Auteur/autrice : Courrier des lecteurs

Prisons Thaïes : des saisons en enfer

La Thaïlande, ses îles au soleil, ses plages, sa blanche et ses prisons. Nous avons reçu des lettres concordantes sur les terribles conditions de détention dans la nouvelle prison de M.H.S.* Des témoignages qui filent froid dans le dos.

La décro, à même le sol

J’ai connu Asud par l’intermédiaire de F., avec qui je séjourne dans la même prison thaïe. Peu d’Européens peuvent imaginer les conditions dans lesquelles nous, prisonniers, sommes contraints de vivre en Thaïlande.

U.D. depuis 6 ans, j’ai décidé de voyager pour voir du pays : après les Philippines, le Sri-Lanka, la Thaïlande, où je me suis fait arrêter avec 6 g d’héroïne. Une fois en prison, je fus coupé de tout contact extérieur (j’étais le premier étranger à innover cette prison). J’ai dû attendre un mois pour être jugé. Nous étions quatre ou cinq à attendre le jugement. Sans un regard, le soi-disant juge énumère les sentences. Cela n’a pas duré plus de 15 secondes… qui m’ont valu deux ans d’incarcération (du vite fait, bien fait). A ce moment-là, je sortais tout de juste de ma décro, et c’est comme un coup de massue qui s’abat su moi. La décro, il faut en parler. Elle se passe sans rien, à même le sol, et ce n’est pas avec la nourriture qu’ils nous donnent que l’on peut récupérer des forces (même un chien ne la mangerait pas). Bref, il m’a fallu trois semaines pour pouvoir avaler quelque chose, avec l’aide du chilli (piment) qui permet de ne pas sentir ce que l’on mange. J’ai complètement « fondu » mais je fais partie du pourcentage qui passe le cap, car un quart trépasse. Je suis libérable dans quelques mois, et je garderai le contact avec vous.

Claude

Attachés

Les conditions de détention en Thaïlande-Nord sont déplorables.

On peut assimiler la prison en Thaïlande aux prisons françaises de l’Ancien Régime. Les détenus sont attachés ; il n’y a pas pas d’infirmerie ni de médecin sur place. Avec une obligation d’acheter soi-même les médicaments, il ne fait pas bon tomber malade ni être indigent… Le gouvernement ne s’occupe pas de ses ressortissants étrangers, quatre mois peuvent s’écouler entre chaque visite du médecin et pas d’interprète non plus mis à la disposition par l’ambassade.

Est-ce les 400 kilomètres qui la séparent de Bangkok qui font de cette prison un enfer ou les mêmes traitements sévissent-ils dans toutes les prisons du pays ?

Eric

1m² par personne

La cellule ou Je passe un long moment, de 16 h 30 à 7 h du matin, mesure 4,30 m de large et 8,70 m. de long, pour quarante personnes. Cela fait moins de 1 m2 par personne, et les toilettes sont à l’intérieur.

Par deux fois, on m’a mis les chaînes aux pieds, après une bastonnade qui m’a valu une hospitalisation.

Entre janvier et février derniers, 14 personnes sont mortes dans la prison et dans l’indifférence la plus totale.

Frank

* Des précautions d’usage pour préserver l’anonymat et la sécurité des détenus nous obligent à changer les noms.

Il était une fois dans l’Est… de la France

Salut à toute l’équipe.

Tout d’abord un grand merci pour les documents que vous m’avez envoyés, ce sont les plus intelligents que j’ai reçus, et j’avoue que je suis réconforté de savoir qu’Asud existe car en ce moment dans mon bled et d’ailleurs partout en France, c’est très, très “craignos” ; la répression s’accentue et paradoxalement, il y a toujours plus de came aussi qui redevient de meilleure qualité que ces derniers mois, où il y avait beaucoup de “daube” ; comment cela va-t-il finir ?

Je crains fort de bientôt me retrouver en galère, je ne suis pas un dealer, mais je ne dois rien vous apprendre : pour avoir ma dope quand je n’ai plus d’argent, je fais les commissions pour d’autres, au moins pour assurer au jour le jour. Je n’ai jamais eu le sens du bizness et l’argent me dégoûte tellement qu’il n’a que la valeur de la came. Comment les gens qui se disent responsables en nous gouvernant, ne voient-ils pas un peu plus positivement ce problème ? Je ne comprends pas pourquoi ils n’essaient pas d’enlever le marché à toutes les mafias et dictatures qui approvisionnent en dope, d’où le prix excessif, donc toute la criminalité qui en découle.

