Auteur/autrice : Marc Dufaud

in girum imus nocte et consumimur igni…

Au moment de m’atteler à cette Kronik, il s’est produit un
incident qui m’a, comme on dit, interpellé. C’était dans…
une pharmacie ! Oui, une fois de plus… Le comportement,
l’attitude éminemment discriminative d’une pelletée de
membres de cette corporation médicale me sidère.
Qu’en 2019 en plein Paris on en soit là… D’une part, c’est ultra
pénible en soi, mais ça en dit long aussi sur ce glissement singulier
vers un monde désincarné où le mot d’ordre de se mettre
« dans le sens de la marche » ressemble à s’y méprendre à se
mettre au pas afin « d’être en marche ». Au-delà de celui qui s’est
fait un devoir de nous y contraindre avec un mépris peu commun
pour ceux qui le contestent, stigmatisés comme « populistes » en
opposition aux « progressistes » (ben voyons !), au-delà, donc, il y
a cette angoisse face au suicide planétaire auquel sont conviés les
peuples du monde, impuissants face aux logiques de profits de
quelques intérêts très particuliers et gouvernements complices,
eux-mêmes secondés efficacement par des forces de coercition
ou/et des médias serviles…
Toujours est-il qu’à défaut d’être en marche ou au pas, il nous
a bien fallu accepter d’être en marge et ça n’a rien d’une
sinécure, c’est pas toujours glorieux et c’est hautement
inflammable.

« Oime au pays des pharmaciens »

Encore une fois, le genre d’incident « anecdotique » que je m’apprête à vous narrer n’est pas que symbolique ; en le replaçant dans son contexte et en élargissant le cadre, c’est toute une chaîne de coercition qu’on remonte. Alors quitte à enfoncer le clou autant y aller à fond. Qu’on ne s’y trompe pas, derrière le récit un peu décalé, amusé, qui suit se cache une vraie
révolte, couve une noire colère (et justifiée encore !), antidote à
une tristesse accablante. Alors voilà, soyons factuel, c’est parti,
« Oime au pays des pharmaciens », épisode 126 :

C’est un mardi de la fin octobre, il est 15 heures, j’entre dans l’officine, ma prescription de Subutex® en poche établie par une médecin de la rue de Charonne quelques minutes plus tôt. Conformément à la procédure en vigueur, elle a indiqué le nom de la pharmacie de délivrance (une aberration ce truc, mais passons). Dans la mesure où on ne compte pas moins de 8 ou 9 pharmacies dans un périmètre aussi restreint que les alentours du métro Charonne, je fais jouer la concurrence. À ma demande, la médecin a donc bien précisé par écrit le nom d’une nouvelle pharmacie, sur le boulevard Voltaire qui, d’extérieur, m’apparaissait fort sympathique : je ne suis pas certain d’avoir été extrêmement bien inspiré sur ce coup ! Toujours est-il que j’y suis. Derrière leur comptoir, deux pharmaciennes impassibles : la plus âgée, petite quinquagénaire ronde au teint méridional,
visage outrageusement fardé accentuant la lourdeur des traits et les cheveux frisottants teints en noir, a des allures de poissonnière, pour ne pas dire plus. Elle est aussi voyante que sa collègue en blouse est transparente, archétype de la trentenaire parisienne revêche, visage vide petits yeux, petites lèvres, petite âme (?). Je tends mon ordonnance et ma carte
très Vitale à la plus âgée. Moment fatidique que celui de la découverte de la nature de la prescription. C’est indicible, mais il se produit toujours une sorte de mouvement de recul et de condamnation immédiate, mécanique. Ici, le corps se raidit, les yeux ne décollent plus de la feuille, mélange détonant d’embarras et de condamnation. Je sens que ça jette un froid. « Mais, ce n’est pas si simple, monsieur, me fait mon interlocutrice, on ne peut pas délivrer ça comme ça, il va falloir monter un dossier. » Je pratique depuis assez longtemps ce corps de métier pour piger que ça va être assez pénible. J’interloque « Un dossier ? » La collègue qui s’était éloignée radine et, affectant de ne pas me calculer, consulte à son tour d’un oeil expert l’ordonnance « C’est le docteur X… ?, glisse-t-elle, elle fait n’importe quoi, elle, là. En plus, elle ne nous a même pas téléphoné. »

« Le problème, c’est vous monsieur »

Cette façon de mettre en boîte et en cause le professionnalisme ou les compétences de médecin bac + 10 par son parent pauvre bac + 6 qui ne le digère toujours pas et se venge en jouant les cadors, est assez commune. On n’est pas membre d’Asud sans avoir quelques notions sur le sujet même si, dans le genre, je suis loin d’être le plus armé : agacé, j’envoie ma science, je récapitule. Évidemment, ça me vaut une petite passe d’armes sur le sujet, dont je vous épargne les détails.

« Bref, fais-je pour avancer, comment ça un dossier ? Vous avez une ordo, je ne vois pas le problème. » La réponse de mon interlocutrice a bien failli me laisser sans voix. « Le problème, c’est vous monsieur, on ne vous connaît pas. » En français dans le texte – C.Q.F.D., sic ! (ou plutôt It makes me sick !). Il y a deux minutes, il était question d’une impossibilité liée à une contrainte administrative et soudain, c’est mon « étrangerie » (étrangeté ?) qui pose problème.

D’humeur badine donc, je rétorque : « Alors que vous faut-il, un CV détaillé ? Comment faire connaissance ? » Elle ne répond rien, occupée par l’examen scrupuleux d’un papier, pianote sur son ordi, examine ma carte Vitale. Je romps ce silence, « Dans la mesure où on a une ordonnance… », « Ah, détrompez-vous, me coupe-telle, nous pouvons refuser », à l’unisson parce que la trentenaire curieusement en retrait fait son comeback. Dieu, que c’est lourd ! Pénible aussi ce regard plein de sous-entendus entre dédain et pitié – on évolue dans une zone floue et silencieuse, au sein de laquelle, on me fait bien mariner.

« En revanche, nous n’en avons pas, il faudra revenir demain après 10 heures », lance la poissonnière – je n’ose pas croire que c’est faux. J’acquiesce.

Le lendemain, me revoici donc, gling gling j’entre : la méridionale est au téléphone, l’autre, plongeant les yeux vers le bas, ouvre de petits cartons et des emballages plastiques derrière le comptoir avec une soudaine concentration. Pas le moindre bonjour/j’attends/ la trentenaire parle seule pour se donner de la contenance, énumère des chiffres compte les sachets de ci, les références de ça.

Fatigant leur petit jeu social ! La parade consiste à commencer à fureter un peu partout dans l’officine. Ça, ça marche à fond. Alors, je fais mine de m’intéresser aux produits derrière moi, j’attrape une boîte de bonbons à la menthe bien médicaux justifiant sans doute leur prix prohibitif, je lis les notices sur les lotions, je tripatouille les brosses à dents, je les repose. Inquiètes, l’une et l’autre sont aux aguets, d’autant qu’un type dans mon genre, c’est pas voleur par nature, ça ? La bonne mère abrège sa conversation téléphonique, s’éclipse dans la réserve un court instant, et revient avec mes boîtes. Mutique, je dépose ma carte Vitale sur le comptoir.

Ce nouveau face-à-face silencieux se déroule dans une nouvelle zone grise sous le sceau d’un pacte de non-agression tacite qu’on doit à la vigueur de nos échanges de la veille. Faudrait pas briser un tel moment de grâce ! Claquemurée dans son monde parallèle, la blondasse, elle, poursuit avec une assiduité peu commune sa tâche et son énumération à voix basse mais audible. Ça fait une espèce de bourdonnement sonore.

Primum non nocere

Alors que j’attends la finalisation de ma commande, un petit vieux entre dans la boutique, prend en rayon un savon et, avec une éducation parfaite (ou une servilité sans nom), se place sur la ligne marquée au sol définissant la zone d’attente non collée au comptoir derrière laquelle la clientèle est priée de se tenir. La trentenaire relève la tête : « Monsieur ? », qui signifie « Approchez ! ». Il s’avance, pose son produit qu’elle récupère et scanne et là, métamorphose ! Le bourdonnement antérieur qu’elle émettait mute en une voix claire et bien mercantile, une voix haut perchée et « chantante » sur une mélodie d’épicière : « Monsieur, bonjour… oui, ça fait donc 5,90… c’est parfait… une bonne journée à vous aussi ! »

« Je photocopie votre ordonnance et je vous la rends », me fait l’autre en repartant vers la réserve. Au passage, elle fait viser le papier à sa collègue. « Il y a un souci, lui signale cette dernière, qui n’a en réalité pas perdu une miette de ce qui se passe avec moi, il faut noter le numéro de chaque boîte, et le reporter sur le carnet et… », blah blah blah. Leur cuisine interne de bonne ou mauvais de foi ne me concerne pas. Je m’astreins à ne rien montrer de mon impatience mais elles commencent à me courir un peu.

– « Voulez-vous un sac pour vos boîtes ?, finit par demander la vieille

– Ça ira merci, au revoir ! »

Sur le mur, au-dessus de l’arche conduisant à leur réserve, elles ont
placé cette citation : « Primum non nocere », c’est-à-dire « En premier ne pas nuire ». C.Q.F.D. !

Je tiens la mienne à leur disposition : « Nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes dévorés par le feu », comme les papillons de nuit de Virgile. En plus, c’est un palindrome parfait !
In girum imus nocte et consumimur igni…

Marc Dufaud

Loaded (version schizophrène)

Un esseulement total. Parfaite solitude. Claustré dans quelques mètres tout ce qu’il y a de carrés, véritable moine urbain dans sa cellule cénobite, absorbant le néant à grandes bouffées, rien ne paraît pouvoir m’arracher à cette béatitude à l’envers. Plus ou moins inextatique. La force du renoncement ! Je réussis progressivement à m’abstraire de tout, à rendre in-essentielles toutes les nécessités ordinaires. Une lente acédie. Un glissement insolite vers une démission plus ou moins effective des « exigences » séculières. « Laisser le monde à son désastre » : ça sonne bien ! Peut-être encore un brin trop revendicatif ! À l’abri, dans mon terrier kafkaïen, vérifiant encore et encore que chaque issue fusse parfaitement condamnée, je ne risque rien. Une once de paranoïa rallonge la vie, comme dit ce vieux briscard d’inspecteur Brisco. A shelter from the storm.

