Injection piège à…SALLE DE CON… SOMMATION

Injection piège à cons. Voilà la chanson fredonnée par tous les repentis, les retraités de l’arbalète que l’on accueille d’autant plus volontiers dans les médias que les sniffeurs, gobeurs, fumeurs et autres avaleurs de pilules se taillent ainsi à bon compte une réputation de drogués respectables. Dans le même temps, de plus en plus de programmes de réduction des risques se penchent complaisamment sur le phénomène, qu’il s’agisse des « salles de shoot » – pardon, « de consommation à moindres risques » – ou des programmes d’accompagnement à l’injection. En fait, l’injection de drogues n’a jamais quitté le paradigme discriminant qui lui sert de carte d’identité. Pour inverser cette tendance, il faudrait prendre au sérieux les injecteurs. Comment explorer à la fois la recherche de sensations spécifiques et une aspiration légitime à réduire les risques ?

Pourquoi je m’injecte : les explications venues de l’extérieur

Tout d’abord, les explications classiques de type exogène, c’est-à-dire la plupart du temps émises en dehors de la communauté. Il y a évidemment la théorie de la fatalité de l’injection. C’est une variante de la « théorie de l’escalade ». L’hypothèse porte sur le caractère néluctable d’une recherche croissante de sensations dans le cursus toxico qui aboutit nécessairement à du « toujours plus, toujours plus fort » et déboucherait logiquement sur la shooteuse comme ultime porte du Nirvana. Une théorie sérieusement mise en porte-à- faux par le recul historique de l’injection d’héroïne, par exemple, mais qui demanderait à être documentée par des études, encore une fois un peu ciblées sur la culture de l’usage plutôt que sur la prévention.

Le shoot, geste éponyme de la culture toxico, est l’autre élément d’explication traditionnel. La culture « junkie » des années 70 aurait laissé des traces indélébiles sur l’imaginaire de certains adolescents particulièrement fragiles qui utiliseraient ce mode de conso en dehors de toute explication rationnelle ou résultat de l’expérience. L’apparition de pratiques d’injection intensive chez des personnes a priori hermétiques à toute fascination pour la culture « junkie », comme les milieux du « slam », invalide ce lieu commun (voir article Le slam, une érotique de l’injection, Asud journal N°61).

Il y a enfin le shoot vu comme produit de la « guerre à la drogue ». C’est l’explication antiprohibitionniste : dans un contexte de pénurie de drogues de bonne qualité, le recours à la seringue maximise les sensations. Mais là aussi, de nombreux contre-exemples existent, comme l’usage fréquent de seringues à Kaboul sur les lieux mêmes de production de la meilleure héroïne du monde, comme c’était aussi le cas à Bangkok à l’époque du Triangle d’Or.

L’injection comme mode d’accès à un type de sensations

Il existe aussi tout un faisceau d’explications de type endogène, qui s’appuie plus directement sur l’expérience de la communauté. La comparaison injecter/inhaler/fumer est à envisager en fonction du « high » et du type de drogues consommées. Il faudrait alors comprendre pourquoi certaines drogues sont plus fréquemment injectées (coke, héro, amphet’, kéta, méphédrone). Ces facteurs sont quelquefois mentionnés à titre d’explication mais rarement repris dans les propositions de régulation des techniques d’injection. D’autres questions se posent qui mériteraient de recevoir des réponses un peu nourries à l’aune de la sociologie ou des travaux neuroscientifiques. Pourquoi le « speedball » est-il si souvent présenté comme la sensation ultime, le flash souverain qui couronne toutes les expériences de drogué?

VIH et VHC deux virus qui se contredisent

C’est la lutte contre le VIH qui a favorisé historiquement la réduction des risques et plus précisément l’intérêt pour les techniques d’accompagnement de l’injection. Avec la lutte contre le VHC, plus difficilement combattu par la simple fourniture de seringues stériles, c’est le grand retour du paradigme discriminant sur l’injection, si tant est qu’il n’ait jamais disparu. La modélisation d’une figure d’injecteur récréatif, en capacité de réduire les risques afférents à son mode de conso, serait considérée comme peu réaliste dans une perspective de travail des pouvoirs publics sur un changement de pratiques. C’est dommage. Dans le même ordre d’idée, attention au danger de dévalorisation des techniques de « shoot à moindre risques » si l’on propose « la chasse au dragon » comme un modèle nécessairement supérieur.

En conclusion, il manque un appareil crucial dans la panoplie des outils RdR. Un étalon de mesure du facteur « sensations » qui soit mis au service du véritable but de l’usager de drogues: la défonce. C’est le sens qu’il faudrait donner à une vraie réduction des risques faite pour se diffuser entre pairs. Un tel outil permettrait peut-être de sortir de l’éternel quiproquo qui fait que telle cocaïne fortement dosée, considérée comme « de la bombe » par les consommateurs, n’apparaisse que sous le label « substance très toxique » dans les messages d’alerte. Il ne manque pas d’usagers prêts à dialoguer avec les neuro‐ biologistes et les pharmacologues pour trouver un langage commun qui concilie plaisir des drogues et réduction des risques. Cette dichotomie est au cœur d’un cursus d’injecteur.

Les pratiques d’injection ont-elles évolué depuis les années 80?

Elliot Imbert (voir p. 25): Les contextes sont variés. Le grand problème est que les gestes de base pour se protéger des risques pris en s’injectant sont aujourd’hui de moins en moins connus. L’usager qui commence à injecter aujourd’hui n’a aucune raison de connaître par lui-même la façon adéquate d’injecter. Il n’a pas fait d’études d’infirmière. Ces gestes sont techniques et s’apprennent. Une simple « faute d’asepsie », comme nous disons dans notre jargon, et ce peut être l’abcès ou l’endocardite. Un partage accidentel de cuillère, quand on est à plusieurs, et ce peut être l’hépatite. L’usager ne peut apprendre les précautions à prendre pour le geste de l’injection sans que l’on les lui fasse connaître. Au cours des années 1990, les messages de réduction des risques étaient transmis et véhiculés par les usagers. La peur du sida avait opéré. Au tournant du siècle, on a pu observer que les acquis de la réduction des risques ne se transmettaient pas. La peur du sida n’opère plus, la RdR s’institutionnalise, une dynamique de mobilisation collective serait nécessaire. Les indicateurs les plus récents montrent que cette rupture dans la transmission des savoirs s’aggrave: le partage de seringues vient d’augmenter considérablement les trois dernières années – surtout chez les plus jeunes. Abcès, poussières et endocardites ne diminuent pas. De plus en plus d’injecteurs ignorent le bon protocole, pourtant tout simple, permettant une désinfection efficace avant d’injecter : en savoir plus sur les « bonnes pratiques » leur permettrait de risquer beaucoup moins. L’éducation à l’injection et sa transmission par les pairs, ça devient urgent !

Fabrice Olivet

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