Étiquette : Substitution

La méthadone gélule

substitutionPour tout savoir et échanger sur les traitements de substitution opiacés rendez vous sur la Plateforme Substitution d’ASUD.

Bientôt les petites gélules ! Fini ces horribles flacons disgracieux, impossibles à dissimuler, et remplis d’un liquide au goût disons… inqualifiable.

Une bonne nouvelle qui pourrait ne plus en être une si ce changement devait préfigurer la seconde vague de détournement à grande échelle d’un médicament de substitution vers le marché noir. La méthadone n’ayant pas les mêmes propriétés chimiques que la buprénorphine – le principe actif du Subutex® –, une invasion de gélules sur le marché parallèle aura inéluctablement comme conséquence la montée en flèche des overdoses. Et de là à voir l’ensemble du dispositif vaciller sous les coups d’une campagne de presse adroitement pilotée par les adversaires de la substitution, il n’y a qu’un pas que nous n’avons pas intérêt à franchir. Car si trop de dérives sont constatées, ce sont les usagers eux-mêmes qui en pâtiront en premier et seront renvoyés dare-dare dans les centres en attendant la prochaine éclaircie. Loin de nous l’idée de promouvoir une morale gnangnan destinée à rassurer les autorités, car si nous déconseillons de faire du biz avec ce nouveau cachet, ce n’est pas parce que dealer c’est mal mais parce que, dans le cas présent, ça tue. Et contrairement au Sub, ça tue presque à tous les coups.

Un traitement sûr et efficace

Globalement, la méthadone est un traitement sûr et efficace. Et comme le rappelle Le Flyer, l’excellente publication des laboratoires Bouchara-Recordati (propriétaires du brevet de la méthadone) dans sa livraison de janvier 2008, « … l’accroissement très sensible du nombre de patients traités par la méthadone, qui a presque triplé en 8 ans… ne s’est pas accompagné d’une augmentation du nombre de décès recensés dans le dispositif Drames… »

Si le nombre d’usagers en traitement méthadone a progressé, c’est principalement grâce à la possibilité de quitter les contraintes d’un centre, ses contrôles, ses heures d’attente et, disons-le, son dispositif parfois infantilisant. 26 000 patients sont désormais en traitement (ils étaient 4 000 il y a moins de 10 ans), dont une large majorité bénéficient d’une prescription « de ville », avec des avantages évidents : discrétion, responsabilisation, anonymat, et accueil comme n’importe quel autre patient.

Selon Le Flyer, certaines sources policières s’inquiéteraient cependant de l’augmentation du marché noir de méthadone. Sans être inexistant, ce phénomène est loin d’atteindre l’ampleur du trafic de Sub, les informations dont nous disposons à l’association indiquant plutôt un trafic de « connaisseurs » : des usagers ayant besoin de compléter une prescription trop faiblement dosée (ça arrive), ou des usagers amateurs de longue date des propriétés « stupéfiantes » de la métha, qui l’utilisent en connaissance de cause. La métha est de plus en plus consommée pour « descendre » après un épisode de speed ou de coke « basée », ou tout simplement pour faire une « teuf ». Il s’agit donc essentiellement d’usagers qui connaissent les effets du produit et surtout, la manière dont leur organisme y réagit.

A.M.M. limitée

Le 18 septembre 2007, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) a accordé une autorisation de mise sur le marché (AMM) à la méthadone sous forme de gélule. Le débat, déja ancien autour de cette question sensible, a maintenu les autorités sanitaires dans les limites de la prudence la plus extrême. Comme dit de
manière pudique dans le cadre de prescription et de délivrance : « La formule gélule n’est pas destinée à la mise en place d’un traitement… » Seuls sont donc concernés les patients sous métha depuis au moins un an. Selon les termes du décret, les patients pris en charge par un médecin généraliste de ville devront, en outre, obligatoirement repasser tous les six mois dans un centre ou un service hospitalier spécialisé dans l’accueil des usagers de drogues. «Volontaires» et devant « accepter les contraintes du traitement », ils devront également « se soumettre à une analyse urinaire à l’instauration du traitement et à l’occasion de chaque renouvellement semestriel de la prescription. » Enfin, les dosages restent faibles à modérés : 40 mg pour le dosage maximal, puis 20, 10, 5, et 1 mg. La bonne nouvelle, c’est l’arrivée de ce dosage à 1 mg, réclamé depuis des années pour faciliter les diminutions progressives sur le long ou le très long terme. Promise à la vente pour 2007, la méthadone gélules devrait apparaître sur le marché du médicament à partir du 15 avril 2008 (dans le meilleur des
cas). Pour tous renseignements complémentaires, n’hésitez pas à contacter directement les laboratoires Bouchara-Recordati, promoteurs industriels du traitement.

Premier danger : l’overdose

Reste que comme le souligne encore Le Flyer, « ces bénéfices ne doivent pas faire oublier le risque que courent certains usagers, voire non usagers de drogues, de décès par overdose…». La première chose à savoir est que la méthadone est mortelle pour les organismes naïfs d’opiacés. Comme l’héroïne, me direz-vous ? Et bien non ! Beaucoup plus. La longue durée d’action de la méthadone dans le corps prolonge, en effet, ce risque de mort tandis qu’une consommation d’alcool, de benzodiazépines ou même la simple fatigue peuvent entraîner une dépression respiratoire longtemps après l’absorption du cachet.

Le constat est donc, hélas, sans ambiguïté : seuls les patients déjà sous traitement sont peu ou pas vulnérables à la surdose, dans la mesure où leur accoutumance les préserve. Tous les autres, y compris les héroïno-dépendants, courent, par contre, des risques jusque-là inconnus des usagers de drogues. Le Fyer identifie ainsi plusieurs situations où les risques d’overdose sont majeurs :

  • Les usagers naïfs ou peu dépendants aux opiacés. La dose létale (c’est-à-dire mortelle) étant de 1mg par kilo, une jeune femme de 55 kg qui vous demande de la dépanner en vous assurant être accro aux opiacés pourra très facilement faire une OD avec seulement 2 gélules de 30 mg que vous lui aurez cédées. Des risques d’autant plus grands que les usagers ignorent la sévérité et le caractère soudain de la surdose de méthadone. D’où l’importance de mettre en garde les victimes potentielles, par exemple, en sortant de cure ou de postcure, après avoir décroché aux sports d’hiver ou, moins rigolo, après avoir été incarcéré. Dans tous les cas, on est sevré des opiacés. C’est en général dans ces moments-là que l’on se dit qu’une petite entorse à la règle ne tire pas à conséquence, a fortiori si l’on se contente d’une gélule de méthadone, une rupture de jeûne considérée comme moins grave que l’héro. Mais attention, vous êtes en danger ! Divisez par deux la dose que vous aviez l’intention de prendre, et n’oubliez pas le seuil du 1 mg par kg de poids.
  • Les overdoses délibérées chez des consommateurs habituels. Autre exemple cité par Le Flyer, les suicides déguisés en overdoses, autrement dit des « overdoses délibérées » de méthadone surreprésentées dans une étude américaine réalisée à l’hôpital parmi les rescapés d’OD. Selon les auteurs, de nombreux patients des programmes de substitution seraient ainsi de « faux suicidés », ce qui laisse supposer la détresse psychologique dont ils souffrent fréquemment. Encore un facteur de risque qui dépend, pour partie, de la qualité de la prise en charge et de la plus ou moins grande proximité entre patients et prescripteurs.
  • Les accidents domestiques. En l’occurrence, toute prise de toxique par un consommateur qui ignore ou se méprend sur la nature de ce qu’il ingère. Pour la méthadone, cela concerne surtout les enfants (voir Asud-Journal n° 25). Le conditionnement en gélule est à la fois rassurant et inquiétant. Rassurant, car l’apparence sirupeuse et le goût sucré du sirop en flacon pouvaient être un facteur d’attractivité, surtout pour les gosses. Inquiétant, car une gélule peut contenir beaucoup plus de produit actif qu’une gorgée de sirop. Encore une fois, nous ne saurions trop conseiller aux utilisateurs de ne pas consommer leur substitution devant des jeunes enfants susceptibles de vouloir imiter les gestes des grands et surtout, de bien reboucher les flacons hermétiques avant de les ranger hors de portée des enfants, même grands. Grâce au nouveau système d’ouverture des flacons – « child proof » – et à la prise de conscience des usagers (mieux informés par les professionnels du soin), le nombre d’accidents domestiques dont sont victimes des jeunes enfants a considérablement diminué. D’où l’importance de rester vigilant.

substitutionPour tout savoir et échanger sur les traitements de substitution opiacés rendez vous sur la Plateforme Substitution d’ASUD.

Quelles solutions ?

Pour Le Flyer, seule la délivrance fractionnée lors de la période probatoire de mise à disposition des gélules de méthadone permettra de prévenir le risque d’inflation des OD : « La délivrance de 14 jours de traitement ne peut être une règle pour tous, sauf à considérer que tous les usagers de drogues pharmacodépendants aux opiacés sont systématiquement aptes à l’autogestion de substances opiacées. »

Journal d’autosupport, Asud ne peut contester une part de justesse à cette remarque, même si elle réduit l’ensemble du problème à ce qui est le moins susceptible d’évoluer. Car il existera toujours des usagers tricheurs, fragiles financièrement et psychologiquement, et donc tentés de revendre ou de céder tout ou partie de leur traitement. Mais tout ce qui relève du contrôle et de la coercition ne sera toujours qu’un pis-aller. Tout système bâti sur la contrainte, les contrôles urinaires, le ramassage de flacons vides, la délivrance journalière, court, en effet, le risque d’être détourné, truandé, vidé de sons sens. La meilleure garantie de voir une règle respectée, c’est de la voir réinterprétée par les patients eux-mêmes, dès lors qu’ils la comprennent comme une composante du succès de leur propre traitement. De nombreux usagers de buprénorphine se battent, par exemple, contre eux-mêmes durant de longues années, multipliant les dispositifs draconiens pour abandonner l’injection, jusqu’au jour où, utilisant une autre molécule comme la méthadone, ils ressentent un bien-être intérieur supérieur à celui procuré par un shoot de Sub. D’autres, salariés, craignant à la fois la perte de temps et d’anonymat, continuent à se fournir au marché noir jusqu’au jour où, grâce à un centre compréhensif, ils réalisent que la prescription par un médecin relais peut être rapide, discrète et surtout, beaucoup moins onéreuse.

Satisfaire la demande

Évidemment, la méthadone en gélule ne sera jamais un remède contre la pauvreté, la folie, ou la violence des rues, autant de facteurs qui poussent une partie des plus vulnérables vers le trafic. Mais le marché noir est aussi une soupape de sécurité face aux ratés du système. S’il existe, c’est bien parce que l’offre réglementaire ne couvre pas l’ensemble de la demande des usagers. Afin de permettre à cette règle d’être respectée par le plus grand nombre, il conviendrait donc parfois de faire preuve de psychologie en étant moins répressifs, moins tatillons sur les règlements. Entre la prudence nécessaire pour protéger d’eux-mêmes les usagers vulnérables et la tolérance indispensable pour ne pas rebuter certains besoins légitimes, la marge de manoeuvre est ténue. Ouverts à toute heure et peu regardants sur les dépassements de la dose prescrite, ce sont pourtant les dealers qui gagneront dans le cas contraire. C’est d’ailleurs tout l’enjeu d’une véritable collaboration entre répression des trafics et réduction des risques liés à l’usage, deux politiques non pas alternatives mais au contraire, complémentaires.

Ne tirez pas sur le subutex !