Pendant ce temps, les petites nymphes parigotes se font tatouer de jolies fleurs et des papillons au creux du dos ou sur l’épaule. Leurs boyfriends, lycéens des quartiers rupins, alanguis au jardin du Luxembourg fument leur merde en jouant les affranchis. Et de se répandre auprès de leurs coreligionnaires au sujet de la coûteuse « cure de désintox » où un droguologue de renom les a envoyés sur injonction parentale. Hey mec, « détox » ça fera un rien plus crédible quand même ! Tant qu’à se pavaner, autant le faire bien…

La nuit s’abat comme une gifle. Carte sur table. Avec une quinte flush en main, elle aurait tort de se gêner ! Quant à moi, avec ma pauvre dead man’s hand, je bluffais bien sûr, prolongeant les veilles jusqu’à ce que les yeux me brûlent, jusqu’à ce que ma vue se brouille de phosphènes. Mon esprit prend son élan, il se déploie, enjambe les minutes, escalade les heures, rêve de Roger Gilbert-Lecomte, de Malcom Lowry. « Partout où se trouve la douleur, c’est terre sainte. »

Je viens de loin de beaucoup plus loin
qu’on ne pourrait croire
Et les confins de nuit des déserts de la faim
Savent seuls mon histoire

Deux heures du matin : envie de crevure, de crever… Comme ça, comme une bouffée de néant aspirée au hasard de la nuit. Et qui ressemble à s’y méprendre à une envie de vivre, de Survivre. « Quiconque voit son double en face doit mourir »… Ma vue baisse, mon double se trouble – double trouble ! Ça craque à l’intérieur et ça résonne comme un froissement de paupière amplifié. Et puis la lézarde s’ouvre béante. Le saurien qui en sort est terrifié terrifiant.

Du Tennessee à la Caroline du Nord, de Memphis au comté de Graham, la tradition des moonshiners se perpétue. Les distilleries clandestines pullulent dans les forêts des Appalaches où l’on continue à produire et vendre un whisky aussi frelaté que la légende outlaw de Jessie James, véritable héros local. À 16 ans, aux côtés de Bloody Bill Anderson et de ses bushwackers, Jessie faisait l’apprentissage de l’ultra-violence dans une guérilla confinant à une véritable folie sanguinaire.

Sommeils morts dans la vie. Réparateurs, comme on dit. Les courts séjours que j’y entretiens suffisent à équilibrer les masses d’ombres et les poids morts, ralentissent le travail nuisible des épeires lovées sous mon crâne tissant leurs toiles en fil d’acier souple et tranchant. Marchant à l’envers de mon ombre sur les traces d’anciennes civilisations insomniaques. J’aurais voulu connaître une prière perpétuelle qui apaise…

Dans ce monde, la nuit se prolonge bien au-delà de l’aube et nous emporte comme une carriole folle dételée. Autant dire qu’en l’absence de chevaux, de conducteur et de rênes, on ne flirte pas longtemps le long du précipice, on y pique tout schuss. Et si la chute est sans fin, elle n’en est pas indolore pour autant. On y laisse sa peau et c’est une étrange mue. Écorché aux angles morts, mais ressurgi mille fois les yeux un peu plus creux, le teint hâve, une gueule de déterré… Échéance du drame au voyant solitaire… J’ai dealé comme j’ai pu. En étalant la dette. Un échéancier sur dix, quinze ans… je sais plus, ça vaut mieux.

Si maintenant je dors ancré
Au port de la misère
C’est que je n’ai jamais su dire assez
À la misère

Au Salvador, le gang de la 18 tient le haut du pavé. Shorty a 18 ans. Il sait qu’il ne fera pas de vieux os, que sa vie violente sera brève. Alors il s’est fait tatouer « Pardon » sur une paupière et « Maman » sur l’autre pour le jour de ses obsèques. Se recueillant devant le corps de son fils, sa mère lisant ces mots sur ses yeux fermés saura combien il est désolé. Une tragique épitaphe.

Le corps en renonce et toute la foutaise du monde s’y colle. Un vrai tue-mouche. Pestilence. Ça commence à sentir le cadavre.

Dans ce monde sans pitié, l’hôpital se fout pas mal de la charité : on tranche dans le vif plus qu’on ne rafistole. On dénerve, on énuclée, on éviscère… Jusqu’à… l’écœurement. La plus tragique des ablations.

Je suis tombé en bas du monde
Et sans flambeau
Sombré à fond d’oubli plein de pitiés immondes
Pour moi seul beau.

Crève Cœur, Daniel Darc – Édition Deluxe 2015

  • 2 CD : Crève Cœur (album original) + Inédits & raretés (16 titres)
  • 1 DVD : Rêve Cœur (de Marc Dufaud) + clips dont un inédit, Désolé
  • Livret texte et photos

Une parenthèse essentielle

Fin janvier, Frédéric Lo m’a appelé pour me faire entendre les nouvelles chansons de l’album Inédits & raretés accompagnant la ressortie de Crève Cœur. Je travaillais à une rue de son studio au dérushage des images de mon film. La coïncidence était surprenante : à deux pas l’un de l’autre, Frédéric avec des chansons inédites, moi, avec un long métrage à venir, nous portions tous deux un projet autour de Daniel. Ça suffit à dire le vide qu’il laisse.

Plutôt que de réunir outtakes, chutes de studio et rebuts, ce qui eût été légitime et même cohérent s’agissant d’un album périphérique, Frédéric a méticuleusement sélectionné ses bandes, ne gardant que les titres aboutis qu’il a ensuite agencés avec le soin et l’élégance qui caractérisent ses compositions et ses arrangements.

Seize chansons, donc, et si certaines ne sont pas tout à fait inédites, toutes sont rares. Oui, rares ! On peut les voir comme 16 satellites tournant autour de l’astre Crève Cœur, ou comme 16 instantanés, 16 vignettes parfois accouchées sans douleur, parfois nées ou sauvées du chaos, arrachées de haute lutte à tout ce « qui pèse et écartèle ». Les jalons posés sur une sorte de route secondaire, faussement parallèle, en amont et en aval d’un Crève Cœur traçant sa route sur une voie royale.

Plus qu’un simple éclairage projeté sur Crève Cœur, ces compositions trouvent ensemble une forme d’équilibre qui fait de ce disque bien autre chose qu’un simple amalgame de chutes, mais bien un album à part entière. L’histoire qu’il raconte en filigrane est celle d’une collaboration artistique absolument marquante de la chanson française. Une histoire débutée au coin de la rue Trousseau au début des années 2000, lorsque Frédéric-Bowie proposa à Daniel-Iggy de travailler ensemble, et qui s’étend jusqu’aux abords d’Amour Suprême. Entre ces deux points, une période de créativité intense illustrée par ce disque où on retrouve une dizaine d’inédits, des duos et des titres composés pour d’autres artistes, et autres raretés comme le très tendre Nathanael écarté à la dernière seconde de l’album de 2004 ou encore La parenthèse enchantée, un des moments forts et clés du disque, une profession de foi et d’amour désormais aux allures de testament déchirant. Le talk over hypnotique d’Angoisse permanente basé sur un passage du Feu Follet, s’aventurant dans un territoire musical plus complexe, témoigne du désir commun de Daniel et Frédéric d’explorer de nouvelles directions.

Outre la qualité intrinsèque de ces gemmes, ce qui saute aux oreilles, c’est la voix de Daniel mise en valeur par l’écrin musical que lui offre la musique de Frédéric : sa tessiture, la fêlure fitzgéraldienne qu’elle porte, rendent instantanément identifiable cette voix traversée par une sensibilité peu commune. Hank Williams – préfigurant le L.U.V. d’Amour Suprême – à lui seul en atteste : le texte se résume à un simple name dropping des héros musicaux de Daniel. Et c’est la voix, la façon de jeter comme ça ces noms glorieux, qui transcende l’ensemble, le tire bien au-delà d’une énumération d’un simple jeu de références.

On n’a sans doute ni assez remarqué ni assez souligné à quel point – et ce depuis Taxi Girl – le phrasé unique de Daniel a influencé, et même décomplexé, plusieurs générations d’artistes français (mais il faudra bien un jour s’y pencher sérieusement – quitte à choir). Et si, ce faisant, il a jeté un pont entre rock et variété, n’ayez aucun doute, lui se situe bien sur la rive rock. Les Cœurs verts ne se rédiment pas !

Alors, voilà, il n’y a qu’une façon d’aborder ce disque, c’est d’oublier qu’il s’agit d’un album « posthume » et de le prendre pour lui-même ou pour ce qu’il aurait pu être, à savoir le 3e album des années Darc/Lo, période d’une créativité fulgurante couronnée par une re-CO-naissance médiatique due. Un disque dont Daniel aurait pu dire que c’est ce qu’il a fait de mieux… avant de le renier ensuite. Parce que Qu’est ce que ça peut faire ? ! Ça s’appelle brûler ses vaisseaux et Daniel savait faire ça mieux que quiconque – Don’t look back ! Missyou Bro.

films-reve-coeur-001Rêve Cœur – le film

Notes du réalisateur :

« Des 3-4 films que j’ai réalisés avec Daniel, Rêve Cœur a été sans aucun doute le plus fluide à faire. Ce qui ne signifie pas le plus facile mais il y avait là comme une forme d’évidence, dix ans après Le Garçon sauvage. En fait, nous reprenions les choses là où nous les avions laissées, à ceci près qu’en dix ans nous étions devenus très proches l’un de l’autre.

Tout film de commande qu’il soit, Rêve Cœur a été réalisé et monté avec une liberté totale. Son tournage s’est étalé sur quelques semaines. Armé d’une petite caméra numérique semi-pro, je rejoignais Daniel chaque jour à son appartement. On y a d’abord tourné les quelques plans que j’avais en tête et puis, pendant plusieurs jours, j’ai filmé à la volée, caméra épaule, nos balades à travers la ville. Très souvent ensuite nous allions chez moi passer la soirée et faire quelques séquences additionnelles. Mon fils Nathanael avait 4 ans, il adorait Daniel lequel prenait son rôle de parrain avec un sérieux qui m’amusait et me touchait, corrigeant avec une patience infinie les katas du karatéka débutant que Nathanael était alors.

L’autre partie du tournage s’est faite chez Frédéric et en studio avec un matériel adéquat et une équipe réduite. Je retrouvais pour l’occasion Florence Levasseur, la « chef op » de mes premiers films et sans laquelle aucun d’eux n’aurait été aussi fort. Il n’était pas question pour moi de « mettre en scène » des images tournées en studio a posteriori. Nous avons donc suivi les derniers jours de mixage du disque pour en saisir l’atmosphère sans savoir une seconde que cet album allait devenir l’une des pierres de touche de la chanson française. »

Daniel Darc – Brother Under the Bridge

Il y a quatre ans, en rejoignant la rédaction d’Asud, j’avais évoqué avec Daniel l’idée d’une interview pour le magazine. L’idée lui plaisait forcément. Nous n’avons pas eu le temps… la vie est dégueulasse…
Oui, souvent, quand même !