Bref, je vous écris surtout pour vous demander de l’aide à l’élaboration d’un tract, afin de faire comprendre aux autres copains de galère, aux autres toxicos, qu’il faut que l’on puisse se faire entendre. Vous savez que c’est difficile de leur enlever la peur des autorités. Pourtant, il faut comme c’est écrit dans votre journal, que l’on soit reconnu comme des citoyens à part entière.

Ici, c’est encore plus difficile, étant donné que c’est un village, en ce moment dans le village où je vis, nous les toxicos, on se voit interdire dans tous les bars du bled, si j’arrive à comprendre les patrons de café car les flics leur mettent le couteau sous la gorge, la situation est intenable, même à l’extérieur le climat est très malsain, il y a les stups, les douanes, les flics locaux, enfin c’est presque un assiègement, à quand le couvre-feu ? Faut dire qu’il ne se passe pas un jour sans qu’il y ait une affaire de dope dans la presse locale : il y a 15 jours, ils ont arrêtés le meilleur dealer du bled avec 100gr d’héro, 100gr de coke, 1kg de shit, en plus ce con se baladait avec 200 000frs, tout ça dans sa tire : les flics ont dû jouir ce jour là ! Depuis qu’il est tombé, il y a au moins 10 mecs qui prennent sa place, y’a de la concurrence !

Je suis impatient de venir vous voir, car je ne suis pas très fort pour l’écriture et je préfère parler. Bon, je vous quitte en vous remerciant encore. Salut ! (excuse mon écriture, j’ai pas trop la pêche)

Pierrot, 15 avril 1993

Les portes ouvertes

Au-dessus de Marseille la souffrance est scellée derrière les portes et les couloirs que j’enchaîne chaque semaine de l’hôpital Houphouët-Boigny. Je traverse les salles perdues, les urgences, le 530 est au fond. J’ouvre la porte. Ils sont là, Smain, Thierry, Florian et Suzanne. Leurs rêves mêlés à la télé branchés sur la F.M. Leurs voix ne sont que silence. Le regard bleu délavé, perdu dans l’absence quand je leur parle d’ailleurs. Je ne te demande pas de jeter tes gitanes pour des cigarettes superlight, de vivre à basse calorie, je te demande de bouger. L’underground est profond, Soweto, Station Service des blacks aux sourires white ne feront de toi qu’une anonyme des trottoirs de l’opéra-crack. Elle me sourit en buvant des oranges pressées, version vitamine C. Elle me regarde comme si j’étais junky-bond. Moi aussi je me suis réveillée branchéesurmonitoring, perfusée par les veines, entubée jusqu’aux poumons. Ce n’était pas un accident de ligne continue d’un retour de week-end prolongé. Ne te laisse pas emporter par les gyrophares de la nuit, réagis avant que les bracelets chromés n’enchaînent tes poignets. L’aurore d’un nouveau jour paraîtra, ta voix sera un éclat de joie.

Lettre ouverte d’un usager de drogue à Monsieur Bernard Kouchner, Ministre de la Santé

Monsieur le Ministre,

Je voudrais commencer cette lettre par ces trois mots : Déception, Désillusion et Désarroi ; dans l’ordre et avec toutes les nuances dont la langue française les a dotés.

Déception : car toutes vos interventions télévisées ou autres m’enchantaient, votre franchise, votre passion dénotaient dans le paysage politique ; vous évitiez la langue de bois de vos collègues et surtout vous parliez de problèmes quotidiens bien réels.

Désillusion : car si vous aussi vous baissez les bras et vous pliez aux solutions de facilités prônées par vos semblables, les politiques, je ne croirai plus en rien et perdrai les dernières illusions qui me restent quant au genre humain en général et à la politique en particulier…

Désarroi : car la solution qui m’était offerte jusqu’à maintenant étant supprimée, je retrouve les mêmes problèmes qu’avant avec le lot d’angoisse et de trouble qu’ils génèrent.

