribut à la politique criminelle qui a privé toute une génération de l’usage de seringues stériles pour consommer des drogues.

Salut camarade, te voilà parti comme bien d’autres militants qui ont fait les beaux jours d’Asud, et c’est bien triste. Le souvenir de notre dernière rencontre me rappelle les bons moments que nous avons partagés quand nous étions (plus) jeunes et beaux.

La lutte continue, tchao mon pote.

Jeff, directeur d’Asud-Nîmes

La lutte perd un militant de longue date. Les militants d’Aides, dont beaucoup gardent de lui un souvenir vivace, se joignent à moi pour témoigner de son engagement.

Nos condoléances à sa famille, ses amis, à Asud.

Vincent, directeur général d’Aides

Jimmy_Kempfer_2006_Damien_RoudeauGraphiste pour Asud-Journal de 2006 à 2013, j’ai travaillé pendant ces sept années psychédéliques en étroite collaboration avec Jimmy, aka Iconomaster, le grand iconographe de toutes les substances psychoactives (même celles que vous ne connaissez pas encore). J’ai passé des journées entières à shooter (pardon, numériser) les trésors de flyers, gravures et zines ultrarares consacrés à la foncedé, qu’il avait chinés toute sa vie dans des lieux improbables. Je me souviendrai toujours de l’interview de Vincent Ravalec qu’on avait faite chez lui. Jimmy lui posait des questions pendant que je le dessinais. On lui avait promis que l’entretien durerait une heure maximum et trois heures plus tard, Jimmy rebondissait encore sur ses propres questions, exhumait des images, sans que Ravalec n’ait pu en placer une !

Sur sa carte de mariage, on pouvait admirer une jolie dame taper de grosses traces de diamants. Et sur sa carte de décès, sûr qu’il aurait demandé à Ouin de lui dessiner un Bloodi avec le majeur bien haut. Parce que Jimmy ne demandait ni pitié ni « respect » pour les tox. Il réclamait juste des droits. Repose en révolte, camarade, et sniffe-nous tous ces nuages là-haut.

Damien

Si j’étais croyant, je souhaiterais à Jimmy de découvrir toutes les substances de l’au-delà et surtout, de nous en tracer l’histoire ou l’usage comme il savait si bien le faire.

William, SOS-addiction

Jimmy_Kempfer_2005_Barbes1_Damien_RoudeauC’est tellement dur d’accepter que tu sois parti ! Tu étais tellement vivant, tellement occupé, tellement curieux, intelligent, passionné, insolent… Tu étais tellement doué pour tant de choses, tu ne suivais jamais la foule, tu avais le courage de te dresser pour nos valeurs… Tu as toujours veillé sur moi qui suis un peu « tête brûlée », comme un genre de frère aîné un peu spécial. Tu étais l’activiste-type, le journaliste-type, tu étais en train de devenir le collectionneur-type.

Comment te dire adieu ? Ce n’est pas possible, je ne peux pas. Je vais garder mes souvenirs de toi et ton nom dans le UK Museum of Drugs, où nous allons regrouper ton iconographie consacrée aux drogues dans une collection unique.

Au revoir Dearest Friend

Erin, London, Black Poppy

Jimmy était un ancien membre de Techno +, un soutien et un partenaire de longue date qui a marqué des générations de volontaires. Il incarnait la Drug Culture comme personne. Son côté iconoclaste et provocateur le rendait inoubliable. Que la Drug Culture vive, c’était ton souhait.

Techno +

FB_planche2_JimmyJimmy était passionné, curieux, souvent très drôle… Des traits de caractère qui le faisaient apprécier.

Passionné par le terrain, il y avait réalisé de nombreux travaux au plus près des usagers. Jimmy était une référence, comme en témoignent ses nombreuses collaborations avec Audvih, Asud, la clinique Liberté, le Crips, l’Ofdt, l’ORS-IdF, Techno+, Swaps, et j’en oublie.

Asud-Nîmes s’associe à la douleur de ses proches, avec une pensée particulière pour sa femme qui le soutenait.

Étienne

Jimmy Kempfer

De la difficulté de légiférer sur la conduite en état d’ivresse stupéfiante

Retour sur la loi Marilou ou comment la mort tragique d’une petite fille a donné lieu à l’élaboration de l’arsenal législatif destiné à lutter contre l’usage de drogues au volant.

En 1993, au nom de la sécurité routière, on nomme un comité chargé de rédiger un Livre blanc sur les effets des médicaments et des drogues au volant, un comité présidé par Georges Lagier, membre de l’Académie nationale de médecine et fervent prohibitionniste. Sorti en 1995, Sécurité routière, drogues licites ou illicites et médicaments souligne « la discordance entre la richesse des mesures législatives et réglementaires concernant l’alcool, et la quasi-absence de dispositions spécifiques concernant les médicaments et surtout les drogues illicites », et préconise de modifier la législation sur le code de la route afin de rendre possible la détection « d’une conduite sous l’influence de substances, illicites ou détournées de leur usage, capables de modifier l’aptitude à la conduite ». Et nos auteurs de suggérer d’effectuer des recherches seulement en cas d’accident corporel ou lors d’une infraction grave aux règles de la circulation. Mais à l’époque, la France ne dispose pas de test capable de détecter les principales drogues illicites, encore moins de définir un seuil au-delà duquel l’automobiliste est sous influence d’un stupéfiant.

En 1996, Richard Dell’Agnola présente un projet de loi afin de dépister l’usage de stupéfiants au volant où il propose, en cas d’accident, de punir de deux ans de prison et 30 000 francs d’amende tout conducteur dont le test urinaire s’avérerait positif. Et Patrick Sansoy, président de la Dgldt (Délégation Générale à la Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie), de s’étonner que les neuroleptiques soient exclus de ces tests de dépistage ! C’est finalement le 18 juin 1999 qu’est votée la loi instituant un dépistage systématique de stupéfiants sur tout conducteur impliqué dans un accident mortel. Son décret d’application paraîtra en août 2001, au moment où le gouvernement lance une enquête épidémiologique relative à l’influence des substances stupéfiantes sur 10 000 conducteurs impliqués dans un accident mortel.

Une loi de circonstance

Un fait divers tragique va précipiter les choses. La nuit du réveillon de l’an 2001, sur le coup de 4h00 du matin, la Scénic de la famille Poinsot est violemment percutée par une Renault 21. Marilou, 9 ans et demi, est tuée sur le coup. Le 25 avril 2002, ses parents fondent l’association Marilou : pour les routes de la vie, dont l’objectif est de renforcer les réglementations en vigueur mais aussi d’intervenir dans les médias et dans les écoles pour sensibiliser les ados sur les dangers de la drogue au volant.

association marilouAveuglée par la douleur et convaincue de défendre une juste cause, Nadine Poinsot interpelle nos députés et même Jacques Chirac. Invitée sur tous les plateaux télévisés où l’on disserte du « fléau » du cannabis, elle est d’une redoutable efficacité : punissant la conduite sous emprise stupéfiante, la proposition de loi déposée par l’inusable Richard Dell’Agnola sera votée en janvier 2003.

Pour justifier de la nécessité d’une loi, le député s’appuie sur une étude de Patrick Mura (président de la mystérieuse Société française de toxicologie analytique) qui affirme que 20% des conducteurs de moins de 27 ans impliqués dans un accident étaient sous l’emprise du cannabis ! Une étude que le professeur Claude Got (expert en accidentologie) conteste : « Sur les huit études épidémiologiques menées dans le monde sur le sujet, écrit-il, une seule a pu mettre en évidence un lien entre consommation de cannabis et risque routier. » Pour ne prendre qu’un exemple, l’étude du Transport Research Laboratory australien, qui a fourni à quinze fumeurs aguerris des pétards de beuh californienne corsée avant de les mettre au volant, amène l’Australian Drugs Foundation à conclure que le cannabis diminuerait le risque d’accidents!

En France, l’étude « Stupéfiants et accidents mortels de la circulation routière » (SAM) est quantitative. S’appuyant sur un échantillon de 7 458 conducteurs impliqués dans des accidents mortels répertoriés en France entre 2001 et 2003, elle a conclu que le nombre annuel de victimes imputables au cannabis sur les routes serait de 230. Il « tuerait » dix fois moins que l’alcool, d’où l’hésitation du gouvernement à publier les résultats de l’étude SAM.

Gare aux yeux rouges

Lors de la discussion à l’Assemblée nationale, la palme du ridicule qui ne tue pas pour autant revient à Jean-Claude Lemoine (UMP) qui affirme « qu’un joint équivaut à 0,80 gramme d’alcool dans le sang ». Les députés de droite votent le texte de loi à l’unanimité, suivis par les députés socialistes présents dans l’hémicycle. Quant aux Verts et aux communistes, ils votent contre. Si le test détecte aussi d’autres drogues, la cocaïne, l’héroïne, les amphétamines, la loi a oublié en cours de route (merci les lobbies pharmaceutiques) les médicaments psychotropes dont les Français sont si friands.

Depuis 2003, donc, policiers et gendarmes doivent soumettre à un dépistage tout conducteur impliqué dans un accident mortel mais aussi, et c’est là que le bât blesse, « après une infraction au code de la route ou pour suspicion de conduite sous influence ». Gare aux yeux rouges !

Subsiste tout de même un gros problème : lors de la prise de sang qui suit l’analyse d’urine lorsqu’elle est positive, un seul nanogramme (neuf millièmes de milligramme) de THC détecté suffit à faire de vous un danger sur la route. D’où le nombre d’automobilistes testés positifs alors qu’ils avaient fumé la veille.

En 2008, le test salivaire remplace le test urinaire, mais d’après une étude du professeur Patrick Mura relayée par l’Académie nationale, 10,1% des conducteurs contrôlés se sont révélés être des faux positif et 19% des faux négatifs !

« Ayons une pensée pour la jeune Marilou tuée par un chauffard sous l’emprise de stupéfiants », déclare Dominique Perben qui lui dédie cette nouvelle loi. Soutenue par toute l’arrière-garde prohibitionniste, parrainée par le Sénat, Nadine Poinsot a pesé de tout son poids pour que soit adoptée la loi contre la conduite en état d’ivresse stupéfiante… Et forte de ses soutiens politiques, l’association Marilou est aujourd’hui membre du Conseil national de la sécurité routière, agréée par l’Éducation nationale et autorisée à se porter partie civile dans les procès.

Surfant sur la vague d’émotion suscitée par la mort tragique d’une petite fille, la loi, avec la complicité de politiciens manipulés et manipulateurs, a été adoptée dans la précipitation. Une première devenue une mauvaise habitude sous le règne de Nicolas Sarkozy, qui a fait adopté cinq lois dans la foulée de faits divers sordides.

loiDes peines exemplaires !

Sans que personne ne s’en émeuve, la présidente de l’association Marilou a aussi dépensé beaucoup d’énergie pour que le conducteur de la voiture ayant accidentellement tué sa fille soit condamné à une peine exemplaire. Âgé de 18 ans, conduisant sans permis avec un taux de 13,4 nanogrammes de THC par millilitre de sang, il a été condamné par le tribunal de Pontoise à une peine de trois ans d’emprisonnement, dont un ferme, une condamnation que la famille Poinsot a trouvé trop clémente. En 2004, sous prétexte qu’il ne respectait pas les obligations édictées par le tribunal, Nadine Poinsot poussera à la roue pour que le tribunal de Versailles fasse sauter le sursis du conducteur de la Renault 21. Elle s’est aussi acharnée sur les passagers exclus de la procédure judiciaire, en obtenant qu’ils soient reconnus coupables du délit de « complicité d’homicide involontaire ». Ils seront condamnés à un an de prison avec sursis et 600 euros d’amende.

Nouvelle donne !

En 1992 est fondée une association dont l’objectif est de fédérer les usagers de drogues dures (pour reprendre la terminologie de l’époque) autour d’un journal. Il s’agit bien entendu d’Asud, une association d’autosupport composée de tox, des vrais…
Si nous avions en commun de consommer des drogues classées au Tableau A des stupéfiants, il n’était pas question de mettre sur le même plan l’innocent cannabis et la méchante héroïne, une opinion partagée par la grande majorité des cannabinophiles pour qui cette drogue représentait le diable en personne.

Notre première rencontre avec les Asudiens date de 1993… Et il nous a fallu user beaucoup de salive pour que les militants de base du Circ admettent, qu’au regard de la loi, nous étions tantôt considérés comme des délinquants, tantôt comme des malades, jamais comme des citoyens à part entière. Pour sceller notre soutien aux acteurs de la réduction des risques, le Circ publie en 1994 un texte intitulé Haschich et héroïne vont en bateau, et participe au mois de juin aux États généraux Drogues et sida organisés par le collectif Limiter la casse au Palais des congrès.

Un seul et même ennemi : la prohibition

Entre le cannabis, une drogue populaire ne présentant pas de problèmes sanitaires majeurs, une drogue socialement acceptable, et les opiacés, qui sont d’autant plus dangereux pour la santé qu’ils sont consommés dans des conditions précaires, enjeux et stratégies différent. Et pendant que les politiques des gouvernements successifs, pressés par les acteurs de la réduction des risques, et uniquement à cause des dommages causés par le VIH et le VHC, évoluaient au fil des années, les activistes du cannabis présentés comme des clowns et suspectés de faire du prosélytisme pliaient sous les coups de boutoir de la brigade des stupéfiants.

En 1998, les croisés de la prohibition ne s’en prennent plus uniquement au Circ, mais aussi aux associations qui soutiennent ses actions provocatrices et néanmoins salutaires. Et puis voilà que le président d’Act Up se retrouve devant la 16e chambre du tribunal de Paris, accusé de « présenter les stupéfiants sous un jour favorable » suite à la diffusion d’un flyer sobrement intitulé « J’aime l’ecstasy. Je suis pédé aussi ».