Taxi Girl, Cherchez le garçon / Viviane Vog tranche ses veines sur scène / l’aura noire du groupe / Paris 1984 Belle Année… / La came, les excès, les années 90 et puis en 2004, le retour en grâce avec l’album « Révélation de l’année » : Crève Cœur et puis Amour Suprême. Jusqu’à ce jeudi 28 février 2015…

L’histoire est connue, je n’y reviens pas, il y aura des bio bien définitives pour raconter ça mieux que moi. Moi, je ne peux pas, tout simplement. Derrière cette histoire-ci, il y en a tant d’autres qui ont fait de Daniel un personnage de roman urbain, une sorte de légende souterraine. Et le plus beau, c’est que toutes sont vraies bien sûr !

La gorge nouée, je relis le dernier paragraphe du chapitre que je lui consacrais en 2010 dans mon Rebelles du rock :

« Alors bien sûr, on peut insister sur la fragilité, sur le désespoir, sur les ombres qui “pèsent et écartèlent” Daniel. Pour ma part, je préfère retenir quelque chose qui a à voir avec le refus de céder, avec la force. On ne sur-vit pas ainsi à frôler toutes sortes de misères et de précipices sans être dur comme de l’acier. Quitte à vous foutre les jetons, je crains que Daniel ne soit pas rédimé. Pas comme certains aimeraient le croire. À 50 ans, c’est encore et plus que jamais un insoumis. Même s’il semble plus en paix avec lui-même ou plutôt justement parce qu’il est plus en paix avec lui-même. Ce qui donne souvent l’envie d’être en guerre avec les saloperies que ce monde génère. Le Don des larmes semble-t-il lui a été accordé. Mais pour le reste, ni regret, ni remords. Dans cette époque cynique ça fait du bien de savoir que Daniel is alive well et livin’ in Paris. »

Inflexible, Daniel ne s’est jamais plaint. Il a toujours consenti à payer le prix de cette vie qu’il s’était choisie d’une certaine façon. Tout ça, et bien plus, faisait de lui un être rare, hors norme, un passager comme on en croise peu. Alors au diable le « suicidé », le « clodo céleste » à la Bukowski, « l’effondré », « le dévasté », Daniel tenait droit dans ses bottes le regard dur et lointain. Un détachement frappant. Tout le reste est lit-thé-ratures.

Rien ne sert à rien… Il l’avait compris : la vie est irrémédiable, elle nous tue un à un. S’il flirta avec la mort, c’est parce qu’il aimait intensément la vie, qu’elle n’allait sans doute pas assez vite et fort pour lui… Alors il l’accélérait, la redressait. Oui, il défia la mort, avec ce mélange d’intelligence suprême et de stupidité consentie, parce qu’il connaissait l’issue. Il la défia droit dans les yeux. Il la défiait autant qu’il s’en défiait et qu’il s’en méfiait. Finalement débarrassé de toute fascination. Serein ? Presque !

On le trouvait insaisissable. Moi, je le trouvais, et je le trouve toujours, saisissant. Saisissant tout au passage. Saisissant aussi par sa force, par son charme, par sa façon d’en jouer et d’enjouer, par son attention aiguë et son regard sur les autres, sur la vie, par ses contradictions, par une infidélité paradoxale, par ses conneries, des plus fameuses aux moins glorieuses, par cette nécessité de se saborder, par son ironie et puis par son rire, ah son rire ! …

Être à la fois infiniment plus profond, complexe qu’il n’y semble, aux contradictions parfois trompeuses, il était doté surtout d’une vie intérieure intense. Le cheminement spirituel qu’il a accompli, après de nombreux détours, l’a amené à se convertir au protestantisme. Il s’y est engagé comme toujours radicalement, avec une soif de comprendre et de connaître inextinguible. Daniel vivait tout comme une Quête. La dope incluse. Une quête d’amour au sens humain et christique. Daniel me disait un jour « Il faut ménager le truc sinon tu ne tiens pas longtemps » … Il a tenu la Foi chevillée au corps et à l’âme. Bien au-delà de nombreuses prédictions. Pas autant que je l’espérais…

Extension du domaine de la défaite

Extension du domaine de la défaite #2

La TV réalité est autant une usine à fabriquer des stars Kleenex que le symptôme de cette époque tout entière vouée à l’exaltation de la célébrité. On connaît la chanson depuis Warhol, je n’y reviens pas.

La voix de son maître bisLa première partie de ce texte a été publié dans ASUD journal N°53 : Extension du domaine de la défaite #1

Pourtant, les véritables stars, ce ne sont pas les Zia Loana et compagnie à la ligne de vie très très brève. Trop éphémères et interchangeables par définition. Le media monstre qui les crée les dévore en les accouchant, quand il ne les euthanasie pas.

Non, les véritables hérauts héros, il faut les chercher du côté des sportifs. Plus exactement, chez les footballeurs qu’on a fini par comparer à de vraies « rock stars » ! On a oublié ce qu’ils prenaient dans les années 80, les footeux ! La risée que c’était ! De bons abrutis limite analphabètes – Et si cet aspect des choses n’a guère changé, il n’est plus autant souligné, ni même raillé que par le passé ! Étonnant, non ? On peut se demander si on ne régresse pas quelque part…

Quand Arte consacre une émission aux rebelles, elle n’oublie pas d’insérer Maradona ou Cantona entre Johnny Cash et Iggy ! Étrange jeu de miroirs déformants, dans la mesure où ces sportifs captent un héritage dont ils méconnaissent la nature, en s’emparant des attributs rock’n’roll – tatouages, fringues black leather, coiffures – qu’ils stérilisent, vident de toute substance et épuisent.

The times they are a changin’ justement… En fait, c’est autant leur talent de sportif que leur réussite que révèrent et qu’admirent les mômes quand justement la vitalité et surtout la réussite nous apparaissaient haïssables au point de prendre des allures de trahison même des idéaux rock’n’roll. Combien d’artistes et de groupes se sont ainsi vu reprocher leur « embourgeoisement » lorsqu’ils rencontraient le succès.

… Oui, les temps changent ! Le rock’n’roll – « avec drogue » – crachait son ennui et son refus du conformisme à la gueule des sociétés occidentales plongées dans une si longue ère de paix qu’on avait fini par s’y emmerder. Certains sociologues très calés (!) ont alors posé la thèse de la « drogue, guerre intérieure »… Jusqu’à il y a peu, ce postulat ne signifiait rien à mes yeux, mais là, au bord du gouffre alors que le mythe du guerrier redevient vivace, je me demande quand même s’il n’y avait pas de ça.

Et pendant ce temps… Pendant ce temps, le monde avale ses enfants et recrache sa misère. Nécrophage. Et puis quoi ? On est censé aussi applaudir au passage de la parade molle ! Ça laisse augurer du pire. Et c’est du pire augure… Là tout de suite, je me fais voyant sans être prophète et sans mérite non plus. Pas le moindre parce que c’est bien moins une intuition qu’une évidence. Suffit d’ouvrir les yeux. De mettre les éléments bout à bout et de prendre le soin d’y penser un peu.

On y passera tous !

C’est là, c’est partout dans la rue, sur les écrans, suffit de mater. Avec aux avant-postes, le sexe et la guerre, indistincts, obscènes tous deux. Certes les images ont tendance à s’invisibiliser à force de profusion. La somme de toutes ces peurs claque comme une déflagration, on y passera tous. L’assaut sera sauvage, tout azimut, la saignée, terrible, armagédonienne. En attendant, on reste là, coincés dans l’œil du cyclone, atones.

Faut nous voir chaque matin trottant allègres ou accablés, pressant le pas dans les couloirs du métro, faisant le pied de grue devant les écoles à attendre notre progéniture, exécutant jour après jour les mêmes gestes, riant, pleurant, gueulant, bouffant, baisant, chiant… On baisse les yeux, on regarde ailleurs. C’est plus safe ! Et puis ce sont les bras et puis la garde qu’on baisse, alouette ! Tête basse, en route pour le carnage final un peu à la manière de ces troupeaux de rênes mélancoliques et résignés que conduisent à l’abattoir les nomades nenets. Sentant la mort venir, ces pauvres bêtes mugissent et se débattent. On dit même que certains rennes pleurent comme les hommes. Ça finira comme ça…

On y passera tous !

The Ramones – Too much junkie business

Too Young Too Fast, les Ramones auront été le premier groupe punk US signé par une major à l’été 1975, quelques jours avant Patti Smith. Au milieu de la flopée de combos arty punk new-yorkais, les Ramones détonent. Pire, ils semblent suspects : trop purs pour être honnêtes et pourtant… Ces Hillbilly Cats urbains jouent un rock’n’roll résolument, furieusement, blanc. White Trash. No Beatnik Black. No Soul, No Rhythm & Blues.

Début des seventies, au cœur du New York de Taxi Driver et de Maniac : quatre merdeux, enfants du baby boom de l’après-guerre, bourrés de speed et d’héro (celle de la French Connection) glandent dans le Queens du côté de Forest Hills, une aire bétonnée suintant d’ennui, conquise par la dope, le speed et l’acide. Ils ont 22 ou 23 ans et, nés avec ou non, ils ont maintenant la Haine chevillée au corps. Loosers parmi les loosers, drop-out, ces authentikkk voyous jouent au Ringolevio version Orange Mécanique sous quaaludes. Braquages, agressions, bastons, prostitution constituent leur quotidien. Finalement, en dehors de la dope, le rock’n’roll est la seule chose qui les accrochent.

Les Ramones, Toronto, 1976
Les Ramones, Toronto, 1976

Frères de rue, frères de rock, ils sont tous des Ramones, même si entre eux les coups pleuvent : Dee Dee, qui carbure à l’héro depuis qu’il a 15 ans tient la basse, Joey est au chant (et à la batterie), Johnny à la guitare et Tommy, ex-manager, assure rapidement la succession de Joey aux drums. Jeans, perfectos, coupe au bol, baskets. Voilà pour l’uniforme. Et en vingt ans d’existence, ils n’en changeront plus.

Au moment où les Led Zeppelin, Clapton, Deep Purple et autres se perdent en virtuosité, les Ramones portent l’estocade. Le Pub rock est enfoncé. Bye bye les Flamin’ Groovies ! Coup de grâce. De génie. Avec les Ramones, le rock ne retourne pas simplement à la rue, il retourne au caniveau. L’innocence rock’n’roll parfaite revisited seventies. Traqueurs de mirages en pleine Blitzkrieg Bop, ils balancent leurs morceaux minimalistes ultra speed. Lyrics idoines, acidulés et pervers, du Leiber/Stoller amphétaminé. Le turn-over des musiciens n’altère ni l’identité ni la musique du groupe. Posées une fois pour toutes en 1975, ces bases sont immuables.

Ramones - Hey ho let's goPunks rockers, chassant le dragon rock’n’roll, animal légendaire qui a toutes les chances de n’être qu’un fantasme insaisissable, mais qui les obsède, ils inciteront Spector, aux neurones déjà bien grillés, à sortir de sa torpeur psychotique le temps d’un album arraché au chaos. Après avoir offert Because The Night à Patti Smith, l’outsider qu’est Bruce Springsteen avant 1980 leur composera un Hungry Heart sur mesure et il faudra l’intervention de son très avisé manager, Jon Landau, pour que le futur Boss se résolve à garder cette pépite pour lui : grand bien lui en fera puisque ce sera là son premier hit single !

