Étiquette : Substitution

Traitements par Agonistes Opioïdes (TAO), la nouvelle appellation des TSO.

Ce guide sur les TAO (Traitements par Agonistes Opioïdes) qui est la nouvelle dénomination internationale des TSO car la notion de substitution ayant été trouvée trop ambigüe par les organisations d’usagers de drogues comme EuroNPUD (la déclinaison européenne du Réseau International des Personnes qui consomment des drogues INPUD) , est la traduction et l’adaptation à la France du guide réalisé en anglais par cette organisation EuroNPUD OAT Client Guide.

C’est un projet européen soutenus par les organisations d’Usagers de Drogues de Grande Bretagne, d’Ecosse, de Grèce, de France (ASUD) , d’Espagne (Catalogne),d’Allemagne, de Suède et de Norvège, chacune ayant traduit dans sa langue et adapté aux réalités de son pays ce guide qui en français nous donne:

TAO, On y est ensemble! Tout sur la dépendance aux opioïdes par les personnes qui l’ont vécu…

Vous y trouverez la liste des molécules et traitements disponibles donc en France, avec même celui que l’on aimerait bien comme l’héroïne médicalisée et surtout nos conseils d’usagers de ces traitements, les régles et les devoirs mais aussi les choses qu’il ne faut pas accepter dans les centres de délivrances et certains trucs pour passer aux travers de règles qui vont à l’encontre de nos droits!

Bonne lecture les ami.e.s!!

Speedy Gonzalez

Voyager à l’étranger avec son traitement de substitution.

La question nous est souvent posée du coup on s’est dit qu’on aller faire un petit récapitulatif des informations existantes et des différentes dispositions à prendre lorsque l’on est sous substitution et que l’on veut partir en vadrouille à l’étranger.

Il faut savoir que la procédure varie en fonction du pays ou vous vous rendez :

  • Si celui ci fait parti de l’espace Schengen (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Estonie,  Finlande, France, Grèce, Hongrie, Islande, Italie, Lettonie, Liechtenstein Lituanie, Luxembourg, Malte, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République Tchèque, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse.) Il vous faut demander une autorisation de transport valable 30 jours à l’agence régional de santé (ARS) dont vous dépendez. Vous trouverez en lien une cartographie interactive afin de trouver votre ARS.
  • Si le pays ne fait pas parti de l’espace Schengen il applique dans ce cas c’est propre règle, Il est conseillé de se renseigner auprès de l’ambassade ou du ministère de la Santé du pays de destination. L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) peut délivrer une autorisation de transport si le pays exige ce document. Pour ça il vous faut contacter l’ANSM au moins 10 jours avant le départ à l’adresse suivante : stupetpsy@ansm.sante.fr en précisant le pays de destination, les dates du voyage et en joignant la copie de l’ordonnance qui couvre la durée du voyage. Le service est également joignable par téléphone au 01 55 87 36 33. Les attestations sont délivrées pour des quantités transportées correspondant à une durée de traitement ne dépassant pas la durée maximale de prescription autorisée de 28 jours (14 jours pour la méthadone sirop). Pour les déplacements de plus longue durée, il est conseillé d’effectuer les démarches nécessaires à la prolongation de votre traitement dans le pays d’accueil.

Pour connaitre les dispositions des différents pays, vous pouvez consulter le site de l’Organe International de Contrôle des Stupéfiants (OICS).

Vous trouverez sur le site de l’ANSM les informations et formulaires dont vous pourriez avoir besoin pour votre voyage.

Et pour les personnes qui se retrouverez en galère de TSO en Thaïlande n’hésite pas à lire l’article en lien.

L’équipe d’ASUD est aussi disponible pour répondre à vos questions et sur ce BON VOYAGE !

Substitution aux opiacés : vingt ans d’hypocrisie

Tribune par Fabrice Olivet Directeur de l’Autosupport des Usagers de Drogues (Asud) et Olivia Hicks-Gracia Première adjointe au maire du IIème arrondissement de Paris

Malgré la généralisation des traitements de substitution, la plupart des professionnels de santé restent réticents à remplir leurs obligations de prescription et de délivrance, refoulant les usagers de drogues dans une semi-clandestinité. Cette situation souligne le manque de cohérence d’une politique de réduction des risques.

Après un long parcours institutionnel, la nouvelle loi de santé publique vient enfin d’être votée, légalisant, pour la première fois dans notre pays, les salles de consommation à moindre risque. Cette disposition, qui s’inscrit clairement dans l’approfondissement de la politique de réduction des risques liés à l’usage des drogues (RdR), va concerner tout au plus quelques centaines d’usagers dans l’Hexagone. Or, derrière le théâtre d’ombres des «salles de shoot», propice aux postures vertueuses, une pièce beaucoup moins connue se joue en coulisse. Il s’agit du dossier sulfureux des traitements de substitution aux opiacés, une tragicomédie mise en scène depuis vingt ans dans une indifférence pour le moins suspecte.

Le saviez-vous ?

Ier acte : Saviez-vous, qu’en France, un toxico en manque, ou simplement désireux de rompre avec le marché illégal, peut se rendre chez n’importe quel médecin généraliste et ressortir quelques minutes plus tard avec vingt-huit jours de traitement à la Buprénorphine haut dosage (BHD), un opiacé de synthèse, plus connu sous son appellation commerciale de Subutex. Saviez-vous que ces traitements, dits de substitution aux opiacés (TSO), sont en train de fêter leurs vingt ans d’existence légale ? Saviez-vous que plus de 160 000 patients bénéficient de ces médicaments d’un genre particulier et que leur nombre augmente régulièrement de 4 % par an ?

IIe acte : Saviez-vous que, malgré l’ancienneté de la réglementation, la plupart des pharmaciens refusent de délivrer ces traitements sous divers prétextes, assortissant leurs refus de commentaires variés : «On ne fait pas ça ici !», «Revenez demain», «Nous avons besoin de l’original de votre récépissé de carte Vitale».

IIIe acte : Saviez-vous que nos tribunaux voient défiler, chaque année, de nombreuses affaires judiciaires concernant des médecins ou des pharmaciens qui prescrivent et délivrent des médicaments de substitution aux opiacés. Ces professionnels risquent leur carrière, voire de la prison ferme, pour faire ce que la grande majorité de leurs confrères ne fait pas : prendre en charge des usagers de drogues exclus de la plupart des autres dispositifs.

Le secret de famille

Quel sens politique général faut-il donner à ces trois actes ? Tout d’abord, reconnaître qu’il existe un décalage énorme entre les succès de la substitution et la méfiance qu’elle suscite toujours chez les professionnels de santé et dans la société en général. Il y a vingt ans, la prescription de méthadone s’est heurtée à l’opposition unanime des experts de l’époque sous le prétexte qu’il s’agit après tout de «donner de la drogue aux drogués». Cette opinion demeure dans les esprits d’une part non négligeable des acteurs de santé. En plus de retarder la mise en place des traitements, cette opposition a persuadé durablement nos gouvernants du risque politique de dérapage lié à toute communication de grande ampleur sur la substitution aux opiacés. Nous avons donc mis en place le système d’accès aux TSO le plus libéral du monde, dans une quasi-absence de débat. Ce dispositif a sorti la population des usagers des drogues des statistiques du sida, puis a contribué à résoudre le problème de la petite criminalité liée à la consommation d’héroïne, véritable plaie de l’époque, avant de réduire considérablement le nombre d’overdose. Or, tout se passe comme si la France vivait cet indéniable succès comme un honteux secret de famille. Aucune campagne nationale n’a jamais été mise en place par l’État sur les TSO. Pire, pendant que les laboratoires Bouchara-Recordati commémoraient vingt années de prescription de méthadone le 7 décembre devant un public clairsemé, le tribunal de Sarreguemines requérait un an de prison ferme contre le docteur Furlan, un médecin accusé de prescrire du Subutex avec trop de libéralité.

Le syndrome du maillon faible

L’histoire du docteur Furlan est, hélas, une histoire banale, semblable à des centaines d’autres, qui émaillent depuis vingt ans la chronique «faits divers» de la presse régionale. Le spectre du «dealer en blouse blanche», la formule, utilisée depuis toujours pour disqualifier la substitution, continue de rôder dans les têtes. A force d’être rejetés de la plupart des pharmacies et de ne pas trouver de médecins disposés à prescrire des médicaments de substitution aux opiacés (MSO), la plupart des usagers de drogues en traitement se rabattent sur un petit nombre de professionnels, isolés, parfois militants, parfois escrocs, toujours dépassés par le nombre sans cesse grandissant de leur file active. Dépassements des délais, renouvellements automatiques, posologies injustifiables, la multiplication des dérapages réglementaires est le prolongement inévitable d’une stigmatisation qui concerne autant les usagers que les rares professionnels qui les suivent en médecine libérale. C’est le syndrome du «maillon faible», un biais créé de toutes pièces par la pénurie de l’offre et cautionné par l’indifférence générale des autorités sanitaires et ordinales à l’égard de ce scandale de santé publique.

Livrés à eux-mêmes, les usagers de drogues et les associations qui les représentent ne peuvent pas grand-chose. En 2011 déjà, Safe et Asud [Autosupport des usagers de drogues], deux acteurs historiques de la politique de réduction des risques, avaient dénoncé cette situation au ministère de la Santé en présentant une enquête [publiée dans ASUD Journal n°48] sur la non-délivrance des traitements de substitution dans les pharmacies de la capitale (voir les illustrations ci-dessus). Sans grand succès. Aujourd’hui, le défi est relevé par la mairie du IIe arrondissement de Paris. Alertée par les usagers et les professionnels de son secteur, elle a décidé d’interpeller l’ordre des pharmaciens et l’agence régionale de santé (ARS) dans un courrier officiel pour faire cesser le scandale de la non-délivrance de TSO. Le document précise : «Les médecins sont souvent obligés de perdre un temps précieux à joindre de nombreuses pharmacies» et conclue en demandant aux autorités ordinales d’intervenir auprès des pharmaciens pour que cessent «ces manquements répétés à leur obligation déontologiques.» Prochainement, ce sera au tour de la Buprénorphine haut dosage (BHD) – commercialisée le 26 février 1996 – de fêter ses 20 ans d’autorisation de mise sur le marché du médicament (AMM). Cet anniversaire sera peut-être l’occasion de lever le rideau sur les vingt années d’hypocrisie du théâtre d’ombre de la prescription d’opiacés en France.

source : http://www.liberation.fr/france/2015/12/27/substitution-aux-opiaces-vingt-ans-d-hypocrisie_1423123

Synthèse de l’enquête PharmAsud 2010-2011

Pour plus de détail lire Résultats de l’enquête PharmAsud

Réactions

 

Le médecin peut-il sortir du cadre de prescription des MSO ?

William Lowenstein est médecin addictologue. Il a été en France l’un des premiers à travailler sur les liens entre le sida et l’usage de drogue. Il est aujourd’hui président du groupe de travail T2RA du Ministère de la Santé et de l’association SOS Addictions.

Cet article fait partie du dossier La prescription hors-cadre.

Je garde toujours ce cadre pas loin de mon bureau parce que c’est un résumé de nos problématiques médicales : c’est celui de la loi de 1972 qui, pour lutter contre les overdoses, retirait l’accès en vente libre des seringues. À l’époque, quelqu’un qui voulait avoir des seringues devait passer par ce chemin de croix de contrôles et au bout du compte, l’accessibilité avait quasiment disparu. Et parmi les mètres cubes de littérature pour expliquer pourquoi les usagers de drogues partagent leurs seringues, je vous assure que nulle part a été écrite l’évidence que si les usagers de drogues par voie intraveineuse partageaient leurs seringues, c’est parce qu’elles étaient vraiment dures à trouver. Par contre, toutes les théories sur le partage de l’injection en disent long sur la capacité de certains à interpréter des faits en dehors du pragmatisme. Et cette sortie du pragmatisme a coûté des dizaines de milliers de vies, que ce soit à travers le sida, l’hépatite, les cancers hépatiques…

Décret de 1972 (William Lowenstein)

Un cadre et une éthique

Pourquoi je vous parle de ça ? Parce que nous avons un cadre, une AMM, une loi de santé, un conseil national de l’Ordre, mais nous avons aussi une éthique. Et notre façon de nous positionner par rapport à la prescription hors AMM ou à la question qui nous est posée – Le médecin peut-il sortir du cadre de prescription des MSO ? – doit à mon avis se travailler à travers la conscience ou l’éthique de la relation entre le médecin et son patient. On est dans un cadre médical, avec une prescription de médicament (éventuellement remboursé par la Sécurité sociale) et une AMM. À partir de l’instant où l’usager franchit la porte de mon cabinet et où je vais prescrire sur une ordonnance sécurisée, à mes yeux, c’est un patient. Et ce n’est pas plus compliqué que ça pour dicter ma conduite, avec tout le respect que j’ai pour tous mes patients, y compris les usagers de drogues. Ce rappel à notre fonction est important parce que le médecin pourvoyeur de plaisir en prescription hors AMM comme le médecin prescripteur de Viagra® en dopage de la sexualité, c’est à mon avis un tout autre sujet.

Éthiquement parlant, des cadres comme ceux-là sont insupportables. Et des gens comme Jean et Clarisse ont fait en médecine libérale, ce qui était beaucoup plus difficile qu’en médecine hospitalière où on se sent beaucoup plus protégé par l’équipe. Il est beaucoup plus facile de taper sur un médecin libéral que sur un médecin hospitalier.

En ce qui concerne le cadre, c’est une réflexion éthique : quand un médecin a le sentiment qu’il doit sortir du cadre dans l’intérêt prioritaire de son patient, cet intérêt doit nous guider et c’est ce qui nous a amenés à nous faire traiter de « dealers en blouse blanche donnant de la drogue aux drogués ». Le révisionnisme a le droit d’exister partout, même en médecine hospitalo-universitaire.