Ce procès a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase : militant dans leur coin et à leur manière pour limiter la casse ou pour imposer leurs arguments en faveur d’une légalisation du cannabis, les associations se rassemblent et fondent le Collectif pour l’abrogation de la loi de 1970 (Cal 70), un mouvement hétéroclite (Anit, Aides, Asud, Act Up, Circ, LDH, Limiter la casse, Médecins du monde, Syndicat de la magistrature, Techno +, MJS, Les Verts, les Jeunes Verts, les éditions du Lézard, l’Éléphant rose…) dont l’objectif était de dénoncer les multiples effets pervers de la prohibition et de proposer une alternative.

« Le sida est plus grave que la toxicomanie : il vaut mieux être vivant que mort, il vaut mieux inhaler et fumer de l’héroïne que se l’injecter, il vaut mieux prendre de la méthadone, travailler et avoir une famille, plutôt que se prostituer, attaquer les vieilles dames ou mourir dans un squat. Il vaut mieux enfin renoncer à l’usage de drogues. »

« Entre guerre à la drogue et légalisation : la réduction des risques », Anne Coppel, Libération (9 mars 1993)

En juin 1998, les organisations adhérentes du Cal 70 défilaient dans Paris pour demander l’abrogation de la loi de 1970 et réitéraient l’année suivante à Marseille. En 1999, après bien des tergiversations avec les militants du Circ, mais aussi avec les principaux acteurs de la réduction des risques, je suis candidat sur la liste des Verts pour les élections européennes et chargé de représenter l’antiprohibition. Une expérience enrichissante qui nous a convaincus de la primauté du débat si l’on veut persuader les sceptiques (et ils sont légion) des avantages que tirerait la société de la légalisation du cannabis, que ce soit sur le plan sanitaire ou économique.

De dangereux prosélytes

Nous étions sur la même longueur d’ondes et pensions que, tous réunis sous la bannière de l’antiprohibition, nous obligerions le pouvoir à nous écouter mais surtout, à entendre nos arguments. L’arrivée surprise de la droite au pouvoir a brisé notre élan et modifié les stratégies des uns et des autres. Si les associations de « réduction des risques » ont obtenu en 2004 que ce concept soit enfin reconnu par la loi de santé publique, cette politique a montré ses limites. Au XXIe siècle, le consommateur d’opiacés est toujours considéré comme un malade, jamais comme un citoyen à part entière. Au pays de la tolérance zéro, celles et ceux qui militaient pour la légalisation du cannabis (qu’il soit thérapeutique ou récréatif) ont juste réussi à passer aux yeux de l’opinion publique sous-informée pour des nostalgiques de mai 68, des irresponsables ou les complices des trafiquants… Bref, de dangereux prosélytes. Il n’a fallu que quelques années, un rapport du Sénat dont l’intitulé – Drogue, l’autre cancer – était pour le moins stigmatisant et une campagne de prévention caricaturale à l’usage des ados relayée dans tous les médias pour que l’opinion publique panique.

Le printemps du cannabis

La gauche est de retour et immédiatement l’ambiance se détend, même si nous savons qu’il ne faut pas attendre grand-chose de ce nouveau gouvernement. Et voilà que quelques militants aguerris qui avaient patiemment préparé leur coup sortent du bois et lancent le Cannabis Social Club (CSC). Frustrés sous l’ère Sarkozy, les médias relaient largement cette initiative. Mais nous ne sommes ni en Espagne ni en Belgique où l’usage du cannabis est dépénalisé, nous sommes en France où le débat est verrouillé pour cause de mauvaise foi (de mauvaise loi !) ou d’ignorance crasse des politiciens. Le peuple de l’herbe s’enthousiasme, les Cannabis Social Club fleurissent un peu partout, mais des dissensions apparaissent au sein du mouvement et lorsque Dominique Broc, l’instigateur du CSC en France, se retrouve en garde à vue, les structures censées se dénoncer ne jouent pas le jeu.

Aujourd’hui, d’anciens chefs d’État de pays dévastés par des conflits entre gangs pour le partage de territoires, d’anciens hauts responsables d’instances chargées de mener une guerre impitoyable contre la drogue, et même deux prix Nobel de littérature demandent en chœur à l’Onu de « cesser de criminaliser l’usage et la possession de drogues » et de « traiter de force des personnes dont la seule infraction est l’usage ou la possession de drogues ». Une Commission au-dessus de tout soupçon qui recommande aussi « de permettre et d’appuyer les essais dans des marchés légalement réglementés de drogues actuellement interdites, en commençant, sans s’y limiter, par le cannabis ».

Nouvelle donne et rebelote

Au moment où des expériences lointaines valident notre combat contre l’obscurantisme et l’hypocrisie, les activistes du cannabis se chamaillent et se dispersent. Quant aux structures de réduction des risques, dépendantes en partie de subventions, elles colmatent les brèches et gèrent au jour le jour. En octobre dernier, l’AFR qui, comme chacun sait, est « un collectif d’acteurs engagés rassemblant des militants, des professionnels, des bénévoles, des usagers, des structures » dont le Circ, organisait ses rencontres annuelles : « Drogues, la sale guerre ». Et qu’il s’agisse des participants aux tables rondes ou des intervenants (à l’exception de la présidente de la Mildeca), tous ont souligné que le moment était venu pour les associations de se serrer les coudes et d’organiser des débats afin de dénoncer les catastrophes sanitaires et sociales engendrées par la prohibition. Un travail pédagogique à mener auprès des Français(e)s et des élu(e)s, comme le soulignait Marie Debrus, la présidente de l’AFR.

Dopes : nouvelles tendances ou retour vers le futur ?

Toujours à l’affût des nouveautés en matière de drogues, Asud traque dans ce dossier les phénomènes émergeants à base de vieilles substances. La diffusion des nouveaux produits de synthèse continue partout en Europe, par Internet ou dans des smartshops. Dans une petite ville croate, j’ai découvert un « nouveau » stimulant : le PVP. Vendu dans une boutique 30 €/g sous le nom de « Dynamite », ce produit avait été découvert, puis abandonné, dans les années 60. La Commission des stupéfiants n’a pas fini d’interdire de vieilles et de nouvelles molécules.

« Codéine dans mon Sprite », chantent les MZ. Le Purple Drank se diffuse aussi en Europe via la culture hip-hop, sous un nom beaucoup plus stylé que le sirop à la banane de mon enfance qui faisait faire des rêves délirants et colorés. À 200 $ le flacon de syrup original sur eBay, je vais en rester au NéoCodion®.

L’huile de résine de cannabis n’a rien de nouveau, ce produit était rare et souvent de mauvaise qualité, un truc puant l’alcool frelaté, poisseux et qui coule dans la poche. Le BHO transformé en wax et consommé au daber ou au vape pen renouvelle avantageusement le genre. À condition de rester prudent pour ne pas se faire sauter la tronche, au propre comme au figuré.

Enfin, la météo des taz est agitée : alerte à la PMMA au lieu de la MDMA et aux dosages coup de massue. Les nouveaux comprimés 3D sont fun, genre voler comme Superman, mais il ne faut pas les gober comme des Smarties. En l’absence de testing facilement accessible, retour donc à la bonne vieille méthode du ¼ de cachet pour tester.

Un dossier 2015, Retour vers le futur.

Nouvelles drogues, nouvelles routes vers la citoyenneté

Salle de shoot, légalisation des sulfates de morphine, méthadone en ville, cannabis thérapeutique, autant de serpents de mer qui n’en finissent pas de ne jamais commencer. Mais avec les « Nouvelles substances psychoactives » (dites « NPS » pour avoir l’air averti), pour une fois, tout est nouveau : les produits, les technologies, les modes d’acquisition, et même l’inclusion des consommateurs, c’est-à-dire la citoyenneté.

«Research Chemicals » (RC), « Legal High », « New Psychoactive Substances » (NPS), « Designer Drugs », MT-45, antagonistes des NMDA… ça vous parle ? Il s’agit pourtant d’un florilège du vocabulaire de base de l’amateur de substances interdites du XXIe siècle. Le mélange de sigles, d’anglicismes et de novlangue wikipédiesque, rend le dossier absolument hermétique aux dinosaures qui croient encore que la dope s’achète dans un képa vendu par des dealers. On cause molécules, dosages au micron où l’acide n’est plus que l’inverse de la base, bec Bunsen et tube à essai. Professionnels du champ, remisez donc vos œuvres complètes de Freud et vendez sur eBay votre exemplaire dédicacé de Surveiller et punir pour acquérir au plus vite Chimie 2000, le champion des cadeaux de Noël des années 70.

Légales avant interdiction

Les NPS devraient faire un tabac chez tous nos sympathiques amateurs de secrets, de langage codés, de réseaux parallèles. Les éternels comploteurs qui savent des trucs que seuls les initiés peuvent comprendre, une culture du complot partagée à la fois par les dealers et par la police. Perplexe devant un sachet de poudre blanche, un douanier de la Réunion a cru bon de vouloir la goûter avec son doigt. La suite se passe aux urgences psychiatriques, car l’absorption suffit à déclencher de puissantes hallucinations. Comble de l’ironie, cette substance n’était, à l’époque, pas encore classée stupéfiant, donc autorisée à la vente, et c’est le cœur du sujet : les nouvelles drogues ont comme particularité d’être légales… jusqu’à ce qu’elles soient interdites.

Lancées dans une course poursuite avec la loi, les NPS doivent leur succès à l’existence d’un espace juridique laissé vacant par les organes internationaux de classement des stupéfiants. Une substance apparaît, vit quelques mois de croissance sur la toile, avant d’être ciblée par les autorités et d’être remplacée par une petite sœur. Rien qu’entre 2013 et 2014, huit nouvelles familles de pilules du bonheur ont été identifiées par l’Agence du médicament (ANSM) : les phényléthylamines, les benzofuranes, les bonnes vielles cathinones, les cannabinoïdes de synthèse, les aminoindanes, les substances type phéncyclidine, comme la kétamine ou sa petite sœur la méthoxétamine, les pipérazines et enfin, les tryptamines.

Les nouvelles drogues nous obligent donc à regarder en face l’absurdité du système de classement. Constamment à cheval entre licite et illicite, poussées par une demande de plus en plus spécialisée, elles sont vendues sur des sites officiels, quand elles ne sont pas carrément légalisées comme en nouvelle Nouvelle-Zélande, où le Psychoactive Substances Bill a officialisé le commerce de certaines catégories de Designer Drugs. Dans un tel contexte, il est logique de voir les consommateurs et leurs associations demander des informations précises sur la composition exacte des échantillons et la nature des excipients. La logique de prohibition est mise à nu. Les autorités de Wellington ont compris que, plus le contexte est répressif, moins les vendeurs ont à répondre de la qualité de leur produit. Quand une substance est classée, elle quitte l’univers de la consommation pour plonger dans celui beaucoup moins fiable du deal.

Dénoncer l’absurdité du système

Symétriquement, les pouvoirs publics sont de plus en plus enclins à communiquer directement avec les usagers de drogues assimilés à des usagers du système de soins. Pilotés par l’Agence du médicament, les centres de pharmacovigilance (CEIP) ont récemment élargi leurs missions en direction des consommateurs. Les effets des NPS, le ressenti des usagers sont autant de jachères que la santé publique souhaite mettre en valeur. Depuis la mise en place de la politique de réduction des risques, et plus encore grâce aux dispositions relatives aux droits des malades, les usagers de drogues ont progressivement investi des espaces de citoyenneté garantis par la démocratie sanitaire et sa réglementation. Ce système a permis à Asud d’intégrer en 2013 la redoutable Commission des stupéfiants et des psychotropes. Véritable bras armé de la prohibition, cet organisme est poussé dans ses retranchements par l’existence même des NPS. La logique de classement oblige la Commission à se prononcer de plus en plus souvent sur le sort de telle ou telle nouvelle molécule et notre présence au cœur du système nous permet de dénoncer publiquement son absurdité. Nous sommes voués à devenir les avocats permanents des molécules mises en accusation. Mettre en exergue la contradiction induite par le mouvement intégratif de la démocratie sanitaire et la culture de transgression qui subsiste au sein de la communauté des usagers de drogues est, du reste, le sujet des 9èmes États généraux des usagers de substances.

Sizzurp : Le sirop de la rue (part2)

Après s’être propagé via le rap sudiste américain, le Sizzurp fait aujourd’hui les frais de témoignages dénonçant son abus et les risques associés. Le fabricant de cet antitussif a décidé d’en arrêter la production, exposant du même coup les consommateurs à d’autres risques pour la santé.

Cliquez ici pour lire l’article précédent paru dans ASUD journal n°51 :
HiP-HoP : Le sirop de la rue (part1)

Après des années de tabous, on assiste à une explosion des consommations depuis le début des années 2000. Coke, MDMA (« Molly »), médocs, tout y passe et les consommations s’affichent ouvertement. Le phénomène le plus notable est celui du Sizzurp, un antitussif à base de codéine et de prométhazine consommé de manière récréative en cocktail (soda+bonbons fruités)*. Cette pratique née à Houston au début des années 90 est restée pendant longtemps confinée à la scène locale. Mais l’explosion du rap sudiste au début des années 2000 a propagé cette tendance à travers les USA. On ne compte plus les références au cocktail dans les rimes et la mode a depuis dépassé les frontières du hip-hop, touchant même l’égérie teenage Justin Bieber et lui valant sa première « rehab ».

