Traitements par Agonistes Opioïdes (TAO), la nouvelle appellation des TSO.

Ce guide sur les TAO (Traitements par Agonistes Opioïdes) qui est la nouvelle dénomination internationale des TSO car la notion de substitution ayant été trouvée trop ambigüe par les organisations d’usagers de drogues comme EuroNPUD (la déclinaison européenne du Réseau International des Personnes qui consomment des drogues INPUD) , est la traduction et l’adaptation à la France du guide réalisé en anglais par cette organisation EuroNPUD OAT Client Guide.

C’est un projet européen soutenus par les organisations d’Usagers de Drogues de Grande Bretagne, d’Ecosse, de Grèce, de France (ASUD) , d’Espagne (Catalogne),d’Allemagne, de Suède et de Norvège, chacune ayant traduit dans sa langue et adapté aux réalités de son pays ce guide qui en français nous donne:

TAO, On y est ensemble! Tout sur la dépendance aux opioïdes par les personnes qui l’ont vécu…

Vous y trouverez la liste des molécules et traitements disponibles donc en France, avec même celui que l’on aimerait bien comme l’héroïne médicalisée et surtout nos conseils d’usagers de ces traitements, les régles et les devoirs mais aussi les choses qu’il ne faut pas accepter dans les centres de délivrances et certains trucs pour passer aux travers de règles qui vont à l’encontre de nos droits!

Bonne lecture les ami.e.s!!

Speedy Gonzalez

Coke, Crack et Base. La nouvelle brochure d’ASUD enfin disponible

ASUD diffuse aussi des brochures papiers ou téléchargeables consacrées à différentes drogues, à la prévention des surdoses ou aux droits des usagers pris en charge par le système de soins. Cette année, c’est la cocaïne qui est à l’honneur, avec ses déclinaisons en modes de consommation (crack, base…) et, surtout, l’ambition de mieux contrôler l’usage de cette substance devenue aujourd’hui un produit de consommation courante, juste après le cannabis.

Depuis quelque temps, les médias européens montent au créneau sur la coke, sous forme de
panique morale. On parle de déferlante, on souligne à chaque fois la large diffusion de sa conso dans toutes les couches sociales et professionnelles, en France comme en Europe. Un paroxysme a été atteint cet été 2022, avec une hystérie typiquement française sur le crack et ses consommateurs(1). Elle a produit des sommets de fake news, racisme, discriminations, atteintes aux droits humains qui se sont succédé avant de retomber comme une crêpe. Des reportages ont aussi révélé la mainmise de certaines mafias, comme la Mocro Maffia marocaine, très en vogue, qui cherche à contrôler les ports de Rotterdam et d’Anvers, portes d’entrée de la coke en Europe(2). Il est vrai que l’on assiste dans ces deux pays à une certaine forme d’importation et d’extension des méthodes des narcos latinoaméricains, inconnues jusqu’alors en Europe, sauf en Italie. Corruption, menaces, violences (enlèvements, fusillades, assassinats…) dont les victimes ne sont pas uniquement des trafiquants concurrents comme cela avait pu exister auparavant, mais aussi des journalistes, hommes politiques, juges, policiers, avocats, etc.(3) qui ont pu s’opposer ou dénoncer cette situation, sans oublier les victimes collatérales…

Pragmatisme Asudien

Face à cette débauche d’informations où le faux se mélange au vrai, nous essayons avec cette brochure « Coke, crack et base » de remettre les choses à plat avec une approche historique, sociale et sanitaire de cette drogue, la plus consommée en France après le cannabis selon l’OFDT(4). Il est bien loin le temps où la cocaïne était un produit utilisé par certaines personnalités de la pub, du showbiz, et autres artistes. S’il est notoire que sa consommation est devenue courante dans la restauration, sa présence est bien plus récente et totalement inattendue chez les pêcheurs professionnels, les routiers et dans de nombreux autres métiers éloignés des feux de la rampe, mais où il faut être rapide, infatigable et concentré… Pour clore ce débat sur l’expansion réelle ou médiatisée de sa consommation, il existe des facteurs plus objectifs, comme les saisies policières, pour avoir une idée de la diffusion d’un produit. Or, ces dernières, en France comme en Europe, connaissent une hausse spectaculaire. En effet, selon l’OFDT, les saisies sont passées de 4,1 tonnes en 2010 à 26,5 tonnes en 2021 dans notre pays. Soit multipliées par 6,5 ! Si l’on considère qu’elles ne représentent que 10 % des quantités réellement entrées, on arriverait à environ 260 tonnes en France ! Toujours selon cet observatoire, il y aurait en 2021, environ 2,1 millions d’expérimentateurs(5) dont 600 000 usagers dans l’année. Sans céder à la panique morale en cours, surtout si l’on compare avec les 43 millions de consommateurs d’alcool dans l’année – et les 9 millions qui font un usage régulier de ce produit légal, mais dont la dangerosité serait aussi grande que celle de drogues comme la cocaïne, selon le fameux rapport Roques(6) – il est indéniable que la consommation a vraiment explosé ces dernières années. Asud se devait donc de proposer une brochure objective sur cette drogue, même si nous avions déjà abordé la question de la cocaïne dans le Tome 2 de la brochure Overdoses(7),sous un volet réduction des risques, moyens pour éviter les dommages ou les atténuer, pour éviter la surdose.

La longue traînée de coke

Dans notre nouvelle brochure, nous replaçons la cocaïne dans son histoire longue. Depuis l’usage religieux de la plante, la coca d’où elle est extraite, dans les civilisations précolombiennes des Andes, la première consommation de masse de cette plante que la colonisation espagnole a provoquée, jusqu’aux circonstances rocambolesques qui amenèrent un jeune chimiste allemand de 26 ans, Albert Niemann, à enfin isoler le principe actif à partir des feuilles de coca, qu’il baptisera « Kokain ». Plusieurs chimistes de renom s’y étaient cassé les dents… Grâce à ses travaux, la formule chimique sera vite établie. Nous suivrons alors la folle histoire de cette drogue qui devient rapidement à la mode dès ses débuts, d’autant que des laboratoires comme Merck s’en emparent pour la diffuser très largement. Nous présenterons bien sûr son usage récréatif dès la fin du XIXe (la fameuse « coco »), mais aussi son usage médical, les articles scientifiques dithyrambiques qui se succèdent vantant ses pouvoirs en chirurgie, anesthésie, etc. Sans oublier ce bon docteur Freud, jeune neurologue viennois de 28 ans, qui lui fait une belle publicité en l’utilisant sur lui et ses patients, la conseillant à tous ses amis avant de rétropédaler. On s’arrêtera un instant sur le premier cas répertorié « d’accro » à la coke du début du XXe siècle : un des patients et ami de Freud. Voulant l’aider à décrocher de son addiction à la morphine, Freud le fera plonger dans celle à la coke, en somme le premier addict de speed Ball ! De nombreux autres suivront, tout comme les cas de surdose… Nous allons ainsi suivre son parcours tout au long du XXe siècle, puis de notre XXIe, depuis les années 1930 jusqu’à la situation de nos jours où l’emprise des narcos a des conséquences dramatiques, non seulement pour l’Amérique du Sud, mais aussi pour le monde entier dont l’Afrique avec cette « guerre à la drogue » qui n’en finit pas de faire des ravages. Puis nous présenterons, au cours des chapitres suivants, la nature chimique de la coke. Nous aborderons les risques de son usage : pulmonaires (crack lung), cérébraux (la surchauffe). Nous présenterons des méthodes pour détecter les AVC, tout en passant en revue les différents modes de consommation (sniff, fumé, injecté), les mélanges avec d’autres drogues (speedball, Calvinklein, cocke + alcool, MDMA…) ou avec des stimulants ou des médicaments. Ces aspects de réduction des risques se termineront par un chapitre sur la femme enceinte.

Et le crack alors ?

Nous n’aurions pas été complet sans parler du « crack », de la « base » – cette dénomination convient beaucoup mieux, on vous expliquera pourquoi. Une bonne raison d’en parler est le fait que 10 000 personnes en France sont prises en charge en Csapa, dont 2/3 consomment sous forme de poudre et 1/3 sous forme basée (crack). Et 54 % des personnes vues en Caarud ont consommé de la cocaïne basée dans le mois contre 32 % en 2015. La deuxième raison est de s’opposer à une vision manichéenne y compris chez bon nombre de consommateurs de drogues et pas simplement des journalistes friands de gros titres : coke versus crack. La première serait un produit festif, convivial, certes addictogène mais loin de la vision noire et presque diabolique portée par la seconde, une drogue qui transformerait en un clin d’œil ses consommateurs en des zombies capables des pires turpitudes ! Nous apporterons donc notre vision pragmatique et objective sur cette supposée différence alors qu’il s’agit du même produit. Conseils d’élaboration de la base, pour consommer à moindre risque (matériel, fréquence…), tout cela, sans minimiser, ni diaboliser. Le « crack » est revenu sur le devant de la scène, alors que le problème de la consommation de rue dure depuis près de 30 ans. Pourtant, des solutions existent pour gérer un groupe de tout au plus 400 personnes(8) ! Rien de neuf donc, juste un produit qu’il faut connaitre pour mieux le gérer si, d’aventure on désire le consommer…

La brochure est disponible, retrouvez sur notre boutique en ligne.

  1. Voir à ce sujet le documentaire d’Asud, Le mur de la honte, visible sur le site d’Asud : https://www.youtube.com/watch?v=xUut6TYiWkQ.
  2. Avec aussi ceux du Havre et de Hambourg comme ports de dérivation au cas où les deux premiers seraient indisponibles.
  3. Cette mafia dont le chef est emprisonné en Hollande est fortement soupçonnée d’être impliquée dans la tentative avortée par la police belge de l’enlèvement du ministre de la Justice de ce pays !
  4. Observatoire français des drogues et des tendances addictives : Drogues et Addictions, chiffres clés, 2022.
  5. Au moins un usage au cours de la vie, cet indicateur sert surtout à mesurer l’usage d’un produit dans une population donnée.
  6. Le Rapport Roques, du nom de son rédacteur, publié en janvier 1999 sur La dangerosité des drogues reste la synthèse la plus complète à ce jour sur la dépendance et les effets des différentes drogues légales et illégales sur le cerveau. D’autres études suivront comme celle publiée par la revue scientifique britannique The Lancet en novembre 2010 : « Drugs harms in the UK : a multicretaria decision analysis » ; Pr. David J. Nutt et al avec son verdict final qui nous intéresse tout particulièrement : « L’alcool plus dangereux que le crack ou l’héroïne ».
  7. Brochure d’Asud : Overdoses, Tome 2, Stimulants, coke, speed, MDMA, cathinones… 2018
  8. L’OFDT estime à environ 13 000 le nombre d’UD de crack à Paris et en Île-de-France, qui ne font jamais parler d’eux car étant plus ou moins intégrés socialement, ils arrivent à gérer leur consommation sans poser de problème d’ordre public.

Pour la version PDF c’est par ici !!!

Groupes d’entraide et Asud, une histoire partagée pour réduire les risques et les dommages

Les usagers de drogues sont souvent frappés par l’opposition entre les approches fondées sur l’abstinence à travers les mouvements dits de « 12 étapes » et celles des groupes d’autosupport issues de la réduction des risques, comme Asud. Il est important de rappeler que ces approches ont pu se succéder dans les parcours des uns et des autres. Les programmes fondés sur l’abstinence s’adressent à des gens qui sont eux aussi les bénéficiaires de prévention des maladies infectieuses, ou de stabilisation par le recours aux traitements de substitution aux opiacés (TSO). Les programmes de « recovery », comme disent les Anglo-Saxons, ont donc vocation à s’inscrire dans la panoplie des offres faites aux usagers.

Abstinence vs RdR : une vieille opposition

Il peut paraître étrange d’aborder la question de l’abstinence en regard de la question de la RdR. En réalité, et on verra pourquoi, il serait étrange de ne pas le faire. De fait, certains acteurs de la RdR sont portés à considérer l’abstinence comme l’envers individuel de la prohibition et comme une solution illusoire directement produite par l’interdit.

Il est vrai que l’abstinence a longtemps été construite comme le pendant de l’approche prohibitive et associée à la dimension privative de la désintoxication. La « War on Drugs » collective et le « Just Say No » individuel ont toujours fait bon ménage dans les représentations et ont été les figures ultimes de la prévention (ne pas passer à l’acte) et de la guérison (vivre sans drogue). Visant à protéger le « drogué » de lui-même, cette thématique sous-jacente parcourt en effet toute la rhétorique prohibitionniste, faisant de celui qui n’a pas consommé la norme et de celui qui ne consomme plus, le modèle du repenti soumis à l’injonction thérapeutique, comme pendant de l’interdit, au cœur des contradictions de la loi de 1970.

Groupes d'entraide et ASUD Pascal 4De plus, l’abstinence peut paraître s’inscrire dans un paradigme moral et ascétique, entre tentation et repentance. Le terme lui-même se retrouve par exemple dans les prescriptions religieuses touchant à la sexualité et est encore parfois dans ce domaine présenté comme la meilleure façon de se prémunir du sida, faisant fi des êtres humains et de leur réalité. Cette dimension judéo-chrétienne peut encore être renforcée, en apparence, par la dimension spirituelle (plutôt que religieuse) de certains de ces groupes d’autosupport. Enfin, elle peut être aussi associée elle-même à une forme d’excès puisqu’elle s’étend souvent à tous les psychotropes, interdits ou non, et apparaître alors comme une autre forme d’addiction, s’opposant alors à la consommation modérée.

Les approches RdR sont nées d’un constat d’échec de l’abstinence comme idéal de sortie de la consommation et de l’interdit comme absolu et s’y sont donc opposées en prenant acte de l’usage en en palliant les risques les plus marquants. Ainsi, au sein des groupes d’entraide, on oppose volontiers ceux qui se centrent sur la RdR dans sa conception traditionnelle et qui s’appuient sur des usagers « actifs », à ceux qui proposent des trajectoires vers l’abstinence (groupes dits de « 12 étapes », par exemple), concernant alors de potentiels « ex » -usagers. Les premiers, engagés dans une revendication plus globale visant à faire des usagers des citoyens à part entière, sont habituellement perçus comme les compagnons, voire le fer de lance d’une RdR qui, poussée à son terme, débouche sur une logique antiprohibitionniste, les seconds pouvant, au contraire, être ressentis comme promouvant implicitement l’interdit salvateur. Dans ce cadre, l’abstinence peut donc apparaître comme l’opposé de la RdR, une réponse trop simple à une question complexe, marquée de moralisme et peu efficiente, et comme un concept de plus dans les soutes de la grande machine à prohiber. On voudrait pourtant démontrer que cela ne va pas de soi.

l’abstinence ne se confond pas avec l’approche prohibitive

Groupe d'entraide et ASUD Pascal 1L’abstinence n’épouse pas obligatoirement la logique de prohibition. Elle n’appartient pas aux prohibitionnistes qui l’ont arrimée à leur doctrine et en ont l’usufruit plus que la nue-propriété. De nombreux éléments d’analyse montrent que le lien qui associe prohibition (comme interdit) et abstinence (comme choix et non comme injonction) n’est en rien essentiel. À l’heure où la frontière entre l’autorisé et le prohibé, dans les produits comme dans les soins, est de moins en moins probante, on se propose de déconstruire cet antagonisme en partie fictif et surtout dangereux, en montrant à la fois comment l’abstinence a vocation à s’inscrire de plein droit dans une logique de RdR et comment la RdR peut s’enrichir de cet apport, face par exemple à la question de la sortie des TSO.

Dans le cadre de ces programmes ou de ces groupes d’entraide, l’abstinence est d’abord un choix individuel et non un choix collectif, une solution et non un principe transcendant. L’histoire de ces mouvements montre comment s’est opérée la distinction entre ligues de tempérance et groupes d’entraide fondés sur l’abstinence, même s’il existe bien une origine commune. Aux États-Unis au XIXe siècle, les Washingtoniens, premiers groupes néphalistes, ancêtres des groupes de 12 étapes, d’abord rassemblement de buveurs alcooliques, se perdirent dans la bataille pour la tempérance. Né après la fin de la prohibition, AA se garda bien de répéter les mêmes erreurs et de se mêler aux controverses publiques sur la question. Aujourd’hui encore, ces groupes d’autosupport s’interdisent de rentrer dans ces débats (prohibition, RdR, légalisation) pour d’abord proposer une solution individuelle à chacun, même si elle s’appuie sur l’entraide et le groupe.

Enfin, celui qui a fait l’expérience des drogues illégales, qui se considère comme toxicomane, assujetti à sa consommation, ce qui n’est pas le cas de tous les usagers et de tous les usages, et qui choisit un jour l’abstinence, ne devient pas ipso facto, même si cela se produit, un fervent prohibitionniste pressé de fermer les portes qu’il a naguère ouvertes. Le choix de l’abstinence n’est pas la prohibition intériorisée, il ne se détermine pas vis-à-vis des autres ou de la loi. De même, celui qui renonce à boire, parce qu’il se considère comme alcoolique, le fait librement, sans songer à vouloir convaincre ses concitoyens que l’alcool est en soi une mauvaise chose. Aujourd’hui aux USA, on peut être abstinent et faire ce choix et soutenir formellement l’abolition du 18e amendement.

L’abstinence : le retour du choix

Groupe-d'entraide-et-ASUD-Flic-Abstinence-Muzo-2L’abstinence rejoint d’une certaine façon la logique d’autonomisation et de responsabilisation qu’on trouve dans la RdR.

« Le consentement intime du patient est donc une condition sine qua non, le préalable indispensable à toute démarche vers la sortie de traitement. »
« Si la nécessité d’en finir avec la dépendance s’impose à l’usager avec la force de l’évidence à un moment quelconque, elle ne doit et ne peut en aucun cas être décrétée par un tiers (médecin, entourage…). »
extrait de la fiche pratique Fin de traitement (rubrique Substitution)

Elle se profile dans l’après-coup, pour quelqu’un qui a une expérience de l’usage et qui a fait la rencontre de la dépendance. Dans les groupes qui fonctionnent sur elle, c’est le désir d’arrêter de consommer qui compte. L’arrêt volontaire de la consommation apparaît comme une solution face à l’assuétude comme expérience dysphorique et donc comme un parcours qui ne se confond ni avec le manque, son envers, ni avec le sevrage.

Il faut noter encore que l’abstinence ne se centre pas sur le produit mais sur la conduite. C’est un choix qui ne s’ancre pas sur la distinction entre le licite et l’illicite et qui, comme l’addictologie, prend en compte la dépendance et le sujet. Il concerne aussi bien des substances appelées « drogues » (interdites) que des « médicaments » (prescrits) ou des « produits de consommation » (disponibles). On sait depuis le rapport Roques combien cette frontière est artificielle, combien il y aurait autant de raisons d’interdire le tabac ou l’alcool qu’il y aurait de raisons d’autoriser l’héroïne ou le cannabis. Or le choix de l’abstinence, quand il est fait, traverse toutes ces frontières. Le fumeur qui choisit de ne plus fumer pour échapper à ce qu’il vit comme une addiction devient abstinent pour les mêmes raisons qui animent le consommateur des drogues dites « dures ». Dans ce cas de figure d’ailleurs, la médecine et la société considèrent comme tout à fait normal qu’un non-fumeur refuse une cigarette, même à la fin d’un bon repas ou un jour de fête, à la différence de quelqu’un qui choisit de ne plus boire par exemple. Il est vrai que la tolérance sociale face à l’abstinence d’alcool est moins grande. Refuser un verre, c’est forcément continuer à avoir un problème avec l’alcool. Ce dépassement du licite et de l’illicite, voire à l’intérieur du licite, montre que la distinction entre l’abstinence comme choix et la prohibition comme interdit est centrale : ici s’exerce la liberté du sujet, là s’exerce la contrainte de la loi qui organise l’inaccessibilité à l’objet.

Enfin l’abstinence, comme la RdR, relève d’un choix d’abord pratique et non moral, même si une certaine valorisation de soi sur le plan éthique peut en être un des bénéfices. C’est un choix dicté par un déplaisir essentiel, au-delà de l’usage et de l’abus, qui vise à améliorer le confort de l’usager enfermé dans son assuétude, un choix qui s’inscrit dans une visée positive (retrouver sa vie) et non privative, un choix qui pèse les risques de l’addiction et vise à les limiter par une forme de radicalité.

L’abstinence comme outil de Réduction des Risques

Groupe d'entraide et ASUD Pascal 2Pas plus qu’elle ne s’oppose à la RdR, l’abstinence ne se confond donc avec la prohibition. Elle apparaît, au contraire, comme sa continuation par d’autres moyens. Encore faut-il être vivant pour pouvoir faire le choix de l’abstinence : tout ce qui protège l’usager des risques (mais non de l’addiction elle-même) s’impose à l’évidence. La RdR et l’abstinence sont donc moins dans un rapport d’opposition que dans un rapport d’articulation. Elles doivent à ce titre, en sortant des oppositions stériles, s’inscrire dans une seule panoplie d’offres, qui assumerait l’une comme une voie possible dans le champ de l’autre.

L’une et l’autre ont des convergences, en particulier lorsqu’elles placent l’usager au centre. La RdR s‘appuie sur la responsabilisation de l’usager décrété capable de prendre soin de lui ou de ses pairs, en dessinant une figure soucieuse de se responsabiliser si on lui en donne les moyens (cf. les salles de consommation supervisées). De même, l’approche par l’abstinence conduit à une responsabilisation dans la sortie de l’usage. De fait, il n’y a qu’un seul sujet : celui de la RdR, qui revendique de consommer en se protégeant, et celui de l’abstinence, qu’il faut savoir entendre comme une autre liberté, qui affirme son désir de plus consommer.

