Auteur/autrice : Jejor

Sizzurp : Le sirop de la rue (part2)

Après s’être propagé via le rap sudiste américain, le Sizzurp fait aujourd’hui les frais de témoignages dénonçant son abus et les risques associés. Le fabricant de cet antitussif a décidé d’en arrêter la production, exposant du même coup les consommateurs à d’autres risques pour la santé.

Cliquez ici pour lire l’article précédent paru dans ASUD journal n°51 :
HiP-HoP : Le sirop de la rue (part1)

Après des années de tabous, on assiste à une explosion des consommations depuis le début des années 2000. Coke, MDMA (« Molly »), médocs, tout y passe et les consommations s’affichent ouvertement. Le phénomène le plus notable est celui du Sizzurp, un antitussif à base de codéine et de prométhazine consommé de manière récréative en cocktail (soda+bonbons fruités)*. Cette pratique née à Houston au début des années 90 est restée pendant longtemps confinée à la scène locale. Mais l’explosion du rap sudiste au début des années 2000 a propagé cette tendance à travers les USA. On ne compte plus les références au cocktail dans les rimes et la mode a depuis dépassé les frontières du hip-hop, touchant même l’égérie teenage Justin Bieber et lui valant sa première « rehab ».

Arrêter la production

tumblr_lt1f5s1Ltf1qcww7eo1_500Certains commencent à évoquer le revers de la médaille. Mac Miller, Gucci Mane et Lil Boosie ont publiquement abordé leur addiction et leur difficulté à décrocher. August Alsina, Rick Ross et le plus célèbre, Lil Wayne, ont séjourné à l’hôpital suite à un abus de « Purple Drank ». Ils ont tous eu des crises de convulsions qui auraient pu leur être fatales. August Alsina et Lil Wayne ont passé chacun 3 jours dans le coma suite à la violence des crises. Des produits, des abus, rien de bien nouveau sauf la réaction d’Actavis, le fabricant du sirop, qui a décidé d’en arrêter la production déclarant que l’image du produit dans les médias a « rendu glamour l’usage illicite et dangereux du produit, qui est contraire à son indication initiale ». Assez rare pour être notée, une telle réaction est-elle pertinente ?

Pour ceux pour qui le produit est le seul et unique responsable du problème, tout rentrera dans l’ordre s’il disparaît de l’équation. Une vision prohibitionniste et manichéenne de la question, où l’on retrouve d’anciens consommateurs repentis comme Lil Keke, Lil Boosie ou 2 Chainz. Et puis il y a ceux qui voient d’un très mauvais œil qu’on les prive de leur produit de prédilection, comme Soulja Boy, qui commence déjà à faire des stocks en prévision d’une pénurie et qui a même lancé une pétition pour tenter de faire revenir le fabricant sur sa décision

L’interdit et ses conséquences

Quarante ans de prohibition nous ont appris qu’interdire un produit n’est pas la solution. Même s’il n’est pas ici question d’interdit, le retrait du marché de l’antitussif aura les mêmes conséquences. Une décision d’autant plus regrettable qu’elle est davantage motivée par un souci d’image de marque que par une réelle préoccupation de santé publique. Elle pénalisera des malades, marginalisera et criminalisera les consommateurs, et favorisera le trafic et la contrefaçon. Avant même l’arrêt de la production, les prix dans la rue atteignent déjà 200 à 1 200 $ les 50 cl !! La première conséquence est que les consommateurs vont se tourner vers d’autres produits dont la consommation peut s’avérer encore plus risquée. Cette tendance est déjà observable avec des cocktails dans lesquels sont écrasés divers cachetons comme l’Ambien®, le Vicodin® et l’OxyContin®, dont certains sont des opiacés majeurs. Sachant que les overdoses de médicaments sur prescription sont la première cause de décès accidentel aux USA, ce glissement n’aura rien d’anodin.

purple-and-drank1En France aussi, on sirote

Et c’est précisément à cette problématique qu’il faudra faire face en France, car le sirop d’Actavis n’existant pas chez nous (et n’étant plus fabriqué de toute façon), les recettes pour se rapprocher du cocktail US diffèrent. Elles nécessitent des associations médicamenteuses pour mélanger prométhazine et codéine, entraînant d’autres risques (dosages, présence d’autres molécules dans ces médicaments comme le paracétamol, etc.). Il est nécessaire de pouvoir rappeler que la consommation de ces produits peut provoquer des malaises, notamment des dépressions respiratoires, surtout quand elle est associée à d’autres produits comme l’alcool et le cannabis qui potentialisent ces risques. Des recettes circulent déjà sur des forums francophones et le réseau des CEIP fait état de plusieurs cas d’intoxications au cocktail depuis le début 2014. Il est donc nécessaire de prendre connaissance du phénomène afin de pouvoir se renseigner, informer et faire de la prévention.

Dabolisation, comme dabitude

Depuis près de deux ans, la planète cannabis est euphorique. Plus de la moitié des États de la Terre sacrée de la guerre à la drogue autorisent actuellement le cannabis thérapeutique, la ville de New York vient de dépénaliser, et certains d’entre eux ont franchi le pas de la réglementation du cannabis récréatif. L’Uruguay est, quant à lui, le premier pays à réglementer complètement l’ensemble de la filière. Mais si ces changements sont le signe d’une véritable évolution sociétale, ils ne vont pas sans froisser les Croisés antidrogue, qui doivent redoubler d’arguments fallacieux pour endiguer le flot cannabique. Dernière victime : le dab.

Le dab, kézako ?

Le dab est la pratique de consommation de concentrés de THC : BHO (Butane Honey Oil) et Full Melt hasch. Selon la préparation, on parle de Wax, Honey, Budder, Shatter, Moon Rock, etc. Le résultat varie de 50% à 95% de THC. Avec de pareils taux, les ayatollahs de la fumette ont tôt fait de diaboliser ce produit. Les médias s’en emparent et n’hésitent pas à qualifier le BHO de « crack vert ». Mais le plus surprenant, c’est le clivage qu’il crée au sein même de la communauté cannabique. Même le célèbre magazine High Times se questionne : « Le BHO est-il le crack de la marijuana ? »