Arrêter la production

tumblr_lt1f5s1Ltf1qcww7eo1_500Certains commencent à évoquer le revers de la médaille. Mac Miller, Gucci Mane et Lil Boosie ont publiquement abordé leur addiction et leur difficulté à décrocher. August Alsina, Rick Ross et le plus célèbre, Lil Wayne, ont séjourné à l’hôpital suite à un abus de « Purple Drank ». Ils ont tous eu des crises de convulsions qui auraient pu leur être fatales. August Alsina et Lil Wayne ont passé chacun 3 jours dans le coma suite à la violence des crises. Des produits, des abus, rien de bien nouveau sauf la réaction d’Actavis, le fabricant du sirop, qui a décidé d’en arrêter la production déclarant que l’image du produit dans les médias a « rendu glamour l’usage illicite et dangereux du produit, qui est contraire à son indication initiale ». Assez rare pour être notée, une telle réaction est-elle pertinente ?

Pour ceux pour qui le produit est le seul et unique responsable du problème, tout rentrera dans l’ordre s’il disparaît de l’équation. Une vision prohibitionniste et manichéenne de la question, où l’on retrouve d’anciens consommateurs repentis comme Lil Keke, Lil Boosie ou 2 Chainz. Et puis il y a ceux qui voient d’un très mauvais œil qu’on les prive de leur produit de prédilection, comme Soulja Boy, qui commence déjà à faire des stocks en prévision d’une pénurie et qui a même lancé une pétition pour tenter de faire revenir le fabricant sur sa décision

L’interdit et ses conséquences

Quarante ans de prohibition nous ont appris qu’interdire un produit n’est pas la solution. Même s’il n’est pas ici question d’interdit, le retrait du marché de l’antitussif aura les mêmes conséquences. Une décision d’autant plus regrettable qu’elle est davantage motivée par un souci d’image de marque que par une réelle préoccupation de santé publique. Elle pénalisera des malades, marginalisera et criminalisera les consommateurs, et favorisera le trafic et la contrefaçon. Avant même l’arrêt de la production, les prix dans la rue atteignent déjà 200 à 1 200 $ les 50 cl !! La première conséquence est que les consommateurs vont se tourner vers d’autres produits dont la consommation peut s’avérer encore plus risquée. Cette tendance est déjà observable avec des cocktails dans lesquels sont écrasés divers cachetons comme l’Ambien®, le Vicodin® et l’OxyContin®, dont certains sont des opiacés majeurs. Sachant que les overdoses de médicaments sur prescription sont la première cause de décès accidentel aux USA, ce glissement n’aura rien d’anodin.

purple-and-drank1En France aussi, on sirote

Et c’est précisément à cette problématique qu’il faudra faire face en France, car le sirop d’Actavis n’existant pas chez nous (et n’étant plus fabriqué de toute façon), les recettes pour se rapprocher du cocktail US diffèrent. Elles nécessitent des associations médicamenteuses pour mélanger prométhazine et codéine, entraînant d’autres risques (dosages, présence d’autres molécules dans ces médicaments comme le paracétamol, etc.). Il est nécessaire de pouvoir rappeler que la consommation de ces produits peut provoquer des malaises, notamment des dépressions respiratoires, surtout quand elle est associée à d’autres produits comme l’alcool et le cannabis qui potentialisent ces risques. Des recettes circulent déjà sur des forums francophones et le réseau des CEIP fait état de plusieurs cas d’intoxications au cocktail depuis le début 2014. Il est donc nécessaire de prendre connaissance du phénomène afin de pouvoir se renseigner, informer et faire de la prévention.

Dabolisation, comme dabitude

Depuis près de deux ans, la planète cannabis est euphorique. Plus de la moitié des États de la Terre sacrée de la guerre à la drogue autorisent actuellement le cannabis thérapeutique, la ville de New York vient de dépénaliser, et certains d’entre eux ont franchi le pas de la réglementation du cannabis récréatif. L’Uruguay est, quant à lui, le premier pays à réglementer complètement l’ensemble de la filière. Mais si ces changements sont le signe d’une véritable évolution sociétale, ils ne vont pas sans froisser les Croisés antidrogue, qui doivent redoubler d’arguments fallacieux pour endiguer le flot cannabique. Dernière victime : le dab.

Le dab, kézako ?

Le dab est la pratique de consommation de concentrés de THC : BHO (Butane Honey Oil) et Full Melt hasch. Selon la préparation, on parle de Wax, Honey, Budder, Shatter, Moon Rock, etc. Le résultat varie de 50% à 95% de THC. Avec de pareils taux, les ayatollahs de la fumette ont tôt fait de diaboliser ce produit. Les médias s’en emparent et n’hésitent pas à qualifier le BHO de « crack vert ». Mais le plus surprenant, c’est le clivage qu’il crée au sein même de la communauté cannabique. Même le célèbre magazine High Times se questionne : « Le BHO est-il le crack de la marijuana ? »

Bons drogués vs mauvais drogués

Ce concentré de THC relance l’opposition larvée entre les bons drogués fumant une gentille plante et les mauvais drogués, ces irrécupérables junkies friands de drogues bien « dures », qui parasitent tout le discours autour de la légalisation du pétard. Une situation où certains antiprohibitionnistes basculent du côté obscur. Aux Pays-Bas, c’est l’Union néerlandaise des détaillants en cannabis qui appelle les exploitants des coffeeshops à « stopper immédiatement la vente de concentrés sous forme de cire afin de protéger leur secteur ». Car avec le BHO, les Pays-Bas sont en passe de faire voter une loi, désignée comme « Norme des 15% de THC », qui interdira la vente de cannabis ayant un taux de THC supérieur à 15%. Ce type de cannabis sera reclassifié sur la Liste I du Tableau des stupéfiants comme une drogue dure, au même titre que les opiacés. Il n’est pas exclu que les États nord-américains ayant réglementé la vente de cannabis récréatif fassent de même. Pour éviter que le Colorado ne devienne le support d’une nouvelle série intitulée Breaking Dab (et les explosions intempestives), l’État a déjà interdit l’usage de butane chez les particuliers…

Diaboliser et stigmatiser plutôt qu’éduquer

Dealer Dab JointLa question du dab est aussi générationnelle : 420 contre 710. On se souvient des baby-boomers terrorisés par ces nouvelles weeds super fortes qui rendraient vraiment schizophrènes, à la différence, bien évidemment, de celles qu’ils fumaient. La génération shit/skunk/bang actuelle est dépassée par les jeunes vapoteurs de wax pour qui fumer un pétard d’herbe est complètement has never been, voire #So90s. Ils portent même des t-shirts inscrits : « Des fleurs ? Comme c’est gentil – elles doivent être pour ta copine »… LOL.

Donc, comme d’habitude, on incrimine la substance et l’usager. La politique de RdR a pourtant démontré que les problèmes liés aux usages de drogues sont moins le fait du produit que de l’usage qui en est fait. Il faut donc sortir de la diabolisation, éviter la stigmatisation des usagers et privilégier l’information, la prévention et l’éducation (lire RdR du dab et dab dans la RdR). Car comme le souligne Russ Belville, l’auteur des articles de High Times, « le danger du dab n’est pas tant physique qu’un véritable cauchemar de relations publiques ». Ce qui contrarie véritablement une partie des cannabinophiles, c’est surtout la mauvaise presse du produit qui vient écorner des décennies de luttes pour changer l’image du cannabis.

Conclusion

Au final, le débat autour du dab et des « risques » liés à cette consommation illustre les désaccords de la communauté cannabique. Que ce soit autour de la prohibition de toutes les drogues ou même simplement du cannabis : doit-on parler de chanvre global, de cannabis thérapeutique ou récréatif ?

La lutte des classes entre usagers de drogues n’est pas récente. Il y en a toujours pour regarder la poutre dans le nez du voisin. Et dans cette opposition cannabis vs autres drogues, rappelons les liens historiques entre Asud et le Circ (lire l’article Nouvelle donne !). Au-delà de la polyconsommation, c’est avant tout une question d’éthique et de cohérence intellectuelle que de s’opposer à la criminalisation de l’ensemble des usagers, sans distinction.

RdR du dab et dab dans la RdR

Le grand méchant dab est arrivé (lire aussi Dabolisation, comme dabitude). La tendance chez les cannabinophiles est à la fabrication et à l’utilisation de concentrés. Pour l’instant, elle concerne surtout la génération Internet/Globish toujours à l’affut des phénomènes US et les producteurs de cannabis. Existant déjà aux Pays-Bas et surtout en Espagne, le marché devrait prochainement s’étendre à l’Hexagone.

Le joint d’iceolator (extraction de la résine à l’eau glacée) ou d’huile marron/rouge (extraction de la résine par un solvant de type alcool/éther) n’a plus rien d’original depuis bien longtemps pour beaucoup d’usagers français. La nouveauté réside dans l’utilisation de concentrés solides obtenus à partir de gaz, de CO2 ou de surcongélation au moyen d’une pipe à eau dotée d’un foyer en titane ou en quartz chauffé à haute température.

Les dangers du dab

C’est d’abord le mode de préparation du concentré le plus populaire : le BHO (Butane Honey Oil). Lorsqu’elle est pratiquée par des stoners irresponsables, l’utilisation de butane peut provoquer des explosions et des départs de feu. Peu de canettes pour briquet contiennent du gaz vraiment purifié et leur purge pour obtenir le produit final peut laisser des produits toxiques, surtout si cette dernière est mal exécutée. Il convient donc de bien se documenter et de respecter au maximum les consignes de sécurité ou de s’abstenir si on n’a pas bien compris.

C’est ensuite le risque d’utiliser un briquet-torche pour chauffer à rouge un clou en titane ou encore un collier chauffant non-protégé pour le foyer dans la version électrique de la pipe servant à daber : le risque de brûlure ou d’accident domestique est accru, surtout en cas de mélange avec de l’alcool ou certaines substances perturbantes pour la psychomotricité.

C’est aussi le risque d’absorber plus de cannabinoïdes que désiré, il arrive parfois que des usagers en panique devant le rush de THC appellent les urgences. Don’t panic, it’s still organic ! (Pas de panique, cela reste organique). Boire une boisson sucrée dans un espace calme et ventilé devrait suffire à contrer la crise de bad. Le lien de causalité entre le taux de THC et les pathologies psychiatriques n’est pas incontestable mais le dabing peut révéler des pathologies génétiques. Il ne faut pas hésiter à consulter si les perturbations perdurent plus de douze heures.

C’est enfin le risque d’usage dur, voire frénétique, dans la recherche permanente du rush et du high le plus intense possible. Le dabhead se transforme alors en crackhead : il accroche une grosse galette de wax à son daber (la tige en acier médical qui sert à poser le produit sur le foyer) pour une taffe de cowboy puis prend un coup de tomawak entre les deux yeux, suivi d’une intense excitation mentale et d’un flot de paroles. Après une courte phase de plateau survient un gros craving, et il recommence.

Oui, on peut passer son temps à daber et bien foirer ses journées, mais on peut aussi bien fumer 20 joints ou boire 20 bières en gobant 20 cachetons. Les meilleurs remparts sont la réflexion sur sa consommation, l’éducation au bon usage et la motivation pour une vie variée.

La controverse du taux de THC

L’explosion de la demande de concentrés à daber ou à vaporiser coïncide avec la volonté de contrôler le taux de THC dans les préparations cannabiques, aussi bien dans les systèmes légaux (Uruguay, Colorado, Washington) et les zones grises (Pays-Bas et Espagne) que dans le projet de loi de la sénatrice Esther Benbassa sur la consommation contrôlée.

Cette volonté provient d’une analyse biaisée du cannabis à travers le prisme de l’alcool comme référence. On contrôlerait le taux pour éviter l’abus et diminuer les dommages. à l’exception de celle du Britannique Di Forti (2009), il n’existe pas d’étude établissant un lien direct entre taux de THC et schizophrénie ou d’autres pathologies graves (Rapport sénatorial canadien, 2002, et Rapport fédéral suisse sur le cannabis, 2004). Les troubles d’un surdosage accidentel sont réversibles.

Cela ne tient pas non plus compte du fait que l’immense majorité des usagers adapte la dose à la puissance du produit, c’est encore plus facile si elle est indiquée sur le paquet. Il semble par contre que l’usage régulier de produits fortement titrés augmente le risque de dépendance nécessitant un traitement.

Ni de l’importance du taux des autres cannabinoïdes dans l’effet ressenti, ou des variations très importantes des résultats des analyses selon la méthode choisie. Pour plus de détails, se rapporter à cette critique assez complète du projet néerlandais par Mario Lap : « Quelque chose ne tourne vraiment pas rond dans l’évaluation des teneurs en composants actifs du cannabis ! »

La limitation sur la base de 15% de THC (projet néerlandais) laissera de nombreux usagers insatisfaits et les poussera à recourir au marché noir ou à faire du concentré dans leur cuisine, au risque de faire sauter la baraque ou de produire/acheter un produit non-titré à la sécurité sanitaire douteuse. Ce n’est pas l’objectif d’une régulation pragmatique.

Les avantages du dab

Il permet d’absorber facilement et rapidement la quantité désirée de principes actifs :

  • avec une fumée froide qui n’endommage pas les tissus ;
  • avec très peu de carbone provenant de la carbonisation végétale ;
  • sans adjonction de tabac.

Avec une montée progressive de l’effet, les dispositifs de vaporisation et les vape-pens favorisent le contrôle de l’usage compulsif par rapport au rush du daber.

