« Association d’usagers de drogues, c’est ambigu ! » rencontre avec Étienne Apaire

Depuis 1999 ASUD bénéficie d’une subvention accordée par la Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et les Toxicomanies (MILDT). Cette relation privilégiée-peu d’associations bénéficiaient de l’avantage d’être financées directement de cette façon- avait avant tout un sens politique. La MILDT organisme interministériel, dépend directement du Premier Ministre. C’est une structure qui coordonne l’action globale du gouvernement en matière de drogues, autant du point de vue sanitaire que du point de vue policier ou encore en matière de communication. Que cet organisme ait une relation privilégiée avec l’association historique des drogués constituait en soi un signe que les temps avaient changé. La fin de cette collaboration pouvait apparaître comme le signal d’un retour en arrière, c’est la réponse que nous étions venus chercher dans les locaux de la MILDT ce vendredi 19 octobre 2007.

Ambiance

Après un petit quart d’heure d’attente (pour une fois nous étions à l’heure), la chef de projet de la MILDT habituellement désignée pour négocier avec nous, vient nous proposer de passer dans le bureau du Président.
Atmosphère tendue durant tout l’entretien. Changement de style. Didier JAYLE vous recevait une fesse posée sur un coin de bureau, tout en étant capable de vous tourner brusquement le dos pour se préparer un café, pile au moment où vous prononciez le montant de votre demande de financement.
Monsieur Apaire, lui, est à la fois plus urbain et plus glacial. Il nous fixe droit dans les yeux en expliquant qu’il a été magistrat, puis conseiller de l’actuel président de la République quand celui-ci était au ministère de l’Intérieur. Il est clair qu’ASUD lui semble une entreprise au moins suspecte. La raison officielle du non-financement d’ASUD est simple : la MILDT ne finance plus les associations. Point à la ligne. On aurait pu s’arrêter là…

Usagers de drogues

Quelques journaux sont négligemment jetés sur une table basse. « vous voyez que je m’informe » m’annonce-t-il. « Ce qui m’amuse c’est la taille de la seringue qui s’amenuise au fil des parutions ». La seringue c’est bien entendu le logo d’ASUD. Je tente de justifier l’existence de ce logo par le contexte de lutte contre le sida qui fut l’enfance de l’association mais il me coupe en m’expliquant que « association d’usagers de drogues, c’est ambigu». Ambigu est du reste le maître-mot de son vocabulaire concernant ASUD, et apparemment le nom d’ASUD fait partie des fameuses « ambiguïtés ».
Et de s’étonner que nous ayons pu déposer nos statuts en préfecture. Un conseiller suggère que nous changions de dénomination sociale, monsieur Apaire approuve, nous tentons laborieusement de rappeler l’historique d’ASUD, tout ce que l’association doit à la lutte contre le sida, tout cela constituant aujourd’hui notre identité, mais nos arguments tombent à plat. La loi , toute la loi , rien que la la Loi. Monsieur Appaire ne connaît que la loi. Et l’usage de drogues c’est un délit, donc ASUD peut-être assimilée à une association de malfaiteurs. Je n’ose rappeler que cette provocation, nous la faisions nous-mêmes en 1994. L’action d’ASUD paraissait alors tellement utile dans la lutte contre le sida que parler de « malfaiteurs payés par l’Etat » était alors à la fois absurde et comique. Mais les temps changent.

La loi toute la loi rien que la loi.

« J’ai été nommé pour la faire appliquer, l’usage de drogues constitue un délit, je ferai appliquer la loi contre la drogue »
Ah Oui, précision : Monsieur Apaire est fier de se présenter comme « de la vieille école », il dit « la drogue » plutôt que « les addictions » et « toxicomanes » plutôt qu’usagers de drogues. Mon collègue a le mauvais esprit de préciser « sales toxicos » je m’empresse de devoir excuser cet excès de langage.

A ceci près que Monsieur Appaire nous déclare en préambule avoir été hostile à l’ « échange de seringues »- comprenez la distribution de matériel stérile aux usagers pendant l’épidémie de sida- puis avoir changé d’avis, jusqu’à admettre que cette action puisse en définitive se révéler être positive en matière de santé publique. Pour autant on ne s’emballe pas, la meilleure façon de lutter contre tous les problèmes connexes (sida, hépatites etc..) c’est quand même de ne pas prendre de drogues. Et les toxicomanes, il les connait, il ne les a rencontré auparavant que dans son prétoire de magistrat du Siège.