L’importance du dialogue

« On ne prend pas des drogues seulement pour être usager de drogues. On peut essayer de préciser quels sont les effets de ces substances pour soi-même, mettre de l’intelligence dans ses consommations, pas seulement de la réduction des risques ou de la protection par rapport à l’endocardite, la septicémie ou les abcès. Dans l’échange qu’on peut avoir avec les patients, il faut arriver de temps en temps à ce que la neuroscience ou la médecine puissent préciser des choses vraiment utiles. Combien de personnes ont besoin du cannabis pour l’endormissement ? Quelle est l’importance des produits psychoactifs sur les troubles du sommeil ?
Je reste sidéré de voir des personnes qui viennent consulter et qui se demandent pourquoi leur relation aux autres s’est modifiée, de voir que quand tu fais la relation avec les troubles de l’appétit ou du sommeil, tu parles vraiment de quelque chose avec les usagers. »

Élargir le cadre

Concernant la prescription elle-même, je voudrais cibler trois thèmes principaux en disant « continuons d’élargir le cadre plutôt que de s’exposer toujours à en sortir, sauf en cas d’extrême nécessité ». Je l’illustrerai par 3 molécules qui nous intéressent :

  • La primo-prescription de méthadone en ville, pour laquelle ça a été long, mais c’est vraiment dans la dernière étape de la tuyauterie puisque tout le monde a donné son accord dans les tutelles pour que les médecins généralistes puissent primo-prescrire de la méthadone.
  • Les sulfates de morphine, et la fameuse lettre de Jean-François Girard de juin 1996 : ce n’était qu’une lettre qui mériterait d’être réactualisée parce que les médecins-conseils ne veulent plus prendre la responsabilité de valider le remboursement des traitements par sulfates de morphine. Il y a donc un vrai travail qui se fait avec une vraie question qui se pose : ce n’est pas la même chose de prescrire du Moscontin® ou du Skenan®. Avec le Moscontin®, on peut penser qu’il s’agit d’une administration per os, avec le Skenan®, on est dans une substitution par voie injectable qui ne dit pas son nom.
  • C’est là qu’on retrouve le troisième point : la substitution injectable, qui est enfin officiellement traitée par nos différentes tutelles, que ça soit la Mildeca, la commission des Stupéfiants et l’ANSM ou le groupe T2RA à la Direction générale de la Santé. Avec nécessité d’avoir une étude pilote qui tienne la route et qui définisse les indications. Quand je vois que dernièrement, dans un congrès de psy, il y a des annonces un peu prématurées sur telle ou telle molécule, je ne voudrais donc pas que ce que je vous dis là aille dans ce sens. On est en train de travailler là-dessus, il faut essayer d’accélérer les choses, mais ça ne veut pas dire que la BHD injectable est « votée » et qu’on peut la prescrire. D’ailleurs, elle n’existe pas encore sur le marché. Mais c’est intéressant de voir cette évolution vers la possibilité de prescription d’un MSO par voie injectable. Bien évidemment, c’est la buprénorphine qui a été retenue pour le côté safe que vous connaissez par rapport aux opiacés agonistes purs tels que la méthadone ou même, les sulfates de morphine. C’est le côté safe qui l’emporte.

Autant besoin d’eux qu’eux de nous

Le manque d’organisation des usagers

« Pour m’être construit à l’intersection des univers VIH/sida et usage de drogues, pour avoir travaillé sur le sida avec des organisations d’usagers qui sont allées jusqu’au groupe TRT5, le reproche que je puis faire, c’est qu’il n’y a pas cette organisation chez les usagers de drogues à la hauteur de ce qu’il y a eu dans le VIH. Et si les usagers de drogues, en connaissant la limite du soutien de l’Assemblée nationale, s’organisaient aussi un peu mieux en France, je pense qu’on aurait tous à y gagner. Mais cela ne nous défausse en rien de la frilosité et des insuffisances qui ont été dénoncées. Plus que des discours passionnés et passionnants sur le sujet, on serait très contents d’avoir des vraies études crédibles sur bien des aspects pour monter au front ensemble. »

Un dernier petit mot par rapport à cette phrase que j’ai souvent partagée avec vous : « les toxicomanes m’ont tout appris », parce que le toxicomane est le seul patient qui arrive avec son diagnostic et son traitement. Il suffit en gros de l’écouter pour savoir ce qu’il faut lui prescrire. J’ai toujours trouvé ça à la fois très sympathique et très vrai dans le partage des informations. Et je me suis toujours demandé pourquoi, dans ce cas-là, ils étaient dans une telle merde et pourquoi ils venaient nous voir s’ils avaient une telle connaissance. Je rajouterais donc juste une chose, c’est qu’on a autant besoin d’eux qu’eux de nous et que c’est justement dans ce respect des partages et des connaissances qu’on pourra avancer ensemble. Également d’un point de vue stratégique. Car sur la question « les usagers de drogues ne sont pas des malades », je pense que, vu l’état de l’opinion française sur le sujet, ce n’est pas la meilleure stratégie que l’on puisse proposer. Même si j’en comprends là aussi la recherche éthique et de dignité. Mais en pratique sur le terrain, oui, ce sont les usagers de drogues qui m’ont appris le plus important. Mais ils ne m’ont pas tout appris et j’espère surtout que nous leur avons aussi appris des choses pour pouvoir les protéger.

EGUS9 Fabrice Olivet

« Fabrice Olivet (ASUD) : Je crois beaucoup à la demande qui perdure, s’installe avec le temps, c’est un signe que l’offre médicale reste toujours inadaptée. Le hors-cadre dans la réduction des risques et la substitution reste une dynamique presque nécessaire du fait de l’existence de cette demande. Mais quid du visage officiel pour y répondre ?

EGUS9 William Lowenstein 3

William Lowenstein (SOS Addictions) : On a déjà travaillé je ne sais combien de fois sur l’élargissement de la palette thérapeutique. Je vois de plus en plus de personnes en demande de Ritaline® et je trouve qu’on ne travaille pas assez le sujet des neuro-excitants parce qu’avec les NPS, on est complètement dépassés. On a un wagon de retard mais ce n’est pas pour ça qu’on n’a rien à apporter. Toute la question se repose actuellement des neurostimulants parce que c’est qu’on voit de plus en plus au quotidien, avec une méconnaissance importante.
Il y a une très belle phrase d’un hématologue qui dit « la science est là pour édicter des lois générales mais en médecine, il y a autant de cas qu’il y a d’individus ». Elle sert beaucoup pour dicter un parcours médical : tu as besoin d’un cadre le plus adapté possible et après, de la capacité d’entendre ce qui est hors du cadre pour essayer de l’élargir et de s’y retrouve avec une méthodologie qui convienne »

Cet article fait partie du dossier La prescription hors-cadre.

 

Carpentier- Boisseau : la prescription du 3ème type

Clarisse Boisseau est médecin généraliste. Elle a été avec Jean Carpentier parmi les pionniers à prescrire des traitements de substitution opiacés aux consommateurs d’héroïne.

Le cabinet d’Aligre

Cet article fait partie du dossier La prescription hors-cadre.

Je vais vous raconter l’histoire du cabinet médical d’Aligre où j’ai travaillé pendant une trentaine d’années avec Jean Carpentier. On s’est installés dans le quartier d’Aligre, à Paris, en 1980 en tant que médecins généralistes. À l’époque, il n’y avait pas de sida, pas d’hépatite C, pas d’usagers de drogues (on les appelait « drogués » ou au mieux « toxicomanes »). Il y avait un café où les drogués se réunissaient, des drogués jeunes, plutôt sympas, qui sont venus à notre cabinet parce que, contrairement à tous les autres médecins, on ne leur a pas fermé la porte au nez. Mais que venaient-ils chercher chez nous puisqu’on n’avait rien ? On ne connaissait pas la drogue, pas les drogués et on n’avait aucune arme thérapeutique. On les écoutait, on soignait leurs abcès, on les envoyait à l’hôpital quand il fallait. Et on bricolait avec l’Eubispasme®, le Tranxène® 50, le Rohypnol®, le Survector®, l’Antalvic®, les barbituriques… une cuisine un peu dangereuse. Ils mouraient essentiellement d’overdose, on avait un patient par mois qui mourait entre 25 et 35 ans, c’était horrible.

On a tout appris ensemble

Là-dessus est arrivé le sida, on a identifié l’hépatite C et les jeunes mouraient à un rythme effréné. Ils venaient aussi nous voir parce qu’on les écoutait, qu’on avait déjà repéré des choses utiles (comme savoir où ne pas aller pour accoucher) et c’est pour ça qu’ils venaient. Notre population, plutôt jeune et marginale, s’est alors diversifiée avec l’arrivée d’instits, de contrôleuses du ciel, d’avocats, de médecins psychiatres… Le panel s’est agrandi et on a vu que les tox étaient d’une grande variété.

On a continué à prescrire, y compris du Palfium®, ce qui n’était pas une bonne idée parce qu’on ne savait pas que l’effet ne durait que trois heures. On a fait des conneries et on a appris avec eux. Moi, les toxicomanes, c’est eux qui m’ont tout appris. On a tout appris ensemble et cheminé ensemble, et le chemin pour arriver aux traitements de substitution a quand même été extrêmement torturé, tortueux et passionnant.

La longue marche des TSO

En 1984 est sorti le Temgésic® injectable et on s’est mis à prescrire du Temgésic® injectable parce qu’il n’y avait pas de forme orale. On a donc prescrit de l’injection à des non-injecteurs mais il n’y avait que ça comme produit de substitution. Le Temgésic® oral est sorti en 87, ce qui nous a un peu facilité les choses. Entre 90 et 92, on a été littéralement submergés parce que les flics, les juges, les mères de famille, tout le monde nous envoyait des toxicomanes. La Belgique n’avait pas d’IVG autorisée, alors on échangeait une méthadone contre une IVG, on faisait des trafics comme ça. Et le 9 septembre 1992 sort un décret signé de Bernard Kouchner qui met le Temgésic® sur le carnet à souches. On avait 100 ou 200 toxicomanes et plus de Temgésic®. Le carnet à souches est délivré par l’Ordre des médecins, à raison de 25 bons par carnet. On allait donc chacun chercher deux carnets à souches par semaine. Kouchner a signé ça sans savoir mais ça a vraiment été une catastrophe : on a revu des morts, des enfants pris par la DASS, des drames. Jean et moi avons alors vraiment compris l’importance des TSO (traitements de substitution aux opiacés).

Suite à la publication d’un article dans Le Monde intitulé « Le repaire des tox », nous avons été rejoints par d’autres médecins avec lesquels nous avons créé le Repsud, Réseau pour le soin aux usagers de drogues. On respirait un peu parce qu’on n’était plus seuls, quelques collègues s’y mettaient aussi. Arrive enfin 95-96 et là, on souffle vraiment dans l’offre de soins aux toxicomanes, ça change tout pour nous.

Je tiens à saluer Anne Coppel sans qui on n’aurait pas pu faire tout ça, et notre pharmacienne, qui était aussi un peu frileuse mais la persuasion du Dr Carpentier a été plus forte que sa frilosité et nous travaillons avec elle depuis trente-cinq ans maintenant.

Je suis désormais rentrée dans le rang, mais à propos des sulfates de morphine : le Moscontin® est sorti en 86 et le Skenan® en 91. On a donc laissé tomber le Palfium® et là, il y a quand même quelqu’un qui nous a aidés : Jean-François Girard, directeur général de la Santé, qui a envoyé une circulaire aux préfets pour dire que tous les traitements comme ça, entre deux, étaient maintenus jusqu’en juin 96. Grâce à une petite phrase magique « concertation avec le médecin conseil », que nous utilisons depuis dix-neuf ans et qui ne sert à rien, sauf à rassurer les pharmaciens. Je n’instaure plus tellement de traitements par sulfates de morphine dont le nombre total devrait être d’une trentaine environ. On peut donc se poser la question de se bagarrer ou non pour ce traitement.

Cet article fait partie du dossier La prescription hors-cadre.

Fareng en galère (panne de TSO en Thaïlande)

Les « farangs », ce sont les nombreux étrangers qui déambulent sur les trottoirs de Bangkok ou sur les plages de Ko Phi Phi. Ce nom dériverait de « farrangset », le mot pour dire « Français » en langue thaïe. Notre pays entretient depuis de longues années une relation privilégiée avec cette destination qui réussit le tour de force d’être à la fois le pays de la  boxe et celui des massages, mais qui fut aussi longtemps célèbre pour la qualité de son héroïne blanche. Récit de galère stupéfiante au royaume de Siam.

Le drame

L’histoire débute avec un mail reçu le 5 août 2014, à 13h38, dans les locaux d’Asud :

« Je suis en Thaïlande depuis 2 semaines… je suis très emmerdée. J’ai pris le train de Bangkok à Ko Pha Ngan, une île à l’est de la Thaïlande, et durant le trajet de nuit je me suis fait voler mon sac à dos contenant mon traitement méthadone, des vêtements et quelques objets sans importance. Je prends 40 mg par jour en gélules. Dans mon malheur, j’ai toujours mon sac à main qui contient mon passeport, une ordo en anglais, une ordo en français, bref, tout ce qu’il faut pour être « en règle » avec les autorités, ce qui prouve ma bonne foi. Je commence à être vraiment très mal, à pas dormir, à ressentir des “coups de jus” dans tout le corps… j’ai très froid… je me sens hyper émotive… Je suis allée hier à la clinique locale mais j’ai dû patienter trois heures pour voir le médecin qui, au final, m’a dit qu’il n’y avait pas de méthadone sur l’île. Il m’a juste conseillé d’acheter du Valium® à la pharmacie du coin (10 comprimés pour 500 baths, 15 euros environ…) pour pouvoir dormir mais sans succès… je n’ai pas réussi à fermer l’œil. Je vais écourter mon séjour sur cette îile pour me rendre à Bangkok afin de régler ce problème qui me pourrit la fin de mon voyage. J’aimerais pouvoir voir un médecin ou me rendre dans un hôpital mais je n’ai aucune adresse. Je repars à Paris le 12 août, mais cela me semble tellement long que je ne vais pas pouvoir tenir, je suis très mal !! Avez-vous une adresse sur Bangkok ? Le nom d’un médecin, d’un hôpital, d’un centre méthadone ? Que puis-je faire ? Quelle est la marche à suivre ? Merci si vous pouvez m’aider », Chantal.

Trouver une prescription de méthadone en urgence à Paris au mois d’août, c’est déjà pas gagné, tout le monde est en vacances, alors en Thaïlande… Cet appel sonne comme un véritable défi lancé à notre réseau. En l’occurrence, notre seul espoir réside dans le maillage international des militants de la réduction des risques que nous rencontrons depuis de longues années dans les différentes conférences. Pour la Thaïlande, notre meilleur contact s’appelle Karyn Kaplan. En 2002, après une décennie au service des populations les plus stigmatisées du royaume, Karyn fonde avec Paisan Suwanawong le Thaï Aids Action Group, la première ONG dont l’objet est de dénoncer les atteintes permanentes aux droits de l’homme endurées par les prostitué(es), les junkies et les membres de minorités ethniques. Karyn vit aujourd’hui à New York mais n’hésite pas à sonner le tocsin sur Internet pour trouver une relais local à Chantal.

George Barbier - Chez la marchande de pavots
George Barbier (1882-1932), Chez la marchande de pavots, 19 , tirée de l’ouvrage « Le Bonheur du Jour, ou Les Graces a la Mode » assemblé et publié par Jules Meynial, 1924.

La remédiation

Deux jours passent, et le 8 août à 14h13, nous recevons ce mail incroyable : « Je suis avec Chantal a l’hôpital Thanyarak – elle a reçu sa méthadone à l’instant. Tout est en ordre », Pascal. Que s’est-il passé en quarante-huit heures ? Qui est ce mystérieux Pascal capable de transformer l’eau en opium ? Le SOS lancé par Karyn a été entendu par Pascal Tanguay, militant des droits de l’homme, lui aussi mobilisé depuis de longues années au service des plus démunis. D’abord engagé avec l’Asian Harm Reduction Network (Réseau asiatique de réduction des risques), il a ensuite travaillé pour une organisation thaï, la PSI Thailand Foundation, officiellement chargée de venir en aide aux toxicos.