Une fois de plus, les médias « grand public » parle du Subutex®, ce médicament de substitution à l’héroïne, pour dénoncer des pharmaciens trafiquants, des médecins corrompus, et des dealers non concernés par le système de soins! Une fois de plus, les journalistes ne voient que les trains qui n’arrivent pas à l’heure ! Ce procédé, privilégiant le sensationnalisme du contexte électoral, consiste à ne parler de substitution que lorsqu’ il y a des ratés. Cela nous paraît dangereux. Il stigmatise encore plus les patients sous substitution (qui ont déjà du mal à se défaire de l’étiquette de drogués), fait peur aux acteurs du soins qui voudraient s’engager dans la substitution, attise les foudres de l’opinion public qui ne comprend guère que l’Etat puisse « donner des drogues aux drogués » et met en danger l’ensemble du dispositif, qui bien qu’imparfait, demeure une réussite typiquement française

Pour faire balancier avec ce catastrophisme, il est alors grand temps de faire entendre la voix des personnes dépendantes aux opiacés et de rappeler que depuis le milieu des années 90, avec l’avènement de la politique de réduction des risques et la mise en place des traitements de substitution aux opiacés, notre vie a radicalement changé :

  • Nous avons pu en finir avec toutes les années de galère, sans cesse à la recherche de produits, et avons pu, enfin, nous poser pour reconstruire nos vies affectives, familiales et sociales, retrouver un emploi et un logement.
  • Pour beaucoup d’entre nous, elle nous a permis aussi d’éviter la prison, en disposant d’un traitement qui nous coupe du milieu du marché noir et du bon vouloir des dealers. Nous sommes passé ainsi du statut de délinquant à celui de malades, récupérant aux passage celui de citoyen, qui nous avez été confisqué en criminalisant l’usage de drogue.
  • Des vies ont pu être sauvées grâce à la réduction de la consommation d’héroïne et des risques liés à sa consommation (injections, sniffs). Par exemple, le nombre d’overdoses à l’héroïne à été divisé par dix.
  • Elle a permis que les personnes dépendantes aux opiacés aient accès aux soins : avant la substitution, l’accès a n’importe quel soins était conditionné à l’arrêt de la consommation de drogues et donc à un sevrage. Les personnes dépendantes, qui ne voulaient pas ou ne pouvaient pas se sevrer étaient donc exclus de tout dispositif sanitaire.
  • Combiné à la politique de réduction des risques (échange de seringues, information sur les produits), la substitution a permis que le taux de contamination par le virus du VIH des personnes usagères de drogues par voie intraveineuse chute de manière vertigineuse pour être aujourd’hui proche de zéro.
  • Enfin, la grande souplesse de prescription du Subutex® (qui peut être prescrit par tout médecin généraliste) est une force du système français, qui a permis un accès généralisé à la substitution. Nombre d’entre nous, n’aurait pas intégrer un programme de méthadone, dont les contraintes sont lourdes, et aurait préféré rester dans la clandestinité et l’illégalité, si le Subutex® n’avait pas été mis sur le marché de cette manière.

Ces bienfaits pour nous, le sont aussi pour le reste de la société : de la baisse de la criminalité, à la baisse du coût social de la consommation de drogue qui se chiffre en centaine de millions d’euros, la société entière est gagnante.

Bien sur le système n’est pas parfait et il a le défaut de ses qualités : la grande accessibilité de la buprénorphine haut dosage (le principe actif du Subutex®), permet à un petit nombre de personnes peu scrupuleuses d’en profiter, mettant en danger l’ensemble du dispositif. Et il est du devoir d’une association de patients de dénoncer ces dérives, qui sont d‘ailleurs plus le fait de médecins et pharmaciens véreux et de trafiquants non usagers, que des personnes dépendantes très attachés à la préservation de ce système qui a changé leur vie.

Mais dénoncer sans arrêt les dérives de ce système sans en souligner les énormes bénéfice tant pour les personnes dépendantes que pour la société, revient à le condamner, à le laisser en proie aux grands tenants du tout sécuritaire, ceux qui voulait déjà que le Subutex® soit classé comme un stupéfiant. Alors que pour faire baisser le marché noir, il nous semble aussi important de traquer ceux qui utilisent ce système comme des trafiquants que d’adapter l’offre de soin et d’élargir la palette des produits de substitution.

Communiqué de l’Ordre National des Pharmaciens et d’Auto Support des Usagers de Drogues

Le refus de délivrance des traitements de substitution est une infraction.

En tant qu’acteurs de santé publique, les pharmaciens jouent un rôle de premier plan, en particulier dans le champ de la toxicomanie. C’est grâce à leur implication (délivrance de seringues stériles de trousses de prévention, de traitements de substitution) que la prévalence du VIH a nettement reculé chez les usagers de drogues par voie intraveineuse et que l’on a l’espoir de faire reculer un jour celle du VHC.

L’inexpérience et l’incompréhension mutuelle, associée à la crainte légitime suscitée par le comportement de certains usagers, ont abouti à une situation absurde : 25 % des pharmaciens d’officine (1 sur 4) refusent de délivrer certains médicaments de substitution sous des prétextes divers (d’après une enquête menée par Asud, voir Pharmaciens et usagers, le dialogue nécessaire).

PharmacienL’Ordre National de Pharmaciens et Asud sont associés pour dénoncer cette situation qui, loin de résoudre les tensions éventuelles, est une source de conflit supplémentaire entre usagers et pharmaciens.

Rappelons que le refus de délivrance d’un médicament autorisé sur présentation d’une ordonnance valide est une infraction au code de santé publique. Ce refus entraîne par ailleurs un effet de concentration des patients dans certaines officines. Cette « ghettoïsation » n’a que des effets pervers. Le manque à gagner volontairement assumé par les officines défaillantes entraîne une surreprésentation des gains liés à la substitution dans les autres officines, générant ainsi des ambiances équivoques sinon malsaines.

D’autre part, la colère légitime des patients littéralement chassés de certaines pharmacies contribue à entretenir le mythe des toxicomanes violents.

PESRappelons au contraire que, grâce à l’introduction des traitements de substitution dans les années 90, le nombre d’agressions de pharmaciens d’officine par des toxicomanes n’a cessé de baisser.

Asud-Journal et l’Ordre National des Pharmaciens se proposent d’agir concrètement pour améliorer la situation.

Dans un premier temps, l’ensemble des situations de rejet dont sont victimes les usagers vont être recensées afin d’établir une typologie. Si vous-même ou l’un de vos proches avez été victime d’un refus de délivrance, contactez Asud ou l’Ordre National des Pharmaciens à l’adresse suivante :

ASUD
206, rue de Belleville
75020 Paris

Ordre National des Pharmaciens
4, avenue Ruysdaël
75008 Paris

Contactez l’Observatoire du Droit des Usagers picto-odu

Pharmaciens et usagers, le dialogue nécessaire

Pharmacienne, Marie Debrus a effectué de nombreuses missions humanitaires pour la mission Rave de Médecins du monde. Sa double légitimité, de docteur en pharmacie d’une part, et de militante de la réduction des risques d’autre part, lui a permis d’explorer de nouvelles pistes dans la complexité des relations entre pharmaciens d’officine et usagers de drogues. C’est la synthèse de ce regard privilégié qu’elle nous a livré lors des troisièmes États généraux des usagers de substances illicites (Égus III).

Nous avons réalisé cette enquête financée par la DRASSIF en 2004 puis en 2006 (compte-rendu disponible auprès d’ASUD). Celle-ci était axée, non pas sur la substitution, mais sur l’accès aux Stéribox® en pharmacie. Nous avions prévu d’aller rencontrer une centaine d’officines à chaque fois. La première année, nous avons ainsi visité 93 pharmacies sur 6 arrondissements parisiens, les 1er, 2e, 3e, 10e, 14e et 19e. En 2006, nous avons porté l’enquête aux 12e, 13e et 20e arrondissements.

C’est une répartition géographique large avec des quartiers aux couleurs différentes. Nous avons tiré au sort les pharmacies visitées pour rester impartial et le plus objectif possible.

Au final, nous avons couvert 40 à 60 % des pharmacies de chaque arrondissement. L’image obtenue est donc assez représentative de la situation au sein de la capitale.

Enseigne-pharmacie-6Ouvrir le dialogue

L’objectif principal était d’informer le pharmacien sur l’importance du Stéribox® comme outil de prévention dans la transmission du VHC. Afin de favoriser les discussions et l’échange, nous avons mis en place un questionnaire qui ne portait pas seulement sur la question de la mise à disposition du matériel stérile, mais nous permettait d’aborder la question plus large de la perception des usagers de drogues par l’équipe officinale. Les questions étaient variées :

« Rencontrez-vous des problèmes dans votre officine ? Mettez-vous à disposition des seringues, des Stéribox®, des traitements de substitution, etc. ? »

Cette approche nous permettait d’ouvrir rapidement le dialogue et de discuter de la place de l’usager. Il est vrai que tout est lié, et nous ne pouvions pas poser la question de l’accès au Stéribox® sans aborder celle de l’accès aux traitements de substitution.

Le travail effectué sur les deux années était un peu différent. En 2004, les quartiers choisis étaient également plus exposés aux problématiques des drogues qu’en 2006. Je tiens à préciser qu’il s’agit de la situation parisienne afin de rester prudent quant à une éventuelle extrapolation. Par ailleurs, même si je vous présente un résultat global, une impression générale de notre travail, je tiens à souligner qu’il existe des situations très variées : du pharmacien qui expérimente l’échange de seringues dans son coin à celui qui aura une position extrême, rêvant encore d’un monde sans drogue.

Comprimés

Un jeune violent, agressif…

La plupart des équipes rencontrées ne comprennent pas le terme « usager de drogues ». Elles parlent plus volontiers de « toxicomane ». Nous devions utiliser ce même vocable pour nous faire comprendre. Elles ont une idée simplifiée de l’usager, plutôt fantasmée, proche de l’image véhiculée au cours des années 80 : un jeune violent, agressif, qui consomme des drogues parce qu’il est suicidaire, impossible à raisonner, avec qui on ne peut pas discuter. Les pharmaciens m’ont parlé à maintes reprises d’expériences assez fortes où ils ont été agressés physiquement, insultés… Cependant, lorsque je leur demandais quand l’événement avait eu lieu, j’apprenais que cela remontait à quelques années déjà. Ils restent traumatisés par une mauvaise expérience, ils ont peur et se sentent en danger. Le dialogue sur ce thème était ainsi difficile et délicat.

Préparateurs et pharmaciens n’avaient pas très envie d’aborder le sujet, mais ne le disaient pas ouvertement. Ils préféraient faire des détours et utilisaient de multiples prétextes. Nous avons persévéré et multiplié les visites et les rendez-vous. Nous avons finalement pu tenir de longues conversations, parfois très intéressantes. Apparemment, j’étais la première personne avec qui ils discutaient des usagers et des drogues. Ils se sentent un peu isolés, en porte-à-faux entre le médecin et l’usager. Les officinaux doivent gérer l’usager, mais ils ne savent pas comment faire, vers qui se tourner ou à qui demander conseil et soutien. Nous voulions comprendre pourquoi et comment ils se retrouvaient dans cette situation. Même si je ne suis pas issue de la filière officine, le fait que je sois moi-même pharmacien a probablement aidé puisque nous avions une formation commune.

Les pharmaciens présents aux EGUS 3

Méconnaissance des drogues et du VHC

Le problème vient d’une méconnaissance sur le sujet des drogues. Tout d’abord, une méconnaissance des usages et des usagers. Comment comprendre l’usager si l’on ne connaît pas ses pratiques ? Puis, une méconnaissance vis-à-vis du VHC. Cela peut paraître étonnant de la part de professionnels de santé tels que les pharmaciens. En effet, ce virus est connu pour se transmettre par le sang, mais puisqu’ils ne connaissent pas les pratiques des usagers, les officinaux n’ont pas conscience du rôle du matériel de préparation à l’injection.

De nombreux pharmaciens m’ont dit : « Le VHC, je connais. Moi, je donne des seringues. Cela leur suffit amplement, c’est comme le sida. » Le problème est là. Les pharmaciens n’ont pas la conscience de l’importance de ce risque à travers le reste du matériel. La majorité des équipes ont déjà ouvert un Stéribox®, mais très peu savent à quoi servent les différents outils. Ils ne voient donc pas l’intérêt d’en distribuer. Selon eux, « cet outil va trop loin, il donne trop de facilité à l’usager ».