En Europe, notamment en Angleterre et en France, les Ramones sont adulés. Ils joueront avec les Sex Pistols, sillonneront pendant deux décennies le vieux continent, suivis par leurs légions indéfectibles de fans purs et durs. De la vague punk hardcore californienne aux grunge nineties qu’ils adouberont, les Ramones auront exercé pendant vingt-cinq ans une influence majeure sur toute l’avant-garde underground punk !

Une tournée d’adieu, peu avant le nouveau millénaire, scelle la fin des Ramones. L’épilogue est déprimant à souhait, crucifiant, en forme de réaction en chaîne maudite : en moins de trois ans, les trois ex-teenages losers de Forrest Hill passent de vie à trépas. Et comme pour boucler la boucle, Joey viendra enregistrer avant de mourir un titre en duo avec Lisa Marie Presley. Preuve que le King lives ! TCB !

Dans la jungle des sites antidrogues

Il suffit de taper les mots clés « enfant/enfance/drogues/cannabis » sur Google pour avoir le vertige. Le moteur de recherche vous dégueule des flopées de références, ça sort de tous côtés. Dans le seul espace francophone, c’est une véritable jungle d’associations, de sites, de ligues et autres groupements avec kit, brochures, pdf, ligne d’appel 24/24, forums… tous dédiés à ce « fléau ».

Ce qui saute aux yeux dans tous les messages des forums, c’est la terreur qu’inspire « la drogue » – il n’y a guère que le Jihad islamiste qui paraisse plus flippant. À la profusion de sites évoquée plus haut répond leur uniformité de pensée. Si, dans le détail, on trouvera quelques singularités, celles-ci masquent (mal) une espèce de pensée unique. Leur point commun le plus flagrant : une propagande à double détente, à savoir préserver les enfants des drogues et les enrôler dans cette lutte. On les invite à s’abstenir de la drogue et à se positionner contre, à devenir des acteurs de ce combat (via serments ou la délivrance d’un « diplôme » idoine validant l’engagement de l’enfant).

La prolifération des sites rendant impossible un listing exhaustif, nous avons choisi de vous en présenter une demi-douzaine « représentatifs », en mettant l’accent sur certains sites sectaires. Nous nous arrêterons dans un prochain numéro sur « Enfance sans drogue », véritable archétype du genre.

drogues.gouv.frMILDeCA
MILD&CA : Les drogues et les conduites addictives

Créée en 1982, la Mildt, aujourd’hui MILD&CA (lire notre article Le « A » de MILD&CA), placée sous l’autorité du Premier ministre, définit des actions par le biais de plans (prévention/prise en charge sanitaire sociale/recherche/lutte contre le trafic). Le dernier en date cible plus particulièrement la jeunesse. L’accent est mis sur la prévention des premières consommations (drogue/alcool) et sur la « responsabilisation des parents » désormais considérés comme les « premiers acteurs de prévention » (Assises de 2010). Plusieurs campagnes médiatiques ont été lancées en ce sens, notamment des spots publicitaires destinés à valoriser le rôle des parents et leur capacité à intervenir.

asud55 p16 Drogues Info Servicedrogues-info-service.fr
Pourquoi se drogue-t-on ?

Émanation de l’Adalis, financé par l’Inpes, Drogues-info-service.fr dépend du ministère de la Santé mais regroupe l’action conjointe de plusieurs autres ministères et associations. Son rôle se focalise autour de la prévention contre tout type d’addiction et cible en particulier les enfants et ados. Au 1er juillet 2014, le forum accueillait 331 témoignages et abordait 76 sujets avec un onglet spécifique « avoir un enfant qui se drogue ». Le site met à disposition du matériel pour mener des campagnes de sensibilisation, affiches, cartes postales, plaquettes. Un espace spécifique appelé « adosphère » se veut informatif et ludique. On y trouve le tout-venant ordinaire sur les effets et conséquences des drogues mais aussi un onglet « philo » et « ludique » avec bibliographie, quiz et autres jeux (pendu !).

asud55 p16 Infordroguesinfordrogues.be
Le plus vieux des sites sur les jeunes

Il s’agit du site de l’une des plus anciennes associations de lutte contre la drogue, créée en 1971 sur l’initiative de responsables de différentes institutions du secteur médical et psychosocial. L’association dispose par ailleurs d’une permanence téléphonique et propose aux pro de l’éducation permanente engagés dans des campagnes de sensibilisation les « productions de son service documentation en éducation permanente », comme des « outils d’informations et d’animation » (plaquettes, vidéo…).

Infor drogues dit proposer une alternative aux discours antérieurs relatifs aux traitements médicaux. Le site affirme que la surexposition des drogues dans les médias serait responsable de l’angoisse parentale et définit dix « astuces » pour engager un dialogue avec l’adolescent : « parler n’est pas facile », « choisir des arguments qui touchent », « oser fixer des limites », « bâtir une relation de confiance »

www.grc-rcmp.gc.ca
« les enfants et les drogues — Guide de prévention pour les parents »

Ce site, à l’iconographie sinistre, consultable en PDF, compte 42 pages et date de 2008. Il s’agit d’un « projet conjoint de l’ AADAC, de l’AHS (Alberta Health Services) et du Service de sensibilisation aux drogues et au crime organisé de la GRC » (la gendarmerie royale du canada). Posé en préambule, le site diagnostique « Notre culture consommatrice de drogue » et établit d’emblée un lien entre incivisme et drogue, tout en évoquant une désinformation massive autour du sujet avec en point d’orgue la banalisation du cannabis.

Ici encore, l’accent est mis sur le rôle des parents : avoir « une pensée critique », « ne pas sermonner » est suivi d’un « est-ce que j’utilise positivement des techniques disciplinaires ? », le tout conclu par « établissez des règles et des limites ». Un tableau de classification des drogues avec leurs effets à court et à long terme est consultable. Enfin, un glossaire, non des drogues mais du langage périphérique, complète cet ensemble.

Internet un boulevard sectaire

Bon nombre de ces sites ont des liens plus ou moins nets avec des mouvances sectaires. Encore faut-il les identifier derrière la profusion de sites & blog divers. Dire qu’elles avancent masquées serait sans doute un peu excessif. Par contre, leur référencement sur Google pose quand même question puisque des structures comme la Scientologie ou IVI se trouvent quasi en tête de gondole.

Le combat de la Scientologie contre les drogues remonte aux années 60. Ce serait une erreur de considérer cet engagement uniquement sous un angle manipulateur. Les thèses de la Scientologie – fourre-tout conceptuel relatif à la nature et à la place de l’homme dans l’univers – s’opposent « philosophiquement » aux drogues, qui sont considérées comme nocives sur le plan physique et spirituel. On ne peut omettre cet aspect, même si on connaît la propension de la Scientologie à brouiller les pistes pour enrôler de nouveaux membres. C’est également le cas de certaines mouvances sectaires chrétiennes comme IVI (créée en 1987 par Mme Trubert prétendant, entre autres, pouvoir guérir le sida par simple apposition des mains). Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Internet est un espace tout à fait approprié à la stratégie arachnéenne de la Scientologie : toutes les conditions sont réunies pour lui permettre de tisser sa propre toile, justement. L’action de la Scientologie dans la lutte contre la « peste blanche » – au sein de laquelle la question des enfants n’est qu’une composante – mériterait à elle seule un dossier.

Une nébuleuse souvent propice à confusion

Devant la multiplicité des sites, blogs francophones, régionaux ou non, affiliés à la Scientologie, il n’est pas exagéré de parler de nébuleuse :

En 2012, en Suisse, trois clips d’information à destination de la jeunesse conçus et réalisés par « Non à la drogue, oui à la vie » étaient régulièrement projetés en salle. Or cette association – présente en France comme dans d’autres pays – n’est pas simplement liée à la Scientologie, elle en est l’émanation principale pour tout ce qui concerne le problème des drogues et de l’enfance. Il aura fallu l’intervention de la presse pour que soit révélé ce lien étroit et que les clips soient retirés. « Non à la drogue, oui à la vie » mène par ailleurs des actions de propagande sur le terrain, notamment à Paris, via la distribution de livrets d’information. Les passants sont invités à signer leurs pétitions et à devenir ambassadeurs « pour une vie sans drogue ».

Signalons pour conclure ce trop bref aperçu les démarches entreprises par les scientologues pour ré-ouvrir leurs centres de sevrage, les Narconon (évoqués dans le livre Moi, Christiane F…) de sinistre réputation, fermés en France en 1984 à la suite du décès d’un patient.

« Merdo dis leurs »

La drogue aux enfants ?? Pas pour la leur donner, non pour leur expliquer… Pour leur expliquer quoi ? C’est le sujet du dossier de ce numéro d’ASUD journal, et le moins qu’on puisse dire, c’est que le sujet est… complexe !

Comment s’y prendre ? Ça fait des décennies que le sujet est brûlant. La drogue expliquée aux enfants, donc… Il faut commencer tôt avec des livres éducatifs. Alors, pourquoi pas Martine en Colombie, Le Club des cinq démantèle le cartel des drogues, Oui Oui et la poudre magique, Titeuf qui dit merde aux dealers, ou Sponge Bob et les marchands d’eau pium ?

On a déjà Coke en stock. Mais le titre est un faux ami puisque Tintin se retrouve aux prises avec des trafiquants d’esclaves. En revanche, la cocaïne est au centre de l’album Les Cigares du pharaon, Tintin se faisant même serré pour en avoir transporté à l’insu de son plein gré. Ça n’a pas échappé aux tintinophiles, la drogue est un sujet récurrent pour Hergé. Rastapopoulos, le super méchant, est un ponte du trafic de drogue. Dans Le Crabe aux pinces d’or, il est question d’opium, opium traité sous un jour culturel dans Le Lotus bleu avec ses fumeries !

Tintin se drogueEt on peut également évoquer les crises de delirium tremens du capitaine Haddock. On se souvient qu’au cours de l’une d’entre elles, Haddock sérieusement en manque fut à deux doigts de commettre l’irréparable, ses hallucinations lui ayant fait confondre Tintin avec un tire-bouchon ! On a frôlé la catastrophe ! Tu t’es vu quand t’as pas bu ??

Mon père avait une explication « underground » à la propagation de la came dans les années 80. Le grand responsable était selon lui… Nounours ! Oui, le gentil Nounours, l’ami de tous les gosses des années 60, 70 et 80 ! C’est lui qui nous avait foutu dans la merde ! Sa génération, la mienne, entre autres, y avait droit chaque soir, à Nounours, avant d’aller se coucher. Et que faisait-il du haut de son bateau volant au-dessus de Paris, ce bon gros Nounours ? Il nous balançait sa poudre magique. Elle avait le pouvoir d’endormir Pimprenelle, Nicolas et tous les gentils enfants que nous étions en nous promettant ainsi de faire de beaux rêves.

