Cannabiculteurs en danger

Une enquête diligentée en 2008 par l’OFDT estimait à 200 000 le nombre de cannabiculteurs pour une production avoisinant les 32 tonnes. 11,5% de l’herbe fumée serait française et son taux en THC ne dépasserait pas les 8%. Le « Plan gouvernemental 2008/2011 de lutte contre les drogues et les toxicomanies » préparé par la Mildt s’est focalisé sur l’autoproduction à des fins domestiques, « un phénomène favorisé par la libre circulation des graines et du matériel de production, ainsi que par la prolifération de magasins et de sites internet spécialisés dans la cannabiculture ». Et de promettre à la police « des moyens de détection innovants » pour lutter contre ce nouvel ennemi de l’intérieur !

Un effet collatéral de la répression

L’explosion de l’autoproduction au XXIe siècle est liée à la politique de la tolérance zéro pour le cannabis et à la répression qui s’ensuivit. Les amateurs de cannabis ont vite compris que pour échapper à la police et au haschich médiocre à prix prohibitif du marché noir, il leur suffisait de planter quelques pieds de chanvre sur un balcon, dans un placard ou en pleine terre.

Conséquence directe, les cannabinophiles qui fumaient naguère de la résine marocaine ne jurent plus que par la beuh. Une étude instructive publiée en 2010 par l’ONDRP (Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales) confirme cette tendance :
« L’herbe représente désormais 40% du marché français. Un usager sur deux (47,7%) estime consommer de l’herbe made in France, soit 12% du marché total du cannabis. » Comme le note l’ONDRP, les trois-quarts des planteurs cultivent uniquement pour leur usage personnel et celui de leurs amis. Et le quart restant ? Au fil des ans, les jardiniers en herbe sont de plus en plus nombreux à maîtriser parfaitement le sujet, à passer du stade de l’autoproduction à la culture artisanale pour le plus grand plaisir de consommateurs certains de trouver une herbe saine à un prix raisonnable.

Une profession en pleine expansion

L’artisan cannabiculteur réside souvent à la campagne, pratique le cannabis depuis des lustres et produit des variétés qui feraient le bonheur des coffee shops. Il est « normal », prudent, a passé l’âge de se faire contrôler à tout bout de champ et tient à conserver un travail valorisant qui lui permet de fumer à l’œil toute l’année et aussi de mettre un peu de beurre dans les épinards.

Combien sont-ils à vivre du commerce de l’herbe qu’ils ont plantée, récoltée, séchée, manucurée et emballée de préférence sous vide ? Des cannabiculteurs qui accepteraient par ailleurs (quitte à perdre une part de leur revenu) de vendre leur production à des coopératives ou à des organismes officiels après analyse des cannabinoïdes et contrôle phytosanitaire.

Le jardinier du dimanche se distingue du cannabiculteur professionnel par la quantité d’herbe qu’il cultive à l’année. En plein champ, un jardinier expérimenté et vigilant produira en moyenne six cents grammes de fleurs sèches par plante. Après avoir déduit les frais qui vont des engrais aux petites mains rémunérées pour manucurer, il lui suffira d’en rétrocéder cinq kilos pour survivre toute l’année. Qui plus est, avec les petites feuilles récupérées, il produira du haschich maison à l’aide du Pollinator et de l’Ice-o-lator. S’il double sa production, augmentant sensiblement les risques, il gagnera bien sa vie et participera activement à la vie économique de sa région.

Pour en avoir croisé partout lors de mes pérégrinations militantes, l’artisan cannabiculteur est généralement un honnête homme, un commerçant arrangeant qui n’exige pas toujours d’être payé de suite. Il s’est construit un réseau de personnes ordinaires avec qui il entretient des relations de confiance, des gens « qui n’ont pas la gueule à ça » trop contents de s’approvisionner directement à la ferme.

Pas de pitié pour les cultivateurs en herbe !

Nous avons rêvé d’un monde où le peuple de l’herbe formerait une tribu solidaire, où les cultivateurs échangeraient leur savoir comme leurs boutures et organiseraient pour de rire des Cannabis Cups, mais ce temps-là est bien fini.

À cause des policiers qui traquent les parcelles en hélicoptère et des gendarmes qui promènent leurs chiens renifleurs dans les rues des villages ? À cause des ados qui profitent de la nuit pour dérober quelques plantes et en cas de problèmes avec la maréchaussée, dénoncer leur légitime propriétaire ?

Non ! À cause des gangs qui s’intéressent désormais de près aux cultivateurs en herbe, une proie facile. Dans le grand Sud où la pègre est bien implantée, les braquages se multiplient, déclenchant un climat de suspicion et un vent de panique chez les cultivateurs de beuh, lesquels ont déjà fort à faire pour dissimuler leurs activités aux voisins curieux et aux policiers sur les dents.

Qui informe les gangs ? Rémunèrent-ils des gamins pour sillonner la campagne à la recherche de plantations ?
On m’a rapporté que si vous êtes dans une région connue pour être un grenier à beuh, que vous avez le look du fumeur et que votre maison est isolée, vous prenez le risque d’être méchamment agressé par des apprentis gangsters persuadés que vous plantez du cannabis.

Mais le pire est à venir et je l’affirme en connaissance de cause. J’ai été, alors que je rendais visite à un jardinier de mes amis, le témoin oculaire d’un braquage dans les règles de l’art. Quand ils ont surgi de la nuit, portant cagoules et gants, brandissant qui un fusil à pompe, qui une arme automatique, nous avons cru que c’était les flics. Lorsqu’ils ont aboyé l’ordre de nous coucher face contre terre et frappé mon ami à coups de pieds et de crosse, nous en avons douté, mais la suspicion demeure. Ils étaient violents sans pour autant perdre leur sang-froid, avares en paroles mais bien renseignés sur la vie privée du principal intéressé. Avant de décamper, ils nous ont lié les mains dans le dos avec de la ficelle et confisqué nos téléphones. Nous les avons retrouvés le lendemain au fond de la poubelle. Ils sont partis avec la voiture du propriétaire débordante d’herbe en nous assurant que nous la retrouverions sur le parking d’un supermarché. Finalement, ils l’ont brûlée.

Ces agressions sont traumatisantes pour des victimes se sentant totalement impuissantes. Le jardinier à qui l’on a posé un flingue sur la tempe ne porte pas plainte au commissariat, il se tait et rumine. Agriculteur compétent et commerçant honnête, il a tout perdu en quelques minutes.

Il fallait s’y attendre, la prohibition est une aubaine pour les gangs, au détail l’herbe se négocie dans la rue entre dix et quinze euros. Il y a un marché à prendre, quitte à partager avec quelques agents de la force publique corrompus comme ce fut le cas aux États-Unis lors de la prohibition de l’alcool, comme c’est le cas de façon criante au Mexique et comme ce sera bientôt le cas chez nous, la preuve avec les agissements douteux de la BAC-Nord de Marseille.

Les mafias à la manœuvre !

La culture du cannabis à des fins lucratives est désormais une réalité et les gangs sont devenus les alliés involontaires des policiers dans leur traque aux cultivateurs, sauf que les voleurs ne détruisent pas la beuh mais la recyclent.

Si les autorités en charge de la sécurité s’en lavent les mains du style « C’est bien fait pour eux, on ne va pas les plaindre », à la guerre pour le contrôle des quartiers dans les banlieues s’ajoutera la guerre pour contrôler la production locale d’herbe, un marché très juteux. Suite à une agression, les victimes des gangs réduisent considérablement, voire abandonnent, leur activité, un manque à gagner pour les mafias qui pourraient alors les contraindre à cultiver contre un pourcentage et une protection, ce qui nécessiterait en passant de corrompre des responsables de la répression. Mais la mafia sait se montrer généreuse et persuasive. Science-fiction ? Pas si sûr ! Au Canada, par exemple, ce sont les Hell’s Angels qui assurent, de la production à sa distribution, le commerce du cannabis. Et gare à ceux qui ne se plient pas à leur diktat !

Tout comme Stéphane Gatignon dénonce, dans son livre Pour en finir avec les dealers, la politique française en matière de drogues et met en garde contre les mafias prenant le pouvoir en banlieue, à mon tour d’attirer l’attention des autorités sur le statut du cannabiculteur, un acteur économique certes hors-la-loi, mais bien réel et fort utile pour les fumeurs qui refusent de cautionner le marché noir.

Et lorsque les mafias hexagonales auront conquis par la force une part du gâteau, elles se feront la guerre pour le contrôle, à moins qu’elles préfèrent s’associer à la mafia vietnamienne récemment impliquée dans deux affaires : 750 plants saisis à La Courneuve et 3 000 dans une boulangerie abandonnée de l’Aube.

Pour échapper à ce scénario du pire où nous compterons bientôt les morts, qu’on le veuille ou non, le gouvernement n’a pas d’autre solution qu’encadrer la production et la distribution du cannabis.

L’Observatoire du Droit des Usagers est en ligne

Depuis longtemps, Asud travaille dans le cadre de la loi du 4 mars 2002, dite « loi Kouchner », pour relayer des problèmes de prise en charge des usagers de drogues.
Afin d’officialiser cette action, nous avons obtenu en 2007 un agrément national pour représenter les patients accueillis dans les structures de soins et, le cas échéant, pouvoir porter leurs intérêts en tant que personne morale.

