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Flakka : la panique morale à 5 dollars

C’est la dernière Panic Drug américaine : « Moins chère qu’un Big Mac », délirogène au point de « rendre folle la Floride » et qui donne des « super pouvoirs », son scénario a tout pour cartonner au box-office. La critique ne s’y est d’ailleurs pas trompée, plusieurs médias lui attribuant une note de « 12 sur une échelle de risque allant de 0 à 10 » !

Young man under influence of flakka

Depuis avril 2015, « la folie à 5 dollars » a fait son entrée dans la presse française avec une quinzaine de gros titres. Ici, c’est surtout le casting qui a été remarqué : le violeur d’arbre résistant aux coups de taser de la police, le type en plein flip sautant par-dessus une barrière de sécurité de deux mètres de haut (et s’empalant dessus au passage) et, bien sûr, le fameux « Young man under influence of flakka », dont la performance aux deux millions de vues sur Youtube mérite largement un bad trip d’or (lire De l’autre côté du mirroir, les bad trips d’or de Techno+, les principaux nominés… dans ASUD journal N°53).

Les seconds rôles ne sont pas en reste et, comme souvent aux USA, chaque policier, chaque riverain, chaque politicien de bas étage, semble désireux de témoigner des incroyables ravages/super pouvoirs de la flakka… Mais ne nous autodévaluons pas : ici aussi, nous avons d’excellents interprètes capables de faire vivre les légendes (lire « Spin Doctor »).

Flakka panique morale Pascal 2Bien sûr, les mauvaises langues reprocheront son manque d’originalité à la flakka, présentée par plusieurs médias comme étant de l’alpha-PVP. Du quoi ? Le Parisien se charge de vous éclairer : « Une variation d’une drogue connue auparavant sous le nom de “sels de bains” [Alpha PVP] qui avait déjà fait parler d’elle en 2012 lors d’attaques “cannibales” par des drogués. » Avec en prime un lien vers un article du même journal sur les « attaques zombies ». Ce qui fait des sels de bains la 3ème drogue zombie, après la kétamine et le spice, d’après Metronews !

L’Alpha-PVP est une cathinone, sauf qu’il s’agit en réalité d’une pyrolitique, une famille de stimulants puissants (le plus connu est le MDPV) agissant plutôt sur la noradréline que sur la sérotonine.

Un formidable folklore

Le « cannibale de Miami »

Inutile de casser l’ambiance en rappelant qu’il n’y a eu qu’une agression par morsure et que les analyses toxicologique du « cannibale de Miami » montrèrent qu’il n’avait en réalité consommé que du cannabis ! Ou alors autant rappeler avec Carl Hart que parmi les stars de la flakka, le type qui s’est empalé était diagnostiqué schizophrène, qu’un autre n’avait pas dormi depuis trois jours et avait aussi consommé de la MDMA et de la vodka, qu’encore un autre était en pleine dépression et que finalement, si on creusait un peu, on trouverait sûrement d’autres explications pour chacun. Peut-être même se rendrait-on compte que plein de gens pètent les plombs et font preuve d’une force étonnante sans avoir pris de flakka…

Dr-Jekyll-And-Mr-HydeMais la réalité ne serait-elle pas moins drôle si on renonçait à croire à ces histoires de drogues transformant de paisibles Dr Jekyll en Mr Hyde sanguinaires et forcenés ? Allez donc demander à Rodney King ce qu’il pense du bien connu « effet Hulk » du PCP, circonstance atténuante invoquée par les policiers qui l’avaient lynché malgré des résultats d’analyses toxicologiques négatives (encore) !

cocaine negros

devil'sharvest2Et pensez aux Mexicains rendus fous dangereux par la marijuana surnommée « Killer Drug » dans les années 20, ou aux « Negro cocaine » (en VF, Negros fumeurs de crack) dont les « Superhuman Powers » (Dr Wright, 1914 !) ont forcé bien malgré eux les braves shérifs du Sud à passer au calibre 38 pour enfin pouvoir les arrêter… Quel folklore formidable ! Et puis utile aussi : tenez, la mort de Michael Brown en août 2014, le point de départ de six mois d’émeutes à Ferguson, vous vous rappelez ? Un étudiant noir de 18 ans, non armé, tué de six balles par un officier de police qui déclara que l’ado l’avait chargé sans raison, à mains nues et sans sentir les balles. Vous trouvez ça louche ? L’explication de Fox News est pourtant évidente : « PCP or something » !