Bons drogués vs mauvais drogués

Ce concentré de THC relance l’opposition larvée entre les bons drogués fumant une gentille plante et les mauvais drogués, ces irrécupérables junkies friands de drogues bien « dures », qui parasitent tout le discours autour de la légalisation du pétard. Une situation où certains antiprohibitionnistes basculent du côté obscur. Aux Pays-Bas, c’est l’Union néerlandaise des détaillants en cannabis qui appelle les exploitants des coffeeshops à « stopper immédiatement la vente de concentrés sous forme de cire afin de protéger leur secteur ». Car avec le BHO, les Pays-Bas sont en passe de faire voter une loi, désignée comme « Norme des 15% de THC », qui interdira la vente de cannabis ayant un taux de THC supérieur à 15%. Ce type de cannabis sera reclassifié sur la Liste I du Tableau des stupéfiants comme une drogue dure, au même titre que les opiacés. Il n’est pas exclu que les États nord-américains ayant réglementé la vente de cannabis récréatif fassent de même. Pour éviter que le Colorado ne devienne le support d’une nouvelle série intitulée Breaking Dab (et les explosions intempestives), l’État a déjà interdit l’usage de butane chez les particuliers…

Diaboliser et stigmatiser plutôt qu’éduquer

Dealer Dab JointLa question du dab est aussi générationnelle : 420 contre 710. On se souvient des baby-boomers terrorisés par ces nouvelles weeds super fortes qui rendraient vraiment schizophrènes, à la différence, bien évidemment, de celles qu’ils fumaient. La génération shit/skunk/bang actuelle est dépassée par les jeunes vapoteurs de wax pour qui fumer un pétard d’herbe est complètement has never been, voire #So90s. Ils portent même des t-shirts inscrits : « Des fleurs ? Comme c’est gentil – elles doivent être pour ta copine »… LOL.

Donc, comme d’habitude, on incrimine la substance et l’usager. La politique de RdR a pourtant démontré que les problèmes liés aux usages de drogues sont moins le fait du produit que de l’usage qui en est fait. Il faut donc sortir de la diabolisation, éviter la stigmatisation des usagers et privilégier l’information, la prévention et l’éducation (lire RdR du dab et dab dans la RdR). Car comme le souligne Russ Belville, l’auteur des articles de High Times, « le danger du dab n’est pas tant physique qu’un véritable cauchemar de relations publiques ». Ce qui contrarie véritablement une partie des cannabinophiles, c’est surtout la mauvaise presse du produit qui vient écorner des décennies de luttes pour changer l’image du cannabis.

Conclusion

Au final, le débat autour du dab et des « risques » liés à cette consommation illustre les désaccords de la communauté cannabique. Que ce soit autour de la prohibition de toutes les drogues ou même simplement du cannabis : doit-on parler de chanvre global, de cannabis thérapeutique ou récréatif ?

La lutte des classes entre usagers de drogues n’est pas récente. Il y en a toujours pour regarder la poutre dans le nez du voisin. Et dans cette opposition cannabis vs autres drogues, rappelons les liens historiques entre Asud et le Circ (lire l’article Nouvelle donne !). Au-delà de la polyconsommation, c’est avant tout une question d’éthique et de cohérence intellectuelle que de s’opposer à la criminalisation de l’ensemble des usagers, sans distinction.

L’or vert du cannabis

Ces dernières semaines, on a vu pousser des feuilles de weed dans tous les médias. Nouvel album de snoop dogg ? Même pas. Ce sont les récents changements politiques en Uruguay et dans quelques états nord-américains (Washington et Colorado) qui en sont la cause. Comme cela n’a pas pu vous échapper, ces états ont franchi le pas de la légalisation du cannabis. Plus qu’un changement de politique, c’est une petite révolution.L’engouement des médias en témoigne.

Les arguments financiers

D’un seul coup, le sérail médiatique est passé du puritanisme à YouPorn, nous inondant d’articles, de reportages et de sondages, entraînant quantité de déclarations et de débats. La plus remarquée est celle de Barack Obama abordant sa consommation juvénile de cannabis. Nos politiques hexagonaux sont, eux, d’une réserve consternante. Manuel Valls reconnaît avoir peut-être malencontreusement glissé sur un tarpé tel Richard Virenque se piquant « à l’insu de son plein gré » avec une shooteuse d’EPO, et notre ministre de la Santé, Marisol Touraine, sur le plateau du Grand Journal, n’arrive même pas à formuler un début d’argument valable contre un changement de législation.

Le plus surprenant dans cette frénésie est l’intérêt de certains médias financiers. On a vu fleurir des articles dans  La Tribune ou Bilan, des titres généralement éloignés des questions sociétales, et la presse généraliste aborder le sujet dans les rubriques économiques. Pourquoi donc cet intérêt de la part de cette presse financière ? Une théorie pourrait l’expliquer et, par la même, expliquer ces changements législatifs en série.

Dans les épisodes précédents, la guerre à la drogue sévissait. Face aux troupes de l’Empire, une poignée de rebelles a déployé pendant près de quarante ans une politique médicosociale et un argumentaire démontrant la contreproductivité de cette approche répressive. Criminalisation, risques sanitaires, cohérence des actions de prévention et de RdR ou risques liés au trafic clandestin, le discours de ces militants était résolument orienté sur des problématiques de santé publique et sociétales. Les différents modèles de légalisation du cannabis prônés par ces acteurs prenaient déjà en compte l’économie des fonds alloués à la répression, la manne financière générée par cette activité et la diminution du trafic et de ses conséquences.

Le paradoxe bancaire

Mais c’est sur ces arguments financiers que se concentre la majorité des articles en question. Si l’argent n’a pas d’odeur, aujourd’hui en Amérique, il commence à sentir la weed. Un sondage fait apparaître que 58% des Américains sont en faveur d’une légalisation du cannabis, mais que c’est « l’argument fiscal [qui] semble séduire les plus conservateurs ». Des économistes s’emparent du sujet, comme Pierre Kopp qui souligne « le coût élevé des politiques répressives et les recettes potentielles provenant d’une taxation de la marijuana ». Et l’on vante l’initiative du Colorado qui « a vu se transformer une économie souterraine et illégale en un business autorisé, rentable et attractif ».

Ces arguments sont étayés d’estimations les plus diverses quant aux profits. Que ce soit sur une légalisation hypothétique sur l’ensemble des États-Unis qui, selon les économistes, « pourrait représenter entre 45 et 100 milliards de dollars (33 et 74 milliards d’euros) ». ou, selon l’évolution des législations, sur un « marché du cannabis qui pourrait peser 10 milliards de dollars par an d’ici cinq ans aux États-Unis contre environ 2 milliards en 2014 » évoqué par certains.