Jusqu’à aujourd’hui, nos actions restaient ponctuelles, individualisées et uniquement fonction de la résolution de problèmes concrets : trouver un autre centre en cas de conflit (refus de prescription ou divergences sur les posologies) ou réorienter vers des partenaires situés dans d’autres zones géographiques (au hasard : Paris).

Le projet « ODU » est plus ambitieux : il s’agit d’organiser la remontée de ces informations au bénéfice d’une optimisation de la prise en charge. Une page web dédiée va permettre aux usagers de formaliser clairement leurs problèmes grâce à une liste de rubriques déjà inscrites. Pour mieux comprendre, faites un clic.

Cet outil a le mérite de pouvoir être utilisé à distance et repose sur la synergie que nous souhaitons mettre en place avec les acteurs du soin et de la réduction des risques. Notre but est d’utiliser ce nouvel espace au service de la médiation entre les usagers et le système de prise en charge, pas de renforcer les facteurs de confrontation, , alors que la grande majorité des soi-disant malades sont souvent des consommateurs récréatifs.

Ce projet s’adresse à tous les usagers, ceux du secteur médico-social (Caarrud/Csapa), ceux du secteur hospitalier (Elsa, urgences…) et bien entendu, ceux de la médecine libérale. Nous avons l’ambition d’être une voie supplémentaire de résolution des problèmes posés par l’accès aux droits de ces patients un peu particuliers que sont les consommateurs de substances.

Concrètement, au-delà de la page web d’Asud, vous trouverez des affiches et des flyers indiquant l’existence de l’ODU dans toutes les bonnes salles d’attente. N’hésitez pas à les mettre à disposition de vos ami(e)s, maris, femmes, voisins, voisines, l’ODU est à la disposition de tous ! Cet outil en ligne vous permettra de communiquer directement avec nous sur la qualité de votre prise en charge.

Nous comptons sur votre mobilisation dans l’ensemble du projet, sachant que vous pouvez décliner votre implication tant sur le plan local que régional, voire aussi au niveau national. Si l’observatoire vous intéresse et que vous désirez vous y impliquer, connectez-vous sur la page ODU.

Une action mise en place par Asud en partenariat avec Aides et la Fédération Addiction, avec le soutien de la Direction générale de la santé (DGS, Bureau des pratiques addictives).

Drogues : sortir de l’impasse

Vous cherchez un cadeau de Noël intelligent ? Anne Coppel et Olivier Doubre, deux fidèles compagnons d’Asud-Journal, vous donnent l’opportunité de briller en société. Non que la prohibition des drogues soit nécessairement facile à caser entre la dinde et le caviar, mais offrir Drogues, sortir de l’impasse est une contribution discrète et élégante à la lutte contre l’obscurantisme qui sature l’atmosphère médiatique.

Asud : Comment expliquer le retour de « la drogue » dans les médias après « les sept années d’hiver » évoquées dans le livre ?

Anne Coppel & Olivier Doubre : En France, le débat sur la drogue ressemble à un serpent de mer qui resurgit mystérieusement alors que les années précédentes, on n’entendait qu’un seul son de cloche : « le cannabis rend dépendant, il rend fou, il tue sur la route. » Les journalistes français ont relayé l’information en partie parce que le large consensus sur la politique sécuritaire de Sarkozy commençait à s’éroder, mais personne n’avait prêté attention au débat international qui, depuis 2008, a pris un tournant majeur.

Or ce n’est pas un hasard si le débat public en France s’est ouvert en 2009 avec les salles de conso. Dans la santé au moins, ce n’est plus une question d’opinion
« pour » ou « contre » les drogues, on sait avec certitude ce qu’il faut faire. L’OMS comme l’Inserm sont en mesure de proposer des programmes précis pour protéger la santé – ce qui est en principe l’objectif premier de la prohibition ! Il n’y a pas les mêmes certitudes pour la légalisation du cannabis puisque, jusqu’à présent, aucun pays n’a pu le faire. La seule certitude est que la guerre à la drogue mène à une escalade meurtrière. En Amérique latine, les gouvernements sont désormais à la recherche d’alternatives, en commençant par mettre en œuvre les actions qui ont fait leurs preuves. Et en tout premier lieu, la dépénalisation de l’usage de drogues.

Pourquoi et comment le concept de « tolérance zéro » s’est-il peu à peu immiscé chez nous dans les politiques de drogues ? Existe-t-il en la matière une différence entre la droite et la gauche ?

Le concept de « tolérance zéro » a été importé des États-Unis où il est étroitement lié à la guerre à la drogue. Ce n’est pas le cas en France où ce concept a été introduit à la fin des années 1990 dans le débat sur l’insécurité – à droite comme à gauche. Aussi lorsqu’en 2003, Sarkozy a entrepris d’introduire cette politique en France, il a le soutien de la grande majorité des politiques. En 2007, il fait voter une nouvelle loi de lutte contre la délinquance, avec les peines planchers qui, sur le modèle américain, imposent une application automatique des condamnations en cas de récidive.

Étienne Apaire, le très sarkozyste président de la Mildt de l’époque, se donne pour mission d’appliquer cette doctrine à l’usage de drogue. Sa thèse est simple : les usagers consomment des drogues parce qu’ils n’ont pas peur du gendarme puisque la loi n’est pas appliquée. Ce n’est pas tout à fait vrai : même s’il s’agit seulement d’une petite minorité, il y a toujours eu des incarcérations pour usage. Et c’est particulièrement grave pour la détention ou l’acquisition qui sont assimilées au trafic : en principe 4 ans de prison en cas de récidive, même pour 1g ! Ce tournant sécuritaire a été quasi invisible. Le PS ne s’y est pas opposé, d’abord parce qu’il craint d’être accusé de laxisme, mais aussi parce qu’une grande partie est désormais convaincue que « la loi protège ». En fait, ces peines planchers n’ont pas été appliquées de façon systématique… faute de places de prison. Mais l’UMP et le Front national surenchérissent et se proposent d’y remédier… Hollande a bien promis de les supprimer, espérons donc vivement qu’il tienne sa promesse !

Lorsque l’on est un lecteur habituel d’Anne Coppel1, on est surpris de l’importance accordée dans cet ouvrage aux questions purement sécuritaires – au-delà du dossier sanitaire catastrophique de la « guerre aux drogues ». Quel est le sens de cette évolution ?

Le Dragon domestique portait sur l’histoire de la prohibition avec une question : comment sortir du piège de l’escalade de la répression ? Mais, même si la prohibition est sans aucun doute une erreur historique, il faut reconnaître qu’on ne sortira pas de ce système international en claquant des doigts. Il n’y a pas de solution toute faite, pas de « yaka ». La réduction des risques liés à l’usage de drogues a été un premier tournant : sous la menace du sida, la protection de la santé a été prise au sérieux. L’escalade de la guerre à la drogue impose aujourd’hui de prendre au sérieux la question de la sécurité. Personne n’a envie de vivre sous l’emprise des mafias.

Or on voit bien que la lutte actuelle contre les mafias ne fait que renforcer leur emprise et leur violence. Il faut donc faire autrement – dès aujourd’hui –, avec de nouvelles pratiques policières afin de réduire les dommages liés au trafic : la violence, la clandestinité, la corruption.

Il faut aussi développer les expérimentations qui limitent l’emprise du marché noir : prescriptions médicales d’une part, autoproduction ou cannabis clubs d’autre part. On peut espérer qu’à terme, ces différentes expérimentations finissent par aboutir à un changement des conventions internationales. La question que nous posons n’est pas « Quel est le modèle idéal ? »
mais plutôt « Comment enclencher une stratégie de changement ? ».

« La guerre à la drogue est une guerre livrée par l’État aux Noirs et aux Arabes pauvres des banlieues » : peut-on soutenir terme à terme cette transposition dans le contexte français d’un célèbre aphorisme de Michelle Alexander2 ?

Malheureusement oui : la très grande majorité des usagers ou petits trafiquants sanctionnés sont noirs ou d’origine maghrébine. Les Français n’ont pas conscience de ces discriminations raciales ou bien ils pensent que si les Noirs et les Arabes sont plus sanctionnés que les Blancs, c’est que « les trafiquants sont noirs ou arabes », pour citer les sorties nauséabondes d’Éric Zemmour. C’est vrai que les petits dealers de rue se reconnaissent souvent à leur couleur de peau. Parce qu’ils sont en bas de l’échelle sociale, donc souvent issus des minorités « visibles », davantage discriminées dans notre société. Dès qu’ils en ont les moyens, consommateurs et revendeurs utilisent leurs appartements. Tout le monde sait cela !
Or l’expérience américaine montre que les sanctions systématiques des dealers de rue ne limitent pas le trafic, elles en exacerbent la violence en enfermant les minorités dans l’exclusion et la délinquance. Après 31 millions d’incarcérations – dont 90% de « Blacks » et d’Hispaniques –, le mouvement des droits civiques aux États-Unis a fini par prendre conscience que ces lois étaient la forme nouvelle de la ségrégation raciale.