Et si son autopsie prouve qu’il n’avait pas consommé de drogues « dures » (toujours), c’est donc qu’il était sous l’emprise d’un effet résiduel type flashback. Le journal American Spectator osera même ajouter 2 jours après les analyses que « la marque des blunts [feuilles à rouler des cigares] retrouvés sur M. Brown est habituellement utilisée pour fumer des mélanges d’herbe et de PCP » !

Flakka panique morale Pascal 1Bref, rien de nouveau dans cette flakka, éphémère avatar d’un mythe sans cesse réadapté en fonction des peurs collectives du moment. Au fait, avez-vous entendu parler du Captagon® (lire Pas de pitié pour le Captagon®), la drogue « déshumanisante » (RFI) des djihadistes ? Après les attentats de Paris, un rescapé du Bataclan décrit le comportement « mécanique et déshumanisé » des tueurs. Il n’en faut pas plus pour que l’ensemble de la presse s’interroge : « Avaient-ils pris du Captagon® ? Rien ne le prouve pour l’instant mais la question est posée » (francetvinfo). Et une bonne vingtaine d’articles de paraître, détaillant les effets délétères du Captagon® à grand renfort de neuropsychologie de comptoir. On en oublierait presque que le Captagon® a longtemps été commercialisé comme alternative plus douce à l’amphétamine, vous savez cette molécule qu’utilisent en toute légalité les soldats américains lors des opérations extérieures !

Paniques morales 2.0 : mythes anciens et technologies nouvelles

Du café au crack, en passant par l’absinthe (dont nous pourrons fêter cette année le centenaire de l’interdiction un verre à la main puisqu’elle a depuis été discrètement réhabilitée, lire « L’absinthe, miroir de la société » dans ASUD journal n°29), la plupart des drogues ont été les cibles de « paniques morales ». Par ce terme, S. Cohen désignait des époques où la société se crispe contre un ennemi imaginaire (« Folk Devil ») construit par les mass media.

Mais à l’heure du Net 2.0 (lire ASUD Journal n°56, dossier Pécho sur ne net), les choses ont un peu changé. Dans le cas de la flakka, ce ne sont pas des journaux qui ont lancé la panique mais la diffusion virale d’une vidéo amateur titrée « Flocka is destroying USA ». Dans le même genre, il y a eu la vidéo du cannibale de Miami (10 millions de vues sur Youtube), la série de photos avant/après utilisées pour illustrer les ravages de la meth (ou de la cocaïne selon les circonstances !), ou encore les insoutenables clichés de chair à vif imputés au krokodil (ou à la tianéptine !) qui continuent de faire le tour d’Internet.

Faces of Meth 2005 F4 300 DPI

Le krokodil (lire L’alarme du Krokodile) qui, contrairement à ce qu’on nous a raconté, n’est jamais sorti des frontières de l’ex-URSS, est aussi un bon exemple d’un autre effet d’Internet, celui de raccourcir les distances : l’oxidado, la sisa (lire La sisa ou comment faire du buzz avec une vieille dope), autant de Folk Devils dont on entend parler comme s’ils étaient à notre porte…

Le partage de mèmes (éléments repris et déclinés en masse sur Internet) entretient la panique : vidéos, textes et photos tournent ainsi, à la façon d’un bouche à oreille virtuel sans fin et sans vérification. C’est ainsi que naissent les hoax, ces légendes urbaines d’Internet qui concernent parfois les drogues (progesterex, burundanga…).

Ceci éclaire un rouage pernicieux de la diabolisation des drogues : notre fascination pour les histoires de drogues diaboliques. Si l’on reprend les différentes paniques morales, on se rend compte qu’apparaissent des invariants qui font écho à notre inconscient collectif. On retrouve des mythes anciens (la « potion magique » aux effets secondaires marqués, qui renvoie à tout un imaginaire autour des pactes avec le diable) et des peurs ancestrales (notamment celle de la dégénérescence).

À chaque nouvelle incarnation, le mythe est confirmé et ré-ancré dans l’inconscient collectif, favorisant l’apparition de futures paniques morales. Le phénomène semble inéluctable, aussi certains prennent-ils le parti d’en rire. D’abord parce que ca fait du bien, ensuite parce qu’il faut reconnaître que la naïveté de nos concitoyens au sujet des drogues s’y prête magnifiquement.