La RdR au risque de l’abstinence

Groupe d'entraide et ASUD Pascal 3En parallèle, la question de l’abstinence vient réinterroger la RdR et l’oblige à se repenser sur plusieurs plans. D’abord, sur celui de la définition même de l’usager : est-il celui qui prend plaisir et qui contrôle ou celui qui souffre de sa dépendance, celui de l’usage, de l’abus, de l’assuétude ? Se dessine alors un usager de produits psychotropes qui, comme personne, subsume ce statut et peut envisager la continuité de son usage mais aussi sa fin, en rejetant l’assignation à sa toxicomanie.

La question des dangerosités et des risques est aussi reformulée. Il faut distinguer, on le sait, la toxicité directe (liée aux substances), la dangerosité vectorielle (liée aux modes de consommation, ex. l’injection), la dangerosité comportementale (liée aux effets) et la dépendance elle-même comme risque intrinsèque. C’est ce dommage addictogène en tant que tel qui est visé dans l’abstinence, tandis que la RdR vise d’abord les risques extrinsèques (toxiques, vectoriels, comportementaux). C’est quand il ne reste que l’addiction, comme état intérieur souffrant, que se trouve posée la question de l’abstinence, non comme envers de l’usage, mais comme son dépassement. Au demeurant, l’abstinence n’annule pas les enjeux de la RdR. Elle peut comprendre des phases critiques dans lesquelles le sujet sera surexposé à des risques (rechute, surdose) pour lesquels l’enjeu de la réduction reste entier.

Au-delà de la question du sida (comme risque vectoriel, non intrinsèquement lié à la nature du produit consommé) qui a structuré le champ jusqu’à aujourd’hui, se pose la question clé de la substitution, de la sortie de la dépendance et celle des traitements terminés ou interminables, point clé sur lequel se fait l’opposition apparente entre abstinence et RdR. Se libérer de l’usage compulsif lui-même, est un désir à reconnaître, en particulier quand les TSO sont vécus par ceux qui y sont engagés comme répétant à terme l’assuétude. Quelqu’un qui se sent bien dans son TSO ne viendra pas frapper à la porte d’un groupe d’entraide, quelqu’un qui souffre de son addiction, y compris dans la substitution, le fera.

« Il n’existe pas d’étude fiable sur les usagers de méthadone devenus abstinents. Cette absence de curiosité est en soi une question. Les fins de traitement constituent encore le point aveugle du dossier TSO. Combien sortent du jeu ? Pour combien de temps ? Après quelle durée moyenne de prescription? Que deviennent-il sur le long terme ? Autant de questions sans réponses. »
extrait de la fiche pratique Fin de traitement (rubrique Substitution)

Ce qui (re)pose la question de la définition même de l’efficacité des traitements ponctuels ou chroniques, des nouvelles possibilités et des limites de l’offre médicamenteuse (voir la question du baclofène face à l’alcool) et des différents modèles de « sorties » de l’addiction par l’arrêt naturel, la substitution, l’abstinence ou la consommation modérée.

L’abstinence au sein d’un nouveau paradigme du soin par l’autosupport

Groupe-d'entraide-et-ASUD-Muzo-1

Comme l’avait vu très tôt Marie Jauffret-RoustideNote1, les associations qui regroupent des usagers « actifs » et les groupes d’entraide par l’abstinence, regroupés sous le vocable de l’autosupport, sont au fond beaucoup plus proches qu’il n’y paraît. Ils partagent une double logique, celle des pairs et celle de la responsabilisation, et relient les uns comme les autres vulnérabilité et autonomie. À ce titre, ils paraissent relever conjointement d’un double paradigme : celui du « care » d’une part (théorisé par exemple par Joan Tronto aux USA et Fabienne Brugère en France), celui de l’approche par les « capabilités » d’autre part (théorisé par Amartya Sen, Martha Nussbaum ou encore Paul Ricœur). Sur fond d’antagonismes apparents, ces convergences poussent non pas à cantonner l’abstinence au sein du paradigme prohibitionniste, mais au contraire à l’inclure pleinement à la RdR, au bénéfice d’un usager qui ne s’inscrit pas à vie dans la continuité de sa consommation, et qui peut souhaiter voir son désir, même fragile et contradictoire, de rompre l’addiction pris au sérieux, comme il souhaitait naguère pouvoir consommer sans stigmatisation ou sans s’exposer à des risques multiples.


Notes :

1/ Jauffret-Roustide M. (2003) , Les groupes d’auto-support d’usagers de drogues : de nouvelles formes d’expertise construites autour d’une expérience de vie, In L. Dumoulin, S. La Branche, C. Robert et P. Warin, Le recours aux experts. Raisons et usages politiques, Grenoble, Presses Universitaires, (Symposium).
Jauffret-Roustide M. (2002). Les groupes d’auto-support d’usagers de drogues, In V. Châtel & M.-H. Soulet (Eds.), Faire face et s’en sortir. Développement des compétences et action collective, Fribourg, Éditions Universitaires, (Collection Res Socialis).
Jauffret-Roustide M. (2002). Les groupes d’auto-support d’usagers de drogues. Mise en œuvre de nouvelles formes d’expertise. In C. Faugeron & M. Kokoreff (Eds.), Société avec drogues : enjeux et limites, Paris, Éditions Érès, p. 165-181.

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Chroniques de la Toxicomanie Ordinaire

Sur sa chaîne Youtube, intitulée Chroniques de la Toxicomanie Ordinaire, Clem se sert de son expérience de consommateur pour informer de façon claire tous ceux qui s’intéressent aux drogues. C’est simple, rapide et efficace ! Il y a aussi un compte twitter associé @CTO-clem.

Vous pouvez ici visionner les premières chroniques pour vous faire une idée. Pensez à aller directement sur la chaîne youtube ou sur twitter pour envoyer vos remarques, questions, ou soutiens à l’auteur.

Chroniques de la Toxicomanie Ordinaire Logo


https://www.youtube.com/watch?v=mojbZZU17n4https://www.youtube.com/watch?v=0vTlAhpt0LA

Journée d’enquête politique : Autosupport et autres pratiques collectives

ASUD sera présent au Festival des Libertés le samedi 31 octobre de 10h30 à 17h30 au Théâtre National de Bruxelles.

Dans une société de précarisation massive, dans une logique de contrôle renforcé, de suspicion à l’égard de ceux qui sortent de la norme ou qui sont fragilisés, comment se remettre en capacité d’agir entre habitants, professionnels, militants et “usagers” ? Et si c’était dans les marges du social que surgissent des expérimentations nouvelles qui échappent, qui résistent, qui luttent contre les assujettissements à l’œuvre dans les institutions sociales et de soin ? A l’appui du récit de nos élaborations politiques, partageons ces inventions, ces réappropriations, pour tisser des expériences et mobiliser une vision du travail social qui refuse l’assignation à des places comme autant de formes d’emprise sur des expériences singulières.

Programme

10h30 – 10h45 :
Introduction par Manu Gonçalves et Josep Rafanell I Orra de l’atelier d’enquête politique (initié par Bruxelles Laïque)

10h45 – 12h30 :
« La clinique à l’épreuve de l’entente des voix : entendre et parler des voix » Avec Vincent Demassiet et Magali Molinié du réseau français sur l’entente de voix (REY).
Échanges avec la salle.

12h30 – 13h15 : Lunch offert.

13h15 – 14h45 :
« La maladie d’Huntington: faire muter les collectifs » avec Valérie Pihet, Alice Rivières et Katrin Solhdju de Ding ding dong {institut de coproduction de savoir sur la maladie de Huntington).
Échanges avec la salle.

14h45 – 16h15 :
« L’auto-support d’usagers des drogues : l’insupportable prohibition » avec Fabrice Olivet et Georges Lachaze de ASUD {Auto-support des usagers de drogues).
Échanges avec la salle.

16h15 – 16h45 : Pause.

16h45 – 17h30 : Discussion générale et conclusions.

Infos pratiques

Adresse : Théâtre National : 111 -115, bd. Emile Jacqmain 1000 Bruxelles • Salle : Studio

Inscription gratuite mais obligatoire avant le 23/10 via Bruxelles Laïque au 02/289.69.00 ou par mail à bruxelles.laique@laicite.be.

Site : festivaldeslibertes.be

2015-10-31 Journée d'enquête sur l'autosupport Festival des Libertés Programme

« Une immense hypocrisie »

Cette dernière session des égus était donc consacrée aux personnes qui prennent des drogues et qui travaillent dans des structures médicosociales, parce qu’il semble que dans ce pays, cela pose problème alors que dans certains pays anglo-saxons, c’est quasiment la règle.

Cet article fait partie du dossier Les usagers-salariés du médicosocial.

J’ai par exemple été frappé aux États-Unis où l’ensemble du secteur de base, ceux qui sont au contact avec les usagers, sont des gens qui se définissent comme ex-usagers et savent du coup exactement de quoi ils parlent. Même s’ils sont par ailleurs diplômés, les gens ne se cachent jamais d’avoir été consommateurs. En France, cela aboutit à un paradoxe : ceux qui travaillent dans les structures et consomment eux-mêmes des drogues seront les derniers à pouvoir profiter des services proposés par leur structure. C’est une cause d’invalidation de leur parole et de leur profession. Il serait pourtant intéressant que l’ensemble des gens qui travaillent dans ce secteur et qui consomment des substances aient à un moment la possibilité de s’exprimer publiquement, collectivement ou anonymement sur leur usage pour changer les représentations au niveau de la société. Que l’on s’interroge enfin sur cette immense hypocrisie qui consiste à avoir les usagers d’un côté et les professionnels de l’autre.

 

Cet article fait partie du dossier Les usagers-salariés du médicosocial.

Une dichotomie sur le rôle des usagers

C’est effectivement un secret de polichinelle : les travailleurs sociaux qui travaillent avec les usagers de drogues sont eux-mêmes un peu usagers, voire un peu beaucoup.

Cet article fait partie du dossier Les usagers-salariés du médicosocial.

Sondage EGUS 9

D’après un petit sondage anonyme réalisé par Internet auprès des participants à ces Égus à l’aide de simples questions (« Êtes-vous usager de drogues ? », « Professionnel de la RdR diplômé et usager de drogue ? » …), les plus représentés sont des professionnels de la RdR diplômés, qui constituent 55 % de la salle, dont la moitié sont usagers de drogues. Ce n’est donc pas négligeable. La réduction des risques s’est historiquement construite avec des associations d’autosupport ou communautaires où les usagers avaient toute leur place parce que leur expérience était prégnante.

Des structures hors-cadre législatif jusqu’au décret donnant voix à la RdR dans la politique de santé publique qui précise que « les acteurs professionnels de santé ou du travail social ou membres d’associations comme les personnes auxquelles s’adressent ces activités doivent être protégés des incriminations d’usage ou d’incitation à l’usage au cours de ces interventions. L’organisation de l’entraide et du soutien par les pairs fait partie des modalités d’intervention de ces actions. » La santé communautaire et les usagers pairs s’inscrivent donc dans ces processus. Pourtant, en 2007, la loi relative à la prévention de la délinquance stipule, dans son article 54, que les peines seront aggravées d’emprisonnement et/ou d’amendes en cas d’usage au volant et pour les personnes travaillant dans les services publics.

Un certain nombre de questions

Une dichotomie sur le rôle de ces usagers et ce qu’ils peuvent supporter ou pas, qui pose un certain nombre de questions : Pourquoi les usagers de drogues sont-ils bâillonnés ou dans le déni ? En raison de cette loi de prévention de la délinquance ? De leur crédibilité professionnelle ? Pour ne pas être réduits au seul statut d’usager ? Pour se protéger face aux sollicitations ? Parce que leur usage n’est, pour eux, pas représentatif des personnes croisées dans la structure, et qu’ils ne se considèrent donc pas comme usagers pairs ? Il y a également une certaine porosité (on peut arriver sans être usager et le devenir un peu ou l’inverse, ce n’est jamais figé dans le temps), mais aussi un problème de réglementation et la problématique des diplômes (l’obligation d’être diplômé, ce qui est compliqué pour certains). Au final, comment articuler la santé communautaire et l’autosupport dans les structures médicosociales, et comment cette place peut-elle ou doit-elle être prise en termes de management, de diplôme, d’identité, de militantisme… ?

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Le communautaire, l’autosupport et la place des usagers

Je pensais illustrer cette question à travers mon parcours : j’ai découvert sur le terrain cette histoire du communautaire, de l’autosupport et de la place des usagers, qui ne figuraient pas dans mes études de pharmacie.

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Je suis arrivée à la mission Rave de Médecins du monde il y a douze ans, sans connaître le monde de la teuf et j’ai découvert l’intérêt de ce beau melting-pot d’usagers de différents milieux, de gens issus des sound systems, et d’intervenants. J’ai apprécié qu’il n’y ait pas de jugement et qu’on me demande mon avis en tant qu’étudiante en pharmacie. Un joyeux mélange où régnait un certain équilibre (un usager pouvait parler à quelqu’un de plutôt usager ou plutôt professionnel, selon ses envies). Une multiplicité de profils bénéfique au sein de la mission où on apprenait chacun des uns et des autres. Étant personnellement sur le dispositif d’analyse des drogues, on m’a très vite parlé de la proximité de l’usage, et du risque de devenir consommatrice ou de consommer plus. La question de qui est usager et qui ne l’est pas s’est donc très vite posée assez ouvertement au sein de la mission. Une première approche de ce qui était, selon moi, l’approche communautaire bien que Médecins du monde ne soit pas considérée comme une association communautaire.

Une étiquette qui enferme

J’ai continué avec le projet Squat qui m’a peut-être encore mieux fait comprendre ce qu’est l’approche communautaire. Mais les communautés sont parfois « enfermantes » car il n’y a pas un type de squatteur mais des squatteurs. C’est mettre une étiquette sur des gens (« es-tu issu de la communauté ? ») alors que ce qui est intéressant, c’est le mélange des communautés. Dans le projet Squat, on a retrouvé ce mélange de gens. Et bien que n’étant pas moi-même issue de la communauté, je pense avoir eu une approche communautaire qui, selon moi, n’est pas être issu de la communauté mais faire avec les personnes, quelles qu’elles soient. Si on se retrouve sur une question, si on est un peu intéressé, on arrive à faire ensemble et c’est ça qui est intéressant.

Une question de légitimité

Je suis maintenant sur le programme Erli, qui peut paraître beaucoup moins communautaire bien qu’il y ait eu, dans l’équipe, des usagers injecteurs ou non-injecteurs. Mais finalement, qu’appelle-t-on usager ? Est-ce être usager de cannabis ? Sniffer, gober, injecter ? À quelle fréquence ? Toutes ces questions sont de nouveau un peu trop caricaturales et certains n’ont pas forcément envie de s’identifier en tant que tels. Ceux qui ont des pratiques d’injection occasionnelles ne se considèrent, par exemple, pas toujours comme des injecteurs. Dire que l’on s’adresse aux injecteurs revient donc à résumer une personne à une pratique. Dans l’équipe, il y a effectivement des personnes qui pratiquent l’injection de manière occasionnelle, qui le disent et peuvent en parler et d’autres, qui ne le feront pas. Y a-t-il une utilité à le dire ? C’est la question de la légitimité. Moi, ma légitimité, je l’ai acquise sur le terrain. N’étant pas au départ consommatrice, j’ai dû aller chercher cette légitimité à intervenir mais finalement, un usager ne fera pas forcément un bon intervenant et lui aussi doit aller chercher une légitimité.

Le risque lié à la proximité des produits

Dans le programme Erli où on est en très grande proximité de l’usage puisqu’on voit des gens injecter, être usager et donc potentiellement tenté par ce qu’on voit est une vraie question. Parce que si on n’est pas au clair dans sa tête par rapport à ça, c’est un peu compliqué d’intervenir. Qu’on soit usager ou pas au départ, parce que la proximité des produits peut mettre en difficulté. Si on ne demande pas aux gens s’ils sont usagers quand on les recrute, il faut donc qu’ils se sentent libres d’en parler quand ils s’estiment en difficulté. Ce n’est pas évident à aborder et cela relève effectivement de la vie privée, mais plus quand cela risque de mettre sa vie ou celle du dispositif en danger. Et sur des dispositifs comme Erli, on n’a pas le droit à l’erreur. Le dire aux usagers qu’on rencontre n’est pas forcément utile à mon avis. Il y a différents cercles et différents espaces mais ce sont des choses qui devraient être plus largement réfléchies ou débattues.

L’auteure, Marie Debrus, est présidente de l’AFR et coordinatrice de la Mission Education au Risques Liés  l’Injection (ERLI) de Médecins du Monde.

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Se poser la question en tant qu’employeur

Il faut aussi se poser la question du côté des employeurs, à la fois en tant qu’employeur d’usagers et éventuellement en tant qu’employeur concerné. Quand on est directeur d’une association comme Asud, on est par exemple employeur d’usagers de drogues.

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Début 90, je travaillais à Arcade, un des premiers programmes de réduction des risques à faire de l’échange de seringues dans le 93 et dont une partie des salariés était des usagers qui avaient été recrutés pour ça. Manque de pot, l’un d’eux est tombé dans sa vie privée dans une histoire de 50 kilos de shit et l’association a dû fermer.

Autre exemple : le président de Techno+ poursuivi par la justice pour des flyers (Sniff propre et Drug Mix), qui a été licencié de l’établissement médicosocial dans lequel il travaillait au moment du procès.

« Ce qui se raconte dans une équipe n’est pas non plus ce qui se raconte sur la place publique. « Si tu es drogué et que tu veux travailler dans un programme de réduction des risques, arrête la drogue ou change de métier » : on en est un petit peu là quand même. »
Valère Rogissart

Une vraie question

Et c’est une vraie question : quand on a eu un souci avec un salarié de Sida Paroles, là encore dans le cadre de sa vie privée, qui a été jugé et incarcéré à Nanterre où l’association intervenait massivement, on s’est demandé si on devait le licencier pour faute grave ou lourde. Il faut quand même une solide conception des choses au niveau de l’association et du conseil d’administration sur l’attitude à tenir à cet égard, sachant qu’on ne licencie pas non plus quelqu’un comme ça pour usage de drogues, ce n’est pas aussi simple. L’association a choisi de ne pas le licencier (pour un problème de shit) et je suis très fier en tant que directeur à l’époque de ne pas avoir licencié à cause de son usage de drogue quelqu’un qu’on avait engagé parce qu’il était usager de drogues.

C’est un vrai problème, parce que la question, c’est « Est-ce utile d’avoir des usagers dans les structures médicosociales, Caarud, Csapa et autres ? » Les ex ne posent pas le même problème. Je travaille dans une communauté thérapeutique où les conseillers en addictologie sont d’anciens patients dépendants soignés, qui ont suivi une formation et qui font aujourd’hui partie intégrante des professionnels, au côté des assistantes sociales, des éducs, toubibs, psycho, etc. Mais comme ce sont des ex, c’est moins compliqué.

EGUS 9 Pierre ChappardOui, c’est utile

La question, ce sont les usagers actifs, et de ce que j’ai pu voir de mon expérience sur l’utilité d’avoir des usagers de drogues, la réponse est un oui franc et massif. Pour connaître les milieux, comprendre comment ça se passe et ce qui se dit. La première fois que j’ai été en rave avec la mission Rave, je n’ai par exemple rien compris à ce que m’a dit un mec avec lequel j’ai discuté pendant trois-quarts d’heure. Heureusement qu’après, j’avais un traducteur grâce auquel j’ai pu apprendre la langue. C’est aussi une question de connaissance des pratiques, des produits, une capacité de contact, mais c’est d’abord une histoire d’empathie avec les usagers de drogues, une forme de proximité. Même si un fumeur de pétards depuis trente-cinq ans n’a pas les mêmes références culturelles ou le même mode de vie qu’un crackeur de Stalingrad, on retrouve quand même certains points communs.

Il me semble que c’est dans les programmes où il y a mixité d’intervenants qu’on continue d’inventer des nouveaux outils, sur l’injection, le sniff, etc., pas dans les institutions classiques.

« Je n’ai pas de diplôme, mon diplôme, c’est ma vie, mon parcours de vie. Et c’est pour moi une façon de me valoriser. Ne pas le dire, c’est comme si je refusais ma vie, j’ai besoin de mon parcours d’usager pour m’identifier. »
José Mendes

La difficulté de le revendiquer

Est-ce un problème de revendiquer son usage quand on est intervenant ? Je n’en sais rien, ça me paraît compliqué. Mais le sociologue Michael Pollack a montré dans le VIH que moins les personnes gay étaient en mesure d’assumer leur identité homosexuelle, moins elles étaient en capacité de se protéger et donc de diffuser les messages de protection. J’émets donc l’hypothèse que ne pas assumer son identité d’usager va être compliqué pour faire un certain nombre de choses et porter les messages dont on a besoin. C’est la question de la plus-value (y en a-t-il une ou pas ?, je pense que oui), mais tout cela reste quand même très lié au statut légal des drogues et à la pénalisation potentielle des usages et donc, des usagers.

L’auteur, Valère Rogissart, est directeur d’Aurore 93.

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Les usagers-salariés du médicosocial : échange avec la salle

Fabrice Olivet : Asud s’est par exemple retrouvé avec un coordinateur des évènements festifs qui faisait systématiquement des OD sur son lieu de travail jusqu’à se faire évacuer par hélicoptère. On a alors estimé que ça suffisait et décidé de le licencier mais il nous a poursuivi aux Prudhommes où il a gagné. C’est donc l’association qui a été pénalisée en tant qu’employeur.