Faudra-t-il des millions de vies brisées par la prison, la misère et la précarité, pour que les Français prennent à leur tour conscience que cette répression produit une société de plus en plus violente, toujours plus raciste et divisée ? Les règlements de compte à Marseille et ailleurs sont le produit de cette escalade guerrière. Il est possible de faire autrement, c’est une question de choix de société.

La réélection de Barack Obama s’est faite dans une atmosphère un peu désenchantée, notamment dans les milieux antiprohibitionnistes qui avaient placé beaucoup d’espoirs dans son premier mandat. Peut-on espérer une inflexion de l’administration américaine notamment après les référendums pro-cannabis du Colorado et de l’État de Washington ?

Obama a déçu l’espoir des militants, mais sa réélection modifie encore un peu plus le rapport de forces tant national qu’international : le changement ne viendra pas nécessairement de l’administration fédérale, mais les États américains au Nord et, plus encore, les pays d’Amérique Latine ont désormais les mains plus libres. Les états-Unis sont de moins en moins en mesure d’imposer la guerre internationale à la drogue dont ils ont été le maître d’œuvre au cours des dernières décennies.

Donc, lorsque l’Uruguay décide de produire le cannabis qu’il veut vendre, ou que les États andins tolèrent – ou même réglementent – la production de la feuille de coca, aucune instance internationale n’est plus en mesure de les sanctionner. C’est peut-être le début de la fin de la politique internationale de guerre à la drogue… C’est en tout cas un tournant majeur ! Les expérimentations vont se multiplier selon les produits, les régions du monde, les usages, les risques… On peut espérer qu’elles aboutiront à de nouvelles régulations des différents psychotropes – peut-être même dans la prochaine décennie ?

1. Anne Coppel & Christian Bachmann, Le Dragon domestique. Deux siècles de relations étranges entre l’Occident et la drogue, Albin Michel, 1989 (rééd. La Drogue dans le monde, Points/Seuil, 1991) ; Anne Coppel, Peut-on civiliser les drogues ? De la guerre à la drogue à la réduction des risques, La Découverte, 2002.

2. Michelle Alexander, The New Jim Crow. Mass incarceration in the age of colorblindness, N.Y., The New Press, 2012.

Drogues, sortir de l’impasse. Expérimenter des alternatives à la prohibition. Anne Coppel et Olivier Doubre, éd. La Découverte

Alberto Garcia-Alix, un photographe hors champ

L’un des plus grands photographes espagnols contemporains prend depuis plus de trente ans des clichés de ses potes en noir et blanc. Une galerie de portraits saisissants, d’instants pleins d’émotions où se côtoient motards, défoncés, zonards, stars du porno, musicos et anonymes.

S’il est courant qu’un photographe choisisse des gens en marge comme sujets, la différence est de taille quand ces derniers sont ses potes, qu’il raconte leur histoire, allant même jusqu’à pratiquer l’autoportrait en train de se faire un shoot d’héro dans les années 1980 ! D’autant qu’aujourd’hui, le bougre ne renie rien, surtout pas : « Je n’ai pas honte, on voulait vivre, explorer de nouvelles sensations, s’éclater…! » Il le fait sans frime, juste au naturel à l’état brut et décoiffant de toute une génération qui explose parfois sur fond d’héro, de sexe et de rock’n’roll version Madrid !

Il m’ouvre la porte de son appart-studio à Madrid avec un chaleureux abrazo. Pas grand, des tatouages plein les bras, la voix cassée, les yeux rieurs, une bonne gueule, il sait que je ne viens pas pour un scoop mais pour parler à travers lui de l’arrivée massive du caballo (cheval) en Espagne, de contre-culture. Appréciant les numéros d’Asud que je lui passe, il a lui aussi a publié des fanzines où s’exprimait une jeunesse bâillonnée par quarante ans de nuit franquiste, et une superbe revue, El Cante de la tripulación. Il allume un joint, n’a pas la grosse tête, parle de sa vie, évoque la photo, « sans elle, je serais certainement parti en live ». Motard dans l’âme, il roule toujours en Harley mais n’est plus à la tête d’une équipe de déjantés juchés sur de belles italiennes dans le championnat d’Espagne. On en vient vite à l’héroïne, sa « drogue reine » qui rentre dans sa vie dès 1976, avant la fameuse Movida (en argot « faire un plan ») dont il dit : « On m’affuble souvent du titre de photographe de la Movida, bien sûr j’étais tout le temps là où il se passait des choses, mais on n’était pas un mouvement, j’étais avec mes potes, les ai pris en photo, c’est tout… Cela partait dans tous les sens, c’était libertaire, c’est après que les médias ont inventé ce mot… ». Il a donc vécu la première vague du cheval, celle où toutes les pharmas de Madrid se faisaient casser à la recherche d’opiacés, les transformant vite en bunkers… Il raconte les plans, le deal, la blanche, le brown, puis le tourbillon qui s’accélère au début des années 1980 avec la Movida qui élargi les excès au plus grand nombre, mais aussi cette soif de vivre autrement !

Alberto est fan de rockabilly et de tango, dont la mélancolie sied à ses photos empreintes de nostalgie car nombre de ses amis et son jeune frère Willy sont morts (OD, sida) et d’autres drames ont ponctué sa vie, comme celle de beaucoup d’entre nous. Marqué dans son corps, « quelque part on est un peu des survivants, tu ne crois pas… ? », le VHC a failli lui être fatal « l’interféron mec, c’est pas de la tarte ! » Mais il a au moins sept vies, voyage (Mexique, Cuba, Laos…), anime des ateliers, expose partout, fait des vidéos, a une petite maison d’édition, Cabeza de Chorlito, écrit de beaux textes pour ses bouquins de photos comme « De donde no se vuelve », sur cette soif de liberté au lourd tribut, les rêves opiacés, l’accroche de l’héro…

Né en 1956, Alberto Garcia-Alix vient de recevoir le prix Fotoespaña 2012 pour son œuvre mais n’a pas sombré dans la repentance. Il n’est plus accro à l’héro et s’en sort bien même si à de rares occasions… « Quand je suis allé au Laos, je suis tombé sur de la blanche, waow, heureusement c’était plus que les deux derniers jours… ! »

On rit. La méthadone ? Il reconnait que c’est un outil nécessaire mais « t’es toujours accro, c’est pas mon truc … ».
Il est bien sûr contre la prohibition des drogues et me raconte en souriant la dépénalisation de toute conso en Espagne en 1982 : « des mecs allumant leur pétard devant un flic et lui soufflant la fumée dans la gueule ! » Tout était possible, une formidable explosion des sens même si en 1975, à la mort de Franco, « une fille en minijupe de cuir noir allant acheter son pain, était plus révolutionnaire que bien des discours militants ». Des gens comme Alberto ont fait galoper l’Espagne à 200 km/h, lui faisant rattraper son retard et la projetant dans une modernité en rupture avec un passé national-catholique !
À découvrir donc ces super photos d’un artiste qui est des nôtres…

Les 12 photos présentées ici sont issues du livre d’Alberto Garcia-Alix “De donde no se vuelve” (Centro de Arte Reina Sofía/La Fabrica, Madrid, 2008), dans lequel sont réunies les 240 photos de l’exposition qui s’est tenue entre 2008 et 2009 au Musée d’Art Moderne de Madrid, là où l’on peut voir le fameux Guernica de Picasso.
Notre choix s’est volontairement limité à celles qui ont trait à la drogue, Asud oblige, mais bien d’autres sujets d’inspiration figurent dans ce livre et dans son oeuvre en général.  Tout aussi importants sont la moto, avec ses potes bikers, le sexe avec des copines dans des poses très provos, des stars masculines du porno comme le célébre Nacho Vidal, des prostituées, mais aussi des musicos comme Camaron et bien sûr ses amis anonymes dont on peut suivre  certains au fil des années…