Sister DabLes concentrés sont indispensables pour certains usagers thérapeutiques, notamment pour les migraines. Wooppi Goldberg en parle très bien, elle sirote son vaporiseur portable chargé de wax très puissante pour lutter contre les symptômes de son glaucome. Elle ne cherche pas du tout à être défoncée.

Des usagers expérimentés ont constaté qu’ils consommaient moins de cannabis (en quantité de cannabinoïdes) avec le vape pen pour la journée et le daber pour le soir qu’avec le joint ou le vaporizer d’herbe ou de haschich traditionnel. Sans parler de l’abandon du tabac dans la consommation de cannabis. L’usage de concentrés peut donc devenir un vecteur majeur de RdR, à condition de favoriser l’accès à des produits contrôlés d’artisans consciencieux sur un marché régulé, permettant ainsi l’information optimale du consommateur et l’accès décomplexé aux structures de soins en cas d’abus et de dépendance.

Du dab dans la RdR

On peut chasser le dragon avec de la wax, le mode de consommation par daber est aussi très proche de celui du crack et de l’ice. Il y a aussi une similitude d’effet pour le côté rush intense. Si le produit contient le bon ratio de cannabinoïdes, notamment entre le THC, le CBD et peut-être le THCV, on peut calmer le craving pour des substances plus nocives que le cannabis. J’en ai déjà fait l’expérience empirique autour de moi, une expérimentation scientifique manque cruellement.

S’il existe des études assez anciennes et des projets récents, principalement en Amérique du Sud pour la cocaïne fumée, le produit utilisé (de l’herbe) n’est pas un concentré à daber bien dosé en cannabinoïdes. Cela réduit considérablement l’efficacité du dispositif de RdR. Quand cesserons-nous de déconsidérer l’intérêt thérapeutique du cannabis dans le traitement des addictions ?

RdR du Dab

Les concentrés restent avant tout du cannabis, les précautions de base sont les mêmes

  1. S’abstenir de consommer des concentrés sans information préalable sur le dosage, le mode de préparation, les qualités essentielles du produit et ses effets. Découvrir les concentrés avec une extrême précaution sur les quantités.
  2. Privilégier les concentrés réalisés sans utilisation de produits toxiques et/ou dangereux : gaz, alcool, éther, isopropanol…
  3. Ne pas consommer si le produit dégage une forte odeur de solvant ou fait des flammes ou des bulles lors du chauffage.
  4. La consommation de concentrés peut conduire à des prises de risques et augmenter la probabilité d’accidents domestiques : brûlures, incendie, conduite automobile, sexualité non-protégée, potentialisation des effets avec le mélange de substances.
  5. Réguler sa consommation car la concentration favorise le surdosage et les effets indésirables.

Top Taz 2014 et autres substances dont il faut se méfier

Données françaises :
un effet Tchernobyl ?

Cet article compile 70 alertes émises en Europe en 2014. Seules 4 proviennent de France, aucune ne concerne les comprimés d’ecstasy et une seule émane d’une institution, les 3 autres étant l’œuvre d’associations de terrain. Notre pays serait-il épargné par la vague de taz surdosés comme il l’a été, à l’époque, par le nuage radioactif de Tchernobyl ? Eh oui, en France, on ne diffuse ces données en temps réel qu’en cas d’incidents répétés ! Elles pourraient pourtant être utiles aux consommateurs avant qu’ils aillent mal…

En 2009, la MDMA disparaît du marché suite à la pénurie d’un précurseur : l’huile de sassafras. D’autres substances (méphédrone, MDPV…) tentent alors en vain de prendre sa place avant son come back en 2013 pour le meilleur et pour le pire ! Les taux de MDMA contenus dans les poudres et les cachets sont au plus haut et les accidents se multiplient (4 décès suspectés en 2014), et pas toujours en raison d’une trop grande pureté des produits.

 

Pourquoi faut-il se méfier ?

Des teneurs moyennes plus élevées

Evolution teneur MDMA 2000-2013

Les doses moyennes par comprimé sont ainsi passées de 50 à 60 mg dans les années 2000 à un peu plus de 100 mg de MDMA depuis 2012, certaines pouvant approcher les 300 mg, voire les dépasser dans quelques cas.

243mg MDMA
(janvier 2014)
169mg MDMA
Triangle (janvier 2014)
180mg MDMA
Li-ion / Batterie / Pile (janvier 2014)
196mg MDMA
Mitsubishi (janvier 2014)
200mg MDMA
Nintendo (janvier 2014)
160mg MDMA
Papillon (janvier 2014)
176mg MDMA
Android (février 2014)
143mg MDMA
Mercedes (février 2014)
151mg MDMA
Cygne (mars 2014)
155mg MDMA
Smiley (mars 2014)
215mg MDMA
Bugatti (mai 2014)
231mg MDMA
Android (septembre 2014)
205mg MDMA
Like (septembre 2014)
183mg MDMA
Etoile (septembre 2014)
157mg MDMA
Facebook (septembre 2014)
182mg MDMA
Gold (septembre 2014)
199mg MDMA
Redbull (septembre 2014)
236mg MDMA
Superman (septembre 2014)
234mg MDMA
Wi-Fi (septembre 2014)
143mg MDMA
Yahoo! (septembre 2014)
137mg MDMA
Etoile (octobre 2014)

Des taz 3D attrayants et surdosés

Sûrement pour remettre au goût du jour les taz – qui s’étaient forgé une mauvaise réputation –, les labos ont lancé des presses originales : des comprimés aux formes et aux couleurs attrayantes, souvent plus gros que la moyenne. Ces comprimés qu’on trouve surtout au Benelux sont plus chers (de 10 à 20 €) mais généralement plus forts que les autres. Lorsqu’un Français habitué aux ecstas à 50 mg tombe sur ce genre de cacheton et en prend 4 d’un coup, ça peut faire très mal. C’est ce qui est arrivé cet été au festival de Dour en Belgique où un Français est décédé suite à l’ingestion de Superman, ou l’année d’avant dans les Pays-de-la-Loire, au festival Couvre Feu, des taz Superman là-aussi…

196mg MDMA
Mitsubishi (janvier 2014)
240mg MDMA
Superman (janvier 2014)
137mg MDMA
Champignon / Toad / 1up (février 2014)
125mg MDMA
Superman (mars 2014)
196mg de MDMA
Domino (mai 2014)
186mg MDMA
Superman (mai 2014)
236mg MDMA
Superman (septembre 2014)
234mg MDMA
Wi-Fi (septembre 2014)

Le « Salade-Tomate-Oignon »

Parmi les cas d’incidents, il y a ceux qui font suite à la consommation d’un comprimé qui contient non seulement de la MDMA mais aussi d’autres produits actifs. On y trouve même parfois un cocktail de molécules mais pas de MDMA !

118mg MDMA + 3,3mg Amphétamine + 2mg Caféine
Bitcoin (janvier 2014)
8.9mg 2C-B + 1,5mg MDMA + 2,5mg Caféine
(février 2014)
134mg MDMA + 2mg Caféine
Double main(mars 2014)
155mg MDMA + MDDA + MDPP
Triangle (mars 2014)
200mg MDMA + MDDA + MDPP
Triangle (mars 2014)

« On m’aurait menti »

Consommer une substance en pensant qu’il s’agissait d’une autre est une cause récurrente d’accidents de défonce. Et ce, d’autant plus que le produit ingurgité n’a ni le même dosage, ni les mêmes effets que celui recherché. Dans cette catégorie, prenez garde à la 4,4 DMAR qui a causé 26 décès en 2014 en Europe, et aux PMA et PMMA (voir encadré).

178mg TFMPP
AB200 (février 2014)
4,4 DMAR aka Serotoni
Cerises (18 décès en 2014)
4,4 DMAR aka Serotoni
Croix (18 décès en 2014)
18mg 2C-B
Oeil de pharaon (mars 2014)
20mg Méthamphétamine + 63mg Caféine
Why (mars 2014)
Taz Miko (Magmum) rouge Amphétamine + 4-FMP + 2C-H + Méthamphétamine + 2C-B
Amphétamine + 4-FMP + 2C-H + Méthamphétamine + 2C-B
Miko / Magnum / Extreme (octobre 2014)
Méthandiénone + Méthyltestostérone
Coeur (décembre 2014)
170mg PMMA + 10mg Amphétamine
Superman (décembre 2014)
Diphénidine vendue comme MDMA
(octobre 2014)
170mg PMMA + 10mg Amphétamine

PMA et PMMA, the death est parmi nous

Surnommées « Death » par les consommateurs des années 70, déconseillées par Saint Shulgin qui qualifiait l’une de « drogue traîtresse », et l’autre de « drogue dangereuse », la PMA et sa petite sœur la PMMA sont deux molécules assez proches parfois utilisées comme produits de coupe des tazs. On en trouve surtout au Royaume-Uni, en Irlande et au Bénélux où elle a fait des dizaines de morts, mais en automne 2014 un comprimé contenant du PMA a été analysé sur la région de Metz..

Le véritable risque de la PMA/PMMA réside dans sa toxicité supérieure à celle de la MDMA alors que son effet est moins fort et mets plus longtemps à monter : les consommateurs pensant avoir affaire à des comprimés sous dosées en prennent plusieurs.

Les complications (parfois mortelles) de la MDMA

L’hyperthermie

C’est une élévation anormale de la température corporelle (jusqu’à 42°C !) pouvant endommager le cerveau (convulsion, délire, coma…) et les muscles (crampes).

La MDMA donne chaud et envie de bouger, ce qui donne chaud aussi. Pour éviter la cata, on s’aère, on se pose et on s’hydrate.

Le syndrome sérotoninergique

C’est un excès de sérotonine dans les synapses qui provoque agitation, tremblements, voire convulsions ou raideurs musculaires, tachycardie, hyperthermie, etc. Un jeune homme en est mort en août 2014 dans le sud de la France.

Comme la MDMA libère de la sérotonine, faites attention aux mélanges avec les autres produits qui jouent sur la sérotonine, notamment les IMAO, la Changa (simili DMT), la passiflore, le tramadol et certains antidépresseurs.

L’hépatite fulgurante

Dès la première prise et quelle que soit la dose, la MDMA peut, dans de très rares cas, entraîner le décès suite à une hyperthermie associée à une destruction des cellules musculaires et de différents organes dont le foie. Il s’agirait de prédisposition génétique.

Pour réduire les risques

Fractionner les produits !

Commencez par une demi-dose et attendez. Si le produit est surdosé, vous n’aurez pas besoin de reconsommer. Si les effets vous semblent anormalement faibles ou différents : ne reconsommez pas. Vous pouvez vous renseigner auprès des associations de réduction des risques de votre région pour faire analyser votre produit.

Espacer les prises !

Évitez de consommer de la MDMA plusieurs jours d’affilée ou trop régulièrement (genre tous les week-ends). Cela permet aux réserves de dopamine de se reconstituer dans le cerveau et au foie de se régénérer.

Attention aux logos !

Les labos pressent souvent des contrefaçons, donc deux ecstas de même apparence peuvent être très différents. Cependant, regardez quand même le logo : une tête de mort, un symbole « toxique » indiquent souvent un ecsta surdosé ou contenant du PMA/PMMA. La mention « 2CB » figure sur certains comprimés contenant du 2C-B. Méfiez-vous des comprimés de type Superman, quelles que soient leur taille et leur couleur. Ils tournent encore beaucoup, et leur signalement revient dans de nombreux cas d’incidents depuis deux ans.

Bonus : les autres produits à risque

Des alertes ont également été émises sur d’autres types de substances : faux LSD en goutte ou buvard qui n’est autre qu’un mélange 25I-NBOMe + 25C-NBOMe, détournement de sirops codéinés (lire nos articles HiP-HoP : Le sirop de la rue et Sizzurp : le sirop de la rue) , et héroïne blanche vendue pour de la coke à Amsterdam (lire Quoi de neuf Doc ?).

900µg 25i-NBOMe + 25C-NBOMe
Hoffman (octobre 2014)
900µg 25i-NBOMe + 25C-NBOMe
Hoffman (octobre 2014)
1500µg 25i-NBOMe + 25C-NBOMe
Super Mario Bros(octobre 2014)
1500µg 25i-NBOMe + 25C-NBOMe
Super Mario Bros (octobre 2014)
Codéine + Prométhazine + Éthanol
Purple Drank / Sizzupr
Héroïne blanche vendue comme cocaïne
(octobre à décembre 2014)

Absolut RdR © WATH

La réduction des risques prend de la bouteille

« Il faut suivre la préférence du patient et écouter ce qu’il est prêt à faire dans l’immédiat. Pour beaucoup de sujets alcooliques, l’abstinence demande des efforts trop importants et les met trop en difficulté. Pour d’autres, c’est parfois plus simple de s‘abstenir que de réduire sa consommation. » Remplaçons « alcooliques » par « toxicos », et l’on pourrait croire qu’il s’agit d’une phrase prononcée il y a vingt ans par un addictologue.

En fait, elle l’a été tout récemment par le Pr Aubin, président de la Société française d’alcoologie, dans un entretien accordé au Quotidien du Pharmacien. Car, paradoxalement, la dépendance à l’alcool, un produit pourtant bien mieux « accepté » en France que toutes autres drogues, n’a jamais fait l’objet des mêmes réflexions. Et en sortir passait, presque exclusivement, par un sevrage total.

Un nouveau credo

Ce temps est depuis peu révolu, et cette démarche de prévention des risques semble faire consensus. C’est à un nouveau médicament, le Selincro® (nalméfène), dont l’Autorisation de mise sur le marché (AMM) date de 2013 et le remboursement par la Sécurité sociale de septembre dernier, que l’on doit cette inflexion dans la prise en charge des alccoolodépendants. Ce traitement de première intention s’adresse aux patients dont la consommation est à risque élevé, voire très élevé, mais qui ne sont pas prêts à s’engager dans l’abstinence. Aujourd’hui, le nouveau credo de nombreux alcoologues serait plutôt « face au risque quasi certain d’un échec, dirigeons-nous d’abord vers une baisse de la consommation et améliorons les conditions dans lesquelles elle se déroule ».