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L’entretien d’embauche

Georges Lachaze : Est-ce une question qu’on peut aujourd’hui poser lors d’un entretien d’embauche ?

Valère Rogissart : Non, cela fait partie des questions qui relèvent du secret médical. Certains métiers dits « à risque » sont soumis à dépistage via la médecine du travail mais sinon, l’employeur n’est pas fondé à poser la question en entretien ni à le vérifier.

Le risque de devenir l’usager de service

Georges Lachaze : Il y a aussi un côté usager une fois, usager toujours. Et quand on est salarié d’une structure médicosociale, ce n’est pas toujours évident de revendiquer et d’assumer son usage. D’une part, auprès de ses collègues et de son équipe, et d’autre part, auprès des autres usagers. Au-delà de la crédibilité, on court le risque d’être enfermé dans le rôle de l’usager de service et ça peut bloquer.

EGUS 9 Marjorie Corridon

Marie Debrus : C’est vrai qu’aujourd’hui, dire qu’on consomme n’est pas forcément bien vu pour des personnes diplômées, sachant qu’on risque aussi de se le prendre dans les dents dès qu’on n’assure pas au boulot. Tout en disant ensuite qu’on fait de la RdR et qu’on est dans la tolérance et l’acceptation… C’est un peu l’inverse de ce que j’ai appris dans la réduction des risques et le communautaire. Le communautaire s’appuie sur la Charte d’Ottawa qui parle bien de renforcer les compétences des personnes, de les rendre autonomes et de faire avec elles, quelles qu’elles soient, sans étiquette.

L’autosupport, c’est autre chose parce qu’il y a une question d’identité à défendre et à mettre en place. Il faut de tout mais il ne faut pas tout confondre : il ne faut pas que le communautaire devienne l’usager de service qui arrange tout le monde et qui l’enferme, parce que c’est l’opposé de l’empowerment.

En son nom propre ou politiquement ?

EGUS 9 Jean-Pierre Galland, Fabrice Olivet et Fabienne LopezFabrice Olivet : C’est effectivement compliqué mais en même temps, il y a deux plans superposés : la question de l’usage/abus/dépendance d’un côté, et de l’autre, la position plus politique. C’est d’abord parce que c’est un acte de délinquance qu’il faut pouvoir le proclamer, quels que soient la fréquence et le degré de l’usage. Au début de la réduction des risques, il y a eu un militantisme très fort pour pouvoir engager ces gens-là, pour qu’ils soient visibles et que la santé communautaire devienne autre chose qu’une illusion. Il y avait un sens politique et même les « ex » ont une forme politique parce qu’en France, même « ex », c’est compliqué. Et c’est plus à ce niveau-là qu’on pourrait encore faire des efforts et des progrès pour que les gens qui travaillent dans les structures aient la possibilité d’avoir un discours plus militant.

Georges Lachaze : La question, c’est de savoir si on le porte en son nom propre ou comme une idée parce qu’on en est convaincu, un discours qui peut être porté par des non-usagers. Politique ou pas, on ne peut pas passer de l’un à l’autre, effacer l’ardoise et revenir le lendemain au boulot. Le simple usage peut entraîner des emmerdes face à la loi, le revendiquer haut et fort dans un cadre politique peut accroître la visibilité et les problèmes, d’autant plus quand tu travailles dans une structure médicosociale où les peines seront encore aggravées. Alors tu réfléchis à deux fois.

EGUS 9 Jamel LazicFabrice Olivet : C’est sur la représentation que c’est important. Les choses ne changent que quand la société commence à s’identifier. Si les gens qui travaillent dans le médicosocial et, plus globalement, dans le soin aux usagers avaient la possibilité de proclamer cette identité, cela constituerait une avancée majeure en termes de changement de représentations.

Valère Rogissart : Tout est dans le « s’ils avaient la possibilité de ». Prendre un risque politique (afficher une idée, un positionnement), c’est une chose mais là, c’est différent parce que ça peut avoir des conséquences pénales. Vas mettre en danger ton diplôme et ton niveau de qualification pour une question comme celle-là… Ce n’est pas la même chose que d’appartenir à une organisation qui porte le discours et qui peut en tant que telle prendre un certain nombre de risques.

Fabrice Olivet : Il faut qu’on arrive à trouver le moyen de monter des lobbyings politiques en renforçant la visibilité des gens qui travaillent dans le secteur pour changer les représentations.

Dans quel but ?

Aude Lalande : On ne peut porter seul des pratiques aussi stigmatisées que l’usage de drogues. Il faut restaurer du collectif autour de tout ça mais la question, c’est : pour quelle utilité ?

EGUS 9 Fabrice PEREZGeorges Lachaze : Ce qui peut être bénéfique à un moment et sur une question peut ne pas l’être du tout sur le temps de travail ou la professionnalisation. La RdR, c’est du sur-mesure, pas du prêt-à-porter, et ces questions se traitent souvent au cas par cas, au feeling. C’est difficile de généraliser.

Laurent Appel : Assumer ses consommations dans un cadre politique par rapport à des revendications réelles comme l’héroïne médicalisée ou le cannabis thérapeutique a un sens réel. Peut-être manque-t-on de collectif pour l’exprimer mais à l’heure du Story Telling, c’est aussi en multipliant les histoires qu’on peut avoir un impact. Il faut qu’on réfléchisse à ça, parce qu’on vit dans une société où l’addition des individualités crée aussi un mouvement. La multiplication des histoires individuelles finit par frapper la société.

Fabrice Olivet : Les expériences individuelles s’inscrivent dans un collectif, elles ont valeur d’exemplarité et c’est par l’identification que les choses vont changer.

Cet article fait partie du dossier Les usagers-salariés du médicosocial.

EGUS 9

Prévention côté sœurs

Photo : Les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence – Le Couvent de Paris © Soeur Ranya // Graphisme : WATH

Quand Asud nous a proposé d’écrire un petit article « du point de vue des Sœurs », ce fût à la fois un honneur et une crainte. Qu’allions nous bien pouvoir dire de plus ? Et puis, on s’est dit qu’on allait faire avec ce qu’on voyait en sortant dans la rue, dans les bars, en parlant avec les gens, en allant à la rencontre de tous.

D’abord, un peu de contexte : depuis 1979, les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence s’évertuent à être les bonnes sœurs de toutes les personnes qui se reconnaissent dans leurs valeurs. Avec notre folie, nos couleurs, nous allons à la rencontre des gens dans les bars, les boîtes, dans les soirées, sur le trottoir. Nous écoutons ce qu’ils ont à nous dire, leurs coups de gueule, de cœur ou de cul. Nous partageons avec joie, paillettes et doutes, sans jugement et surtout, sans culpabilité.

Aussi, est-ce de là que nous parlons. Du trottoir. Certains s’arment de chiffres, de statistiques, d’études et de sondages. Nous, les Sœurs, ne sommes que les passeuses de ce que nous disent les gens. Un peu comme un thermomètre de la rue, un joli thermomètre, tout en cristal et qui vibre légèrement quand tu te le mets dans le… Mais je m’égare.

Un manque criant d’information

Aujourd’hui, nous ne croisons que très rarement des « usagers de drogues ». Non pas que les gens ne se droguent plus, mais ils ne s’identifient pas comme tels. Ni consommateurs, ni usagers, juste des gens qui tapent de temps en temps, certains week-ends ou la plupart. C’est chez les plus jeunes que cette absence de sentiment d’appartenance à une communauté qui tournerait autour de la drogue est la plus frappante. Chez certains trentenaires et au-delà, on trouve encore quelques spécimens, mais en dessous, c’est Waterloo, morne plaine.

Les paras de MD se gobent comme des Smarties [Tu m’diras, j’ai pas fait les raves des 90’s où l’ecsta devait pas être pris autrement], le peu d’infos qu’on a s’échange entre copains, et les rares associations parlant de produits dans les boîtes passent, au mieux, pour des extraterrestres un peu allumés. Et pourtant, dès qu’une Sœur pointe le bout de son nez et lance la conversation sur la prise de produits, le besoin d’information se fait criant. Tenez, pas plus tard qu’il y a un mois, j’apprenais à des vingtenaires, pourtant bien fêtards, l’importance de l’hydratation quand on tapait. Les yeux ébahis, ils étaient fascinés et demandaient encore plus d’informations, s’étonnant eux-mêmes de leurs lacunes. Vous verriez aussi le succès que l’on a quand on débarque dans un bar avec des « Roule-ta-paille ». Tout d’un coup, t’as la classe à Dallas et tu te retrouves à expliquer qu’il faut bien écraser la coke avant de sniffer. Oui, on en est là. Dans des bars « branchés », à Paris, en 2014.

Évidemment, mieux vaut faire sa discrète. Tous les patrons de bars et de boîtes (en tout cas, les bars du centre parisien où l’on traîne nos guêtres le plus souvent) sont catégoriques : « On ne se drogue pas chez moi, jamais, même dans les chiottes, de toute façon, y a un videur. » Alors pourquoi faire de la prévention si personne ne tape ?

Ni drogué, ni tox, ni simple usager

Coke, MD, champi, ecsta, speed sont les noms de drogues qui reviennent le plus souvent à nos oreilles. Et à chaque fois, le même vide intersidéral quand on attaque le B-A BA de la Réduction des risques (RdR). Et à chaque fois, la même pudeur en refusant de s’identifier comme consommateur. Comme si le consommateur était une personne forcément polytoxicomane, en grande précarité, dans des addictions infernales. Comme si le consommateur n’était pas un voisin de palier, une cousine, un collègue, une amie, un neveu. Comme si le consommateur n’était personne et surtout pas soi-même.

Cela rend notre travail compliqué, on se retrouve souvent à faire du billard à trois bandes. Mais ce n’est pas le plus problématique. Depuis quelques années, parmi les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, nous avons pu constater l’émergence d’une nouvelle pratique, le slam. J’insiste sur « pratique » car c’est ce dont il s’agit. Et si de nombreux médias ont souvent parlé de « nouvelle drogue du sexe », c’est un amalgame. La nouvelle drogue en question, c’est la méphédrone et ses dérivés. Le slam, c’est l’acte de s’injecter des produits psychoactifs par voie intraveineuse, quels que soient les produits – les personnes ne sont parfois même pas certaines des produits qu’elles s’injectent. Le but de tout ça, c’est de baiser.

Seulement, le slam se passe principalement derrière des portes closes. Lors de soirées « sexe » à deux ou à plusieurs. La seule prévention est souvent le fait de la personne qui « initie » et au bout de quelques heures de baise, l’hygiène, le non-partage des seringues et la stérilisation ne sont plus que de vagues notions rarement mises en place. Que cette pratique soit occasionnelle ou régulière, il ressort une fois de plus un refus d’identification : on n’est ni « drogué », ni « tox », ni même simple « usager de drogues ». Juste un flou artistique qui permet de se sentir bien loin des différentes campagnes de prévention. Ce n’est qu’une fois la tuile prise en pleine tronche (séroconversion, abcès aux veines…) et arrivés dans un circuit médical que les « slammeurs » commencent à demander des informations et à se tourner vers des structures adaptées.

H2O is goodComment faire de la prévention et de la RdR ?

Tout cela nous pose de nombreuses questions. Comment faire de la prévention et de la réduction des risques quand les personnes qui consomment ne se considèrent même pas comme « des gens prenant des drogues » ? Comment atteindre des personnes on ne peut plus éloignées des différents espaces de prévention ? D’où vient cette forme de déni vis-à-vis des drogues ? Comment peut-on prendre régulièrement un produit sans s’identifier comme consommateur ? Et surtout, à quel moment, nous, associations, avons nous perdu contact avec ces personnes, jeunes et moins jeunes ?

Tout cela nous préoccupe, nous interroge. Faire de la RdR sans en avoir l’air a ses limites et une prise de conscience devient de plus en plus urgente. Non, boire du vin à table ne fait pas de vous un alcoolique, tout comme taper un trait en soirée ne fait pas de vous un toxicomane. Mais il n’empêche que le buveur est au courant des effets de l’alcool quand le sniffeur de coke en a vaguement entendu parler et attendra un début d’addiction ou un bad trip un peu violent pour s’informer.

Ce n’est pas un tableau très reluisant, c’est même plutôt triste et un peu glauque. Mais c’est pourtant celui d’une génération qui arrive à l’âge adulte alors qu’on lui rabat que la crise est partout, que les temps sont durs et graves et que l’insouciance, c’était pour les trente glorieuses et la retraite, pour les baby-boomers. Une génération sous pression qui s’échappe comme elle peut, avec la ferme intention de ne pas se laisser emmerder, pendant qu’elle plane, par des associations perçues comme barbantes et ennuyantes.

Plutôt que d’attendre un éventuel « sursaut » de conscience de la part des jeunes, il serait temps de réfléchir à pourquoi les associations ont disparu des lieux festifs à quelques exceptions près (et à l’exclusion des teufs, raves et autres free parties). Pourquoi n’y a-t-il personne dans les bars ? Les boîtes de nuit ? Pourquoi les pouvoirs publics se contentent-ils de spots de prévention absurdes diffusés avant les 20h de France 2, qui servent surtout à faire peur aux parents – je me souviens d’un spot où basiquement, la nounou tapait de la coke pendant que le petit dormait en attendant le retour des parents… – plutôt que de s’adresser directement aux consommateurs ?

Rares sont les associations présentes activement sur le terrain des drogues auprès de ces populations urbaines et les militants sont soit épuisés de se battre contre des moulins à vent, soit sous-formés. Les besoins sont criants, les gens sont en demande, mais le sursaut se fait encore et toujours attendre. En écrivant ceci, on espère (r)ouvrir des discussions et on a hâte d’échanger pour faire avancer les choses. On vous attend sur le trottoir et d’ici là, tachez d’être heureux.

Sœur Rose de la Foie

« Change le programme » pour réduire les risques liés à l’injection

Conçue par Neil Hunt, un intervenant britannique de réduction des risques à la fin des années 1990, l’intervention (internationalement connue sous le nom de « Break the Cycle ») consiste en un entretien structuré d’une quarantaine de minutes autour de la thématique de l’initiation à l’injection.

Revenir sur sa propre initiation

Le constat de départ de Neil, qui a lui-même l’expérience de l’injection, c’est que très peu d’injecteurs ont en fait envie d’initier les autres. Ils sont souvent pris au dépourvu par les demandes que leur adressent les personnes qui veulent essayer l’injection. De fait, avant d’y être confrontés, peu nombreux sont les usagers qui ont réfléchi à ces situations. Et c’est justement pour les aider à anticiper ces demandes d’initiation et à renforcer leur capacité à les refuser que Neil a imaginé cette intervention.

Lors de l’entretien, on revient avec son interlocuteur sur sa propre initiation, sur son expérience de l’initiation des autres, mais aussi sur les risques spécifiques aux premières fois et sur l’influence que les personnes qui injectent peuvent inconsciemment exercer sur celles qui n’injectent pas.

Change le programme poursuit les mêmes objectifs que Break the Cycle, même s’il ne s’agit pas de rester exclusivement sur une approche préventive vis-à-vis des initiations, mais aussi de faire en sorte que, s’il doit y avoir initiation, celle-ci se déroule dans les meilleures conditions sanitaires possibles.

L’idée est simple : quel que soit le choix de chacun (initier ou ne pas initier), il faut pouvoir le faire en conscience !
Change le programme bandeau

Quels bénéfices ?

Le premier intérêt de Change le programme est de « mettre à l’agenda » de tous (usagers, intervenants, structures) la question de l’initiation, thème qui reste souvent délicat à aborder pour les uns comme pour les autres. Pour les personnes qui injectent, l’intervention permet de s’interroger et de s’informer sur l’initiation d’autrui, de réfléchir aux comportements qu’elles adoptent avec les personnes qui n’injectent pas, et de mobiliser leurs ressources personnelles pour répondre comme elles le souhaitent aux demandes d’initiation.

Au niveau collectif, en s’appuyant sur les personnes qui injectent pour toucher celles qui n’injectent pas, Change le programme promeut une dynamique communautaire. Elle s’appuie sur les échanges qui existent entre consommateurs de drogues et invite à les amplifier. Elle valorise le rôle des usagers eux-mêmes dans la prise en charge des problèmes sanitaires qui les touchent.

Pour les Caarud et les intervenants, c’est l’occasion d’échanger plus à fond sur des thèmes peu abordés et d’interagir de manière positive avec les usagers, qui sont ici les partenaires de l’intervention.

Enfin, au niveau de la santé publique, réduire le nombre d’initiations à l’injection ou permettre de les retarder et de faire en sorte qu’elles se déroulent dans de bonnes conditions sanitaires est un bon moyen pour faire baisser le nombre de contaminations par le virus de l’hépatite C.

Comment bénéficier de cette intervention ?

Change le programme fait l’objet d’une expérimentation dans le cadre d’une recherche interventionnelle portée par le Respadd et l’Observatoire de santé d’Ile-de-France, de juin 2015 à février 2016. Pour y participer, il suffit de se rendre dans l’un des 7 Caarud pilotes :

  • Aulnay-sous-Bois : Caarud Aurore 93 (Centre hospitalier Robert Ballanger)
  • Bordeaux : Centre Planterose (16, rue Planterose)
  • Marseille : Bus 31/32 (4, avenue Rostand)
  • Montreuil : Proses (89 bis, rue Alexis Pesnon)
  • Paris Xe : Centre Beaurepaire (9, rue Beaurepaire)
  • Paris XVIIIe : La Boutique 18 (58, boulevard Ney)
  • Metz : Les Wads (26, rue du Wad Billy)

facebook.com/changeleprogramme

L’auteur, David Michels, est chargé de projets au Respadd (Réseau des établissements de santé pour la prévention des addictions).

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L’usage de cannabis thérapeutique

Fabienne Lopez est présidente de Principes Actifs, un réseau de malades faisant usage de cannabis pour le traitement des symptômes de pathologies reconnues comme susceptibles de réagir favorablement.

Je suis présidente de l’association Principes actifs dont le sujet est le cannabis thérapeutique parce que nous sommes dans cet usage. L’association ne compte que des malades, certains ayant auparavant fait usage de drogues, d’autres non. Et tout se passe très bien, il n’y a pas de stigmatisation, aucun problème entre ces personnes.

Cet article fait partie du dossier La prescription hors-cadre.

Vingt ans déjà

Pour nous, le cannabis thérapeutique a commencé il y a vingt ans, époque à laquelle j’ai rencontré des gens qui faisaient usage de cannabis thérapeutique sans en parler à personne, en maintien de leur substitution ou pour éviter d’aller trop facilement vers l’alcool. C’est là que j’ai commencé à en entendre parler. Je militais pour le cannabis récréatif et, de Californie, nous arrivaient des informations (on est en 95-96) sur le cannabis thérapeutique, et on se disait que c’était fou qu’ici on ne puisse absolument pas en parler. On s’est donc regroupés, on a créé de petites associations et essayé d’interpeller les politiques. On a finalement été entendus par Kouchner qui, à l’époque, a lancé 5 études (dans les années 97-98) qui n’ont, pour certaines, jamais été rendues publiques. Ça n’a donc servi à rien. Et puis il y a eu le Marinol®, le premier médicament synthétique pour les usagers de cannabis thérapeutique, dont la prescription était très très restrictive. Et comme il s’agissait de cannabis synthétique, il ne contenait que du THC. Ce n’était donc pas forcément le médicament idéal pour les personnes qui le demandaient. Et puis il n’y a plus rien eu, le vide. On a continué à militer et j’ai eu l’idée d’interpeller les médecins en leur demandant de faire une attestation. Une idée qui remonte aujourd’hui à vingt ans. À l’époque, très peu de médecins acceptaient de faire cette attestation qui précisait que nous faisions usage de cannabis parce-que nous étions malades et que cela nous permettait de pouvoir combattre la maladie. Ceux qui acceptaient étaient issus de la réduction des risques parce qu’ils avaient des patients atteints de VIH (on parlait alors très peu du VHC), qui supportaient mal des thérapies très lourdes. Mais majoritairement, les médecins refusaient de la faire en considérant que c’était une excuse pour se droguer.

D’autres associations ont vu le jour et on s’est dit que puisque personne ne nous aidait, on allait s’aider nous-mêmes et on est rentrés dans la bidouille. On a continué à militer et on s’est rendu compte que très souvent, les médecins disaient qu’ils ne pouvaient pas prescrire du cannabis alors qu’en fait, ils le pouvaient. La seule chose, c’est qu’on ne peut avoir du cannabis en France. Mais avec ces prescriptions, on peut l’avoir ailleurs, aux Pays-Bas, en Angleterre, avoir d’autres médicaments à base de cannabis naturel ou synthétique. Cela nécessite d’avoir des fonds pour se payer le voyage, d’avoir un interprète, et d’avoir un médecin équivalent dans le pays où on vous prescrit ce médicament.

Planter à défaut d’être aidés

À Principes actifs, on s’est dit qu’on allait fouiner sur Internet pour trouver toutes les infos sur l’achat de graines, les produits thérapeutiques, toutes les études menées ailleurs dans le monde, et qu’on allait en planter puisque personne ne nous aide. Et c’est effectivement ce qu’on fait : on plante du cannabis pour nous en très petites quantités. On essaye aussi de voir ce qui fonctionne ou pas, ce qui correspond à nos pathologies (en fonction du taux de CBD, par exemple, qui est l’un des principes actifs les plus importants dans l’usage thérapeutique, mais aussi des taux de THC et des autres cannabinoïdes). C’est compliqué, car lorsque vous achetez à un dealer, il ne sait généralement pas ce qu’il vous vend, il connaît éventuellement la variété et le taux de THC mais pas le reste. Sur Internet, il y a eu un déferlement marketing de tas de grainetiers prétendant vendre des graines de variétés utilisées pour le cannabis thérapeutique mais qui ne sont pas les bonnes. D’autres sont, à l’inverse, beaucoup plus consistants comme certains sites israéliens qui sont à la pointe des informations sur le cannabis thérapeutique (11 000 personnes sont déclarées sous cannabis thérapeutique en Israël). Vingt-quatre États américains ont dépénalisé l’usage thérapeutique. On a donc eu plein d’infos par le Net où on peut aussi acheter du cannabis, notamment en passant par le Darknet (certains l’ont fait).