Et, chose impensable il y a encore quelques mois, on en parle comme d’une valeur boursière. Des termes comme « bulle spéculative » sont utilisés pour expliquer qu’en « 2011, les prix du cannabis se sont effondrés, conduisant à un crash » On scrute les « entreprises liées à l’industrie du cannabis [qui] ont vu leurs actions bondir […] aux États-Unis, au lendemain de l’entrée en vigueur de la vente libre de marijuana dans l’État du Colorado » Et on spécule déjà sur le fait que « cet État a l’opportunité de construire les premières grandes entreprises et les premières grandes marques ». Un hoax déclarant que Marlboro lançait sa marque de pétards a même déjà circulé sur la toile.

Pour autant, ces enjeux financiers se confrontent à un paradoxe de taille : celui des banques. Effectivement, « les professionnels du secteur se voient refuser les services des grandes banques américaines », au motif est que ces établissements « craignent une sanction ultérieure des autorités fédérales, avec amendes à la clé », du au « mille-feuilles législatif aux États-Unis ». Pour résumer, le droit d’un État comme le Colorado s’oppose au droit fédéral régissant l’ensemble des États-Unis. Le Colorado est dans l’illégalité face au droit fédéral américain. C’est pour cette raison que « le procureur général James Cole avait envoyé aux établissements bancaires une circulaire rappelant les peines prévues pour toute participation, directe ou indirecte, au commerce des stupéfiants selon le droit fédéral ». Le plus ridicule est quand même que ces établissements bancaires profitent depuis des décennies de l’argent du trafic en fermant les yeux sur sa provenance, parfois même, facilitant son blanchiment, mais qu’ils deviennent frileux et consciencieux une fois cet argent devenu légal. L’administration fédérale a depuis demandé que cette situation soit réglée pour que ces entreprises cannabiques bénéficient de services bancaires.

asud55 p09 Plante cannabisL’absence du médicosocial

Par ailleurs, quasiment aucun article ne s’interroge sur l’utilisation de ces profits, et notamment leur possible affectation au domaine médicosocial. Seul un article relève le fait que « cette légalisation s’accompagne d’une mesure qui a séduit les électeurs lors d’une nouvelle consultation publique le 5 novembre : une taxe de 15% s’appliquera sur le prix total et devrait rapporter au moins 27,5 M $ (20,3 M €) annuels pour la construction des écoles publiques du Colorado. Une autre taxe de 10% sera consacrée à des campagnes de prévention contre la drogue ».

Ce produit qui jadis menaçait les écoles va donc servir à en construire. Serge Lebigot appréciera…

De toute cette littérature, il ne ressort presque rien sur l’aspect médicosocial de ces nouvelles politiques. Or c’est précisément l’argument sanitaire et social qui a conduit, officiellement, à la guerre à la drogue et, a fortiori, à l’antiprohibitionisme. Si, pour le premier, l’interdiction et l’éradication des drogues sont des moyens de protéger la santé des personnes malgré elles, pour le second, c’est cette clandestinisation qui aggrave les risques sanitaires et la criminalisation des usagers. Et le versant économique d’un changement de politique est, dans l’argumentaire antiprohibitioniste, un moyen de renforcer la prévention, la RdR et la prise en charge médicale des usagers de substances.

C’est, au final, La Tribune qui remet les choses en perspective, l’économiste Pierre Kopp y rappelant qu’il « ne faut pas perdre de vue l’objectif de santé publique, et non de renflouement des caisses de l’État ».

Bien qu’il soit évidemment trop tôt pour avoir des données médicosociales exploitables permettant d’évaluer l’impact de ce nouveau modèle législatif, l’intérêt autour de ces questions semble minime et laisse penser que cinq années de crise économique ont eu plus d’effet sur les politiques des drogues que quarante ans de militantisme. Réjouissons-nous de ce changement, mais restons vigilants.

Prévention jeune en mode mineur

« La prévention des conduites addictives chez les adolescents, même si elles ne concernent qu’une minorité, constitue un enjeu majeur pour la société », rappelle un rapport de l’Inserm1 en 2014. Si tout le monde est globalement d’accord sur le fait que plus des consommations commencent tôt, plus il y a de risques de complications médicosociales à terme, l’impact d’une consommation précoce et l’ampleur des risques ne font pas l’objet d’un consensus universel pour autant.

Pétrifiés comme Andromède

Dans ce même rapport, l’Inserm précise que « les actions à développer doivent cibler en priorité l’alcool et le tabac, voire le cannabis, en raison des niveaux d’usage et des dommages associés (en termes de santé publique) qui prédominent sur les autres substances et les jeux ». Donc que la consommation de produits psychoactifs licites, « voire le cannabis », entraîne plus de complications que les drogues illicites…

Pour beaucoup, telle Andromède, le simple fait de regarder de la drogue pétrifie et rend immédiatement accro, même les plus vertueux. Mais tout ce qui touche les plus jeunes fait toujours plus peur. Quelques grammes de shit sont vendus dans un collège ? Il faut mettre en place des tests urinaires, systématiser les fouilles à l’entrée, mettre des détecteurs à shit, envoyer l’armée et les chiens renifleurs. Branle-bas de combat. En plus, les plus jeunes ne font rien comme les adultes. Ils ne se bourrent pas la gueule, ils « binge drink ». Ils ne vont pas en discothèque, ils font des free parties et des teknivals. Ils ne partouzent pas, ils font des « tournantes » et autres « gang bangs ». Bref, ils font tout de travers ces cons-là.

RdR ou médico-psycho-pathologisation

Donc on fait de la prévention, très bien. Mais comment ? L’approche de la RdR s’étend de la prévention jusqu’au soin : « le mieux, c’est de ne pas consommer. Si tu consommes, protège ta santé en réduisant les risques. Et si tu souhaites arrêter, il existe des prises en charge ». Cette approche nécessite que le discours de prévention soit basé sur une information objective et réaliste, à savoir les effets négatifs, mais aussi les effets positifs car le vrai problème de la drogue, c’est que c’est bon. Pouvoir aussi expliquer que l’usage de drogues n’est pas qu’une question de produit mais la rencontre de plusieurs facteurs (personne, produit(s), contexte). Et, si besoin, pouvoir aborder des conseils pour réduire les risques, maîtriser, diminuer, voire même stopper, une consommation, selon les demandes exprimées. Ce discours est-il en phase avec la demande institutionnelle et avec les professionnels des structures travaillant auprès des jeunes ?

Le cadre institutionnel de la prévention des addictions chez les jeunes est fixé par le plan 2013-2017 de la Mildt (Mildeca de nos jours, lire notre article Le « A » de MILD&CA), qui définit les grandes lignes directrices de la lutte contre la drogue et les conduites addictives. C’est ce document qui régit les axes de travail concernant les addictions, tant sur le volet sanitaire que répressif. La première partie concerne le volet sanitaire et social et s’intitule « Prévenir, prendre en charge et réduire les risques ». Des recommandations spécifiques à destination d’un public jeune sont saupoudrées tout au long de cette partie. Jusque-là, tout va bien.