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L’invraisemblable légende du Jenkem

Selon le document officiel ci-dessus, le Jenkem est un gaz psychoactif recueilli après fermentation de déjections humaines ! « Obscène, stupide et drôle » (et fake bien sûr !), le Jenkem avait tout du mème parfait. Il s’est donc répandu sur les réseaux sociaux comme une traînée de poudre jusqu’à devenir un véritable sujet de société qui a donné du fil à retordre à la Food and Drug Administration puisque, comme le disait très sérieusement un officiel à la TV (sur Fox News of course !) en 2007 : « Nous aurions du mal à le classer comme stupéfiant car ce n’est composé que d’urine et d’excréments » !

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« Spin Doctor »

Dan Véléa, addictologue médiatique, s’était illustré le 8 août 2014 dans Elle, avec un pamphlet qui avait de quoi marquer les ménagères de plus de 50 ans : du cannabis « presque transgénique », des « micro partis favorables à la dépénalisation » exerçant des pressions sur le gouvernement, et des dealers qui passeraient inévitablement à « des produits encore plus toxiques, recoupés et dangereux ». Même sur les enjeux économiques, le professeur Véléa a un contre-argument qui fait mouche : « Pensons aux jeunes en pleine construction psychique chez qui le cannabis peut engendrer des psychoses graves. Les soigner coûterait très cher à l’État » !

Commençant à situer le personnage, vous ne serez pas étonnés d’apprendre qu’il s’est encore distingué dans un papier d’Atlantico titré : « Flakka (lire Flakka : la panique morale à 5 dollars), la nouvelle drogue venue des États-Unis qui déferle (sic) sur la France » ! Il y confond allègrement effets indirects, secondaires et indésirables, introduisant un systématisme absurde dans la survenue des effets indésirables de l’alpha-PVP : « Elle peut être inhalée, avalée ou injectée, provoquant de vives hallucinations, des crises de paranoïa, avec un fort thème persécutif, des accès de colère et une absence complète du contrôle des impulsions. »

« Le fait que la grande majorité des consommateurs de flakka [ne pètent pas les plombs] montre que ce n’est pas le produit qui en est la cause. En fait, une drogue qui causerait fréquemment de telles réactions ne pourrait pas devenir suffisamment populaire pour être couverte par la presse. »
Carl Hart

En passant, il se mélange aussi les pinceaux dans la chimie du produit et ne contredit pas le journaliste qui emploie l’expression « surhumaine ». Mais peu importe, puisqu’il décrit avec emphase les ravages de la flakka et c’est la seule chose qui compte : faire barrage à la progression du fléau… Un autre rouage des paniques morales, qui apparaît au carrefour des stratégies préventives d’acteurs bien intentionnés (mais ignorants des effets pervers de la diabolisation des drogues) et des stratégies éditoriales de certains médias.

« L’idée qu’une drogue donne des pouvoirs surhumains est tout simplement fausse […] L’alcool peut rendre hors de contrôle, mais vous ne pouvez pas dire que l’alcool donne des superpouvoirs car personne ne vous croirait. Par contre, vous le pouvez avec ces nouvelles drogues de synthèse que personne ne connaît : puisqu’on n’en sait rien, tout est possible. »
Carl Hart

Bref, on aurait préféré que l’addictologue apporte au journaliste des données sérieuses : depuis 2013, l’alpha-PVP a été détecté 14 fois par le dispositif Sintes de l’OFDT, dont plusieurs fois par le site de Bordeaux, vendu sous l’appellation de méthamphétamine et sous forme de cristaux bleus (en référence à Breaking Bad). Sur Internet, il semble souvent vendu sous d’autres appellations, notamment dans des blends commerciaux (NRG3…). Pour M. Martinez, chargée d’études Trend (OFDT), bien que l’alpha-PVP ne soit pas plébiscité sur les forums de consommateurs, plusieurs indicateurs laissent penser que des acteurs de l’offre lui trouvent un fort potentiel. L’alpha-PVP a été impliqué dans deux décès sur le territoire français, mais d’autres pays européens sont réellement touchés (Hongrie, Pologne : 20 morts ; Finlande : 37). Comme sa grande sœur la MDPV, ses effets sont ceux d’un stimulant +++. Le craving et la compulsion sont difficiles à maîtriser, la fatigue accumulée lors des sessions de consommation peut provoquer hallucinations, décompensations et de graves accidents. Le risque d’overdose et d’AVC existe. Franchement docteur, y avait-il vraiment besoin d’en rajouter ?

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