« On a fait une analyse des teintures de CBD vendues sur le Net qui a montré qu’il n’y avait pas de CBD du tout mais un peu de THC. On a prévenu le vendeur américain qui nous a menacés de poursuite si on balançait. »

(Nicolas Urbaniak, Not For Human)

On s’est donc débrouillés comme ça, en se disant aussi que le fumer n’était pas la meilleure des choses quand on était malade. On a donc cherché à savoir comment on pouvait consommer sans fumer, et sans entrer dans les préparations « récréatives » (boissons à base de lait, gâteaux, etc.) qui sont très compliquées à doser, et on s’est renseigné au sujet des préparations concernant les plantes médicinales (teinture-mère, etc.).

L’ignorance des médecins français

Certains membres de l’association atteints de sclérose en plaques (SEP) ont vu leur neurologue pour se faire prescrire du Sativex®, et ces neurologues ne connaissaient pas le Sativex®, ne savaient pas qu’ils pouvaient en prescrire pour la SEP ni comment il fonctionnait. Beaucoup ignorent aussi que le Sativex® est du cannabis naturel qui contient du THC en très petite quantité et pas mal de cannabidiol (CBD), qui atténue les effets du THC. C’est pour ça que les gens ne ressentent pas d’ivresse.

EGUS9 Patrick Favrel

Patrick Favrel (SOS Hépatites)

« – Environ 80 000 personnes sont atteintes de SEP en France et seules 3 000 d’entre elles pourront avoir accès au Sativex®. Pourtant, toute une série de laboratoires ont présenté d’autres formes de cannabis thérapeutique (notamment en Israël) : comment faire avancer les choses pour que les milliers de personnes concernées aient accès au cannabis thérapeutique qui soulagerait leurs douleurs ?

EGUS9 Nathalie Richard 2

– L’indication pour le Sativex® est la même partout en Europe. Et pour les autres, la loi française interdit l’usage de cannabis s’il n’est pas dans un médicament. »

Nathalie Richard (ANSM)

Très souvent aussi, les gens atteints de pathologies lourdes ont des traitements très lourds et beaucoup de nos membres ont connu la morphine qu’ils ne veulent plus prendre parce qu’ils se sentent mal et ont réussi, grâce au cannabis, à atténuer des douleurs très violentes.

On aurait aimé que les médecins se sentent plus concernés par l’usage de cannabis thérapeutique, et qu’on les informe sur le CBD et les autres principes actifs. Principes actifs a d’ailleurs fait deux petits livrets, sur la vaporisation pour apprendre aux gens à fumer propre, l’autre, plus récent, sur les cannabinoïdes, les terpènes et les flavonoïdes, tous ces principes actifs qui permettent soit de soigner soit de soulager.

Le souci que pose Internet en matière de cannabis thérapeutique, c’est qu’il y a aujourd’hui de nombreux sites offrant des préparations dites « à usage thérapeutique » mais qui sont très souvent douteuses, ne font rien ou sont mal préparées, et peuvent provoquer d’autres effets secondaires. Idem pour l’herbe saupoudrée de cannabis synthétique, qui n’a absolument pas le même effet. C’est un danger pour nous et pour les gens qui ne se renseignent pas plus que ça, et qui pensent que le cannabis guérit tout.

Cet article fait partie du dossier La prescription hors-cadre.

Mini-sondage pour les EGUS 9

Ce sondage complètement anonyme a été proposé aux participants des 9èmes EGUS. Les résultats ont été utilisés dans la session de clôture : les usagers-salariés du médico-social.

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Illegal! magazine

Illegal!

Le magazine danois sur les drogues lance une édition anglaise.

« Le journal qui aide les toxicomanes à acheter leur dose », « Un magazine vendu par des drogués pour financer leur addiction », etc. Il y a dix-huit mois à Copenhague au Danemark, la sortie du premier numéro d’Illegal! n’est pas passée complètement inaperçue… La presse locale a voulu accrocher ses lecteurs avec des titres à sensation. Et lorsque fin 2014 est arrivée l’édition britannique, les journaux anglais ont à nouveau titré sur cela.

Faire baisser la délinquance

Certes, le fondateur du journal, Michael Lodberg Olsen, ne cachait pas que la diffusion par des usagers de drogues pouvait faire baisser la délinquance puisqu‘ils ne seront plus obligés de commettre des délits pour pouvoir acheter leur came. Ce fut même l’un des sujets abordés dès le départ dans le journal : cela va permettre de « décriminaliser les toxicomanes et de faire baisser prostitution et crimes ». En septembre 2013, il estimait dans son numéro de lancement que la vente de 15 à 30 numéros d’Illegal! permettait de subvenir aux besoins financiers d’un héroïnomane – vendu 40 couronnes danoises, 25 reviennent au vendeur, soit environ 3,50 euros par journal. Mais il semble avoir depuis peu changé son argumentation. Dans une interview récente à Télérama, il insiste sur le fait qu’Illegal! a été créé « pour éduquer et susciter la discussion, et non pour provoquer ni fournir de la drogue aux toxicomanes comme certains le disent ». Il souhaite également que la dépendance aux stupéfiants devienne une priorité pour les responsables de la santé plutôt que pour le système judiciaire, regrettant « que la guerre contre les stupéfiants se résume beaucoup trop à une guerre contre les consommateurs ».

Collection illegal! magazine

Susciter le débat et changer les mentalités

C’est donc en septembre 2013 à Copenhague que débute l’histoire du magazine Illegal!. Dès le départ, l’ambition de Michael Lodberg Olsen est de susciter le débat et de changer les mentalités sur un sujet aussi sensible que les drogues. N’y sont donc abordées, six fois par an, que les questions tournant autour de ce sujet. Au départ diffusé à 5 000 exemplaires, le tirage a rapidement doublé, puis triplé pour atteindre les 15 000. Il y a quelques mois à Londres, ce sont, dans un premier temps, 2 000 exemplaires qui ont été vendus par les toxicos du quartier de Hoxton dans l’est de la capitale britannique. Et, d’après la presse anglaise, toujours avec la volonté de faire baisser les chiffres de la délinquance en permettant aux usagers de drogues, principalement héroïnomanes, de pouvoir se payer leur came avec les bénéfices de la vente du magazine. Une démarche qui ne plaît pas à tout le monde. Un porte-parole de la police déclarait récemment que « cette initiative qui justifie la collecte de fonds pour l’achat de drogue n’est pas la réponse ». Mais cet argument mettant en avant les répercussions de la vente du magazine sur les chiffres de la criminalité ne semble plus être d’actualité au sein du journal. Peut-être le doit-on à Louis Jensen, qui dirige l’édition londonienne. Ayant rencontré Olsen alors qu’il filmait un documentaire, il a souhaité ramener le concept en Grande-Bretagne. Il explique alors au Daly Mail que ce journal veut surtout « contester les idées fausses et les stéréotypes. Il n’est pas nécessairement là pour créer un revenu pour acheter de la drogue ». Pour lui, il y a une réelle méconnaissance sur les drogues au Royaume-Uni : « pas seulement sur les produits mais également sur leurs usagers ou sur la façon de les prendre ». Une « philosophie » qui se rapproche beaucoup, en France, de celle d’Asud-Journal. Qui, peut-être aux regrets de certains lecteurs, n’est de toute façon (toujours) pas en vente dans les rues…

Qui sommes nous ?

La publication récente des premiers numéros de notre journal sur asud.org renvoie à des interrogations identitaires sur le devenir de notre mouvement. En effet, qui somme-nous ? Des usager de drogues ? Des consommateurs de substances interdites ? Des toxico ? Les patients d’un système de soins. L‘avenir reste opaque et nous sommes inquiets du peu de progrès accomplis par l’auto-support sur le terrain de la citoyenneté.

Qui sommes-nous ?

Cette question était le titre d’une brochure que nous utilisions pour nous présenter aux yeux d’un public, le plus souvent incrédule. A l’époque la réponse paraissait simple, des toxicos qui ne veulent pas mourir du sida, ou plutôt, qui avaient décidé de ne pas disparaître dans le silence et la culpabilité. 20 ans après, non seulement nous ne sommes pas morts, mais le combat que nous avons mené a porté ses fruits au-delà de nos espérances. La méthadone et la buprénorphine sont des outils reconnus (peut-être même les seuls en matière d’héroïne) et les usagers de drogue sont sortis des statistiques du sida en France. Pour autant le nombre de consommateurs ne cesse d’augmenter, tout au moins si l’on se fie aux statistiques d’interpellations au point même que la « banalisation » de l’usage de drogues est une tarte à la crème de la presse à sensation. En effet, la consommation s’est faufilée dans tous les milieux, dans toutes les classes sociales, et touche un volant de génération de plus en plus étendu. Les « djeuns » sont bien plus habiles pour se procurer du matos que nous l’étions au même âge. La caricature raciste du méchant dealer à la sortie des collèges a la vie dure même si dans neuf cas sur dix les méchants dealers ce sont nos gamins. A l’autre bout du spectre, les toxicos ayant cessé de mourir jeunes, ils commencent à embouteiller les maisons de retraites. De nouvelles rubriques vont s’imposer dans ce journal : ménopause et cocaïne, l’opium et ma prostate…Oui , les cassandres anti-drogue voient juste,  prendre des drogues c’est…banal.

Asud basching

Au- delà de l’anecdote, si en 1992 la parution du n°1 d’ASUD fut une anomalie et tout laisse penser que son caractère scandaleux reste d’actualité. Le principe de voir des drogués groupés au sein d’une association agrée par l’État, représentée à la commission des stupéfiants et financée par des fonds publics, est contesté et combattue par des forces que nous avons vues à l’œuvre l’année dernière au cours d’un ASUD basching particulièrement offensif. A cette occasion Madame la Ministre de la Santé a su exprimer publiquement le soutien consenti par l’Etat à notre association depuis 20 ans (lire sa déclaration). Ce partenariat ancien mérite d’être examiné d’un point de vue politique, car si nous sommes plus que jamais sollicités comme représentants des patients – c’est à dire les malades en soins pour des problèmes d’addiction – notre audibilité dans le concert cacophonique de la réforme de la loi reste quelque peu incertaine.

La feuille de vigne du sidaasud-journal-54 Adam et Eve

L’épidémie de sida est heureusement derrière nous, et l’on peut espérer que grâce à la nouvelle génération de traitements combinés qui arrivent sur le marché, l’hépatite C ne représentera bientôt qu’une péripétie due aux mauvaises habitudes des années 80. Fondamentalement, la menace virale, qui sert aujourd’hui encore de justification théorique à la politique de réduction des risques est en passe de disparaître, nous devons nous poser la question de notre identité. La lutte contre le sida est un peu la feuille de vigne de la réduction des risques. Elle sert depuis longtemps à cacher ses parties honteuses mais elle a aussi accouché de principes citoyens venus irriguer toute la question du soin. Un jour viendra où l’on pourra mesurer toutes les avancées citoyennes consécutives de ce désastre sanitaire. Mais pour l’heure les usagers de drogues sont loin d’avoir obtenu leur mariage gay. Ils doivent absolument prolonger le souffle citoyen qui anime le secteur de la santé qui a pour nom démocratie sanitaire.

Vive la démocratie sanitaire

La démocratie sanitaire c’est tout et rien à la fois. Un concept foucaldien révolutionnaire et un attrape bobo pour médecin généraliste en formation continue. La démocratie sanitaire est une nécessité due au nouveau règne de la religion de la santé dirigée par des grands prêtres disposant du droit de vie et de mort. C’est aussi un gimmick qui sert de tartes à la crème dans toutes les conférences. On place l’usager au centre, on fait de la prise en charge globale, jamais on a autant parler des droits du patients et de l’éducation thérapeutique. Cet espace démocratique nouveau fait débat dans nos associations. Nous nous sommes déjà exprimé depuis longtemps sur les limites du report terme à terme des marques de l’addictologie à celles de l’usage de drogues illicites. Pour autant, nous devons investir cet espace pleinement, sans complexe et avec l’idée d’en repousser les limites jusqu’à faire coïncider démocratie sanitaire avec la démocratie tout court.

De grands changements vont être opéré dans le statut légal des drogues ces prochaines années. L’horizon de 2016, est un premier test avec la session extraordinaire sur les stupéfiants organisée à l’assemblée générale de l’ONU. De nouveaux rapports de forces opèrent au niveau international entre les réseaux du changement et les crispations réactionnaires. Dans cette gigantesque partie, la voix de usagers peut être entendue comme celles des véritables victimes de la drogue, les citoyens persécutés depuis 40 ans au nom d’une croisade morale que nous devons dépouiller de ses alibis sanitaires. Mais cette espérance repose sur une nécessaire évolution, pour ne pas dire révolution de la santé publique en matière de drogues. Au-delà de la feuille de vigne sida-hépatites, au delà même de la réduction des risques passe partout, au-delà du gimmick de la démocratie sanitaire, c’est bien de la place du citoyen dans la prise en charge de sa propre santé qu’il s’agit. Nous ne militons pas pour le droit des malades, nous militons pour le droit à rester bien portant. Notre révolution c’est celle de la santé qui suppose d’admettre enfin et sans restriction qu’en matière de drogues c’est la contrainte qui est une maladie. Notre révolution est bien celle du plaisir, mais pas celui de l’hédonisme des années 70, celui du plaisir contrôlé, adapté, informé. Plus que jamais nous savons que la solution de toutes les addictions, se trouvent entre l’abstinence et la dépendance, dans un graal mythique appelé consommation récréative. Cette révolution est en marche du côté du cannabis où le bon sens commence à s’imposer dans la zone pan américaine. Elle a peine à affleurer du côté du soin ou pourtant elle a toute sa place dès que l’on parle des drogues que l’on prend, que l’on ne prend plus, que l’on prend moins ou différemment. Cette révolution nous la ferons parce qu’elle sauve des vies, qu’elle plus juste, et qu’elle est beaucoup beaucoup plus agréable.

Ciné-Débat : L’Histoire de la Réduction des Risques

Dans les années 80 une guerre victorieuse a été menée dans l’indifférence générale. Cette guerre c’est celle menée par la politique de réduction des risques contre le virus du sida qui décimait une catégorie de population très stigmatisée : les injecteurs d’héroïne.

Aujourd’hui cette histoire appartient au passé au point que l’on oublie la virulence des débats qui opposaient partisans et adversaires de la méthadone et du subutex. Une histoire qui est aussi celle d’une société tétanisée par les mots de toxicomanie, d’homosexualité et d’immigration et là on est toujours dans l’actualité. Si la substitution ou la fourniture de seringue stériles appartiennent aujourd’hui à la panoplie classique de l’intervention en addictologie il n’en est pas de même des salles de consommation à moindres risques et les débats récents qui ont accompagné la loi Taubira sur le Mariage pour Tous, montrent que l’épidémie de sida a découvert des plaies toujours à vif dans la société française.

La Petite Boutique des Horreurs du Comptoir Général et l’Association Française pour la Réduction des risques liés aux usages de drogues vous propose, après la projection du documentaire « La réduction des risques en France – Partie 1 l’Histoire » de débattre avec des représentants des usagers de drogues, des médecins et des acteurs de la société civile, qui se sont battu pour imposer la politique de « Réduction des Risques » liée aux usages des drogues.

18h30 : La Réduction des Risques en France – 1ère partie l’Histoire (58’)

Film de Laurent APPEL et Philippe LACHAMBRE, sur une idée originale de Fabrice OLIVET et Laurent APPEL, poduit par ASUD.
ASUD est une association d’usagers ou d’ex-usagers de drogues, impliqués dans la Réduction des risques depuis 20 ans. Nous avons voulu raconter l’histoire de ce combat méconnu du grand public, porté par des militants, dont certains sont aujourd’hui disparus.

19h30  : Débat sur l’histoire de la Réduction des Risques

  • Daniel DEFERT, fondateur de l’association AIDES
  • Fabrice OLIVET, de l’association ASUD
  • Bertrand LEBEAU, Médecin généraliste

 

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cliquant ici (boutique AFR)

(7€ de participation aux frais)

THC à THS : la désillusion biarrote

« On y allait pour montrer à des professionnels de santé qui travaillent dans la réduction des risques que le cannabis est aussi un outil de réduction des risques » : en participant au colloque Toxicomanie Hépatite Sida (THS) à Biarritz, l’association Principes actifs pensait surfer sur la vague de légalisation outre-Atlantique et sur l’arrivée timide du Sativex® en France pour asseoir la place du cannabis dans les outils thérapeutiques et de réduction des risques. C’était sans compter sur la diatribe prohibitionniste servie dès l’ouverture par deux «experts » américains. Petit reportage réalisé à chaud sur les paradoxes de ce congrès historique dans le paysage de la politique de réduction des risques liée aux usages des drogues.

THS est une conférence emblématique du changement de politique des drogues en France. Les premières éditions dans les années 90 furent le lieu de controverses au couteau entre « les anciens», partisans du sevrage et de la psychanalyse et « les modernes » militants la substitution et l’échange de seringues. THS est depuis l’origine, un allié de l’auto support et des usagers, en invitant systématiquement ASUD , mais aussi le CIRC, l’association phare des partisans de la légalisation du cannabis.

Cette année nous avions proposé un focus sur le cannabis du fait de l’actualité internationale avec notre partenaire Principes Actifs.

 « Pour certains le cannabis c’est une aide »

Principes actifs est une association créée en 2012 qui rassemble des personnes atteintes de diverses pathologies et faisant usage de cannabis pour soulager leurs symptômes ou diminuer leur consommation de médicaments, Fabienne la présidente raconte :

« On s’est rendu compte que le cannabis pouvait aussi être utilisé comme une aide à la substitution ou comme outil de substitution. Or si certains professionnels sont assez briefés sur le cannabis, nombre de centres de soins « menacent » ou « punissent » leurs usagers pour usage de cannabis, alors que pour eux, c’est une aide Et quand ils l’expliquent, ils ne sont pas écoutés. »

« Pour certains, poursuit-elle, le cannabis est une aide, soit en leur évitant de consommer de l’alcool, soit en leur permettant de maintenir leur sevrage d’alcool tout en réduisant leur consommation de médicaments. Et si on les oblige à arrêter, ils se reportent souvent vers l’alcool, c’est une réalité statistique. »

Et de marteler :

« Il faut tenir compte de ce que disent les gens (je n’aime pas le terme « patients »). Nous voulions porter cette parole et des études lors d’un atelier organisé avec l’aide de Laurent Appel, présenter ce qui se fait actuellement dans certains pays comme la Colombie avec le bazuco, témoigner et débattre. »

« Je suis allé à THS pour témoigner de l’aide que le cannabis m’a apportée dans mon servage d’opiacés, explique Jérôme de con côté. En tant que patient et en tant que vice-président de Principes actifs (PA) pour parler et informer sur le cannabis thérapeutique. Je m’attendais à assister à une conférence sérieuse sur les dernières études scientifiques réalisées aux États-Unis mais je ne connaissais pas ces deux Alzheimer de Ricains qui n’ont sorti que des vieux trucs du XIXe siècle, un discours de prohibitionniste. »

Désinformation débilitante

En l’occurrence, Herbert Kleber et Robert Booth, de New York et Denver, en vraies vedettes américaines de la cérémonie d’ouverture. Et avec eux, une salve en règle contre l’usage de cannabis, y compris thérapeutique qui aurait, selon Robert Booth, « entraîné une explosion de l’usage récréatif ». Florilège du seul Kleber :

« intoxication plus rapide avec des quantités moindres »,
« déclin neuropsychologique dès 25 ans »,
« peut déclencher une schizophrénie même chez personnes qui ne sont pas à risque »,
« les anecdotes ne sont pas des études scientifiques »,

« les médecins qui en prescrivent peuvent être accusés de mauvaise pratique car ils ne connaissent pas la puissance et la quantité absorbée. J’ai essayé de les avertir de ces dangers, mais c’est une activité très lucrative dans les États où les prescriptions sont autorisées. Certains ne se cachent pas de gagner plus d’un million de dollars par an ». Seules quelques rares indications auraient ainsi valeur à ses yeux, en tant qu’antiémétique, lors de chimiothérapies ou pour lutter contre la cachexie, le Sativex® étant pour sa part réservé à la sclérose en plaques ou à la gestion de la douleur. « Pour le reste, il n’y a pas d’étude scientifique. L’usage médical a servi de prétexte à légalisation de l’usage récréatif. Cela a ouvert la boîte de Pandore et il est très difficile de la refermer. »

Jérôme commente :

« C’était vraiment de la désinformation débilitante tout le contraire de ce que nous nous efforçons de faire à PA. En tant que patient usager thérapeutique, j’ai vraiment été choqué par la manière dont le cannabis a été présenté à des professionnels en contact direct avec des patients usagers et qui venaient à THS pour avoir des informations sérieuses. Au lieu de ça, ils ont pu assister à un grand sketch prohibitionniste de la part de dinosaures anticannabis qui sont sûrement payés par les lobbies pharmaceutiques. »