Il y est précisé qu’afin « d’éviter l’entrée en consommation ou de retarder au maximum l’âge d’initiation, les adolescents doivent être les principaux bénéficiaires des actions de prévention »2. De même, le Guide pratique de la protection de l’enfance précise que « la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance fait de la prévention un axe majeur de la protection de l’enfance. Elle vise à prévenir le plus en amont possible les risques de mise en danger de l’enfant en évitant qu’ils ne surviennent ou en limitant leurs effets »3. Idem dans le rapport de l’Inserm, qui recommande de « prévenir les initiations ou en retarder l’âge » et d’« éviter les usages réguliers »4. A priori, rien de fondamentalement contradictoire avec un discours de prévention RdR, même si « éviter l’entrée en consommation » et prévenir « les risques de mise en danger de l’enfant en évitant qu’ils ne surviennent » n’implique pas les mêmes discours ni actions que « prévenir les risques de mise en danger […] en limitant leurs effets ». Un des principes de la RdR est de pouvoir faire du « sur mesure » en s’adaptant à la personne, en l’occurrence à un groupe. Cela nécessite de pouvoir s’adresser à des groupes homogènes (usagers, non-usagers, etc.), ce qui est illusoire d’un point de vue pratique et discutable d’un point de vue pédagogique, mais c’est un autre débat.

De même, la dernière recommandation de l’Inserm pose question : « Repérer au plus tôt les usages précoces et réguliers et promouvoir une prise en charge adaptée pour éviter les dommages sanitaires et sociaux » renvoie au risque d’hyper médico-psycho-pathologisation de ces actions de prévention.

Si t’en prends, ben, t’arrêtes !

Structures réticentes

Concernant les structures travaillant auprès d’un public jeune, c’est un peu plus compliqué. Elles représentent une palette extrêmement large (Éducation nationale, clubs de prévention spécialisée, foyers, Aide sociale à l’enfance, missions locales, PJJ, etc.), avec des objectifs et des missions spécifiques. La plupart reconnaissent, à juste titre, ne pas avoir les compétences nécessaires sur la problématique des addictions et délèguent la prévention à des structures spécialisées, qui vont de l’association antidrogue moralisatrice aux consultations jeunes consommateurs, en passant par la brigade de prévention de la délinquance juvénile de la gendarmerie. Un tel décalage dans la palette d’intervenants s’explique de plusieurs manières. Déjà, tout le monde n’a pas géographiquement une offre de structures de prévention suffisante, donc on fait avec l’existant. Mais aussi parce qu’un certain nombre de dirigeants et de professionnels au sein de ces structures n’adhèrent absolument pas au discours de prévention RdR car leur mission est de protéger les jeunes. Donc la drogue, c’est mal, et si t’en prends, ben t’arrêtes, point ! Et il en existe encore beaucoup qui préfèrent s’en tenir au slogan reaganien du « Just Say No » ou « la drogue, c’est de la merde ». Certains ne se préoccupent d’ailleurs pas des jeunes, mais uniquement de la réputation de leur établissement, comme un patron de club. Faire de la prévention, c’est reconnaître que de la drogue circule. Donc l’intervention privilégiée est celle de la gendarmerie pour signifier que la drogue ne passera pas les portes de cette citadelle éducative. Puis, il y a aussi ceux qui comprennent bien qu’il faut dépasser cette posture mais que ce n’est pas aussi simple. Dans la vraie vie – enfants, adolescents, jeunes adultes, adultes, vieux –, ça n’existe pas. Juridiquement, il n’existe que mineurs et majeurs, point ! Et ça fait une grande différence. Ce qui concerne les mineurs engage la responsabilité pénale des détenteurs de l’autorité parentale. Et comme beaucoup de parents ne veulent pas qu’on dise à leurs enfants qu’il y a des effets positifs avec les drogues, bon nombre de dirigeants de structures, même de bonne volonté, sont réticents à mettre en place des actions de prévention objectives, par peur des retombées hiérarchiques, tutélaires, voire judiciaires en cas de plainte de parents.

Inclure les parents

Tout ceci représente une vue d’ensemble succincte de la complexité des actions de prévention auprès des jeunes. Dans son plan, la Mildeca souhaite renforcer l’impact des programmes de prévention en encourageant « leur inscription dans les projets d’établissements scolaires, d’enseignement supérieur, de centres de formation d’apprentis, de centres de loisirs, d’associations sportives ainsi que dans la formation des jeunes salariés, dans les dispositifs de cohésion sociale et dans la formation des personnels d’éducation, de santé et sociaux »5. Mais au-delà, se pose la question de la formation à la RdR des équipes intervenant auprès des jeunes. Il faut pour cela que ces équipes soient prêtes à passer outre leurs représentations sur la drogue, qui sont conformes à celles de l’opinion publique. Pour ces mêmes raisons, la prévention doit inclure les parents, car elle ne devrait pas être que du ressort des professionnels mais aussi et d’abord des parents. Mais cela nécessite un meilleur maillage géographique, beaucoup de temps et de moyens humains de la part des structures médicosociales spécialisées, consultations jeunes consommateurs en tête. Ce qui n’est pas le cas. Renforcer la coopération, les partenariats et la mixité pluridisciplinaire des équipes se heurte aux mêmes problèmes. D’ailleurs, pour conclure ses recommandations, le rapport de l’Inserm précise bien que « pour atteindre ces objectifs, il est nécessaire d’assurer une coordination nationale et régionale des actions ainsi qu’un soutien financier pérenne ».

Si les intervenants en RdR sont désormais protégés par le code de Santé publique et le Référentiel national encadrant les actions de réduction des risques, qu’en est-il des professionnels exerçant dans un autre cadre, et particulièrement de ceux qui travaillent avec des mineurs ? De plus en plus de professionnels de première ligne avec des mineurs identifiés comme consommateurs renoncent à organiser des séjours avec des jeunes mineurs, par crainte d’une infraction de l’un d’entre eux lors d’un contrôle des forces de l’ordre pour une boulette traînant dans une poche histoire d’assurer la conso durant le séjour. Donc, pour toutes ces raisons, les actions de prévention (soi-disant) « dissuasives » sont privilégiées par conviction, par manque de moyens ou par prudence. Au final, quelle RdR pour les jeunes, notamment mineurs ? Aux adultes, notamment ceux qui ont le pouvoir de décision, de prendre leurs responsabilités !