J’ai 35 ans et j’ai été toxicomane pendant sept ans. L’année dernière, j’ai découvert le Temgésic, ce médicament que vous venez de faire classer au tableau B des stupéfiants. Depuis un an donc, grâce à ce médicament et à un médecin un peu plus évolué que ses confrères, j’ai mené une vie beaucoup plus calme, retrouvé un travail stable et des repères solides et sûrs – je retrouvais confiance en moi et la confiance des autres ; en un mot je revivais.

Et voilà que tout d’un coup, vous M. Kouchner vous mettez un terme à tout cela.

J’espère que vous n’avez pas tenu compte que des pharmaciens et des docteurs pour prendre cette décision – J’espère que vous vous êtes entretenu avec d’anciens toxicomanes ou au moins avec les gens qui sont en contact avec ce milieu.

Je l’espère de tout cœur parce que moi je ne vous aurais sûrement pas conseillé ce genre de décision.

Vous allez me dire que je remplace simplement une drogue par une autre et je vous répondrai qu’à ce compte là, il faut classer l’alcool, les somnifères, les sados-masos, et même les homosexuels pourquoi pas au tableau B des stupéfiants. Vous ne pouvez pas vous permettre d’intervenir dans la vie des gens à ce point là.

Moi mon truc c’est le Temgésic pour l’instant en tout cas ; il m’a permis de décrocher de l’héroïne en douceur, de reprendre une vie normale, et un travail dans lequel on m’apprécie. Il m’a évité la descente aux enfers qu’est le quotidien du toxicomane. Je suis un intoxiqué aussi d’une autre manière avec ce médicament, mais d’abord on ne supprime pas 7 ans de dépendance d’un coup d’éponge, ensuite, je m’arrêterai quand j’en aurai marre, quand j’aurai envie de passer à autre chose, quand ma vie aura évolué suffisamment pour que je n’en ai plus besoin, et enfin troisièmement tant que je n’embête personne avec çà, tant que je m’assume avec mes problèmes, En quoi çà regarde les autres ?

Pourquoi se permet-on de décider pour moi de ce qui m’est profitable ou pas ?

Quoiqu’il en soit, à l’heure qu’il est, moi qui habite à côté de Strasbourg St Denis, je peux vous assurer qu’il m’est beaucoup plus facile de me procurer de l’héroïne que du Temgésic. Oui M. Kouchner.

Chaque jour je revois des dealers à qui j’achetais à l’époque ; je n’ai pas encore replongé là-dedans, je tiens trop à ma nouvelle vie, mais franchement il y a de quoi se pose des questions devant tant d’incompréhension, tant d’indifférence, tant d’obscurantisme.

Je n’ai pas encore replongé parce que j’ai réussi à force d’obstination à trouver quand même quelques médecins qui ont le courage de braver leur ordre sacro-saint, et qui continuent courageusement à prescrire du Temgésic. Des médecins que vous devriez remercier M. Kouchner, car en plus d’enrayer l’épidémie de Sida qui terrasse la population toxicomane, ils permettent à des gens comme moi de continuer à vivre, à aimer, et à espérer. Des médecins qui vont sûrement avoir des ennuis un jour ou l’autre si vous continuez dans votre politique répressive à courte-vue. Si vous continuez à préférez de l’avis d’un Docteur Curtet à l’avis d’un Docteur comme M. Schwartzenberg parce qu’il est plus dans la norme, parce qu’il est plus confortable, parce qu’il remet moins en question tout le système – Réveillez vous M. Kouchner !

Faites comme pour le droit d’ingérence humanitaire. Combattez l’ordre établi. C’est aussi grave, c’est aussi important. Ne sous-estimez pas le problème.

Voilà. Je sais que vous avez mille autres problèmes, à résoudre surtout en ce moment, mais je voulais quand même attirer votre attention sur celui là parce qu’il me touche de près et parce que je vous estime encore comme homme même avec le peu d’éléments dont je dispose pour vous juger.

J’ai commencé cette lettre par trois mots pessimistes mais je voudrais la terminer en vous reconfirmant ma confiance dans le genre humain ; et je sais que vous aussi vous avez cette confiance autrement vous ne feriez sûrement pas ce que vous faites ni aussi bien.

Recevez, Monsieur, mes sincères salutations.

