I went to see the Gypsy

« Le jour se lève sur Paris comme il se lève dans une petite ville du Minnesota et par­tout ailleurs mais pas au même moment. Preuve que le monde continue bien de tourner comme si de rien n’était et il n’y a aucune raison pour que ça cesse ou change tant qu’on ne lui aura pas fait fermer sa sale petite gueule ! »

Sesa

J’ai été voir la diseuse de bonne aven­ture du côté de Château-Rouge. Elle a sa roulotte quelque part der­rière, dans une ruelle mystérieuse, intermittente au gré des saisons. La cara­vane est encombrée de toutes sortes d’ob­jets plus ou moins divinatoires. Sur un guéridon traîne Le Tarot des Bohémiens. La vieille me fait signe que ce n’est pas pour moi. Ensuite, elle me demande de tendre la main grande ouverte. Elle a lu dans le creux, m’a fixé d’un regard froid et humide pareil à une lame couverte de sang. Et puis, sans mot dire, elle a posé ses vielles mains douces sur les miennes. J’ai voulu parler mais elle s’est soudain volatilisée, là, sous mes yeux… Envolée la chiromancienne, envolée sa roulotte et la rue avec ! Je me suis retrouvé un peu sonné rue Poulet devant l’escalator du métro. Un Africain distribuait des flyers pour une consultation chez le marabout du coin. Non merci, j’ai déjà donné !

D’ici, je suis condamné à descendre le boulevard Barbès avec ses grappes de dealers vissés les uns à côté des autres au pavé, occupés à faire la retape, chacun tenant férocement un étroit territoire. Ils sont comme des bornes jalonnant le trajet jusqu’au métro, histoire qu’on se perde pas sans doute, mais des bornes un peu spéciales, qui te hèlent mécham­ment quand elles n’ont tout simplement pas le pouvoir de se déplacer et de venir t’alpaguer. J’y coupe pas ! Pas moyen de faire 5 mètres sans que l’un de ces mecs ne se colle à moi « Sub ! Sub ! » Insis­tants ! Faut croire qu’ils ont l’œil et du flair. Marchant derrière moi, l’un d’entre eux me glisse : « Haschich ! Haschich ! » Je me retourne, connement, il me mate une seconde et là, direct, il fait : « … Sub ? » Autrefois, ça m’aurait fait rire – sous cape – mais c’est pas le jour, et puis pas question de baisser la garde, faut tracer sans laisser la possibilité à l’un ou l’autre de croiser ton regard pour te refiler sa merde. C’est la règle ici sans quoi, pris dans la nasse, c’est foutu, direction une ruelle, bien réelle, derrière le boulevard et là au mieux, tu te retrouves avec une tablette surnuméraire que tu n’auras pas la bêtise de refuser d’acheter, même si la prescription de ton toubib t’en dispense. Et ça, c’est dans le meilleur des cas, parce que ça peut tout aussi bien dégénérer, tu finis dépouillé et pas forcément sans avoir été un peu amoché, pour la beauté du geste je suppose. La seule solution consiste à avancer sans réagir aux solli­citations. Des travaux étrécissent le trot­toir. Ce qui complique la manœuvre. J’en ai vite ma claque de foncer comme on rase les murs. Je prends la chaussée. Les bagnoles me frôlent, je m’en fous, autant courir le risque c’est de toute façon plus safe que d’évoluer au milieu de la faune.

Passé le métro aérien, le climat change brusquement. Le boulevard Magenta a quelque chose de plus pacifié du moins en façade, ce qui me convient assez, même si les deals ne manquent pas ici non plus. Et c’est pas d’hier. Willy De Ville s’en est souvenu en intitulant son second album Magenta. Une vieille femme voûtée aux allures de chaman indien avec ses che­veux filandreux couleur de cendre danse sur la piste cyclable contiguë au trottoir. Visage raviné, osseux. Ses fringues et son jean crasseux semblent vides de tout corps, on dirait qu’elle a des os fantômes. Mais je ne vois pas sa roulotte…

Nelson Mandela est mort hier soir. J’ai vu les images cette nuit de gens dansant dans les rues de Pretoria. C’était inat­tendu.  Mais le message est clair. Trou­ver la force de dépasser tout, non en éri­geant un mur entre le monde et soi mais en s’efforçant de l’embrasser sans céder. Sans céder à l’auto-apitoiement. Nous sommes ici ou là, le vent porte les uns, les autres ont leurs missions plus ou moins confidentielles et utiles, oui mais pour combien de temps ?

Une journée de plus aux portes du néant. C’est jour de solde. Tout doit disparaître !

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