Jorge y Siomara, 1978Jorge et Siomara, 1978 (un couple d’amis d’Alberto)
La dope qui arrivait sur le marché étant blanche, soit on la sniffait, soit on la shootait. Cette dernière voie de conso deviendra vite populaire à partir des années 76-77 dû à plusieurs facteurs: l’explosion de liberté que connait alors l’Espagne après 40 ans de dictature franquiste, l’intensité des effets de l’héro par voie intraveineuse que les UD déjà initiés ne manquaient pas de souligner, l’ignorance totale de ses dangers (pas de différence faite entre fumer un joint ou shooter!). Il faut ajouter aussi que ceux qui shootaient étaient vus à ce moment là comme super branchés. Mais c’est surtout l’absence dramatique d’une politique publique de prévention  qui fit cruellement défaut !
Willy en train de se shooter, 1980Willy en train de se shooter, 1980
Jeune frère d’Alberto, Willy est sur cette photo au début de sa courte histoire avec l’héro. Il aime le rockabilly et s’éclate dans le Madrid de la Movida…
Parier pour ne jamais gagnerParier pour ne jamais gagner, 1976
En donnant ce titre dès 76, Alberto pressent le drame que la conso débridée d’héro va entraîner pour toute une génération. Celle-ci finira par toucher toutes les régions,  les villes comme les campagnes, les riches comme les pauvres… Mais ces derniers payèrent évidemment le prix fort! en les poussant massivement dans la délinquance avec sa cohorte de prisons, morts violentes, familles détruites…. En Galice, la Bretagne ibérique et terre d’arrivage d’héro et de CC, une remuante et courageuse association « des mères contre la drogue », exerça même une pression politique pour ne pas que les U.D. (leurs enfants) soient criminalisés et exprima un fort rejet social des dealers-mafieux avec de grosses manifs devant leurs luxueux domiciles !
P'tit Juan, 1997P’tit Juan, 1997
Un pote d’Alberto au look bien dans ses baskets.
Teresa en train de se shooterTeresa en train de se shooter, 1978
Elle fut la compagne d’Alberto entre 1977 et 1982. Elle décèdera en1995.
Willy, 1982
Willy, 1982
Tout juste père d’une petite fille, Willy est mort à 24 ans d’une O.D. alors qu’ayant décroché, il s’était offert « un homenaje », une petite fête d’un soir… Un phénomène qui deviendra un grand classique ! Sa mort marquera à jamais Alberto et l’empêchera de penser à se payer sa dope en dealant comme beaucoup d’UD le faisaient à l’époque, avant que cette activité ne tombe dans des mains plus professionnelles…
En attendant le dealer, 1982En attendant le dealer, 1982
A cette époque et jusqu’au début des années 90, le deal et donc aussi la conso d’héroïne, la cocaïne restant marginale, avait lieu dans les rues de Madrid souvent aux yeux de tous. Le dealer était espagnol (mais gadjé, rarement gitan), souvent héroïnomane. Puis, les autorités ont voulu en finir avec l’image de plus en plus impopulaire du junkie faisant son shoot en pleine rue sur un banc public (la conso de toutes les drogues étant dépénalisée) et laissant souvent sa seringue n’importe où. Elles firent sortir du centre ville par une forte pression policière sur les dealers, la vente et donc très vite aussi la conso qui se déplacèrent peu à peu vers les bidonvilles gitans de la banlieue.
Autoportrait en train de me shooter, 1984Autoportrait en train de me shooter, 1984
Alberto avait commencé à consommer de l’héroïne à l’âge de 19 ans, fin 75. Il sauta comme beaucoup du joint au fixe, pratiquement dans la même année et sans même passer d’abord par la case du sniff! Ce fut le début d’une longue relation…
Johnny Thunders, 1988 Johnny Thunders, 1988
Johnny Thunders, guitariste du groupe culte de la scène new yorkaise, les New York Dolls, au style très rock avec un jeu de scène décadent et travesti (qualifié aussi de proto-punk, de glam-rock) qui connut son heure de gloire entre 1971 et 1975. Les NYD influençèrent de nombreux groupes comme les Ramones, le guitariste Steve Jones des Sex Pistols, Morrissey de The Smiths, Guns N’ Roses, Television , Blondie, Talking Heads… Alberto et lui devinrent amis à la fin des années 80, lors d’une tournée européenne du groupe The Heartbreakers que Johnny avait fondé avec le batteur des NYD Jerry Nollan en 75. Johnny mourrut dans des circontances mystérieuses, d’une OD de méthadone et d’héroïne, dans un petit hôtel de la Nouvelle Orléans en 1991, après au moins une quinzaine d’années d’une addiction à l’héro et dont j’avais déjà pu constater l’ampleur, l’ayant rencontré à N.Y. en 81 et 82…
Lirio, 1997Lirio, 1997
Iris, surnom d’un ami… dans une position bien connue des injecteurs pressés ou sans garrot à disposition (bof), mais qui n’ont pas encore de problèmes veineux…!
Floren, 2001Floren, 2001
Deux facteurs ont fait peu à peu changer le mode de conso : le Sida qui a frappé très durement les UD espagnols et l’arrivée de l’héroïne marron début 80, d’abord iranienne, puis turque et libanaise et enfin pakistano-afghane que l’on peut inhaler. Au shoot et à ses dangers (et la très mauvaise image sociale du junkie), les UD depuis plus de 15 ans préfèrent largement  chasser le dragon sur de l’allu ou fumer en pipe. Ce mode de conso présente beaucoup moins de risque d’OD et empêche les dégâts veineux. Par contre de sérieux problèmes pulmonaires apparaissent avec un usage fréquent.
Grosse défonce à ManilleGrosse défonce à Manille, 2001
Autoportrait d’Alberto, la blanche devait être bonne! mais c’était avant le réveil de son hépatite C et le traitement qu’il fit à Paris où il résida entre 2003 et 2005, Porte de la Chapelle…
Désormais, Alberto, « Rangé des voitures » , préfère tirer sur un p’tit joint de cannabis!

Pour le pouvoir d’usage

Le sénateur Jean-Vincent Placé a récemment plaidé pour la sortie d’une économie basée sur l’acquisition de biens matériels pour passer à une notion d’usage1. On comprend l’idée, c’est le principe du Vélib généralisé à tous les services. On ne possède plus, on troque, on use, on donne, on partage. Plutôt que l’appropriation des moyens de production, un slogan légèrement teinté rouge sang, on fait une révolution douce dont l’objectif est de désacraliser la propriété et les objets de consommation.

Le sénateur Jean-Vincent Placé a récemment plaidé pour la sortie d’une économie basée sur l’acquisition de biens matériels pour passer à une notion d’usage(1). On comprend l’idée, c’est le principe du Vélib généralisé à tous les services. On ne possède plus, on troque, on use, on donne, on partage. Plutôt que l’appropriation des moyens de production, un slogan légèrement teinté rouge sang, on fait une révolution douce dont l’objectif est de désacraliser la propriété et les objets de consommation.

Quel rapport avec les drogues ? Cette utopie écolo est au cœur de la réflexion sur les « impasses » désignées par Anne Coppel et Olivier Doubre. Que l’on soit un dealer de shit marseillais ou un douanier chti, l’obsession, l’horizon indépassable du débat reste l’objet « drogue » dans son acception la plus matérielle. Et chacun de brandir des records, en tonnes saisies d’un côté, en argent blanchi de l’autre. Le bouchon conceptuel qui n’a jamais sauté, c’est celui du « fléau de la drogue », une expression qui en dit long. Nous l’avons souvent écrit, la prohibition est le boulevard des partisans d’un « laisser-faire » poussé jusqu’à la sauvagerie. Pour paraphraser Clauzewitz, le grand banditisme, c’est faire du commerce par d’autres moyens, la finalité restant la conquête de marchés qui saturent nos medias de faits divers… en rafales.

Le dossier du dopage est un autre exemple de l’imprégnation ultracapitaliste du discours ambiant dès que le mot drogues est prononcé. Sportifs, commentateurs, médecins plus ou moins véreux, tout le monde salive autour du cocktail miracle, celui qui fera gagner n’importe qui, n’importe quand, l’hystérie antidopage n’étant pas en reste dans ce culte rendu aux substances monnayables.

« Le service, l’usage, l’humain sont les mots clés de l’économie de demain », nous dit Jean-Vincent Placé. On croirait un slogan conçu spécialement pour promouvoir les Cannabis social clubs (2) ou les salles de consommation à moindres risques. Car tout est là. Les Cannabis clubs esquissent une solution qui rejoint le concept fondateur d’Asud : rendre toute sa place à l’usage, au service et à l’humain, plutôt que communier sur les ravages (ou les mérites) d’un marqueur chimique baptisé THC. Au fond, le consommateur de drogues est le seul à pouvoir évaluer le véritable prix des substances. Il sait la place de la magie d’un instant volé, la puissance incontrôlable des affects, les pièges douloureux de la mémoire qui restitue ses angoisses sans carton d’invitation. Voilà un indicateur autrement pertinent que celui du marché. Après tout, qui voudrait payer pour un bad trip ou une overdose ? Mais, prisonniers du dogme de la substance tyrannique, tous les acteurs acquiescent au « pour » ou « contre » la drogue. Pour ou contre le cannabis, pour ou contre les salles de consommation. Attention à la sémantique ! Le pouvoir de l’usage est un exercice de citoyenneté qui suppose de remettre les substances à leur place de choses inertes et sans valeur, en dehors du circuit de la cupidité et de la convoitise. Substance Mort, écrivait Philip K. Dick, un connaisseur.

1. Jean-Vincent Placé, « Pour le pouvoir d’usage », Libération du 22 novembre 2012

2. Pour en savoir plus sur la régulation, voir également l’article de Laurent Appel et Jean-Pierre Galland sur Rue89 http://tinyurl.com/bjqxrrf

ASUD Journal N°51 : Dopage à tous les étages

ASUD Journal n°51 Spécial Dopage sort le 7 janvier.
Découvrez le sommaire du numéro :

Dopage à tous les étages

« La coke ? Maintenant, c’est seulement pour travailler », s’exclamait notre Johnny national interrogé en 1998 sur ses consommations de substances illicites. Avec la fraicheur qui le caractérise, le papy rocker explique à un journaliste faussement naïf que les mêmes drogues servent indifféremment de booster, d’antidépresseur ou de complément festif, selon l’humeur du consommateurs ou le contexte des consommations. La barrière censée marquer la limite entre la question des drogues et celle du dopage est riche d’enseignements. Pourquoi les deux sujets devraient-ils être traités différemment ?