PS : ça m’embête beaucoup de rester anonyme mais je vis avec quelqu’un et je ne voudrais pas l’exposer à plus de problèmes qu’elle n’en a déjà en vous donnant mes coordonnées – une autre fois peut-être lorsque je vous remercierai d’avoir réintroduit le Temgésic dans le circuit normal sans restriction…

Tranches de…

Tout bourreau est sa propre victime.

Le produit comble un manque mais pas celui du produit. Il permet d’échapper à son histoire,et peut-être au delà.

Ma mère ne voulait pas de moi. Après 5 fausses couches, le 6ème embryon, moi, était trop bien, selon ses propres termes, «accroché». Contrainte de garder ce fils adultérin, conçu dans je ne sais quel foutoir. Je devins exutoire.
Pas de sein maternel, relégué au rang d’objet, elle frappe quand ça la prend, elle s’acharne. Le fruit de cette union est là, devant elle, toujours présent, porteur. Elle enrage, me met nu, me cravache, je tiens bon, elle m’arrache un cri.
L’abandon, les coups de pieds, les coups de poings, la culpabilité, le mensonge, autant de maux devenus constitutifs de la notion que j’ai de l’amour.

À huit ans arrive le couronnement: une bonne petite circoncision la «sans-manche» (pour les connaisseurs). Cette opération est effectuée sans raison médicale ni religieuse par un chirurgien que je qualifierais (pour le moins et pour vous, lecteur) de véreux.Sur la table d’opération l’anesthésiste me demande «piqûre ou masque»? «piqûre !» Tous sont surpris par mon choix. N’aurais-je pas eu précédemment une expérience au gaz?

A 5 ans, je me souviens, j’essaye de me pendre et demande à ma mère de tirer sur la corde. Elle me gifle.
Né avec le cordon ombilical autour du cou, me présentant par le siège, je ne devais déjà pas avoir trop envie de venir au monde.
Je cherche à fuir. Drogues, sectes, amour, suicides, psychiatres, programmes, thérapies, etc…
La mort ne veut pas de moi. La vie est trop forte.
La renaissance, tant espérée, elle non plus ne vient pas de moi. Labyrinthe, chimère, mur. Est-ce donc cela être humain.
Comment faut-il vivre ? Comment? VIS
Je suis là, tout de noir vêtu. Le noir, ma protection, ma chaleur.

Je lutte, à la fois contre la haine, et la souffrance qui m’habitent. Je me noie. Heureusement, le produit est là, comme l’air, vital. Il me soulage temporairement peut-être et après. Il ne me ment pas, je le sais, ce n’est qu’un moyen, peut-être pas une fin.
Je le tiens et j’y tiens.
Personne ne sait pour moi.
Quelques heures, comme si j’avais eu ce qui est dû.

Jacques

Lettre d’un ami

Lors du colloque “Drogue et droits de l’Homme”, ce 10 avril 1992 à Nanterre, j’ai été agréablement surpris d’apprendre l’existence de votre groupe “ASUD”. Cette révélation s’est passée d’un façon assez cocasse d’ailleurs. Au moment où le Dr Marc Valeur déplorait la lecture que faisait les NA (Narcotic Anonyme) du toxicomane, qui constitue d’ailleurs leur idéologie et “l’esprit” de leur réunion – le toxicomane comme impuissant ou pour dire autrement comme malade incurable – vous dévoiliez à l’assistance votre existence, votre puissance, votre citoyenneté (ce qui va forcément à l’encontre de l’anonymat et de la maladie). Sans doute M.Valeur fut le plus étonné, alors qu’il ne voyait en France d’autres formes d’auto-support que les NA, mais le remarquable fut cet auditoire qui tout au long de la journée et de la soirée vous a ovationnés et soutenus et qui, en définitive, a pris parti pour vous.

Chers amis, ce que je voudrais surtout vous dire, c’est qu’ici en Belgique, vous avez aussi notre soutien inconditionnel. Plusieurs belges présents ce 10 avril vous ont déjà exprimé chaleureusement leur sympathie et leur soutien. J’ai moi-même, lors de mon retour en Belgique, parlé de vous à plusieurs citoyens-consommateurs belges qui seraient partants pour la même aventure. L’idée nous est même venue de vous proposer de nous unir à vous, en respectant bien entendu les différences régionales inéluctables.