Chantal n’en revient pas de la réactivité dont elle a bénéficié à 8 000 km de la Sécurité sociale, mais reste mesurée quant à celle déployée par les Thaïlandais :

« Encore merci à tous… Quelle efficacité !! rapidité !!!!!! À peine arrivée de Ko Pha Ngan, j’ai vu Pascal dans l’heure qui a suivi mon arrivée. Nous nous sommes rendus à l’hôpital public des « toxicomanes » qui prend en charge les conduites addictives et problèmes de dépendance en tout genre… »

Suit le récit détaillé en 4 étapes d’une prise en charge qui n’a rien à envier aux meilleurs services de l’Hexagone :

« Tu rentres dans une salle d’attente ou il doit faire 15°C, la clim à donf, et là, tu attends :

– 1ère étape : Tu es d’abord reçu par le service administratif afin de créer ta petite carte comme à l’hosto avec ton nom et prénom, puis tu attends…

– 2e étape : Dans cette même salle d’attente, une infirmière ou aide-soignante prend ta tension, te pèse, demande ta taille, te pose quelques questions du genre “comment te sens-tu ? As-tu des douleurs ?” Puis, avec une lampe de poche elle regarde tes pupilles, apparemment pour éviter de donner des TSO à des gens trop défoncés. Et là, tu attends à nouveau, 1 heure, 2 heures, tu attends… et tu as de plus en plus froid avec cette clim… Et puis, ô miracle !, les derniers patients viennent d’être appelés et tu te dis c’est toi la prochaine…
Mais tu attends encore 20 minutes, puis, enfin, on t’appelle… 


– 3e étape : Un docteur arrive tout sourire… te fais la prescription, te demande si tu veux du Xanax® pour dormir, et te remet un document pour pouvoir transporter légalement tes fioles afin de passer la douane sans encombre.

– 4e étape : Tu sors de cette salle d’attente pour te rendre à la caisse et à la pharmacie.

Au total pour une semaine de traitement à 40 mg par jour et une plaquette de Xanax®, j’ai payé 1 750 baths (50 €), et peut-être même puis-je me faire rembourser en France. Sans Pascal, rien n’aurait été possible, il m’a accompagnée, a fait le traducteur, est resté toute l’après-midi avec moi, et toujours bienveillant, m’a rassurée de 14h30 à 19h afin de s’assurer que je parte avec mon traitement. M’a fait appeler un taxi. Bref, un mec en OR. Et respect pour son boulot dans un pays où les toxicomanes sont considérés comme des criminels, et où ceux qui ont l’hépatite n’ont pas accès aux soins. Bravo et encore merci Pascal qui est vraiment la personne que vous pouvez contacter pour les farangs en galère de TSO en Thaïlande. »

Épilogue

19 août, 13h40, retour à X, ville du sud-ouest de la France :

« Je suis de retour, je vais m’empresser de raconter mon histoire à ma généraliste, le docteur Bip, qui a REFUSÉ de me faire une attestation en anglais avant mon départ en m’expliquant que « traductrice, ce n’est pas mon métier »... »

Voici donc un récit édifiant sur les aléas de la traversée des frontières en mode TSO. Si vous êtes un farang en galère à Bangkok, ou si vous en connaissez un ou une, adressez-vous à PSI Thailand Foundation* et demandez Pascal Tanguay.

Enfin, n’oubliez jamais de préparer en amont votre voyage en faisant rédiger votre prescription en français pour la pharmacie et en anglais pour la douane, et renseignez-vous pour obtenir le certificat de transport de stupéfiants (voir encadré).

PSI Thailand Foundation – Q.House Convent Building- Unit 12A –12th Floor – 38 Convent Road – Silom, Bangrak, Bangkok 10500 – Thailand Tél. : + 66 (02) 234-9225-29 Fax : + 66 (02) 234-9230

Serial-Dealers

A retenir

Après avoir longtemps été le pays de production, de consommation, et de vente de la meilleure héroïne du monde, la Thaïlande a refusé de prescrire des TSO jusqu’en 2010. Depuis, comme le prouvent les aventures de Chantal, des prescriptions sont faites à Bangkok. Il est de toute façon impératif d’avoir une ordonnance rédigée en anglais et une attestation de transport de stupéfiants délivrée par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

Enfin, pour tous les volumes de médicaments supérieurs à la durée légale de prescription (28 jours pour la méthadone depuis 2014), une prise de contact de votre prescripteur avec un relais sur place est possible.

Dans tous les cas, n’hésitez pas à consulter la fiche pratique Partir à l’étranger de notre  rubrique Substitution.

La place des addictions en officine

Dans la triangulation usager-prescripteur-pharmacien, ce dernier est souvent le grand oublié de la littérature consacrée aux addictions. Or nous savons, nous les patients, les clients, les usagers, que la relation avec le pharmacien d’officine est capitale. Fort de ce constat, Asud propose PharmaCom, une nouvelle rubrique collective, qui sera animée par quatre docteurs en pharmacie, Marie Debrus, présidente de l’AFR, Nicolas Authier, médecin pharmacologue, Grégory Pfau, coordinateur du dispositif Trend/Sintes, tous trois placés sous la houlette vigilante de Stéphane Robinet, président de Pharm’addict.

Célébrée à juste titre par les théoriciens de la réduction des risques, la fameuse première ligne se résume très souvent à l’espace du comptoir où les questions posées par les usagers de drogues exigent une réponse immédiate. Cet endroit est soumis à la double pression d’une réglementation souvent confuse – particulièrement en matière de TSO – et de l’obligation de générer des marges bénéficiaires. Asud a toujours voulu mettre en avant le caractère crucial de cette relation avec les pharmaciens, car la place des addictions en officine traverse la plupart de ses combats : citoyenneté, problèmes sociaux, droit commun ou traitement spécifique. L’obligation de mentionner le nom du pharmacien sur toutes les ordonnances relatives aux médicaments de substitution relève, par exemple, typiquement de ce conflit permanent entre droit commun et statut dérogatoire.

Pour inaugurer cette rubrique, deux courriers de lecteurs illustrent deux cas typiques d’embrouilles réglementaires : le retour du matériel d’injection utilisé, et l’inénarrable tiers-payant contre générique du Subutex®.

Déchets d’activité de soin à risque infectieux (Dasri)

« … J’occupe un poste de coordinatrice dans un Csapa en Mayenne et nous travaillons à l’installation d’un Totem dans le département en partenariat avec le Caarud. J’ai une question relative à la récupération du matériel d’injection par les pharmaciens : ont-ils l’obligation de reprendre les seringues utilisées des usagers qui se présentent au comptoir ? Est-ce que la gestion et l’élimination des seringues à un coût pour les pharmaciens ? Ont-ils le droit de refuser de les prendre ? »

La réponse de Stéphane Robinet

Non seulement les pharmaciens ont le droit de refuser de récupérer les seringues des usagers de drogues, mais ils doivent le faire. En l’état actuel de la réglementation, les pharmaciens ont obligation de récupérer ce qu’on appelle des « Dasri », c’est-à-dire des « Déchets d’activité de soin à risque infectieux », dont la récupération et l’élimination sont réalisées par un prestataire agrée, à la charge du pharmacien. L’auto-administration d’un produit de rue n’étant pas dans la définition d’une « activité de soins », elle ne rentre donc pas dans le cadre de cette obligation. Par ailleurs, le pharmacien engagerait sa responsabilité en cas d’accident pour lui ou un membre de son équipe et il n’est pas certain que son assurance responsabilité professionnelle accepte de couvrir ce risque. Changer le texte de loi qui définit les Dasri en y incluant les termes « prévention » ou « réduction des risques » rendrait cela possible, légal et obligatoire. Certains pharmaciens acceptent cependant déjà de récupérer le matériel d’injection utilisé (en engageant leur responsabilité), et d’autres participent à des programmes d’échanges de seringues, en convention avec des Caarud.

Les trois embrouilles du tiers-payant et des génériques de buprénorphine

« … Je souhaiterais savoir si le générique de la buprénorphine est obligatoire en contrepartie du tiers-payant, sans la mention « Non substituable » sur l’ordonnance ? La pharmacie où je me rends le plus souvent n’a jamais posé de problème. On m’y délivre du Subutex® sans même que la mention « Non substituable » soit apposée sur l’ordonnance. Pourtant, à quelques kilomètres de là, dans la pharmacie où je me rends en cas de fermeture de la première, je rencontre toujours cette contrainte de la part des pharmaciens, arguant que le Subutex® bénéficie du même régime que tout autre médicament… »

La superposition de plusieurs textes issus de différentes administrations, de l’ANSM en passant par l’Assurance maladie, a produit un véritable mille-feuilles administratif, digne d’un bon Kafka. Résultat : les usagers de buprénorphine doivent se démerder face à trois embrouilles successives.

CPAM logoL’avenant n°7 à l’accord national relatif à la fixation d’objectifs de délivrance de spécialités génériques a été conclu entre, d’une part, l’Union nationale des caisses d’Assurance maladie et, d’autre part, l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine et l’Union nationale des pharmacies de France. Il est approuvé par l’arrêté du 7 novembre 2013 et publié au Journal officiel du 15 novembre 2013.

À noter que sont exclues de ce dispositif les molécules dites « sensibles » :

  • L-thyroxine ;
  • buprénorphine ;
  • mycophénolate mofétil ;
  • ainsi que la classe thérapeutique des antiépileptiques.

Première embrouille : la nouvelle Convention nationale organisant les rapports entre les pharmaciens titulaires d’officine et l’Assurance maladie

Signé le 4 avril 2012 pour restreindre le déficit chronique, ce texte stipule dans son avenant n°7 (voir encadré) un accord national portant sur la délivrance des médicaments génériques. Ce dispositif s’applique à l’ensemble des molécules figurant au répertoire, à l’exception de deux catégories de médicaments : les molécules sous tarification spéciale (TFR), et les molécules dites « sensibles », faisant l’objet d’une recommandation de l’Assurance maladie : L-thyroxine, antiépileptiques, mycophénolate mofétil, et… burpénorphine. Eh oui, malgré une rumeur persistante, la buprénorphine figure bien sur la liste des exemptions, et le Subutex® est donc exclu du dispositif « tiers-payant contre générique ».

Seconde embrouille : la mention « non substituable »

Bien que théoriquement exclu de ce dispositif, le Subutex® est fréquemment prescrit avec la mention « non substituable » en toutes lettres et à la main sur l’ordonnance. C’est le sens de l’article L.162-16-7 du code de la Sécu, qui précise clairement que l’apposition de cette mention manuscrite constitue une dérogation à l’application du dispositif « tiers-payant contre générique ». Pas forcément au courant des évolutions réglementaires et fidèles au bon vieux principe du « qui peut le plus peut le moins », de nombreux prescripteurs s’appliquent à respecter cette disposition dans le souci évident d’éviter tout risque de discussion lors de la délivrance.

Troisième embrouille : le taux général de remplacement

Pour simplifier cette histoire, précisons que, bien qu’exclu du dispositif « tiers-payant contre générique », le Subutex® vendu par la pharmacie entrera dans l’appréciation annuelle du volume de princeps comparé à celui de génériques délivrés (appelé « taux de remplacement »), une déclaration rendue obligatoire. On comprend la tentation de nombreuses officines de s’abriter derrière l’imbroglio réglementaire pour refuser le princeps.

Fiches pratiques Substitution

La délivrance en pharmacie de Subutex
Délivrance en pharmacie

En cas de problème de délivrance pensez à faire appel à l’Observatoire du Droit des Usagers
Délivrance en pharmacie

Récapitulons :

Dans tous les cas de figure, le pharmacien ne peut pas refuser le Subutex® et doit proposer l’avance du tiers-payant. Si le médecin a noté « non substituable » à la main et à côté du nom Subutex®, c’est tant mieux, mais inutile. Vous avez cependant de grands risques de vous heurter à des professionnels réticents à délivrer un princeps et susceptibles de s’abriter derrière la complexité de cet empilement réglementaire. Pensez à vous munir des références consultables sur le Net.

 

N’hésitez pas à nous poser des questions en ligne sur asud.org, en utilisant les pages de commentaires ci-dessous ou en vous inscrivant sur le forum. Vous pouvez également communiquer directement avec nous en mentionnant PharmaCom à contact@asud.org.

Pour toute information au sujet des médicaments de substitution aux opiacés, notre rubrique Substitution contient des fiches pratiques et un forum d’échange entre usagers.
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La méthadone gélule prescrite pour 28 jours

Suite à l’avis favorable du 20 mars 2014 donnée par la Commission des Stupéfiants et Psychotropes de l’ANSM pour l’allongement de la durée de prescription du Chlorhydrate de Méthadone sous la forme gélule, un arrêté du 13 octobre 2014, publié le 17 octobre 2014 au JO, modifiant l’arrêté du 20 septembre 1999 modifié fixant la liste des médicaments classés comme stupéfiants dont la durée maximale de prescription est réduite à quatorze jours ou à sept jours exclu la méthadone sous forme gélule.

En pratique, à compter du samedi 18 octobre 2014, les patients stabilisés bénéficiant d’un traitement par Chlorhydrate de Méthadone GÉLULE, peuvent bénéficier, si leur médecin l’estime possible, d’une prescription tous les 28 jours. Pas de changement pour la délivrance à la pharmacie de la méthadone, tous les 7 jours sauf mention expresse par le prescripteur qui peu moduler cette fréquence. Par exemple : « … tous les quatorze jours », « … en une fois pour vingt-huit jours » …

Voir le décret :

Accès Journal officiel

Pour toute information au sujet des médicaments de substitution aux opiacés, notre rubrique Substitution contient des fiches pratiques .

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Tendances N°94 de l’OFDT est consacré au TSO

Près de vingt ans après leur introduction en France, en 1995, les traitements de substitution aux opiacés (TSO) constituent un des fondements de la politique de réduction des risques. Le dernier plan gouvernemental de lutte contre la drogue et les conduites addictives 2013-2017 prévoit d’améliorer la qualité de la prise en charge des patients et de développer l’accessibilité à ces traitements.

Le numéro 94 de Tendances présente une synthèse des dernières données disponibles sur les TSO. Elle fait suite à une série de travaux initiés en 2002 portant sur les données de remboursements des médicaments de substitution aux opiacés (MSO). D’autres sources sont également mobilisées dans ce numéro de Tendances qui présente dans un premier temps une estimation du nombre de personnes traitées par TSO en France ainsi qu’une comparaison européenne. Il s’attache ensuite à décrire les personnes concernées en les différenciant selon les modalités de suivi et de délivrance du traitement et aborde également la question du mésusage et du détournement ainsi que les mesures de contrôle mises en place, puis les risques de morbi-mortalité liés aux MSO. Il s’achève par une brève discussion sur « le modèle français » de substitution.