Incompréhension de la RdR

D’autre part, les équipes officinales ne comprennent absolument pas la démarche de réduction des risques. Les seuls objectifs recevables restent le soin et l’abstinence totale. L’usager s’en sort quand il est abstinent. Les pharmaciens refusent d’entrer dans une démarche de réduction des risques car ils la jugent inutile, ne saisissent pas ses buts et ses moyens. Ils ne discernent pas les enjeux et surtout, les bénéfices qu’elle peut apporter pour la santé des personnes, à plus ou moins long terme.

EGUS-3-Substitution-Pharmaciens

Malheureusement, cette démarche de réduction des risques n’est pas encore suffisamment enseignée en faculté. J’ai découvert le terme de RdR en lisant Asud journal alors que j’étais en stage en Centre de Soins Spécialisés pour Toxicomanes (CSST). J’ai ensuite rencontré des personnes sensibilisées sur le sujet qui ont su m’y amener, et j’ai finalement voulu m’investir dans ce domaine. Mais c’est le terrain qui m’a tout appris sur les sujets des drogues et de la RdR, pas la faculté de pharmacie. Même si à Paris, Patrick Beauverie y intervient de plus en plus et éveille progressivement les futurs pharmaciens à cette notion un peu particulière. (…)

Ni formés ni informés

Comment les pharmaciens pourraient-ils avoir une relation sereine avec les usagers sachant qu’ils ne sont pas assez formés ni informés sur les usagers et leurs pratiques, peu ou pas soutenus dans la gestion de l’usager ? Les officinaux se sentent désarçonnés, et nous notons une absence totale de « conduite à tenir » vis-à-vis de ces personnes. Aujourd’hui, le pharmacien ne dispose pas de toutes les notions nécessaires pour se positionner de manière éclairée sur la question des drogues. Chacun agit donc en fonction de ses convictions, et sa prise de position est souvent arbitraire puisque fonction de son vécu et de son jugement personnel. Ne pouvant comprendre l’officinal et la variation de ses réactions, les usagers peuvent perdre confiance dans ce professionnel de santé bien qu’ils aient inévitablement affaire à lui. L’avis personnel de l’officinal compte dans l’acceptation de la délivrance, mais il doit être éclairé d’éléments scientifiques et objectifs.

La relation entre usager et pharmacien étant biaisée, elle est compliquée et très conflictuelle.

Le Subutex®, bouc émissaire de la substitution

Les journaux télévisés dénoncent le trafic de Subutex® et son coût. Dans la presse, il ne se passe pas une semaine sans qu’on nous répète que les usagers l’utilisent comme une drogue en le shootant ou le sniffant, et que la France est la plaque tournante de ce trafic alimenté par des médecins et des pharmaciens.
Dernièrement, Le Monde nous apprend même qu’un chauffard était sous Subutex® sans autre explication. Pas besoin d’en dire plus, tout est la faute au Subutex®

S’il faut bien reconnaître l’existence d’un marché noir et de mésusage/usage alternatif, la fougue avec laquelle on stigmatise ce médicament n’est-elle pas un peu disproportionnée ? Pourquoi ne pas stigmatiser les benzodiazépines dont une grande quantité est revendue dans les rues ? Pourquoi parle-t-on toujours des dérives sans jamais parler des bénéfices de ce traitement ? Le Subutex® concentre les frustrations, les méconnaissances, les fantasmes et les peurs. C’est un bouc émissaire.

Le bouc émissaire de la substitution, car il cache les attaques envers un groupe de personnes, les toxicomanes, et plus particulièrement les usagers de Subutex®. Alors, plutôt que de rappeler encore une fois les bienfaits de la substitution, il est temps de s’interroger sur le pourquoi de cette rhétorique.

Bloodi-jongle-Substitution-OuinLa faute au tox

Le tox, c’est l’autre, celui qui a pris du plaisir interdit et qui l’a bien cherché. Il a commis une faute et il est coupable. Et à tout coupable, il faut une punition. Dès lors, pourquoi donnerait-on une « drogue » payée par les contribuables ? Pourquoi lui ne devrait-il pas pointer tous les jours à la pharmacie, ne lui contrôlerait-on pas les urines pour voir s’il n’a pas récidivé ? Comme si, pour expier sa faute, l’accès aux soins devait être un chemin de croix. C’est ainsi que des journalistes de Libération se sont fait plusieurs prescripteurs dans une journée en dénonçant la facilité avec laquelle ils avaient obtenu le produit. Ce qu’on reproche au Subutex®, c’est son accès « trop facile » : pas de verrouillage CCST/hôpital, prescription de 28 jours, pas d’obligation de consultation psy ni d’analyses d’urines.

Parler de laxisme sans parler de l’accès au traitement, et encore moins de la question morale, c’est méconnaître la substitution et les addictions. Bref, c’est une erreur. Plus l’accès sera facile, plus il y aura de personnes dépendantes aux opiacés qui franchiront le pas de la substitution et du soin.

Mais même avec la meilleure volonté du monde, cette facilité d’accès entraînera des dérives qu’il faudra contrôler, voire aménager. Par exemple, avec une substitution à la buprénorphine injectable, pour que le « mésusage » devienne traitement et que les injecteurs de Subutex® soient traités comme des patients.

La peur de l’avenir

Le Subutex® a remplacé l’héroïne comme produit de rue, et la caricature de l’usager de Subutex® celle du junky à l’héroïne. Fini l’héroïnomane, voilà les usagers de Subutex®, en bande, oisifs, accompagnés de chiens, habillés de couleurs militaires, décorés de piercings, qui achètent leur Sub au marché noir et qui l’injectent. Avec le deal de rue et les seringues qui traînent, ils sont devenus la partie visible des personnes sous Subutex®.

Une population qui fait peur à la société. On ne compte plus les pétitions de quartier contre l’installation de centres d’accueil. Mais de quoi a-t-on peur ? Ces marginaux n’illustrent-ils pas une série d’échecs ? Échec de la lutte contre la drogue, dont le Subutex® est un avatar, échec de la Sécu, qui n’arrive pas à renflouer ses comptes, échec de la valeur travail si chère à notre Président, mais aussi et surtout échec d’une société plus juste, qui laisse une partie de ses enfants sur le bord de la route. L’insécurité qu’ils représentent, c’est la crise des valeurs et la peur de l’avenir !

Notre responsabilité est de militer pour une plus grande tolérance envers l’autre et ses différences, et non de bâtir une société plus propre à défaut d’en faire une plus juste.

Le subutex, bouc émissaire de la substitution ?

Dans la presse, il ne se passe pas une semaine sans qu’on nous répète que les usagers l’utilisent comme une drogue en le shootant ou le sniffant, et que la France est la plaque tournante de ce trafic alimenté par des médecins et des pharmaciens. Dernièrement, Le Monde nous apprend même qu’un chauffard était sous Subutex® sans autre explication. Pas besoin d’en dire plus, tout est la faute au Subutex®

S’il faut bien reconnaître l’existence d’un marché noir et de mésusage/usage alternatif, la fougue avec laquelle on stigmatise ce médicament n’est-elle pas un peu disproportionnée ? Pourquoi ne pas stigmatiser les benzodiazépines dont une grande quantité est revendue dans les rues ? Pourquoi parle-t-on toujours des dérives sans jamais parler des bénéfices de ce traitement ? Le Subutex® concentre les frustrations, les méconnaissances, les fantasmes et les peurs. C’est un bouc émissaire.

Le bouc émissaire de la substitution, car il cache les attaques envers un groupe de personnes, les toxicomanes, et plus particulièrement les usagers de Subutex®. Alors, plutôt que de rappeler encore une fois les bienfaits de la substitution, il est temps de s’interroger sur le pourquoi de cette rhétorique.

substitutionPour tout savoir et échanger sur les traitements de substitution opiacés rendez vous sur la Plateforme Substitution d’ASUD.

La faute au tox

Le tox, c’est l’autre, celui qui a pris du plaisir interdit et qui l’a bien cherché. Il a commis une faute et il est coupable. Et à tout coupable, il faut une punition. Dès lors, pourquoi lui donnerait-on une «drogue» payée par les contribuables ? Pourquoi ne devrait-il pas pointer tous les jours à la pharmacie, ne lui contrôlerait-on pas les urines pour voir s’il n’a pas récidivé ? Comme si, pour expier sa faute, l’accès aux soins devait être un chemin de croix. C’est ainsi que des journalistes de Libération se sont fait plusieurs prescripteurs dans une journée en dénonçant la facilité avec laquelle ils avaient obtenu le produit. Ce qu’on reproche au Subutex®, c’est son accès « trop facile» : pas de verrouillage CCST/hôpital, prescription de 28 jours, pas d’obligation de consultation psy ni d’analyses d’urines.

Parler de laxisme sans parler de l’accès au traitement, et encore moins de la question morale, c’est méconnaître la substitution et les addictions. Bref, c’est une erreur. Plus l’accès sera facile, plus il y aura de personnes dépendantes aux opiacés qui franchiront le pas de la substitution et du soin.

Mais même avec la meilleure volonté du monde, cette facilité d’accès entraînera des dérives qu’il faudra contrôler, voire aménager. Par exemple, avec une substitution à la buprénorphine injectable, pour que le « mésusage » devienne traitement et que les injecteurs de Subutex® soient traités comme des patients.

La peur de l’avenir

Le Subutex® a remplacé l’héroïne comme produit de rue, et la caricature de l’usager de Subutex® celle du junky à l’héroïne. Fini l’héroïnomane, voilà les usagers de Subutex ®, en bande, oisifs, accompagnés de chiens, habillés de couleurs militaires, décorés de piercings, qui achètent leur Sub au marché noir et qui l’injectent. Avec le deal de rue et les seringues qui traînent, ils sont devenus la partie visible des personnes sous Subutex®.

Une population qui fait peur à la société. On ne compte plus les pétitions de quartier contre l’installation de centres d’accueil. Mais de quoi a-t-on peur ? Ces marginaux n’illustrent-ils pas une série d’échecs ? Échec de la lutte contre la drogue, dont le Subutex® est un avatar, échec de la Sécu, qui n’arrive pas à renflouer ses comptes, échec de la valeur travail si chère à notre Président, mais aussi et surtout échec d’une société plus juste, qui laisse une partie de ses enfants sur le bord de la route. L’insécurité qu’ils représentent, c’est la crise des valeurs et la peur de l’avenir ! Notre responsabilité est de militer pour une plus grande tolérance envers l’autre et ses différences, et non de bâtir une société plus propre à défaut d’en faire une plus juste.

Méthadone, les français préfèrent la Belgique

Vous connaissait la dernière blague belge sur les français ? « Pourquoi tous les mois, des milliers de français passent la frontière pour aller chercher leur traitement de méthadone en Belgique ?». A l’heure ou tout les intervenants en toxicomanie réclament un accès plus large à la méthadone, notamment avec la primo-prescription en médecine de ville, Asud a tenté de répondre à la blague de nos amis belges et s’est demandé pourquoi certains de nos concitoyens parcouraient des centaines de kilomètres, payaient le trajet, la consultation et la méthadone, et boudaient notre beau système de soins, pourtant anonyme et gratuit depuis la loi de 1970.

Un peu d’histoire

On aurait pu croire qu’en 1996, avec la multiplication de nombre de place dans les CSST que la situation n’allait pas perduré. Mais dans les CSST, les fils d’attente sont longues, et les seuils d’exigence élevés. De plus, la buprénorphine qui est largement plus accessible à partir de 1996, ne convient pas à un certain nombre d’usager : au total, même si le « tourisme de substitution » se ralentit, c’est toujours l’afflux en Belgique de patients français pour qui ni les conditions de délivrance de la métha, ni la molécule de buprénorphine ne conviennent.

substitutionPour tout savoir et échanger sur les traitements de substitution opiacés rendez vous sur la Plateforme Substitution d’ASUD.

Et maintenant ?

Depuis 1996, le cadre de la substitution n’a guère évolué en France : certes, après avoir « fidéliser leur patient pour une meilleure prise en charge », les CSST délèguent de plus en plus aux médecins de ville pour désencombrer leur files d’attente.