D’abord parce qu’en Belgique nous avons besoin d’une telle dynamique, ensuite et surtout parce que comme on dit ici “l’union fait la force”, avantage qu’il ne faudrait pas négliger dans l’Europe politique qui prend racine. Unissons nous aussi aux Suisses. Formons un front francophone. Je le dis avec d’autant plus d’aisance qu’il faut savoir que les groupes d’auto-support néerlandais, anglais ou allemand, qui ont une bonne longueur d’avance sur nous, ont déjà obtenu énormément de droits et de reconnaissances grâce à leur existence et aux groupes de pression qu’ils forment. Il n’est pas faux de dire que l’usager hollandais est un citoyen à part entière … en tant qu’usager. Un premier signe de cette union serait de diffuser le journal dans toute la France, la Belgique, la Suisse, mais il faudra aller plus loin.

L’idée d’un front francophone dépasse bien entendu notre légendaire unilinguisme. notre Politique* en France et en Belgique émane d’une conception bien française où la morale – le bien/le mal – gouverne la politique alors que d’autres, anglo-saxons, allemands ou néerlandais mettent en avant les réalités, le pragmatisme. ous ne sommes pas des parias, mais des êtres humains à part entière, ce que semblent oublier nos pays qui prétendent par ailleurs se laisser, guider par la charte des Droits de l’Homme. Ensemble nous serons plus forts pour rappeler notre existence, notre humanité et nos désirs à ceux qui se targuent de morale pour notre « bien ». Mais à quel titre ?

Encore un mot. A l’avenir, nous ne pourrons plus nous contenter d’être seulement auditeurs (participants) dans ces colloques d’experts, mais il faudra participer en tant qu’experts à ces colloques. Je n’ai pas peur de dire que nous sommes les experts par Excellence en matière de drogue. Cessons de laisser parler les autres à notre place et pour notre « bien ». Ils y ont droit, car un avis extérieur n’est pas à dédaigner, mais ils prennent toute la place. C’est un abus de pouvoir sinon de droit !

*Si la politique Suisse est en train de changer, c’est surtout au départ de la Suisse alémanique et non la Suisse romande.

Didier De Vleeschouwer, Sociologue – ex-usager

Le mot “être humain” a beaucoup changé…

En ce qui me concerne, mon parcours d’usager de drogues et de séropositif, je n’en fais pas tout un plat : on ne revient pas en arrière.

Je voudrais qu’on me foute la paix.

Comment peut-on se permettre de nous juger? et qui ? sûrement pas l’état ni les médias.

Je veux juste qu’on m’accepte comme je suis – avec ce que je vis.

Qu’on me considère comme un être humain et pas comme un mot : “TOXICO” – une étiquette qu’on vous colle sur le front pour nous cataloguer, méchamment , nous marginaliser. Quand on regarde ce qui existe, on voit qu’il faut dépasser la question, trouver la solution.

Pour ceux qui partagent la même idée mènent le même combat VIVRE juste VIVRE.

Comme on peut tant qu’on peut.

Moi, je m’aide moi-même.

Déjà, avec les moyens du bord, les autres suivent. Penser ça, c’est un pas en avant,et, sans censure, pouvoir l’écrire.

Hervé MICHEL

Coup de manque

J’en ai pris hier, aujourd’hui
Pour m’échapper un petit moment
Pour oublier, quoi, je ne sais pas
Peut-être un peu tout, la vie je crois
La came est là dans mon corps et dans ma tête
Je suis bien.

Le jour s’est levé et avec lui la douleur
Les yeux à peine ouverts, elle m’étrangle et me
Fait tordre dans mon lit.

Je voudrais bien essayer de rattraper le fil
De mon sommeil perdu pour replonger dans le nord profond
Pour échapper à la vrai souffrance
Insupportable qui me vibre dans tout le corps.

VALÉRIE

Histoire ordinaire d’usagers de drogue

Ce témoignage se situe dans une ville de quinze mille habitants dans une province rurale quelque part en France…

Ici, comme ailleurs les circuits de distribution du cannabis et ses dérivés sont conséquents et installés de longue date avec des moments d’abondance et de pénurie.

Mais, pour trouver “Hélène”1 il fut un temps où il fallait être bien introduit (introuvable dans la rue) pour pénétrer un milieu très fermé fonctionnant sur lui-même, dans la ville préfectorale voisine. Puis, il y a une dizaine d’années, les fameux “képas”2 à vingt “keuss”3 firent leur apparition. Depuis trois quatre ans, et parallèlement à la conjoncture sociale (chômage, nouvelle génération…) la consommation de ce produit s’est propagée dans notre petite ville et l’effet “boule de neige” n’a pas tardé à se faire ressentir, justifiant un approvisionnement quasi permanent.