Médicaments de substitution : formulaire en ligne simplifié pour déclarer les effets indésirables

Le Centre d’Evaluation et d’Information sur la Pharmacodépendance-Addictovigilance ïle-de-France / Centre propose un formulaire en ligne anonyme simplifié pour déclarer les effets indésirables des médicaments de substitution opiacés qu’il s’agisse d’un usage sur prescription ou pas.

files_edit_file_93602[1]logo CEIP Paris IdF Centre
Déclarer un effet indésirable

 Pour tout produit (médicament, drogues illicites) il est possible, et même recommandé, de signaler les effets indésirables dont vous êtes victime. Cela permet aux autorités de santé d’améliorer la diffusion de l’information au sujet de ces effets. Cela s’appelle la « vigilance » en terme de santé publique. C’est l’addictovigilance (réseau des CEIP) et la pharmacovigilance (réseau des CRPV) qui sont chargées de ce travail au niveau national. Ces structures dépendent de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) qui centralise tout au niveau national.

En substitution plus qu’ailleurs ce type d’information peut s’avérer précieux du fait de la pénurie de renseignements fournis directement par les patients sur le ressenti des TSO.

Les données sont confidentielles et anonymisées lors de leur traitement.

Pour en savoir plus sur les médicaments de substitution opiacés consultez la rubrique

Plateforme substitution

En cas de problème avec professionnel de santé (médecins, pharmaciens…) ou un établissement (CSAPA, CAARUD, Hôpital…), témoigner dans la rubrique
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Evaluation de la campagne de sensibilisation des usagers recevant un traitement par la méthadone (sirop ou gélule) dans le cadre du Plan de Gestion des Risques (risque d’intoxication pédiatrique accidentelle)

Article écrit par Dr Catherine HERBERT (Caen), Dr Thierry JAMAIN (Nancy), Dr Maroussia WILQUIN (Abbeville), Dr Marie-Pierre PETIT (Avignon), Dr Etienne HIEGEL (Metz), Dr Sophie VELASTEGUI (Clermont), Dr Philippe MASSON (Pont-à-Mousson), Dr Olivier POUCLET (Thionville), Dr Christelle PEYBERNARD (Arpajon), Dr Antoine GERARD (Le Puy-en-Velay), Dr Dominique JOURDAIN DE MUIZON (Chauny), Dr Béatrice CHERRIH (Charleville), Dr Sylvie BALTEAU (Metz), Dr Marie-Christine BLANQUART (Armentières), Dr Gérard FUZET (Le Puy-en-Velay), Dr Etienne KAMMERER (Mulhouse)
Source : http://www.rvh-synergie.org/images/stories/pdf/Evaluation_sensi_metha.pdf

A la demande des services de l’ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament), en charge du suivi du PGR (Plan de Gestion des Risques) qui accompagne la mise sur le marché des gélules de méthadone, la firme qui commercialise ce médicament a mis en place en juin 2012 une étude d’impact concernant la remise des lettres-patients mettant en garde les usagers parents contre le risque d’intoxication pédiatrique. En effet, depuis la mise sur le marché de la méthadone sous forme de gélules en avril 2008, les bilans réalisés périodiquement montrent un risque d’intoxication pédiatrique qui, compte-tenu du potentiel létal de la méthadone (1 mg/kg pour des sujets naïfs ou peu dépendants), doit mobiliser tous les intervenants (médecins, pharmaciens, personnel des services spécialisés) et, en premier lieu, les patients-parents ayant des enfants à leur domicile.

Méthode

En juin 2012, une centaine de médecins ont reçu un mail leur demandant de participer (bénévolement) à cette étude d’impact. Compte-tenu de l’enjeu et de notre sensibilité sur le sujet, nous sommes 24 à avoir répondu souhaiter participer à cette étude et avons demandé un nombre de questionnaires correspondant à nos possibilités. Dès ce moment, nous avons reçu ces questionnaires de la firme, accompagnés d’une enveloppe avec l’adresse préinscrite pour le retour. Nous sommes 16 à avoir effectivement retourné les questionnaires remplis, répartis sur toute la France, avec une surreprésentation dans le Nord et l’Est. Cent-soixante-trois questionnaires ont pu être ainsi traités. Les questionnaires devaient être administrés à des patients ayant des enfants au foyer (plus ou moins régulièrement) et emportant leur traitement à domicile. Le traitement des données a été confié à la société Cenbiotech.

Population étudiée

La population à laquelle a été soumise cette enquête est majoritairement masculine, mais avec une surreprésentation inhabituelle de femmes (40 %). Cette part est généralement de 25 % lorsqu’on étudie une population d’usagers de drogues avec ou sans TSO. Il est probable que la problématique ‘enfant’ soit à l’origine de cette surreprésentation.

Sexe

N

%

Masculin

96

59.6

Féminin

65

40.4

Total

161

100.0

Données manquantes : 2

Les patients interrogés dans plus de la moitié des cas (54,7 %) ont entre 30 et 40 ans 23 % ont moins de 30 ans et 22,4 % ont plus de 40 ans

L’âge moyen de la population est de 34,6 ans avec des extrêmes à 20 et 57 ans.

Concernant la forme de méthadone prescrite, il s’agit de gélules dans 54,7 % des cas

Méthadone prescrite

N

%

Sirop

72

44.7

Gélule

88

54.7

Sirop et Gélule

1

0.6

Total

161

100.0

Données manquantes : 2

La posologie moyenne est de 59,3 mg/jour avec un minimum de 2 mg/jour et un maximum de 180 mg/jour. La médiane se situe à 60 mg/jour. Dans plus de la moitié des cas (52 %), il s’agit de parents ayant 1 seul enfant au foyer.

Evaluation_sensi_metha_Picture2

L’âge moyen des enfants les plus jeunes pour ceux ayant 1 enfant ou plus est de 5,5 ans. C’est une population de patients en majorité suivis en centre de soins ou services hospitaliers. En effet, seuls 3 médecins ayant répondu à cette enquête exercent en ville.

Résultats

Après avoir lu la lettre remise par le médecin, à la question : « Cette lette a-t’elle attiré votre attention ? », la réponse est : Oui à 93,1 %, Non à 5,6 %, Ne sait pas à 1,3 %

Concernant le message sur les différents risques, il est jugé comme clair par la quasi-totalité des patients interrogés. Seul, le message quant à la nécessité de ne pas prendre son traitement devant un enfant ne fait l’unanimité. Toutefois, 92,6 % des patients le juge clair.

Clarté du message dans la lettre sur les risques DM Non Oui Ne sait pas Total
N N % N % N % N %
Clarté du message concernant le risque mortel en cas d’ingestion par un enfant 1 0 0 162 100.0 0 0 163 100.0
Clarté du message quant au risque de déconditionner à l’avance des gélules de méthadone ou d’ouvrir le flacon à l’avance 1 0 0 162 100.0 0 0 163 100.0
Clarté du message quant à la nécessité de ne pas prendre son traitement devant un enfant 1 7 4.3 150 92.6 5 3.1 163 100.0
Clarté du message quant au risque mortel de laisser son traitement méthadone à la portée d’un enfant 1 1 0.6 161 99.4 0 0 163 100.0

DM = Données manquantes

Par ailleurs, 149 patients sur 160 (93,1 %) déclarent avoir déjà eu une information sur le risque d’ingestion accidentelle par un enfant et ses conséquences. Dans plus de la moitié des cas, c’est le médecin prescripteur habituel qui a déjà informé le patient et, assez souvent, dans la cadre du centre de soins (en cohérence avec le lieu d’exercice principal des médecins investigateurs).

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Provenance d’une information préalable sur le risque d’intoxication

Autres résultats :

Augmentation de la connaissance du patient sur le risque d’ingestion accidentelle par un enfant et ses conséquences après avoir lu la lettre : Oui, pour 71 patients sur 161

Une majorité des patients (55,3 %) déclare que leur connaissance des risques n’a pas été augmentée suite à la lecture de la lettre.

Modification du comportement à domicile et précautions prises pour que l’enfant (ou les enfants) n’ai(en)t jamais accès au traitement après avoir lu la lettre : Oui, pour une courte majorité (50,3 %)

Apport pour le patient de cette lettre d’information :

Apport pour le patient de cette lettre d’information N %
N’a rien changé à votre perception (vous en étiez déjà convaincu) 101 65.2
Vous a sensibilisé plus que vous ne l’étiez déjà 50 32.3
Vous a sensibilisé alors que vous ne l’étiez pas ou peu 3 1.9
Vous a fait prendre conscience d’un risque que vous ignoriez complètement 1 0.6
Total 155 100.0

Données manquantes : 8

Si une majorité de patients déclare que cette lettre n’a rien changé à leur perception (déjà convaincus), presqu’un tiers a déclaré avoir été sensibilisé plus qu’il ne l’était déjà. Un seul patient reconnait qu’il ignorait complètement le risque et que cette lettre lui en a fait prendre conscience. En effectuant un croisement des données recueillies, il n’y pas de différence significative de perception du risque et des modifications que la lettre a occasionné, selon : l’âge, le sexe du parent interrogé, ou la forme prescrite.

Conclusion

Cette étude d’impact, réalisée quelques mois après la mise en place de nouvelles mesures de minimisation des risques décidées en juillet 2011, conjointement par l’ANSM et la firme qui commercialise la méthadone et mises en œuvre dès octobre 2011, semble confirmer l’intérêt des lettres remises aux patients-parents ayant des enfants à leur domicile.

Une majorité de ces patients déclare avoir déjà eu une information sur les risques d’intoxication pédiatrique, en lien certainement avec le fait que depuis avril 2008, ceux qui reçoivent un traitement par gélules de méthadone recevaient déjà une lettre destinée à les mettre en garde contre ces risques. En juillet 2011, il a été décidé d’étendre cette remise de lettre aux patients-parents sous sirop de méthadone devant le constat d’un nombre d’intoxications pédiatriques élevé (9, 6 et 5 lors des 3 premières années de traitement), avec l’ajout d’un visuel sur la lettre

Méthadone enfant

Malgré la déclaration d’une connaissance du risque d’intoxication pédiatrique, la moitié des patients déclare que cette information va changer leur comportement à domicile afin de faire en sorte que l’enfant (ou les enfants) n’ai(ent) jamais accès au traitement. La lettre retient l’attention des patients dans plus de 90 % des cas et les messages sont jugés clairs sur tous les aspects liés aux risques d’intoxication pédiatrique (92,6 à 100 % selon les items).

Il nous parait donc nécessaire de continuer, sans relâche, à diffuser les lettres aux patients, élaborées conjointement par la firme qui commercialise la méthadone et les services de l’ANSM, tout en étant conscients de la difficulté de réduire à 0 le nombre d’intoxications pédiatriques.

Discussion

Depuis avril 2008, cette campagne a permis certainement de sensibiliser beaucoup de patients-parents à conduire leurs enfants aux urgences, même en cas de simple suspicion d’absorption de méthadone, ce qui est une bonne chose.

Effectivement, un grand nombre de ces intoxications pédiatriques se traduit fort heureusement par un score d’intoxication nulle ou mineur, laissant penser que l’enfant n’a pas réellement absorbé le contenu du flacon (ou réellement absorbé la gélule). C’est un effet positif des campagnes d’information qui ‘affolent’ un peu les parents.

D’ailleurs, le bilan des intoxications pédiatriques montre une absorption moyenne de 15 mg pour des enfants de 2 ans (valeur médiane) dans les cas sirop et 30 mg pour les cas gélule. Il nous parait évident qu’il ne peut s’agir de doses réellement ingérées mais en réalité non ingérées dans de nombreux cas (peut-être partiellement ou pas du tout), sans quoi le nombre d’intoxications sévères, voire de décès, serait considérablement plus élevé. Ce bilan est disponible sur le site de l’ANSM à l’adresse : http://www.centres-antipoison.net/CCTV/Rapport CCTV Methadone Pediatrie VF Octobre 2012.pdf.

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Tableau de synthèse du bilan à 4 ans

Notons également dans ce rapport que, dans la majorité des cas d’intoxications pédiatriques telles qu’elles sont notifiées par les services de toxicovigilance, les flacons ont été ouverts à l’avance ou les gélules déconditionnées du blister sécurisé. Dans ces conditions, il est clair qu’aucun dispositif ‘child-proof’, comme les bouchons des flacons de méthadone ou les blisters sécurisés, ne présente une quelconque efficacité.

Pour les cas où il est fait état de jeunes enfants (moins de 3 ans) ayant ouvert eux-mêmes les flacons de méthadone, même s’ils ont été notifiés ainsi sur la base de la déclaration du ou des parents, nous nous permettons de rester dubitatifs !

Evaluation_sensi_metha_Picture8En tant que cliniciens proches des patients, nous connaissons la difficulté à ouvrir les flacons de méthadone. Nous la constatons quotidiennement quand des patients adultes ou des infirmiers évoquent cette difficulté d’ouverture. Par contre, nous comprenons parfaitement qu’un parent, ‘coupable’ d’une négligence en ayant laissé sa méthadone à portée d’un de ses enfants, puisse ‘se disculper’ (vis-à-vis de lui-même ou de l’autre parent) et puisse déclarer donc au médecin qui va notifier le cas d’intoxication pédiatrique que c’est son enfant qui aurait ouvert lui-même le flacon !

Quoi qu’il en soit, cela pose la question de savoir pourquoi un flacon de méthadone (ouvert à l’avance ou non) se retrouve à la portée d’un enfant de 3 ans. Nous soutenons l’idée de la firme d’aller plus loin dans la minimisation de ce risque, projet qui a été soumis aux autorités de santé dès la mise sur le marché des gélules de méthadone en avril 2008.

En effet, elle a proposé l’affichage des visuels dans les salles d’attente des CSAPA, CAARUD et dans tous les lieux de passage obligé des patients sous méthadone. Ceci permet d’agir plus efficacement encore sur le risque d’intoxication pédiatrique en rendant le message permanent, répété et visible et en sensibilisant les soignants comme les patients à ce risque, de manière plus efficace. L’ANSM a rendu un avis favorable à cet affichage en septembre 2013. Il se met donc en place progressivement à l’heure où nous terminons cet article

Par ailleurs, si l’on exclut du bilan de toxicovigilance à 4 ans (avril 2008 à avril 2012) les cas d’intoxication jugée nulle ou mineur (38 cas sur 55, laissant penser que le contenu du flacon ou la gélule n’a pas été réellement – ou totalement – ingéré), les cas graves sont au nombre de 3 (1 intoxication grave et 2 décès). Dans 1 cas de décès, il s’agit d’une gélule belge (préparation magistrale, pas de blister sécurisé) et il y un cas avec le sirop. Il y a 12 cas d’intoxication modérée avec 2 fois une gélule belge et une fois du sirop belge.

Il ne semble pas y avoir d’évolution significative du nombre de cas rapportés chaque année, notamment compte-tenu du fait que la population exposée à la méthadone évolue de façon constante depuis plusieurs années. Si l’on rapporte le nombre d’intoxication grave et mortelle (3), ou modérée à mortelle (15) à la population exposée (près de 50 000 patients) et surtout au nombre de flacons et de gélules que cela représente chaque année (en 2012, près de 20 millions de flacons unidose et près de 19 millions de gélules – données fournies par la firme), le risque, s’il est réel, nous parait plutôt faible. Surtout si l’on tient compte de certains contextes difficiles (sociaux, psychiatriques…) dans lesquels se trouvent beaucoup de nos patients. Les cas récents (comme les deux enfants de Nancy qui ne sont pas dans le bilan) et qui ont défrayé la chronique fin 2012, montrent en effet la nécessité d’appréhender les contextes cliniques et sociaux difficiles, facteurs de risque supplémentaire et intervenant bien au-delà de considérations pharmaceutiques ou de conditionnement. La seule comptabilité des cas, même si elle est nécessaire dans un dispositif de vigilance, mais sans prendre en compte la complexité des prises en soin et des situations ne peut suffire. Elle peut, par contre, provoquer des réactions émotionnelles disproportionnées.

