L’usage de cannabis thérapeutique

Fabienne Lopez est présidente de Principes Actifs, un réseau de malades faisant usage de cannabis pour le traitement des symptômes de pathologies reconnues comme susceptibles de réagir favorablement.

Je suis présidente de l’association Principes actifs dont le sujet est le cannabis thérapeutique parce que nous sommes dans cet usage. L’association ne compte que des malades, certains ayant auparavant fait usage de drogues, d’autres non. Et tout se passe très bien, il n’y a pas de stigmatisation, aucun problème entre ces personnes.

Cet article fait partie du dossier La prescription hors-cadre.

Vingt ans déjà

Pour nous, le cannabis thérapeutique a commencé il y a vingt ans, époque à laquelle j’ai rencontré des gens qui faisaient usage de cannabis thérapeutique sans en parler à personne, en maintien de leur substitution ou pour éviter d’aller trop facilement vers l’alcool. C’est là que j’ai commencé à en entendre parler. Je militais pour le cannabis récréatif et, de Californie, nous arrivaient des informations (on est en 95-96) sur le cannabis thérapeutique, et on se disait que c’était fou qu’ici on ne puisse absolument pas en parler. On s’est donc regroupés, on a créé de petites associations et essayé d’interpeller les politiques. On a finalement été entendus par Kouchner qui, à l’époque, a lancé 5 études (dans les années 97-98) qui n’ont, pour certaines, jamais été rendues publiques. Ça n’a donc servi à rien. Et puis il y a eu le Marinol®, le premier médicament synthétique pour les usagers de cannabis thérapeutique, dont la prescription était très très restrictive. Et comme il s’agissait de cannabis synthétique, il ne contenait que du THC. Ce n’était donc pas forcément le médicament idéal pour les personnes qui le demandaient. Et puis il n’y a plus rien eu, le vide. On a continué à militer et j’ai eu l’idée d’interpeller les médecins en leur demandant de faire une attestation. Une idée qui remonte aujourd’hui à vingt ans. À l’époque, très peu de médecins acceptaient de faire cette attestation qui précisait que nous faisions usage de cannabis parce-que nous étions malades et que cela nous permettait de pouvoir combattre la maladie. Ceux qui acceptaient étaient issus de la réduction des risques parce qu’ils avaient des patients atteints de VIH (on parlait alors très peu du VHC), qui supportaient mal des thérapies très lourdes. Mais majoritairement, les médecins refusaient de la faire en considérant que c’était une excuse pour se droguer.

D’autres associations ont vu le jour et on s’est dit que puisque personne ne nous aidait, on allait s’aider nous-mêmes et on est rentrés dans la bidouille. On a continué à militer et on s’est rendu compte que très souvent, les médecins disaient qu’ils ne pouvaient pas prescrire du cannabis alors qu’en fait, ils le pouvaient. La seule chose, c’est qu’on ne peut avoir du cannabis en France. Mais avec ces prescriptions, on peut l’avoir ailleurs, aux Pays-Bas, en Angleterre, avoir d’autres médicaments à base de cannabis naturel ou synthétique. Cela nécessite d’avoir des fonds pour se payer le voyage, d’avoir un interprète, et d’avoir un médecin équivalent dans le pays où on vous prescrit ce médicament.

Planter à défaut d’être aidés

À Principes actifs, on s’est dit qu’on allait fouiner sur Internet pour trouver toutes les infos sur l’achat de graines, les produits thérapeutiques, toutes les études menées ailleurs dans le monde, et qu’on allait en planter puisque personne ne nous aide. Et c’est effectivement ce qu’on fait : on plante du cannabis pour nous en très petites quantités. On essaye aussi de voir ce qui fonctionne ou pas, ce qui correspond à nos pathologies (en fonction du taux de CBD, par exemple, qui est l’un des principes actifs les plus importants dans l’usage thérapeutique, mais aussi des taux de THC et des autres cannabinoïdes). C’est compliqué, car lorsque vous achetez à un dealer, il ne sait généralement pas ce qu’il vous vend, il connaît éventuellement la variété et le taux de THC mais pas le reste. Sur Internet, il y a eu un déferlement marketing de tas de grainetiers prétendant vendre des graines de variétés utilisées pour le cannabis thérapeutique mais qui ne sont pas les bonnes. D’autres sont, à l’inverse, beaucoup plus consistants comme certains sites israéliens qui sont à la pointe des informations sur le cannabis thérapeutique (11 000 personnes sont déclarées sous cannabis thérapeutique en Israël). Vingt-quatre États américains ont dépénalisé l’usage thérapeutique. On a donc eu plein d’infos par le Net où on peut aussi acheter du cannabis, notamment en passant par le Darknet (certains l’ont fait).

