L’envers du décor : la nouvelle campagne de prévention de l’Etat

La Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie (MILDT) a lancé le 13 février dernier une web-campagne intitulée « l’envers du décor ». La vidéo propose un angle de réflexion inhabituel pour une campagne de prévention de l’usage de drogues. Elle relègue au second plan les classiques arguments sanitaires et légaux pour se concentrer sur les conséquences du trafic sur la société et faire appel au civisme des consommateurs. Son slogan : Nos actes ont des conséquences, la consommation de drogue aussi. Même chez ASUD les avis sont partagés.

Pour

Une campagne réaliste qui ouvre le débat.

Serions-nous à un tournant de la politique des drogues ? La population n’est plus dupe. Rabâcher la dangerosité sanitaire et l’interdit légal comme si la consommation était déconnectée du reste de la société n’est plus crédible. La bulle « punir ou soigner » dans laquelle elle a été placée depuis 40 ans est un leurre. C’est un phénomène de société bien plus vaste, comme le montre efficacement en moins de 2 minutes la vidéo interactive.
Tout commence par une scène qui montre la banalité de la consommation de cannabis lors d’une fête privée en appartement entre jeunes gens. Ici point de punks nihilistes ou de hippies illuminés. Ce n’est pas non plus une rave, une skin party ou un bizutage. C’est une fête normale avec des gens normaux. Et fumer de l’herbe est clairement identifié comme un élément important de cette convivialité. Le clip ne suggère pas que nous sommes en présence d’un groupe d’amateurs de cannabis. Certains semblent intéressés par ce produit, d’autres non. Comme pour l’alcool chacun semble respecter les choix de l’autre.
Le film bascule ensuite littéralement dans la cuisine d’un couple dont l’appartement est situé sur le palier d’un lieu de deal. Témoins impuissants et exaspérés de la violence engendrée par ce marché noir, ils subissent la loi dictée par le caïd local qui utilise la misère de ce quartier visiblement populaire.
Tour à tour les éléments cliquables dénoncent l’exploitation des petites mains du trafic, des mineurs souvent (mules, revendeurs, guetteurs), les atteintes environnementales sur les zones de production (pollution et déforestation), sans oublier les risques sanitaires et judiciaires. Et c’est bien toute la nouveauté de cette campagne : remettre ces derniers éléments dans un contexte plus global qui interroge notre choix de société. D’un côté des consommateurs qui ne voient pas ce qu’il font de mal et de l’autre un système mafieux et ses conséquences qui prospèrent faute d’alternative officielle.
Le message aurait pu être une vulgaire injonction comme « Dis leur merde au dealers » en 1987. La portée du slogan « Nos actes ont des conséquences » ne doit pas être sous-estimée et toutes campagnes MILDT confondues c’est sans doute celui qui se rapproche le plus du mythique « Savoir plus, risquer moins » de 1999 en nous invitant à faire des choix éclairés sans nous dicter une conduite à tenir. Il va même plus loin en ne se limitant pas à l’aspect sanitaire individuel mais en y ajoutant pour la 1ère fois une dimension globale et collective.

Contre

La MILDT nous la fait à l’envers.

Dès le titre, cette campagne évoque un énième reportage alarmiste et racoleur sur fond de témoignages bouleversants obtenus en caméra cachée ou saisie sur le vif de l’émotion façon zone interdite. Le genre de vérité nue scénarisée comme il se doit pour vous révolter immédiatement sans vous laisser le temps d’analyser. Dans le communiqué de presse officiel de la MILDT cela s’appelle « une invitation à la réflexion ». Réfléchissons alors.
Les insupportables nuisances subies par les riverains des zones de deal sont indéniables. Ces dernières années les faits mis en exergue par les médias sur ce sujet, comme récemment la mobilisation des habitants de Saint-Ouen ou les règlements de compte à Marseille, sont venus nourrir le scepticisme sur l’efficacité de la guerre à la drogue. Mois après mois ces faits divers ont mis la « tolérance zéro » face à son échec et rendu audibles les critiques à son égard ainsi que les alternatives possibles. Ce constat a même abouti au dépôt en juin 2011 d’un rapport parlementaire par l’ancien ministre de l’intérieur Daniel Vaillant pour qui à présent la légalisation du cannabis est la seule voie possible pour réduire les risques liés au trafic. Y compris au niveau international, la prestigieuse Commission Mondiale sur les Drogues a demandé l’an passée une réforme du système. Accusée publiquement d’avoir des conséquences douloureuses sur la société, la prohibition devait être défendue par la MILDT. Quand les réformateurs accusent la prohibition d’être responsables des méfaits du trafic, la MILDT répond que c’est en réalité la demande des consommateurs qui est le vrai coupable. Coupable de la mort des mules qui transportent la drogue encapsulée dans leur estomac. Coupable des dégâts sur l’environnement causée par les laboratoires clandestins. Coupable de l’enfer quotidien que vivent les habitants des quartiers aux mains trafiquants. L’argument est pitoyable : c’est celui qui dit qui l’est. Voilà tout l’apport qu’est capable d’apporter au débat public le coordinateur de l’action gouvernementale sur les drogues. Cette pirouette qui fait porter la responsabilité sur l’acte de consommer, permet de revenir aux fondamentaux de la guerre à la drogue : stigmatiser le consommateur source de tous les maux, ce bien pratique bouc-émissaire de l’insécurité, cet éternel fardeau pour la société. Ce à quoi nous pourrions répondre : Vos actes ont des conséquences. La prohibition des drogues aussi. Un slogan qui irait très bien avec les clips de Techno+ à l’occasion des 40 ans de la loi de 70.

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