Enfin, les cliniciens doivent eux-aussi adapter leurs prises en soin. Le risque Zéro n’existe pas, surtout dans une population d’usagers dont la particularité est d’avoir des pratiques et des conduites à risque et chez lesquels on va prescrire (souvent par nécessité vitale) un traitement opiacé comme la méthadone. Mais, les traitements de substitution opiacée s’inscrivent résolument dans une approche plus globale de réduction des risques ou des dommages. Donc, cette réduction des risques ne doit pas se limiter au risque de mortalité, de séroconversion ou de désocialisation. Elle doit aussi concerner les dommages collatéraux que sont les ingestions accidentelles de méthadone (comme de tout autre médicament) par un enfant.

  • Nous incitons donc tous les médecins à participer activement à la diffusion des lettres-patients, mesure inscrite dans le plan de gestion des risques qui accompagne la commercialisation de la méthadone, en évaluant les situations à risques (présences d’enfants au domicile, conditions de stockage, pratiques de déconditionnement…)
  • Les conditions de prescription et de délivrance doivent être adaptées aux possibilités de gestion des patients d’un stock pouvant être parfois de plusieurs dizaines d’unités de prise.
  • Les prises en soin psycho-sociales doivent être mises en œuvre, aussi pour sécuriser les traitements !
Conflit d’intérêt : les médecins ayant participé à l’enquête et les rédacteurs n’ont perçu aucune rémunération de la part du titulaire de l’AMM des spécialités à base de méthadone (Assistance Publique des Hôpitaux de Paris), ni de la firme qui commercialise ces spécialités (Bouchara-Recordati). Les auteurs n’ont perçu aucune rémunération pour la rédaction de cet article.

Données 2011 relatives aux traitements de substitution aux opiacés

Environ 145 000 personnes ont reçu en France un remboursement de médicaments de substitution aux opiacés (MSO) au premier semestre 2011 avec spécificité française, une nette prédominance de la Buprénorphine haut dosage (BHD) sur la méthadone. Le nombre de patients bénéficiant d’un MSO ne cesse d’augmenter depuis leur mise sur le marché en 1995. Si l’impact socio-sanitaire de ces traitements est clairement positif, des mésusages ont aussi pu voir le jour, rendant nécessaire un suivi périodique de la prescription de ces produits.

C’est dans ce contexte que l’OFDT réalise régulièrement (2002, 2004, 2008) des études portant sur les données de remboursement des traitements de substitution.

Ce nouvel exercice s’attache à analyser d’un point de vue quantitatif les caractéristiques des populations bénéficiaires d’un remboursement de MSO en 2011. Les objectifs de l’étude sont de décrire les modalités de consommation de BHD et de méthadone. Les niveaux de consommation, les associations médicamenteuses ont été étudiées. Il s’agit aussi d’approcher l’intentionnalité des usages (thérapeutique ou non) et de préciser le cas échéant, les abus ou détournements rencontrés, notamment pour les sujets bénéficiant de BHD.

Subutex : pas d’obligation de passer au générique

La Buprénorphine n’est pas soumise aux objectifs de délivrance nationale des médicaments génériques. C’est ce que précise l’arrêté du 7 novembre 2013 relatif à la fixation d’objectifs de délivrance de spécialités génériques.

picto-oduà savoir

Pour tous problème avec un professionnel de santé (médecins, pharmaciens, CSAPA, CAARUD, etc.) vous pouvez contacter l’Observatoire du Droit des Usagers d’ASUD.

Ainsi à partir du moment où il est écrit Subutex sur votre ordonnance, le pharmacien n’a aucun intérêt, ni droit non plus, de vous imposer un générique d’une autre marque. Pour plus de sécurité vous pouvez demander au médecin d’apposer la mention  » non substituable «  sur l’ordonnance.

Pour plus d’information sur les prescriptions et délivrances de médicaments de substitution opiacés, consultez la rubrique Substitution.

Logo Substitution

Prise en soin des douleurs post-opératoires chez les patients recevant un traitement par méthadone ou buprénorphine

Dans cette étude australienne publiée dans le journal « Anaesthesia and Intensive Care », les auteurs rappellent en introduction que le nombre de patients sous TSO (BHD ou méthadone) est en augmentation régulière.

Lorsqu’une intervention chirurgicale est nécessaire, il est communément admis de continuer la méthadone. La poursuite de la BHD ne fait pas la même unanimité : certains préconisent de continuer le traitement tandis que d’autres, par crainte de diminution de l’efficacité du traitement antalgique post-opératoire (en raison de la compétition agoniste partiel / agoniste complet), incitent à un arrêt temporaire.

En l’absence de preuve permettant le choix d’une stratégie plutôt qu’une autre, les auteurs ont mené une étude de cohorte prospective évaluant le soulagement de la douleur et la posologie d’opiacés antalgiques nécessaire dans les 24 heures après une intervention chirurgicale. 22 patients sous BHD et 29 patients sous méthadone ont été inclus, l’analgésie était autocontrôlée par morphine ou remifentanyl.

Les résultats n’ont pas permis de relever de différence significative en termes de scores de douleurs, d’incidence des nausées ou de la sédation, que le patient ait reçu on non son MSO (méthadone ou BHD) au lendemain de l’intervention. Concernant l’analgésie contrôlée par le patient, il n’y avait pas non plus de différence constatée dans les posologies employées, sauf pour les patients qui n’avaient pas reçu leur BHD après l’opération. Dans ce cas, les patients nécessitaient après l’opération une posologie d’antalgique significativement plus élevée.

En discussion, les auteurs précisent que par rapport aux patients sous méthadone, une proportion plus importante de patients sous BHD a reçu du remifentanyl plutôt que de la morphine. Ce dérivé du fentanyl présente une activité et une affinité extrêmement importante pour les récepteurs opiacés. Cette particularité pourrait expliquer une action antalgique efficace même après une prise de BHD.

En conclusion, et comme cela était déjà admis pour la méthadone, les résultats de cette étude confirment que l’accompagnement des douleurs péri-opératoire chez les patients sous BHD peut se faire efficacement sans arrêter le traitement et avec pour bénéficie la nécessité d’une posologie plus faible d’opiacé antalgique. Avec toutefois, un effectif restreint dans cette étude pour en tirer des conclusions définitives.

Auteurs :  PE Macintyre, RA Russell, KAN Usher, M Gaughwin, CA Huxtable / Department of Anaesthesia, Pain Medicine and Hyperbaric Medicine, Royal Adelaide Hospital, North Terrace, Adelaide, South Australia 5000, Australia

Etude : Variation du poids sur 4 ans pour des patients en traitement de maintien par la méthadone

En février 2008, dans le numéro 34 de la revue, nous avions fait part des résultats d’une étude slovaque s’intéressant à la prise de poids chez les patients en traitement de maintien par la méthadone : 274 patients suivis dans un centre à Bratislava étaient évalués pour leur IMC (Indice de Masse Corporelle) avant et après une année de traitement. Les résultats de l’étude ont fait état d’une augmentation du poids. Après comparaison avec l’IMC de la population générale slovaque, les auteurs ont conclu que la prise de poids sous méthadone n’était pas un effet secondaire direct du traitement, mais était en lien avec un changement des habitudes alimentaires des patients. Ces derniers, en améliorant leurs conditions de vie, rejoignaient les normes pondérales de la population générale. Fin 2012, la même équipe a publié les résultats d’une étude complémentaire menée sur 42 patients évalués pendant 4 ans selon différents critères parmi lesquels le poids et l’IMC. L’objectif de l’étude était de rechercher l’impact de facteurs pharmacologiques ou socio-culturels sur la prise de poids.

Poids et méthadone

Les résultats (repris sur le graphique ci-dessus) ont permis de noter une augmentation significative de l’IMC après 1 an de suivi (p < 0,001) et dans une proportion plus faible entre la 1ère et la 2ème année (p < 0,05). Par la suite, aucune autre augmentation n’a été relevée. Pendant la durée de l’étude, il n’a pas été mis en évidence de lien entre posologie de méthadone et augmentation de l’IMC. Les conclusions des auteurs complètent leurs résultats précédents : les patients admis en traitement par méthadone présentent une prise de poids significative la première année, en parallèle de l’amélioration de leur condition de vie (et dans une moindre mesure la deuxième année). Leur poids reste stable à l’issue de la 2ème année.

Idées reçues : La découverte de la méthadone par les nazis !

Les premières expérimentations avec la méthadone ont été menées en France dès les années 1970. Sa commercialisation en 1995, dans un cadre plus large, est intervenue dans un climat de méfiance. Ce climat s’est depuis lors adouci, malgré toujours quelques pesanteurs et grandes peurs autour du médicament lui-même, héritages de plusieurs décennies d’idéologie anti-substitution et pro-abstinence et de combats idéologiques qui les ont accompagnées. Pourtant, le rapport bénéfices-risques de ce médicament paraît scientifiquement indiscutable.

Et, de ce fait, comme le soulignait notre ami Stéphane Robinet dans le Flyer 49, progressivement, un nombre croissant de patients (50 000 en 2012) a bénéficié d’un traitement de substitution par méthadone. Le traitement s’est en quelque sorte banalisé ou, tout du moins, a fini par être dé-stigmatisé.

Cependant, lorsque l’on s’interroge sur la composition, les effets, ou les origines de la méthadone, force est de constater que certaines idées reçues persistent. A titre d’exemple, il n’est pas rare que la découverte de la méthadone soit associée à l’Allemagne nazie :

  • La méthadone aurait été employé en Allemagne pendant la 2ème guerre mondiale pour faire face à un manque d’opiacés ;
  • Elle aurait été surnommée Dolophine ou Adolphine en référence à Adolph Hitler.

L’encyclopédie en ligne Wikipédia, même si elle a corrigé le tir depuis, a pendant longtemps affiché cette information sur la page consacrée à la méthadone.

Sur le site de la MILDT, l’information selon laquelle, la méthadone aurait été synthétisée pendant la seconde guerre mondiale est toujours présente.

 

Méthadone MILDT

 

Or, lorsqu’on se plonge quelques décennies en arrière, on peut s’apercevoir que ces affirmations ne sont pas exactes et qu’il s’agit plutôt de « légendes urbaines » alimentées soit par des détracteurs, soit par des reprises de fausses informations répétées sans aucune vérification.

La méthadone – une molécule découverte il y a plus de 70 ans

Dans les années 1880, en parallèle au développement de la chimie, se créé en Allemagne un contexte de recherche accrue d’antipyrétiques et d’antalgiques : commercialisation de l’Antipyrin® en 1884 ; Pyramidon® en 1897 et Novalgin® en 1921.

Par la suite, la recherche de molécules possédant des propriétés antalgiques et anti-spasmodiques se poursuit et en 1937, deux chimistes de la firme allemande Hoescht, Max Eisleb et Gustav Schaumann, découvrent la péthidine. Quelques temps plus tard, en 1938, un dérivé de la péthidine est synthétisé par deux chercheurs de l’IG Farbenindustrie : Max Bockmühl et Gustav Ehrhart. La molécule est brevetée sous le nom VA 10820.

Les premières expérimentations seront menées en 1942, le VA 10820 prenant le nom de code Amidon®. Son utilisation durant la 2ème guerre ne dépassera pas le cadre expérimental : en quantité insuffisante, la péthidine lui sera préférée car mieux connue et plus accessible.

Après la seconde guerre mondiale, les forces alliées récupérèrent l’ensemble des brevets détenus par la firme IG Farbenindustrie. Les données issues de la recherche seront dans le même temps collectées par le Département Américain de Renseignement Commercial (U.S. Department of Commerce Intelligence).

C’est uniquement à partir de 1947 que l’Amidon® prendra le nom de méthadone, attribué par le Conseil de la Pharmacie et de la chimie de l’Association Médicale Américaine (Council on Pharmacy and Chemistry of the American Medical Association). C’est également cette même année, que la firme Lilly, fera l’acquisition des droits de la méthadone pour 1$ et commercialisera une spécialité sous le nom de Dolophin®.

A la suite d’expérimentations en 1960, le comité des narcotiques du conseil de recherche médicale (Narcotics Committee of the Health Research Council) de New York mandate Vincent Dole pour effectuer des recherches sur la prise en soin de la dépendance à l’héroïne.

L’étude, menée conjointement avec Marie Nyswander et Marie-Jeanne Kreek, montra que la méthadone à la posologie de 80-120 mg/j permet, contrairement à la morphine utilisée jusqu’alors, d’empêcher de ressentir le manque en héroïne, d’améliorer l’état de santé global tout en permettant une reconstruction sociale de l’usager dépendant aux opiacés.1

L’idée (fausse) selon laquelle la méthadone aurait été appelée Dolophin®/Adolphin en référence à Adolph Hitler, apparaitra bien plus tard. Dans les années 1970, cette propagande sera employée dans les rues de New York par les détracteurs de la méthadone dans le but de la discréditer en associant l’Allemagne nazie2 et ses horreurs à une modalité de traitement à laquelle ils s’opposaient. En France, dans les années 80-90, cette même allégation faisait partie de la doxa anti-méthadone, notamment dans une partie du milieu spécialisé de l’époque. Tous les intervenants en toxicomanie français ont entendu cette affirmation souvent exprimée par des orateurs qui eux-mêmes l’avait entendu dans les propos ou lu dans les textes d’un autre. Depuis, plusieurs articles ont fait une mise au point sur le sujet, mais comme toute idée reçue, celle-ci a la vie dure, très dure !

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1 Dole VP, Nyswander MA. Medical treatment for diacetylmorphine (heroin) addiction: a clinical trial with methadone hydrochloride. JAMA. 1965;193(8):646-650

2 Kleber HD. Methadone: the drug, the treatment, the controversy. In: Musto DF, ed. One Hundred Years of Heroin. Westport, CT: Auburn House; 2002:149-158.

Injection de buprénorphine, réduction des risques et politique globale en matière de TSO – Quelle substitution injectable ?

Communiqué du Flyer – Pharm’addict – ARUDA – Pr Lançon

Ce 25 avril 2013, l’ANSM publiait sur son site, un point d’information sur les dossiers discutés en commission des stupéfiants et psychotropes. Parmi les sujets évoqués, il a été question de l’injection de buprénorphine, signalée comme plus dangereuse quand il s’agit de génériques que lorsque le princeps (Subutex®) est injecté.

Cette information nous parait importante pour les usagers, ainsi naturellement que pour les soignants qui placent leur intervention sur le terrain de la réduction des risques.

Des travaux du CEIP de Nantes ont déjà, il y a plus d’un an, évoqué ce risque majoré avec l’injection de générique comparativement à ce que l’on observe avec Subutex®.