On a pris ça pour argent comptant – si c’était pas un message subliminal ça !

martine-lsdDrogue et enfance, sujet brûlant donc, la preuve : connaissez-vous Blue Ivy Carter ? Les plus people savent qu’il s’agit du prénom du bébé de Beyonce et de Jay-Z. Les plus… informés (?) expliqueront que c’est désormais aussi le nom d’une nouvelle drogue californienne. Hommage de dealers californiens au couple le plus célèbre des USA ! Un hommage dont ces derniers se seraient sans doute bien passés.

Forcément, le sujet touche de façon bien plus personnelle lorsque l’on a soi-même des enfants.

martine-spacecakeIl y a trois ou quatre ans, je me souviens être tombé par hasard sur un petit film qu’avaient réalisé mon fils et ses potes alors âgés de 10 ou 11 ans. Pour une fois, plutôt que de jouer à la Wii, PSP, PlayStation, ils avaient tourné une petite fiction avec leur tel portable – la scène principale était… stupéfiante ! On y voyait l’un de ces gamins que je connaissais depuis la maternelle incarner le rôle du « junky » et reproduire face caméra une scène de shoot. Non seulement l’idée de « jouer au tox » était en soi surprenante mais le réalisme de leur séquence avait quelque chose de troublant – ils n’avaient omis quasi aucun détail, jusqu’au garrotage du bras. Si un stylo symbolisait la shooteuse (quand même !), pour le reste, cérémoniel et tout le bastringue, la reconstitution était criante de vérité.

martine-crackÇa m’a pas spécialement inquiété ni choqué, mais un peu déconcerté. Ce quim’intéressait, c’était de savoir où ces gosses avaient été choper toutes ces infos. Je savais bien que ça ne venait pas de moi, je suis pas du genre prosélyte, encore moins un adepte du « la drogue, parlons-en mon fils ».

Oh, fallait pas aller chercher très loin : difficile pour un môme d’échapper à ça ! Notre époque, notre culture exhale la came ! Certes, l’argument est largement utilisé par des gens comme les scientologues et autres ligues plus ou moins réactionnaires. Mais que ça plaise ou non, c’est quand même une évidence. Constat commun ne signifie pas adhésion.

fantomette ecstasyParce que quand chaque jour aux heures de grande écoute, les animateurs télé, à commencer par ceux des jeux télé, ne ratent jamais une allusion à la consommation de cannabis, alliant le geste à la parole (« vous avez fumé la moquette » et autres « faut arrêter la fumette »), quand on n’évoque pas « un bon rail de coke » (cf le 3 juillet sur Equipe21, émission L’Équipe du soir). Finalement, ces émissions sont un baromètre assez intéressant pour mesurer la façon dont ces drogues sont entrées dans le paysage. Banales et banalisées !

Ça me dérangerait pas plus que ça si les mêmes « promoteurs » faisaient au moins montre, à défaut d’un peu moins d’hypocrisie, d’un peu de cohérence. Il faut les voir se métamorphoser en pères la morale à chaque fois qu’il est question d’alcool et nous servir le sempiternel « on rappelle, Gérard, l’alcool, avec modération ».

L’art du grand écart ! Au prétexte que tout ça n’est pas sérieux ?

Les problèmes de drogues chez Winnie l'Ourson

Robert Francis

Un quatrième album « Heaven » paru en avril 2014, une tournée passée par Paris. Un charisme fou, Robert Francis est bien – et je pèse mes mots – le dernier espoir du rock’n’roll !

Cela fait bien longtemps que j’ai renoncé à m’intéresser à ce qui se passe de nouveau dans le monde pop rock. D’abord, parce que quelque chose de la mythique rock’n’roll semble s’être perdue en cours de route, à moins que ça ne soit moi ! Et puis, difficile de suivre le rythme. Des artistes et groupes, il en surgit de nouveaux toutes les semaines et leur durée de vie est volatile. Un petit tour sous les projos et puis patatras… dans les limbes !

Alibi

Bref, j’en étais là. C’est-à-dire à me contenter tous les deux-trois ans du nouveau Dylan en écoutant de la country années 20 et 30. Et puis Robert Francis a déboulé. Plus exactement, il m’est tombé dessus via la radio il y a deux ans. En entendant Junebug, son seul hit à ce jour, j’ai décelé là un truc indéfinissable qui vous prend à l’âme. Ni une ni deux, j’ai foncé derechef acheter ses deux albums, j’ai plongé sur YouTube voir à quoi ça (il) ressemblait live… C’était convaincant ! À mort ! Quelques semaines plus tard, le troisième album me renversait pour de bon !

Comment dire l’effet que ça m’a fait… ? Ce qui s’en approche le plus, c’est encore la phrase de Laurent Tailhade à propos de Rimbaud lorsque Verlaine publia ses poèmes en 1883 : « l’effet d’une aurore boréale ». C’est ça : Robert Francis a été une aurore boréale en pleine nuit musicale.

Je n’irai pas jusqu’à prétendre, comme Landau en 1975 à propos de Bruce Springsteen, avoir « vu le futur du rock’n’roll » parce que je ne sais vraiment pas si le rock a un avenir. En revanche, je peux dire sans craindre de me tromper que Robert Francis en est le présent. Il fait d’ores et déjà partie de cette Histoire du rock !

heaven Robert Francis

Somethings never change

Robert Francis, c’est d’abord un musicien surdoué et inspiré, un fantastique songwriter ! Laissez tomber la filiation avec les Ryan Adams ou Elliott Smith, quels que soient leurs talents respectifs, ce mec a un truc en plus… Rock star ! Je sais bien qu’en ce moment, il y en a pléthore des Wannabe, les Kurt Vile and co courent les rues, mais Robert Francis est au-dessus du lot. Je veux dire, il a ça dans le sang, il est de cette trempe-là, point. Matez sa dégaine, jetez un œil sur une vidéo live, ça saute aux yeux ! Il a tout ce qu’il faut, le talent, la pose, l’arrogance et aussi cette « fêlure » chère à Fitzgerald, ce « crack up » et un tas de démons rôdant autour de lui qu’il chasse à coups de riffs.

Accouché dans la douleur, son quatrième album s’appelle Heaven parce que Robert Francis a plongé aux enfers. Il en revient avec ce disque abouti, complexe, plein de méandres, un album douloureux traversé de fulgurance et d’espérance qu’il a produit entièrement.

D’où viens-tu Robert ?

Comme Gram Parsons ou Townes Van Zandt, Robert Francis n’est pas né dans la rue. Il a grandi dans un environnement privilégié : son père est un compositeur de comédies musicales reconnu et son parrain s’appelle Ry Cooder, lequel lui aura transmis quelques-uns de ses riffs secrets.

Multi-instrumentiste, Robert enregistre son premier album, One By One, à l’âge de 18 ans, un album très personnel qui lui vaut l’oreille de la rock critic, pas du grand public… Rock and roll my little girl !

Les paroles – comme la voix – ont ce mélange d’orgueil et de fragilité, quelque chose déjà qui vous prend aux tripes et sonne différent (Good Hearted Man)

La culture musicale de cet insensé collectionneur de partitions est exceptionnelle mais digérée. Parmi ses influences, il cite volontiers Doug Sahm, Van Morrison, Dylan, Springsteen et surtout, Townes Van Zandt.

Le second album, Before Nightfall, porte l’hymne Junebug, gros succès en France. Passé chez Vanguard, un label indie, Francis publie Strangers In The First Place, son troisième album : chef d’œuvre à la manière du Born to Run du jeune Springsteen. Le disque s’écoute d’un bout à l’autre et chaque nouveau titre dépasse le précédent en intensité.

Baby was the devil – Mescaline

Mais voilà, en pleine promo, le Californien disjoncte. Il annule pléthore de dates, plaque tout et part – en vrille – avec une fille rencontrée sur la tournée. La relation est destructrice : alcool, dope, dépression. Accro, il tourne le dos à la musique et empile les médocs… Il a l’âge pour ça ! Je veux dire l’âge d’en revenir. Ce qu’il fera avec son nouvel album sorti en avril, Heaven, signé Robert Francis & Night Tide, son nouveau groupe dont le nom figure désormais aux côtés du sien comme le E Street Band de Springsteen. Histoire de bien marquer l’alchimie qui unit ces musiciens et leur leader (David Kitz, drums/Ben Messelbeck, bass/Jim Keltner et Joachim, beau-frère de Robert, à la guitare).

Avec Heaven, Robert Francis poursuit sa Quête. Et c’est ça qui définit un artiste. La nécessité et la Quête ! En un mot comme en mille, Robert Francis est la meilleure chose qui soit arrivée au rock depuis longtemps ou le truc le plus excitant que le rock nous ait donné depuis un long moment… au choix !

I went to see the Gypsy

« Le jour se lève sur Paris comme il se lève dans une petite ville du Minnesota et par­tout ailleurs mais pas au même moment. Preuve que le monde continue bien de tourner comme si de rien n’était et il n’y a aucune raison pour que ça cesse ou change tant qu’on ne lui aura pas fait fermer sa sale petite gueule ! »

Sesa

J’ai été voir la diseuse de bonne aven­ture du côté de Château-Rouge. Elle a sa roulotte quelque part der­rière, dans une ruelle mystérieuse, intermittente au gré des saisons. La cara­vane est encombrée de toutes sortes d’ob­jets plus ou moins divinatoires. Sur un guéridon traîne Le Tarot des Bohémiens. La vieille me fait signe que ce n’est pas pour moi. Ensuite, elle me demande de tendre la main grande ouverte. Elle a lu dans le creux, m’a fixé d’un regard froid et humide pareil à une lame couverte de sang. Et puis, sans mot dire, elle a posé ses vielles mains douces sur les miennes. J’ai voulu parler mais elle s’est soudain volatilisée, là, sous mes yeux… Envolée la chiromancienne, envolée sa roulotte et la rue avec ! Je me suis retrouvé un peu sonné rue Poulet devant l’escalator du métro. Un Africain distribuait des flyers pour une consultation chez le marabout du coin. Non merci, j’ai déjà donné !