Dans nos campagnes tous les milieux sociaux et styles de gens se connaissent et se côtoient plus ou moins. Malgré les modifications relationnelles que l’usage de l’héroïne entraînent, les “rapports” amicaux sont relativement maintenus et restent assez sains. Et comme “tout se sait” le dealer se doit, un peu plus qu’ailleurs peut-être, de fournir un produit de qualité et servi en quantité “honnête” pour assurer sa notoriété et sa sécurité. Souvent acheteurs et dealers sont amis dans la vie privée et partagent non seulement un même goût pour la dope mais aussi des relations professionnelles, familiales, des loisirs communs ou de chaleureux repas bien arrosés d’où une consommation (en groupe) plus proche de la convivialité cannabinique.

Mais quand décrocher est devenu une nécessité, s’arrêter, se mettre “au vert” est (peut-être) un peu plus facile que dans les grandes agglomérations car l’hygiène de vie générale y est meilleure, plus naturelle. Un cadre plus agréable sans le stress urbain, où on est moins soumis à la tentation, se prête mieux à faire refonctionner le corps normalement et à redécouvrir les petits plaisirs tout simples de la vie quotidienne.

Enfin, on peut, malgré tout, dire que ce petit monde animé par un même penchant pour cette substance illicite cohabite dans un climat où la solidarité et l’amitié restent à peu près authentiques et où les escroqueries, les arnaques qu’on attribue habituellement à ce milieu restent minimes.

Puis, arrive le jour où le fournisseur se déplace où cesse son activité, le temps des plans pourris où tu attends des heures un coup de téléphone qui ne vient pas et le manque qui se fait sentir. Commence alors la course contre la montre pour en trouver, ce qui occupe tout ton temps, ta tête, ton esprit, tes finances. Le plus souvent tu te retrancheras vers la grande ville la plus proche où selon les informations de ton réseau relationnel ton périple s’arrêtera peut-être, sinon, tu pousseras plus loin vers la capitale où, au pire, bien motivé, ce sera un aller-retour au pays des tulipes, avec tout ce que cela implique de galères, de frais supplémentaires, de souffrances physiques.

Reste la solution de s’abstenir jusqu’à la formation d’un nouveau « commerce ». Alors débute un autre combat face à un milieu médical mal informé sur le sujet voire pas du tout. Car dans certaines provinces, les institutions dites compétentes (médecins, hôpitaux…) appelées à l’aide dans ces moments là n’ont la plupart du temps aucune vraie information pratique sur le problème (alors que l’usager sait lui ce qu’il lui faut) et médicalement n’aident en rien sinon à t’abrutir à grands coups de calmants. Ledit toxico est, là encore plus à leurs yeux, un être agressif qu’il faut à tout prix rendre inoffensif. Que dire aussi des pharmaciens peu scrupuleux qui refusent de te détailler des seringues malgré la vente libre et t’obligent à acheter la dizaine voire la boîte entière (soit trente seringues) sachant bien que tu n’es pas en position d’aller te plaindre !

Contrairement aux grandes villes, l’anonymat est beaucoup plus difficile à conserver quand tu es repéré par les forces répressives locales, le SRPJ dont le département dépend, débarque et l’étau se resserre très rapidement. La promiscuité des relations a un risque encore plus important, la délation. Et, classique, la peur du gendarme pour les plus jeunes alliée à la parole des parents ayant foi en la justice, donnent des arrestations en cascade à la moindre petite affaire.

Du coup, le pauvre type reconnu à la tête du réseau fait la une des journaux locaux (voire même les actualités télévisées régionales) qui appuient leurs articles d’hypothèses les plus farfelues. Ils sera la « tête de turc » qui au jugement (qui sera exemplaire) écopera du maximum pour rassurer les honnêtes citoyens de la bourgade en question.

Quand à la personne séropositive, il lui est conseillé de n’en parler qu’à des gens de confiance, car la plupart des individus étant mal informés, et ayant nombre de préjugés (même parmi les consommateurs) des répercussions d’ordre professionnel, relationnel, le regard suspicieux que l’on lui portera sont à craindre.