« Drogézeureux»

Finalement je crois que ce que le nouveau président de la MILDT apprécie le moins dans ASUD ce sont nos jeux de mots idiots, pardon ambigüs. D’ailleurs, sur mes sollicitations répétées de bien vouloir préciser –texte en main- de quelles ambiguïtés parlions-nous exactement , il ouvre le journal n° 34 et commence la lecture « parmi les énigmes caractérisant la sublimissime Sativa il y a celle du maintien de son interdiction… » Et paf. J’ai bien tenté d’expliquer que le terme sublimissime est à prendre au second degré.Sacré second degré qui ne passe pas du tout, du tout au-delà du cercle des initiés. Je n’ai qu’une trouille c’est qu’on parle des drogézeureu. Patatras : « ambigu, comme ce sous-titre les drogués heureux ». Le jour où on a voulu ce faire plaisir avec ce slogan imbécile… Et pourtant l’humour est sans doute l’ingrédient le plus prisé du journal d’ASUD, mais c’est un autre débat.

Réduire les risques infectieux

Ensuite Monsieur APPAIRE nous a écouté tenter un plaidoyer pour ASUD, en donnant des petits signes d’impatience puis a conclu en expliquant que nous étions ici chez nous- c’est à dire chez lui- car il reçevait toutes les associations. Toutes et de tous bords. D’où une petite digression sur les associations de l’autre bord, qui semble-t-il comptaient sur sa nomination pour « faire le ménage ». Rendons justice à une certaine forme d’impartialité du nouveau président de la MILDT, ces associations « anti-drogue proche du fonctionnement sectaire », n’ont pas été mieux reçues que nous. Visiblement Monsieur APPAIRE n’a pas apprécié de se sentir pris en otage par une frange de la droite de la droite, prête à brader l’ensemble des acquis de la réduction des risques.
«Ils sont venus me voir avec des projets de financement rédigés en francs » ce qui laisse rêveur tant sur les années de frustration emmagasinées par ces défenseurs de la famille française que sur l’ardeur juvénile qui les anime. Mais visiblement le nouveau président de la MILDT croit à la réduction des risques en tant qu’outil de lutte contre « certaines maladies infectieuses ». Cette acception, tout en restreignant terriblement le concept, donne malgré tout une certaine légitimité à cette politique, qui par ailleurs reste la bête noire d’un journal comme « Valeurs Actuelles ». D ailleurs, reprenant au vol une allusion faite à ma rencontre avec Christine Boutin, il nous encourage vivement à « prendre notre bâton de pèlerin » pour aller évangéliser les 139 députés signataires de l’appel au Premier ministre mettant en cause le financement d’ASUD en 2006.

Réduire le nombre d’usagers dans les dix ans.

A ceci près, la philosophie politique dont Etienne Appaire s’inspire en matière de drogues est clairement réductionniste, au sens où l’entend dans les officines internationales : réduire la demande. Prenons un exemple, nous lui annonçons qu’ASUD a décidé de communiquer sur les « sorties de traitement de substitution ». Dans notre idée, il s’agit de résister à la pression conjuguée de certains médecins et des visiteurs médicaux, qui, loin de philosopher sur les besoins des usagers en traitements se contentent de comptabiliser à la hausse le nombre de mg prescrits chaque année. Ces considérations semblent rencontrer celles de Monsieur le Président. Hélas, quelques jours plus tard, la lecture de Valeurs Actuelles me montre que sa vision des sorties de substitution est assez loin de la nôtre. Si l’on en croit ce journal, qui reste à ce jour le seul mensuel auquel il ait accordé une interview complète, il s’agit plutôt de réduire coûte que coûte le nombre de personnes substituées dans les dix prochaines années. Cette vision minimaliste est l’exact pendant du maximalisme hospitalo-médical que nous prétendons dénoncer. La question n’est pas de savoir s’il y a trop ou pas assez de personnes substituées mais de savoir dans quelles conditions ils vivent avec des traitements qui durent depuis 5 10 ou parfois 15 ans. Il s’agit donc, comme nous l’avons expliqué lors du colloque de Biarritz THS 8 de rechercher avec chaque usager le type de molécule, la posologie et les activités annexes (sports, psychothérapies ou traitements complémentaires) susceptibles d’améliorer la qualité de vie de ces thérapies au long cours.