D’ici, je suis condamné à descendre le boulevard Barbès avec ses grappes de dealers vissés les uns à côté des autres au pavé, occupés à faire la retape, chacun tenant férocement un étroit territoire. Ils sont comme des bornes jalonnant le trajet jusqu’au métro, histoire qu’on se perde pas sans doute, mais des bornes un peu spéciales, qui te hèlent mécham­ment quand elles n’ont tout simplement pas le pouvoir de se déplacer et de venir t’alpaguer. J’y coupe pas ! Pas moyen de faire 5 mètres sans que l’un de ces mecs ne se colle à moi « Sub ! Sub ! » Insis­tants ! Faut croire qu’ils ont l’œil et du flair. Marchant derrière moi, l’un d’entre eux me glisse : « Haschich ! Haschich ! » Je me retourne, connement, il me mate une seconde et là, direct, il fait : « … Sub ? » Autrefois, ça m’aurait fait rire – sous cape – mais c’est pas le jour, et puis pas question de baisser la garde, faut tracer sans laisser la possibilité à l’un ou l’autre de croiser ton regard pour te refiler sa merde. C’est la règle ici sans quoi, pris dans la nasse, c’est foutu, direction une ruelle, bien réelle, derrière le boulevard et là au mieux, tu te retrouves avec une tablette surnuméraire que tu n’auras pas la bêtise de refuser d’acheter, même si la prescription de ton toubib t’en dispense. Et ça, c’est dans le meilleur des cas, parce que ça peut tout aussi bien dégénérer, tu finis dépouillé et pas forcément sans avoir été un peu amoché, pour la beauté du geste je suppose. La seule solution consiste à avancer sans réagir aux solli­citations. Des travaux étrécissent le trot­toir. Ce qui complique la manœuvre. J’en ai vite ma claque de foncer comme on rase les murs. Je prends la chaussée. Les bagnoles me frôlent, je m’en fous, autant courir le risque c’est de toute façon plus safe que d’évoluer au milieu de la faune.

Passé le métro aérien, le climat change brusquement. Le boulevard Magenta a quelque chose de plus pacifié du moins en façade, ce qui me convient assez, même si les deals ne manquent pas ici non plus. Et c’est pas d’hier. Willy De Ville s’en est souvenu en intitulant son second album Magenta. Une vieille femme voûtée aux allures de chaman indien avec ses che­veux filandreux couleur de cendre danse sur la piste cyclable contiguë au trottoir. Visage raviné, osseux. Ses fringues et son jean crasseux semblent vides de tout corps, on dirait qu’elle a des os fantômes. Mais je ne vois pas sa roulotte…

Nelson Mandela est mort hier soir. J’ai vu les images cette nuit de gens dansant dans les rues de Pretoria. C’était inat­tendu.  Mais le message est clair. Trou­ver la force de dépasser tout, non en éri­geant un mur entre le monde et soi mais en s’efforçant de l’embrasser sans céder. Sans céder à l’auto-apitoiement. Nous sommes ici ou là, le vent porte les uns, les autres ont leurs missions plus ou moins confidentielles et utiles, oui mais pour combien de temps ?

Une journée de plus aux portes du néant. C’est jour de solde. Tout doit disparaître !

Lou Reed Street Hassle

Le son de la télé coupé/le journal de 20h déroulait son ennui/une photo de Lou Reed sur l’écran et puis quelques images d’archives – J’ai compris, inutile de monter le son… L’info a fait grand maximum une minute au JT, une demi-page dans Le Parisien, deux dans Le Monde et un 3/4 de couv chez Libération ! On naît peu de chose… Et on meurt pareil !

Daddy Punk

Dans les semaines qui vont suivre, les magazines balanceront leurs nécros dont il y a tout lieu de croire qu’elles sont prêtes depuis un moment. On y retracera le parcours du jeune New-Yorkais étique des sixties, accroc à la gloire plus encore qu’à la came, on convoquera – à titre posthume – Nico, Warhol, Burroughs, Vaclav Havel. Il y a des chances pour que John Cale lui se taise… De longs articles referont l’histoire de la contre-culture, de la Factory, de l’underground new-yorkais, et on tressera les lauriers du Lou Reed respectable daddy punk. Car, à partir des années 1990, Lou Reed est devenu la figure de proue de ce concept étrange qu’on appelle « le rock adulte », avec Patti Smith comme pendant féminin.

Je ne sais plus si c’est Bowie ou Lester Bangs qui disait en substance que Lou écrit sur la rue depuis sa fenêtre, tandis qu’Iggy lui, vit dans le caniveau. Et c’est un peu ça ! Pas un hasard si Lou Reed représenta alors le fer de lance de cette entreprise qui vise à donner au rock ses « lettres de noblesse », en mettant le paquet sur sa dimension culturo-sociale et politique…

Le rock s’est transformé en une activité sérieuse, austère, quasi janséniste et surtout, donneuse de leçons sous l’impulsion d’une poignée de rock critics intelligents et cultivés qui ont récupéré l’histoire, l’ont confisquée et se sont éloignés de la rue pour cette bonne raison que ces jeunes gens modernes n’y foutent jamais les pieds. Ces ancêtres des geeks, fils de bourges ou middle class, auront passé leur adolescence boutonneuse claustrés dans leur chambre à ingurgiter la mythologie rock pour nous la recracher bien lessivée avec ce qu’il faut de fausse subversion. Il faudra faire un jour l’histoire de ce glissement tout en finesse qui a vidé le rock de sa substance (mort) sex and drugs mais reste malgré tout un formidable « joujou extra » pour séduire les filles et prendre du bon temps, bref le credo originel ! Passons, ce n’est que mon avis…

Art cynique et vieilles charrues

Par hasard, cet été je suis tombé sur la rediffusion à 3 heures du mat du dernier concert de Lou Reed aux Vieilles Charrues, filmé en 2012. Un choc, visuel d’abord : son visage avait perdu ce côté martial, impénétrable et intimidant. À la place, il y avait un septuagénaire. J’aurais pas dit malade, non, vieux, simplement. Il égrenait un chapelet de titres du Velvet avec un j’en foutisme consternant, entouré de jeunes musiciens respectueux s’échinant eux à jouer aussi droit que possible Sweet Jane ou Sunday Morning. Lou, placide jusqu’à l’absence, massacrait son répertoire avec détachement. Lou Reed, un pépère de 71 ans !! Merde, comment en est-on arrivé là ? J’ai vu d’abord dans cette prestation une nouvelle manifestation du cynisme du personnage. J’avais tort en partie… enfin, peut être…? Dylan, 71 printemps aussi, jouait également l’an passé aux Vieilles Charrues. Hué par les spectateurs, il a été crucifié par la presse vilipendant sa performance tandis que le vieux new-yorkais lui était absout. Curieux tout de même !

« Ma poésie, ma moto, ma femme »

S’il est bien un type qui valide le principe selon lequel il faut distinguer l’artiste et l’homme, c’est Lou Reed. Dans ces conditions, l’empathie, comme l’endeuillement, sont difficiles. En l’occurrence ici, l’émotion vient plus de ce à quoi cette disparition nous confronte. Parce que le décès de Lou Reed renvoie à notre propre vie, et à la place qu’il y occupait.

Pour ma part, elle a été conséquente. J’ai écouté et aimé sa musique de très longues années. La première fois, je devais avoir 13 ans. Un mec de 17 balais (un vieux !) m’avait filé une de ses cassettes en me disant à la façon de Vince Taylor « Écoutes-ça, mec, le rock c’est ça ! », histoire que je reste pas coincé sur les fifties & Presley. Il avait compilé des titres des Doors, de Bowie et de Lou Reed, extraits de Berlin et de Transformer. Walk on the Wild Side (c’est aussi le titre d’un roman de Nelson Algreen) me fascinait d’autant qu’à l’époque, une pub pour les kleenex utilisait le final de la chanson. J’étais donc pas tout à fait en terre étrangère et ça a facilité l’approche je pense. Plus tard, quand j’ai compris les paroles de la chanson (« But she never lost her head/even when she was givin’ head »), j’ai trouvé ça cocasse qu’on l’utilise pour vanter la qualité d’un mouchoir en papier !

Street Hassle

asud-journal-54 lou reed stree hassle

Et puis évidemment, il y a eu le Velvet et tout ce qui y était lié. Au début des années 1980, le Velvet Underground c’était vraiment un truc important en France (à Paris ?). Des labels plus ou moins officiels sortaient des bandes studio, live et bootlegs à tour de bras garrotté. Sans oublier l’album Les enfants du Velvet réunissant les meilleurs groupes du rock français du moment reprenant des titres du Velvet. Ce fut un foutu bon disque en plus d’être le tout premier album collégial du genre et sans doute le plus spontané (aujourd’hui, ça relève de l’exercice et de la niche commerciale !).

Entre Transformer et New York, Lou Reed a connu près de quinze ans d’éclipse (je synthétise). Quinze ans durant lesquels il a pourtant publié une douzaine d’albums dans l’indifférence générale, disques ignorés par le public, détestés par la rock critique (à l’exception peut-être de Sally Can’t Dance). Le nom de Lou Reed certes a continué de circuler via la redécouverte du Velvet par les punks faisant d’Heroin leur credo, mais on peut pas dire qu’il ait vendu beaucoup de disques, ni attiré les foules pendant cette période. Considéré comme un has been à la fin des années 1970, il aura tenté plusieurs comebacks ratés : en 1987, son album Mistrial avait pourtant bénéficié d’une large promo. Au moment de l’explosion de MTV, sa maison de disques tenta de relancer l’artiste en réalisant un vidéoclip tape à l’œil : on y voyait fondre progressivement le visage du chanteur. La peau tombait découvrant une tête de robot genre Terminator. C’était pas très bon mais la métaphore claque d’évidence : Lou Reed n’avait rien d’humain sinon l’apparence et encore, diront les journalistes qui l’ont interviewé !

Techno Prisonners

Dans ces années-là, hormis Berlin, ses albums garnissaient les bacs des soldeurs. Beaucoup sont sous-estimés. Je ne doute pas que comme pour Johnny Cash, on ne leur prête bientôt d’étonnantes qualités, mais finalement, ce ne serait que justice. Tous certes ne sont pas exactement des réussites et les moins bons datent des années 1980 (Legendary Hearts, New Sensations et Mistrial) juste avant le soi-disant miracle de New York qui allait relancer le bonhomme au tout tout début des années 1990. Pour ma part, je préfère le dépouillement de Rock and Roll Heart, le baroque de Coney Island Baby, la morgue du double live Take No Prisoners. Je les prétends même supérieurs à tous les concepts albums de Reed qui ont suivi New York et qui n’en étaient bien souvent que des répliques boursouflées. La pochette hideuse de Legendary Hearts, montrant le casque de moto de Lou Reed, cache quelques bons morceaux. Tout comme The Bells, Growing Up in Public (avec au verso une photo de son gang où l’on retrouve le fidèle Carlos Alomar) ou Street Hassle, album noir hanté de 1977 dont la chanson éponyme est une pièce spectrale occupant presque toute la face B à la fin de laquelle un jeune outsider nommé Springsteen psalmodie un bout de texte. The Blue Mask recèle également un gemme de 6 minutes, le très autobiographique, My House, dans lequel Lou alors quadra confesse la plénitude de sa vie. Il y évoque son amitié pour « son mentor » l’écrivain Delmore Schwartz (qu’on a tous lu parce que les maisons d’édition françaises trouvant opportun de le traduire rappelaient avec insistance son lien avec le chanteur) et de conclure sa chanson : « J’ai tout ce qu’il me faut, ma poésie, ma moto et ma femme. »

Ajoutez le karaté/tai-chi et vous avez un morceau du portrait du plus célèbre misanthrope du rock !