Cette nouvelle approche s’accompagne d’un Plan de gestion des risques (PGR) au niveau national. L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a en effet souhaité s’assurer du bon usage de ce nouveau produit en remettant au prescripteur et à son patient des documents d’information et de suivi du traitement. Dès la seconde visite, un « agenda de consommation » et de prise du Selincro® est confié au patient qui doit, tous les mois, consulter son médecin pour faire le point sur cette consommation et son état de santé général. S’ajoute à chacune de ces visites mensuelles un suivi psychosocial… Mais plus qu’un lourd suivi thérapeutique (qui n’est pas sans en rappeler d’autres…), il s’agirait surtout d’évaluer régulièrement la situation globale et de faire un point de manière positive avec le patient en le motivant et le responsabilisant.

« Le traitement est pris à la demande, il n’y a pas de stigmatisation (…) », précise le Dr Goni du laboratoire Lundbeck. Quant au Dr Aubin, il conseille à certains « d’en avoir toujours avec eux, en insistant sur le fait que l’on peut en prendre même si la consommation d’alcool a déjà commencé ». On y voit pour l’instant une nouvelle approche intéressante face à l’alcoolodépendance et l’on suivra avec intérêt les résultats des premières études sur son efficacité.

Notons enfin qu’une demande d’AMM a également été déposée par le laboratoire D&A Pharma dans 29 pays européens pour l’Alcover®. Il s’agit d’un dérivé du GHB (la « drogue du violeur ») indiqué dans le sevrage (ou le maintien de l’abstinence) des cas sévères de dépendance à l’alcool. Déjà utilisé sous forme liquide en Italie depuis 1991 et en Autriche depuis 1999, il permettrait d’obtenir un taux d’abstinence moyen de 75%, selon une étude « SMO » menée récemment. À suivre également, donc.

Alcoologie :le grand bouleversement

Avant le grand chambardement actuel, trois médicaments ayant l’alcool pour indication – l’Espéral® (disulfirame), l’Aotal® (acamprosate) et le Revia® (naltrexone) – avaient obtenu leur Autorisation de mise sur le marché (AMM), en 1977 pour l’Espéral®, 1987 pour l’Aotal®, et 1996 pour le Revia®. Ils visent uniquement au maintien de l’abstinence, nullement à la consommation contrôlée qui, dans l’alcoologie classique, était considérée comme un objectif impossible à atteindre.

L’Espéral® est un médicament « antabuse » qui rend malade celui ou celle qui boit après avoir pris un comprimé le matin. Son mode d’action ne repose pas sur une diminution de l’envie de boire mais sur la peur d’être malade (bouffées de chaleur, augmentation du rythme cardiaque…), ce qui peut être utile quand il n’y a pas d’autre solution et quand le corps doit faire un break. Mais il exige une abstinence stricte.

L’Aotal® et le Revia® aident au maintien d’une abstinence préalablement obtenue. Leur mode d’action diffère, et ils peuvent donc être associés. Le principe actif du Revia® est la naltrexone, l’un des deux antagonistes opiacés les plus utilisés avec la naloxone (principe actif des ampoules de Narcan® qui servent à lutter contre une overdose d’héroïne ou de tout autre opiacé vrai). Lorsque la naltrexone sert au maintient de l’abstinence chez l’alcoolodépendant (par un mécanisme qu’on connaît mal), elle porte donc le nom commercial de Revia®. Mais lorsqu’elle sert au maintien de l’abstinence chez l’héroïnomane, elle s’appelle Nalorex®. On conviendra qu’il n’est pas fréquent qu’un médicament porte deux noms différents suivant la « maladie » ou la « population » concernée. Les alcooliques à droite, les héroïnomanes à gauche (ou l’inverse) ! Tout comme l’Aotal®, le Revia® doit être pris une fois le sevrage d’alcool accompli, pour aider à maintenir l’abstinence en diminuant l’envie de boire. Il va sans dire que le Revia® ne peut être prescrit à des personnes sous TSO ou à des héroïnomanes actifs, sauf à provoquer un état de manque.

Le dernier verreAprès la publication en 2008 du livre d’Olivier Ameisen, Le dernier verre, le baclofène commença à être prescrit. Il se trouve désormais dans une catégorie entièrement faite pour lui : la Recommandation temporaire d’utilisation (RTU), qui peut durer jusqu’à trois ans. « Pourquoi pas une Autorisation temporaire d’utilisation (ATU) ? », demanderont unanimement les lecteurs d’Asud. Parce qu’elle précède l’AMM et que le baclofène en a une depuis… quarante ans ! Mais dans une indication qui n’a pas grand-chose à voir avec l’alcool : les contractures douloureuses et involontaires dans certaines maladies neurodégénératives comme la sclérose en plaques (SEP). Le baclofène avait dès le départ deux objectifs différents dans l’alcool : l’abstinence et la consommation contrôlée.

Un nouveau médicament, le Selincro® (nalméfène), a obtenu une AMM dans l’alcool en décembre 2013, la première depuis le Revia®, ça n’arrive donc pas souvent. Le Sélincro® est une sorte de SuperRevia : le Revia® bloque les récepteurs opioïdes mu tandis que le Selincro® bloque les mu et les kappa. Si je n’ai pas encore d’avis clinique sur le Selincro®, il y a déjà une révolution dans son positionnement : c’est le premier médicament disposant d’une AMM dans l’alcool qui permet au patient de choisir entre abstinence complète et consommation contrôlée. Une alternative que les alcoologues classiques considéraient le plus souvent comme une hérésie. Ce qu’ils refusaient de voir, c’est qu’avec une aide pharmacologique, les patients peuvent « contrôler » leur consommation. Un tel contrôle signifie presque toujours qu’ils doivent compter les unités d’alcool qu’ils consomment et apprendre à noter quotidiennement les quantités qu’ils boivent. Nous attendons pour bientôt l’Alcover®, utilisé depuis plusieurs années en Italie. En alcoologie, c’est bien le grand bouleversement.

Fareng en galère (panne de TSO en Thaïlande)

Les « farangs », ce sont les nombreux étrangers qui déambulent sur les trottoirs de Bangkok ou sur les plages de Ko Phi Phi. Ce nom dériverait de « farrangset », le mot pour dire « Français » en langue thaïe. Notre pays entretient depuis de longues années une relation privilégiée avec cette destination qui réussit le tour de force d’être à la fois le pays de la  boxe et celui des massages, mais qui fut aussi longtemps célèbre pour la qualité de son héroïne blanche. Récit de galère stupéfiante au royaume de Siam.

Le drame

L’histoire débute avec un mail reçu le 5 août 2014, à 13h38, dans les locaux d’Asud :

« Je suis en Thaïlande depuis 2 semaines… je suis très emmerdée. J’ai pris le train de Bangkok à Ko Pha Ngan, une île à l’est de la Thaïlande, et durant le trajet de nuit je me suis fait voler mon sac à dos contenant mon traitement méthadone, des vêtements et quelques objets sans importance. Je prends 40 mg par jour en gélules. Dans mon malheur, j’ai toujours mon sac à main qui contient mon passeport, une ordo en anglais, une ordo en français, bref, tout ce qu’il faut pour être « en règle » avec les autorités, ce qui prouve ma bonne foi. Je commence à être vraiment très mal, à pas dormir, à ressentir des “coups de jus” dans tout le corps… j’ai très froid… je me sens hyper émotive… Je suis allée hier à la clinique locale mais j’ai dû patienter trois heures pour voir le médecin qui, au final, m’a dit qu’il n’y avait pas de méthadone sur l’île. Il m’a juste conseillé d’acheter du Valium® à la pharmacie du coin (10 comprimés pour 500 baths, 15 euros environ…) pour pouvoir dormir mais sans succès… je n’ai pas réussi à fermer l’œil. Je vais écourter mon séjour sur cette îile pour me rendre à Bangkok afin de régler ce problème qui me pourrit la fin de mon voyage. J’aimerais pouvoir voir un médecin ou me rendre dans un hôpital mais je n’ai aucune adresse. Je repars à Paris le 12 août, mais cela me semble tellement long que je ne vais pas pouvoir tenir, je suis très mal !! Avez-vous une adresse sur Bangkok ? Le nom d’un médecin, d’un hôpital, d’un centre méthadone ? Que puis-je faire ? Quelle est la marche à suivre ? Merci si vous pouvez m’aider », Chantal.

Trouver une prescription de méthadone en urgence à Paris au mois d’août, c’est déjà pas gagné, tout le monde est en vacances, alors en Thaïlande… Cet appel sonne comme un véritable défi lancé à notre réseau. En l’occurrence, notre seul espoir réside dans le maillage international des militants de la réduction des risques que nous rencontrons depuis de longues années dans les différentes conférences. Pour la Thaïlande, notre meilleur contact s’appelle Karyn Kaplan. En 2002, après une décennie au service des populations les plus stigmatisées du royaume, Karyn fonde avec Paisan Suwanawong le Thaï Aids Action Group, la première ONG dont l’objet est de dénoncer les atteintes permanentes aux droits de l’homme endurées par les prostitué(es), les junkies et les membres de minorités ethniques. Karyn vit aujourd’hui à New York mais n’hésite pas à sonner le tocsin sur Internet pour trouver une relais local à Chantal.

George Barbier - Chez la marchande de pavots
George Barbier (1882-1932), Chez la marchande de pavots, 19 , tirée de l’ouvrage « Le Bonheur du Jour, ou Les Graces a la Mode » assemblé et publié par Jules Meynial, 1924.

La remédiation

Deux jours passent, et le 8 août à 14h13, nous recevons ce mail incroyable : « Je suis avec Chantal a l’hôpital Thanyarak – elle a reçu sa méthadone à l’instant. Tout est en ordre », Pascal. Que s’est-il passé en quarante-huit heures ? Qui est ce mystérieux Pascal capable de transformer l’eau en opium ? Le SOS lancé par Karyn a été entendu par Pascal Tanguay, militant des droits de l’homme, lui aussi mobilisé depuis de longues années au service des plus démunis. D’abord engagé avec l’Asian Harm Reduction Network (Réseau asiatique de réduction des risques), il a ensuite travaillé pour une organisation thaï, la PSI Thailand Foundation, officiellement chargée de venir en aide aux toxicos.

Chantal n’en revient pas de la réactivité dont elle a bénéficié à 8 000 km de la Sécurité sociale, mais reste mesurée quant à celle déployée par les Thaïlandais :

« Encore merci à tous… Quelle efficacité !! rapidité !!!!!! À peine arrivée de Ko Pha Ngan, j’ai vu Pascal dans l’heure qui a suivi mon arrivée. Nous nous sommes rendus à l’hôpital public des « toxicomanes » qui prend en charge les conduites addictives et problèmes de dépendance en tout genre… »

Suit le récit détaillé en 4 étapes d’une prise en charge qui n’a rien à envier aux meilleurs services de l’Hexagone :

« Tu rentres dans une salle d’attente ou il doit faire 15°C, la clim à donf, et là, tu attends :

– 1ère étape : Tu es d’abord reçu par le service administratif afin de créer ta petite carte comme à l’hosto avec ton nom et prénom, puis tu attends…

– 2e étape : Dans cette même salle d’attente, une infirmière ou aide-soignante prend ta tension, te pèse, demande ta taille, te pose quelques questions du genre “comment te sens-tu ? As-tu des douleurs ?” Puis, avec une lampe de poche elle regarde tes pupilles, apparemment pour éviter de donner des TSO à des gens trop défoncés. Et là, tu attends à nouveau, 1 heure, 2 heures, tu attends… et tu as de plus en plus froid avec cette clim… Et puis, ô miracle !, les derniers patients viennent d’être appelés et tu te dis c’est toi la prochaine…
Mais tu attends encore 20 minutes, puis, enfin, on t’appelle… 


– 3e étape : Un docteur arrive tout sourire… te fais la prescription, te demande si tu veux du Xanax® pour dormir, et te remet un document pour pouvoir transporter légalement tes fioles afin de passer la douane sans encombre.

– 4e étape : Tu sors de cette salle d’attente pour te rendre à la caisse et à la pharmacie.

Au total pour une semaine de traitement à 40 mg par jour et une plaquette de Xanax®, j’ai payé 1 750 baths (50 €), et peut-être même puis-je me faire rembourser en France. Sans Pascal, rien n’aurait été possible, il m’a accompagnée, a fait le traducteur, est resté toute l’après-midi avec moi, et toujours bienveillant, m’a rassurée de 14h30 à 19h afin de s’assurer que je parte avec mon traitement. M’a fait appeler un taxi. Bref, un mec en OR. Et respect pour son boulot dans un pays où les toxicomanes sont considérés comme des criminels, et où ceux qui ont l’hépatite n’ont pas accès aux soins. Bravo et encore merci Pascal qui est vraiment la personne que vous pouvez contacter pour les farangs en galère de TSO en Thaïlande. »

Épilogue

19 août, 13h40, retour à X, ville du sud-ouest de la France :

« Je suis de retour, je vais m’empresser de raconter mon histoire à ma généraliste, le docteur Bip, qui a REFUSÉ de me faire une attestation en anglais avant mon départ en m’expliquant que « traductrice, ce n’est pas mon métier »... »

Voici donc un récit édifiant sur les aléas de la traversée des frontières en mode TSO. Si vous êtes un farang en galère à Bangkok, ou si vous en connaissez un ou une, adressez-vous à PSI Thailand Foundation* et demandez Pascal Tanguay.