Notre longue tradition de champions cyclistes dopés aux amphétamines ou au vin Mariani a très certainement poussé les autorités à faire preuve d’indulgence à l’égard du monde du sport. Énervé par des allusions récurrentes au régime un peu trop vitaminé de Jacques Anquetil, le général De Gaulle aurait lui-même fini par répliquer : « Dopage ? Quel dopage, a-t-il oui ou non fait jouer la Marseillaise à l’étranger ? » Cette mansuétude explique sans doute l’échelle aléatoire des peines pour les consommateurs :
pénalité professionnelle lorsque l’on est sportif, correctionnelle, voire prison, quand on est simple « civil ».

Dans le même ordre d’idée, si la prise de psychotropes fait l’objet d’une réprobation quasi unanime, l’addiction aux drogues serait une pathologie alors que le dopage relèverait, lui, du bricolage neurobiologique ou au pire, de la vulgaire tricherie. Le paradoxe de cette dichotomie est que les soi-disant tricheurs sont généralement victimes de sérieux problèmes sanitaires alors que la grande majorité des soi-disant malades sont souvent des consommateurs récréatifs.

En fait, tout fonctionne comme si le dopage était un énième révélateur de la prépondérance de la morale sur la réalité sanitaire dans la politique des drogues. Le toxicomane est traditionnellement affublé de nombreux stéréotypes négatifs : la veulerie, la dissimulation, le manque de volonté, autant de qualificatifs aux antipodes de l’univers viril des « forçats de la route », durs au mal, endurants, accrocheurs.

Une confusion totale entre les deux univers risquerait d’écorner le topos du « tox », rebut de la société. À l’autre bout du spectre, dans un monde où tout le monde utilise des substances pour « fonctionner », les sportifs (et les animateurs télé) souffrent d’une évidente discrimination : ils seraient les seuls à ne pourvoir bénéficier de ces coups de pouce pharmaceutiques si communs dans le reste du corps social. Or comme le souligne Johnny, cette différence de traitement est absurde du point de vue d’un consommateur. Non que nous souhaitions que le dopage soit criminalisé à hauteur des stupéfiants, mais il est difficile d’y voir une différence de nature avec l’usage des drogues.

Tout est question de contexte. Pour certaines personnes, l’épreuve qui consiste à sortir acheter une baguette au coin de la rue , c’est l’ascension du Tourmalet. Un exploit qui nécessite une dose variable de produit dopant… Inversement, la jouissance née d’un effort boosté aux amphétamines ou aux stéroïdes est un paysage bien connu de tous les consommateurs de psychostimulants. Du reste, les addictologues le savent aujourd’hui, sport intensif et usages de drogues sont liés par de multiples connexions cérébrales.

Mais attention, les mêmes causes produisant les mêmes effets, la répression est dans tous les cas toujours à la fois inopérante et facteur de risques aggravés. Cela vaut pour les drug parties comme pour les sessions de slam ou les critériums cyclistes.

ASUD interpelle les dirigeants français sur les conséquences de la Prohibition des drogues

Monsieur le Président de la République, Monsieur le Premier ministre, Mesdames et Messieurs les Ministres, les Député(e)s, les responsables de partis politiques,

Nous, représentants des usagers de drogues, soutenus par des associations de Réduction des risques (RdR), des médecins, élus ou citoyens concernés, sommes choqués par la poursuite de «la guerre aux drogues» et le maintien de la pénalisation de l’usage privé malgré l’échec planétaire de cette politique, démontré dans le 2ème rapport de la Commission Mondiale pour la politique des Drogues.

Cette prohibition est désastreuse : catastrophe en matière de santé publique, trillions de dollars dilapidés sans influence ni sur l’offre ni sur la demande, millions de vies brisées, milliers de quartiers déstructurés, explosion de la violence liée au trafic, gangrène de l’économie par l’argent sale et des forces répressives par la corruption. La France n’est désormais plus épargnée par aucune de ces conséquences néfastes.

Malgré ce constat accablant, les tenants d’une politique plus pragmatique, fondée sur des données scientifiques, sont systématiquement assimilés à des soixante-huitards attardés voire à des « Munichois ». Comment peut-on assumer un tel bilan? Comment peut-on refuser de réformer notre ancestrale loi de 1970 ? Nous en sommes arrivés à la conclusion que vous manquiez d’informations sur les propositions alternatives d’un débat mondial en pleine évolution.

Le Colorado et l’État du Washington viennent d’adopter par référendum la régulation publique du marché du cannabis, le Parlement d’Uruguay débat actuellement d’une proposition similaire. Les arguments des réformateurs portent sur la lutte contre les gangs, le blanchiment, la perception de taxes, la création d’emplois et de programmes sociaux, le contrôle sanitaire du cannabis, la séparation avec le marché des autres drogues.

Nous voulons surtout vous interpeller sur le lien établi entre la pénalisation de l’usage des drogues et l’augmentation des dommages sanitaires, principalement l’accélération de la contamination par le VIH (Sida) et le VHC (hépatite C). Voilà pourquoi nous vous faisons parvenir le second rapport de la Commission mondiale pour la politique des drogues : « La guerre aux drogues face au VIH/sida »

Nous espérons que ce document fera évoluer votre analyse, hélas encore influencée par la « War on drugs » du Président Nixon lancée en 1971. Nous souhaitons que cette lecture vous incite enfin à ouvrir un débat, sans anathème inutile ni dramatisation excessive.

Veuillez agréer l’expression de nos sentiments respectueux.

Miguel Velazquez (président d’ASUD), Fabrice Olivet (directeur d’ASUD) et Laurent Appel (journaliste/ASUD)

Avec le soutien de :

Marie Debrus (présidente de l’AFR), Bruno Spire (président d’Aides), Dr Béatrice Stambul (présidente d’ASUD Mars Say Yeah), Jean-Luc Bennhamias (député européen), Laurence Cohen (sénatrice du Val de Marne), Anne Coppel (sociologue), Jean-Luc Romero (président d’Élus locaux contre le Sida), Matthieu Bonduelle (président du Syndicat de la Magistrature), Dr Élisabeth Avril (directrice de Gaïa Paris), Stéphane Gatignon (maire de Sevran), Fabienne Lopez (présidente de Principes Actifs), Pierre Tartakovski (président de la Ligue des Droits de l’Homme), Anne Souyris (journaliste), Olivier Maguet (administrateur de Médecins du Monde), Lucie-Thérèse Faure (coordinatrice de l’ACSCF), Pascal Melin (président de SOS Hépatites), Dr Jean-Pierre Lhomme (président de Gaïa Paris), Fabrice Rizzoli (membre du Conseil National du Parti Socialiste), Dr Bertrand Lebeau (médecin addictologue), Dr Laurent Gourarier (psychiatre), Jean-Pierre Galland (fondateur du CIRC), Alain Lipietz (économiste), Patrick Favrel (porte-parole de SOS Hépatites), Adrien Héliot (président de Techno +), Charles-Henry de Choiseul Praslin (juriste), Wandrille Jumeaux (secrétaire fédéral des Jeunes Écologistes), Farid Ghehiouèche (coordinateur de Cannabis Sans Frontières), Renaud Colson (maître de conférence en droit), Dominique Broc (porte-parole des Cannabis Social Clubs), Olivier Poulain (membre de l’Observatoire Géopolitique des Criminalités), Elliot Imbert (médecin addictologue), France Lert (Chercheuse INSERM), Rogissart Valère (président d’honneur de l’AFR), Michel LEJEUNE (vice-président RdR Montpellier), Jean-René DARD (co-fondateur d’ASUD), MichelHautefeuille (Addictologue Centre Marmottan), Caroline Gasiglia (présidente du TIPI), Pr Christophe Lançon (Hôpitaux de Marseille).

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Breaking Bad Saison 5, 1ère partie

Walter a gagné. Il s’est débarrassé de son patron, Gus Fring, l’ennemi juré de la saison 4. Que va-t-il faire maintenant qu’il est libre ? Arrêter la production de méthamphétamines et reprendre une vie normale ou devenir calife à la place du calife ? En toute logique avec l’évolution du personnage, il choisira cette dernière voie. Qu’il semble loin le petit prof de chimie non fumeur ayant raté les cinquante premières années de sa vie et qui se découvre atteint d’un cancer du poumon. Dans cette saison, Walter fête ses 51 ans. Un an seulement s’est écoulé depuis le début de la série. Quelle densité et quelle rapidité pour devenir un « parrain de la drogue ». Cette ascension sociale fulgurante dans le monde du crime organisé rappelle à Walter combien il était un jeune étudiant ambitieux qui n’avait pas su saisir les bonnes opportunités à l’époque.

