Alcoologie :le grand bouleversement

Avant le grand chambardement actuel, trois médicaments ayant l’alcool pour indication – l’Espéral® (disulfirame), l’Aotal® (acamprosate) et le Revia® (naltrexone) – avaient obtenu leur Autorisation de mise sur le marché (AMM), en 1977 pour l’Espéral®, 1987 pour l’Aotal®, et 1996 pour le Revia®. Ils visent uniquement au maintien de l’abstinence, nullement à la consommation contrôlée qui, dans l’alcoologie classique, était considérée comme un objectif impossible à atteindre.

L’Espéral® est un médicament « antabuse » qui rend malade celui ou celle qui boit après avoir pris un comprimé le matin. Son mode d’action ne repose pas sur une diminution de l’envie de boire mais sur la peur d’être malade (bouffées de chaleur, augmentation du rythme cardiaque…), ce qui peut être utile quand il n’y a pas d’autre solution et quand le corps doit faire un break. Mais il exige une abstinence stricte.

L’Aotal® et le Revia® aident au maintien d’une abstinence préalablement obtenue. Leur mode d’action diffère, et ils peuvent donc être associés. Le principe actif du Revia® est la naltrexone, l’un des deux antagonistes opiacés les plus utilisés avec la naloxone (principe actif des ampoules de Narcan® qui servent à lutter contre une overdose d’héroïne ou de tout autre opiacé vrai). Lorsque la naltrexone sert au maintient de l’abstinence chez l’alcoolodépendant (par un mécanisme qu’on connaît mal), elle porte donc le nom commercial de Revia®. Mais lorsqu’elle sert au maintien de l’abstinence chez l’héroïnomane, elle s’appelle Nalorex®. On conviendra qu’il n’est pas fréquent qu’un médicament porte deux noms différents suivant la « maladie » ou la « population » concernée. Les alcooliques à droite, les héroïnomanes à gauche (ou l’inverse) ! Tout comme l’Aotal®, le Revia® doit être pris une fois le sevrage d’alcool accompli, pour aider à maintenir l’abstinence en diminuant l’envie de boire. Il va sans dire que le Revia® ne peut être prescrit à des personnes sous TSO ou à des héroïnomanes actifs, sauf à provoquer un état de manque.

Le dernier verreAprès la publication en 2008 du livre d’Olivier Ameisen, Le dernier verre, le baclofène commença à être prescrit. Il se trouve désormais dans une catégorie entièrement faite pour lui : la Recommandation temporaire d’utilisation (RTU), qui peut durer jusqu’à trois ans. « Pourquoi pas une Autorisation temporaire d’utilisation (ATU) ? », demanderont unanimement les lecteurs d’Asud. Parce qu’elle précède l’AMM et que le baclofène en a une depuis… quarante ans ! Mais dans une indication qui n’a pas grand-chose à voir avec l’alcool : les contractures douloureuses et involontaires dans certaines maladies neurodégénératives comme la sclérose en plaques (SEP). Le baclofène avait dès le départ deux objectifs différents dans l’alcool : l’abstinence et la consommation contrôlée.

Un nouveau médicament, le Selincro® (nalméfène), a obtenu une AMM dans l’alcool en décembre 2013, la première depuis le Revia®, ça n’arrive donc pas souvent. Le Sélincro® est une sorte de SuperRevia : le Revia® bloque les récepteurs opioïdes mu tandis que le Selincro® bloque les mu et les kappa. Si je n’ai pas encore d’avis clinique sur le Selincro®, il y a déjà une révolution dans son positionnement : c’est le premier médicament disposant d’une AMM dans l’alcool qui permet au patient de choisir entre abstinence complète et consommation contrôlée. Une alternative que les alcoologues classiques considéraient le plus souvent comme une hérésie. Ce qu’ils refusaient de voir, c’est qu’avec une aide pharmacologique, les patients peuvent « contrôler » leur consommation. Un tel contrôle signifie presque toujours qu’ils doivent compter les unités d’alcool qu’ils consomment et apprendre à noter quotidiennement les quantités qu’ils boivent. Nous attendons pour bientôt l’Alcover®, utilisé depuis plusieurs années en Italie. En alcoologie, c’est bien le grand bouleversement.

Commentaire

  • Le selincro est censé permettre de limiter sa consommation. Mais pas de miracle, dans mon cas, cela m’a permis de consommer uniquement le week-end, à condition de m’abstenir tous les autres jours de la semaine. Si on ne respecte pas cette règle, l’AOTAL peut permettre de retrouver un rythme normal hebdomadaire, et pas sans difficultés d’ailleurs. Donc, pas de miracle, respecter ce principe permet le dimanche de savourer un ou deux verres de vin de très grande qualité (tant qu’à faire). PS : je ne bois plus jamais d’alcool à plus de 14°.

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