Mais, le cadre légal impose un circuit de soin unique pour les patients « stabisés socialement » ou totalement « désinséré » là ou en Belgique il existe tout un panel de services différenciés avec des modalités variés concernant la primo-prescritpion, les délais de prescriptions, les modes d’administrations et types de délivrance de la métha :

  • En France, les conditions d’accès à la métha restent toujours soumises à des critères de haut seuil et la primo-prescription se fait uniquement en CSST, alors qu’en Belgique, la primo-prescription comme le suivi du traitement à la méthadone peuvent etre faits par un médecin généraliste, une MASS (Maisons d’Acceuil Socio-Sanitaire), ou un centre spécialisé. Ainsi, beaucoup de français qui passent la frontière ne veulent pas être soumis aux contraintes du système français (passage quotidien, analyses d’urine, psychologue…), qu’ils consièrent demesurées et inadaptées, voire infantilisantes.
  • Dans la plupart des CSST, les files d’attente sont longues. Au contraire, en Belgique, un simple rendez-vous avec un médecin généraliste suffit pour accéder à la métha. Ainsi, pour contourner les files d’attentes des CSST, il n’est pas rare que des usagers se servent du système belge comme un tremplin vers les CSST. Ils vont ainsi consulter un médecin belge en attendant le rendez-vous en CSST. Certain passent même du système belge à un suivi en médecine de ville, squizant ainsi les CSST.
  • Autres différences notables, la méthadone se fait uniquement sous forme de sirop en France, ce qui est « une punition » pour beaucoup d’usager. En Belgique, la méthadone est disponible sous forme de sirop ou de gelules préparées magistralement par le pharmacien, avec le dosage approprié. De ceux qui vont en Belgique, beaucoup de Français sont à un haut dosage (plus de 120mg), du en particulier à l’interaction de leur traitement VIH avec la métha, et ne supportent plus de boire « des litres » de ce sirop. Il faut reconnaître aussi que les flacons sont assez difficles à stocker. Par exemple, quand on part en vacances, il faut un véritable sac à dos de fioles.
  • la durée de prescrition est limité à 14 jours en France, alors que chez nos voisins, elle peut être d’un mois ou plus. Ceux qui vont en Belgique se voient parfois préscrire leur substitution pour plusieurs mois. Ils échappent à la contrainte de revenir au moins tout les 15 jours, à la fois vers le prescripteur, mais aussi vers le pharmacien.

Et les OD ?

Une des grandes peurs de la libéralisation de la méthadone en France, ce sont les overdoses possibles. En Belgique, ils nous répondent que les usagers sont des personnes sachant gérer leur dépendance et non candidate au suicide, et que les quelques OD recensées sont dues a des personnes « naïves », c’est à dire à des personnes qui n’ont jamais pris de métha ou qui n’en n’ont pas pris depuis longtemps. C’est par exemple, le cas des personnes non dépendantes aux opiacées qui voudrait gouter le produit, des personnes qui sortent de prisons, ou encore des personnes qui laissent trainer leur métha qui tombe sous la main d’enfant.

Conclusion

Bien sur, le tableau n’est pas si noir que cela : un certain nombre de CSST ont assoupli leur seuil d’exigence au fil des années et passent de plus en plus le relais à la médecine de ville. Mais il reste que beaucoup d’usager, pour des raisons variables, vont chercher un autre cadre en Belgique. Ce « tourisme de la méthadone » (1500 français passent la frontière tout les mois) est le syndrome d’un problème collectif, conséquence de la frilosité des pouvoirs publics en particulier avec à la méthadone. Après le bond en avant de 1996, avec la multiplication des places méthadone et à la mise sur le marché de la buprénorphine, il est temps de réclamer d’autre forme de substitution, que ce soit la primo-precription de méthadone en médecine de ville, d’autre forme galénique de la méthadone, de la substitution injectable ou d’autres molécules comme le sulfate de morphine, pour que la France reste une terre d’accueil…pour ses toxicomanes…

Au fait, avez trouvé la réponse à la dernière blague belge ?

Pharmaciens / toxicos : comment briser la glace ?

En anglais, pharmacie, c’est drugstore, le magasin de drogues. S’il est un lieu où les drogués devraient se sentir à l’aise, c’est là où l’on vend pilules, cachets, poudres… et seringues, même si c’est trop souvent le royaume de la pince à épiler ou du régime minceur. Retour avec Pierre Demeester sur cette clientèle « particulière ». Docteur en pharmacie, il a exercé pendant 21 ans rue La Fayette à Paris, à deux pas de la gare du Nord et deux jets de « caillou » de la scène du crack, un périmètre de la capitale très « prisé » par les tox et les SDF.

Quelle vision avais-tu de la toxicomanie au moment de ton installation ?

Aucune, en dehors des idées toutes faites. Cette « population » était plutôt éloignée de mon champ de vision. Bien élevé dans un milieu protégé, je n’avais jamais vraiment été en contact avec le monde toxico. Pour tout dire, avant ma 4ème année de fac, je n’avais jamais vu un joint ni de près ni de loin. Ce n’était pas mon univers.

Quels ont été tes premiers contacts professionnels avec des tox ?

Cinglants et rapides. J’ai repris la pharmacie en juillet 1985 et fin août, j’avais déjà été braqué 2 fois. Pour de l’argent, bien sûr, et par des toxicos (2 fois les mêmes !). J’emploie volontairement le terme toxico, car je n’en avais pas d’autre, et je ne le trouve pas spécialement dévalorisant.

Pharmacie-centrale-de-France-cachetÀ quel moment t’es-tu rendu compte que ta pharmacie était plus volontiers que d’autres visitée par des clients un peu « space » ?

Dès les premiers jours, le nombre de « clients Néo-Codion® » m’a vite fait comprendre le quartier. L’arrivée des ordonnances de Subutex®, et avant ça de Temgesic®, était donc logique et même souhaitée. Par contre, l’image de la méthadone étant mauvaise, je refusais systématiquement les ordonnances. C’est le rapprochement avec l’Espace Murger, le CSST de l’hôpital Fernand Widal, qui m’a fait changer d’avis. Le contact avec l’équipe soignante a été déterminant dans mon approche de la délivrance de produits de substitution.

Que voudrais-tu dire aux pharmaciens débutants qui seraient effrayés à l’idée d’honorer des ordonnances de Subutex® ?

Il n’y a pas grand-chose à dire à ceux qui refusent pour des raisons professionnelles, c’est-à-dire qui veulent exploiter leur pharmacie dans un environnement social aseptisé. à ceux qui sont plus ouverts, mais qui ont peur du milieu toxico et de son impact sur le reste de la clientèle, je peux dire que cette population est aussi hétérogène et variée que n’importe quelle autre et qu’il n’est pas aussi difficile qu’on le croit d’y faire le tri. Y’a des gentils et des méchants, des sympas (même des très sympas) et des casse-pieds, des malades qui se soignent, et des malins qui profitent. On peut leur faire comprendre que la relation pharmacien/usager doit rester dans un cadre extrêmement réglementé, que les dérapages ne sont pas longtemps tolérés. Et tant pis pour les méchants et les profiteurs. Les casse-pieds, on a l’habitude, on en a déjà plein dans le reste de la clientèle.

Bref, quand on délivre du Subutex®, on ne fait pas que subir, on choisit aussi le type de relation que l’on souhaite. La qualité de l’équipe officinale est également déterminante. Il faut que chacun travaille à l’unisson, tout en étant autonome, mais soutenu en cas de difficulté. On a tous nos petits clients favoris, et c’est très bien comme ça.

Peut-on (mieux) gagner sa vie en acceptant les ordonnances de substitution ?

Enseigne-Drugs-storeCertainement, mais il y a des choix à faire. Tout dépend du nombre d’ordonnances que l’on voit passer par jour. Si la mamie qui vient chercher ses Valda 2 fois par semaine se cogne systématiquement à un gus au look zarbi, elle risque de changer de crèmerie rapidement.

Il ne faut pas oublier qu’une pharmacie est un gros investissement financier qu’il faudra revendre un jour. L’acquéreur va éplucher les ventes (les temps ont changé…) pour savoir ce qu’il achète, et il sera difficile de céder une officine qui vend « trop » de Subutex®. Le chiffre d’affaires gagné d’un côté peut se perdre de l’autre.

Comment refuser de vendre en cas de falsification évidente ?

C’est variable, ça dépend depuis combien de temps le mec galère pour se faire servir. S’il est carrément en manque, ça devient chaud. La chose la plus importante, c’est qu’il ne faut pas avoir de position de principe, genre « hors de question de céder », et prendre le type ou la fille c’est plus rare de haut. C’est comme ça que ça tourne mal si le gars est décidé. Il faut être ferme, mais toujours expliquer la raison du refus. Le plus important en cas de lourde insistance, c’est de lui trouver une solution. Si le type se rend compte qu’on n’en a pas rien à foutre de son cas, c’est déjà presque gagné. Et même si on ne trouve pas de solution (y’a des cas sociaux parfois…), je suis déjà « moins con que les autres » pour avoir cherché à l’aider, et donc mieux respecté. Mais certains jours, on est mal embouché, pas du tout patient, on s’énerve un peu trop, et ça tourne mal.

Quels conseils donner à quelqu’un qui est engagé dans un rapport de force avec un usager ?

Pharmacie-comptoirFermeté, mais humilité. Ne jamais « jeter » la personne, savoir céder s’il le faut, et délivrer l’ordonnance. Il faut savoir lâcher, même un « Ropinol, quat comprimmé par jour pandan 1 moi », prescrit par le Dr Guettotrou, gynéco-obstétricien à Pointe-à-Pitre…

Pourrait-on imaginer un rayon spécial « tox » (avec seringues, Stérimar®, Stéribox®, Stérifiltre®, kit sniff, dépliants Subutex®, etc…) comme il y a un rayon capotes ?

Une pharmacie n’est pas un coffee shop. Pourquoi pas un Steribox® offert pour l’achat de 2 Néo-Codion® ? Mais s’il y a de la place pour une zone confidentielle dans l’espace client, pourquoi pas.

Y a-t-il une certaine distance professionnelle à conserver, et si oui, quels sont les signaux annonciateurs du franchissement de la ligne jaune ?

Il y a toujours une barrière professionnelle à conserver. Bien sûr, il n’est pas interdit de se faire des amis, mais alors ce ne sont plus vraiment des clients. Il faut garder une certaine autorité pour bien gérer les situations. Chacun à sa place, et respect mutuel. Trop de complicité ou de confiance, et c’est souvent le dérapage. On avance une boîte, puis 2, et ça part en vrille. Donc respect des règles de délivrance, même si on se trouve sympa…

Quel a été ton plus grand stress ?

Pierre-Demeester-cocardéJ’ai une jolie photo de moi avec 2 yeux au beurre noir qui en témoigne douloureusement. Une ordonnance refusée pour un motif que je trouve maintenant futile (date d’ordo périmée), le type s’énerve vraiment, moi aussi, les flics débarquent, le sortent difficilement, et le laissent partir. La voiture de police reste un petit moment devant l’officine au cas où et… part. Cinq minutes plus tard, le gars revient fou de rage, fait le tour du comptoir et… boum. C’est le métier qui rentre, j’ai tout fait de travers. Une autre fois, un tox rentre dans l’officine, il vient de s’ouvrir les veines du poignet dans un coup de déprime. Ça pisse le sang de partout à gros jets. Je me jette dessus pour faire un point de compression et limiter l’hémorragie en attendant les pompiers. Dans l’urgence, je ne prends pas de précautions, pas de gants, rien. J’ai du sang un peu partout. Rien de grave, mais gros flip quand même.

Un souhait d’évolution de la réglementation concernant les stupéfiants ?

Pas d’assouplissement sur les règles de délivrance, il faut rester dans un cadre strict qui limite les excès. Par contre, il faut changer les obligations de gestion des stups par les pharmaciens. Ras-le-bol des registres, balances de stock, inventaires, fractionnements, et autres galères. On n’a vraiment pas que ça à faire, et ça retient les trop rares pharmaciens qui voudraient se lancer dans l’aventure.

Nom d’un pharmacien !