Il n’avait simplement pas imaginé qu’il réaliserait son rêve de pouvoir dans le trafic de stupéfiants. Qu’importe ! Le rêve américain n’a pas d’odeur et il l’embrasse pleinement au mépris de la loi, de sa famille, de ses amis, de lui-même. Sa cupidité est sans limite, au point que sa femme n’arrive plus à blanchir les billets qui rentrent trop nombreux et trop vite.

Tel un dealer sans scrupule qui, après vous avoir accroché, arrête de vous fournir, la chaîne de télé AMC a décidé de diffuser la saison 5 en deux parties. Les 8 premiers épisodes sont passés entre juillet et septembre et les 8 prochains, devant clôturer définitivement la série, ne le seront pas avant… l’été 2013 ! En cas de crise de manque, le coffre DVD/Bluray des 3 premières saisons vient de sortir avec de nombreux bonus. La saison 4 sort en DVD fin décembre.

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Serial-Dealers

Cet article partie du dossier Serial Dealers.

HiP-HoP : Le sirop de la rue (part1)

À l’origine mouvement contre-culturel revendiquant l’expression artistique comme alternative à la violence des gangs, au trafic et à la consommation de stupéfiants, le hip-hop a connu un développement rapide et vu d’autres tendances émerger en son sein. Revue des rapports ambivalents entre hip-hop et produits psychoactifs.

«Don’t Get High With Your Own Supply»
(te défonce pas avec ta propre marchandise)
Notorious BIG

Le hip-hop est né il y a bientôt quarante ans quand, en août 1973, DJ Kool Herk organise la première block party dans une MJC du 1520 Sedgwick avenue, South Bronx. À la base mouvement culturel, c’est aujourd’hui l’industrie dominante de la culture urbaine. Ce mouvement se voulait une alternative à la violence des gangs, au trafic et à l’usage de stupéfiants. Afrika Bambaataa, un des pionniers, encourageait au travers de la Zulu Nation une politique de « No Violence, No Alcohol, No Drugs ». Bref, un programme de Caarud. La Zulu Nation voulait rallier la jeunesse autour du credo « Peace, Unity, Love & Having Fun », mais « sans alcool, la fête est plus molle »…

Depuis, le hip-hop et la consommation de produits sont souvent associés. Mais, attention, pas tous les produits. Comme l’a chanté Raggasonic (proche de… Joey Starr) dans Poussière D’Ange, « pas d’héro, pas de coke, pas de crack ». Pour cela, deux explications. D’un coté, les rappeurs « conscients » qui ont un discours social et engagé, pour qui ces produits sont responsables du ravage de la communauté et des quartiers. De l’autre, les rappeurs « gangstas » qui se revendiquent de l’entreprenariat illicite et dont la règle est de ne pas taper dans sa marchandise (« Don’t Get High With Your Own Supply », Notorious BIG). Mais de l’un comme de l’autre, consommer des drogues « dures », c’est mal vu. Seul Tony Montana a une dérogation…

Il fait beau, les filles sont belles, la weed est bonne

Dans les années 1980-90, la soirée hip-hop c’est les filles, la tise et la bédave. Au milieu des 90’s, tout ça prend une tournure officielle. La côte ouest explose et pendant quelques années, va contester la domination historique de la côte est. C’est l’apogée du « Gangsta » rap dont les sujets de prédilection sont le « Gang Banging »1, la « Sticky Green »2, la « Chronic »3, le « Gin & Juice »4 et of course, les « Bitches »5 (prononcer « biaaaaaatches » pour le folklore), le tout ponctué par les traditionnels « N****»6 et « Mother F*****». Même si les ghettos de LA n’ont rien du Club Med, le soleil californien et la spécialité locale à haute teneur en THC invitent à la détente entre deux fusillades.

Le son lui-même ralentit un peu autour des 90 BPM, parfois moins. Les rimes sont portées par le « G-Funk » qui sample largement le catalogue de funk psychédélique de Parliament, Funkadelic et Zapp & Roger. Il fait beau, les filles sont bo… belles, la weed est bonne et on danse autour d’un BBQ géant en sirotant du Hennessy ou de la Colt 45. Ces rappeurs deviennent de vrais ambassadeurs de la weed dont ils titrent leurs albums (The Chronic et Chronic 2001 avec une feuille de beuh sur fond noir pour pochette, de Dr Dre).

«Started Smoking Woolies at 16 »
(J’ai commencé à fumer des woolies à 16 ans)
Wu-Tang Clan

Depuis, l’usage de produit s’est démocratisé chez les rappeurs. En 2005, une étude basée sur 279 chansons du Top américain révèle que 77% des chansons de rap font référence aux drogues et à l’alcool. Ces derniers embrassent de plus en plus l’image de la rock star traditionnelle festive et défoncée. On ne compte plus les références aux divers produits dans les rimes, les pages people hip-hop (si, si, ça existe) relatant des arrestations et/ou condamnations pour stupéfiants et les diverses biographies confessant un penchant pour les molécules (voir «Lyrics» ci-dessous).

Tony Yayo décrit dans Bonafide Hustler (Young Buck Ft. 50 Cent & Tony Yayo) le contenu de ses bagages dans le bus de tournée :

« 9 grams of heroin, 100 grams of coke

9 grammes d’heroine, 100 grammes de coke

12 O’s of mushrooms, 2 pounds of smoke

12 sachets de champignons, 1 kilo de fumette

3 gal’s of dust juice, and a tank of L.S.D.

10 litres de PCP et un réservoir plein de LSD

And a 1000 pills of every kind of exstasy

Et un millier de chaque sorte d’ecstasy

Hash, ha-sheesh. »

Hasch, haschish

Un peu de kéta, et c’est un kamtar d’Anglais en tekos…

Les condamnations pleuvent

Method Man et Redman sont surnommés « les frères pétards ». Ils ont même fait un film culte en la matière, How High, un blunt movie lointain cousin des précurseurs Cheech & Chong (dont le plus célèbre film Up In Smoke donna le nom à la fumeuse tournée de Dr Dre, Snoop, Eminem & Ice Cube). Redman est tellement devenu une référence en termes de perchitude qu’il en devient une vanne récurrente dans les textes de nombreux frères de rimes (« Oh shit, man ! We fuckin’ higher than Redman at the Source Awards ! »7, Soul Plane, allusion à l’état du lascar lors d’une remise de prix). Il présentera même les Stony Awards du célèbre magazine High Times en 2006. Inutile d’évoquer le cas Snoop Dogg, qui a carrément viré rasta ces dernières semaines allant jusqu’à se rebaptiser Snoop Lion.

«What Goes Around, Comes Around »
(On récolte ce que l’on sème)
Justin Timberlake

Certains, comme Raekwon du Wu-Tang Clan, abordent le sujet des woolies, des cigares évidés et remplis à la weed et, selon les versions, au crack/coke ou PCP. J’ai même pu assister à une grosse montée de taz du rappeur Joe Budden obligé d’abandonner ses collègues de SlaughterHouse sur scène pour aller gerber dans une poubelle back stage. Il reviendra quelques minutes plus tard avec un regard de teufeur pris dans les spotlights, animé d’une forte envie de danser et d’une grosse propension à la parole, lançant à ses compères : « Je sais pas ce qu’ils foutent dans la drogue ici mais c’est fort. » Et son acolyte Joell Ortiz de lui répondre : « Fais gaffe Joe, ici ils mettent de la drogue dans la drogue » !

La liste est longue en matière de déboires avec la loi pour possession et usage. Ils y sont presque tous passés (Snoop, Big Boi, Wiz Khalifa, Beanie Sigel, TI, Soulja Boy, Coolio…). Un MC se démarque particulièrement du lot : DMX. Abonné aux condamnations pour des faits de stupéfiants (cannabis, cocaïne, crack), le New-Yorkais passe son temps à faire des allers/retours au placard et en cure de désintoxication. Il aborde le sujet en 2002 dans E.A.R.L. : The Autobiography Of DMX de DMX & Smokey D. Fontaine.

Les langues se délient

Dans le registre des confessions abordant l’usage de drogues, c’est LL Cool J qui ouvre le bal en 1998 avec son autobiographie I Make My Own Rules (LL Cool J & Karen Hunter) décrivant ses tribulations avec la weed, la coke et l’alcool au début de sa carrière. Plus proche de nous, JoeyStarr officialisera avec l’aide de Philippe Manœuvre un secret de polichinelle dans Mauvaise Reputation. En termes de conso, l’ouvrage livré par le Jaguar et la plume du rock n’a rien à envier à la (très bonne) autobio de Keith Richards.

«You Wanna Be A Rap Superstar? »
(Tu veux être une superstar du rap?)
Cypress Hill

Mais à ce jour c’est certainement le rappeur le plus en vu et le plus controversé de la planète qui en parle le mieux : Eminem. Après avoir rappé sur toutes les substances possibles et imaginables, fait les unes de la presse avec ses textes et son comportement inadéquat (cf. la photo en Une du Parisien où il gobe un ecsta sur la scène de Bercy en 2001, Libé titrant le même jour « Public Eminem » !!), il est aujourd’hui le chantre de la rémission.