Enfin, n’oubliez jamais de préparer en amont votre voyage en faisant rédiger votre prescription en français pour la pharmacie et en anglais pour la douane, et renseignez-vous pour obtenir le certificat de transport de stupéfiants (voir encadré).

PSI Thailand Foundation – Q.House Convent Building- Unit 12A –12th Floor – 38 Convent Road – Silom, Bangrak, Bangkok 10500 – Thailand Tél. : + 66 (02) 234-9225-29 Fax : + 66 (02) 234-9230

Serial-Dealers

A retenir

Après avoir longtemps été le pays de production, de consommation, et de vente de la meilleure héroïne du monde, la Thaïlande a refusé de prescrire des TSO jusqu’en 2010. Depuis, comme le prouvent les aventures de Chantal, des prescriptions sont faites à Bangkok. Il est de toute façon impératif d’avoir une ordonnance rédigée en anglais et une attestation de transport de stupéfiants délivrée par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

Enfin, pour tous les volumes de médicaments supérieurs à la durée légale de prescription (28 jours pour la méthadone depuis 2014), une prise de contact de votre prescripteur avec un relais sur place est possible.

Dans tous les cas, n’hésitez pas à consulter la fiche pratique Partir à l’étranger de notre  rubrique Substitution.

"Chirac fumant un joint" © photoshop :)

Circ’Story – Épisode 6

Résumé des épisodes précédents

Le rapport Henrion (février 1995) qui préconise à une courte majorité de dépénaliser l’usage du cannabis est très vite enterré par les parlementaires.

En mai 1995, Jacques Chirac devient président de la République et le préfet de police interdit l’Appel du 18 joint parisien, mais le rassemblement au parc de La Villette est maintenu. Début juillet, les fonctionnaires de la brigade des stupéfiants en grande forme se déchaînent sur les responsables des associations ayant protesté contre l’interdiction de l’Appel du 18 joint 1995.

Jacques Chirac est allergique au cannabis

« Les expériences étrangères montrent que la libéralisation fait augmenter la demande de drogues non seulement douces mais aussi dures » : ainsi s’exprime Jacques Chirac lors de la campagne présidentielle. À peine assis dans son fauteuil de président, il rend visite à son ami le roi du Maroc, le plus gros producteur mondial de résine de cannabis ! On attendait de notre président qu’il interpelle Hassan II, mais que nenni, sur les conseils du plus fidèle gardien de la prohibition, le célèbre docteur Nahas, il préfère s’en prendre sans ménagement à la politique tolérante des Pays-Bas en matière de cannabis. Quelques semaines après son arrivée au pouvoir, Jacques Chirac décide de rétablir les contrôles aux frontières et se lance dans un chantage : il n’acceptera de signer les accords de Schengen sur la libre circulation des personnes que si la Hollande renonce à ses coffeeshops.

La France des réacs en action

Débute alors un feuilleton à rebondissements, une période douloureuse pour les touristes français en goguette au pays des coffeeshops car, non seulement content de donner des leçons aux ministres bataves sur leur politique des drogues, Jacques Chirac a la bonne idée de relancer les essais nucléaires ! Dans son rapport annuel « La politique néerlandaise en matière de drogues, continuité et changement », le gouvernement précise qu’il n’est pas prés d’abandonner sa politique et, pour faire plaisir au président français, lui accorde une concession qui ne change rien : désormais, on ne pourra pas acheter plus de 5 grammes de cannabis dans les coffeeshops, contre 30 auparavant !

Jacques Chirac est soutenu dans sa croisade par quelques députés conservateurs, Christine Boutin bien entendu, mais aussi Paul Masson, sénateur RPR qui s’emporte : « Tant que ce pays de narcotrafiquants ne fera rien pour freiner les exportations de drogue, la France n’a pas le droit de baisser sa garde. » Le Figaro s’en mêle et donne la parole au docteur Nahas qui prédit que 60% de ceux qui fument du cannabis avant 15 ans s’adonneront plus tard à la cocaïne.

Dans le rapport sur l’espace Schengen que Paul Masson remet au gouvernement, il assimile les Pays-Bas à un « narco-État », ce que le ministre des Affaires étrangères batave n’apprécie guère. « Avec le plus grand nombre de drogués et le plus grand nombre de maladies liées à la drogue…», la France est, selon lui, bien mal placée pour donner des leçons de morale. Quant au Premier ministre, il traite notre président d’obsédé ! Il a raison, Jacques Chirac persiste : le 25 mars 1996, il déclare « qu’avec la libre circulation, il suffit qu’un seul pays ait une législation laxiste pour que toute action soit affaiblie » et propose que les Quinze « s’engagent solennellement à interdire la production et le commerce de toutes les formes de drogues, sans aucune exception »… Trop c’est trop ! Hervé de Charrette, ministre des Affaires étrangères de l’époque, est obligé d’intervenir : « L’opinion de Paul Masson n’exprime aucunement l’opinion des autorités françaises. »

La seule politique qui vaille…

On aurait pu en rester là, mais c’était sans compter sur Jacques Myard, bien connu pour ses idées réactionnaires, qui, avec 72 députés et sénateurs, appelle la population à boycotter les produits hollandais. Scandale ! Du Point à L’Express, du Courrier international au Nouvel Observateur, les magazines se penchent tour à tour sur la politique tolérante et pragmatique des Pays-Bas. Le Figaro ouvre ses colonnes à Bernard Kouchner, qui évoque les résultats positifs de la politique néerlandaise en matière de réduction des risques et invite Jacques Myard à s’attaquer au Maroc. Quant à l’Algemeen Dagblad, quotidien néerlandais, il se demande quelle serait notre réaction si les touristes hollandais décidaient d’aller dépenser leurs florins ailleurs que chez nous.

Chargés par le ministère de la Santé d’une étude sur l’Europe et la toxicomanie, des chercheurs de l’université d’Amsterdam descendent la France : notre pays a grandement facilité la propagation du VIH et du VHC en retardant de plusieurs années la vente libre des seringues. Ce qui n’empêche pas Jacques Chirac d’affirmer quelques jours plus tard devant le Conseil européen que la seule politique des drogues tolérable, c’est la sienne.

Devil's Harvest (1942) Et comme il faut bien en finir avec les querelles stériles, Le Monde nous apprend le jour où les Circ fêtent le vingtième anniversaire de l’Appel du 18 joint que Français et Hollandais se sont rabibochés après qu’une délégation d’élus du Nord en visite aux Pays-Bas a désavoué Paul Masson et ses honteuses propositions.

La valse des procès

En septembre 1993, le docteur Lebeau (Médecins du monde) publie un article dans le magazine Maintenant où il reproche à son confrère le docteur Nahas de « se réfugier derrière la science pour servir une doctrine défendue par un lobby politique au sein de l’Assemblée nationale ». Outré, ce dernier porte plainte pour diffamation contre Bertrand Lebeau et par ricochet contre Michka, la rédactrice en chef de ce numéro spécial, et Michel Sitbon, le directeur de publication.

Le docteur Gabriel Nahas vient avec deux témoins, le fondateur de l’association Une France sans drogue, et Ernest Chénière, député RPR de l’Oise. Du côté des accusés, les témoins sont prestigieux : Léon Schwartzenberg, éphémère ministre de la Santé, Bernard Kouchner, ancien ministre de la Santé ou encore Jean-Pol Tassin, neurobiologiste. Gabriel Nahas a envoyé à ce dernier et à ses responsables hiérarchiques un courrier dans lequel il souligne son incompétence et le dissuade de venir témoigner sur les dangers réels du cannabis.

Pour sa défense, Gabriel Nahas houspille ceux qui osent mettre en doute ses compétences scientifiques puis s’en prend à Michka, l’accusant d’être financée par des « marchands de drogue » bataves suite au lancement via Internet d’un appel à dons pour couvrir les frais du procès. Bertrand Lebeau a cherché des études démontrant les effets apocalyptiques du cannabis mais ne les a pas trouvées, et conclut son intervention en affirmant que « la principale toxicité du cannabis dans notre pays est qu’il puisse conduire en prison ». Un argument cher au Circ qui en avait fait un slogan.

À l’issue du procès, Bertrand Lebeau est relaxé tandis que Michka comme Michel Sitbon sont condamnés à payer un franc symbolique à Gabriel Nahas.

Le premier numéro de L’éléphant rose paraît en juin 1995, et voilà qu’un gendarme gersois tombe en arrêt sur la couverture du numéro 3 chez son marchand de journaux. Le magazine, qui n’a pas peur d’annoncer la couleur, propose à ses lecteurs de gagner une galette de marijuana. Ni une ni deux, le zélé gendarme en réfère à ses supérieurs qui consultent le procureur de Vic-Fezensac, lequel diligente vingt brigades de gendarmes pour visiter tous les kiosques du département et saisir le magazine licencieux.

En mai 1996, Gérard Jubert, le directeur de L’éléphant rose, est condamné à dix-huit mois de prison avec sursis et 300 000 francs d’amende par le tribunal de Paris, la plus lourde peine jamais requise au nom du L630. Si la peine de prison est ramenée à dix mois avec sursis en appel, la faramineuse amende est maintenue, signant l’arrêt de mort du premier magazine français 100% cannabis.

Dans le prochain épisode, vous croiserez des sportifs pris la main dans le pot de beuh et vous découvrirez avec le Circ les coulisses de l’opération « Chanvre des députés ».

J’ai testé le traitement « Aviator » contre l’hépatite C

Traînant une hépatite C chronique de génotype 1b depuis un bon quart de siècle, elle fut inopinément diagnostiquée en 2003. J’ai suivi un premier traitement incluant un cocktail d’interféron et de ribavirine. Et une biopsie, pour faire bonne mesure. Ainsi qu’une quantité quasi industrielle de Doliprane®, pourtant assez nocif pour le foie. Au bout d’un an, le traitement semblait avoir réussi. Six mois plus tard, rechute. Rebelote en 2006, nouveau traitement avec les mêmes molécules. Et le même résultat. En 2008, mon médecin estimait qu’il serait inutile d’entreprendre le même traitement une troisième fois. Et me conseilla d’attendre l’arrivée de nouvelles thérapies. Une attente qui durera cinq ans.

En trois mois, le virus avait plié bagage

En 2013, j’aurais pu entamer un nouveau traitement, mais cette fois associant bocéprévir (ou télaprevir), interféron pégylé et ribavirine. À vrai dire, autant l’hépatite obérait tout projet à moyen ou long terme, autant l’idée de m’infliger l’infâme cocktail pendant un an ne me remplissait pas d’un enthousiasme délirant. Mais je pouvais aussi attendre six mois de plus et faire le cobaye pour une étude en cours. « Étude randomisée, en double aveugle, contrôlée versus placebo, visant à évaluer l’efficacité et la tolérance de l’ABT-450/r, de l’ABT-267 et de l’ABT-333 coadministrés avec la ribavirine chez des patients adultes présentant une infection chronique par le VHC de génotype 1 et ayant déjà été traités. » Coup de bol, je faisais partie du groupe n’ayant pas reçu de placebo.

En trois mois, le virus avait plié bagages, à raison d’un rendez-vous tous les quinze jours à l’hôpital. Les effets secondaires m’ont paru négligeables, comparés aux deux traitements précédents. Faut savoir qu’autour de 10% des patients ressentent de la nausée, de la fatigue et des maux de tête. Ça m’est arrivé aussi, mais très épisodiquement. Comme pour les deux traitements précédents, la prise de ribavirine entraîna une anémie, quelques problèmes mineurs aux poumons et une irritabilité exacerbée. Mais sans commune mesure avec l’agressivité incontrôlable que je ressentais les deux premières fois.

Mes perspectives se sont inversées

Autre différence : l’abstinence. En 2003 et 2006, les médecins avaient été catégoriques sur l’interdiction de consommer la moindre goutte d’alcool pendant les années de traitements. Et les fois où je me suis risqué à ignorer cette injonction, je le payais au prix fort les jours suivants. Pareil pour les médicaments autres que l’interféron et la ribavirine. J’avais des troubles du sommeil et étais dans un état dépressif, mais mon médecin d’alors ne pouvait me prescrire ni d’anxiolytiques ni de somnifères. Rien de tout ça pour le troisième traitement. J’ai pu continuer à prendre du Xanax® et à boire occasionnellement sans que ça me rende malade.

Mais c’est surtout sur le plan psychologique qu’il se passe quelque chose à la conclusion du traitement : alors que j’étais devenu un « aquoiboniste » chevronné, mes perspectives se sont inversées. Maintenant, mes envies se démultiplient plus vite que je ne peux les réaliser. Et ça, c’est vraiment grisant.

Quoi de neuf Doc ? (mars 2015)

De nouveaux kits d’injection

La prochaine trousse Steribox® contiendra deux filtres, le filtre traditionnel et un filtre toupie, plus performant vis-à-vis des « poussières » et des bactéries. La réutilisation est de plus impossible et il n’y a pas de contact entre la membrane et les doigts. Pourtant, de nombreux usagers sont critiques : perte de produit, complexité d’utilisation, taille encombrante. Ce débat n’est pas minime. Une préparation de l’injection qui diminuerait le risque de contamination bactérienne serait un grand progrès. Certains soutiennent qu’il faut d’abord faire un filtrage traditionnel puis, seulement après, utiliser le filtre toupie. Je suis incapable de répondre à la question mais elle est importante et mériterait une « table ronde ».