Dans la moitié des cas, cela se traduit par une nécrose au point d’injection, et un document PDF disponible sur le web semble montrer – photos à l’appui – la différence en termes de conséquences d’une injection de buprénorphine générique par rapport à une injection de Subutex® (tapez « mésusage des génériques de la buprénorphine » sur votre moteur de recherche).

La taille des particules contenues dans les excipients pourrait expliquer cette différence si l’on en croit certains travaux réalisés par le même CEIP de Nantes.

Toujours est-il que cette notion de dangerosité relative est plutôt récente, en lien peut-être avec une diffusion plutôt faible, pendant les premières années, des génériques de buprénorphine. Ceci a changé avec une forte incitation à la substitution (générique à la place de Subutex®) dans certains départements où, sous l’impulsion des CPAM, le générique est devenu obligatoire en contrepartie de la dispense du tiers-payant (sauf si le médecin ajoute la mention non substituable). Il fait se souvenir également que les laboratoires génériqueurs de la buprénorphine, à l’époque où ils en faisaient une promotion active, laissaient entendre imprudemment à demi-mot que l’injection du générique contenant moins d’excipients irait dans le sens de la réduction des risques !

Cette discussion autour de la dangerosité du générique de buprénorphine par rapport au princeps fait poser plusieurs questions, qui vont bien au-delà de simples aspects techniques et pharmaceutiques (même s’il faut aussi les aborder ici) :

  • S’il y a un risque d’injection, faut-il vraiment contraindre les usagers de drogues à prendre un générique pour des raisons économiques sachant qu’en cas d’injection le risque de complication est plus élevé ?
  • Le générique de Subutex® doit-il être réservé aux non-injecteurs (ou supposés tels), si la délivrance des génériques doit se généraliser ?
  • Doit-on inciter les fabricants de génériques à changer leurs excipients, si ce sont eux qui sont responsables de complications ?
  • Le Subutex®, est il amené à devenir la buprénorphine de l’injecteur (ou supposé tel) ?
  • Si c’est le cas, doit on admettre le mésusage comme inscrit dans le marbre de la politique en matière de TSO ?
  • Y aura-t-il alors une image qui collera à la peau des usagers, selon qu’ils prennent le princeps ou un générique (bon ou mauvais toxico, ce qui est parfois déjà le cas) ?
  • Sachant que Suboxone® n’est pas une alternative pour tous les injecteurs, quelles sont les autres solutions ?
  • L’élargissement de la primo-prescription de méthadone (réputée moins injectable) en médecine de ville doit-il être inclus dans cette réflexion ?
  • Faut-il, comme le préconise certains, mettre sur le marché une substitution injectable ?
  • Dans ce cas, doit-il s’agir de buprénorphine, ou doit-on imaginer directement l’héroïne injectable médicalisée (comme l’ont fait nos voisins suisses depuis des années) ?
  • Qu’en est-il du sniff de buprénoprhine (sachant que cette pratique est probablement plus fréquente que l’injection, même si elle est moins étudiée) et y a-t’il là aussi une différence en termes de risques encourus par les usagers ?

Tous les professionnels qui prescrivent et délivrent ces traitement de substitution se sentiront concernés par ces questions qu’ils se posent souvent déjà.

Elles demandent également une réflexion globale de la part des autorités de santé. Quelle va être la position de certaines d’entre elles qui voient les mésusages et certains dommages collatéraux comme un échec relatif de la diffusion des traitements de substitution alors que nous pensons qu’ils traduisent un manque de moyens et de solutions alternatives (hébergement social, salles de consommation, substitution injectable…) ?

Vont-elles porter ces solutions alternatives dans un esprit de réduction des risques ? Ont-elles une marge de manœuvre (politique) et les moyens de porter des projets innovants, même si déjà largement expérimentés ici et ailleurs ?

Informations complémentaires

Ce communiqué a été rédigé suite au point d’information du 25 avril 2013, mis en ligne sur le site de l’ANSM à propos des sujets évoqués à la Commission Nationale des Stupéfiants et Psychotropes. Quelques jours plus tard, le compte-rendu complet de cette commission du 21 mars était mis à son tour en ligne.

L’APM publiait dans la foulée, le 3 mai 2013, un communiqué sous le titre suivant : « Plus d’effets secondaires graves rapportés avec les génériques de Subutex® qu’avec le princeps en cas de mésusage. Les génériques de Subutex® pourraient être associés à un plus grand nombre d’effets secondaires cutanés sévères que le princeps en cas de mésusage, selon un dossier examiné lors de la première réunion de la commission des stupéfiants et des psychotropes de l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire du Médicament et des produits de santé (ANSM)».

De son côté, la presse médicale a fait très peu écho de cette information, hormis Le Quotidien du Pharmacien, dans son édition du 16 mai 2013.

Il nous a semblé que cette information était d’une grande importance, compte-tenu des enjeux en termes de risques pour les usagers et des informations que nous avons à la rédaction du Flyer à propos des pressions qu’exercent certaines caisses pour inciter les médecins et surtout les pharmaciens à génériquer le Subutex® avec l’arme du tiers-payant contre génériques.

Nous ne commenterons pas les échanges qui sont rapportés dans le compte-rendu de la Commission, puisque celui-ci est disponible sur le site de l’ANSM à l’adresse suivante.

Par contre, nous incitons les professionnels de santé intéressés à cette question de prendre connaissance des échanges entre les participants. A l’intention de nos lecteurs, notamment pharmaciens, nous avons relevé dans les avis que rend la Commission, la formulation suivante :

« Par ailleurs, il apparaît, dans la pratique, que tous les pharmaciens d’officine n’ont pas connaissance du fait que la règle du tiers payant contre générique ne s’applique pas aux traitements de substitution aux opiacés. Aussi, la Commission préconise-t-elle de sensibiliser l’Assurance maladie sur ce point afin que des patients ne se voient pas opposer cette règle à tort. »

Concernant la raison pour laquelle c’est le CEIP de Nantes qui a recueilli les cas problématiques consécutifs à l’injection de générique, nous avons contacté les industriels pour nous donner une réponse à cette question.

Sans que cela soit parfaitement démonstratif, il faut noter que le département de Loire-Atlantique (44 -Nantes pour préfecture) a le record absolu en termes de ‘pénétration’ du générique, avec une part de patients recevant le générique (en 2012) de 83%, alors que la moyenne nationale est de 28%. Le suivant est à 53% ! On peut donc dire qu’il y a sur ce département une surreprésentation du générique de Subutex® pouvant expliquer une origine nantaise à cette problématique. Par ailleurs, les autres départements couverts par le CEIP de Nantes sont dans le haut du tableau et notamment, sur les 6 premiers au classement de la ‘performance générique’, 3 d’entre eux sont présents (44, 72 et 49).

Nous souhaitons préciser à tous les lecteurs, suite aux commentaires que nous avons reçus après l’envoi du communiqué, qu’aucun d’entre nous (les signataires) n’a été en relation avec des représentants de la firme Reckitt-Benckiser qui commercialise Subutex® lors de la rédaction de ce communiqué. Notre propos n’a été à aucun moment de faire la promotion du princeps contre le générique, encore moins la promotion de Suboxone® par rapport au mésusage (nous ne croyons pas suffisamment à cette alternative) mais d’ouvrir le débat sur une substitution injectable telle qu’elle existe dans d’autres pays. Nous pensons que les génériques de Subutex® ont leur place, comme pour les génériques de tout autre médicament tombé dans le domaine public. Mais, obliger un usager injecteur à prendre un produit plus dangereux pour sa santé n’est pas une solution ! Nous ne cautionnons pas le mésusage, bien sûr, mais avons voulu réfléchir (à haute voix) sur les solutions pour le limiter et la mise à disposition d’une substitution injectable en est une, parmi d’autres !

Nous avons reçu un nombre très important de commentaires concernant le communiqué initial que nous avions publié fin avril 2013. Nous en avons donc sélectionné qu’une partie, représentatifs de l’ensemble. Cela montre indubitablement la prise de conscience des intervenants vis-à-vis du problème des mésusages des TSO. Cette ‘histoire’ autour de l’injection de buprénorphine nous rappelle aussi que cette molécule est au départ une molécule injectable, dont l’efficacité a été unanimement reconnue dans le milieu des algologues. Il s’agissait du Temgésic® 0,3 mg (ampoule injectable), dont l’injection d’une seule dose permet de procurer une analgésie équivalente à 10 ou 20 mg de morphine. La voie sublinguale est en fait une voie ‘détournée’ de sa voie ‘royale’, pour des raisons probablement marketing, consistant à diffuser de façon plus large et sans recours à l’injection l’efficacité indéniable de la molécule, sous la forme de comprimés sublinguaux, initialement dosés à 0,2 mg. Mais au prix d’une perte très élevée en bio-disponibilité (au moins 50 à 70%) et en rapidité d’action… En s’injectant la buprénorphine, les usagers ne la détournent pas de son usage, ils en retrouvent l’usage originel et surtout le plus efficace.

Cela doit nous inciter à soutenir les projets visant à donner un statut légal à une substitution injectable, à base d’héroïne ou bien sûr de buprénorphine ou encore d’autres molécules.

En s’étant assurés au préalable que les traitements existants soient réellement accessibles à tous, et partout et prescrits dans les meilleurs conditions d’efficacité pour les usagers. Ce qui n’est pas forcément le cas. L’expérience suisse avec l’héroïne est d’autant plus probante que l’offre en méthadone était largement suffisante…

Méthadone et allongement de l’espace QT : Analyse de quelques publications récentes…et moins récentes

substitutionPour tout savoir et échanger sur les traitements de substitution opiacés rendez vous sur la Plateforme Substitution d’ASUD.

Un risque connu depuis des décennies…

La prescription de méthadone est courante depuis plus d’un demi-siècle comme analgésique morphinique et comme médicament de substitution opiacée dans de nombreux pays. Depuis plus de 30 ans, elle est connue pour allonger l’espace QT chez certains patients et dans certaines conditions, par un mécanisme parfaitement connu et dans des proportions assez proches de nombreux médicaments utilisés en pratique courante (antibiotiques, anti- allergiques, psychotropes, cardiotropes…).

Jusqu’au début des années 2000, hormis quelques publications, ce risque d’allongement de l’espace QT aux conséquences cliniques rares, sinon exceptionnelles, était relativement inconnu de tous, jusqu’à la publication de Krantz en 2002. Il y décrivait 17 cas de torsades de pointes, mettant ainsi en lumière et de façon alarmante, un risque de torsade de pointes en lien avec la méthadone.

 

Méthadone et QT long (2)

 

Il faut repréciser ici que la posologie moyenne de méthadone dans cette analyse rétrospective de cas, près de 400 mg/jour, était tout simplement ‘stratosphérique’ (commentaire d’Andrew Byrne à l’époque de la publication de Krantz), que 7 patients souffraient d’une hypokaliémie et un autre d’une hypomagnésemie (facteurs reconnus d’allongement de l’espace QT). Par ailleurs, 9 d’entre eux recevaient conjointement un traitement connu pour allonger l’espace QT. Au total, en dehors d’une posologie (très) élevée de méthadone, 14 des
17 patients avaient au moins un facteur de risque d’arythmie. Disons simplement que si on avait voulu montrer la toxicité cardiaque de la méthadone, on aurait guère pu mieux faire qu’en prenant un échantillon « aussi dosé » et comorbide ! Notons toutefois que l’auteur, prudent dans sa conclusion, précisait que les données suggéraient mais ne prouvaient pas que de très hautes doses de méthadone puissent être la cause de torsades de pointes. Beaucoup de publications ont alors suivi, rediscutant souvent les cas de Krantz et une littérature très pléthorique mais indigente a vite envahi l’espace dédié à la communication autour des TSO.

Très rapidement, les défenseurs des TSO par la méthadone ont réagi à cette littérature peu originale et redondante, s’inquiétant parfois des conflits d’intérêt des auteurs d’une revue bibliographique avec une firme qui commercialise un concurrent de la méthadone (!) ou regrettant l’argent et le temps dépensé en études n’établissant aucune nouveauté clinique (toujours Andrew Byrne, plus récemment encore).

Méthadone et QT long Marie-Jeanne KreekCitons aussi Marie-Jeanne Kreek, co-inventeure des TSO à la méthadone (et 50 ans de prescription au compteur !), qui a rappelé au dernier congrès THS en 2011 ce qui lui semblait être l’innocuité de la méthadone, à condition de suivre des règles connues depuis des décennies et au regard des centaines de milliers de patients traités. D’autres équipes ont publié des études prospectives rassurantes dont notamment celles que nous traiterons ici.
Notons qu’en France, le titulaire des AMM de la méthadone, l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris, a lui-même demandé en 2005 une modification de l’information contenue dans les RCP pour y inscrire les mesures de précautions vis-à-vis de l’allongement du QT. La firme qui commercialise la méthadone, communique depuis lors et très régulièrement sur le sujet recommandant notamment la pratique d’ECG, voire celle d’un dosage sanguin de potassium à la recherche notamment d’hypokaliémie.

Une polémique réactivée en 2012…

En 2012, une étude publiée dans Addiction a relancé une énième fois la polémique sur le sujet (on se demande pourquoi et dans quel intérêt ?).

 

Méthadone et QT long (3)

 

Sans remettre en cause l’honnêteté des auteurs de cet article, il semble bien que cette étude souffre de quelques biais méthodologiques et, surtout, affiche un titre et une conclusion peu en rapport avec ce qu’elle est en droit d’avancer.

En premier lieu, son titre laisse supposer une augmentation de l’incidence de prolongement de l’espace QT pour l’échantillon étudié, alors que les auteurs ne disposaient pas d’un ECG de base, avant la mise en place du traitement. Dans le passé, d’autres auteurs comme Lipski et ses collègues, en 1973, ont rapporté que 19 % des consommateurs d’héroïne dans la rue présentaient un allongement du QT avant de commencer un traitement par méthadone. Très certainement en rapport avec des poly-consommations ou des conditions sanitaires et sociales favorables à des perturbations électrolytiques et un état de santé général parfois (souvent) mauvais.

En second lieu, il est fait référence dans cette étude à de « plus faibles dosages » de méthadone responsables de prolongement de l’espace QT. Or, dans cette étude, la posologie moyenne de l’échantillon est de 80 mg/jour, moyenne supérieure au 60-70 mg constatée en France (dispositif OPPIDUM) comme ailleurs. S’il s’agissait de dire que les posologies sont plus faibles que dans la série de Krantz (400 mg/jour), c’est un fait ! Pour autant, elles sont plutôt normales dans le contexte de la pratique clinique courante en addictologie.

En troisième lieu, dans cet échantillon, plus de la moitié des patients consomme encore de l’héroïne, sans que les auteurs n’aient jugé utile de corréler ce constat objectif (analyse urinaire) avec le prolongement de l’espace QT. Par ailleurs, aucun ionogramme n’a été réalisé, à la recherche de perturbations électrolytiques, parmi lesquelles une hypokaliémie, dont la responsabilité dans l’allongement de l’espace QT est bien établie.