Parents contre la drogue

Puis vint le plaidoyer au bénéfice de Monsieur Lebigot, le président de Parents Contre la Drogue. « Vous l’assassinez dans votre journal… » Et moi de bredouillez que non tout en sachant pertinemment que oui. Bref, il est clair que sans être l’extrêmiste décrit par certains de nos amis, Monsieur Apaire est naturellement plus proche des thèses de Parents contre la Drogue que de celles défendues par ASUD. Monsieur Appaire et nous ne sommes pas sur la même longueur d’onde. Pas d’interview pour ASUD journal de peur d’avoir à « cautionner » l’association. Pas de venue aux EGUS, même ceux prévus en 2008 pour la même raison.

Ah si, une autre chose lui a plu dans ASUD, c’est « votre évolution récente vers l’association de malades ». Mais tout cela est récent, il s’agit peut-être d’une inflexion circonstancielle de l’association. A tout prendre l’enthousiasme Monsieur Appaire à notre égard reste excessivement modéré : « Sur le fond je reste réservé et la forme me pose question ». Cela devait être le mot de la fin

Le Diable en personne

Quelques minutes après la fin de l’entretien nous avons échangé quelques mots avec les conseillers de Mr Apaire tous deux membres des différentes équipes ayant eu à travailler avec ASUD depuis 10 ans. Leur point de vue a quelque peu atténué le goût amer que m’a laissé cette petite heure d’entretien. « Pour certains décideurs politiques que nous avons rencontrés récemment vous êtes le diable ! » nous dit l’un d’eux. Il est étrange de constater à quel point notre petite association, qui salarie 3 ou 4 personnes dans un bureau poussiéreux, est appréhendée comme l’une des pièces maîtresses d’un dispositif destructeur au service de l’anti-France par certains milieux conservateurs. Ensuite il semble indéniable que Monsieur Appaire a déjà quelque peu évolué sur ces appréciations concernant la réduction des risques depuis son entrée en fonction. Il nous a ainsi déclaré être prêt à financer la traduction en français des séances de la 19e conférence Internationale de réduction des risques prévue à Barcelone les …et mai 2008. Ces deux considérations nous ont amené à penser que nous partions d’encore plus loin, et que peut-être, tout espoir n’est pas mort de reprendre cette collaboration politique tellement souhaitable entre l’une des seules associations d’usagers de drogues (ou de traitements) au monde et l’organisme officiel chargés de gérer les conséquences humaines de ces consommations en France.

Commentaires (5)

  • Ne lâcher rien !!!

    M. Sarkozy ! On se souviens de lui (le ministre de l’intérieur) dans les différents débats parlementaires où il vous attaquait déja…
    Donc le pion Apaire, car c’est bien cela qu’il est, le petit monsieur à son Sarko qui fait ce qu’on lui dit de faire…

    Notre lutte n’est pas la leur et c’est eux qui vont sur le mauvais chemin, vous l’avez démontré depuis longtemps.

    Solidairement
    Bobby

  • Battez vous!!!!

    Surtout ne lachez pas! Tant de gens on besoin de vous! La subtitution n’es pas la solution final mais que les politiques le veuille ou pas cela permet de sortir les gens du « banditisme » c’es a dire achat de drogue/ voir revente pour certain.
    ASUD dois continué a se battre pour tous les anonymes qui souffrent en silence, et n’oublions pas le SIDA es tjrs la!!!

  • Arretez de défendre la drogue

    Vous n’êtes capables que de défendre l’usage de la drogue.
    Vous ne montrez jamais de compassion envers les malades,ceux que vous avez rendus malades.

    Vous ne faites que de la politique de très bas étage et tenez des propos diffamatoires pour des associations qui ne souhaitent que de lutter contre la drogue qui est un poison.
    Jamais vous ne parlez de jeunes qui tombent dans la maladie et le malheur.
    Vous propos sont embrumés par de trop longues années de consommation qui ont apporté de la rancoeur et de la méchanceté dans votre esprit.
    C’est vous qui êtes sectaires

  • Si Asud est pas une association de malades, usagers de drogue, ce que cette guerre à la drogue nous rend malade. Nous avons besoin de deux choses, de pouvoir « user de » dans la légalité et d’informations. Drugs, médicaments, il ya confusion, la médecine soigne de la maladie, et nous nous recherchons le plaisir, il y a de toutes façon du plaisir à ne pas être malade. Ceux qui nous pourchassent sont-ils des eunuques du plaisir ? Qui se disent puique nous ne jouissons pas, ils ne jouiront pas non plus…

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