« Je n’ai vraiment pas compris ce qu’ils faisaient là, renchérit Fabienne. Et eux ouvraient, alors que nous n’avions droit qu’à un atelier en toute fin de congrès. Relégués en bout de course parce que nous n’étions pas des professionnels de santé ou peut-être parce que nous étions trop novateurs pour eux. En tout cas, pas à la bonne place. »

Pallier au manque d’informations intelligentes et consistantes

Pour le vice-président de PA,

« cela rappelle qu’il y a encore beaucoup à faire pour faire circuler l’information sur les applications du cannabis et de ses dérivés. Je pensais vraiment en tirer du positif mais je n’ai vu que des dealers légaux vantant les derniers produits sortis sur le marché. Avec des addictologues qui fument et qui boivent un litre de pinard en mangeant, qui est addict à quoi ? »

« Pour moi, poursuit-il, assister à ce genre de congrès était une première et je pensais que ça serait plus sérieux. Mais dès que j’essayais de discuter avec un addictologue, quand il réalisait que j’étais usager, la discussion s’arrêtait net. On n’a rien pu dire, il n’y a eu aucun débat. »

Plus tempérée, Fabienne en retire quand même quelques points positifs :

« Finalement, il y avait des gens intéressés qui sont restés jusqu’au bout pour assister à l’atelier, mais on a forcément subi le fait d’être positionnés le dernier jour de congrès. Une quinzaine de personnes au total, des gens qui sont directement dans le soin avec les usagers, des éducateurs mais surtout des infirmières. »

Leurs demandes ? « De vraies questions sur le cannabis car il y a encore énormément de gens qui ne sont pas suffisamment informés. Une infirmière travaillant en consultation jeunes me disait par exemple qu’elle était « ennuyée car les jeunes en savent toujours plus que moi sur le cannabis ». Il y a donc tout un travail à faire à ce niveau-là, pour pallier au manque d’informations intelligentes et consistantes sur le cannabis. »

Pour la présidente de Principes actifs, il faudrait donc

« arriver à entrer dans les structures pour informer sur le cannabis, que ce soit au niveau des effets, de l’usage thérapeutique, de la substitution ou de l’aide au sevrage. Aller directement voir les centres pour en parler et toucher directement les gens, plutôt que de passer par ce genre de congrès. Mais c’est vrai que c’est compliqué. »

Cette réelle divergence de fond entre certains professionnels de santé, et le secteur plus militant de la Réduction des risques, n’est pas une nouveauté au Congrès THS. On pourrait même dire que c’est un peu une marque de fabrique. Ce que nous pouvons déplorer c’est l’absence de mise en scène de ces oppositions. Le débat est nécessaire, particulièrement dans le domaine qui nous occupe où sous des airs faussement scientifiques le poids des idéologies est déterminant. Aujourd’hui que l’addictologie a remplacé la réduction des risques comme concept de référence il serait profitable à tous de ne pas laisser croire que la science a permis de dépasser les oppositions de…classe entre pauvres et riches, blancs et noirs, femme et hommes qui consomment. Peut-être est-il nécessaire de mieux poser les enjeux qui se cachent derrière le faux consensus addictologique du slogan : sortons des idéologies et laissons parler la science ! Rien de plus faux ! Dans une autre session le DR Carl Hart, neurobiologiste africain américain anticonformiste invité pour parler de la méthamphétamine a déclaré :

« le problème ce n’est pas les drogues mais la guerre à la drogue ».

Ce propos subversif aurait du provoquer un tollé dans la communauté scientifique présente. Il est passé quasiment inaperçue. Cherchez l’erreur !

Abattre le mur de la prohibition

Speedy Gonzalez  nous entraîne pour un petit tour d’horizon de la planète parti à l’assaut de ce mur plus sanglant que celui de Berlin à travers les liens de différentes natures qu’ASUD a tissé avec des organisations comme INPUD, CORRELATION, IDPC…. Mais l’enjeu ultime est d’être prêt pour l’UNGASS 2016 (l’Assemblée Générale des Nations Unies) qui va devoir réexaminer le bien fondé de la politique sur les drogues suivie depuis 1970.

De droite ou de gauche, le gouvernement français peut toujours se rassurer en pensant qu’un sujet comme l’urgence de mettre fin à la guerre aux drogues, donc à la prohibition, n’intéresse que des utopistes post soixante-huitards et que notre bonne vieille loi de 1970 tient toujours la route… Mais en quittant notre pays, on se rend compte qu’il est chaque fois plus isolé, campant sur sa position : ne rien changer, comme sur le cannabis1, ne pas aller de l’avant, comme avec la lamentable affaire de la salle de consommation à moindres risques de la gare du Nord qui a ridiculisé la France ! Il pense sans doute qu’avec ce mélange de RdR et de répression2, les drogues et leur consommation resteront contrôlables, sans crainte de dérives sécuritaires et sanitaires. On le sait, il n’en est rien et à l’étranger, les choses bougent à grande vitesse.

Une plus grande indépendance vis-à-vis des USA

asud-journal-54 USA cannabisIntitulé Le problème des drogues sur le continent américain, le rapport 2013 du secrétariat de l’Organisation des États américains (OEA) illustre parfaitement ce changement de mentalité au niveau mondial, qui se traduit par de nouvelles approches partant toujours d’un sévère constat sur les résultats obtenus jusqu’à présent. Les États du continent américain ont décidé de ne pas continuer à monter l’escalier de la répression en suivant l’exemple des USA comme ils avaient toujours fait. Ils ouvrent le débat sans parti pris idéologique ni moral, et utilisent comme élément d’analyse des faits scientifiques, des informations objectives émanant d’acteurs de terrain sur la réalité de la prohibition. Selon ce rapport, « des leaders politiques du continent, des ex-chefs d’État, des universitaires et des représentants de la société civile, préoccupés par l’impact de la violence reliée aux drogues ainsi que par le flux continu de drogues dans la région, ont promu l’adoption de politiques orientées à réduire l’importance de la justice pénale dans le contrôle de celles-ci ». Une attitude renforcée par une plus grande indépendance politique en général et sur les drogues en particulier des gouvernements latinos vis-à-vis des USA. Mais aussi par le fait que le gouvernement d’Obama semble louvoyer sur cette question, navigant à vue dans un pays dont 21 États ont légalisé le cannabis thérapeutique, 3 l’usage récréatif. Les USA semblent de moins en moins enclins à jouer, comme par le passé, la carte répressive mondiale avec la DEA. Personne ne croit plus pouvoir gagner cette guerre par la répression. Le mirage d’un monde sans drogue prédit en 1971 par Nixon pour l’an 2000 s’est évanoui depuis longtemps, et Obama voit bien que le mur de la prohibition commence à se fendiller grave…

« Nothing about us without us »

Mais le mouvement antiprohibitionniste vient surtout de mouvements d’UD comme Asud, qui ont senti la nécessité de s’appuyer sur des réseaux internationaux pour mieux se faire entendre. Avec sa déclinaison européenne (EuroNpud), l’International Network of Persons who Use Drugs (Inpud), dont Asud est un membre historique, défend le respect des droits de l’homme pour les usagers de substances dans les instances internationales. Animant des campagnes, participant à de nombreuses conférences internationales, aidant à se rapprocher pour créer une véritable représentation mondiale des usagers de drogues qui soit reconnue comme acteur indispensable, Inpud a permis de tisser des liens avec des organisations qui agissent davantage au niveau social et sanitaire sans pour autant oublier le volet politique. Grâce à son réseau de contacts, Inpud permet donc de se positionner sur le terrain de la santé publique, par exemple sur le VIH comme lors de la récente consultation d’experts « Changing the Game » au siège de l’Onusida à Genève, où Asud était le seul représentant du « groupe cible »2 des UD. On  a donc  pu y réaffirmer entre autre que la prohibition plombe tous les problèmes concernant le VIH. Par exemple la prévention et le financement avec 9/10ème des dépenses qui sont faites dans la répression des drogues et 1/10ème dans la prévention. La collecte d’informations est aussi touchée avec les dérèglements statistiques qu’entrainent les législations répressives sur ces dernières3. ASUD a pu aussi y réclamer que l’ONUSIDA et l’OMS reprennent leur place de 1er plan dans le débat sur les drogues afin que leur avis scientifique s’impose enfin….

Car si la sécurité de tous est malmenée, voire violée, la santé est aussi menacée. Des organisations européennes comme Correlation (European Network, Social Inclusion & Health), qui fut en partie créée par l’UE grâce à son programme d’action communautaire dans le domaine de la santé publique, érigent des ponts avec les associations d’usagers pour changer les politiques des drogues et lutter contre l’exclusion sociale. Correlation plaide, présente de nouveaux guides de bonnes pratiques de RdR communs à tous les pays et monte des programmes de formation de professionnels en collaboration avec des mouvements d’UD européens, qui peuvent utiliser cette plateforme sanitaire et sociale pour affirmer le fameux slogan popularisé par Inpud : « Nothing about us without us ! » (« Rien sur nous sans nous ! »).

Dans ces actions, INPUD et les organisations qui l’a compose, peuvent dénoncer les barrières que présente la prohibition et qui rendent difficile de faire de la bonne prévention et de la RDR sur un produit illégal. Pour la France cela se traduit par l’absence de salles de Conso, de programmes d’héroïne médicalisée et d’échanges de seringues en prison et surtout, par le nombre d’UD arrêtés et emprisonnés pour simple usage de drogue qui ne cesse d’augmenter4!

Un rendez-vous historique

C’est bien pour cela que  le rendez-vous de l’UNGASS 2016 (l’Assemblée générale des Nations unies) à New York occupe désormais tous les esprits. Avec l’IDPC (International Drug Policy Consortium) qui est « un réseau mondial d’ONG et de professionnels réunis pour promouvoir un débat ouvert et objectif sur la politique des drogues au niveau national et international » auquel appartient ASUD et qui soutient « des politiques efficaces pour réduire les méfaits liés aux drogues ». Les assos anti-prohibitionnistes se positionnent pour se rendez-vous historique de cette Assemblée Générale de l’ONU en 2016. Mais sa préparation a déjà commencé et 2014 est très importante. Jusqu’à présent, l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), l’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS) et la Commission des stupéfiants (CND), les 3 organismes chargés de la surveillance de l’application et du respect des conventions Internationales, imposaient leur vision belliciste dans tous les documents de travail pour préparer l’assemblée générale. Ces dernières années, l’IDPC a su tisser un réseau à l’ONU pour faire du lobbying en faveur d’un changement de cap sur les politiques de drogues, avec des assos, des ONG, des organismes et surtout, des gouvernements sensibles à ces changements comme ceux d’Amérique latine, certains d’Afrique de l’Est et de l’Ouest, d’Europe (Suisse, Portugal, Finlande…). L’IDPC alerte quotidiennement sur les réseaux sociaux de l’évolution politique, sécuritaire et sanitaire de cette question, appelant et aidant toutes les structures et assos à entrer avec lui dans les comités de l’ONU, comme le Comité de Vienne des ONG (VNGOC, qui était jusqu’à présent lui aussi constitué d’ONG favorables à la prohibition) afin de rééquilibrer sa composition (un comité de l’ONU n’est que la somme des entités qui le composent). Son mandat : assurer que la société civile fasse entendre sa voix comme par exemple à la prochaine réunion de la CND du 13 au 21 mars à Vienne, qui prépare les documents pour l’Ungass 2016. La route est encore longue mais on avance….


1/ Rien ne bouge en France, la seule timide avancée fut le Sativex® qui sortira en 2015 sur le marché, un spray peu dosé en cannabis uniquement réservé aux patients atteint de sclérose en plaque et qui fut en plus adopté à l’arrache sous pression de l’Union Européenne doublée d’une plainte déposée devant le Conseil d’Etat par son distributeur dans 17 autres pays…

2/ Groupes dont les membres sont particulièrement concernés par le VIH en Europe : les MSM (Men who have sex with Men) le principal avec 50% des nouvelles infections, les hétérosexuels avec 23%, les  migrants subsahariens (13%), les UD avec 5% seulement,  les Sex Workers , les transgenres… (Sources ECDC et Bureau Régional OMS pour l’Europe, 2012.)

3/ En Hongrie, membre de l’U.E., les médecins ont l’obligation d’informer la police de l’identité d’un patient  lors de la découverte de sa séropositivité quand celui-ci se présente ou est identifié, comme usager de drogues !!

4/ Depuis 2010, 135.447 personnes ont été arrêtés et 1747 ont été mises en prison pour simple usage de drogues . Ce « délit » représente plus de 80% des arrestations liées aux questions de drogues (trafics…) et 90% de toutes les arrestations pour usage concernent exclusivement le cannabis ! (Sources : Obradovic 2010, OFDT 2012a et Ministère de la Justice et des libertés 2011 dans l’Alerte de l’IDPC.)

De l’autre coté du miroir : les bad trips d’or de Techno+. Les principaux nominés…

Des bad trips, l’association de réduction des risques en milieu festif Techno+ en gère une cinquantaine par an. Des petits, des gros, des drôles, des tristes, des calmes et des agités. Petite revue de bad trips, vus non pas du côté de ceux qui les vivent mais de ceux qui les gèrent…

Flyer de RDR, édité et distribué en rave par Techno +.

Pour en savoir plus sur Techno+ lire « Ecsta sana in corpore techno« , ASUD journal N°13

À l’occasion de ce numéro spécial, les copains d’Asud nous ont contactés pour nous demander un florilège des plus incroyables bad trips que nous avions gérés en teuf. Bien sûr, on a accepté mais, comme il y en aurait trop pour parler de tous et que c’est difficile de les départager tant ils valent tous leur pesant de kétamine, on a décidé d’organiser un vote et même une cérémonie : les bads trips d’or. Mais récompenser l’auteur du pire bad trip ne nous a pas semblé une bonne idée, alors les trophées, pardon les tropris, iront aux volontaires de l’asso qui ont géré les pires bad trips. Parce qu’on les mérite nos tropris : non seulement un bad trip c’est souvent aussi dur à gérer qu’à vivre mais en plus le lendemain on s’en rappelle, nous !

Dans le folklore des consommateurs, les bad trips, scotchages et autres flippances sont entourés d’à peu près autant de légendes et de mystère que le financement des campagnes de l’UMP. Alors avant de passer à la liste des principaux nominés pour les bad trips d’or, voyons un petit peu ce qu’on pourrait vous apprendre sur le sujet.

bad trip d'or Techno+ Birambeau 1

Un peu de théorie…

Le mot « bad trip » (mauvais voyage) n’est pas très utilisé par les médecins (en tout cas officiellement) qui parlent plutôt de pharmacopsychose, d’état confusionnel ou de décompensation. Dans les trois cas, il s’agit de troubles de la pensée et du comportement qui se traduisent par une perte de contact avec la réalité et des difficultés à penser normalement. En gros, la pharmacopsychose prend deux formes : une sorte de bouffée délirante qui va durer au maximum trois jours après la consommation, ou alors de manière plus progressive, l’installation d’un état délirant, souvent anxieux, avec l’impression de « ne plus être comme avant ». On peut parler de « dépersonnalisation » ou de « déréalisation » pour décrire des sentiments d’irréalité, d’étrangeté, liés à l’environnement ou à soi-même. L’état confusionnel porte bien son nom puisqu’il marque une forte confusion pour la personne (troubles de la mémoire et de la compréhension, difficultés à parler et à se mouvoir…) et peut entraîner des comportements violents, le cas typique étant les cocktails Rohypnol®-alcool dont certains lecteurs connaissent sans doute le fameux « effet Rambo ». La décompensation signifie quant à elle que les barrières qui permettaient de « compenser » un trouble déjà présent s’effondrent. C’est certainement le plus grave des trois car la personne peut alors entrer dans une maladie psychique chronique. Un point important : ces trois types de bad trips ne sont pas forcément caractérisés par de la souffrance : une décompensation peut très bien être vécue comme agréable. C’est notamment le cas des « illuminations », lorsque – en plein trip – la personne a l’impression de comprendre quelque chose de fondamental sur elle-même (par exemple qu’elle est un ange envoyé par Dieu…).

Ce qui est surtout décrit du côté des consommateurs, c’est par contre la souffrance du bad trip et ses conséquences pour l’entourage : la parano qui gâche ta soirée, l’alcool mauvais qui gâche celle des autres, la crise de nerfs, etc. Mais beaucoup de bad trips ne rentrent pas non plus dans ces catégories. Par exemple la crise de larmes : vous savez, lorsque votre grand gaillard de pote s’effondre en sanglots obnubilé par la perte de son chaton. Ou encore, les obsessions, par exemple sur le besoin de se laver, la crise de jalousie démultipliée, ou tout simplement lorsque la personne se focalise sur des idées noires plutôt que sur des trucs positifs. Bien qu’assez courants et bénins, ces petits bad trips peuvent aussi laisser des séquelles car l’effet du produit peut amplifier les émotions. À tel point qu’elles laisseront un traumatisme qui pourra ensuite être réactivé par une situation se rapprochant de ce qui a déclenché le bad trip.

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« Tu veux goûter mon caca ? »

On vient nous chercher au stand pour nous dire qu’un mec se balade à poil sur un dancefloor, et se met des doigts dans l’anus avant de les essuyer sur le visage des personnes qui dansent. Arrivés sur place, le type a disparu donc on rentre au stand bredouille mais… Dix minutes plus tard, d’autres personnes passent nous prévenir qu’un mec à poil vient de casser le pare-brise d’un des organisateurs du teknival, qu’il a fait tomber une colonne de son et que ça risque de chauffer sévère. On fonce vers l’endroit qu’on nous avait indiqué et là, on tombe en plein générique de Benny Hill : un petit mec grassouillet qui court tout nu poursuivi par une vingtaine de personnes. On arrive pile au moment où ils l’interceptent et on prend les choses en mains pour le maîtriser sans violence. Mais le mec se débat et de Benny Hill on tombe dans L’Exorciste. On est six à le tenir, mais il rue dans tous les sens et profère des insanités, les yeux à moitié révulsés. Les mecs autour sont bien énervés. Ils lui disent qu’ils vont le tuer et l’enterrer dans la forêt, mais le mec leur crache au visage et continue de se débattre. Un de ses « potes » qui passait par là vient nous voir et, sans stresser le moins du monde, nous explique qu’il a de lourds antécédents psy et que c’est pas étonnant qu’il ait fini dans cet état. On a évacué le mec mais en se disant que celui qui méritait de se retrouver sanglé sur un brancard, c’était surtout le « pote » en question qui avait ramené en teuf un type dont il savait qu’il risquait de vriller sans même s’en occuper…

« J’ai une grosse bite je suis au paradis, j’en ai une petite je suis en enfer »

On vient nous chercher au stand car un mec en plein délire a frappé sa sœur, lui cassant plusieurs dents. On arrive, la fille part à l’hôpital et on attrape le mec, qui semble finalement assez calme. Deux filles de Techno+ l’éloignent de la teuf pour lui parler et essayer de le faire redescendre. Mais il essaye de les peloter, se masturbe, etc. D’autres volontaires arrivent, lui disent d’arrêter, mais il devient agressif et pète complètement les plombs. Il hurle en boucle « J’ai une grosse bite je suis au paradis, j’en ai une petite je suis en enfer ». Les volontaires le maintiennent au sol mais il continue de se débattre en criant. Parfois, il semble se calmer et reprendre ses esprits mais il finit toujours par redevenir agressif et repartir dans son délire d’enfer et de pénis… Les volontaires devront le maintenir plus de trois heures au sol avant qu’il ne redescende pour de bon.

« Je suis déjà morte »

Pour elle, l’histoire a commencé avec une goutte de LSD. Tout allait bien. Si bien qu’elle a voulu aller dire au DJ à quel point sa musique la transportait. Sauf que les « coulisses » d’un mur de son ne sont pas ouvertes à tous… Enfin tout aurait pu bien se passer si elle ne s’était pas emmêlée les pieds dans les câbles pour finalement tomber en plein sur la table de mixage et les platines. Forcément, les mecs du son se sont un peu énervés. L’un d’entre eux a même dit « Je vais la tuer ». Sauf que c’était la perturbation de trop dans la montée de LSD de cette pauvre jeune fille qui s’est subitement mise à hurler « Je suis déjà morte, je suis déjà morte » à intervalles réguliers d’environ 10 secondes. Elle était dans cet état lorsqu’on nous l’a ramenée et ça a duré quatre ou cinq heures avant qu’elle puisse dire autre chose.

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« Venez vite, il essaye de violer une meuf dans un champ »

On nous signale un mec violent devant le son. L’équipe part et tombe effectivement sur un type plutôt agressif mais encore gérable. Aidés par ses potes, on le convainc de venir se reposer un peu dans notre espace perso. Ses potes nous suivent, nous aident à le calmer, tout semble s’arranger et on le laisse donc partir avec ses amis qui le surveillent. Mais au bout d’un petit moment, une de ses copines, affolée, vient nous voir : « il est en train d’essayer de violer une meuf » dans un champ. On fonce et effectivement, on trouve le mec en train de ramper en s’agrippant à une fille qui n’avait plus de T-shirt. Il la serrait si fort que pour lui faire lâcher prise on a dû s’y mettre à plusieurs et de toutes nos forces. Ensuite, on l’a camisolé dans une couverture et on l’a ramené dans notre espace perso. À force de se débattre, le mec a fini par réussir à sortir un bras et à tirer de toutes ses forces sur les dreads de son amie qui essayait de le rassurer depuis une heure. Du coup, après avoir réussi à lui faire lâcher les cheveux, on a aussi dû gérer la copine qui essayait de lui mettre des kicks en pleine tête. Par la suite, croyant que ça allait mieux, on a filé une cigarette au mec qui a essayé de l’avaler allumée puis de se brûler les yeux avec. On lui a aussi filé une compote qu’il nous a explosée au visage, donc on lui a plus rien filé et on s’est contenté d’attendre que ça passe, assis sur lui toujours enroulé dans sa couverture. Ça a mis environ six heures mais il est redescendu et nous a longuement remerciés de nous être occupés de lui et a tenu à nous filer un bon coup de main pour le rangement du matos.