Enfin, on peut noter que les auteurs ont retenu 450 ms comme valeur seuil au dessus de laquelle on pouvait parler d’un allongement de l’espace QT, alors qu’il est possible de retenir des valeurs supérieures à 470 ou 480 ms selon certaines sociétés savantes en cardiologie. Dans l’hypothèse du choix de ces dernières valeurs, le taux de QT prolongé passe à 2.2% (4 patients sur les 180 de l’échantillon) avec un espace QT supérieur à 470 ms. Par ailleurs, aucun patient ne présente d’espace QT supérieur à 500 ms, valeur au-delà de laquelle on estime un risque significativement augmenté d’arythmie (Journal of Addictive Diseases. Volume 30, Issue 4, 2011. QT Interval Screening in Methadone Maintenance Treatment: Report of a SAMHSA Expert Panel). Pourtant, ces auteurs, dans leur discussion, évoquent longuement le risque torsadogène de la méthadone alors qu’aucun des patients n’a été victime d’un quelconque incident suggérant une arythmie ou une torsade de pointes !!

Méthadone et QT long (4)Au regard de ces remarques, il ne nous semble pas que cette étude apporte un quelconque élément nouveau dans la conduite à tenir dans la prise en soins des patients bénéficiant d’un traitement par la méthadone. Dans une réaction publiée sur son blog à la suite de la publication de cette étude, le Dr Andrew Byrne, en dehors de sa question de la pertinence à dépenser du temps et de l’argent pour établir ce que l’on sait déjà, met l’accent dès le titre de son article sur l’impact de la méthadone sur la baisse de la mortalité des usagers en regard du rare risque de survenue d’un arrêt cardiaque non fatal tout en encourageant à rechercher une posologie adaptée (synthèse en fin d’article).

Des études à la méthodologie plus rigoureuses…

Toujours dans la même revue Addiction, deux équipes expérimentées (Kreek à New York et Peles à Tel Aviv) ont publié en 2006, une étude visant à établir un lien entre QT et posologie de méthadone d’une part et, de façon très pertinente, le lien entre QT et taux sériques de méthadone d’autre part.

 

Méthadone et QT long (5)

 

Pour ce faire, ils ont étudié une série de 138 patients recevant une posologie très élevée de méthadone (en moyenne 170 mg/jour), avec des taux sanguins de méthadone en moyenne à 708 ng/ml, bien au-dessus des valeurs retrouvées chez la plupart des patients traités en pratique courante (400 ng/ml). Le QTc moyen calculé dans cette série est de 418 ms.

  • Seuls, 3 patients présentaient un QTc supérieur à 500 ms (très prolongé par rapport à des valeurs normales) sans possibilité d’établir un lien de cause à effet avec la méthadone, puisque les chercheurs ne disposaient pas de mesure de l’espace QT avant la mise en place du traitement.
  • 19 patients avaient un QTc compris entre 450 et 499 ms.
  • Aucun de ces 22 patients, dans un suivi à 2 ans, n’a souffert de problème cardiaque.

S’il n’y pas dans cette étude de corrélation étroite entre posologie et taux sanguins de méthadone d’une part et valeur QTc d’autre part, les auteurs notent que tous les patients avec un QTc > à 450 ms avaient une posologie supérieure à 120 mg/jour. Ils en concluent naturellement que le traitement par la méthadone est sûr (malgré ici des posologies et des taux sanguins largement supérieurs à la normale) mais que, pour autant, les patients avec une posologie supérieurs à 120 mg/jour doivent faire l’objet d’un ECG. C’est exactement le seuil retenu pour le RCP des spécialités à base de méthadone commercialisées en France, au- delà duquel, sans autre facteur de risque associé, il est conseillé de pratiquer un ECG.

Une étude en 2012, avec mesure du QTc avant et après…

Encore plus récemment, une étude norvégienne a été publiée en octobre 2012 dans la revue Drug & Alcohol Dependence.

Méthadone et QT long (1)

substitutionPour tout savoir et échanger sur les traitements de substitution opiacés rendez vous sur la Plateforme Substitution d’ASUD.

Les auteurs rappellent en préambule que la méthadone et la buprénorphine sont largement utilisées dans le traitement de la dépendance aux opiacés. Certaines études suggèrent que l’emploi de la méthadone serait associé à un risque accru d’allongement de l’espace QT et de survenue de torsades de pointe alors que ces risques n’auraient pas été observés avec la BHD.

Par ailleurs, si un lien entre posologie de méthadone et allongement de l’intervalle QT a pu être décrit au sein de plusieurs études (mais pas toutes comme nous venons de le voir), beaucoup d’entre elles révèlent de nombreuses faiblesses méthodologiques parmi lesquelles :

  • L’absence de mesure de l’espace QT avant l’entrée des patients en traitement : les seules valeurs prises en considération sont les intervalles QT évalués à un instant donné (permettant de conclure à un QT prolongé par rapport aux valeurs normales et non à un allongement de l’espace QT lié au traitement) ;
  • L’absence de prise en compte des consommations associées, notamment de drogues ou de médicaments connus pour allonger l’intervalle QT ou pour interagir avec la méthadone ;
  • L’absence de mesure des concentrations plasmatiques en potassium : l’hypokaliémie étant un facteur connu d’allongement d’intervalle QT, sinon le principal.

L’objectif de cette étude a donc été de déterminer le risque d’augmentation de l’intervalle QT corrigé (QTc) pour des patients en traitement de substitution opiacée et d’étudier les potentielles associations entre modification du QTc et concentrations plasmatiques en méthadone et buprénorphine.

90 patients ont été recrutés au moment de l’instauration de leur traitement de substitution opiacée par méthadone (n = 45) ou buprénorphine (n = 45). L’intervalle QTc a été déterminé par électrocardiogramme (ECG) à l’admission (avant la mise en place du traitement), après 1 mois (n = 79) et après 6 mois (n = 66). Des échantillons sanguins ont également été recueillis pour analyse des concentrations plasmatiques en buprénorphine, (R)-méthadone, (S)-méthadone et mélange racémique de méthadone. Les valeurs de kaliémie ont également été mesurées.

Quel que soit le groupe, aucun patient n’a présenté de QTc prolongé (défini ici par une valeur de QTc supérieure à 450 ms) au moment de l’admission, après 1 mois ou après 6 mois de traitement. Les valeurs de QTc moyennes pour la buprénorphine étaient respectivement de 405 ms, 399 ms et 398 ms au 3 temps de l’étude. Celles pour la méthadone de 406 ms, 409 ms puis 408 ms, soit une augmentation non significative de quelques millisecondes. Les posologies moyennes dans cette étude sont autour de 90 mg pour la méthadone et autour de 16 mg pour la buprénorphine.

Dans cette étude, après analyse à l’aide d’un modèle de régression linéaire, l’augmentation du QTc n’a pas été associée aux concentrations plasmatiques de buprénorphine (p = 0,90) ou de méthadone (p = 0,37). Seule, une faible concentration en potassium (hypokaliémie) était associée à une augmentation significative du QTc (p = 0,037).

Ces données soutiennent et renforcent les résultats précédents selon lesquels la méthadone à posologie modérée (inférieure à 100 mg/jour) n’est pas associée à une augmentation significative du QTc. Selon les auteurs, malgré l’absence d’écart entre les 2 médicaments, la buprénorphine (à posologie usuelle) est une alternative viable à la méthadone en regard du risque d’allongement du QTc (!).

Cette étude met réellement en lumière un élément plus nouveau, c’est l’association (qu’on aurait déjà pu craindre) entre allongement de l’espace QT et l’hypokaliémie. Elle incite, de ce fait, à la pratique d’un ionogramme ou plus facilement d’un dosage du potassium, à la recherche d’une hypokaliémie chez des patients qui vont, de surcroit, présenter des facteurs de risques associés (co-prescriptions d’inhibiteurs du métabolisme de la méthadone ou de médicaments allongeant l’espace QT, posologie supérieure à 120 mg/jour, antécédents cardiaques…)

En pratique…

Sur cet aspect, le suivi de patients bénéficiant d’un TSO doit comprendre :

  • L’information des patients sur les risques et la recherche d’antécédents à l’anamnèse (syncope, arythmies, atteintes cardiaques préexistantes, antécédents familiaux de mort subite…).
  • Un ECG, au moins pour tout patient avec une posologie supérieure à 120 mg/jour comme les RCP des spécialités à base de méthadone le préconisent mais, pourquoi pas, pour tous les patients bénéficiant du traitement, en raison de l’existence d’autres facteurs aggravants (consommations illicites associées – cocaïne notamment, médicaments co-prescrits, hypokaliémie…).
  • Une recherche de signes cliniques :
    • pouvant être en lien avec une arythmie pour les patients déjà traités (malaises, vertiges…) même s’ils sont non spécifiques.
    • pouvant être responsable d’une fuite potassique (diarrhée, déshydratation),
  • L’évaluation d’un éventuel déséquilibre alimentaire (pauvre en fruits et légumes) qu’il faudra tenter de corriger.
  • Un dosage du potassium, à la recherche d’une hypokaliémie, notamment en cas de QTc > à 450 ms et pour les patients en cours du traitement.
  • Un suivi rapproché si le QTc est > à 450 ms et < à 500 ms, avec ECG et kaliémie répétés, sans négliger l’effet anxiogène d’un tel suivi.
  • Si le QTc est supérieur à 500 ms :
    • Une diminution de la posologie, si elle est possible.
    • Un changement des co-prescriptions, si il est possible
    • Un changement de MSO : buprénorphine haut dosage par exemple, si il est possible et souhaitable (par le patient, ex : ex-injecteur de buprénorphine) ou par morphine LP, avec l’avis du médecin-conseil et, par exemple, dans le cadre d’un protocole de soins ?

Concernant la buprénorphine, les études sont rassurantes sur le risque d’allongement de l’espace QT. Il faut noter toutefois que celles-ci ont été réalisées avec des posologies généralement inférieures ou égales à 8 mg/jour (sauf celle de Stallvik et coll.). Il existe peu de données pour des patients avec des posologies supérieures à 16 mg, promues par certains cliniciens ainsi que les firmes qui commercialisent les présentations à base de buprénorphine. Idem pour ceux qui mésusent les formes de buprénorphine et dont l’injection ou le sniff peut entrainer des concentrations plasmatiques plus élevées et moins anodines en matière de cardiotoxicité.

Concernant la morphine, elle ne semble pas avoir d’effet sur le QT aux posologies habituellement efficaces, mais n’ayant pas d’AMM pour son utilisation en tant que MSO, sa prescription peut être refusée, même si le dispositif Girard (du nom de l’auteur de la circulaire qui en permet normalement l’utilisation à titre dérogatoire) est censé rendre possible la prescription dans des cas comme celui-ci.

Dans tous les cas de figure, après changement de MSO, il convient de vérifier l’impact qu’il a eu sur l’intervalle QT.

Enfin, la question de la pratique d’un ECG préalable au traitement se pose. Elle a divisé et divisent encore de nombreux cliniciens. Si elle apparait comme une mesure de bon sens a priori, il faut la discuter à l’aune d’une évidence. Il y a peu de chance, avant l’initiation d’un traitement par la méthadone, d’être en présence d’usagers sans consommations de substances licites ou illicites qui allongent l’intervalle QT.

On disposerait alors d’un QTc de référence peu éclairant sur le risque pris en démarrant un traitement. Par ailleurs, comme la littérature scientifique le confirme, le risque d’allongement du QT est quasi nul pour des posologies < à 120 mg/jour. Il n’y a donc pas lieu de faire systématiquement une ECG avant la mise sous traitement, sauf si cette pratique n’entrave ni ne ralentit la mise en place effective dudit traitement.

Si toutefois, on dispose d’un résultat d’ECG avec un QTc > à 500 ms, mieux vaut surseoir à la mise en place du traitement par la méthadone (en prescrivant dans l’attente de la buprénorphine ou de la morphine – si possible), tout en corrigeant d’éventuels facteurs responsables de QT longs (co-prescriptions, déséquilibres hydro-éléctriques).

En complément, un résumé de la réaction du Dr Andrew BYRNE à la publication de Roy 2012 dans Addiction…

Le faible risque de survenue d’un arrêt cardiaque ne doit pas empêcher des bonnes pratiques de posologies adaptées de méthadone qui permet de sauver des vies.

Le Dr Andrew Byrne est médecin généraliste en Australie. Dès 1986, il a été un des premiers praticiens du pays à instaurer des traitements par méthadone pour ses patients usagers de drogues dépendants aux opiacés. En parallèle de sa pratique, il publie régulièrement de nombreux courriers, commentaires et avis dans des revues telles que l’Australian Medical Journal, Addiction Research, Journal of Maintenance in the Addictions, British Medical Journal, Addiction, British Journal of Psychiatry, Australian Family Physician, The International Journal of Drug Policy ou encore the New York Times. Il contribue également à de nombreuses discussions sur Internet dans le cadre de son blog.

Fin Août 2012, le Dr Byrne à réagi à un article publié par une équipe irlandaise concluant à un allongement de l’intervalle QT même pour des « posologies faibles » de méthadone. Après une première discussion de la publication, il retrace l’historique de la question de l’allongement de l’intervalle QT au travers d’une revue de la littérature. Dans sa réaction, le Dr Byrne apporte plusieurs précisions qui peuvent être notées :

  • 10% à 19% des consommateurs d’héroïne de rue présentent un QT long avant de commencer un traitement par la méthadone (Wedam et al. ; Lipsky et al.) ;
  • Un allongement notable de l’intervalle QT, même à un taux supérieur à 500 ms ne semble pas entrainer un risque notable de torsades de pointe (dans la population de patients en MMT étudiée par Wedam et al.) ;
  • Au sein de la littérature, il n’existe aucun décès documenté dû à une torsade de pointe chez des patients en traitement de maintien par la méthadone (avec cependant un seul décès suspect documenté en France).

substitutionPour tout savoir et échanger sur les traitements de substitution opiacés rendez vous sur la Plateforme Substitution d’ASUD.

En conclusion, le Dr Byrne rappelle que la population d’usagers de drogues est une population présentant plusieurs facteurs de risque parmi lesquels la prise de nombreux médicaments, la présence de pathologies sous-jacentes (VIH, hépatite C…) et la consommation d’alcool. Il s’interroge également sur le fait de dépenser autant d’argent et de temps au sujet de l’allongement de l’intervalle QT alors que la question des « standards » du traitement n’est pas encore résolue.

L’abandon du traitement, les décès, les overdoses, les infections virales, le chômage, etc… sont toutes des conséquences bien documentées de posologies insuffisantes, d’un encadrement inadapté et d’une absence de soutien psychosocial. L’ensemble de ces facteurs a été décrit dans le premier article sur la méthadone rédigé par Vincent Dole en 1965. Cependant, ces données ne sont pas toujours prises en considération et in fine, le Dr Byrne rappelle que ce sont les patients qui en font les frais.

par Dr William LOWENSTEIN, Boulogne (92), Dr Claude FONTANARAVA, Aubagne (13) & Dr Philippe RIVAT, Cardiologue-rythmologue, St-Amand-les-eaux (59)

Conflits d’intérêt : Les auteurs n’ont perçu aucune rémunération des firmes qui commercialisent les spécialités concernées (à base de buprénorphine ou de méthadone) pour la rédaction de cet article.