Ça y est ! Après le redoutable marathon législatif habituel Assemblée Nationale / Sénat / re Assemblée Nationale, le PLFSS ou Projet de loi de financement de la sécurité sociale a été enfin voté par les sénateurs. La Chambre haute a donc clos les incertitudes entretenues sur la légalité de ce satané nom du pharmacien, inscrit en toutes lettres et EN TOUTE ILLÉGALITÉ, sur de nombreuses ordonnances de traitement de substitution.

Résumé des épisodes précédents : jusqu’à aujourd’hui, le fait d’inscrire le nom d’un pharmacien sur une ordonnance relève de ce que la loi française condamne sous le savoureux vocable de « compérage » : entente délictueuse entre deux professionnels en vue de tromper les pratiques. En l’espèce, les deux « compères » sont le médecin d’un côté, le pharmacien de l’autre, tous deux, facteur aggravant, dépositaires d’une mission de santé publique. Le « compérage » est alors matérialisé par l’impossibilité où se trouve le consommateur de buprénorphine ou de méthadone d’aller dépenser son argent chez tel ou tel commerçant – quitte à changer d’avis au dernier moment. C’est précisément cette liberté qui est visée par le projet de loi voté par les sénateurs, et qui stipule l’obligation pour le médecin de mentionner le nom du pharmacien sur l’ordonnance.

Enseigne-pharmacie-5Pour devenir une réalité tangible dans la vie des usagers, ce projet de loi doit désormais faire l’objet d’un décret d’application. Un décret actuellement sur le bureau du ministre, autant dire qu’il est à la signature. Nous avons déjà protesté, officiellement et à plusieurs reprises, contre ce qui nous semble être une erreur de méthode. Le souci, louable, d’aplanir les difficultés réelles de communication entre usagers et personnel des officines risque, en effet, de déboucher sur l’accroissement des quiproquos et des inévitables disputes qui devrait en découler. Car s’il est souhaitable que le prescripteur établisse un contact téléphonique avec le pharmacien désigné, faire de ce préalable une obligation, risque d’augmenter considérablement les sources potentielles de conflit. Les patients, lâchés dans la jungle officinale en quête d’un professionnel compatissant vont donc devoir se rabattre sur des pharmacies « labellisés », ayant leur nom dûment mentionné. Quid de l’inattendu, de l’improvisation, du départ en vacances ou en week-end amoureux, de l’enterrement de la grand-mère, de l’engueulade avec le nouveau préparateur ? Notre inquiétude est partagée par de nombreux pharmaciens dont Jean Lamarche, président de l’association Croix verte et ruban rouge.

En matière de réglementation aussi, le mieux peut être l’ennemi du bien.

Les tribulations d’un « méthadonien » à Madrid

En Espagne, méthadoniennes et méthadoniens font le pied de grue dans des programmas de tratamiento (centres de traitement) mis en place, comme en France, dans la foulée de la lutte contre le sida des années 90. Néanmoins, au quotidien, le train-train des patients n’est pas exactement celui des vacanciers de la Costa Brava. Vamos à la métha !

Madrid, 10h45

Comme chaque matin, je me rends à mon CADE (Centro de Atencion para Drogodependientes, centre de soins pour toxicomanes) pour prendre ma dose quotidienne. J’espère que le bus ne va pas tarder à arriver, car si je me pointe après 11h31 je suis bon pour attendre la réouverture à 12h15. Alors que le CADE n’ouvre que le matin de 8h30 à 13h30, il faut en effet jongler avec les horaires pour ne pas se casser le nez : premier obstacle ! Bien que ces centres soient publics, chacun d’eux a son propre mode de fonctionnement. Pour commencer, il existe de sacrées différences entre usagers d’une même région car, suivant où tu vis, tu peux y aller soit toute la journée, soit seulement le matin, et pour certains CADE (en grande banlieue), ça se réduit à 1⁄2 heure ! Cela prouve au moins que tout le monde n’est pas traité sur un pied d’égalité.

Aujourd’hui tout baigne, je suis arrivé dans les temps devant le bâtiment reconnaissable par sa fresque murale dans les tons bleu nuit, genre grande ville à la new-yorkaise. À l’entrée, un panneau indique clairement la fonction de cet endroit : « Centre d’addictions ». Il y a toutes sortes de gus dans mon centre, d’abord ceux qui y vont pour la coke et le cheval, ensuite les accros aux cachetons (amphés, tranquillisants), les alcoolos, et même les joueurs ! Avec la prolifération dans tous les cafés de machines à sous, la ludopathie s’étend et touche toutes les classes sociales, mais surtout les plus défavorisées, genre mère de famille qui craque tout le blé des courses du mois !

La carotte et le bâton

Devant, assis sur les marches, des habitués fument une clope ou parlent entre eux sous le doux soleil d’octobre. J’échange un regard complice avec Juan (tous les prénoms de cet article sont fictifs), on se voit souvent ici. On se connaît depuis le temps où j’allais « pécho » dans les bidonvilles gitans (lire l’article Las Barranquillas, supermarché des drogues version ibérique publié dans le n°31 d’Asud-Journal) et où on se fumait ensemble un alu (En Espagne, sida oblige et attrait de la base aidant, le gros de la conso de coke et de cheval se fume). Aujourd’hui, Juan est un peu emmerdé car il a peur qu’on lui demande de faire une analyse d’urine sous contrôle : généralement, une personne mate le patient à travers une vitre sans tain, sans tenir compte de son sexe, bonjour l’humiliation ! En ce moment, comme il n’arrive pas à avoir des résultats négatifs aux tests qui sont obligatoires tous les 10 jours pour l’héro et la coke, et ayant la malchance d’être suivi par un médecin moins cool que les autres, il sent qu’on va l’obliger à revenir tous les jours pour prendre sa dose de métha (à Madrid, c’est le seul produit de substitution, il n’y a donc pas de Subutex® et autre Skénan®), alors qu’il avait péniblement obtenu de l’avoir 1 fois par semaine. Bien sûr, officiellement, il ne s’agit pas de le punir, mais c’est soi-disant un problème de confiance. Il paraît que l’on ne peut pas donner 7 doses de métha à un mec qui se défonce, car il pourrait les prendre d’un seul coup ou les vendre ! On peut en douter. D’une part, résultats négatifs ou pas, quand tu dois quitter Madrid (preuves à l’appui), le CADE peut te filer jusqu’à 1 mois de traitement ! D’autre part, les vendre ne t’assurerait pas, ni en fric ni en durée, la même « couverture » qu’avec la métha ! Non, en vérité, ils pensent qu’en appliquant la réglementation à la lettre, tu vas être plus raisonnable, alors que ce système de carotte et de bâton ne peut marcher que dans… 10 % des cas…

« Alors, ça va ?, me demande le pote.
— On fait aller, je réponds laconiquement.
— Tu connais personne qui a une caisse ?
— Non, mais si tu attends un peu c’est l’heure où José le cundero (« Taxi » de la drogue qui t’emmène pour 4 €) vient prendre sa métha. Tu vas aller pécho ? Moi, j’essaye d’être sérieux, cela fait presque 3 mois que je ne prends que de la métha. Mais ils ne me la donnent pas encore une fois par semaine, et ils m’obligent à venir comme avant tous les jours ! Ah, si on réagissait tous ensemble, on pourrait déjà les obliger à ne plus nous traiter comme des mômes !
— Ben dis donc, t’es speed ce matin ! J’comprends que t’aies les boules. Moi au moins, j’me défonce à la base et un peu au bourrin, quelle merde ce système. Tu te souviens quand ils m’ont dit de m’démerder pour trouver un boulot « compatible avec la méthadone » quand je me plaignais des horaires d’ouverture !!
— Ouais, encore un bâton dans les roues. Bon, il faut que je rentre pour la prendre. Fais gaffe à toi quand même. »

ASUD33 Les tribulations d'un méthadonien à Madrid 2Poissons dans un aquarium

Avant de pousser la porte du centre, je regarde en arrière, et je vois soudain deux types sortir d’une caisse. Leur dégaine jeune et pseudo cool ne me trompe pas : ce sont des flics en civil, des chapas comme on dit par ici ! Ils arrêtent un gars qui sortait au même moment, et l’embarquent après lui avoir mis les menottes. Bien que la scène ne soit pas courante, je l’ai déjà vue, car c’est bien sûr plus pratique d’arrêter le suspect là où il doit venir prendre sa métha que d’essayer de le choper chez lui ou dans la rue. Tout s’est fait sans que personne ne bronche, et surtout pas le personnel du centre ! Seul hic dans l’histoire, cela n’encourage pas les futurs patients à venir suivre le programme de substitution. Encore une belle incohérence ! Je finis par rentrer dans le centre : l’atmosphère est aseptisée, froide, il y a même un vigile pour assurer le service d’ordre. Tout est nickel, des meufs, derrière leur vitre comme des poissons dans un aquarium, prennent les rendez-vous et s’occupent du côté administratif. On se croirait dans une banque. Tout est fait pour le confort du personnel, même si ce n’est pas très cool pour nous. On a l’impression d’être des pestiférés. On a beau dire que c’est pour notre bien et qu’un grand nombre d’entre nous ayant des défenses très basses, nous sommes plus vulnérables face aux microbes des gens bien portants, je n’y crois pas. Quelle hypocrisie ! Ces vitres sont évidemment là pour protéger le personnel administratif et sanitaire (distribution de métha, analyses d’urine…), tant au niveau d’éventuelles agressions que pour limiter les contacts. Seuls le médecin et le psy circulent librement !

Je fais la queue pour prendre ma dose journalière. Le vigile quitte son bureau d’où il matait les extérieurs avec un circuit de vidéosurveillance pour venir près de nous, on ne sait jamais ! C’est enfin mon tour. J’en profite pour demander des préservatifs et, comme d’habitude depuis 3 mois, on me répond qu’il n’y en n’a plus par manque de crédits. Vu que beaucoup d’entre nous sont séro et/ou porteurs du virus de l’hépatite C, cela paraît un peu léger. Du fric, il y en a pourtant bien eu pour refaire tout le centre à neuf…

Puis, je vais au comptoir où j’essaye de prendre un rencard avec le toubib, et surtout avec le psy de mon équipe. Véritable mission, impossible avant la fin du mois ! Les deux équipes de 4 membres (1 médecin, 1 psy, 1 infirmière et 1 assistante sociale) sont, en effet, nettement insuffisantes pour assurer le suivi raisonnable de XXX patients, et tous sont débordés, surtout le psy !

Pour un pays qui a la réputation d’être à la pointe du progrès en matière de drogues, la distribution de produits de substitution reste timorée en Espagne, coincée entre la méfiance des uns et la paranoïa des autres. Malgré les quelque 160 000 traitements métha (pour une population de 30 millions d’habitants), la question des drogues reste un souci majeur pour la société espagnole. D’autant que, comme en France, le challenge à relever ces prochaines années sera de faire face à l’explosion du marché de la base.

Y-a-t-il une vie après la Méthadone ?

substitutionPour tout savoir et échanger sur les traitements de substitution opiacés rendez vous sur la Plateforme Substitution d’ASUD.

C’est la question que bien des usagers se posent après quelques années de traitement et multiples tentatives réussies ou non pour y mettre fin. Deux témoignages radicalement opposés illustrent toute la diversité des réactions individuelles.

Samia, 32 ans, 10 ans d’héroïne

J’avais 10 années d’héro derrière moi et de plus en plus de mal à assurer mon demi-gramme quotidien lorsque j’ai décidé de me mettre à la substitution. Au début, tout ce que je voulais, c’était déjà ne plus avoir à me prendre la tête avec le manque, le fric et le plan à trouver ! Le reste, on verrait plus tard…

J’ai commencé par le Moscontin, du costaud : 6 à 700 mg par jour. Ça allait bien, trop bien même, car j’ai vite découvert comment le shooter. Mais je me suis aperçue que, même si ça m’avait permis de quitter le circuit came/dealers/fric, je ne voyais pas où cela me menait de passer mon temps à me faire des trous en guettant le flash !

