Prescription de cannabis thérapeutique : l’extension du domaine de la lutte

Laurent Appel est journaliste et membre d’ASUD entre autres. Il est l’auteur de nombreux sujets sur le cannabis thérapeutique ou pas.

Cet article fait partie du dossier La prescription hors-cadre.

La prescription hors-cadre du cannabis, c’est typiquement la même extension du domaine de la lutte qu’en 1995 pour les opiacés : ce sont des usagers qui ont à la fois le médicament et la connaissance, et face à eux, un mur qui propose au mieux du Marinol® ou du Sativex®, alors que ce n’est absolument pas la demande. Mais ce mur est en train de s’effriter, notamment grâce à Internet. Il y a à la fois un désintérêt de la recherche publique, de la recherche privée, des médecins, y compris des spécialistes directement concernés alors que dans d’autres pays comme les Pays-Bas, les États-Unis, le Canada, la République Tchèque ou Israël, il y a à la fois de la recherche publique, de la recherche privée, des médecins, des collectifs de malades, et des entrepreneurs qui poussent des expérimentations, des nouvelles formes galéniques. Fabienne a oublié de citer le suppositoire, qui permettra peut-être de prendre de fortes doses de cannabinoïdes sans être perché à donf. Une récente conférence internationale à Prague évoquait des suppositoires dosés à 1,5 gramme de THC sans que la personne soit incommodée par le dosage. On passerait donc d’une médecine qui traite les symptômes à une médecine d’attaque, sur les tumeurs, les tremblements de l’épilepsie, la spasticité.

Pas une médecine au rabais avec le Sativex® et son sous-dosage en principes actifs et en indications, et avec un mensonge caractérisé du corps médical et politique qui racontent qu’il est disponible et destiné au traitement de la douleur alors qu’il n’est toujours pas disponible pour une affaire de prix et d’efficacité, et qu’il n’y a pas d’indication pour la douleur. Il ne sera prescrit que pour la sclérose en plaques, en cas d’échec répété des autres thérapeutiques, soit moins de 5 000 personnes concernées en France. Après, c’est la prescription hors-AMM, donc on se retrouve encore une fois à sortir du cadre de prescription pour des médicaments qu’en plus, on ne veut pas. On est dans une situation totalement ubuesque où des médicaments nécessaires sont disponibles dans certains pays, seraient accessibles à des patients français mais dans des mauvaises conditions de sécurité et de remboursement, et où rien ne se passe. Certains patients ne sont pas des usagers de drogues, n’ont pas accès au marché du cannabis, et quand des parents cherchent à avoir du CBD pur pour leur enfant épileptique, on ne peut leur dire d’aller à la cité acheter un bout de shit. Ils n’auront pas le CBD pur qu’ils veulent et qui est pourtant disponible dans certains pays européens.

« Anecdote ne fait pas santé publique. Il y a nécessité de penser une nouvelle gouvernance sur ce sujet, de réunir les forces qui sont trop éparpillées dans notre pays et de tracer des axes clairs. Qu’on ait autant de retard sur les États-Unis ou Israël en matière de cannabis n’est en rien légitime. Il faut une approche médicamenteuse (y a-t-il supériorité dans telle ou telle indication ? ), une approche classique et validée sur le sujet. L’addictologie est une science relativement récente qui s’est fonctionnarisée et il ne faut pas oublier de la restimuler. »

Il va quand même falloir que la réalité médicale française rejoigne la réalité médicale internationale et qu’on se rende compte que ce mouvement du cannabis médical s’est enraciné, qu’il y a des conférences internationales comme celle de Prague réunissant le ministre de la Santé, l’ambassadeur d’Israël et dix professeurs émérites. On est donc complètement sortis de la bricole à l’échelle mondiale et européenne mais, en France, on y est toujours. Parce qu’il y a une vraie frilosité du corps médical qui se retrouve dans la même position qu’avec les opiacés : ne pas donner de la drogue aux drogués. Ce sont pourtant des questions de vie ou de mort. Il est vraiment temps qu’on arrête de voir le cannabis thérapeutique comme un moyen de se faire du cannabis. Du cannabis, il y en a partout, on n’a pas besoin de dire qu’on est malade pour en avoir, et le cannabis qu’on peut avoir sur ordonnance (comme le Bedrocan), ce n’est vraiment pas le kif. Une situation qui pousse en outre les gens à se faire arnaquer sur Internet : selon une enquête de la Food and Drug Administration (FDA), 36 sur 42 produits vendus pour du CBD étaient des fakes, dont la moitié ne contenaient aucun cannabinoïde. Le royaume des arnaqueurs et des charlatans : voilà le résumé de notre situation.

Cet article fait partie du dossier La prescription hors-cadre.

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