Après avoir disparu pendant plus de cinq ans durant lesquels il s’est noyé dans la conso, il publie The Way I Am en 2008, autobiographie dans laquelle il traite en partie de sa dépendance aux médicaments. Il réapparaît sur disque en 2009 avec Relapse (rechute) suivi par Recovery (rétablissement) en 2010. Son mentor Dr. Dre devait sortir Detox (désintoxication) entre les deux pour compléter le tableau mais on attend toujours (Dre si tu lis Asud, ce qui ne fait aucun doute, vraiment, on attend !!). En octobre 2010, le rappeur se confie au magazine Rolling Stone8 dans une interview sans détours où il décrit son addiction à l’Ambien®, un sédatif hypnotique dont la molécule, le zolpidem, est un dérivé des benzodiazépines commercialisé en France sous le nom de Stilnox®. Il raconte que durant la période la plus dure de son addiction, il carburait à 60 Valium® et 30 Vicodin® par jour.

Les tabous sautent

Nul besoin de vous présenter le Valium®, tout le monde connaît. Par contre, le Vicodin® n’existe pas en France, pas même sous un autre nom. Le Vicodin® est un analgésique qui contient du paracétamol et de l’hydrocodone ou dihydrocodéinone, qui présente le profil des opiacés majeurs. L’hydrocodone orale est cependant considérée comme moins puissante que la morphine orale (près de 15 mg d’hydrocodone correspondraient à 10 mg de morphine).

En France, c’est la dihydrocodéine, un morphinique mineur commercialisé sous la marque Dicodin®, qui s’en rapproche le plus. Eminem fait référence au Vicodin® dans plusieurs chansons (Under The Influence et Déjà Vu). Un autre rappeur, Kendrick Lamar, en parle dans ADHD (Attention Deficit Hyperactivity Disorder, trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité en français) sur l’album Section 80, mais le plus grand ambassadeur du Vicodin® reste incontestablement ce cher Dr House. Outre les cachetons, Eminem revient aussi sur son overdose de méthadone en 2007 : « Les médecins m’ont dit que j’avais pris l’équivalent de quatre sachets d’héroïne et que j’étais à deux heures de mourir. » C’est cet épisode qui le fera rebondir.

Avec ces révélations, le rappeur de Detroit brise un des derniers tabous dans le hip-hop (ça commence à évoluer sur l’homophobie et l’homosexualité, notamment grâce à Eminem qui déclare dans la même interview qu’Elton John « a été une des premières personnes que j’ai appelées quand j’ai voulu m’en sortir »). Rappeur blanc, il partait déjà avec un gros handicap mais là, il se positionne comme un « Dope Fiend », l’équivalent du « shlag » chez nous. Et ça, dans un milieu ou le dealer est roi, ça passe pas. Et pourtant… Dans un coin de la scène hip-hop US, les opiacés et ses aficionados sont loin d’être marginalisés.

HipHop2« Purple Drank » sur fond de « Chopped & Screwed »

Alors que les projecteurs se focalisent sur les extrémités côtières des États-Unis, le Sud bouillonne dans l’ombre. Regroupé sous l’appellation de « Dirty South », le son du Sud est plus rapide. Selon les régions, il s’inspire de la Miami Bass, de l’électro ou de diverses traditions musicales locales (jazz New Orleans, swing, fanfares…). Sa version la plus populaire et speed est le « Crunk » – contraction de « Crazy » et « Drunk » (fou et bourré) – inventé par le groupe Three 6 Mafia de Memphis, dont Lil Jon s’est réapproprié la paternité, et qui est maintenant la signature de la scène d’Atlanta et de ses nombreux bars de strip.

« I Wanna Get High, Soooo High»
(J’veux être fonsdé, troooop fonsdé)
Cypress Hill

Alors que dans tout le Sud le tempo s’accélère, dans les quartiers sud de Houston (Texas), un DJ du nom de Robert Earl Davis Jr. prend la direction opposée. À l’aide de ses platines, il se met à ralentir considérablement la vitesse de ses disques. À 60 ou 70 BPM, le son ressemble à un 45 tours joué en 33. Une vidéo au ralenti, le son s’étire comme de la guimauve. Ajoutez à cela des « scratches » courts donnant une impression de CD rayé et vous obtenez ce que les premiers fans ont baptisé le « Chopped & Screwed » (littéralement, « haché et bousillé »), qui vaudra au DJ le nom de DJ Screw.

Nous sommes aux alentours de 1991. À la même époque, la consommation d’un breuvage appelé « Purple Drank » augmente significativement à Houston. Même si l’intéressé s’en est toujours défendu, invoquant plus volontiers la weed, beaucoup diront que ce cocktail est à l’origine du son de DJ Screw. Il est en tout cas très certainement à l’origine de l’engouement pour ce style. Et pour cause, le « Purple Drank » est un cocktail à base de sirop codéiné pour la toux… Plus précisément, à base d’un sirop de prométhazine et de codéine (10 mg de codéine et de 6,25 mg de prométhazine pour 5 ml) sans nom, mais appelé « Sizzurp » dans l’équivalent américain de l’argot de boucher. Produit par Alpharma USPD Inc., il est reconnaissable à sa teinture violette, d’où le « Purple Drank ».

Le « Dirty South » envahit la scène

La codéine – la plupart des lecteurs connaissent – est un opioïde antitussif, analgésique à visée antalgique. En gros, un antidouleur légèrement sédatif. Moins connue dans nos contrées, la prométhazine est un antihistaminique inhibiteur des récepteurs H1 de la famille des phénothiazines. Notamment utilisée dans le traitement de l’allergie et de l’insomnie passagère, elle a la particularité de potentialiser l’effet de la codéine et de limiter les démangeaisons. C’est l’interaction de ces deux molécules qui est recherchée pour produire un effet relaxant et une sensation de ralenti, en parfaite adéquation avec le « Chopped & Screwed ». Si la prométhazine est disponible en comprimés aux États-Unis (et en France) sous le nom de Phénergan® (entre autres), il est plus dur de trouver de la codéine autrement que diluée dans beaucoup de paracétamol. La solution la plus dosée en codéine disponible est le sirop.

Le « Purple Drank » comprend normalement le fameux « Sizzurp », du soda (Sprite) et un bonbon (« Jolly Rancher ») pour le goût. Variant selon les personnes, le dosage est plus difficile à définir, le plus commun étant d’environ 60 ml (2 fl oz) de « Sizzurp » pour 2 litres de Sprite, servi dans un gobelet en polystyrène expansé (va savoir pourquoi) agrémenté d’un bonbec. Ce dosage étant prévu pour être bu sur une durée d’environ 24 heures, il est recommandé de le « siroter » très lentement pour ne pas s’endormir.

« It Makes A Southside Playa Lean »
(Ça fait pencher un mac du quartier sud)
DJ Screw & Big Moe

Exportant sa diversité musicale (« Crunk », « Bounce », « Trap », « Swing »…), ses modes (« Grillz ») et ses codes, le « Dirty South » envahit la scène hip-hop mondiale au début des années 2000. Et même si le credo est toujours « Gangsta », l’ambiance est résolument plus festive. On découvre les strip clubs d’Atlanta ou de Miami où les lascars font pleuvoir des billets sur les danseuses (« Make It Rain»9).

L’effet violet

La mode du « Purple Drank » s’empare du pays en même temps que l’on découvre ces rappeurs arborant de gigantesques coupes ornées de « Bling Bling ». Ils le chantent à longueur de raps et le montrent dans les clips, les clubs, lors de remises de prix et surtout (phénomène nouveau), via Internet et ses vidéos. Bien que la chanson fasse référence à un autre sirop, le Tussionex®, de couleur jaune, Three 6 Mafia Ft. UGK et leur tube Syppin’ On Some Syrup diffusent le « Purple Drank » à l’ensemble du pays. Le duo UGK récidivera avec Sippin’ & Spinnin’ et Purple Drank, Lil’ Wayne y va de son Me & My Drank. Ayant publiquement reconnu son allégeance au liquide violet notamment dans le documentaire The Carter Documentary (non-autorisé par l’intéressé), c’est sans doute à lui que l’on doit la plus grande exposition à la mixture qu’il cite à longueur de rythmes : « I’m not a rookie, I’m a pro..methazine fiend »10 (Throw Some D’s), « I’m used to promethazine, in two cups, I’m screwed up »11 (Phone Home), « Keep a bandanna like the Ninja Turtles, I’m like a turtle, when I sip the purple »12 (Kush).

Toutes les faire serait trop long, le gars est prolixe. Et c’est l’un des plus gros vendeurs, si ce n’est LE plus gros vendeur de disques sur la scène hip-hop à l’heure actuelle. D’où une large promotion de la pratique. La Screwed et le Purple sont tellement intriqués que les albums remixés façon « Chopped & Screwed » ont la même couverture que l’original mais… violette.

HipHop3

« Lean », « Drank », « Purple Jelly »…

Pratique locale, c’est devenu un phénomène national, voire international. On trouve des forums français sur le sujet avec diverses recettes adaptables par rapport aux sirops américains. Aux États-Unis, la recette ne cesse de changer selon les goûts et la disponibilité des produits.