Notes :

1/ INSERM, Conduites addictives chez les adolescents. Usages, prévention et accompagnement. Principaux constats et recommandations. Pôle Expertise Collective ITMO Santé publique – Aviesan. Février 2014. P.37.
2/ MILDT. Plan gouvernemental de lutte contre la drogue et les conduites addictives 2013-2017. P.17.
3/ Guide pratique de la protection de l’enfance. Prévention en faveur de l’enfant et de l’adolescent. P.2.
4/ INSERM, Conduites addictives chez les adolescents. Usages, prévention et accompagnement. Principaux constats et recommandations. Pôle Expertise Collective ITMO Santé publique – Aviesan. Février 2014. P.38.
5/ MILDT. Plan gouvernemental de lutte contre la drogue et les conduites addictives 2013-2017. P.20.

Les Bolchéviks Anonymes – Les Débuts 2006-2013

Non, ce n’est pas un groupe de parole pour léninistes addicts basé sur un programme en 12 étapes. Cette galette numérique est le fruit de l’atelier musique d’EGO (Espoir Goutte-d’Or). Certes, ce n’est pas la limpidité sonore du dernier Daft Punk, ni la profusion de singles de Pharrell, mais ce n’est pas le but.

Ce onze titres est avant tout l’accomplissement des acteurs qui s’y sont impliqués et de l’initiative d’EGO. Et l’on y retrouve de tout. De l’hommage à la chanson française avec des clins d’oeil à Dutronc, Piaf et Gainsbourg. Des influences allant des Doors à Kravitz, en passant par FFF et Keny Arkana. Musicalement, on trouve un mix de guitares wah-wah et folks, de kazoo, de nappes électros et de beats de TR-808. Chacun peut y trouver son compte. Et c’est sûrement l’attrait majeur de ce disque.

Les textes sont poétiques, touchants, engagés, parfois drôles et pleins de second degré, mais sans aucun pathos ni misérabilisme. Ils sont l’expression de ceux qui vivent l’usage de drogues dans ce qu’il a parfois de plus précarisant et ils le traduisent sous forme brute, instantanée, parfois brouillonne et inachevée, mais sincère.

Cet album a une valeur de témoignage. C’est la voix des sans-voix. Ils ont la parole et, pour une fois, on leur laisse le micro. Ce qu’il en ressort n’est pas de l’apitoiement, de la colère ou de la revendication, mais de l’intime. Ce qu’un consommateur s’interdit d’exprimer telle- ment il est pris par ce sentiment de n’avoir aucun droit. C’est le regard qu’il porte sur lui-même à travers la perception que la société a de lui qui transpire ici. On y ressent le rejet et l’incompréhension de notre société. Si c’était un film, ce serait Un UD dans la ville. Et tout ça s’exprime dans la bonne humeur. Ce disque est le reflet de son quartier, la Goutte d’Or. On y ressent ce brassage culturel, ses coups durs mixés de solidarité, sa richesse dans sa pauvreté. Et cet amour de Paris, pour ce que cette ville a de meilleur comme de pire.

Ce disque n’aura pas les faveurs des Inrocks et ce n’est pas le but. Mais il a le mérite d’exister. Tout d’abord, pour ceux qui l’ont fait. Ils peuvent s’en féliciter car peu de projets de ce type se concrétisent par un CD. Et puis il peut servir à inciter d’autres structures à s’investir dans des projets similaires et à créer des envies chez d’autres usagers. Belle initiative qui n’a pas dû être un long fleuve tranquille à concrétiser.

HiP-HoP : Le sirop de la rue (part1)

À l’origine mouvement contre-culturel revendiquant l’expression artistique comme alternative à la violence des gangs, au trafic et à la consommation de stupéfiants, le hip-hop a connu un développement rapide et vu d’autres tendances émerger en son sein. Revue des rapports ambivalents entre hip-hop et produits psychoactifs.

«Don’t Get High With Your Own Supply»
(te défonce pas avec ta propre marchandise)
Notorious BIG

Le hip-hop est né il y a bientôt quarante ans quand, en août 1973, DJ Kool Herk organise la première block party dans une MJC du 1520 Sedgwick avenue, South Bronx. À la base mouvement culturel, c’est aujourd’hui l’industrie dominante de la culture urbaine. Ce mouvement se voulait une alternative à la violence des gangs, au trafic et à l’usage de stupéfiants. Afrika Bambaataa, un des pionniers, encourageait au travers de la Zulu Nation une politique de « No Violence, No Alcohol, No Drugs ». Bref, un programme de Caarud. La Zulu Nation voulait rallier la jeunesse autour du credo « Peace, Unity, Love & Having Fun », mais « sans alcool, la fête est plus molle »…

Depuis, le hip-hop et la consommation de produits sont souvent associés. Mais, attention, pas tous les produits. Comme l’a chanté Raggasonic (proche de… Joey Starr) dans Poussière D’Ange, « pas d’héro, pas de coke, pas de crack ». Pour cela, deux explications. D’un coté, les rappeurs « conscients » qui ont un discours social et engagé, pour qui ces produits sont responsables du ravage de la communauté et des quartiers. De l’autre, les rappeurs « gangstas » qui se revendiquent de l’entreprenariat illicite et dont la règle est de ne pas taper dans sa marchandise (« Don’t Get High With Your Own Supply », Notorious BIG). Mais de l’un comme de l’autre, consommer des drogues « dures », c’est mal vu. Seul Tony Montana a une dérogation…

Il fait beau, les filles sont belles, la weed est bonne

Dans les années 1980-90, la soirée hip-hop c’est les filles, la tise et la bédave. Au milieu des 90’s, tout ça prend une tournure officielle. La côte ouest explose et pendant quelques années, va contester la domination historique de la côte est. C’est l’apogée du « Gangsta » rap dont les sujets de prédilection sont le « Gang Banging »1, la « Sticky Green »2, la « Chronic »3, le « Gin & Juice »4 et of course, les « Bitches »5 (prononcer « biaaaaaatches » pour le folklore), le tout ponctué par les traditionnels « N****»6 et « Mother F*****». Même si les ghettos de LA n’ont rien du Club Med, le soleil californien et la spécialité locale à haute teneur en THC invitent à la détente entre deux fusillades.

