Serial dealers : Weeds (saisons 1 à 6) vs Breaking bad (saisons 1 à 3)

On a beau militer pour la légalisation des drogues, il faut bien reconnaître que sans leur prohibition, de nombreuses créations culturelles ou divertissements – tous domaines confondus – avec lesquels nous nous délectons n’auraient jamais vu le jour.

Serial-Dealers

Cet article fait partie du dossier Serial Dealers.

Antihéros

L’exception anglaise dès 1992

Dès 1992, les très politiquement incorrectes Eddy et Patsy, 2 londoniennes de 40 ans portées sur le sexe et les drogues sévissaient à la télévision britannique dans la série satirique Absolutely Fabulous (Ab Fab pour les fans). La défonce n’est pas le sujet principal de l’histoire, elle y est tout bonnement et naturellement intégrée aux intrigues, tout comme les 2 protagonistes sont parfaitement intégrées socialement : l’une dirige une agence de communication, l’autre est journaliste de mode. Leurs aventures ainsi que leurs expériences psychédéliques se sont achevées en 2004 avec le sourire. Point de morale à 2 balles. Ouf !

Les séries, notamment américaines, ont pendant longtemps dérogé à cette règle en traitant le sujet des drogues de façon simpliste et manichéenne, quel que soit le genre de la série.

Le registre comique se contentait généralement de créer des situations décalées avec des personnages temporairement sous effets à leur insu. Les séries pour jeunes et les feuilletons connaissent toutes une période pendant laquelle l’un des héros se défonce, d’abord pour s’amuser, puis devient forcément accro avant de redevenir abstinent, tout en tirant une bonne leçon de cet épisode. Quant aux séries policières, les drogues ont permis à des générations de héros armés, de Rick Hunter aux Experts, de pouvoir trouer à la peau sous nos applaudissements à tout un tas de drogués et dealers, « parce qu’ils le valent bien » comme seule justification.

Si l’on admet que les séries reflètent fidèlement leur époque, miroir, mon beau miroir où en sommes-nous aujourd’hui ? Depuis l’an 2000, les antihéros ont la côte. Le public aime ça, et les scénaristes hésitent de moins en moins à leur affubler toutes sortes de traits de caractère profondément (in)humains, sans que l’intrigue principale n’ait pour objectif sa modification et encore moins son amélioration. Dr House ne deviendra pas sympa, le héros de Californication continuera à baiser tout ce qui bouge, et Dexter ne renoncera pas à tuer.

Desperate housewife de 35 ans vs prof médiocre de 50 ans

Suivant cette tendance, 2 séries ont pour personnages principaux des trafiquants drogues : Weeds, créée en 2005, et Breaking Bad, en 2008. Résumé des épisodes précédents…

Pin Up Weeds
Desparete housewife de 35 ans

Weeds : Nancy est une desperate housewife de 35 ans vivant dans une banlieue californienne pour classes moyennes, dans le genre de lotissement où l’on clone aussi bien les villas avec piscine que leurs occupants, mariés, 2 enfants. Tout est lisse et propret. Malheureusement un jour, son ingénieur de mari décède d’une crise cardiaque pendant son jogging. Pour maintenir son train de vie, nourrir ses 2 fils et payer ses crédits, notre mère de famille modèle décide de se lancer dans le deal de weed, c’est-à-dire de beuh.

Breaking bad titreBreaking Bad : Walter est un homme médiocre de 50 ans qui vit à crédit au Nouveau-Mexique avec son fils handicapé et sa femme enceinte. Cumulé à un second emploi de laveur de voitures, son salaire de simple professeur de chimie dans un lycée ne suffit pas à régler les factures de leur couple routinier. Son médecin lui apprend qu’il a un cancer des poumons et qu’il lui reste trois mois à vivre. Les choses tournent mal (« breaking bad ») pour ce non-fumeur, qui décide de prendre son destin en main en fabricant et vendant de la méthamphétamine pour gagner assez d’argent afin que sa famille n’hérite pas de ses dettes et accessoirement, pour pouvoir tenter un traitement.