Alors je suis passée à la Métha et là, j’ai pu “faire le deuil” de la shooteuse et de la défonce. Ce qui était mon véritable objectif… Pas maso pour autant, j’ai commencé avec un gros dosage : je suis restée à 100-mg pendant un an… Je voulais faire le pas suivant et me suis mise à réduire peu à peu, par 5 ou 10 mg, jamais plus. Et ça allait, à part quelques insomnies. Il m’a fallu un peu plus d’un an pour redescendre à 20 mg et encore six mois pour arriver à 5 mg.

Puis, j’ai décidé d’arrêter : ça n’avait aucun sens de rester prisonnière (à vie ?) de cette toute petite dose de 5 mg qui, de toute façon, ne me faisait plus aucun effet. Je pensais que ce ne serait qu’une formalité : à ce stade, cela ne me ferait plus ni chaud ni froid de tout arrêter du jour au lendemain. Erreur, lourde erreur !

En réalité, j’ai commencé par me farcir une semaine de manque grave… Pas à me taper la tête contre les murs, non, mais le mal de dos, les courbatures, les insomnies persistantes…

C’était comme si tous mes problèmes de santé “suspendus” depuis quel-ques années me tombaient
dessus d’un seul coup !

Et puis j’étais à cran, déprimée, fatiguée en permanence, mais pas au point de m’empêcher de sortir et d’aller bosser. Disons que j’arrondissais un peu les angles avec du Prozac, des somnifères légers et aussi avec un peu de shit et de l’alcool…

Il m’a bien fallu quinze jours pour commencer à me sentir un peu mieux… et puis tout à fait bien, et voilà ! Ça fait maintenant sept mois que je ne prends plus rien.

Ce que je conseillerais à ceux qui, comme moi, veulent arrêter la Méthadone sans avoir à passer par une vraie cure de décroche, c’est de baisser en douceur, surtout pour les derniers milligrammes, en prenant des trucs pour dormir. Et aussi de ne pas rester trop longtemps sous Métha-: c’est encore plus dur après. Trois ans, pour moi, c’était trop !

Au fond, le seul intérêt de la Métha, c’est de n’en avoir aucun – au niveau de la défonce. Ce qui fait qu’on est naturellement amené à baisser les doses et à arrêter.

Si on veut juste une “maintenance” pour se défoncer sans risque et gérer ses flashes sur ordonnance, ce n’est pas de la Métha qu’il faut. Moi ce que je voulais, c’était arrêter la drogue, redevenir performante, avec la pêche, quoi !

Là oui, la Métha a été positive. Peut-être aussi parce que j’ai eu la chance de l’avoir presque tout de suite en médecine de ville, ce qui m’a donné une certaine liberté. Je ne crois pas que j’aurais supporté les contraintes d’un centre.Le psychosocial, non merci !

substitutionPour tout savoir et échanger sur les traitements de substitution opiacés rendez vous sur la Plateforme Substitution d’ASUD.

Frank, 40 ans, 20 ans de came et 5 années sous substitution

Malgré les conseils de prudence de mon toubib, j’en étais arrivé, sans trop de mal, à descendre des 120 mg de Métha par jour à la moitié d’un flacon de 5 mg. Ça ne me faisait plus rien ; restait la contrainte du rendez-vous hebdomadaire chez le docteur et ces quelques gouttes de sirop poisseux à avaler (beurk !) tous les matins. Il était temps d’en finir pour de bon !

Je devais partir un mois avec ma copine en Corse et je pensais que c’était l’occasion de couper le cordon ombilical. J’ai donc laissé mon stock de Métha (que j’avais économisé en réduisant peu à peu) à Paris, n’emportant que 10 petits mg et un bout de shit : mes doses pour 4 jours, histoire de passer le cap en douceur. Je pensais que ça irait puisque cette mini dose n’avait plus (c’est ce que je croyais !) qu’un effet psychosomatique ; dont ces vacances m’aideraient définitivement à me passer.

La première semaine a été super : plage déserte, p’tits joints, couchers de soleil sur la mer, etc. J’avais réussi à baisser encore les doses, si bien que ma quantité de Métha m’a duré 6 jours. A peine si je sentais une légère appréhension à la veille du 7e jour, lors du grand plongeon ! C’est sans doute pour cette raison que, ce soir-là et le lendemain, j’ai poussé un peu sur les joints et le rosé de pays.

Je tenais une solide gueule de bois au réveil du 8e jour ! Car c’était bien la gueule de bois, ces nerfs à vif, ces nausées, ces bâillements à répétition, ces migraines et ces courbatures, ce mélange de fébrilité et de fatigue écrasantes ? J’ai essayé de m’en persuader tout au long de la journée, jusqu’à ce que, mon état ayant empiré, je me rende à l’évidence tant redoutée : je me tapais une sérieuse crise de manque ! Bon, je me suis dit que ce n’était qu’un mauvais moment à passer, que je n’avais qu’à serrer les dents etc. Quand, au bout d’une soixantaine d’heures, j’ai commencé à faire des crises de tétanie, à me vider par tous les trous, j’ai compris que je n’y arriverais pas et qu’il fallait faire quelque chose.

Consternée, ma copine décide alors de partir faire la tournée des pharmacies des villages du coin. Après une journée d’autostop et pas mal de rebuffades (sur cette île de Beauté, les toxicos n’ont pas vraiment la cote), elle finit donc par ramener quelques boîtes de Néocodion : ouf !

Ça m’a suffisamment requinqué pour retourner à Bastia, où j’espérais vaguement trouver un toubib… Mais, pour éviter la tentation, j’avais laissé à Paris mon stock mais aussi mes ordonnances, lettres, etc. , bref tous les papiers susceptibles de me permettre un dépannage d’urgence.

Après quelques coups de fil et un rendez-vous avorté nous nous sommes aperçus qu’il valait mieux ne pas compter sur les médecins corses pour une ordonnance de Moscontin ou de Skénan. Alors, comme les pharmaciens étaient de plus en plus réticents pour le Néocodion, auquel je reprenais goût à toute vitesse – oui, c’était crade mais au moins ça défonçait ! – on est rentrés à Nice. Je pensais y trouver un médecin qui me prescrirait de quoi repartir en Corse sans problème, mais… … Mais au lieu de trouver le toubib qu’il ne cherche que mollement (notre ami a repris goût au truc !), c’est sur un dealer que Frank finit par tomber en débarquant sur le continent : un gramme, puis un autre, puis…

On n’arrivait plus à décoller de Nice. C’est seulement quand tout l’argent des vacances a fini par passer dans la came (et aussi un peu de coke : quitte à faire la teuf, au point où on en était…)… Bref, au bout d’une semaine, il a fallu rentrer à Paris. Ma copine était furieuse et moi, la queue entre les jambes, je me retrouvais frustré et accro comme une bête – à nouveau !

La suite ? Après une explication orageuse avec mon toubib, il a bien fallu reprendre de la Métha, à 60 mg, cette fois-ci. Tout était à recommencer.

Maintenant, quand je pense à l’avenir, je ne sais plus comment je vais faire. Je me sens pris au piège.

La prescription des psychotropes n’est pas une science exacte

Tribune à Anne Coppel, sociologue et soignante dans deux centres Méthadone à Paris et présidente de l’Association française de réduction des risques (AFR). Son analyse progressiste en matière de substitution et RDR bouscule quelques idées reçues tant du point de vue des prescripteurs que des usagers.

Il y a maintenant dix ans, lorsque j’ai commencé à travailler avec la Méthadone, j’étais persuadée, comme presque tous les soignants français, que la meilleure posologie était la plus basse possible. Je me souviens de mes hésitations et des longues négociations avec les usagers pour une augmentation de 45 mg à 50 mg ou encore de ma satisfaction quand l’usager demandait lui-même de baisser de 40 mg à 35 mg… Je connaissais les études américaines qui démontraient l’utilité des hautes doses mais je soupçonnais les Américains de transformer la Méthadone en une sorte de camisole chimique. J’opposais à ces statistiques le simple bon sens mais aussi l’expérience clinique : il y avait, bien sûr, des usagers qui réclamaient “toujours plus” (ce qui, même à cette époque, ne me gênait pas) mais il y avait aussi “les bons patients”, ceux qui se sentaient débordés par leur consommation et se satisfaisaient des petites doses en témoignant qu’à partir de 40, voire 45 mg, ils ne ressentaient pas les effets du manque.

Comme la plupart des soignants, j’ai changé de conviction, non sans mal : car la posologie n’est pas une question anodine. Toutes mes croyances ont été bouleversées : sur l’usage, sur la dépendance, sur les traitements…. Première révolution culturelle : l’objectif du traitement ne se limite pas à la sortie de la toxicomanie.

Si la prescription améliore la santé de l’usager, si elle lui permet de vivre avec moins de souffrance, moins d’exclusion, en choisissant son mode de vie, si la mortalité baisse, alors il s’agit bien d’un traitement médical. Que l’usager puisse en tirer du plaisir ne change rien à l’affaire.

L’autre bouleversement dans mes croyances porte sur le traitement de la dépendance. Pendant toutes les années où le sevrage était l’unique traitement, tous – soignants, entourage, répression – encourageaient les usagers dépendant d’un opiacé à multiplier les tentatives de cure. L’usager était dépendant, c’était simple, il fallait qu’il s’arrête. Les rechutes étaient attribuées à l’absence de volonté de l’usager (ou à sa mauvaise volonté). Là encore, les croyances partagées par la plupart des soignants et usagers faisaient illusion. Les usagers dépendants d’un opiacé peuvent se passer d’opiacé pendant un temps, contraints (problème d’approvisionnement, incarcération) ou consentants.

substitutionPour tout savoir et échanger sur les traitements de substitution opiacés rendez vous sur la Plateforme Substitution d’ASUD.

La meilleure façon de traiter la dépendance, c’est de l’accepter pour la contrôler

Mais la succession de ces sevrages-rechutes a pour premier effet de déstabiliser l’usager, qui perd toute confiance en lui-même alors qu’elle renforce la dépendance, comme le montre l’expérimentation animale. Plus le rat a connu des successions de dépendance-sevrage, plus le sevrage est difficile. Nous ne sommes pas des rats mais pour les humains, également, il semble bien que plus nombreuses ont été les tentatives de sevrage, plus difficiles ont-elles été à vivre – jusqu’à devenir non envisageables.

Peut-être découvrira-t-on un jour une pilule miracle qui traite toutes les dépendances (on en parlait cet été…). Pour le moment, la meilleure façon de traiter la dépendance est d’abord de l’accepter afin d’en reprendre le contrôle, que ce soit pour vivre avec ou pour s’en défaire à terme. Les hautes doses permettent d’éviter les hauts et les bas qui renforcent la dépendance. Il ne s’agit pas seulement de supprimer tout signe de manque mais d’offrir à l’usager un confort suffisant, qui peut contribuer, s’il le souhaite, à mieux contrôler le désir d’ivresse (de défonce). Par exemple, prévenir (ou récupérer après) des épisodes d’abus de cocaïne ou d’alcool. Si l’usager le souhaite : même les hautes doses ne fonctionnent pas de façon automatique comme des antibiotiques….

Tous les patients en traitement de substitution ne souhaitent pas renoncer à l’usage (ou à l’abus) de drogues licites ou illicites. Certains utilisent les traitements de substitution comme filet de sécurité pour éviter le manque tout en continuant à consommer de l’héroïne ou d’autres drogues, régulièrement ou occasionnellement. Dans ce cas, les petites doses conviennent mais l’usager doit être informé qu’il entre dans un usage sans doute mieux maîtrisé mais chronique. Ceux qui souhaitent arrêter toute consommation de drogues – il y en a – ont tout intérêt à rechercher un confort suffisant et pas uniquement l’absence de symptômes de manque.

La souffrance (ou simplement l’effort de volonté) n’est pas bonne conseillère en la matière. Si la dépendance aux opiacés est bien installée (pas ou peu de périodes d’abstinence sur les années précédentes), il faut accepter l’idée d’un traitement long avec des doses de confort. A défaut, les rechutes sont programmées.