« Le coton c’est doux »

Dans la rubrique mignon, à un tekos, une nana nous a ramené un chepchep complètement perdu et apeuré. Son truc, c’était le coton. Suffisait de lui dire qu’un truc était en coton pour qu’il se frotte dessus en mode « le coton c’est doux ! » J’ai cru comprendre qu’il avait fait flipper certaines meufs en voulant simplement se frotter à leur coton. Finalement, après une heure à rigoler avec lui, il a fait une tentative pour repartir, il a tourné en rond devant le chill, puis il est retourné faire une petite sieste et après il allait mieux.

« Non, ça va, j’ai rien pris »

Il y a quelques années, on est intervenu à la soirée Unighted de David et Cathy Guetta au stade de France. Grosse soirée avec des animations, des tombolas, etc. On nous amène une jeune fille qui se sentait mal… Elle est très blême et a du mal à s’exprimer donc on l’assoit, lui file un verre d’eau, et on essaye d’engager la conversation : « Qu’est-ce qu’il y a ? T’as pris quoi ? » Et la fille de nous répondre d’une voix faible : « Non non, ça va, j’ai rien pris… C’est juste que je viens de gagner une voiture ! »

Perché !

Dans la catégorie International, le bad trip d’or reviendra sans doute à l’association belge Modus Fiesta pour son intervention sur un bad trip digne des cartoons de Tex Avery : on signale à l’association qu’un homme en plein délire est monté à plus de trois mètres de haut dans un arbre pour aller cueillir des noisettes. Arrivée sur place, l’équipe d’intervention trouve un attroupement de personnes qui essayaient de le faire descendre en lui criant qu’il allait se faire mal. Mais le type refusait : « C’est mes noisettes, il faut que je les ramasse vite sinon les écureuils vont les ramasser. » En discutant avec les gens, l’équipe comprend que le gars est persuadé que l’arbre porte des noisettes magiques qui contiennent des diamants et que c’est pour les garder qu’il reste dans l’arbre. Du coup, une des volontaires a l’idée de rentrer dans son trip : « Oh, mais tu as fait tomber une noisette juste là, regarde », en lui montrant le sol comme s’il y avait vraiment une noisette. Et comme par miracle, le mec descend de l’arbre pour aller chercher sa noisette !

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« Tatatatata »

Lors d’une teuf en 2004, l’équipe de la Croix-Rouge trouve un gars avachi contre une voiture en train de se mordre les lèvres. Ils décident de l’emmener à leur tente pour le soigner. Le gars se laisse faire et leur parle mais ils ne le comprennent pas. Une fois dans la tente, ils l’assoient sur une chaise, une bénévole essaye de commencer le soin mais le gars se met à lui caresser les seins. Se sentant agressée, elle crie. Lui rigole d’avoir eu les mains baladeuses et se met à toucher tous les gens qui passent à sa portée. Là ses collègues sautent sur le gars, le collent sur une civière, le sanglent et lui passent une minerve immobilisante autour du cou. Le gars ne rit plus du tout, commence à paniquer, se crispe, se mord la joue et leur dit une phrase qu’ils ne comprennent pas : « Tatatatatatata ! » Le responsable de la Croix-Rouge est prévenu de la situation : un forcené sous drogue vient de commettre une agression à caractère sexuel sur une secouriste ! Le boss de la Red Cross a une idée : Allons chercher Techno+ pour savoir ce que le gars a pris.

Sur le trajet du stand à leur tente, il m’expose la situation, très fier d’avoir malgré tout réussi à désinfecter son bobo à la bouche. J’arrive et effectivement de loin j’entends « Tatatatatatata » ! Dans la tente, je vois l’équipe au grand complet en uniforme autour de la civière, une grande lumière blanche dans la gueule du gars. Je leur demande de s’écarter, voire de sortir. Je m’approche doucement du gars, le rassure et lui demande ce qu’il a pris. Et là, « Tatatatatata ! » devient clairement « J’ai pris 2 tatas, ne m’attachez pas ! » Je leur explique donc la situation : « Vous venez d’attacher un gars en pleine montée de MDMA. Vu l’heure, il doit maintenant en être au stade où il a une boule d’énergie en lui qui lui donne envie de bouger, de parler, de s’extérioriser et vous le maintenez ligoté sur une civière. Bref, s’il vrille parce qu’il ne peut dépenser cette énergie, vous en serez responsable. » Le chef ordonne la libération du prisonnier. Je repars avec lui et l’oriente vers le son après lui avoir donné quelques infos de RdR. L’autre cas de cette soirée était un gars sous LSD qui s’était enfermé dans sa voiture pour échapper à la Croix-Rouge (encore) qui voulait lui soigner sa petite coupure à la main. En voyant les uniformes, il a flippé : il voyait des infirmières qui voulaient le piquer avec des aiguilles au bout de leurs doigts et refusait d’être touché.

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Remerciements : Céline, Fab, Jonas, Reuns.

Quand les geeks se mettent à la RdR… Not for Human

Le mouvement de la réduction des risques des années 80 était lié à l’injection, à l’héroïne et au sida. Dans les années 90, son évolution était portée par le milieu festif techno et l’usage récréatif d’une palette élargie de produits et de pratiques. Depuis les années 2000, c’est sur Internet que s’écrit la suite de son histoire, sur fond de psychonautisme et dans une offre mondialisée et pléthorique de substances aux statuts juridiques avantageux.

Profitant du vide juridique autour de nombreuses molécules comme la méphédrone, des vendeurs ont proposé toute une nouvelle gamme de produits psychoactifs, les livrant même à domicile. Avec l’arrivée d’Internet chez Monsieur Tout-le-monde, ce phénomène a pris une nouvelle ampleur. Malgré la volonté persistante des autorités européennes de jouer la carte de la prohibition, interdisant une à une les molécules, ce type de vente a en effet continué à se développer, d’autres molécules remplaçant les précédentes interdites, toujours plus inconnues.

Que ce soit directement sous le nom exact de la molécule ou sous une appellation commerciale, on a vu fleurir l’offre et les accidents liés au manque d’informations autour de ces produits.

Santé communautaire 2.0…

En parallèle, les communautés d’usagers se sont développées sur Internet. En France, Lucid-State.org (depuis 2004) ou Psychonaut. com (depuis 2006) ont par exemple mis à disposition des espaces d’échanges précurseurs. Discuter des produits, de leurs effets, partager les expériences, les dosages, les voies d’administration, tout ceci permet la diffusion des connaissances et ainsi de la possibilité de faire des choix éclairés de (non) consommation.

Les informations variant en qualité et en justesse, certains participants à ces forums de discussion y ont vu un nouveau terrain pour les actions réduction des risques (RdR), comme le furent les teufs auparavant.

C’est dans ce cadre qu’est apparue Not for Human, une association loi 1901 qui tente de rassembler les informations à disposition sur ces nouveaux produits, de comprendre les enjeux des communautés d’usagers : leur potentiel en termes de RdR, mais aussi leur éventuel impact négatif. Not for Human essaye aussi d’avoir une approche sérieuse pour combler les manques d’information sur les réseaux de distribution qui se développent. Notamment par l’analyse des produits diffusés, dont la pureté se révèle parfois inférieure à celle annoncée quand un autre produit n’est carrément pas substitué à celui commandé. Le site alerte les usagers pour qu’ils prennent conscience de tous les risques et puissent prendre des décisions en connaissance de cause.

… vs santé publique 1.0

Confronté aux limites du bénévolat, Not for Human cherche aujourd’hui à se professionnaliser, pour pouvoir se consacrer à cette mission qui nécessite au minimum un emploi à plein temps. Appel a donc été lancé auprès des élus et décideurs, dont l’appui est nécessaire. L’enjeu de la situation mérite qu’un budget soit alloué à ce nouveau pan de la politique des drogues. Car tant que la prohibition restera la seule solution proposée par les États pour faire face à la consommation de drogues, la nouveauté et la méconnaissance des produits disponibles sur le marché ne feront qu’augmenter, et la vente de ces nouveaux produits de synthèse livrés anonymement par la poste ne pourra que se développer. Ils se substituent de plus en plus aux produits « classiques », difficiles à trouver et juridiquement risqués mais dont les dangers sanitaires sont connus.

Sur les milieux festifs, ces « Research Chemicals » (RC, voir page suivante), comme les appellent les marchands, commencent à être vendus, parfois pour d’autres produits dont les effets et dosages diffèrent. Les associations de réduction des risques existantes cherchent donc à être formées sur ces produits de nouvelle génération pour pouvoir adapter et dispenser leurs conseils sur le terrain. Not for Human forme déjà les intervenants de Techno+. En partenariat avec Techno+ et le forum d’usagers Psychonaut.com, Not for Human a également participé à la réalisation de flyers sur les Research Chemicals : un flyer général, puis sur la méphédrone, la méthoxetamine, les 2C-B, 2C-E, 2C-I, de nouveaux étant déjà en cours de préparation.

Not for Human essaie aussi de se positionner auprès des professionnels de santé (urgentistes et secouristes), qui doivent aujourd’hui gérer des bad trips ou des accidents physiologiques liés à des produits qui leur sont inconnus.

La majeure partie des consommateurs de RC ne sont pas touchés par les politiques publiques actuelles. Soutenir une association communautaire en ligne comme Not for Human et ses actions ciblées serait une occasion pertinente pour les pouvoirs publics de diminuer la part des usagers dits « cachés » auxquels ils ne s’adressent jamais.

L’auteur, François Gallé, est membre fondateur de Not for Human (http://notforhuman.fr)

L’association Principes Actifs défend le cannabis thérapeutique

Fondée par des patients, l’association a pour but de créer un réseau regroupant des personnes atteintes de maladies reconnues comme susceptibles de réagir favorablement à la prise de cannabis et en faisant usage.

Cette question de l’usage médical du cannabis reste fermée en France. Nous avons pourtant besoin d’être entendus mais nous devons être de bons malades, dociles, acceptant d’ingurgiter des prescriptions médicamenteuses sans poser de questions.

Création de l’association

Avant d’être une association, Principes Actifs était un collectif, né en 2009 à la suite de la première conférence française sur l’usage du cannabis thérapeutique que j’ai organisé avec l’association Asud. Pour avoir une existence juridique, nous avons décidé de devenir une association début 2012.

Pourquoi avons-nous créé cette association ? Informer, conseiller, prévenir des risques !

Objet

Principes Actifs a pour but de créer un réseau de malades faisant usage de cannabis pour le traitement des symptômes de pathologies reconnues comme susceptibles de réagir favorablement.

Beaucoup de malades font le choix du cannabis aussi pour éviter rentrer dans une spirale de surconsommation de médicaments, très souvent eux-mêmes générateurs de problèmes. Le cannabis est bien souvent une aide à mieux supporter les effets secondaires des traitements

Les pathologies des adhérents sont : cancers, myopathie, SEP mais aussi d’autres douleurs neuropathiques, VIH et/ou VHC, aide à l’abstinence (alcool, héroïne, cocaïne), problème de pression intraoculaire, céphalées.

Conditions d’adhésion

Pour entrer dans l’association, il faut être majeur, malade, avoir une attestation de son médecin qui prouve que vous en avez discuté et qu’il est donc informé de votre usage, témoigner par écrit des effets du cannabis sur votre pathologie.

Beaucoup trop de malades ne savent où et comment se procurer leur traitement sans passer par le trafic. Ils prennent des risques : interpellation, achats de produits frelatés et/ou de mauvaise qualité, violence, racket, autres drogues.

C’est pourquoi, à Principes Actifs, nous préconisons le jardinage de son propre cannabis, de manière à pouvoir contrôler la régularité de l’approvisionnement, la qualité du traitement et éviter les nuisances liées au marché noir.

Notre revendication principale : Avoir le choix du traitement

Une facilitation de l’accès aux traitements existants quels qu’ils soient (synthétiques ou naturels), et préconisons si l’état physique de la personne malade le permet, l’autoproduction raisonnée, c’est-à-dire un nombre de plantes qui correspond à nos besoins de manière à éviter toute possibilité de revente.

Nous sommes malades mais responsables et avons décidé de nous prendre en charge, nous savons ce qui nous fait du bien au travers de notre usage, mais parmi nous, certains ne savent où et comment s’en procurer sans passer par le marché noir. Et là, ils prennent des risques : interpellation, achats de produits frelatés et/ou de mauvaise qualité.
De fait ceux et celles qui le peuvent le cultivent, mais en dehors du contrôle de la qualité, les ennuis peuvent être du même ordre.
Résultat, de trop nombreux malades se retrouvent au tribunal, et, malgré un dossier médical, ils sont condamnés à des peines fermes ou avec sursis, et des amendes.

Cette situation doit cesser ! Elle est criminogène, voire criminelle. Nous revendiquons une facilitation de l’accès aux traitements existants, et préconisons si l’état physique de la personne malade le permet, l’auto-production raisonnée en attendant un changement du cadre légal.

Principes Actifs répond à vos questions sur asud.org

Les spécialistes du cannabis que sont les membres de Principes Actifs, répondent à vos questions sur asud.org.

2 forums du site sont dédiés à ce sujet :

Nos objectifs

  • Informer et sensibiliser les pouvoirs publics et la population en général sur l’état des connaissances relatives au cannabis et aux cannabinoïdes et à leurs utilisations thérapeutiques reconnues,
  • soutenir les initiatives individuelles ou collectives visant à faire évoluer le cadre légal et les pratiques administratives régissant l’usage, la distribution, l’importation et la production de produits à base de cannabis et de cannabinoïdes à usage thérapeutique,
  • échanger des informations, sur les études menées à l’Etranger, les nouveaux médicaments, les nouvelles découvertes en matière de cannabinoïdes,
  • promouvoir et participer à la collecte de travaux épidémiologiques, sociaux et scientifiques sur les utilisations médicales du cannabis et des cannabinoïdes,
  • faciliter l’échange d’informations entre les médecins et les patients,
  • coopérer avec d’autres associations partageant des objectifs similaires aux nôtres et faciliter la coordination au niveau national et européen,
  • réduire les risques en conseillant sur les nouvelles méthodes de consommation, les produits dérivés (huile, résine, teinture) et préconiser d’autres formes d’usage que « fumer » : vaporisation, ingestion, sublingual, patch,
  • conseiller sur le choix des variétés, comparer les effets des différentes variétés, car il y a des différences d’effets en fonction des variétés, les méthodes de culture, dites propres, à adapter en fonction de nos pathologies.

Un médicament ne pouvant pas se présenter sous forme fumable, l’association préconise d’autres formes d’usage : vaporisation, ingestion, sublingual, patch.

L’association est soutenue par des professionnels de santé et des militants du monde associatif.

La situation en France

La seule possibilité est l’ATU nominative (Autorisation Temporaire d’Utilisation) délivrée par l’ANSM (Agence nationale de Sécurité du médicament).
Autre limitation et non des moindres : seul le Marinol© en gélules de 2,5mg de THC (Tétra HydroCannabinol) est délivré alors qu’existent des dosages de 5 et 10 mg, de plus la liste des pathologies permettant l’accès au Marinol est plutôt limitative.
L’immense majorité des médecins hospitaliers ignorent son existence, les autres sont découragés par la lourdeur de la procédure. Rien d’étonnant, aujourd’hui, si une centaine de patients seulement en bénéficient.
En France, ni le Sativex©, spray sublingual contenant du THC et du CBD (Cannabidiol), ni le Bedrocan©, fleurs de cannabis répondant aux normes des produits botaniques à usage médical avec trois dosages de THC/CBD, ne sont accessibles.

Dans le monde

Des cadres légaux et/ou des institutions privées permettent un accès facile à ces traitements, que ce soit sous forme naturelle ou synthétique. Aux États-Unis un 17ème État dépénalise l’usage du cannabis thérapeutique. Nos voisins allemands, anglais, belges, espagnols, hongrois, finlandais, luxembourgeois, suisses peuvent en bénéficier.

les NON SUBSTITUABLES, des usagers experts à Toulouse

Les NON SUBSTITUABLES, c’est le groupe des usagers experts des questions de toxicomanies au centre de santé La Case de Santé dans le quartier Arnaud Bernard à Toulouse.

Cette vidéo présente les NON SUBSTITUABLES en 12 minutes, ce qui vaut mieux que de longs discours !

Les NON SUBSTITUABLES, le groupe qui fait la réduction des risques à La Case de Santé sur Vimeo.

Si ça vous a plus, dites leur sur leur site www.moutonnoir.org/nonsubstituables.

L’autosupport dans la réduction des risques

En 1993 la réduction des risques à la française est en pleine ascension. Le collectif Limiter La Casse et sa présidente Anne Coppel incarnent la volonté de certains acteurs du soin de s’adjoindre d’autres volontés pour jeter un pont entre la société et les usagers de drogues. Les États-généraux Drogues et Sida de 1994, clôturés par Simone Weil en personne, célèbrent une nouvelle alliance: professionnels du soin, militants de la lutte contre le sida et .groupes d’auto-support. Cette inclusion des usagers dans le champ thérapeutique de la toxicomanie est une marque de fabrique, celle de la réduction des risques réagissant à la « psychologisation » des questions de drogues. Symboliquement, la présence à parité d’Asud aux côtés de Aides et Médecin du Monde est une provocation vis à vis de l’orthodoxe « soin aux toxicomanes ».
L’année d’après, une nouvelle alliance est proclamée. Il s’agit du partenariat entre Aides, Médecin du Monde et la Mutualité française. Cherchez l’erreur. Qui donc s’est trouvé évincé de ce nouveau protocole, dénoncé à l’époque par le président d’Asud, Jean-René DARD? Cette évolution illustre bien le problème posé à la réduction des risques par le retard français en matière de drogues. Les solutions strictement médicales comme la dispensation de subutex ont rapidement progressé, les ambitions sociales et politiques sont restées lettres mortes. A cet égard, la courte histoire de l’auto-support français est révélatrice.

L’alliance

En 1992, lors de la création d’Asud, l’idée de constituer une association d’usagers de drogues est appuyée par les acteurs de la réduction des risques.

Abdallah TOUFIK, membre fondateur, est un sociologue du CRIPS, Anne COPPEL et Bertrand LEBEAU, animateurs de LIMITER LA CASSE, sont très proches des militants d’Asud. Parallèlement, d’autres groupes plus éphèmères voient le jour, comme ASB, le SAS ou Méthavih. En 1995, apogée du développement de l’auto-support, une vingtaine de groupes Asud existent en France, souvent en liaison étroite avec les pôles de Aides ou Médecins du Monde. La lutte contre le sida reste le le cadre de la collaboration entre usagers et acteurs de santé. L’épidémie a mis en évidence les carences sanitaires de la prise ne charge traditionnelle. Médecins pionniers de la substitution ou militants de Aides et d’Act-up, tous sont partisans d’une redéfinition de la place accordée aux usagers dans la perspective d’une meilleure prise en charge. Hélas, qu’il s’agisse de substitution ou d’accès aux seringues, la réduction des risques se heurte au carcan répressif de la loi de 70. L’accès aux soins des usagers de drogues s’effectue grâce à une succession de dérogations légales au principe de répression. Ce coin enfoncé dans la loi permet également le déblocage de la question du cannabis. En 1993, le CIRC, emmené par Jean-Pierre GALLAND, relance l’Appel du Dix-huit Joints, tombé dans l’oubli depuis 1976.Les droits de l’usager à consommer librement d’une part, et la catastrophe sanitaire du sida d’autre part servent d’argumentation au Mouvement de Légalisation Contrôlée de l’avocat Francis CABALLERO. Même la vieille garde des intervenants en toxicomanie, réunie au sein de l’A.N.I.T., se prononce publiquement pour la dépénalisation en 1994.Malheureusement, cette euphorie est de courte durée.

Médecins contre psy

Initiée par quelques médecins d’avant-garde comme Jean CARPENTIER, la substitution est l’arme des généralistes contre les « psy ». traditionnellement les praticiens de ville se méfiaient des toxs. Souvent fébriles, parfois menaçants, les usagers en manque d’héro ont constitué le cauchemar moyen du cabinet de consultation. A l’exception des amateurs de palfium, dolosal et autres ampoules injectables, champions pour se procurer une ordonnance (souvent contre une forte somme), la plupart des ud étaient automatiquement dirigés vers le « psy », psychiatres, psychanalystes, et autres psychologues. Cette chasse gardée, on ne le dira jamais assez, s’est pratiquée aux dépens de usagers. Expulsés du droit commun par la loi de 70, « le toxicomane », était aussi indésirable à l’hôpital que dans le reste de la société. Le succès immédiat des programmes méthadone et surtout celui du subutex, a mis en évidence la supériorité tangible d’une prescription de stupéfiants sur une hypothétique « guérison » psychanalytique après sevrage. Cette rationalisation de la prise en charge devint l’argument majeur de la médicalisation de la question des drogues.