Lou  reed

Canonisé

Le retour en grâce s’opère donc avec l’album New York. Song for Drella en hommage à Warhol achèvera le travail via la collaboration d’un John Cale peu rancunier tout de même (inutile de rappeler comment Lou lui a piqué le Velvet en le foutant dehors comme un malpropre). Canonisé, Lou ne redescendra plus jamais de son piédestal. Estimant être enfin reconnu à sa juste valeur après tant d’années de revers, l’homme a conservé la même attitude distante. Mais de se voir devenir un monument du rock de son vivant a sans aucun doute flatté son ego démesuré. Ceci étant, à partir de là, moi, j’ai… décroché !!!…

Je jette ces mots au milieu de la nuit… mais j’écrirai probablement beaucoup d’autres choses si j’avais le temps. Il y a encore beaucoup à dire sur le Velvet justement, sur Metal Machine Music aussi dont on ne sait toujours pas s’il s’agit d’un foutage de gueule en forme de sabordage inaudible pour emmerder RCA à qui il devait encore un album, ou si on a affaire à un concept album bruitiste (l’album expérience d’il y a peu avec Metallica incitant à le penser)… On pourrait évoquer les électrochocs ou comment il rentra vivre chez ses parents pour devenir comptable dans le New Jersey après la fin du Velvet avant de resurgir en punk nazi peroxydé. Sans oublier les interviews homériques avec Lester Bangs qui dégénéraient deux fois sur trois en baston ! Oui, il reste tout à dire.

Mais si ces quelques lignes pouvaient suffire à donner l’envie à quelqu’un qui se contrefout du Lou Reed adult rocker de retourner écouter Rock’n’Roll Animal ou Street Hassle, avant de jeter une ou deux oreilles en direction du génial John Cale, si ça vous poussait à aller voir les films de Warhol ou Mekas, à relire Lester Bangs, mais aussi Please Kill Me, qui raconte sans fard l’histoire du New York underground des sixties aux nineties et du rôle pas toujours très glorieux qu’y joua Lou Reed… Bref, si ces lignes pouvaient produire une étincelle pour allumer la mèche et bien je n’aurais pas perdu tout à fait ma nuit… RIP Lou !

La voix de son maître bis

Extension du domaine de la défaite #1

La vie avec modération… C’est le mot d’ordre. « D’ordre moral » s’entend, celui mac mahonesque/ mac malhonnête de 1875, bien vivace en 2013, c’est dire le « progrès » ! Hygiénisme schizo à tous les étages, je vous apprends rien.

Rien n’échappe à la sagacité prudente des civilisés prêts à nous concocter la société policée – c’est-à-dire à peau lisse policière – à l’intérieur de laquelle nous sommes en train de nous piéger nous-mêmes. L’espace public devient un champ morcelé, aseptisé, sous contrôle et totalement codifié. Nous v’là beaux, corsetés, ligotés, ficelés puis noyés sous des déluges de réglementations. Comme si à chaque comportement devait correspondre une règle et inversement. En Belgique, le parlement vient de voter une loi sanctionnant la moindre injure proférée sur la voie publique. Toute algarade est désormais passible d’une amende. Engueuler son voisin ou jurer comme un charretier relèvent de comportements délictueux. Le genre d’incivilités tombant maintenant sous le coup de la loi ! À la réprobation simple se substitue une sanction légale. Progrès DémocratiKKK ?!

La télé n’est pas l’innocent reflet de ce nouvel ordre. Au cœur du système débilitant, elle en constitue l’un des plus puissants relais. Quelques exemples pas simplement anecdotiques : Fort Boyard, cet été. Au cours du jeu, un candidat se laisse aller à vanter les mérites du rhum antillais. L’animateur ne remarque pas sur le coup. Qu’à cela ne teigne : au montage, on bidouille le son et l’image pour lui faire balbutier à l’insu de son plein gré l’inévitable sentence « l’alcool avec modération, bien sûr ». Éducation subliminable post‑synchronisée !

Autre exemple : pendant la retransmission du tour de France, un journaliste est courtoisement invité par un directeur de course à suivre l’épreuve depuis sa voiture. Au volant, ce dernier se cale au ralenti dans la roue de son champion parti à l’assaut d’un dernier col. Mais voilà, la ceinture de sécurité du directeur n’est pas bouclée !

Ce qui n’échappe pas à l’œil traqueux traqueur du speaker plateau de France 2 exigeant de son confrère embarqué qu’il fasse le nécessaire auprès du contrevenant. Mais, trop occupé par la stratégie de course, le bonhomme semble peu disposé à s’exécuter dans la seconde. Convaincu d’agir en type responsable, le speaker décide donc de reprendre l’antenne au nom de tout un tas de sacro saints principes bien citoyens qu’il nous assène comme s’il s’agissait des Tables de la Loi. Pour finir, on aura même droit à une leçon de sécu routière. Le parfait cador citoyen, chien fidèle, obéissant à la voix de son maître.

La voix de son maîtreOui, on en est là ! Dernier exemple, tiré lui d’une émission populaire de bricolage sur M6 : la séquence d’exposition montre une famille lors du dîner. Le mouflet se plaint à sa mère : « J’aime pas le poisson. » Argh ! La vilaine tâche ! Toute petite certes mais tâche d’huile ! Elle n’échappe pas à la vigilance des cleaners fanatiques. Cependant, l’époque de l’ORTF et de la censure est révolue. Non, de nos jours on fait dans la pédagogie, on éduque à tour de bras : un bandeau en incrustation en bas d’écran vient donc nous rappeler tout au long de la séquence du dîner, les vertus d’une alimentation saine sur la santé.

Au fond, la censure avait quelque chose de plus frontal. Elle escamotait, expurgeait, mais là, on s’immisce carrément à l’intérieur de nos esprits pour y semer la pensée juste. Messieurs les sangsues, bonsoir !

C’est que la vie est sacrément mortelle, s’agirait d’y aller mollo mollo ! Tant pis si tout s’étrécit : décor, libertés, consciences. Nos cœurs aussi, rongés par un hygiénisme venimeux… Je suis partout… Totalitaire ! Tentaculaire. Une hydre à milles têtes : les nôtres, de têtes ! Sur le billot, offertes en pâture à Mamon.

L’invention du père Guillotin, l’hydre s’en fout pas mal : repousse instantanée des membres amputés. Les bras, eux, m’en tombent… D’autres que moi les ont déjà baissés. C’est surprenant tout de même cette apathie… pas une ruade, dans les brancards ou ailleurs. Pas le moindre sourcillement d’épaule, ni une objection, dalle, rien, nada… Mutiques. Résignés. L’échine courbe, on se con-forme… Et en signe d’allégeance, on va poser soi-même sa tête sur le billot, et avec le sourire encore. Sourire qui se fige sur la boule de visage roulant au sol après que la lame l’ait séparée du corps. Même les canards se rebiffent lorsqu’on les étête et reviennent voler dans les plumes de leur bourreau, le cou giclant à gros bouillon. C’est dire !

Aux larmes citoyens !

La voix de son maître bisLa suite de ce texte a été publié dans ASUD journal N°56 : Extension du domaine de la défaite #2