La posologie dépend donc en partie de l’objectif fixé au traitement. Elle dépend plus encore de ce que ressent l’usager qui est, comme pour tous les psychotropes, extrêmement variable d’une personne à l’autre. Seul le patient peut dire si l’anxiété, la dépression ou le désir de drogues sont diminués par le traitement. Comme le montre l’excellent livre de Philippe Pignarre*, les médicaments psychotropes ne sont pas exactement des médicaments comme les autres : la subjectivité des patients ne peut être évacuée.

Question difficile à éluder : l’objectif du traitement

Les médecins ne sont pas formés à consulter leurs patients. Ils ont, au contraire, appris que le médicament est efficace précisément parce qu’il fonctionne quel que soit le patient ou le thérapeute ; le traitement s’impose donc de lui-même sans discussion possible, au nom de la rationalité scientifique. Le pouvoir médical y trouve sa justification.

Dans le domaine du sida, les associations de malades ont su imposer au corps médical le point de vue du patient, mais négocier avec un médecin le choix d’une stratégie thérapeutique nécessite le développement d’une expertise. Dans le domaine de la prescription de psychotropes, la négociation devrait être plus aisée puisque la prise en compte de ce qu’éprouve le patient est incontournable alors que la consommation de drogues implique de développer une véritable expertise sur les produits et leurs effets.

Il faut reconnaître que cette négociation reste dans bien des cas difficile, voire impossible à mener. Il y a de multiples raisons à cela. Certaines relèvent banalement de la relation médecin-malade. D’autres tiennent à l’histoire des relations entre les usagers de drogues et le monde médical, dans une époque pas complètement révolue, où il s’agissait d’extorquer au médecin le produit convoité, à l’insu-de-leur plein-gré, s’il le fallait. Phillipe Pignarre donne l’exemple d’une de ces confrontations à la prison de Fresnes lors d’une consultation dont l’un des enjeux est l’acceptation du statut de malade. Les deux interlocuteurs, le médecin et le détenu, discutent, expertise contre expertise, proposition de traitement psychiatrique contre demande de soulagement de la douleur (ou recherche de plaisir ?). Mais la discussion se mène uniquement par médicaments interposés : « Dehors, je prenais du Néocodion », rappelle le détenu. Ce à quoi le médecin répond par le refus de prescrire les médicaments « auxquels on s’accroche ». Il propose alors de la Vicéralgine. Mais le détenu revient à la charge « Avant, je prenais du Tranxène 50. » Le médecin propose alors du Tercian. « Vous n’allez pas me prescrire des médicaments qui font gonfler », s’indigne l’usager. Et le médecin de se résigner à prescrire du Lysanxia : « Je ne peux assumer ici une position curative-éducative, je prescris a minima pour assurer un certain confort et le calme ». Cet échange, résumé ici faute de place, évoquera certainement des souvenirs à des lecteurs. L’avènement des traitements de substitution a modifié le dialogue.

Reste la difficile question : qui définit l’objectif du traitement. Sur ce terrain, le médecin qui n’obtient pas l’adhésion de l’usager est perdant à terme. Le médecin peut imposer le choix d’un médicament ou d’une posologie mais il ne peut empêcher l’usager de poursuivre ses consommations. Nombre de pratiques médicales restent contre-productives (confusion entre traitement et récompense-punition, avec réduction des doses en cas de consommation de drogues), mais ces pratiques renvoient en miroir à celles des usagers qui disqualifient d’entrée le médecin en refusant à la prescription le rôle de traitement.

Il est clair que le statut illégal des drogues fausse en grande partie le dialogue. L’alcoolique qui consulte un médecin sollicite clairement un soutien thérapeutique. L’usager de drogue recherche-t-il le produit interdit ou bien demande-t-il un soutien thérapeutique ? Pour certains, la réponse est claire dans un sens ou dans un autre mais l’ambivalence est relativement fréquente (c’est également vrai pour celui qui a des problèmes d’alcool) et le bon thérapeute accepte de travailler avec cette ambivalence. Quoi qu’il en soit, aller voir un médecin, c’est, au moins lui reconnaître le désir d’améliorer la santé de son patient. On ne peut demander à un médecin de résoudre la question du cadre légal.

Il est tout aussi illusoire d’exiger que la consultation soit menée dans le cadre d’une négociation tripartite (médecin-patient-associations d’usagers). Il appartient aux associations de veiller à ce que le droit des patients soit respecté mais tout dans la relation soignant-soigné ne relève pas de la question du droit. Reste à imaginer le cadre dans lequel des représentants d’usagers peuvent être entendus (par exemple, dans les conseils d’administration ou réunions spécifiques).

Le médecin qui n’obtient pas l’adhésion du “patient” est perdant à terme

Une bonne négociation implique aussi d’accepter de confronter son expérience personnelle avec d’autres niveaux d’expertise : recherches pharmacologiques ou biologiques mais aussi expérience clinique. Le soignant n’est pas seul à être prisonnier de ses croyances. Ce que l’usager ressent est également influencé par ce qu’il croit. On sait par exemple que les circonstances dans lesquelles les psychotropes sont consommés (seul, avec des amis… ) en modifient les effets. C’est particulièrement net pour le cannabis ou le LSD mais les effets sont également influencés par la façon de consommer (fumer/injecter) les doses.Et enfin par les attentes. La cocaïne en sniff occasionnel et shootée à raison de 5 gr par nuit sont deux produits différents. Il aura fallu des examens qui évaluent la Méthadone restant dans le sang après 24 h pour prendre conscience de l’importance des écarts selon les personnes. Ces usagers, antérieurement gros consommateurs d’héroïne, continuaient à se sentir mal avec la Méthadone mais ne pensaient pas à demander l’augmentation des doses, qui s’est révélée nécessaire. Il n’est pas plus de science exacte dans l’usage de drogues que dans le traitement.

Les confrontations entre expérience de la consommation, études et recherches scientifiques et expériences cliniques sont incontournables. Les accepter, c’est oeuvrer à une alliance thérapeutique qui est de l’intérêt de tous.

*Philippe Pignarre, Puissance des psychotropes, pouvoir des patients. PUF 1999.

Décrocher de la méthadone

extrait d’ASUD Journal n° 13 (hivers 1997-98)

substitutionPour tout savoir et échanger sur les traitements de substitution opiacés rendez vous sur la Plateforme Substitution d’ASUD.

 

La méthadone n’accroche pas plus que l’héroïne, elle accroche différemment. Avec une méthode et de la discipline il est tout à fait possible d’arrêter. Putain ! Qu’est-ce que ça accroche la métha ! Voilà une phrase qu’on entend de temps en temps.

La méthadone est un morphinique très puissant. Voyez les dosages : 80mg à 100mg de métha suffisent en moyenne pour remplacer 400-500 mg de Sulfate de morphine (Moscontin ou Skénan). Et ceux qui se sont retrouvés en manque à de telles doses de morphine savent que ce n’est pas une partie de plaisir. Il y en a même qui affirment que le Moscontin accroche plus que l’héroïne. Ces deux drogues accrochent exactement de la même façon.

metha1

500mg de Moscontin correspondent à 1/2 gramme de morphine pure. Mais rares sont ceux qui actuellement peuvent prétendre s’envoyer un demi-gramme d’héroïne pure surtout s’ils achètent la poudre dans la rue. Avec une drogue à 10% (ce qui n’est pas si mal) il faut consommer 5 grammes par jour pour avoir l’équivalent d’un demi-gramme d’héroïne pure.

Donc si vous preniez un gramme de dope de la rue et que vous êtes substitué à 80 mg, vous êtes ce qu’on appelle confortablement dosé. Mieux vaut alors éviter de vous retrouver en manque de métha.

Le manque de méthadone (8 à 10 jours) dure plus longtemps que le manque de l’héroïne ou de la morphine (4-5 jours).

Avec la métha, le manque met longtemps à venir. Il faut en général environ 36 à 48h après la dernière prise avant de commencer à se sentir vraiment mal et ensuite on a l’impression de ne jamais en voir le bout. Ceux qui se sont retrouvés en taule, par exemple, en rupture de méthadone en savent quelque chose.

Il faut savoir que la métha est un produit fort avec un mode d’action particulier dont il faut tenir compte.

Lors d’un traitement à la méthadone il est essentiel de trouver votre dosage personnel optimum. 80, 100 mg pour les uns, 60 ou même 40 mg pour les autres. Si certains aiment bien se sentir « confortables « , ils en ont le droit s’ils sont bien ainsi, d’autres par contre, veulent simplement être « opérationnels « , en forme.

Nous aimons bien cette phrase du Dr Deglon, spécialiste suisse de la méthadone :

 » Quand un patient est correctement dosé, personne, pas même lui, ne devrait remarquer qu’il est sous l’effet de la méthadone. ! « .

Pour certains, la méthadone sera un programme de maintenance qui peut durer quelques années et même toute la vie et pour d’autre la méthadone sera une étape progressive vers l’abstinence. C’est vous qui décidez. Le principal c’est de prendre ses distances avec la galère, se projeter dans l’avenir et se donner les moyens de réaliser ses projets.

substitutionPour tout savoir et échanger sur les traitements de substitution opiacés rendez vous sur la Plateforme Substitution d’ASUD.

Baisser la méthadone et décrocher de en douceur

metha3Une fois que vous avez trouvé votre vitesse de croisière, c’est-à-dire votre dosage de confort, restez-y et occuper vous de mettre de l’ordre dans votre vie. NE CHERCHEZ PAS A BAISSER TROP VITE. La méthadone correctement dosée permet à votre cerveau et système nerveux de retrouver un véritable nouvel équilibre, préservez-le. Quand vous vous sentirez prêt, et uniquement à ce moment, (parlez-en avec un thérapeute de confiance), baissez doucement. En principe, par paliers de 5 mg, jusqu’à 30-40 mg, ça ne pose pas de problème. Ensuite, il faut être pragmatique et faire un petit calcul.

Lorsque vous passez de 50 à 45 mg vous baissez de 5mg, soit 10%, mais lorsque vous passez de 25 à 20 mg, vous baissez d’environ 20 %. (Cinq mg enlevés de 25mg = 20% en moins), ce qui pour l’organisme est plus éprouvant. Votre corps ne réagit pas en terme de milligrammes mais de proportions.

Par exemple, passer de 10 mg à 5 mg, c’est-à-dire réduire de moitié, ce peut être très dur. (C’est un peu comme si vous passiez de 50 à 25 mg d’un coup.)

Donc si vous voulez arrêter en douceur, ce qui est vivement conseillé, ne baissez jamais de plus de 10% à la fois. Voici comment procéder:

Méthode 1

Sur 10 semaines avec des flacons de 5, 10 ou 20 mg. Ces flacons contenant la même dilution, c’est facile de doser.

Pour cela, servez-vous d’une seringue à insuline graduée, en sachant que 1mg de cette méthadone = 30 unités (U), c’est-à-dire moins d’un cc.

De 20mg à 10 mg, baissez de 2 mg = 60 U.

De 10mg à 0 mg, baissez de 1 mg = 30 U.

10% par semaine semblent être un bon rythme, à vous de l’adapter. Et souvenez-vous : Qui va piano, va sano.

Méthode 2 (A la chinoise)

Sur 10 semaines avec des flacons de 60 mg. Pour ceux qui préfèrent les méthodes exotiques, il existe une autre et très ancienne méthode. « La décroche à la chinoise « . C’est ainsi qu’on arrêtait l’opium chez les fils du ciel.
Admettons toujours, que vous avez réussi à baisser jusqu’à 20 mg/jour.

  • Il vous faut 15 flacons de 60 mg (15ml) de méthadone, soit 900 mg.
  • 1 bouteille vide
  • 1 préparation bien sucrée de sirop d’orange (genre Teisseire)
  • Une seringue ou un doseur de 5 cc ou 5 ml

Versez les 15 flacons de métha tous dans la bouteille, ensuite, le premier jour, avec la seringue, dosez 5 ml, soit 20 mg, buvez le contenu de la seringue remplacez la quantité bue, soit 5 ml, par la même quantité de sirop. (Versez le dans la bouteille contenant la métha).

Faites de même chaque jour. Prenez 5 ml dans la bouteille de métha (chaque fois un peu plus diluée) et remplacez par la même quantité de sirop.