Le complot des blouses blanches

Et les usagers dans tout ça? Telle est bien la question. La mise en service d’une molécule pouvant être prescrite par le généraliste du quartier, dans un cadre réglementaire normal, avec carte de sécu et secret médical, était une aubaine pour les médecins comme pour les usagers.

blouse_blancheFini l’anonymat et son caractère d’exception. En permettant aux usagers de quitter leur défroque de délinquants, la substitution leur offre une porte d’entrée dans la société. Hélas le pyjama du malade chronique allait se révéler autrement handicapant pour prétendre à la qualité de citoyen. Avec son « médicament-qui-soigne-le-manque », la substitution a médicalisé tout le secteur de la réduction des risques. Le deal du pouvoir était clair: O.K. pour les centres métha et le subutex (molécule favorite des prescripteurs), mais finis les enfantillages, la dépénalisation, la parole aux usagers et autres divertissements. Les pionniers de la rdr, devenus directeurs de centres étaient peu enclins à continuer le combat de l’anti-prohibition aux côtés de leurs nouveaux patients. Malgré l’évidente impuissance de la médecine à résoudre des problèmes sociaux de plus en plus omniprésents, la réduction des risques est devenue une affaire de blouses blanches.

Le résultat ne s’est pas fait attendre. Le CIRC, rendu vulnérable par son désintérêt des questions sanitaires, subit dés 1995 une répression sans équivalent. Jean-Pierre Galland est depuis régulièrement condamné pour délit d’opinion. Parallèlement, l’image des usagers s’est encore dégradée aux yeux du public. Le toxico reste décidément un objet de mépris pour toutes les catégories sociales. Dans les cités, la « chasse aux toxs » s’est répandue au même rythme que les pit-bulls. Dans les médias, si… la presse semble pencher pour une relative indulgence envers le chichon, s’est pour mieux crier haro sur les autres drogues. A cet égard, le traitement réservé à Asud est exemplaire. Au temps de l’union sacrée, l’existence d’une association d’usagers n’avait pas laissé les médias insensibles. Invité à Savoir Plus Santé, à la Marche du Siècle, au Cercle de Minuit et chez Dechavanne, le président d’Asud s’est exprimé fréquemment au nom de l’auto-support en 94-95. Mais sa présence était clairement liée à sa qualité de méthadonien. Invité à témoigner sur les bienfaits du médicament qui soigne le manque sans donner de plaisir, Jean-René avait fort à faire pour sortir de sa position de représentant des malades. Pris dans les filets de la médicalisation, notre présence dans les médias n’a cessée depuis d’être cantonnée à la représentation du malade au détriment de celle du citoyen.

Cette situation n’est pas sans provoquer quelques débats internes. En effet, l’essoufflement des grandes associations de lutte contre le sida déséquilibre un peu plus le rapport des forces entre secteur militant et secteur médical au sein de la rdr. La tentation est grande pour Asud de jouer carrément la carte du soin en profitant des dispositions réglementaires qui garantissent une représentation obligatoire des associations de malades au sein des institutions. Cette option est en débat, elle se heurte au souci d’authenticité de certains militants qui veulent continuer « à représenter les toxs » sans compromis. Ce voeu pieu risque hélas de n’être qu’une déclaration d’intention dés lors qu’il s’agit de faire bouillir la marmite. Avons-nous intérêt à pratiquer la politique de la chaise vide quand bien même nous désapprouvons l’orientation générale du débat? La solution n’est-elle pas de trouver de nouveaux alliés du côté de l’anti-prohibition tout en maintenant des positions chèrement acquises au sein des institutions de soin. L’alliance des usagers et du secteur médical fut une étape nécessaire pour convaincre la société de l’echec sanitaire de la guerre à la drogue. Il nous faut maintenant d’autres compagnons pour mettre en évidence l’ échec moral de la guerre contre les drogués.

L’autosupport dans la réduction des risques en 2001

Aujourd’hui, l’autosupport est principalement incarné dans la réduction des risques par 3 structures : ASUD, Techno+ et les groupes rdr de Aides.
Le CIRC, toujours présent dans les médias, n’a pour l’instant pas pu ou pas voulu jouer la carte de la réduction des risques, il est vrai très aléatoire dés lors que l’on ne s’intéresse qu’au seul cannabis.

Asud décline ses activités au travers de 3 Programmes d’Echanges de Seringues (PES), 2 « boutiques », et une coordination nationale, également dépositaire du journal d’Asud. Ces actions sont financées à peu près à parité entre les fonds publics (DDASS/DGS) et Ensemble Contre le Sida. De plus quatre autres groupes Asud fonctionnent grâce au bénévolat et ne bénificient pas ou très peu de financement pour le fonctionnement de leur structure. Asud-national a initié une action de réduction des risques dans les milieux festifs (raves, concerts…) financée depuis 1999 par la MILDT. Le journal est édité à 20 000 exemplaires et paraît trois fois l’an. Toutes ses actions sont insérées dans le tissus associatif de la réduction des risques et occasionnent de nombreux partenariat avec Aides, MdM ou l’Association française de Réduction des risques (AFR). Cette dernière structure partage des locaux avec Asud-national depuis août 2000.

Auto-Support des Usagers de Drogues, Késako ?

Depuis 1992, l’Auto Support des Usagers de Drogues (ASUD) a développé une pratique quotidienne en direction des consommateurs de substances illicites. Les différentes associations qui composent le réseau ont accumulé un savoir pratique et théorique dans un champs d’application totalement nouveau : la gestion rationalisée de la consommation de stupéfiants.

Selon les régions,cette pratique se décline en simple groupe de parole, en programmes d’échange de seringues (p.e.s.), en interventions en milieux festifs, sans oublier la réalisation et la distribution du journal d’Asud. Ces expériences ont le mérite d’être diverses. Elles sont liées de façon formelle par une convention signée avec ASUD-national, dépositaire du nom. Le point commun des ces actions est donc leur identification par le sigle ASUD., dont le cadre éthique est définie par la Charte de l’Asudien et les Dix mesures d’urgence.

Sur le plan conceptuel toutes ces actions ont un point commun, elles procèdent de l’intérêt donné à la parole des usagers de drogues perçus comme acteurs essentiels d’une véritable réduction des risques. Or cette réduction des risques s’est trop souvent organisée sans intégrer l’apport décisif de l’auto support. Dans les colloques ou les communications scientifiques, la participation des usagers reste un objet confus car il mêle inextricablement deux niveaux de perception fondamentalement différents, le droit des malades d’un côté et la reconnaissance professionnelle de l’autre. Le droit à l’information et la nécessaire organisation des actions de réductions des risques autour des questions posées par les usagers eux mêmes, est une nécessité qu’il ne faut pas confondre avec la refonte des objectifs professionnels du  » soin aux toxicomanes « . Grâce à l’expertise de l’auto-support l’usage des drogues à risques réduits est intégré aux actions de prévention dites  » secondaires « . Ces deux niveaux, même s’il sont complémentaires, doivent être clarifiés, y compris dans notre réseau.

Les usagers de drogues : vecteurs essentiels de la RdR

Une véritable réduction des risques implique de placer les usagers au centre des actions. C’est le sens qu’il faut donner aux objectifs d’autodétermination, de revendication de l’usage, et d’identité d’usager. Autodétermination c’est le droit pour les usagers de consommer les substances de leur choix en réduisant les risques Ce droit inclut bien évidemment la possibilité de bénéficier de n’importe quel type de soin sans restriction de dosage qu’il s’agisse de réduire sa consommation à l’aide d’un produit de substitution, ou bien de bénéficier d’une cure de désintoxication dans des conditions décentes de prise en charge. Ce principe implique nécessairement de bénéficier d’une information fiable sur les différentes techniques d’usage et donc de garantir le droit à l’information sur les drogues mais aussi sur les traitements. Sur le terrain juridique et politique, la revendication de l’usage des drogues comme droit légitime et imprescriptible protégé par la déclaration des droits d l’homme et du citoyen de 1789 doit être envisagée pour des raisons morales mais aussi pour des impératifs de santé publique.
La visibilité de l’usage de stupéfiants dans la question du soin, comme par exemple lors des prises en charge hospitalière doit être une donnée habituelle comme peut l’être la consommation de drogues légales. Néanmoins, la définition d’une identité des usagers de drogues suppose d’être maniée avec précaution car cette revendication doit se concilier avec l’exigence de confidentialité de la vie privée des individus. Cette identité n’est concevable que comme objet de revendication dans un contexte politique de prohibition des drogues. En dehors de sa signification du point de vue légal le fait d’être consommateur de substances illicites n’a pas de lisibilité culturelle ou sociale. Bien loin de constituer une communauté, les usagers de drogues n’ont généralement pas d’autres points communs entre eux que ceux liés à l’échange de marchandises ou à la persécution policière.

L’usage à risques réduits : un nouvel espace professionnel

Depuis une décennie, l’irruption du sida parmi les usagers de drogues par voie intraveineuse a changé les perspectives du soin. L’abstinence de toutes consommations a cessé d’être la seule réponse admissible du point de vue éthique. L’une des conséquences de ce changement a été la constitution de groupes comme ASUD, explicitement constitués d’usagers et non plus d’ex-usagers comme il en existait au Patriarche ou à Narcotique Anonymes. Organisés dès l’origine comme un espace de réflexion sur les sur les effets et sur les méfaits de la consommation de psychotropes. Asud s’est assigné comme objectif de pouvoir fournir une information fiable en matière de drogues du point de vue des utilisateurs. Ce recours à l’éducation par les pairs doit être interrogée à l’aune de l’absence des professionnels du soins sur ce créneau. Un document comme le manuel du shoot à risques réduits a été conçu et réalisé par Asud, association d’usagers, en raison de l’absence de communication sanitaire émanant des autorités en direction des usagers de drogue.
Le caractère professionnel de l’action d’Asud a été renforcé par l’embauche systématique par l’association des militants les plus performants. Les champs de compétences se sont élargis passant progressivement de la rédaction d’articles ou de brochures à la communication orale lors des colloques scientifiques, sans oublier le travail de terrain et la gestions des équipes dans les groupes locaux. La technique de l’usage des drogues reste un objet professionnel neuf, encore nimbé de suspicion morale et politique. Il n’empêche que toutes les avancées de ces dernières années en matière de drogues ont été obtenues sur ce terrain. La reconnaissance et la proximité avec les pratiques d’usage sont donc autant des objectifs de l’auto support que des outils nécessaires à l’élaboration des politiques de santé publique en matière de drogues.

Conclusion

L’auto organisation signifie pour nous d’être en mesure de désigner clairement ce qui dans notre réseau se rapporte à l’un ou à l’autre des domaines d’intervention englobés sous le terme commode d’auto support. S’il s’agit de la place nécessaire accordée aux usagers de drogues en tant qu’usagers du système de soins notre légitimité s’appuie sur notre capacité à évaluer la qualité de la prise en charge dont bénéficient les  » toxicomanes « ,  » La notion de militantisme est au cœur de ce type d’action qu’il convient toutefois de différencier de la revendication de l’usage qui ressort plutôt de la politique de lutte contre la prohibition. La difficulté de ce travail de clarification réside dans les multiples correspondances entre ces deux dossiers militants lesquels matérialisent des aspects complémentaires de la défense de la citoyenneté des usagers de drogues.
Pour ne rien simplifier la professionnalisation croissante au sein d’Asud est également complémentaire des aspects militants de ce que l’on a coutume de nommer la santé communautaire. Un exemple, notre participation à la commission consultative des traitements de substitution appartient à quel registre ? Sommes nous les représentants des usagers ou des experts de l’usage de ces traitements ?
L’enchevêtrement de significations des termes auto-support, usagers de drogues, santé communautaire, actions de première ligne et réduction des risques nécessite un important travail de clarification. Ce travail possède une dimension citoyenne corellée à la question des droits de la personne et un volet professionnel lié à l’émergence de nouveaux champs conceptuels en réduction des risques. Il est de notre intérêt de prendre l’initiative de ce débat sous peine de voir d’autres que nous s’en emparer puis nous imposer ensuite leurs conclusions.

Historique de l’auto-support

Aux Origines d’Asud, le « self help » hollandais.

En 1992, l’un des concepteurs du projet ASUD est un sociologue d’origine égyptienne, Abdallah Toufik, soucieux de prolonger au pays des Droits de l’Homme une organisation européenne d’auto-support, le European Interest Group of Drugs Users (E.I.G.D.U.).

Cette filiation a fixé précocement les bases théoriques d’Asud. Le modèle « sociétal » , dont le Junky bond hollandais fut l’incarnation principale durant les année 80, est une version européenne, humaniste et sociale du self support. Ce modèle accorde une part prépondérante aux questions sociales et politiques dans la dynamique d’un groupe d’auto-support d’usagers de drogues. L’analyse de la consommation de substances illicites est entièrement organisée autour de la prohibition des drogues et de ses effets socio-économiques.

Ce modèle européen, basé sur la reconnaissance de la citoyenneté des consommateurs de stupéfiants est adopté par les usagers de drogues(u.d.) français, dans un pays où la question des droits de l’homme est un médiat fréquent des groupes opprimés (immigrés, taulards etc…). Logiquement la première mesure d’urgence réclamée par ASUD est la dépénalisation de l’usage de toutes les drogues .

ASUD se structure comme n’importe quel groupe antiprohibitionniste qui veut exercer une pression sur l’opinion pour changer la loi. Les non-usagers désirant se joindre au combat sont prévus par les statuts (40% des instances associatives). La création d’Asud en 1992 se fait autour d’un projet de journal de prévention, à la fois outil de propagande et organe de réduction des risques liés à l’usage de drogues, susceptible d’être toléré malgré le contexte répressif français. Les préoccupations sanitaires apparaissent naturelles, puisque visant à l’amélioration des conditions de vie des u.d., mais elles sont également articulées à une nécessaire modification du cadre légal régissant les stupéfiants.

Cette primauté du politique sur les objectifs de santé publique se double d’un certain ressentiment à l’égard d’un système de soins dont on conteste les postulats. L’équation drogué=malade, si elle satisfait la profession médicale qui y voit une possibilité d’arracher les u.d. au statut de délinquant, n’est en rien partagée par des militants d’Asud, pour lesquels l’argument majeur de la dépénalisation est à rechercher dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789.

Asud: quels militants ?

culpabiliteDans toute tentative d’analyse de la question de l’usage de drogues, il est essentiel d’intégrer l’importante question de la culpabilité morale générée par le caractère illicite de la consommation.
Ce problème structurel, dont les potentialités dévastatrices ne sont plus à démontrer depuis Freud, brouille toutes les données concernant les u.d. Il perturbe leur propre discours, il modifie le regard qu’ils portent sur eux-mêmes, il accentue tous les aspects négatifs consécutifs de la répression.

A l’intérieur d’un groupe de pairs comme N. A. (Narcotic anonymous), le self-help est principalement basé sur cette grande culpabilité inhérente à l’usage de drogues. Le projet individualiste et volontariste de N.A. est semblable à la machine « bull worker « des années 50. Il y a « avant », des loques mentales sous l’emprise de la drogue, incapables de différencier le bien du mal. Il y a « après », le « dépendant » sevré et abstinent puise sa force de conviction dans le dégout que lui inspire son double démoniaque d’avant: le toxico. Grâce aux puissants véhicules moraux qui s’appellent déculpabilisation et volonté d’expiation, les ex-drogués sont capables de nombreux sacrifices. Certains d’entre eux utilisent cette énergie pour enfin aimer, travailler s’insérer dans la société de leur semblables au prix de la négation d’une partie d’eux-mêmes.

Ce cheminement psychologique est parfaitement compréhensible. L’usage de drogues, particulièrement l’usage intraveineux, est un acte lourd, à la fois provocateur et initiatique. Très souvent il est l’aboutissement d’un processus antérieur de défi aux normes sociales. D’autre part, les consommateurs d’héroïne ou de cocaïne sont rapidement soumis à une dure pression financière. Cette impérialisme de la question monétaire dans l’organisation sociale des u.d. rapproche logiquement ce groupe humain de l’univers de la délinquance. Face à la nécessité de drainer chaque jour de fortes sommes, la plupart revendent, quelques-uns travaillent (parfois très dur), d’autres volent, bref beaucoup se retrouvent un jour ou l’autre à devoir gérer d’un point de vue éthique, la transgression de la loi.
Cette accumulation de transgressions ajoutée à la réprobation morale que l’ensemble de la société jette sur l’usage de drogues, peut devenir absolument intolérable. Plutôt que de continuer à préserver quelques principes, à l’intérieur de choix éthiques personnels, certains u.d. préfèrent abdiquer tout sens moral. Devant la difficulté de se concevoir à l’intérieur de la transgression, mieux vaut briser le miroir, et céder à une spirale de l’abandon et à son cortège de déchéances.

A l’inverse de ce schémas très proche des stéréotypes dominants, d’autres u.d. essayent vaille que vaille de maintenir un cap fragile entre le bien et le mal à l’intérieur de l’usage de drogue. Un certain nombre de questions têtues viennent relancer le libre arbitre des usagers, par delà le confortable refus des valeurs bourgeoises. Le problème du partage dans un contexte de pénurie de produit, l’attitude commerciale des revendeur(ses), l’attitude face à la police, le comportement adopté par rapport à la prostitution, autant de facteurs qui replacent l’individu face à ses propres choix.
Cette persistance du libre-arbitre en contradiction avec la prétendue aliénation provoquée par la drogue doit également se concevoir en fonction de degré de culpabilité engendré par l’acte lui-même. Certains u.d. n’ont pas vécu l’usage de drogues comme péché mortel. Leur expérience les conduit à mettre en doute la pertinence d’une condamnation morale sans appel de produits parfois consommé dans la joie et la convivialité. L’opposition artificielle établie par la société bourgeoise entre La drogue et La vie ne correspond pas à leur propres critères, où la vitalité est parfois synonyme de consommation et l’abstinence trop proche de la stérilité et du néant. Par ailleurs, ces réfractaires au« fléau de la drogue », ont su préserver des repères moraux, sans pour autant renoncer à la transgression, mais en conservant suffisamment d’espace narcissique pour pouvoir utiliser le succès professionnel ou mondain comme signe de reconnaissance sociale.

Le succès rapide du journal d’Asud est certainement lié à cet espace laissé en jachère par l’ensemble des « intervenants en toxicomanie ». Toute une catégorie d’usagers est restée longtemps désemparée, déroutée par des réponses thérapeutiques inadaptées et des stéréotypes moraux dans lesquels elle ne se reconnait pas. Souffrant d’un lourd déficit identitaire à l’extérieur de l’usage de drogues, ils se jugent néanmoins incapables de gérer à long terme les contraintes économiques et sociales qui pèsent sur le « toxicomane ». Souvent partiellement socialisés, ou tout au moins candidat à un mode de consommation ne mettant en péril ni leur santé ni leur vie sociale, ils sont les clients potentiels idéal de la substitution.. L’émergence d’Asud permet à ce type d’usager de ré-occuper un espace plus conforme aux catégories mentales qui sont les leurs, sans devoir pour autant rompre avec l’usage de drogues.

Il s’agit d’une démarche humaniste qui réintroduit l’individu au coeur de son destin. L’être humain est censé pouvoir gérer l’usage de nimporte quelle molécule chimique, créée par lui-même pour son confort et son plaisir, à condition que ne viennent pas s’intercaler la volonté de puissance d’autres hommes. Mieux, pour déterminer ce qui transforme le plaisir en aliénation, Asud propose d’utiliser l’héritage philosophique du XVIIIe siècle. La Raison, la science, le courage individuel, autant de ressources déniées jusqu’alors aux « toxicomanes », mises au service de la gestion des produits stupéfiants. Cet appareillage intellectuel et moral permet de dénoncer ce qui socialement et politiquement maintient les usagers dans une position délinquante. Contrairement aux propos de certains sur le « contrôle social » , le souci d’intégration des usagers est une victoire de la liberté. Cette revendication normative est avant tout citoyenne, mais pour comprendre cela il faut rompre avec l’exhibitionnisme et une forme de masochisme très judéo-chrétien qui caractérisent l’image des drogués dans la culture occidentale . Le milieu des intervenants en toxicomanie s’est fait une spécialité depuis vingt ans de parler au nom des pauvres « toxicos », lesquels sont de fait privés de toute parole intelligible, en dehors du rituel consacré (moi, toxico, prostitué etc…). Le Journal d’Asud, en se réapropriant cet outil symbolique qu’est le Verbe a commis un sacrilège. La question du sacrilège est bien le coeur des problématiques soulevées par l’auto-support. L’ensemble de nos propositions de travail sur la réduction des risques procède d’un postulat effrayant: l’usage d’héroïne ou de crack est un choix positif, opéré délibérément par un cerveau comptable des avantages et des inconvénients imputables à cette consommation. Ce qui devient aliénation, ce qui l’a toujours été et le sera toujours, ce sont les conditions infamantes et dégradantes dans lesquels la société maintient cet usage. L’aliénation, c’est la volonté de soumission et d’asservissement que font peser des hommes sur d’autres hommes, que le prétexte en soit la race les habitudes sexuelles ou la consommation de drogues.

Ce discours révolutionnaire scandalise non seulement les professionnels du secteur spécialisé, mais également, la plus grande partie des usagers eux-mêmes. En rupture avec plusieurs décennies d’auto-apitoiement et de misérabilisme, l’image de l’usager-de-drogues-responsable-de-ses-actes élimine toutes possibilités de recours au parachute social, sanitaire et juridique élaboré parallèlement au concept de « toxicomane ». Semblables aux « oncles Tom », libérés brutalement par la cavalerie nordiste et refusant de quitter leur bon « masta », les u.d. découvrent l’intérêt paradoxal du statut d’irresponsable. Le « toxicomane », catégorie singulière de sous-citoyen reconnu par la loi du 31 décembre 1970, n’est censé ni tenir une promesse, ni endurer les contraintes d’un emploi salarié, ni fonder une famille. Tout ce qui lui est demandé est de se soigner, ou au minimum d’en faire la demande formelle. Que ce soin dure ensuite 20 ans ou toute une vie, peu importe…

Les usagers d’Asud vont donc en peu d’années mesurer les ravages psychologiques que la culture du déni a entraîné, y compris au travers de leur propre mode de fonctionnement.