Le son lui-même ralentit un peu autour des 90 BPM, parfois moins. Les rimes sont portées par le « G-Funk » qui sample largement le catalogue de funk psychédélique de Parliament, Funkadelic et Zapp & Roger. Il fait beau, les filles sont bo… belles, la weed est bonne et on danse autour d’un BBQ géant en sirotant du Hennessy ou de la Colt 45. Ces rappeurs deviennent de vrais ambassadeurs de la weed dont ils titrent leurs albums (The Chronic et Chronic 2001 avec une feuille de beuh sur fond noir pour pochette, de Dr Dre).

«Started Smoking Woolies at 16 »
(J’ai commencé à fumer des woolies à 16 ans)
Wu-Tang Clan

Depuis, l’usage de produit s’est démocratisé chez les rappeurs. En 2005, une étude basée sur 279 chansons du Top américain révèle que 77% des chansons de rap font référence aux drogues et à l’alcool. Ces derniers embrassent de plus en plus l’image de la rock star traditionnelle festive et défoncée. On ne compte plus les références aux divers produits dans les rimes, les pages people hip-hop (si, si, ça existe) relatant des arrestations et/ou condamnations pour stupéfiants et les diverses biographies confessant un penchant pour les molécules (voir «Lyrics» ci-dessous).

Tony Yayo décrit dans Bonafide Hustler (Young Buck Ft. 50 Cent & Tony Yayo) le contenu de ses bagages dans le bus de tournée :

« 9 grams of heroin, 100 grams of coke

9 grammes d’heroine, 100 grammes de coke

12 O’s of mushrooms, 2 pounds of smoke

12 sachets de champignons, 1 kilo de fumette

3 gal’s of dust juice, and a tank of L.S.D.

10 litres de PCP et un réservoir plein de LSD

And a 1000 pills of every kind of exstasy

Et un millier de chaque sorte d’ecstasy

Hash, ha-sheesh. »

Hasch, haschish

Un peu de kéta, et c’est un kamtar d’Anglais en tekos…

Les condamnations pleuvent

Method Man et Redman sont surnommés « les frères pétards ». Ils ont même fait un film culte en la matière, How High, un blunt movie lointain cousin des précurseurs Cheech & Chong (dont le plus célèbre film Up In Smoke donna le nom à la fumeuse tournée de Dr Dre, Snoop, Eminem & Ice Cube). Redman est tellement devenu une référence en termes de perchitude qu’il en devient une vanne récurrente dans les textes de nombreux frères de rimes (« Oh shit, man ! We fuckin’ higher than Redman at the Source Awards ! »7, Soul Plane, allusion à l’état du lascar lors d’une remise de prix). Il présentera même les Stony Awards du célèbre magazine High Times en 2006. Inutile d’évoquer le cas Snoop Dogg, qui a carrément viré rasta ces dernières semaines allant jusqu’à se rebaptiser Snoop Lion.

«What Goes Around, Comes Around »
(On récolte ce que l’on sème)
Justin Timberlake

Certains, comme Raekwon du Wu-Tang Clan, abordent le sujet des woolies, des cigares évidés et remplis à la weed et, selon les versions, au crack/coke ou PCP. J’ai même pu assister à une grosse montée de taz du rappeur Joe Budden obligé d’abandonner ses collègues de SlaughterHouse sur scène pour aller gerber dans une poubelle back stage. Il reviendra quelques minutes plus tard avec un regard de teufeur pris dans les spotlights, animé d’une forte envie de danser et d’une grosse propension à la parole, lançant à ses compères : « Je sais pas ce qu’ils foutent dans la drogue ici mais c’est fort. » Et son acolyte Joell Ortiz de lui répondre : « Fais gaffe Joe, ici ils mettent de la drogue dans la drogue » !

La liste est longue en matière de déboires avec la loi pour possession et usage. Ils y sont presque tous passés (Snoop, Big Boi, Wiz Khalifa, Beanie Sigel, TI, Soulja Boy, Coolio…). Un MC se démarque particulièrement du lot : DMX. Abonné aux condamnations pour des faits de stupéfiants (cannabis, cocaïne, crack), le New-Yorkais passe son temps à faire des allers/retours au placard et en cure de désintoxication. Il aborde le sujet en 2002 dans E.A.R.L. : The Autobiography Of DMX de DMX & Smokey D. Fontaine.

Les langues se délient

Dans le registre des confessions abordant l’usage de drogues, c’est LL Cool J qui ouvre le bal en 1998 avec son autobiographie I Make My Own Rules (LL Cool J & Karen Hunter) décrivant ses tribulations avec la weed, la coke et l’alcool au début de sa carrière. Plus proche de nous, JoeyStarr officialisera avec l’aide de Philippe Manœuvre un secret de polichinelle dans Mauvaise Reputation. En termes de conso, l’ouvrage livré par le Jaguar et la plume du rock n’a rien à envier à la (très bonne) autobio de Keith Richards.

«You Wanna Be A Rap Superstar? »
(Tu veux être une superstar du rap?)
Cypress Hill

Mais à ce jour c’est certainement le rappeur le plus en vu et le plus controversé de la planète qui en parle le mieux : Eminem. Après avoir rappé sur toutes les substances possibles et imaginables, fait les unes de la presse avec ses textes et son comportement inadéquat (cf. la photo en Une du Parisien où il gobe un ecsta sur la scène de Bercy en 2001, Libé titrant le même jour « Public Eminem » !!), il est aujourd’hui le chantre de la rémission.

Après avoir disparu pendant plus de cinq ans durant lesquels il s’est noyé dans la conso, il publie The Way I Am en 2008, autobiographie dans laquelle il traite en partie de sa dépendance aux médicaments. Il réapparaît sur disque en 2009 avec Relapse (rechute) suivi par Recovery (rétablissement) en 2010. Son mentor Dr. Dre devait sortir Detox (désintoxication) entre les deux pour compléter le tableau mais on attend toujours (Dre si tu lis Asud, ce qui ne fait aucun doute, vraiment, on attend !!). En octobre 2010, le rappeur se confie au magazine Rolling Stone8 dans une interview sans détours où il décrit son addiction à l’Ambien®, un sédatif hypnotique dont la molécule, le zolpidem, est un dérivé des benzodiazépines commercialisé en France sous le nom de Stilnox®. Il raconte que durant la période la plus dure de son addiction, il carburait à 60 Valium® et 30 Vicodin® par jour.

Les tabous sautent

Nul besoin de vous présenter le Valium®, tout le monde connaît. Par contre, le Vicodin® n’existe pas en France, pas même sous un autre nom. Le Vicodin® est un analgésique qui contient du paracétamol et de l’hydrocodone ou dihydrocodéinone, qui présente le profil des opiacés majeurs. L’hydrocodone orale est cependant considérée comme moins puissante que la morphine orale (près de 15 mg d’hydrocodone correspondraient à 10 mg de morphine).