Justifier l’activité criminelle

Le point commun flagrant entre ces 2 séries est l’argument invoqué pour expliquer la transformation d’un citoyen ordinaire respectueux des lois et apolitique en trafiquant de stupéfiants. Comme si la peur imminente de perdre cet American way of life familial était la seule raison valable permettant au public de s’identifier et d’excuser Nancy et Walter. Ces 2 personnages sont des êtres rationnels confrontés au besoin de gagner rapidement de l’argent. En bons Américains moyens, ils savent par la télé que LA drogue, c’est mal, d’ailleurs ils ne consomment pas. Mais ils savent de la même façon que le deal, c’est de l’argent facile. C’est en tout cas ce qu’ils croient au début car très vite, les difficultés se succèdent (d’où l’intérêt d’en faire une série), remettant ainsi en cause la véracité de leurs idées reçues sur les drogues et ceux qui en consomment.

Une certaine éthique du deal

D’autres paramètres viennent renforcer le bien-fondé de leur choix. Dans Weeds, Nancy se donne une ligne de conduite en refusant de dealer des drogues dites « dures » ou d’en vendre à des enfants. Deux règles qu’elle enfreint à plusieurs reprises, notamment la seconde lorsque son fils ainé, fumeur, devient l’un de ses revendeurs puis son chef de production.

Dans Breaking Bad, Walter est avant tout fabricant du produit. Son objectif d’amasser beaucoup d’argent en peu de temps le pousse très vite à vendre en gros. Il conserve ainsi une certaine distance avec le deal de rue. De plus et contrairement à ses concurrents peu scrupuleux, il met un point d’honneur à fournir un produit d’une très grande qualité. Dans la dernière saison, il s’oppose à ce que 2 caïds utilisent un gamin de 11 ans pour vendre sa méthamphet’.

Enfin, tous deux refusent a priori la violence même si au fil des saisons, ils sont souvent amenés à y recourir en raison du milieu criminel dans lequel ils évoluent. C’est bien souvent la légitime défense, leur propre survie ou celle de leurs proches qui sert à justifier de tels actes.

Mais que fait la police ?

Weeds belle plante
Green washing

Dans ces 2 séries, la police – et plus particulièrement la DEA (les stups américains) – joue un rôle important dans les rebondissements de l’histoire. On y découvre les liens complexes entre ces flics, tiraillés par le besoin de remonter les filières toujours plus haut et donc de fermer les yeux sur les trafics subalternes, et ces trafiquants, qui n’hésitent pas coopérer en échange d’une protection ou si cela peut faire tomber un de leur concurrent. Jusque-là, rien de vraiment nouveau mais ces séries vont aussi jouer la carte de la relation intime…

Weeds : Le premier homme que Nancy fréquente sérieusement suite à la mort de son mari est, comme par hasard, un agent de la DEA dont elle ignore la fonction dans la saison 1. Détail qui va se révéler déterminant dans les saisons suivantes. Celui-ci est en effet au courant des activités de Nancy dont le business n’est pas assez gros pour qu’il s’y intéresse, jusqu’à ce qu’elle le quitte. Dès lors, elle sera la cible des flics.

Breaking Bad : Le beau-frère de Walter travaille aux stups comme enquêteur principal. Dans le premier épisode, c’est même lui qui va créer le déclic chez Walter, lors d’une discussion de boulot évoquant les gains des dealers de crystal-meth. Des liens familiaux très forts relient les deux hommes, mais leurs convictions respectives les empêchent de partager un tel secret.

Complices et confidents

Le secret est justement le principal ressort dramatique des 2 séries. D’abord, le secret vis-à-vis de la famille qu’il faut protéger d’une éventuelle complicité mais dont il faut aussi conserver le respect. Ensuite, le secret relatif au quotidien d’une activité criminelle (production, transport, blanchiment…). Des secrets qui doivent pourtant parfois être levés pour mener à bien leurs petits trafics. Les complices de fait sont souvent les consommateurs, dans leur propre intérêt évidemment.