Au bout de 10 semaines ce ne sera plus que du sirop et vous aurez décro sans rien sentir.

Il est recommandé de garder la préparation au frigo , sinon le mélange peut devenir un peu acide.

Bien sûr pour que ces méthodes réussissent il faut être déterminé. Si vous reprenez de l’héro pendant, vous risquez de devoir recommencer à zéro.

Ces méthodes personnalisables ont été pratiquées avec succès par des milliers de gens, surtout en Asie.

En France, jusqu’à présent, ceux qui voulaient arrêter la métha et n’arrivaient pas à baisser, n’avaient souvent pas d’autre choix qu’un sevrage en hôpital avec du Catapressan, des benzodiazépines et autres douceurs préconisées par les psy français.

La « méthode chinoise » est une adaptation du procédé utilisé par les colons français accrochés à l’opium jusque dans les années 50. Ils pratiquaient ainsi avec un tonnelet de Laudanum ou de sirop opiacé. Chaque fois qu’ils en buvaient un verre, ils reversaient l’équivalent du verre d’un liquide quelconque dans le tonnelet. A raison de trois fois par jour, au bout de six semaines, la quantité d’opium ingérée ne subsistait plus qu’à l’état de trace infinitésimale, comme en homéopathie. Souvent « la décroche » se faisait sur le bateau qui les ramenait d’Indochine à Toulon. Le voyage durait 6 semaines. Juste ce qu’il fallait pour arriver sevré en douceur en France.

substitutionPour tout savoir et échanger sur les traitements de substitution opiacés rendez vous sur la Plateforme Substitution d’ASUD.

Goering

On peut également se servir de la méthadone pour décrocher en douceur (et sans douleur) de l’héroïne, selon le même principe, mais plus rapidement (3 à 6 semaines). Après près de 30 ans d’usage massif d’héroïne, de morphine et de dihydrocodéine, le Reichsmaréchal SS Goering, dans sa prison de Londres, a été sevré progressivement à la morphine, sans aucun problème en 6 semaines. Le premier jour de la 7e semaine il en réclamait encore, affirmant qu’il était en manque. A ce moment les médecins lui ont avoué qu’ils ne lui administraient plus que de l’eau depuis une semaine. Celle-ci était un placebo efficace.

La méthadone marche mieux parce qu’elle n’est pas associée au plaisir ni à la seringue.

Réponses à quelques questions anticipées.

Partout où la méthadone est prescrite depuis longtemps (Suisse, Etats-Unis, Hollande, Angleterre….),les traitements qui ont bien marché ont duré en moyenne 4 ans.

Plus vous avez pris de la méthadone pendant longtemps, plus vous avez intérêt à faire doucement et à décrocher progressivement.

Dans tous les cas, si vous pouvez vous le permettre, profitez des vacances ou d’un changement de vie pour décrocher.

Ne JAMAIS arrêter brusquement la méthadone (surtout en cas de dosage important). Certains se sont retrouvé dans un état de confusion et de délire impressionnant et ont fini en hôpital psy.

Ne JAMAIS prendre de Subutex ou de Temgésic par-dessus la méthadone, sous peine de se payer une crise de manque à pleurer sa mère.

Est-ce que c’est vrai que la métha rend impuissant et fait transpirer ?

 

Mettons les choses au clair. Si certains se servent d’un peu ‘héroïne pour baiser, la plupart ont déclaré forfait depuis qu’ils sont bien accro.

Bloodi métha lit captote cachets, ASUD journal n°17 (automne 1999)
Bloodi métha lit captote cachets, ASUD journal n°17 (automne 1999)

Si vous avez un dosage élevé, la méthadone, comme tous les opiacés, affectera votre libido. Par contre, si vous prenez simplement la quantité dont vous avez besoin pour votre équilibre, la méthadone vous rendra normal. Le dosage idéal est celui avec lequel vous vous sentez normal. (C’est quoi normal ?) Les mecs devraient pouvoir bander, baiser et éjaculer normalement. Pour certains c’est d’ailleurs un bon baromètre pour évaluer leur dosage. S’ils en prennent trop ils ont du mal à jouir et s’ils sont sous-dosés, ils jouissent trop vite, comme lorsqu’ils sont en manque. La même chose peut se vérifier chez les femmes.

Pour la transpiration, c’est un peu différent. Il semblerait qu’au delà de 50-60 mg, et surtout au début du traitement on transpire beaucoup. En dessous de 40-50 mg, la transpiration excessive a tendance à disparaître.

D’autres effets indésirables ou légendes urbaines de la méthadone sont décrits ici.

substitutionPour tout savoir et échanger sur les traitements de substitution opiacés rendez vous sur la Plateforme Substitution d’ASUD.

Qu’en est-il de la fameuse lune de miel avec la méthadone ?

La lune de miel, c’est la période un peu euphorique, lorsqu’on on est substitué la première fois. On peut enfin s’occuper d’autre chose que de courir après la came toute la journée, tout en n’étant jamais en manque. Le danger c’est lorsqu’on commence à se faire chier. Souvent au bout de quelques mois à la métha, l’ambiance de la défonce, l’univers glauque du deal, les tunes vites gagnées, le flash que procure la shooteuse commencent à manquer. C’est vrai quoi ! On peut trouver que la métha transforme les UD en gentils toutous qui viennent chercher leur Canigou et faire pipi dans le flacon sous le regard soupçonneux du bon docteur. C’est pas une ambiance très Rock’N’Roll. Certains vont alors chercher leur kif en suçant la queue du diable (c’est ce que les Américains appellent fumer le Crack) et patacrack, ils se retrouvent dans la galère puissance 10. D’autres se mettent à tiser et deviennent des piliers de l’annexe (le café à la sortie du programme). Les plus tristes sont ceux qui gobent les cachetons par plaquettes. Les pires font les 3 à la fois.

Heureusement ces cas de figure ne concernent qu’une minorité, les autres se mettent à bosser, à faire des études, à militer, à tirer des plans sur la comète, refaire le monde, à draguer, à s’éclater…. S’éclater ! en voilà une bonne idée, par exemple … mais de préférence pas avec la cocaïne.

Méthadone shootable

Décidément, les Pays-Bas auront toujours plusieurs longueurs d’avance sur le reste de l’Europe en matière de drogue et de réduction des risques.

Témoin, l’expérience d’avant-garde mise en œuvre depuis avril 1991 par l’Autorité Sanitaire Régionale d’Amsterdam. Il s’agit tout simplement de distribution de méthadone injectable, (jusqu’à 100 mg en 5 ampoules quotidiennes) à un nombre restreint d’usagers particulièrement «lourds» et réfractaires au système normal d’administration par voie orale de cette «drogue de substitution». Giel Van Brusel, responsable du département «drogue» de l’Autorité Sanitaire explique : «L’expérience reste limitée. Nous sommes très prudents pour ce qui est de distribuer de la méthadone injectable. Nous ne voulons surtout pas d’une situation où nous rendrions les gens encore plus dépendants du produit. Pas plus que nous ne voulons donner de tentations à ceux qui veulent s’arrêter… Si nous avons mis cette expérience en route, c’est d’abord pour des raisons humanitaires – par compassion. Nous voulions faire quelque chose pour certains cas qui nécessitent un accompagnement médical plus poussé de la dépendance. En particulier les usagers de très longue date, les gens dont il est clair qu’ils ne peuvent pas s `arrêter de shooter et qui par ailleurs ont de gros problèmes sanitaires et sociaux. Ce programme touche actuellement une dizaine de personnes, mais nous espérons arriver à une cinquantaine…»

Cette distribution d’ampoules de méthadone injectable s’accompagne également d’une distribution de seringues stériles et de conseils de prévention… Mais on peut évidemment se demander à quoi cela rime quand on sait qu’une des raisons d’être des programmes méthadone était, en leur distribuant sous forme buvable des doses quotidiennes de ce puissant substitut de l’héroïne, de permettre aux usagers «accros» de gérer leur dépendance et de subvenir à leur besoin de produit opiacé tout en les détournant de l’usage du shoot, avec tous les risques – en premier lieu de SIDA-qu’il comporte. Alors pourquoi la méthadone injectable ?

Là encore, ce n’est qu’une question de bon sens, de pragmatisme. Les responsables des centres de distribution de méthadone se sont en effet aperçus que quelques uns de leurs clients continuaient malgré tout à prendre de l’héroïne, bien que recevant une quantité quotidienne de méthadone suffisante à leurs besoins. Ils se sont alors demandés ce qui poussait ces irréductibles à agir ainsi, nonobstant les risques afférents à la pratique du shoot. La réponse était simple : la méthadone buvable palliait le manque en leur procurant les effets normaux des opiacés «à vitesse de croisière», mais ne pouvait en aucun cas leur donner le «flash», cet instant de plaisir total, orgasmique qu’on obtient en se shootant.

En somme, la méthadone buvable répondait à leur besoin de produit opiacé, mais ne prenait pas en compte le désir du flash, cette soif compulsive de plaisir que seule procure l’injection intraveineuse. Et c’est pourquoi ces «irréductibles» continuaient à prendre le risque de s’injecter de l’héroïne de la rue, malgré la distribution de méthadone. Face à cette situation, les responsables des services de santé d’Amsterdam ont une fois de plus fait appel à leur traditionnel pragmatisme… et commencé à distribuer de la méthadone injectable.

Au delà de la simple information, au delà de l’anecdote qui illustre bien le réalisme des autorités hollandaises, cette histoire pose une question : celle des produits de substitution et en particulier de la méthadone. Nous y reviendrons longuement dans le N°3 de ce journal.

Méthadone à Barcelone

Il semble que le «tir à l’arbalète» (intraveineuse) n’ait décidément pas droit de cité aux Jeux Olympiques de Barcelone. Pas de toxicos dans les rues pendant les Jeux, ont en effet décidé les autorités de la capitale catalane.

Les pauvres faisaient déjà des cauchemars à l’idée de hordes de camés surgis des ruelles sordides du Barrio­Chino pour aller se shooter en direct devant les caméras du monde entier ou taper une crise de manque au pied des tours High-tech du Village Olympique, avant d’aller harceler pour quelques pesetas les malheureux touristes venus prendre l’air sur les ramblas. C’est vrai que ça aurait- fait désordre – pas bon du tout pour l’image de la future super métropole méditerranéenne du XXlème siècle.

Mais comment s’en débarrasser ? Les emprisonner ? difficile : 40 ans de franquisme ont rendu le pays plutôt chatouilleux sur la question des Droits de l’Homme, fût-il toxico ! Les déporter en masse dans un quartier périphérique comme pour les prostituées et les travelos ? Dangereux ! pas question de créer un ghetto qui tournerait vite au souk à la défonce.

Que faire ? C’est là que les édiles catalans ont eu une idée lumineuse : pour éviter que la vision des camés en manque ne ternisse l’image de leur belle cité sportive moderne et dynamique, il n’y avait guère que 2 solutions. Ou bien supprimer les camés – ce qui était, on l’a vu plus haut, impossible – ou bien supprimer le manque … ce qu’ils se sont évertués à faire en faisant discrètement avertir les intéresses que des programmes méthadone d’urgence étaient mis à leur disposition dans les centres spécialisés – et voilà !

Même si l’on peut déplorer qu’il ait fallu attendre les Jeux Olympiques pour qu’on se préoccupe enfin de donner libre accès au produit à une population lourdement frappée par le Sida, il y aurait lieu de se réjouir de voir les autorités catalanes faire ce pas décisif dans la direction d’une vraie politique de réduction des risques. Mais il y a un «mais» – et de taille : c’est que les programmes méthadone en question étaient strictement limités à la durée des Jeux. Ce qui signifie que ceux-ci terminés, les toxicos ont été gentiment renvoyés, à la rue, à la marginalité et au Sida.

Décidément, même si les Jeux Olympiques on fait, l’espace d’un été, monter les toxicos catalans au podium de la réduction des risques, la médaille était, une fois de plus, en chocolat.

  • 1
  • 2

© 2020 A.S.U.D. Tous droits réservés.

Inscrivez-vous à notre newsletter