En France, c’est la dihydrocodéine, un morphinique mineur commercialisé sous la marque Dicodin®, qui s’en rapproche le plus. Eminem fait référence au Vicodin® dans plusieurs chansons (Under The Influence et Déjà Vu). Un autre rappeur, Kendrick Lamar, en parle dans ADHD (Attention Deficit Hyperactivity Disorder, trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité en français) sur l’album Section 80, mais le plus grand ambassadeur du Vicodin® reste incontestablement ce cher Dr House. Outre les cachetons, Eminem revient aussi sur son overdose de méthadone en 2007 : « Les médecins m’ont dit que j’avais pris l’équivalent de quatre sachets d’héroïne et que j’étais à deux heures de mourir. » C’est cet épisode qui le fera rebondir.

Avec ces révélations, le rappeur de Detroit brise un des derniers tabous dans le hip-hop (ça commence à évoluer sur l’homophobie et l’homosexualité, notamment grâce à Eminem qui déclare dans la même interview qu’Elton John « a été une des premières personnes que j’ai appelées quand j’ai voulu m’en sortir »). Rappeur blanc, il partait déjà avec un gros handicap mais là, il se positionne comme un « Dope Fiend », l’équivalent du « shlag » chez nous. Et ça, dans un milieu ou le dealer est roi, ça passe pas. Et pourtant… Dans un coin de la scène hip-hop US, les opiacés et ses aficionados sont loin d’être marginalisés.

HipHop2« Purple Drank » sur fond de « Chopped & Screwed »

Alors que les projecteurs se focalisent sur les extrémités côtières des États-Unis, le Sud bouillonne dans l’ombre. Regroupé sous l’appellation de « Dirty South », le son du Sud est plus rapide. Selon les régions, il s’inspire de la Miami Bass, de l’électro ou de diverses traditions musicales locales (jazz New Orleans, swing, fanfares…). Sa version la plus populaire et speed est le « Crunk » – contraction de « Crazy » et « Drunk » (fou et bourré) – inventé par le groupe Three 6 Mafia de Memphis, dont Lil Jon s’est réapproprié la paternité, et qui est maintenant la signature de la scène d’Atlanta et de ses nombreux bars de strip.

« I Wanna Get High, Soooo High»
(J’veux être fonsdé, troooop fonsdé)
Cypress Hill

Alors que dans tout le Sud le tempo s’accélère, dans les quartiers sud de Houston (Texas), un DJ du nom de Robert Earl Davis Jr. prend la direction opposée. À l’aide de ses platines, il se met à ralentir considérablement la vitesse de ses disques. À 60 ou 70 BPM, le son ressemble à un 45 tours joué en 33. Une vidéo au ralenti, le son s’étire comme de la guimauve. Ajoutez à cela des « scratches » courts donnant une impression de CD rayé et vous obtenez ce que les premiers fans ont baptisé le « Chopped & Screwed » (littéralement, « haché et bousillé »), qui vaudra au DJ le nom de DJ Screw.

Nous sommes aux alentours de 1991. À la même époque, la consommation d’un breuvage appelé « Purple Drank » augmente significativement à Houston. Même si l’intéressé s’en est toujours défendu, invoquant plus volontiers la weed, beaucoup diront que ce cocktail est à l’origine du son de DJ Screw. Il est en tout cas très certainement à l’origine de l’engouement pour ce style. Et pour cause, le « Purple Drank » est un cocktail à base de sirop codéiné pour la toux… Plus précisément, à base d’un sirop de prométhazine et de codéine (10 mg de codéine et de 6,25 mg de prométhazine pour 5 ml) sans nom, mais appelé « Sizzurp » dans l’équivalent américain de l’argot de boucher. Produit par Alpharma USPD Inc., il est reconnaissable à sa teinture violette, d’où le « Purple Drank ».

Le « Dirty South » envahit la scène

La codéine – la plupart des lecteurs connaissent – est un opioïde antitussif, analgésique à visée antalgique. En gros, un antidouleur légèrement sédatif. Moins connue dans nos contrées, la prométhazine est un antihistaminique inhibiteur des récepteurs H1 de la famille des phénothiazines. Notamment utilisée dans le traitement de l’allergie et de l’insomnie passagère, elle a la particularité de potentialiser l’effet de la codéine et de limiter les démangeaisons. C’est l’interaction de ces deux molécules qui est recherchée pour produire un effet relaxant et une sensation de ralenti, en parfaite adéquation avec le « Chopped & Screwed ». Si la prométhazine est disponible en comprimés aux États-Unis (et en France) sous le nom de Phénergan® (entre autres), il est plus dur de trouver de la codéine autrement que diluée dans beaucoup de paracétamol. La solution la plus dosée en codéine disponible est le sirop.

Le « Purple Drank » comprend normalement le fameux « Sizzurp », du soda (Sprite) et un bonbon (« Jolly Rancher ») pour le goût. Variant selon les personnes, le dosage est plus difficile à définir, le plus commun étant d’environ 60 ml (2 fl oz) de « Sizzurp » pour 2 litres de Sprite, servi dans un gobelet en polystyrène expansé (va savoir pourquoi) agrémenté d’un bonbec. Ce dosage étant prévu pour être bu sur une durée d’environ 24 heures, il est recommandé de le « siroter » très lentement pour ne pas s’endormir.

« It Makes A Southside Playa Lean »
(Ça fait pencher un mac du quartier sud)
DJ Screw & Big Moe

Exportant sa diversité musicale (« Crunk », « Bounce », « Trap », « Swing »…), ses modes (« Grillz ») et ses codes, le « Dirty South » envahit la scène hip-hop mondiale au début des années 2000. Et même si le credo est toujours « Gangsta », l’ambiance est résolument plus festive. On découvre les strip clubs d’Atlanta ou de Miami où les lascars font pleuvoir des billets sur les danseuses (« Make It Rain»9).