Weeds : Trop extravertie, Nancy est vite démasquée par son entourage, notamment par ses 2 fils, dès la saison 1. En parallèle, elle se bâtit une équipe d’assistants aux compétences variées parmi ses fidèles clients : un avocat, un comptable qui est aussi conseiller municipal, un commercial, et un spécialiste en culture hydroponique.

Breaking Bad : Ne sachant comment faire, Walter s’entiche d’un junky notoire, ancien élève de son lycée doué en chimie, renvoyé pour deal de meth et toujours dans le business. Grâce à Walter, il va pouvoir gravir un échelon et convaincre ses clients de dealer dans la rue à sa place. Dans la saison 2, une péripétie judiciaire va rendre incontournable la présence d’un avocat ripou dans l’affaire. Il faut attendre 2 saisons et demie pour que le secret de Walter s’invite dans la cellule familiale et la fasse exploser.

Et la conso dans tout ça ?

Ni Nancy ni Walter ne sont consommateurs. Pourtant, chacun d’eux tirera sur un joint dans l’un des épisodes dans un moment de désarroi. Mais rassurez-vous, ces dérapages seront bien vite maîtrisés.

Weeds : Pratiquement tous les personnages de la série fument de la beuh. Les plus gros consommateurs sont aussi les plus débiles et/ou les plus incompétents du groupe. La seule qui ne fumait pas va développer un cancer du sein et va fumer pendant sa chimio (saison 1), puis tomber dans l’alcool (saison 2), et enfin dans la coke (saison 4).

Breaking Bad : La consommation de méthamphétamine sur laquelle repose tout le business de Walter est systématiquement associée à la déchéance et/ou à la dépravation. Bref, la série ne veut surtout pas cautionner la consommation de meth. Ceci dit, il y a très peu de scènes de ce type. L’héroïne est aussi présente dans la saison 2 et mènera sa consommatrice à une overdose mortelle. Pour couvrir son activité et justifier ses appels à un dealer, Walter préfèrera dire à un moment qu’il a fumé de la beuh pendant sa chimiothérapie. L’indulgence de ses proches est immédiate et son beau-frère des stups lui propose même de lui en procurer.

Réellement subversif ou faussement transgressif ?

Breaking Bad washing money
Money washing

Dans les 2 séries, le message est clair : c’est grâce à leur non-consommation que Nancy et Walter sont les cerveaux de leur bande. De la même façon, la caution morale repose sur la thèse du cannabis comme seule et unique drogue douce, à condition d’en user avec modération comme pour l’alcool. Toute autre consommation est implacablement dénigrée.

Mais cela n’empêche pas ces séries d’aborder, mine de rien et frontalement, ce qui cloche avec la prohibition des drogues. Dans ce domaine, la violence et la corruption sont en haut de l’affiche. Weeds explore davantage la corruption et son fidèle compère, l’hypocrisie. Le summum étant, dans les saisons 4 et 5, le personnage du maire de Tijuana au Mexique qui mène publiquement des programmes antidrogues tout en étant, dans le privé, le chef du cartel local. Si dans Breaking Bad les flics sont plutôt intègres et les politiciens absents, on plonge rapidement dans un univers criminel dont le potentiel violent peut exploser à tout moment. On surprend alors Walter rêver que la fabrication de méthamphétamine est tout ce qu’il y a de plus légal.

Le manuel du savoir dealer

Le manuel du savoir dealer que représentent ces séries n’est pas inintéressant. De la production à la consommation, en passant par le transport et le blanchiment de l’argent ainsi gagné, toutes les étapes y sont scrupuleusement décrites au fil des épisodes.

Breaking bad prof chimie
Prof médiocre de 50 ans

Une particularité de Weeds est d’intégrer des éléments d’actualité dans son scénario, ce qui plombe un peu le rythme depuis la saison 4. En effet, la consommation médicale de beuh est si développée en Californie que la principale raison d’être de la série devient obsolète. Pour palier à cela, les auteurs ont tenté plusieurs pistes. Premièrement, transposer leur activité dans le milieu de l’immigration clandestine, l’image populaire du passeur exploitant la misère de quelques-uns n’ayant rien à envier à celle du dealer de drogues. Dans les 2 cas, on oublie en effet qu’il il y a une demande avant l’offre. Deuxièmement, ouvrir une boutique légale de vente de produits à base de cannabis sur ordonnance compte tenu de la nouvelle législation. Et troisièmement, faire traverser la frontière mexicaine à certains personnages afin de retrouver une situation similaire à celle qui faisait le succès de la série à ses début (prohibition, corruption et trafic). Bref, ça part dans tout les sens.