The Chase : rien ne vient…

Rien ne vient… Angoisse de la page blanche? Pas exactement, même si je cherche mes mots. Non, qu’ils manquent à l’appel, des mots j’en ai justement à la pelle… C’est une ébullition continue confondante dans mon cerveau confondant confondu… Et comme il y a beaucoup à dire et même à redire, au diable la raie théorique, je zigue et zague, le cœur bien accroché ( il n’y a plus que lui pour l’être) on y va…
Ce qui me ramène une fois de plus à mes pérégrinations mensuelles chez mon pharmacien (source d’inspiration intarissable, isn’it?). C’était l’autre samedi en pleine période des soldes : brosses à dents, crèmes lotion capilaire, dermique s’étalaient en devanture accompagnés de remises exceptionnelles de 30 et même 40%.
– Pas de promo sur le néocodion ? ai-je demandé, sourire connivent, 3 boites de néo pour le prix de 2, ça ferait la blague non?
– Allons, allons, monsieur Dufaud les soldes c’est uniquement sur la parapharmacie me rétorque une gentille laborantine plus sérieuse qu’un pape démissionnaire.
– J’imagine du coup que le subutex en vente au rayon parapharmacie c’est un peu prématuré ?
Elle sourit vaguement gênée.
–  Vous savez nous n’avons que 4 usagers du subutex, uniquement des clients… des clients qu’on connaît, précise -t-elle à toute fin inutile.
– Et pour les autres ?
– On a eu tellement de problèmes… Trop. Alors on leur dit qu’on ne délivre pas de subutex.
Le masque tombe. De haut… c’est l’époque qui veut ça.
Et d’ailleurs en parlant d’époque, s’il y a bien un magazine qui y évolue comme un poisson dans l’eau – j’avais prévenu, je digresse – c’est le très acclimaté Valeurs Actuelles reflet fidèle de celles du moment et du vide sidéral et sidérant qui les caractérisent. Dans un long papier daté de …2013 l’hebdo « révélait le scandale » de ces associations de toxicos organisant sans vergogne la promotion de la drogue grâce aux deniers des subventions publiques. Je resitue à grands traits là, pour les détails de cette sale histoire reportez vous à la réponse cinglante et parfaitement argumentée d’Asud.  Mais, je vous laisse imaginer le cran du journaliste, le courage de sa rédaction, pour oser se dresser comme ça contre le Lobby des addicts sans craindre que celui-ci ne lui tombe sur le râble. Même pas peur ! Si c’est pas héroïsche ça, comme s’écria à la fin du 19ème le chimiste allemand ayant synthétisé un nouveau produit miracle pour lutter contre l’addiction à la morphine : l’héroïne.
En même temps le jeu en vaut la chandelle :  » Harro sur les toxicos, leurs assos profiteuses ! « , c’est pain béni dans un contexte sensible de justice sociale introuvable. Forcément, ça interpelle et tant pis si c’est gratuit, délibérément nuisible et mensonger. Dans un climat médiatique largement propice aux dénonciations de toutes sortes, aux révélations d’abus, à l’exhumation de scandales, VA ne voulait pas être en rade : « un cavalier surgit hors de la nuit, court vers l’aventure au galop, son nom il le signe à la pointe du stylo d’un VA qui veut dire Valeurs Actuelles »… Plus chasseur de prime que justicier sur ce coup! Car, il y a d’emblée dans cette façon de désigner quelques indignes, de pointer du doigt les profiteurs patentés, et de les livrer en pâture à la vindicte populaire revancharde (soudain assimilée à une sagesse courroucée), quelque chose de nauséabond – au moment de la déferlante autour de « l’évasion » de Depardieu, un hebdo tv saluait en couverture Michael Young et José Garcia élevés eux au rang « de bons français ».
Alors Asud/ Depardieu même arnaque? Même salauderie ? En réalité, tout ça fleure bon la délation genre où le bon peuple a par ailleurs souvent excellé.
C’est quand même pas très glorieux de jouer les preux chevaliers blancs en enfonçant des portes ouvertes…Et tout aussi gonflé, voire perfide, de feindre se poser un tas de questions en omettant soigneusement d’aligner les bonnes. A commencer par se demander quel peut bien être en fin de compte l’intérêt de l’état à subventionner de telles structures. Ca c’était un sujet. Financement et contrôle, l’histoire du collier et de la longueur de la laisse, là, il y avait peut-être un truc à creuser (tant et si bien qu’il fait débat au sein même d’Asud depuis longtemps – comme quoi la dope n’anéantit pas tout esprit d’autocritique, n’en déplaise aux donneurs de leçons (/) d’ordre).
Deuxio, si le dossier de VA se répand sur plusieurs pages, on cherche encore ce qui l’étaye sur un plan journalistique. Passons sur la plus élémentaire déontologie qui aurait consisté à donner un droit de réponse aux responsables d’Asud (et en l’occurrence la possibilité de réfuter, documents à l’appui, par exemple, des chiffres fantaisistes). Non, je parle ici de l’un des fondements du journalisme, sa raison d’être comme disait l’autre, à savoir l’investigation… Je parle d’aller sur le terrain, incognito ou non, d’y enquêter, de recueillir des témoignages, même en douce, de les vérifier etc… Bref, de faire du journalisme. Tout simplement. Or, ni l’auteur du papier, ni sa rédaction, n’ont jugé utile, ou nécessaire, de mener la moindre enquête de ce type. Étonnant, non ?
Pas tant que ça finalement. En tout cas, pas de la part de personnages qui revendiquent le droit et l’usage de la désinformation comme une arme selon cette idée qu’une contre-vérité balancée sur le net et reprise via une tripotée de liens complices se transforme par le simple jeu mécanique de sa multiplication en une « information » difficile à contrer. Une stratégie globalement assumée. Ce genre de pandémie virtuelle fait des ravages. Moins que la drogue vous répondront ces nouveaux croisés, bouffis de certitudes, subordonnant la Vérité à des enjeux décrétés supérieurs par eux seuls : leur croisade vaut bien quelques petits arrangements avec la vérité. Inutile d’épiloguer philosophiquement sur cette surprenante hiérarchie, il suffit de dire que si, fantasmes, mensonges et peurs ne polluaient pas depuis un siècle le sujet on n’en serait peut-être pas là. Faillite coupable! On en revient encore et toujours à ce chronique -tragique- déficit d’information au profit d’un sensationnalisme, misérabilisme et moralisme plus accrocheur mais perpétuant une ignorance crasse nocive. La médiocre offensive lancée par VA loin d’y déroger, loin de nous éclairer sur quoi que ce soit, s’inscrit exactement dans ce processus pervers. La Chasse a des allures de piètre battue. C’est bien beau de traquer le gibier, mais tout bon braconnier vous le dira, quitte à lever un lièvre autant qu’il ait pas la myxomatose…
Un savoureux Last but not least, pour finir : toute la démonstration de VA s’appuie pour large part sur le dossier spécial du magazine numéro 50 d’Asud répertoriant et décrivant les effets de 50 substances stupéfiantes (VA reproduit de nombreux extraits des textes). C’est LA pièce à conviction majeure, l’argument central doublement frelaté du réquisitoire. Or, superbe ironie suprême, que ne constate-t-on pas, Valeurs Actuelles use du même procédé que celui qu’il dénonce. Chaque semaine l’hebdo de l’économie consacre plusieurs pages aux meilleurs produits présents sur le marché de l’actionnariat, vous recommande les placements les plus rentables, les stock options les plus juteux, les taux d’intérêts les plus profitables. On en soupèse les risques, on vous renseigne même sur leurs effets à court et moyen terme, on vous donne les ficelles pour « pécho », bref, on vous aiguille, parce que l’argent c’est comme le reste faut pas l’injecter n’importe comment et n’importe où ! Je pourrais décliner à loisir l’analogie. Sauf qu’ici, c’est le règne du dieu Mâmon. Et ce monothéisme là, de mon point de vue, bah, ce n’est rien d’autre que de la mauvaise Foi !
Après tout à chacun ses valeurs plus ou moins actuelles/inactuelles. Il y a pourtant des jours où tout ça se délite. Inutile de demander à ces gens-là d’y comprendre quelque chose. Ils y échappent autant que ça leur échappe. Bien trop acclimatés pour le moindre frisson d’effroi. Il y a des jours pourtant où ayant atteint le point limite, on bascule vers celui de non retour.  Il y a des « jours redoutables » pareils à ceux de la tradition juive. On souhaiterait pouvoir en rayer un ou deux du calendrier, les balancer par-dessus bord et pour de bon : moi, je flinguerai le jeudi 28 février, mieux, je le passerai au napalm vite fait, qu’il aille brûler en enfer, je le transformerai en tout petit Vietnam, je le réduirai en cendres pour éviter les larmes. Hélas, je n’ai pas ce pouvoir-là. J’ai rien pu faire. Depuis, le monde me semble encore plus sale.
« wake up this morning everything is in place 
everything seems allright 
but you’re missing missing » (bruce springsteen)

Rock Hero : Jim Morrison

Chaman ? Grand sorcier ? Poète ? Ou rocker… ? Chaman, c’est risible. Grand sorcier, consternant. Poète, si on veut… Alors quoi ?… Rocker ? Peut-être bien, après tout !

C‘est sur le campus de l’UCLA où il suit des études de cinéma que Jim rencontre Ray Manzarek, Robby Krieger et John Desmore, tous trois issus comme lui de la middle class. Ils fondent les Doors, pas vraiment A Feast of Friends, mais l’alchimie musicale entre eux fonctionnent parfaitement : au jeune héros la lumière, tandis que dans l’ombre, les trois autres s’activent à élaborer une musique hypnotique propre à accroître le rayonnement de l’éphèbe solaire.
En 1967, l’année du Love Summer, la jeunesse se découvre un nouvel amant : Jim Morrison. Il a 23 ans, une allure folle de poète sexy rock qu’il cultive à souhait, et un ego à faire pâlir Jagger. Bref, tout pour devenir rock star. Incontrôlable sur scène comme à la ville, il multiplie les frasques et les expériences extrêmes sur fond de quête mystique Luciférico-chamaniKKK. Obsédé par William Blake et Huxley, Jim veut « ouvrir les portes de la perception  », chimère qui deviendra un véritable serpent de mer s’enroulant autour de cet arbre un peu creux d’élévation du niveau de conscience et de perception. L’époque s’y prête ! S’il expérimente les drogues hallucinogènes, acides et psychotropes en tous genres, l’héroïne ne le branche pas plus que ça. L’alcool est sa drogue dure.

Le roi Lézard

Se laissant surnommer le roi Lézard, il entretient des rapports ambivalents avec son statut de rock star. Statut qui le gêne aux entournures, panoplie étriquée craquant peu à peu aux coutures comme craquent ses futes de cuir, à mesure que sa silhouette s’épaissit.
Chaman Jim entre en transe, élève sa conscience afin de transmettre son Énergie à ses adeptes ! « Nous sommes des politiciens érotiques  », beugle-t-il, jamais en retard d’une sentence définitive bien sentie. Car les Doors théâtralisent de plus en plus leurs prestations scéniques, cherchent à les transformer en cérémonies mystiques. Hélas, c’est bien cette imagerie empesée, ce fourre-tout Chaman-loo qu’a retenu Oliver Stone dans le biopic roboratif qui exalta le mythe et relança les ventes d’albums.

Heureusement, il y a le concert du 1ermars 1969 à Miami : sur scène, Morrison, ivre, se met à insulter les flics, les provoque avec un sourire sardonique et brandit (ou ne brandit pas, telle est la question) sa queue. Jeté en taule, il en sort rapidement mais reste interdit de concert dans l’attente du procès… Bref, il redevient un rocker. Au moment même où son image de rock star l’encombre, il semble s’affranchir du carcan spiritualo-mystique balourd, mal assimilé et bourré de trous qu’il a entretenu. En juillet de la même année, il assiste subjugué au retour sur scène d’un Elvis Presley sauvage : vêtu d’une combinaison kimono noir, son magnétisme animal irradie et le replace sur le trône. C’est cette pureté originelle, l’Énergie rock’n’roll infestée de Rythm and Blues, que Jim Morrison traque sur l’album Morrison Hotel (Peace Frog) ou sur LA Woman. Aux antipodes du piètre Soft Parade, dont il avait laissé les commandes à Manzarek, lequel s’était englué dans une préciosité éprouvante. Un naufrage artistique et public cuisant ! Avec ses prétentions mégalo symphoniques, l’album annonçait finalement tout ce qui allait suivre, la direction progressiste que prenait le rock et ses tentations virtuoses à venir (les Who de Tommy, Deep Purple et son philharmonique orchestra…)

« Rock is Dead »

Ayant rompu avec les Doors, seul en studio le soir de son anniversaire, Jim Morrison enregistre ses poésies et hurle « Rock is Dead ». Peut-être pressent-il justement l’impasse qui se profile en ce début seventies pour une musique sur le point d’enfler jusqu’à ce qu’une nouvelle génération, punk, ne fasse exploser la bulle dorée.
En mars 1971, le roi Lézard fatigué jette l’éponge, décrète qu’il en a fini avec le rock. Il veut écrire. Méconnaissable, il s’exile à Paris, rejoint par sa compagne Pamela Courson, junky notoire. La mort déjà ricane. Elle l’attend tapie au fond d’une boîte de SaintMichel, et lui tombe dessus sans coup férir. Heavy Drinker, Morrison n’a pas l’appétence de sa compagne pour la dope mais ce soirlà, il déroge et accepte l’héroïne trop pure d’un Frenchy des beaux quartiers, l’un de ces fils de bonne famille jouant au dealer. Foudroyé par une surdose, son cœur lâche. On le ramène (mort ou encore vivant, le mystère demeure) dans l’appartement qu’il occupe dans le Marais. La mort le fige dans son bain rue Beautreillis, dans une posture de rupture irréversible avec le rock. C’est bien le propre d’une mort prématurée que de fixer les êtres dans l’instant où elle les a surpris, ouvrant sur toutes les conjectures possibles.

Personne ne sortira d’ici vivant, comme le comme le chantait… Hank Williams !

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