Opium du peuple et paradis artificiels

Les riverains ont du souci à se faire. Alors qu’ils veulent se débarrasser des toxicos qui fument du crack dans les cages d’escalier, voilà que des barbus en mal de religion viennent « occuper » leur trottoir. L’Islam déborde dans la rue faute de mosquées, des toxicos y vivent faute de domicile. Du coup, la salle de consommation à moindre risques, péniblement hissée au rang de polémique nationale est brusquement chassée par la salle de prière. On planque les seringues, on déroule quelques tapis et on entonne un refrain connu : gestion de l’espace public, peur de l’insécurité et tranquillité du voisinage.

Qui aurait dit que les victimes de l’« enfer de la drogue » et les candidats au paradis d’Allah allaient se retrouver enfermés dans une improbable cohabitation ? Nul doute que certains fidèles vont être choqués que l’on puisse faire un tel rapprochement, mais la faute à qui ? Drogués et musulmans font face à une hostilité commune venue pour partie du même secteur de l’opinion. Certes, la pratique de l’Islam n’est pas (encore) un délit mais visiblement, la limite entre sphère privée et vie publique reste un point de doctrine non éclairci par la lumière républicaine. À l’inverse, la loi de 1970 condamne la « pratique » de l’usage des drogues, y compris dans un espace privé. C’est justement ce que contestent avec vigueur les partisans d’une réforme de la loi qui constatent la progression continue des consommations en dehors de tout espace juridique avec, comme conséquence, le débordement des comportements privés qui s’affichent à la une des journaux (voir page 11 Jean-Luc à la Strass) ou sur la voie publique. Non seulement l’esprit de croisade n’a jamais entravé la multiplication des adorateurs du chanvre, du pavot ou de la coca, mais il leur refuse le droit à la discrétion et l’anonymat (voir page 8).

À bien y réfléchir, l’opium du peuple et les paradis artificiels sont deux compères qui font semblant de ne pas se connaître, le plus souvent pour de mauvaises raisons. Thomas Szasz l’a déjà évoqué : l’usage de drogue peut apparaître comme une profanation. Il fut un temps où la pratique du protestantisme ou du judaïsme étaient considérées comme des pathologies spirituelles, dont la contagion risquait d’affecter la collectivité tout entière. Combien de Saint- Barthélemy furent la conséquence de ce désir, souvent fanatique, de vouloir « guérir » les hérétiques contre leur gré ? Bien sûr, on peut objecter que ce type de comparaison est obscène. Que l’abus de drogues est objectivement un enfer. Est-on certain que l’abus de religion mène forcément au paradis ? Prendre des substances pour améliorer sa communication ou conjurer ses angoisses, est-ce tellement loin de certaines pratiques religieuses ?

La secte étrange des fumeurs de tabac qui colonisent tranquillement nos devantures de cafés malgré le froid et la neige semble indiquer que la République peut s’accommoder de certaines pratiques «déviantes » ou minoritaires, même si leur caractère nocif est avéré. Sans doute bénéficient-ils d’un facteur de tolérance crucial : ce fumeur transi, c’est moi, ce fut moi ou ce sera peut-être moi. Voilà probablement le préalable psychologique qui manque pour appréhender judicieusement usagers de drogues et musulmans pratiquants.

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