Breaking Bad n’a que 3 saisons à son actif et n’a donc pas encore joué tous ses atouts. D’autant que la crystal-meth n’est pas près d’être légalisée, ce qui réduit les risques d’une nouvelle panne scénaristique. En trois ans, le côté déjanté et drôle du début s’est cependant sérieusement assombri. La dernière saison ne compte que 2 épisodes à l’humour franc et décalé, dont l’un assez mémorable où 3 revendeurs n’ayant plus de territoire pour dealer décident d’investir des groupes de parole d’abstinents pour promouvoir subtilement leur produit et s’ouvrir les portes d’un nouveau marché : les abstinents prêts à rechuter !

Bonjour, je m’appelle Pete, je ne prends plus rien depuis 3 mois mais hier, j’ai craqué. Un ami m’a proposé la fameuse amphet’ bleue dont tout le monde parle en ce moment.
Ah, oui ! Il paraît qu’elle te retourne le cerveau comme jamais. Une fois, j’en ai pris et c’était le meilleur trip de toute ma vie.

Un sujet dont on rit de bon cœur

L’accord Mildt -CSA

De puis 2008, sous l’impulsion de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt), le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) « interdit de faire apparaître à l’antenne toute drogue illicite ou toute personne en consommant […] ainsi que de relater de manière positive ou équivoque la consommation de drogue. S’agissant des émissions d’information et des documentaires, des drogues illicites ou des personnes les consommant peuvent y apparaître, dès lors que cela entre dans l’objet de l’émission ou du documentaire et que ces programmes ne sont en rien incitatifs, c’est-à-dire que la consommation et la personne consommant de la drogue ne sont en aucun cas valorisées. »

On comprend alors aisément pourquoi tous les reportages sur les drogues sont toujours aussi stigmatisants et si peu réalistes. Et surtout pourquoi on ne se marre jamais sur ce sujet. Il ne faudrait pas le valoriser !

De plus, « les programmes susceptibles de présenter un risque de banalisation de prise de drogues illicites [doivent faire apparaître] l’avertissement suivant : L’usage de produits stupéfiants est dangereux pour la santé et interdit par la loi. Pour plus d’informations et recevoir de l’aide, téléphonez au 0800 23 13 13 (Drogues Info Service). » Une mesure qui fleure bon l’ORTF de grand-papa à l’heure de la TNT et d’Internet…

Car c’est bien cela le plus subversif de ces séries : faire des drogues et de leur quotidien un sujet comique dont on rit de bon cœur. Pas une moquerie de plus envers les drogués ni une blague hermétique aux nonconsommateurs. Non, de vrais moments où chaque éclat de rire partagé vient ébrécher un peu plus les clichés et le sérieux imposé dès qu’il est question des drogues et de ceux qui en prennent. Évoquer les drogues concrètement et à la légère est tabou. Le risque de voir s’effondrer le mythe du « fléau de l’humanité », tel un tour de magie qui n’impressionne plus personne dès qu’on en connaît le « truc », est trop grand pour les gardiens de cette idéologie.

Est-ce pour cela que Weeds et Breaking Bad sont péniblement diffusées à la télé française, malgré le succès d’audience outre-Atlantique ? Aucune des grandes chaînes interrogées sur la question n’a confirmé ni infirmé cette hypothèse. Il faut dire que le récent partenariat Mildt-CSA (voir encadré) veille à la bonne moralité des programmes diffusés. Quant à avoir une série française du même genre, ce n’est pas demain la veille. En attendant, on devra se contenter des flics accrocs de Braco sur Canal+, ou encore des allusions au cannabis thérapeutique dans plusieurs épisodes de Plus belle la vie sur France 3.

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