Dépistage au travail

J’ai lu que les tests anticannabis allaient être utilisés dans les entreprises avec un certain nombre de garanties… Je ne connais pas le dossier mais j’ai clairement compris qu’il y avait un malentendu dans cette histoire. Si un patron veut savoir si son employé fume et si le test salivaire est positif, il se fout de savoir s’il a fumé avant-hier ou hier. En revanche, lorsque ces tests sont utilisés le long des routes pour vérifier que les personnes ne conduisent pas sous l’influence du joint, le test salivaire est incapable de répondre à une telle question. Il y a trop de faux positifs et de faux négatifs (lire à ce sujet : De la difficulté de légiférer sur la conduite en état d’ivresse stupéfiante). S’il faut peut-être lutter contre le cannabis au volant (surtout mélangé à l’alcool), il faut pour cela disposer de tests permettant d’affirmer que la consommation est récente et que la personne est bien sous l’influence du cannabis. On n’en est pas là. Pour revenir à l’entreprise, peut-être verra-t-on, dans quelques temps, des syndicats se battre pour que les tests cannabis, cocaïne et autres n’aient pas lieu le lundi matin comme l’ont déjà fait des syndicats américains.

Amsterdam : tourisme, overdoses et RdR

Deux jeunes Britanniques sont morts récemment à Amsterdam pour avoir sniffé de l’héroïne blanche vendue pour de la cocaïne. Il y avait déjà eu un mort en octobre dernier et plusieurs personnes ont été hospitalisées après en avoir sniffé. Des questions se posent : d’où vient cette blanche ? Est-ce le Triangle d’Or qui se remet à produire ou est-ce en Syrie ou en Asie centrale que des chimistes la raffinent ? Quoi qu’il en soit, elle doit être relativement forte et difficile à écouler puisqu’il faut la faire passer pour de la coke pour la vendre. À moins que Daesh ait aussi lancé le djihad de la drogue, l’un des signes les plus visibles de la décadence des peuples européens. Conjecture peu vraisemblable.

En attendant, la ville d’Amsterdam a pris les choses en main et d’énormes panneaux expliquent : « N’achetez pas de cocaïne dans la rue, ce peut être une héroïne mortelle ». Des tests permettant de reconnaître les opiacés ont aussi été distribués. La « blanche » a dominé le marché de l’héroïne jusqu’à la fin des années 70. Elle pouvait être coupée à 90% avec des poudres blanches. Puis le « brown sugar », supposé être de l’héroïne n°3 moins raffinée que la blanche, venu, lui, de la frontière pakistano-afghane, a gagné. Le bruit courait qu’il y avait ici ou là un « plan de blanche » mais ce n’était pas fréquent. Elle est réapparue ces derniers temps et les trois morts d’Amsterdam lui donnent une grande publicité. Certains amateurs d’héroïne vont aller à Amsterdam en espérant se faire arnaquer…

Souvenirs de Jimmy Kempfer

C’est Fabrice Olivet qui m’a rappelé que Jimmy Kempfer avait rejoint Limiter la casse via une association née d’une scission d’Asud et qui s’appelait Substitution Autosupport. Phuong Charpy et le regretté Gilles Charpy en étaient les animateurs. Mais je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans… J’ai tout de suite eu de bons rapports avec Jimmy. On a beaucoup parlé depuis qu’on en a fait un slogan (et on a eu raison) de « l’expertise de l’usager ». Jimmy avait au plus haut point cette qualité. Ses articles en témoignent. Les thèmes de ses papiers étaient intéressants et le point de vue original. J’aimais ce qu’il écrivait. Jimmy avait une passion pour les livres sur les drogues, les affiches, les objets. C’est grâce à lui que j’ai retrouvé un bouquin publié en 1967 chez Denoël, dans la célèbre collection « Les lettres nouvelles » dirigée par Maurice Nadeau : Les drogués de la rue, des récits de vie de junkies new-yorkais recueillis par Jeremy Larner et Ralph Tefferteller. Un des meilleurs livres que j’ai lus dans les années 70. Salut Jimmy, toi qui as été embarqué dans notre bande et as su conduire ta barque depuis vingt ans que nous nous sommes connus. Je te salue, mon pote.

La place des addictions en officine

Dans la triangulation usager-prescripteur-pharmacien, ce dernier est souvent le grand oublié de la littérature consacrée aux addictions. Or nous savons, nous les patients, les clients, les usagers, que la relation avec le pharmacien d’officine est capitale. Fort de ce constat, Asud propose PharmaCom, une nouvelle rubrique collective, qui sera animée par quatre docteurs en pharmacie, Marie Debrus, présidente de l’AFR, Nicolas Authier, médecin pharmacologue, Grégory Pfau, coordinateur du dispositif Trend/Sintes, tous trois placés sous la houlette vigilante de Stéphane Robinet, président de Pharm’addict.

Célébrée à juste titre par les théoriciens de la réduction des risques, la fameuse première ligne se résume très souvent à l’espace du comptoir où les questions posées par les usagers de drogues exigent une réponse immédiate. Cet endroit est soumis à la double pression d’une réglementation souvent confuse – particulièrement en matière de TSO – et de l’obligation de générer des marges bénéficiaires. Asud a toujours voulu mettre en avant le caractère crucial de cette relation avec les pharmaciens, car la place des addictions en officine traverse la plupart de ses combats : citoyenneté, problèmes sociaux, droit commun ou traitement spécifique. L’obligation de mentionner le nom du pharmacien sur toutes les ordonnances relatives aux médicaments de substitution relève, par exemple, typiquement de ce conflit permanent entre droit commun et statut dérogatoire.

Pour inaugurer cette rubrique, deux courriers de lecteurs illustrent deux cas typiques d’embrouilles réglementaires : le retour du matériel d’injection utilisé, et l’inénarrable tiers-payant contre générique du Subutex®.

Déchets d’activité de soin à risque infectieux (Dasri)

« … J’occupe un poste de coordinatrice dans un Csapa en Mayenne et nous travaillons à l’installation d’un Totem dans le département en partenariat avec le Caarud. J’ai une question relative à la récupération du matériel d’injection par les pharmaciens : ont-ils l’obligation de reprendre les seringues utilisées des usagers qui se présentent au comptoir ? Est-ce que la gestion et l’élimination des seringues à un coût pour les pharmaciens ? Ont-ils le droit de refuser de les prendre ? »

La réponse de Stéphane Robinet

Non seulement les pharmaciens ont le droit de refuser de récupérer les seringues des usagers de drogues, mais ils doivent le faire. En l’état actuel de la réglementation, les pharmaciens ont obligation de récupérer ce qu’on appelle des « Dasri », c’est-à-dire des « Déchets d’activité de soin à risque infectieux », dont la récupération et l’élimination sont réalisées par un prestataire agrée, à la charge du pharmacien. L’auto-administration d’un produit de rue n’étant pas dans la définition d’une « activité de soins », elle ne rentre donc pas dans le cadre de cette obligation. Par ailleurs, le pharmacien engagerait sa responsabilité en cas d’accident pour lui ou un membre de son équipe et il n’est pas certain que son assurance responsabilité professionnelle accepte de couvrir ce risque. Changer le texte de loi qui définit les Dasri en y incluant les termes « prévention » ou « réduction des risques » rendrait cela possible, légal et obligatoire. Certains pharmaciens acceptent cependant déjà de récupérer le matériel d’injection utilisé (en engageant leur responsabilité), et d’autres participent à des programmes d’échanges de seringues, en convention avec des Caarud.

Les trois embrouilles du tiers-payant et des génériques de buprénorphine

« … Je souhaiterais savoir si le générique de la buprénorphine est obligatoire en contrepartie du tiers-payant, sans la mention « Non substituable » sur l’ordonnance ? La pharmacie où je me rends le plus souvent n’a jamais posé de problème. On m’y délivre du Subutex® sans même que la mention « Non substituable » soit apposée sur l’ordonnance. Pourtant, à quelques kilomètres de là, dans la pharmacie où je me rends en cas de fermeture de la première, je rencontre toujours cette contrainte de la part des pharmaciens, arguant que le Subutex® bénéficie du même régime que tout autre médicament… »

La superposition de plusieurs textes issus de différentes administrations, de l’ANSM en passant par l’Assurance maladie, a produit un véritable mille-feuilles administratif, digne d’un bon Kafka. Résultat : les usagers de buprénorphine doivent se démerder face à trois embrouilles successives.

CPAM logoL’avenant n°7 à l’accord national relatif à la fixation d’objectifs de délivrance de spécialités génériques a été conclu entre, d’une part, l’Union nationale des caisses d’Assurance maladie et, d’autre part, l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine et l’Union nationale des pharmacies de France. Il est approuvé par l’arrêté du 7 novembre 2013 et publié au Journal officiel du 15 novembre 2013.

À noter que sont exclues de ce dispositif les molécules dites « sensibles » :

  • L-thyroxine ;
  • buprénorphine ;
  • mycophénolate mofétil ;
  • ainsi que la classe thérapeutique des antiépileptiques.

Première embrouille : la nouvelle Convention nationale organisant les rapports entre les pharmaciens titulaires d’officine et l’Assurance maladie

Signé le 4 avril 2012 pour restreindre le déficit chronique, ce texte stipule dans son avenant n°7 (voir encadré) un accord national portant sur la délivrance des médicaments génériques. Ce dispositif s’applique à l’ensemble des molécules figurant au répertoire, à l’exception de deux catégories de médicaments : les molécules sous tarification spéciale (TFR), et les molécules dites « sensibles », faisant l’objet d’une recommandation de l’Assurance maladie : L-thyroxine, antiépileptiques, mycophénolate mofétil, et… burpénorphine. Eh oui, malgré une rumeur persistante, la buprénorphine figure bien sur la liste des exemptions, et le Subutex® est donc exclu du dispositif « tiers-payant contre générique ».

Seconde embrouille : la mention « non substituable »

Bien que théoriquement exclu de ce dispositif, le Subutex® est fréquemment prescrit avec la mention « non substituable » en toutes lettres et à la main sur l’ordonnance. C’est le sens de l’article L.162-16-7 du code de la Sécu, qui précise clairement que l’apposition de cette mention manuscrite constitue une dérogation à l’application du dispositif « tiers-payant contre générique ». Pas forcément au courant des évolutions réglementaires et fidèles au bon vieux principe du « qui peut le plus peut le moins », de nombreux prescripteurs s’appliquent à respecter cette disposition dans le souci évident d’éviter tout risque de discussion lors de la délivrance.

Troisième embrouille : le taux général de remplacement

Pour simplifier cette histoire, précisons que, bien qu’exclu du dispositif « tiers-payant contre générique », le Subutex® vendu par la pharmacie entrera dans l’appréciation annuelle du volume de princeps comparé à celui de génériques délivrés (appelé « taux de remplacement »), une déclaration rendue obligatoire. On comprend la tentation de nombreuses officines de s’abriter derrière l’imbroglio réglementaire pour refuser le princeps.

Fiches pratiques Substitution

La délivrance en pharmacie de Subutex
Délivrance en pharmacie

En cas de problème de délivrance pensez à faire appel à l’Observatoire du Droit des Usagers
Délivrance en pharmacie

Récapitulons :

Dans tous les cas de figure, le pharmacien ne peut pas refuser le Subutex® et doit proposer l’avance du tiers-payant. Si le médecin a noté « non substituable » à la main et à côté du nom Subutex®, c’est tant mieux, mais inutile. Vous avez cependant de grands risques de vous heurter à des professionnels réticents à délivrer un princeps et susceptibles de s’abriter derrière la complexité de cet empilement réglementaire. Pensez à vous munir des références consultables sur le Net.

 

N’hésitez pas à nous poser des questions en ligne sur asud.org, en utilisant les pages de commentaires ci-dessous ou en vous inscrivant sur le forum. Vous pouvez également communiquer directement avec nous en mentionnant PharmaCom à contact@asud.org.

Pour toute information au sujet des médicaments de substitution aux opiacés, notre rubrique Substitution contient des fiches pratiques et un forum d’échange entre usagers.
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Extension du domaine de la défaite

Extension du domaine de la défaite #2

La TV réalité est autant une usine à fabriquer des stars Kleenex que le symptôme de cette époque tout entière vouée à l’exaltation de la célébrité. On connaît la chanson depuis Warhol, je n’y reviens pas.

La voix de son maître bisLa première partie de ce texte a été publié dans ASUD journal N°53 : Extension du domaine de la défaite #1

Pourtant, les véritables stars, ce ne sont pas les Zia Loana et compagnie à la ligne de vie très très brève. Trop éphémères et interchangeables par définition. Le media monstre qui les crée les dévore en les accouchant, quand il ne les euthanasie pas.

Non, les véritables hérauts héros, il faut les chercher du côté des sportifs. Plus exactement, chez les footballeurs qu’on a fini par comparer à de vraies « rock stars » ! On a oublié ce qu’ils prenaient dans les années 80, les footeux ! La risée que c’était ! De bons abrutis limite analphabètes – Et si cet aspect des choses n’a guère changé, il n’est plus autant souligné, ni même raillé que par le passé ! Étonnant, non ? On peut se demander si on ne régresse pas quelque part…

Quand Arte consacre une émission aux rebelles, elle n’oublie pas d’insérer Maradona ou Cantona entre Johnny Cash et Iggy ! Étrange jeu de miroirs déformants, dans la mesure où ces sportifs captent un héritage dont ils méconnaissent la nature, en s’emparant des attributs rock’n’roll – tatouages, fringues black leather, coiffures – qu’ils stérilisent, vident de toute substance et épuisent.