L’impossible communautarisme

identiteLa redéfinition de l’image des usagers de drogues recèle pour les militants d’Asud de fortes problématiques identitaires. Il s’agit certes de changer la loi, mais pour construire un nouveau modèle d’usager qui supplante le « tox » dans l’imaginaire des consommateurs. Enfin il s’agit surtout de préserver sa propre santé tout en utilisant des drogues, ce qui diffère d’une démarche purement abolitionniste se référant exclusivement aux Droits de l’Homme.

Les militants d’Asud se sont reconnus. Lors de l’essor du réseau entre 1993 et 1996, on a pu noter une certaine homogénéité des premiers militants.

Si leur origine sociale est extrêmement disparate, la majorité d’entre eux est constitué par des hommes, âgés de 30 à 40 ans, ex-injecteurs d’héroïne et sensibilisés à la rdr par le biais de la substitution. Pour ces victimes de la répression de l’usage , se retrouver et parler de drogues comme les vicomtes de la chanson (quand un vicomte etc…) possède une dimension réellement ludique. Un enthousiasme mêlé d’euphorie a présidé aux premières réunions nationales d’Asud . Les u.d. n’en revenaient pas de découvrir tant de semblables, animés par les mêmes idéaux de responsabilités et de citoyenneté. Très vite, le noyeau des militants historiques a pris conscience de sa spécificité, et l’optimisme de rigueur à l’époque a masqué les potentialités de dérives communautaires. Mais surtout, l’intérêt intellectuel que nous portons aux produits et leurs effets a permis d’ouvrir une question vierge en France, où le secteur spécialisé, nourri du bréviaire psychanalytique, considère les produits comme des symptômes, donc négligeables en termes de soins.

Sur cette base, le Journal d’Asud acquiert de l’audience. Les militants se sont découverts détenteurs de ce savoir jusqu’à présent dédaigné: « les drogues modes d’emploi » . Toute la cuisine interne du tox (techniques de shoot etc…) est mise à contribution pour nourrir l’information des professionnels de la rdr . Le succès d’un document comme « le manuel du shoot à risques réduits » renforce le sentiment de supériorité des drogués d’Asud sur une partie du secteur spécialisé, plutôt ignorants de l’appareillage technique des drogues.

Avec l’apparition de la substitution, les nouveaux militants sont moins préoccupés par les droits de l’Homme en général que par les mérites comparés de la méthadone et des sulfates de morphine. Or le postulat de départ était l’identité des u.d. avec les autres membres du corps social et la volonté de s’exprimer en citoyens libres, nantis de droits et de devoirs. Pour beaucoup de militants, ce postulat s’est transformé en conscience de besoins et de comportements spécifiques. Le Journal d’Asud devient un emblème pour des u.d., souvent très précarisés, humiliés, qui enfin se sentent valorisés par un média élaboré par leurs semblables. Ce nouveau contexte, que l’on peut qualifier de « tribal », hérite d’une partie des coutumes du monde de l’usage de drogues, par exemple, une forte consommation d’alcool (produit licite) pendant les réunions. Les non-usagers se sentent perdus dans une ambiance où l’on communique par codes. L’usage de drogues devient la seule légitimité au sein d’Asud, avec une préférence pour ses marques extérieures visibles. Le seul savoir reconnu est celui du consommateur, donc un savoir-être et non un savoir-faire. ASUD aspire à être un « syndicat de junkees. ». La question sociale est posée d’emblée du fait de l’appartenance au monde de la rue des nouveaux u.d. attirés par ASUD. Le groupe d’auto-support tente de servir d’institution-relais pour la réinsertion de marginaux ou d’anciens taulards. Une personne sdf est même embauchée à comme accueillant en 1996. Les contacts avec le monde associatif en lutte contre la précarité se sont multipliés entre 1994 et 1996.

Ce positionnement a permis de faire émerger au sein de l’association un certains nombre de débats essentiels. Tout d’abord la constatation évidente que contrairement aux discours « citoyens-comme-les-autres », l’usage de drogues est considéré par certains u.d., comme un mode de vie à part entière, les problèmes posés par la consommation de stupéfiants sont alors imbriqués avec la question sociale, y compris la contestation de valeurs bourgeoises liées au travail salarié. Dans le même ordre d’idée, le l’exercice de la vie associative, fait rapidement apparaître la nécessité pour un grand nombre d’usagers de faire l’apprentissage de la démocratie.

Paradoxalement, c’est leur volonté d’apparaître collectivement qui permet aux usagers d’évaluer tout le caractère réducteur de la fiction communautaire. C’est parce qu’ils sont enfin visibles qu’ils se découvrent tellement différents les uns des autres. La pseudo-culture des drogués est négative, directement issue de la répression. Les valeurs identitaires, traditionnellement prisées par les communautés, s’avèrent extrêmement complexes à manier dans le cadre des associations d’usagers.

Le communautarisme junk est une notion ambiguë et contestable souvent associée à des comportements délinquants (deal, violence, etc…). L’usage de drogues lui-même est relégué en-deçà de la démocratie par la police et la justice. Les rapports entre usagers sont réglés par l’intérêt financier ou affectif et la force brutale. Le fonctionnement tribal est difficile à conjuguer avec démocratie associative, car la tribu obéit à un chef auquel tous les membres s’identifient, l’unanimisme y est de rigueur. Le fonctionnement tribal suppose une confusion absolue entre vie privée et vie associative, d’où extrême acuité des conflits d’intérêt ou de pouvoirs qui prennent l’apparence de querelles familiales.

Le sucés d’une action »syndicale » d’Asud aurait supposé deux choses: un consensus sur le caractère « communautaire » et les signes d’appartenance à cette communauté, et une amélioration de la condition sociale des u.d. via l’auto-support. Or l’intégration sociale des u.d. accueillis se heurte aux réalités d’une société en crise depuis 25 ans, impitoyable pour tous les pauvres. Cette question renvoie le positionnement communautaire à ses vraies limites, c’est à dire bien au-delà de la question de l’usage de drogues. ASUD est incapable de combler les lacunes et les névroses engendrées par 10, 15 ou 20 ans d’exclusion sociale.

La réduction des risques : un succès pour l’auto-support.

Le principal volet de la rdr repose sur la possibilité pour les u.d. de prendre en charge une partie de leur traitement, démarche qui suppose le recours à la peers education . La gestion des produits de substitution par les patients eux-mêmes met en évidence le concept de responsabilité positive des usagers. Dans le même axe que les modifications de comportement induites par le décret Barzach, la diffusion des sulfates de morphine, de la méthadone, puis du Subutex, confirme le volontarisme des usagers pour préserver leur santé et s’insérer socialement. C’est bien parce qu’il sont au départ responsables de leur usage de substances illicites, que les patients substitués peuvent ensuite exercer un empire rationnel sur la consommation de ce qui, en l’état, demeure des stupéfiants. L’intérêt nouveau des laboratoires pour l’évaluation de l’effet des opiacés (euphorique ou non etc…) rejoint les préoccupations d’Asud. Un nouveau chapitre de la réduction des risques est ouvert par la nécessité non plus systématiquement « d’arrêter la drogue » mais plutôt de gérer sa consommation de stupéfiants. Tous ces nouveaux espaces de réflexion sont investis par des militants de l’auto-support de plus en plus professionnalisés.

Le contact permanent avec les institutions, la gestion des budgets, l’hostilité d’une partie du secteur spécialisé, autant de nouvelles données qui nécessitent un minimum de rationalité en interne. Le fonctionnement tribal d’Asud a donc été sérieusement mis en question. Conséquences, quatre ans après la création, on assiste dans tous les groupes au même recentrage: recul du bénévolat et des objectifs militants, démocratisation et rationalisation des rapports en interne.

L’auto-support français a trouvé un cadre légal, celui du soin. Usager des services sanitaires, plutôt qu’usager de drogues, voilà le nouvel espace qui nous est consenti . Nous l’utilisons en apprenant petit à petit à jouer le jeu consensuel qui fonde tous les groupes humains, le respect des règles.

Conclusion

La rigidité du cadre légal conditionne l’existence du volet militant de l’auto-support. Ce volet devrait plutôt être renforcé par un mouvement d’opinion non-ud, indigné par les atteintes aux droits de l’homme perpétrées au nom de la guerre à la drogue.

4 ans d’expérience au sein d’Asud montrent que
le travail des militants recouvre une réalité multiforme: problèmes légaux, problèmes sociaux, problèmes économiques. Sous couvert de Guerre à la drogue c’est souvent une guerre au pauvre ou au réfractaire social qui est menée.Cette confusion ne doit servir d’écran ni au citoyen, ni au législateur.

De nombreuses avancées dans la connaissance de l’effet des produits peuvent être réalisées grâce au travail d’usagers ou d’ex-ud lancés dans la rdr. Maintenue dans le champ sanitaire du fait de la loi, la substitution montre que nous sommes passé à une phase d’intégration des drogues dans la société. Notre travail porte également sur la construction d’une identité d’usager de drogues intégré socialement, question neuve et pratiquement vierge. Dans cette optique il est nécessaire de former de nouveaux professionnels, mi-oenologues mi-travailleurs sociaux, et surtout ne pas perdre de vue que si demain toutes les drogues étaient légalisées, le volet militant d’Asud disparaîtrait sans que cela résolve pour autant la crise sociale, économique, et encore moins le caractère impitoyable de la société de consommation.

L’Observatoire du Droit des Usagers est en ligne

Depuis longtemps, Asud travaille dans le cadre de la loi du 4 mars 2002, dite « loi Kouchner », pour relayer des problèmes de prise en charge des usagers de drogues.
Afin d’officialiser cette action, nous avons obtenu en 2007 un agrément national pour représenter les patients accueillis dans les structures de soins et, le cas échéant, pouvoir porter leurs intérêts en tant que personne morale.

Jusqu’à aujourd’hui, nos actions restaient ponctuelles, individualisées et uniquement fonction de la résolution de problèmes concrets : trouver un autre centre en cas de conflit (refus de prescription ou divergences sur les posologies) ou réorienter vers des partenaires situés dans d’autres zones géographiques (au hasard : Paris).

Le projet « ODU » est plus ambitieux : il s’agit d’organiser la remontée de ces informations au bénéfice d’une optimisation de la prise en charge. Une page web dédiée va permettre aux usagers de formaliser clairement leurs problèmes grâce à une liste de rubriques déjà inscrites. Pour mieux comprendre, faites un clic.

Cet outil a le mérite de pouvoir être utilisé à distance et repose sur la synergie que nous souhaitons mettre en place avec les acteurs du soin et de la réduction des risques. Notre but est d’utiliser ce nouvel espace au service de la médiation entre les usagers et le système de prise en charge, pas de renforcer les facteurs de confrontation, , alors que la grande majorité des soi-disant malades sont souvent des consommateurs récréatifs.

Ce projet s’adresse à tous les usagers, ceux du secteur médico-social (Caarrud/Csapa), ceux du secteur hospitalier (Elsa, urgences…) et bien entendu, ceux de la médecine libérale. Nous avons l’ambition d’être une voie supplémentaire de résolution des problèmes posés par l’accès aux droits de ces patients un peu particuliers que sont les consommateurs de substances.

Concrètement, au-delà de la page web d’Asud, vous trouverez des affiches et des flyers indiquant l’existence de l’ODU dans toutes les bonnes salles d’attente. N’hésitez pas à les mettre à disposition de vos ami(e)s, maris, femmes, voisins, voisines, l’ODU est à la disposition de tous ! Cet outil en ligne vous permettra de communiquer directement avec nous sur la qualité de votre prise en charge.

Nous comptons sur votre mobilisation dans l’ensemble du projet, sachant que vous pouvez décliner votre implication tant sur le plan local que régional, voire aussi au niveau national. Si l’observatoire vous intéresse et que vous désirez vous y impliquer, connectez-vous sur la page ODU.

Une action mise en place par Asud en partenariat avec Aides et la Fédération Addiction, avec le soutien de la Direction générale de la santé (DGS, Bureau des pratiques addictives).

50 produits testés par ASUD pour son numéro 50

Pour le numéro 50 du journal, Asud a testé pour vous 50 produits. L’idée a germé lors d’un comité de rédaction particulièrement psychoactif. L’angoisse était palpable du fait de la dimension métaphysique de l’enjeu : Asud-Journal sort sa cinquantième édition et pas question de laisser passer l’événement dans l’indifférence générale.

La loi Evin ayant été enfermée aux toilettes, l’atmosphère s’alourdit, jusqu’à ce qu’une lumière étrange illumine le plus chéper d’entre nous. «  Alléluia, mes frères, dit-il entre deux transes mêlées d’hallucinations, et pourquoi pas un n°50: Asud a testé pour vous 50 produits ? » Un retour aux fondamentaux en somme. Le challenge était double : réussir à décrire une substance en quelques lignes sans enfreindre le fameux article L. 3421-4 du code de la santé publique qui punit toute incitation à l’usage d’un produit stupéfiant. Le tout en un paragraphe. Un vrai casse-tête, même pour notre équipe de journalistes gonzos archi-capés en drogues diverses. Outre qu’il a fallu puiser dans nos archives très privées, revisiter nos jardins secrets, se remémorer des «  premières fois  » pas toujours flatteuses pour l’ego, le flirt avec la présentation sous un jour favorable a rendu l’exercice périlleux.

Abstinence, usage, abus et dépendance sont les quatre piliers de la consommation. La loi impose l’abstinence, mais la réalité est constituée de millions d’usagers de drogues à l’image des lecteurs de ce journal. Pour ne pas devenir abusifs ou dépendants, ces consommateurs devraient bénéficier d’une culture de l’usage raisonnable, de la fameuse modération qui pour certains doit aller jusqu’à l’abstinence. Hélas, nous ne sommes pas égaux devant les substances.

Concrètement, notre fibre d’usagers militants s’est retrouvée prise en otage par la double injonction contradictoire qui est au cœur de ce journal : ne pas cacher le plaisir que chacun retire d’une prise de drogues, tout en dénonçant les ravages de la culture «  trash  ». Le ban et l’arrièreban de la milice Asudienne s’est pliée à l’exercice. Merci pour ce grand élan de solidarité psychotrope.

À vous de juger si le grand écart est réussi ou si nous manquons de souplesse.

Liste des 50 produits testé par ASUD à découvrir dans ASUD-Journal N°50 :

  1. 2C-I
  2. Absinthe
  3. Alcool
  4. Amphétamines
  5. Angry birds
  6. Banane séchée
  7. Caféine
  8. Cannabis
  9. (CBD) Cannabis thérapeutique
  10. Champignons hallucinogènes
  11. Cocaïne
  12. Crystal meth
  13. Codéine
  14. Datura
  15. DMT organique
  16. DOB
  17. Éther
  18. GHB/GBL
  19. Héroïne
  20. Huile de cannabis
  21. Iceolator hasch
  22. Kanna
  23. Kava Kava
  24. Kétamine
  25. Khat
  1. Kratom
  2. LSA (Hawaiian Baby Woodrose)
  3. LSD 25
  4. MCPP
  5. MDA
  6. MDEA
  7. MDMA et ecstasy
  8. Méphédrone
  9. Méthadone
  10. Méthoxétamine
  11. Morphine
  12. Noix de muscade
  13. Opium
  14. PCP
  15. Philosopher’s Stones
  16. Poppers
  17. Ritaline
  18. Rohypnol
  19. San Pedro
  20. Salvia Divinorum
  21. Solvants / Proto
  22. Speedball
  23. Subutex
  24. Tabac
  25. TMA-2

Outre-Manche : tous unis contre la guerre à la drogue

Invité à s’exprimer lors du congrès annuel des personnes en « Recovery Treatment  »1, Matt Southwell, vieille connaissance d’Asud, expose les enjeux d’un rapprochement entre les groupes d’autosupport d’usagers de drogues et les associations prônant l’abstinence : si vous dites non à la drogue, dites aussi non à la guerre à la drogue.

Les groupes d’autosupport datent de la fin des années 70, avec la création du réseau de traitement de substitution méthadone (NAMA) aux États-Unis et celle du Junkie Bund à Rotterdam et Amsterdam. Le mouvement d’origine en Angleterre, représenté par des groupes comme Respect et Chemical Reaction (CR), retrace son histoire jusqu’aux racines hollandaises (…).
Pour comprendre les préoccupations des usagers de drog ues, il est important de les placer dans le contexte de notre histoire. Dans les années 90, lorsque Respect et CR ont été créés, les usagers militants étaient déjà partie prenante des actions contre le sida dans nos communautés. Les usagers activistes étaient impliqués dans l’éducation des pairs, le travail de rue et la mise en place de programmes d’échange de sering ues, même si ceuxci ont dû commencer dans l’illégalité, comme à Édimbourg. Ces groupes de terrain avaient noué un dialog ue avec le secteur thérapeutique spécialisé et occasionnellement, certains usagers ont même obtenu des emplois au sein des ces ser vices, en dépit des deux années d’abstinence requises.
Des services efficaces ont vu le jour grâce aux financements pour le VIH et contre l’abus de drogues. Cependant, lorsque la crise s’est résorbée, l’intérêt pour une implication active et significative des personnes consommatrices de drogues s’est aussi affaibli. En Écosse, foyer de l’école de pensée puritaine, les choses sont encore pires sous l’influence du gouvernement écossais. Après avoir été un modèle de participation collaborative, l’engagement de ces patients dans les services de soins est au plus bas, sauf à vouloir jouer le rôle du drogué reconnaissant. Conséquences : une réelle méfiance et dans de nombreux cas, un désengagement vis-à-vis du système de soins.

Un rapprochement stratégique

Respect et CR voient maintenant le système de soins comme un environnement largement hostile, qui nous fait perdre notre temps dans des réunions politiques prêtant peu attention à la science, et qui résiste activement à notre engagement. Plusieurs de nos activistes choisissent ainsi de s’éloigner des services spécialisés et de s’investir dans le soutien des pairs, dans leurs problèmes juridiques, leur besoin de conseils de réduction de risques ou de coaching pour contrôler leur consommation, ou face aux pressions du gouvernement(…). Les usagers de drogues militants qui sont restés représentants actifs dans le système de soins doivent cacher leur consommation et laisser les gens croire qu’eux aussi sont, comme les autres, « en rémission  ». Les pairs qui y travaillent sont devenus des «  champions  » de l’abstinence ou de façon moins condescendante, des assistants à l’abstinence. Le travail de rue consiste désormais à convaincre ceux qui sont encore dans le déni, et les ser vices de soins pour toxicomanes semblent rejouer une version de la réhabilitation tout droit venue de la révolution culturelle chinoise. Membres d’Inpud2, nous voyons les terribles abus commis contre les usagers de drogues au nom du traitement de la toxicomanie, ce qui nous fait apprécier le fameux système anglais malgré toutes ses limites. Nous avons le devoir de défendre ce modèle pour nos pairs britanniques et pour les activistes usagers de drogues du monde entier, qui le voient comme porteur d’espoir et de pratiques basées sur des preuves empiriques.
Au Royaume-Uni, les usagers de drogues militants de la réduction des risques et le mouvement «  Rehab  » ont entamé un rapprochement stratégique autour de quelques valeurs communes. La guerre livrée aux drogués est un fléau qui pèse sur tous les individus ayant fait l’expérience de l’usage. Quel que soit le niveau de leur consommation, tous les drogués du monde connaissent le poids de la stigmatisation et de l’exclusion. Que les choses soient claires, nous ne tenons pas le mouvement de «  l’abstinence  » pour responsable du contexte actuel.

Nous mobiliser pour résister

Le nouvel agenda puritain instauré par le New Labour a été un cauchemar pour le mouvement des usagers en Angleterre, un modèle qui ne respecte même pas les normes de participation des patients du ministère de la Santé.
Lorsque nous nous rencontrons, n’oubliez donc pas que telles sont nos expériences et notre histoire. Nous venons avec la volonté constructive de créer des partenariats, mais pas au détriment de notre réalité. Nous sommes à l’un des points les plus bas de l’histoire du traitement de la toxico manie en Angleterre, mais nous devons nous mobiliser pour résister, le défi étant de gérer le débat sur les traitements sans cautionner l’oppression des usagers de drog ues.
Ne parlez pas en notre nom si vous n’êtes pas un usager de drog ues actif. Même si nous avons des expériences communes et parfois des intérêts communs, notre perception du monde est différente de la vôtre. Si vous vous trouvez dans un forum où la voix des usagers est réprimée, réagissez pour demander que notre droit d’être entendus soit respecté, même si vous n’êtes pas de notre avis.
Ne nous enfermez pas dans le rôle de «  patients  ». Le modèle qui présente l’addiction comme une maladie est très problématique. La propagation de cette idéologie américaine n’est pas basée sur la science et suggère que ce serait mieux si les consommateurs de drog ues n’existaient pas…
Évoquez la sobriété comme une des approches possibles, mais pas comme un modèle universel pour tous (…). Nous apprécions les opportunités de débattre et de dialog uer. Même si la science est tout à fait claire sur la valeur de la réduction de risques, la consommation de drog ues est complexe et nécessite des réponses multiples.

Nous souhaitons mieux comprendre les réseaux de traitement de la dépendance et les nuances entre les différentes composantes de ce «  mouvement  ». Nous sommes heureux de soutenir nos pairs dans les changements positifs survenus dans leurs vies et de les aider par quelque moyen que ce soit à réussir dans ce qu’ils souhaitent changer, dans la mesure où les options
sont validées par la science et qu’elles respectent les droits de l’homme…

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