« On a fait une analyse des teintures de CBD vendues sur le Net qui a montré qu’il n’y avait pas de CBD du tout mais un peu de THC. On a prévenu le vendeur américain qui nous a menacés de poursuite si on balançait. »

(Nicolas Urbaniak, Not For Human)

On s’est donc débrouillés comme ça, en se disant aussi que le fumer n’était pas la meilleure des choses quand on était malade. On a donc cherché à savoir comment on pouvait consommer sans fumer, et sans entrer dans les préparations « récréatives » (boissons à base de lait, gâteaux, etc.) qui sont très compliquées à doser, et on s’est renseigné au sujet des préparations concernant les plantes médicinales (teinture-mère, etc.).

L’ignorance des médecins français

Certains membres de l’association atteints de sclérose en plaques (SEP) ont vu leur neurologue pour se faire prescrire du Sativex®, et ces neurologues ne connaissaient pas le Sativex®, ne savaient pas qu’ils pouvaient en prescrire pour la SEP ni comment il fonctionnait. Beaucoup ignorent aussi que le Sativex® est du cannabis naturel qui contient du THC en très petite quantité et pas mal de cannabidiol (CBD), qui atténue les effets du THC. C’est pour ça que les gens ne ressentent pas d’ivresse.

EGUS9 Patrick Favrel

Patrick Favrel (SOS Hépatites)

« – Environ 80 000 personnes sont atteintes de SEP en France et seules 3 000 d’entre elles pourront avoir accès au Sativex®. Pourtant, toute une série de laboratoires ont présenté d’autres formes de cannabis thérapeutique (notamment en Israël) : comment faire avancer les choses pour que les milliers de personnes concernées aient accès au cannabis thérapeutique qui soulagerait leurs douleurs ?

EGUS9 Nathalie Richard 2

– L’indication pour le Sativex® est la même partout en Europe. Et pour les autres, la loi française interdit l’usage de cannabis s’il n’est pas dans un médicament. »

Nathalie Richard (ANSM)

Très souvent aussi, les gens atteints de pathologies lourdes ont des traitements très lourds et beaucoup de nos membres ont connu la morphine qu’ils ne veulent plus prendre parce qu’ils se sentent mal et ont réussi, grâce au cannabis, à atténuer des douleurs très violentes.

On aurait aimé que les médecins se sentent plus concernés par l’usage de cannabis thérapeutique, et qu’on les informe sur le CBD et les autres principes actifs. Principes actifs a d’ailleurs fait deux petits livrets, sur la vaporisation pour apprendre aux gens à fumer propre, l’autre, plus récent, sur les cannabinoïdes, les terpènes et les flavonoïdes, tous ces principes actifs qui permettent soit de soigner soit de soulager.

Le souci que pose Internet en matière de cannabis thérapeutique, c’est qu’il y a aujourd’hui de nombreux sites offrant des préparations dites « à usage thérapeutique » mais qui sont très souvent douteuses, ne font rien ou sont mal préparées, et peuvent provoquer d’autres effets secondaires. Idem pour l’herbe saupoudrée de cannabis synthétique, qui n’a absolument pas le même effet. C’est un danger pour nous et pour les gens qui ne se renseignent pas plus que ça, et qui pensent que le cannabis guérit tout.

Cet article fait partie du dossier La prescription hors-cadre.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

© 2020 A.S.U.D. Tous droits réservés.

Inscrivez-vous à notre newsletter