The times they are a changin’ justement… En fait, c’est autant leur talent de sportif que leur réussite que révèrent et qu’admirent les mômes quand justement la vitalité et surtout la réussite nous apparaissaient haïssables au point de prendre des allures de trahison même des idéaux rock’n’roll. Combien d’artistes et de groupes se sont ainsi vu reprocher leur « embourgeoisement » lorsqu’ils rencontraient le succès.

… Oui, les temps changent ! Le rock’n’roll – « avec drogue » – crachait son ennui et son refus du conformisme à la gueule des sociétés occidentales plongées dans une si longue ère de paix qu’on avait fini par s’y emmerder. Certains sociologues très calés (!) ont alors posé la thèse de la « drogue, guerre intérieure »… Jusqu’à il y a peu, ce postulat ne signifiait rien à mes yeux, mais là, au bord du gouffre alors que le mythe du guerrier redevient vivace, je me demande quand même s’il n’y avait pas de ça.

Et pendant ce temps… Pendant ce temps, le monde avale ses enfants et recrache sa misère. Nécrophage. Et puis quoi ? On est censé aussi applaudir au passage de la parade molle ! Ça laisse augurer du pire. Et c’est du pire augure… Là tout de suite, je me fais voyant sans être prophète et sans mérite non plus. Pas le moindre parce que c’est bien moins une intuition qu’une évidence. Suffit d’ouvrir les yeux. De mettre les éléments bout à bout et de prendre le soin d’y penser un peu.

On y passera tous !

C’est là, c’est partout dans la rue, sur les écrans, suffit de mater. Avec aux avant-postes, le sexe et la guerre, indistincts, obscènes tous deux. Certes les images ont tendance à s’invisibiliser à force de profusion. La somme de toutes ces peurs claque comme une déflagration, on y passera tous. L’assaut sera sauvage, tout azimut, la saignée, terrible, armagédonienne. En attendant, on reste là, coincés dans l’œil du cyclone, atones.

Faut nous voir chaque matin trottant allègres ou accablés, pressant le pas dans les couloirs du métro, faisant le pied de grue devant les écoles à attendre notre progéniture, exécutant jour après jour les mêmes gestes, riant, pleurant, gueulant, bouffant, baisant, chiant… On baisse les yeux, on regarde ailleurs. C’est plus safe ! Et puis ce sont les bras et puis la garde qu’on baisse, alouette ! Tête basse, en route pour le carnage final un peu à la manière de ces troupeaux de rênes mélancoliques et résignés que conduisent à l’abattoir les nomades nenets. Sentant la mort venir, ces pauvres bêtes mugissent et se débattent. On dit même que certains rennes pleurent comme les hommes. Ça finira comme ça…

On y passera tous !

Illegal! magazine

Illegal!

Le magazine danois sur les drogues lance une édition anglaise.

« Le journal qui aide les toxicomanes à acheter leur dose », « Un magazine vendu par des drogués pour financer leur addiction », etc. Il y a dix-huit mois à Copenhague au Danemark, la sortie du premier numéro d’Illegal! n’est pas passée complètement inaperçue… La presse locale a voulu accrocher ses lecteurs avec des titres à sensation. Et lorsque fin 2014 est arrivée l’édition britannique, les journaux anglais ont à nouveau titré sur cela.

Faire baisser la délinquance

Certes, le fondateur du journal, Michael Lodberg Olsen, ne cachait pas que la diffusion par des usagers de drogues pouvait faire baisser la délinquance puisqu‘ils ne seront plus obligés de commettre des délits pour pouvoir acheter leur came. Ce fut même l’un des sujets abordés dès le départ dans le journal : cela va permettre de « décriminaliser les toxicomanes et de faire baisser prostitution et crimes ». En septembre 2013, il estimait dans son numéro de lancement que la vente de 15 à 30 numéros d’Illegal! permettait de subvenir aux besoins financiers d’un héroïnomane – vendu 40 couronnes danoises, 25 reviennent au vendeur, soit environ 3,50 euros par journal. Mais il semble avoir depuis peu changé son argumentation. Dans une interview récente à Télérama, il insiste sur le fait qu’Illegal! a été créé « pour éduquer et susciter la discussion, et non pour provoquer ni fournir de la drogue aux toxicomanes comme certains le disent ». Il souhaite également que la dépendance aux stupéfiants devienne une priorité pour les responsables de la santé plutôt que pour le système judiciaire, regrettant « que la guerre contre les stupéfiants se résume beaucoup trop à une guerre contre les consommateurs ».

Collection illegal! magazine

Susciter le débat et changer les mentalités

C’est donc en septembre 2013 à Copenhague que débute l’histoire du magazine Illegal!. Dès le départ, l’ambition de Michael Lodberg Olsen est de susciter le débat et de changer les mentalités sur un sujet aussi sensible que les drogues. N’y sont donc abordées, six fois par an, que les questions tournant autour de ce sujet. Au départ diffusé à 5 000 exemplaires, le tirage a rapidement doublé, puis triplé pour atteindre les 15 000. Il y a quelques mois à Londres, ce sont, dans un premier temps, 2 000 exemplaires qui ont été vendus par les toxicos du quartier de Hoxton dans l’est de la capitale britannique. Et, d’après la presse anglaise, toujours avec la volonté de faire baisser les chiffres de la délinquance en permettant aux usagers de drogues, principalement héroïnomanes, de pouvoir se payer leur came avec les bénéfices de la vente du magazine. Une démarche qui ne plaît pas à tout le monde. Un porte-parole de la police déclarait récemment que « cette initiative qui justifie la collecte de fonds pour l’achat de drogue n’est pas la réponse ». Mais cet argument mettant en avant les répercussions de la vente du magazine sur les chiffres de la criminalité ne semble plus être d’actualité au sein du journal. Peut-être le doit-on à Louis Jensen, qui dirige l’édition londonienne. Ayant rencontré Olsen alors qu’il filmait un documentaire, il a souhaité ramener le concept en Grande-Bretagne. Il explique alors au Daly Mail que ce journal veut surtout « contester les idées fausses et les stéréotypes. Il n’est pas nécessairement là pour créer un revenu pour acheter de la drogue ». Pour lui, il y a une réelle méconnaissance sur les drogues au Royaume-Uni : « pas seulement sur les produits mais également sur leurs usagers ou sur la façon de les prendre ». Une « philosophie » qui se rapproche beaucoup, en France, de celle d’Asud-Journal. Qui, peut-être aux regrets de certains lecteurs, n’est de toute façon (toujours) pas en vente dans les rues…

Bernard Rappaz… Pionnier !

Pêle-mêle, Bernard, le premier de l’école et champion d’athlétisme, crée dans les années 70 le Mouvement Valaisan d’actions non-violentes et écrit dans Combat non-violent. Il devient le promoteur de l’objection de conscience et participe à la création du WWF. Il contribue grandement à l’essor de l’agriculture biologique qu’il pratique dans sa ferme (l’Oasis) achetée en 1975 et il créé un syndicat agricole, l’Union des producteurs suisses. Il organise avec quelques amis un festival façon Woodstock et manage un groupe de rock helvétique.

Mais sa renommée, la partie la plus développée de cette autobiographie qui débute par « la chronologie de ses différentes incarcérations et grèves de la faim », Bernard Rappaz la doit à sa passion pour le chanvre et à son acharnement pour défendre sa légalisation dans cet étrange pays où on a le droit d’en cultiver, à condition de ne pas le transformer en stupéfiant.

De la prison au chanvre

La première fois qu’il se retrouve en prison, ce n’est pas à cause du chanvre, mais pour un casse de banque, pas une petite banque à la noix, mais une vraie banque à la Suisse. Il sera condamné à quarante mois de prison et entamera sa première grève de la faim, une méthode héritée du jeûne que Bernard, disciple de Gandhi, pratique… « Le jeûne, c’est la santé et une automédication efficace », écrit-il dans son livre.

Grâce (ou à cause) de la prison, il ose se lancer dans la culture à risques du chanvre. En 1992, les policiers découvrent (suite à une dénonciation) 250 pieds de chanvre dans une tomatière, ce qui l’amène à s’intéresser de près à la loi suisse, puis à militer pour la légalisation du chanvre. Ponctuée de grèves de la faim, cette première peine sera suivie de nombreuses autres. Bernard Rappaz enchaîne avec la tisane de chanvre qu’il paie de quelques jours de prison, puis avec l’huile de chanvre riche en oméga 3. Il fonde la société Valchanvre et participe à la création des Amis suisses du chanvre (ASAC), qui deviendra célèbre en 1999 lorsque Bernard ouvre les portes de sa petite entreprise aux caméras de M6.

Bernard Rappaz et le WWF

Du chanvre à la prison

En 1996, il est rattrapé par la justice pour ses activités chanvrières, et plus particulièrement la commercialisation de coussins thérapeutiques. Il sera condamné et entamera immédiatement une grève de la faim qui durera quarante-deux jours.

C’est bien sûr dans la solitude de sa cellule que Bernard a écrit ses mémoires. Le livre raconte ses démêlés avec la justice valaisanne, un combat singulier entre de féroces magistrats soutenus par Le Nouvelliste, feuille de chou valaisanne, et une forte tête sûre de son bon droit qui se considère comme un prisonnier politique et qui jamais n’abandonne, comme le prouvent ses interminables grèves de la faim.

Si voulez en savoir plus sur la politique suisse des drogues et sur le combat de Bernard Rappaz, lisez Pionnier ! Un cahier central, avec des photos du Jack Herer valaisan et des extraits de presse sur ses aventures, complète la lecture.

Pionnier !
Bernard Rappaz
Éditions Favre
(18 euros)

Bernard Rappaz est aussi l’un des principaux protagonistes du documentaire Le chanvre en Suisse que vous pouvez voir ici.

The Ramones – Too much junkie business

Too Young Too Fast, les Ramones auront été le premier groupe punk US signé par une major à l’été 1975, quelques jours avant Patti Smith. Au milieu de la flopée de combos arty punk new-yorkais, les Ramones détonent. Pire, ils semblent suspects : trop purs pour être honnêtes et pourtant… Ces Hillbilly Cats urbains jouent un rock’n’roll résolument, furieusement, blanc. White Trash. No Beatnik Black. No Soul, No Rhythm & Blues.

Début des seventies, au cœur du New York de Taxi Driver et de Maniac : quatre merdeux, enfants du baby boom de l’après-guerre, bourrés de speed et d’héro (celle de la French Connection) glandent dans le Queens du côté de Forest Hills, une aire bétonnée suintant d’ennui, conquise par la dope, le speed et l’acide. Ils ont 22 ou 23 ans et, nés avec ou non, ils ont maintenant la Haine chevillée au corps. Loosers parmi les loosers, drop-out, ces authentikkk voyous jouent au Ringolevio version Orange Mécanique sous quaaludes. Braquages, agressions, bastons, prostitution constituent leur quotidien. Finalement, en dehors de la dope, le rock’n’roll est la seule chose qui les accrochent.

Les Ramones, Toronto, 1976
Les Ramones, Toronto, 1976

Frères de rue, frères de rock, ils sont tous des Ramones, même si entre eux les coups pleuvent : Dee Dee, qui carbure à l’héro depuis qu’il a 15 ans tient la basse, Joey est au chant (et à la batterie), Johnny à la guitare et Tommy, ex-manager, assure rapidement la succession de Joey aux drums. Jeans, perfectos, coupe au bol, baskets. Voilà pour l’uniforme. Et en vingt ans d’existence, ils n’en changeront plus.

Au moment où les Led Zeppelin, Clapton, Deep Purple et autres se perdent en virtuosité, les Ramones portent l’estocade. Le Pub rock est enfoncé. Bye bye les Flamin’ Groovies ! Coup de grâce. De génie. Avec les Ramones, le rock ne retourne pas simplement à la rue, il retourne au caniveau. L’innocence rock’n’roll parfaite revisited seventies. Traqueurs de mirages en pleine Blitzkrieg Bop, ils balancent leurs morceaux minimalistes ultra speed. Lyrics idoines, acidulés et pervers, du Leiber/Stoller amphétaminé. Le turn-over des musiciens n’altère ni l’identité ni la musique du groupe. Posées une fois pour toutes en 1975, ces bases sont immuables.

Ramones - Hey ho let's goPunks rockers, chassant le dragon rock’n’roll, animal légendaire qui a toutes les chances de n’être qu’un fantasme insaisissable, mais qui les obsède, ils inciteront Spector, aux neurones déjà bien grillés, à sortir de sa torpeur psychotique le temps d’un album arraché au chaos. Après avoir offert Because The Night à Patti Smith, l’outsider qu’est Bruce Springsteen avant 1980 leur composera un Hungry Heart sur mesure et il faudra l’intervention de son très avisé manager, Jon Landau, pour que le futur Boss se résolve à garder cette pépite pour lui : grand bien lui en fera puisque ce sera là son premier hit single !

En Europe, notamment en Angleterre et en France, les Ramones sont adulés. Ils joueront avec les Sex Pistols, sillonneront pendant deux décennies le vieux continent, suivis par leurs légions indéfectibles de fans purs et durs. De la vague punk hardcore californienne aux grunge nineties qu’ils adouberont, les Ramones auront exercé pendant vingt-cinq ans une influence majeure sur toute l’avant-garde underground punk !

Une tournée d’adieu, peu avant le nouveau millénaire, scelle la fin des Ramones. L’épilogue est déprimant à souhait, crucifiant, en forme de réaction en chaîne maudite : en moins de trois ans, les trois ex-teenages losers de Forrest Hill passent de vie à trépas. Et comme pour boucler la boucle, Joey viendra enregistrer avant de mourir un titre en duo avec Lisa Marie Presley. Preuve que le King lives ! TCB !

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