L’effet violet

La mode du « Purple Drank » s’empare du pays en même temps que l’on découvre ces rappeurs arborant de gigantesques coupes ornées de « Bling Bling ». Ils le chantent à longueur de raps et le montrent dans les clips, les clubs, lors de remises de prix et surtout (phénomène nouveau), via Internet et ses vidéos. Bien que la chanson fasse référence à un autre sirop, le Tussionex®, de couleur jaune, Three 6 Mafia Ft. UGK et leur tube Syppin’ On Some Syrup diffusent le « Purple Drank » à l’ensemble du pays. Le duo UGK récidivera avec Sippin’ & Spinnin’ et Purple Drank, Lil’ Wayne y va de son Me & My Drank. Ayant publiquement reconnu son allégeance au liquide violet notamment dans le documentaire The Carter Documentary (non-autorisé par l’intéressé), c’est sans doute à lui que l’on doit la plus grande exposition à la mixture qu’il cite à longueur de rythmes : « I’m not a rookie, I’m a pro..methazine fiend »10 (Throw Some D’s), « I’m used to promethazine, in two cups, I’m screwed up »11 (Phone Home), « Keep a bandanna like the Ninja Turtles, I’m like a turtle, when I sip the purple »12 (Kush).

Toutes les faire serait trop long, le gars est prolixe. Et c’est l’un des plus gros vendeurs, si ce n’est LE plus gros vendeur de disques sur la scène hip-hop à l’heure actuelle. D’où une large promotion de la pratique. La Screwed et le Purple sont tellement intriqués que les albums remixés façon « Chopped & Screwed » ont la même couverture que l’original mais… violette.

HipHop3

« Lean », « Drank », « Purple Jelly »…

Pratique locale, c’est devenu un phénomène national, voire international. On trouve des forums français sur le sujet avec diverses recettes adaptables par rapport aux sirops américains. Aux États-Unis, la recette ne cesse de changer selon les goûts et la disponibilité des produits.

«Houston, We’ve Had A Problem »
(Houston, on a eu un problème)
Jack Swigert

Le « Purple Drank » s’appelle aussi « Lean » (penché), « Drank », « Barre », « Purple Jelly », « Texas Tea » ou plus génériquement, « Sizzurp » ou « Syrup ». Consacré à l’ingrédient principal, ce dernier terme regroupe désormais toutes les formes de mixtures à base de sirop. L’original reste le Purple mais on trouve aussi le Yellow à base de Tussionex® (10 mg d’hydrocodone et 8 mg de chlorphéniramine, un antihistaminique aux propriétés sédatives, par 5 ml), et d’autres sirops à base d’hydrocodone (Codiclear, Lortab Elixir…). Ceux à base de DXM (dextrométhorphane) sont privilégiés pour leurs effets hallucinogènes dissociatifs. Et de plus en plus, on rajoute de l’alcool ou des cachets écrasés (Vicodin®, Ambien®…) pour potentialiser la défonce. Certains, comme Innovative Beverage Group, ont même exploité le filon allant jusqu’à créer un soda relaxant, se positionnant sur le marché des anti-Energy Drinks (si c’est pas fort ça quand même) aux couleurs tout aussi violettes, avec « Slow Your Roll » pour slogan. Bref, ça part dans tous les sens et chacun fait sa sauce. Si ça continue, ça va finir en bibine pour cycliste façon pot belge… Quid d’ailleurs de la possible association avec des excitants façon speedball ?

Potentiellement addictif et mortel

Mais tout cela ne va pas sans risques. Car si chacune de ces molécules ne présente pas de risque majeur à court terme, elles entraînent une forte accoutumance, une dose tolérance, voire une dépendance à plus long terme. Le plus grand risque, c’est le mélange de toutes ces molécules et notamment avec de l’alcool. Présent avec chacun de ces produits, le risque de dépression respiratoire est potentialisé par leur association, en particulier chez les novices. C’est pourquoi il est recommandé de boire ces potions TRÈS lentement et de ne pas les confondre avec des gins tonic.

À titre d’avertissement, DJ Screw, le père du « Chopped & Screwed », est décédé en 2000 avant d’avoir vu son œuvre envahir la culture US. L’autopsie a confirmé une overdose de codéine additionnée d’autres produits (Valium®, PCP et alcool). En 2007, Big Moe, un de ses plus fidèles bras droits par ailleurs grand ambassadeur du « Purple Drank » comme en témoignent ses albums City Of Syrup (2000) et Purple World (2002), meurt à 33 ans des suites d’une crise cardiaque. Bien qu’il souffrait d’une importante surcharge pondérale, la question reste ouverte sur la cause d’une mort si jeune. Toujours en 2007, Pimp C, un des rappeurs de UGK meurt d’une mauvaise combinaison entre « Sizzurp » et apnée du sommeil.

HipHop4Aussi étonnant soit-il dans l’histoire du hip-hop, ce phénomène n’a rien de nouveau dans celui de l’usage de drogues. Ceux qui ont bien connu l’époque NéoCo des années 80 pré-substitution (et je sais qu’il y en a parmi vous, chers lecteurs asudiens acidus) peuvent témoigner que rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. La particularité de la consommation de « Sizzurp », c’est qu’à travers ce sirop, un opiacé s’est diffusé dans la population. Car la consommation de « Sizzurp » – le genre de consommations auxquelles le hip-hop s’est toujours farouchement opposé… – ne se limite pas aux stars du rap. Épargné par les stéréotypes collant à l’héroïne grâce à son statut légal et à son mode de consommation, il s’agit pourtant d’un produit potentiellement addictif (comme en témoigne régulièrement Lil Wayne) et mortel. Avec des conséquences sanitaires (et l’éventuelle escalade vers des opiacés plus puissants) impossibles à prévoir, comme sa possible diffusion sur le territoire français.
Cela montre en tout cas que la culture hip-hop n’est pas aussi fermée que beaucoup peuvent le penser et qu’elle n’a pas encore livré tous ses secrets.

Facebook de l’auteur : https://www.facebook.com/RedDotBeats


Notes :

1/ Activité de gang
2/ La beuh « collante verte »
3/ Weed forte
4/ Mélange de Gin et de jus
5/ Sans commentaires
6/ Connotation raciale péjorative dont l’usage fait débat au sein de la communauté afro-américaine. Le politiquement correct l’appelle le « N Word »…
7/ « Oh merde mec, on plane plus haut que Redman aux Source Awards ! »
8/ Josh Eells, Eminem, The Road Back From Hell, Rolling Stone #1118, Novembre 2010.
9/ Faire « pleuvoir » des billets sur les strippeuses, comme des confettis, en jetant des liasses en l’air…
10/ « J’suis pas un débutant, j’suis un pro »… méthazine addict.
11/ « J’suis habitué à la prométhazine, dans deux verres j’suis défoncé».
12/ « J’garde un bandeau comme les Tortues Ninjas, j’suis comme une tortue quand j’sirote la purple»

Cliquez ici pour lire la suite paru dans ASUD journal n°56 :
Sizzurp : Le sirop de la rue (part2)

© 2020 A.S.U.D. Tous droits réservés.

Inscrivez-vous à notre newsletter