Jusqu’au chantage affectif sur nos familles et nos enfants, l’usage de drogue est devenu un enfer, non pas par le produit, mais par la ségrégation, l’ostracisme, qui nous fait plus de mal que le produit lui-même, jusqu’à la maladie, jusqu’à la mort. Etre usager en province, c’est toujours prendre le risque d’être différent.

FRANCK & PUCE

1hélène = l’héroïne
2képas = paquet en verlan
320 keuss = 20 « sacs » (200,00 Fr)

Un mariage en garde-a-vue

Ce soir, ça fait plus d’une demi-heure que j’attends que le mec revienne avec ce que je lui ai demandé. Le voila, enfin! Vraiment décontracte, le mec, pour quelqu’un qui est surveillé par des civils. Je ne peux me douter de quoique-ce-soit déjà en tant que personne dépendante d’un produit plus cher qu’il ne vaut (tant pis). Personnellement, je ne pense qu’à ça. Ca fait presqu’ un an que je viens ici pour chercher mon plaisir, ce n’est pas journalier ! Mais juste une ou deux fois par semaine. C’est suffisant, et puis je n’aime pas courir après tous les jours. D’ailleurs, ça ne sert à rien, je préfère en avoir vraiment envie.

Toujours est-il que depuis le temps que je viens ici, je me suis rendu compte que les dealers extrêmement méfiants par expérience, ne revendent jamais s’ils estiment être surveillés. Et jusqu’à maintenant, tout c’est bien passé, le mec m’entraîne dans les escaliers. Je paye et je ne demande pas mon reste.

J’enfourche ma bécane, je démarre doucement et commence à descendre la rue tranquillement, enfin rassuré d’être en route pour la “casba” (maison). J’amorce un virage, et j’aperçois un type en train de renouer son lacet au beau milieu de la rue; je ralentis encore un peu histoire de passer en “lousdé” (en douce) à coté de lui.

Alors tout est allé très vite. Il relève la tête, me hèle et me demande une cigarette que je lui refuse poliment en m’arrêtant un dixième de seconde, ce qui suffit largement à son collègue planqué derrière une caisse, et qui me pécho (me prend) en traître le colbak (par le col) !

Je regarde l’autre : il se marre en me mettant sa plaque sous le nez. Ils m’entraînent dans une petite cage d’escalier à coté, et me demandent une première fois :

– Où est la came ?
– Je n’ai rien acheté!
– Allez … on t’a vu de toute façon !
– Je vous assure que je ne l’ai pas prise!
– Tu sais, à chaque fois qu’on gaule (prend) un tox,il nous donne toujours tout-de-suite sa dose; alors tu ferais mieux de faire pareil … de toute manière, on la trouvera !

Sur ce, ils commencent à me fouiller justement la bonne poche, et ressortent le keps (le paquet) entre leurs doigts. J’hallucinais ! Enfin … façon de parler, parce qu’à ce niveau là, question défonce, j’étais mal barré.

Les trois quart-d’ heure qui suivirent, je les ai passé accroché par les pinces (menottes) à l’escalier, ou plutôt à des barreaux, le temps que ces messieurs attrapent le dealer, non de bonbons, mais de bonbonnes. Ensuite ? Eh bien garde-à-vue, tentative des flics de m’amadouer pour que je balance le mec pour plus que ce qu’il a fait, puis le dépôt, le procureur le lendemain matin, couplé avec les médecins pour l’inévitable « injonction thérapeutique ». Total, à 15h30 je sortais tout juste. C’est quand même con le jour de mon mariage; c’était à 14h00 ! On dit une « vie de chien », je les envie!

MORALE : La veille de tes noces, abstiens-toi !

SYLVAIN

En prison, en banlieue ou autre part

J’écris dans ce journal pour vous dire que j’aime ça ! J’aime vous écrire ! J’avais commencé mon histoire dans le journal de quartier de Vitry-sur-Seine, et j’ai envie de vous donner de mes nouvelles…

Je suis toujours sous AZT. Je continue les aérosols. Bien sur, apparemment, je me porte bien ! Mais je fais attention à mon bilan sanguin, les fameux T4, globules blancs qui ne doivent pas être moins nombreux. Par précaution. Toujours par précaution.