«Houston, We’ve Had A Problem »
(Houston, on a eu un problème)
Jack Swigert

Le « Purple Drank » s’appelle aussi « Lean » (penché), « Drank », « Barre », « Purple Jelly », « Texas Tea » ou plus génériquement, « Sizzurp » ou « Syrup ». Consacré à l’ingrédient principal, ce dernier terme regroupe désormais toutes les formes de mixtures à base de sirop. L’original reste le Purple mais on trouve aussi le Yellow à base de Tussionex® (10 mg d’hydrocodone et 8 mg de chlorphéniramine, un antihistaminique aux propriétés sédatives, par 5 ml), et d’autres sirops à base d’hydrocodone (Codiclear, Lortab Elixir…). Ceux à base de DXM (dextrométhorphane) sont privilégiés pour leurs effets hallucinogènes dissociatifs. Et de plus en plus, on rajoute de l’alcool ou des cachets écrasés (Vicodin®, Ambien®…) pour potentialiser la défonce. Certains, comme Innovative Beverage Group, ont même exploité le filon allant jusqu’à créer un soda relaxant, se positionnant sur le marché des anti-Energy Drinks (si c’est pas fort ça quand même) aux couleurs tout aussi violettes, avec « Slow Your Roll » pour slogan. Bref, ça part dans tous les sens et chacun fait sa sauce. Si ça continue, ça va finir en bibine pour cycliste façon pot belge… Quid d’ailleurs de la possible association avec des excitants façon speedball ?

Potentiellement addictif et mortel

Mais tout cela ne va pas sans risques. Car si chacune de ces molécules ne présente pas de risque majeur à court terme, elles entraînent une forte accoutumance, une dose tolérance, voire une dépendance à plus long terme. Le plus grand risque, c’est le mélange de toutes ces molécules et notamment avec de l’alcool. Présent avec chacun de ces produits, le risque de dépression respiratoire est potentialisé par leur association, en particulier chez les novices. C’est pourquoi il est recommandé de boire ces potions TRÈS lentement et de ne pas les confondre avec des gins tonic.

À titre d’avertissement, DJ Screw, le père du « Chopped & Screwed », est décédé en 2000 avant d’avoir vu son œuvre envahir la culture US. L’autopsie a confirmé une overdose de codéine additionnée d’autres produits (Valium®, PCP et alcool). En 2007, Big Moe, un de ses plus fidèles bras droits par ailleurs grand ambassadeur du « Purple Drank » comme en témoignent ses albums City Of Syrup (2000) et Purple World (2002), meurt à 33 ans des suites d’une crise cardiaque. Bien qu’il souffrait d’une importante surcharge pondérale, la question reste ouverte sur la cause d’une mort si jeune. Toujours en 2007, Pimp C, un des rappeurs de UGK meurt d’une mauvaise combinaison entre « Sizzurp » et apnée du sommeil.

HipHop4Aussi étonnant soit-il dans l’histoire du hip-hop, ce phénomène n’a rien de nouveau dans celui de l’usage de drogues. Ceux qui ont bien connu l’époque NéoCo des années 80 pré-substitution (et je sais qu’il y en a parmi vous, chers lecteurs asudiens acidus) peuvent témoigner que rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. La particularité de la consommation de « Sizzurp », c’est qu’à travers ce sirop, un opiacé s’est diffusé dans la population. Car la consommation de « Sizzurp » – le genre de consommations auxquelles le hip-hop s’est toujours farouchement opposé… – ne se limite pas aux stars du rap. Épargné par les stéréotypes collant à l’héroïne grâce à son statut légal et à son mode de consommation, il s’agit pourtant d’un produit potentiellement addictif (comme en témoigne régulièrement Lil Wayne) et mortel. Avec des conséquences sanitaires (et l’éventuelle escalade vers des opiacés plus puissants) impossibles à prévoir, comme sa possible diffusion sur le territoire français.
Cela montre en tout cas que la culture hip-hop n’est pas aussi fermée que beaucoup peuvent le penser et qu’elle n’a pas encore livré tous ses secrets.

Facebook de l’auteur : https://www.facebook.com/RedDotBeats


Notes :

1/ Activité de gang
2/ La beuh « collante verte »
3/ Weed forte
4/ Mélange de Gin et de jus
5/ Sans commentaires
6/ Connotation raciale péjorative dont l’usage fait débat au sein de la communauté afro-américaine. Le politiquement correct l’appelle le « N Word »…
7/ « Oh merde mec, on plane plus haut que Redman aux Source Awards ! »
8/ Josh Eells, Eminem, The Road Back From Hell, Rolling Stone #1118, Novembre 2010.
9/ Faire « pleuvoir » des billets sur les strippeuses, comme des confettis, en jetant des liasses en l’air…
10/ « J’suis pas un débutant, j’suis un pro »… méthazine addict.
11/ « J’suis habitué à la prométhazine, dans deux verres j’suis défoncé».
12/ « J’garde un bandeau comme les Tortues Ninjas, j’suis comme une tortue quand j’sirote la purple»

Cliquez ici pour lire la suite paru dans ASUD journal n°56 :
Sizzurp : Le sirop de la rue (part2)

Weeds saison 8 finale

La chaîne de télé américaine Showtime a allumé son splif en 2005. Carton immédiat. Weeds, avec sa mère de famille dealeuse de beuh, est devenue le fer de lance de la chaîne. Sept ans plus tard, c’est l’heure de la dernière bouffée après deux ans de sursis.

Serial-Dealers

Cet article partie du dossier Serial Dealers.

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Avant

Les fans de la série pensaient que la saison 7, commandée in extremis par la chaîne, serait la dernière car elle n’avait pas pré-acheté de nouvelle saison. En septembre 2011, l’épisode final était décevant car Nancy, qui semblait prête à se retirer des affaires, se faisait tirer dessus lors d’un happy end familial. La morale est celle de tous les films de gangsters : se retirer est impossible, le business vous rattrape toujours. La saison 6 ayant déjà failli être la dernière, la plupart des amateurs de Weeds s’étaient résignés à cette conclusion beaucoup trop sage. Où était donc passé la provocation, véritable marque de fabrique de la série ? Certains se consolaient en pensant que ce choix scénaristique était en lui-même provoquant par sa non-provoc’. Heureusement, l’espoir revint en janvier 2012 lorsque les producteurs de la série annoncèrent une ultime saison pour l’été.

Reboot

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Après

La saison 8 comprend 13 épisodes diffusés entre juillet et septembre 2012. Elle reprend là où s’est arrêtée la saison précédente : Nancy s’est pris une balle dans la tête mais en réchappe. En sortant du coma, elle se jure de ne plus dealer et de devenir une bonne personne, une bonne mère, de se trouver un mari et un boulot honnête. La bonne trouvaille des auteurs est de créer des situations qui vont mettre à l’épreuve Nancy et ses nouvelles résolutions. Surtout que son fils aîné est bien décidé à continuer le business. Les incontournables de la série sont là comme une efficace routine : les frasques sexuelles d’Andy, le cynisme de Doug, l’hystérie de Jill, la MILF de Silas, les personnages secondaires excentriques, les come-back inattendus…

Andy + Nancy = ?

Qui dit ultime saison dit dénouement. C’est en réalité un vrai message politique que nous délivre Jenji Kohan, la créatrice de la série. Ceux qui ne veulent pas trop en savoir avant d’avoir vu les épisodes ne devraient pas lire la suite. Si la belle Nancy renonce à dealer, elle compte bien mettre à profit ses talents et son expérience acquise dans ce domaine. Les dealers légaux que sont l’industrie pharmaceutique et celle du tabac vont pouvoir profiter de son sens des affaires. Le nombre d’États autorisant le cannabis thérapeutique s’accroît et ce marché devient intéressant pour les laboratoires. Nancy et Silas se font donc naturellement embaucher. C’est ensuite un géant du tabac qui tente de les engager. Persuadée que le cannabis récréatif sera prochainement légalisé, la compagnie souhaite être prête à produire en masse des cigarettes au THC dès que la loi changera. Production, transformation, packaging, marketing et diffusion, tout doit être prêt. Nancy recrute ses anciens complices pour mener à bien cette mission.

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THC à maturité

L’épisode final nous projette en 2019 et donne raison à ce scénario. Nancy est à la tête avec son fils de la plus grande chaîne de coffee shops des USA, que Starbuck essaye de racheter. Les années de galère dans l’illégalité des saisons précédentes résonnent alors comme une période adolescente : mouvementée et transgressive. Tous les personnages qui avaient choisi ce mode de vie sont devenus adultes en même temps que la société l’est devenue sur cette question de la régulation du cannabis. En s’institutionnalisant, cette activité s’assagit et avec elle, la vie des héros de Weeds (sauf un !). La fin de leurs aventures s’impose et donc celle de la série. Aucune frustration cette fois. Si vous avez gâché une partie du suspens en lisant jusqu’ici, l’issue de la relation entre Nancy et Andy vous est toujours inconnue. Finissent-ils ensemble ?

Série de Jenji Kohan, 8 saisons, 2005-2012. Disponible en DVD, Blue Ray et VOD.

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