Comme cet ami rencontré dernièrement à l’hôpital. Il venait d’attraper une pneumo­cystose.. Il m’a appris que son frère était mort l’année dernière. Je ne le savais même pas! Lui ne se faisait pas suivre médicalement. Par précaution. Enfin ! Faut pas flipper!

C’est dur à dire, mais maintenant, je veux vivre, pour ne pas mourir comme un con ! je veux apporter des tas de choses à tous ceux qui sont, comme on dit, “des drogués” mais qui à part çà sont des gens comme tout le monde. Mal vus! Pourtant, qui est vraiment indépendant, “libre” ? Nous sommes toujours considérés comme des “toxicos’, des mal-aimés pour certains, des vrais amis pour d’autres ? Des personnes qui comprennent, qui essayent au moins de comprendre, tout en ayant peur du sida.

Où est la logique des choses ? Quelle vie mène-t-on ? Il n’y a pas longtemps, j’étais à une réunion, et on a pu en parler. J’ai trouvé çà super ! Il faut venir en parler. Tout cela m’a fait du bien, car j’ai besoin d’amis, d’amour et de compréhension. Ce n’est pas forcément facile, mais cela peut se faire.

Je comprends ceux qui sont en prison, en banlieue, ou autre part. Il faudrait pouvoir partir loin de tout ! Bien vivre, faire l’amour, avoir des enfants, des tas d’enfants qui seraient heureux, bien dans leur peau.

J’ai eu des moments difficiles : voir mon grand-frère mourir, les amis, les copains, tous déjà partis. Pourquoi ? Être dans le néant, avoir vu la mort de près, de trop près. Être bien, ou entre les deux, avoir des désirs impossibles à réaliser; je volais ma propre mère, je galérais dans le désastre. Comment être heureux et trouver sa place dans cette société ? telle que je la vois, sous un aspect à en crever. Vouloir s’en sortir, mais comment ?

Nous ne demandons rien d’autre que de nous donner notre drogue et qu’on nous laisse tranquilles. Au lieu de faire les hypocrites et de donner la mort au lieu de donner la vie. La mort, ce n’est qu’un mot. Pourquoi n’est -on pas sincères les uns avec les autres ? On a pas le temps de jouer avec les sentiments ? Si j’aime la défonce, qui osera me l’interdire maintenant ?

XAVIER

Une mère témoigne

A travers ces lignes, je viens vous raconter mon expérience :

J’ai passé une soirée en réunion avec un groupe “d’usagers des drogues”. Pas évident ; je suis mère mais j’ai eu la surprise de constater que, durant cet entretien, la drogue n’a jamais été évoquée. Les discussions ont plutôt porté sur la façon de s’en sortir, de se prendre en charge, de se faire respecter, et, dans l’avenir, de requérir l’aide d’associations ou de l’État, comme il vient de le promettre pour éviter les problèmes des quartiers à “risques”.

Il faut les encourager, ils redressent la tête. Une bouffée d’air pur dans notre horizon de famille détruite par les effets et retombées de la drogue.

Je tiens à saluer la Naissance de ce Groupe en France, en tant que parent; oui, je suis une de ces mères qui ont du lutter contre cet abattement où ils se plongent; effrayée par cette forme de racisme des voisins ou amis proches qui, apeurés et alertés mais sans connaissance exacte du danger cherchent à protéger leur progéniture en les empêchant de fréquenter nos enfants comme s’ils étaient des pestiférés.

Il est vrai que nous vivons dans un univers différent de ce que nous avions vécu, complètement démuni et désespéré car c’est l’angoisse qui nous habite.

Seul un psychologue m’a aidé et un peu calmée en réfléchissant : pour lui, ces jeunes intoxiqués sont plus sensibles, plus perdus donc, en ne supportant pas par la même notre société dure et dominée par l’argent et la technicité.

Eux cherchent l’Humain, la tendresse, la confiance, et on les rejette, d’où leur regroupement entre-eux, les isolants encore plus et les désignant à la vindicte populaire.

En tant que parent, il ne faut pas céder au découragement, mais consulter son médecin, les aider par notre inconditionnelle tendresse.

Alors, je reprends confiance en les voyant se prendre en charge, s’assumer, et là, un peu libérée et moins seule aussi, Associations, ministres, et anonymes, apportez nous votre concours …

Colette AUBOURG

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