Histoire de la Méthadone

Ecrit par Andrew Preston(1) et extrait du magazine JUICE(2)

Les mythes concernant la méthadone sont nombreux. Cette première partie de notre histoire de la méthadone en détruira quelques uns parmi ceux qui sont considérés comme les plus vénérables.

Que savez-vous sur l’origine du produit que vous consommez tous les jours ? Comme la plupart d’entre nous, deux faits vous ont probablement frappés :

  1. La méthadone aurait été découverte par les allemands dans un désespérant effort de guerre pour suppléer au manque d’opium dont l’approvisionnement était interrompu par l’offensive alliée.
  2. La première appellation de la méthadone aurait été la « Dolophine(3) » en souvenir de « Adolph » (Hitler). 

Les deux sont faux.

Le rôle de Max et Gustave…

La préhistoire de la méthadone débuta avec son ancêtre chimique : la péthidine (en France le Dolosal®). Créée en 1937 par deux scientifiques allemands : Max Eisleb et Gustav Schaumann, la péthidine permit de soulager rapidement les douleurs liées à l’accouchement chez des milliers de femmes. Ses deux créateurs travaillaient pour le conglomérat chimique allemand I.G. FarbenIndustrie dont les laboratoires mirent également au point le procédé pour fabriquer de l’héroïne à partir de l’opium il y a un peu de 100 ans. L’usine de la compagnie étant située à Höchst-am-Main, la péthidine fut baptisée du numéro de série : Höchst 8909. Plus tard elle fut appelée Dolantin®.

Pratiquement depuis que la dépendance est connue, le St Graal des chimistes a toujours été la recherche d’une drogue analgésique non addictive. En d’autres termes une drogue supprimant la douleur  mais ne produisant aucun des effets agréables dont certains ne veulent ensuite plus se passer.  Ils crurent avoir réussi avec la péthidine mais, comme avec l’héroïne il y a un siècle et avec la buprénorphine (Temgesic®, Subutex®) actuellement, douleur et plaisir ne se laissent pas dissocier si facilement et la recherche continue toujours.

Des collègues de Eisleb et Schaumann, les dr Max Bockmühl et Gustav Ehrart continuèrent à tripoter la structure moléculaire du principe actif du Dolantin® , espérant créer un analgésique suffisamment différent de la morphine afin de proposer une alternative aux opiacés dont la prescription avait très mauvaise réputation dans l’Allemagne nazie.

En 1938, parmi leurs 300 créations, une constellation d’atomes de carbone, d’hydrogène, de nitrogène, d’oxygène et de chlorine devint une molécule que nous connaissons sous le nom de méthadone.

L’œuvre de Max et de Gustav fut enregistrée sous le label « Höchst 10820 » et plus tard fut baptisée Polamidon®.

Oublié dans un placard

Les chercheurs de Höchst firent suffisamment de recherches pour démontrer les qualités analgésiques de la méthadone. Pour ne pas se faire déposséder, le 25 septembre 1941, Max Bockmühl et Gustav Ehrart remplirent un formulaire afin de breveter leur découverte. Après ça, ils remirent leur produit aux militaires sous le nom de code « Amidon » pour une série de tests plus vastes.

Peut-être les militaires utilisèrent-ils des doses trop fortes entraînant trop d’effets secondaires et cela les dissuada de continuer l’utilisation de la méthadone comme anti-douleur ? Peut-être les conditions de la guerre et le contexte d’après-guerre empêchèrent-ils toute recherche supplémentaire? En tout cas, quelle qu’en soit la raison, aucune tentative d’importance ne fut faite pour lancer une production commerciale de « Höchst 10820 » durant la guerre et les recherches pour trouver de nouveaux médicaments analgésiques continuèrent.

Les accords signés à la fin de la guerre obligèrent l’ Allemagne à remettre tous ses brevets, découvertes et marques déposées aux alliés. Le pays fut partagé par les vainqueurs ; la société Höchst se trouvait dans le secteur sous contrôle américain. Les autorités US dépêchèrent  une équipe de quatre personnes – Kliederer, Rice, Conquest et Williams – afin d’évaluer les travaux des chercheurs de Höchst durant la guerre. En 1945, leur rapport fut publié par le US Department of Commerce.

Ce fut la première publication documentant les effets de la méthadone. Cette drogue, bien que chimiquement différente, avait des effets analgésiques proches de la morphine. Comme les américains furent les premiers à publier ces informations, quelques uns crurent que les allemands ne connaissaient pas les effets de la drogue. En réalité les américains avaient simplement rapporté ce que les allemands leur avaient appris.

Les USA récoltent les lauriers

Tout le stock des créations chimiques de Höchst fut saisi par les américains et les formules des inventions furent distribuées librement dans le monde entier. La méthadone ainsi que d’autres produits débutèrent ainsi une carrière commerciale dans l’industrie pharmaceutique. Les bénéficiaires reconnaissants purent choisir le nom commercial ou de marque déposée qu’ils voulaient.

La compagnie pharmaceutique US Eli-Lilly choisit le nom d « Dolophine » que de nombreuses personnes prétendirent inspiré par le prénom de Adolph Hitler. Cette affirmation est sans fondement. Jamais les responsables de Eli-Lilly n’auraient voulu ainsi commémorer le führer. Ce nom fut probablement inspiré par le nom français « douleur » lui même dérivé du latin « dolor » et phine proviendrait de « fin », le tout donnant l’idée de « fin de la douleur ».

En 1947, une équipe américaine, qui expérimenta largement la méthadone, sous la direction de Isbell, publia un résumé de ses travaux. Mais ils firent comme les militaires allemands et employèrent des doses bien trop élevées de méthadone. A certains volontaires on injecta jusqu’à 200 mg quatre fois par jour. A de telles doses, Isbell observa « un rapide développement d’une tolérance ainsi qu’une euphorie » et probablement quelques décès qui furent passé sous silence. On dut diminuer les doses car les volontaires souffraient de  « toxicité….inflammation cutanées… profonde narcose… et une apparence clinique de malaise général.  (A ASUD on aurait dit qu’ils étaient  vachement défoncés) Mais tout le monde ne trouva pas la méthadone sans intérêt ni attrait. Des médecins affirmèrent que : « des personnes dépendantes de la morphine répondent positivement à la méthadone. »

Ces expériences amenèrent les chercheurs US à mettre sévèrement en garde contre le potentiel addictif de la méthadone : « Nous pensons que si la fabrication et l’utilisation de la méthadone (déjà appelée ainsi) ne sont pas strictement contrôlées, la dépendance à ce produit deviendra un grave problème de santé publique. »

Alors que les scientifiques US récoltèrent la renommée, les créateurs allemands de la méthadone ne présentèrent leur travail original qu’en juillet 1948 et il ne fut pas publié avant 1949.

Les premières publications d’après-guerre voulurent démontrer que, par rapport aux autres analgésiques centraux, les avantages de la méthadone étaient minimes par rapport à tous ses inconvénients tels que : nausées, dépression respiratoire et devant le danger d’une forte dépendance.

Seule l’armée américaine faisait une très parcimonieuse utilisation expérimentale de la méthadone en tant qu’anti-douleur quand en 1965, les médecins US Marie Nyswander et Vincent Dole, en relisant la littérature spécialisée, eurent l’idée d’employer le produit pour un nouvel usage. Ce couple, à présent célèbre, cherchait un médicament pour traiter les personnes dépendantes de l’héroïne. Ils espèraient trouver une drogue de type opiacé qui puisse être utilisée par voie orale et qui n’entraînerait pas une augmentation des doses pour maintenir l’effet recherché.

Leurs premières expériences trouvèrent rapidement un emploi à la méthadone… et le reste fait partie de l’histoire.

Chronologie

1937 – Création de la péthidine ; premier précurseur de la méthadone par les scientifiques allemands Eisleb et Shaumann.

1938 – Max Bockmühl et Gustav Ehrart synthetisent la méthadone à partir de la pethidine.

1941 – Bockmühl et Ehrart fontbreveter leur nouvelle création.

1945 – A la fin de la deuxième guerre mondiale, les USA font main basse sur l’usine qui fabriquait la méthadone

1945 – Les Etats-Unis publient un premier rapport basé sur le travail de recherche des allemands.

1947 – Après leurs expériences, Isbell et ses collègues mettent en garde contre les risques de dépendance.

1949 – Les recherches originales de Max Bockmühl et de Gustav Ehrarhart sont finalement publiées.

1964 – Les médecins US Nyswander et Dole expérimentent la méthadone pour traiter la dépendance à l’héroïne.

1964 et plus tard : Depuis leur clinique new-yorkaise, la méthadone, grâce à la persévérance de Vincent et Marie devient le traitement de l’héroïnomanie le plus populaire du monde.


Notes

1 Andrew Preston, infirmier psychiatrique de formation, est l’auteur et l’éditeur d’ouvrages pour les personnes travaillant dans le champ de la toxicomanie et leurs clients. Il travaille comme intervenant en toxicomanie à Dorchester dans un service d’aide aux personnes dépendantes de l’alcool et des drogues.

2 Juice fut un magazine anglais consacré exclusivement à la méthadone et s’adresse à ceux qui consomment ce produit. Créé en 1996, avec le soutien d’un laboratoire pharmaceutique,  par Andrew Preston et Mike Ashton du magazine « Druglink », JUICE s’arrêta malheureusement après le premier et unique numéro pour des raisons budgétaires.

3 Espérant donner une connotation particulièrement négative à la méthadone, certains détracteurs, fanatiquement opposés aux traitements de substitution, prétendirent que le médicament fut inventée sur l’injonction de Hitler et que sa première appellation fut « Adolphine » ou « Adolfine », soit disant en hommage à Adolphe Hitler. (note du traducteur).

Suboxone® subi ou Subutex® choisi ?

Troisième médicament de substitution autorisé en France après la méthadone et le Subutex®, le Suboxone® est dans les bacs depuis le 17 janvier 2012. L’indication de ce nouveau traitement, voire son principe neurobiologique, soulève depuis longtemps des interrogations légitimes. Retour sur une molécule controversée.

En 1999, la présentation du Suboxone® avait déjà mis la patience des militants d’Act Up à rude épreuve et provoqué le « zap » de la Commission nationale des traitements de substitution. Chaises renversées, noms d’oiseaux, montée d’adrénaline : le Suboxone® est le premier médicament de substitution – et à ma connaissance le seul – à avoir déclenché l’ire des militants antisida. Principal reproche fait à cette nouvelle molécule : être un instrument machiavélique conçu pour punir les méchants toxicomanes qui injectent le Subutex®. Et si le dossier d’accusation a un peu évolué sur la forme, il n’a pas varié sur le fond. Lors d’un vote sur l’opportunité de mettre sur le marché ce nouveau médicament, le même vice de conception est en effet rappelé quelques années plus tard par la Commission addictions. Douze années de polémiques qui contraignent aujourd’hui le laboratoire RB Pharmaceuticals (qui a repris à Schering-Plough la production du médicament) à de déchirantes révisions en matière de communication.

Un sulfureux cocktail

Comprendre le fondement de ce dossier à charge nécessite un peu de cuisine neurobiologique. Le Suboxone® est un mélange de Subutex® (Subo) et de naloxone (xone). La naloxone est un antagoniste des opiacés, c’est-à-dire un agent nettoyeur spécialement conçu pour évincer toute substance dérivée de l’opium des récepteurs cérébraux. Le reproche majeur fait à ce cocktail chimique inusité est sa finalité essentiellement coercitive. Si le médicament est consommé « normalement », par voie sublinguale, la naloxone, directement éliminée par l’appareil digestif, n’a aucun effet sur l’organisme. Mais si un chevalier de la pompe ou un adepte du sniff s’avise de marcher en dehors des clous, la sanction tombe : la naloxone se libère, occupe les récepteurs et prive instantanément le transgresseur de toute sensation opiacée.
Dans son principe même, l’ami Suboxone® révèle donc une certaine duplicité. Un processus chimique paradoxal et antinomique avec les principes habituellement appliqués par la réduction des risques. Qu’elle soit physique, psychique ou neurobiologique, la contrainte est en effet dommageable au travail de responsabilisation des usagers de drogues. La RdR a de plus pour objet d’atténuer, dans la mesure du possible, les nuisances qui cernent les usagers au quotidien. Seringues stériles, substitution, petit matériel d’injection, tout est pensé pour éliminer les risques infectieux, les « poussières », les surdoses, tout facteur de dommage dans l’environnement immédiat des consommateurs d’opiacés. Or sur ce terrain, le Suboxone® est à contre-courant. Il introduit une menace diffuse en frappant au portefeuille de leurs sensations opiacées les usagers non-conformes, les rebelles, les mal-pensants.

La foi du charpentier

Pour ne rien arranger, la communication entamée par Schering Plough dans les années 2000 ne fut pas des plus subtiles. Le Suboxone® était censé remédier à tout : plus de marché noir, plus de détournement. Cette foi du charpentier dans les pouvoirs rédempteurs de la chimie sur le cerveau n’a fait qu’inquiéter la majorité des acteurs de santé publique. Malgré une certaine méfiance liminaire, Asud, qui prétend défendre tous les patients (les bons comme les mauvais), reconnaît aujourd’hui les mérites de la buprénorphine. Cette molécule représente un outil efficace pour instaurer un lien durable entre les usagers et le système de soins. Va-t-on courir le risque de saper les fondements d’un système qui a fait en quinze ans la preuve de son succès ? Que sait-on exactement des conséquences à long terme du remplacement du Subutex® par le Suboxone® ?
Apparemment conscient de l’image sulfureuse du slogan « médicament antishoot », RB Pharmaceuticals se défend de vouloir l’imposer à tous les patients mais recommande en même temps aux prescripteurs de le proposer systématiquement lors des nouvelles inclusions. Dans une dépêche du 17 janvier, l’Agence de Presse Médicale rapporte les propos du directeur médical du laboratoire : « Dans les pays qui disposent des deux spécialités, Subutex® et Suboxone® sont utilisés à parité après trois à quatre ans. » Compte-tenu du succès de la buprénorphine dans notre pays, la proportion de patients français qui devraient sur cette base progressivement intégrer le Suboxone® risque d’être significative1.

Le syndrome de la chauve-souris

S’il n’est pas question de nier le douloureux problème de l’injection de buprénorphine, avec son lot d’abcès, phlébites et autres nécroses des veines, qui constitue une préoccupation majeure de santé publique, nos doutes portent sur l’efficacité de la solution proposée. Des études australiennes et finlandaises confirment que, comme son frère aîné Subutex®, le Suboxone® finit par intégrer le panel des drogues proposées au marché parallèle.
L’introduction de naloxone dans un cachet susceptible d’être un jour consommé pour se défoncer représente donc un danger objectif supplémentaire pour les injecteurs d’opiacés. D’autres groupes d’autosupport évoquent ainsi de nombreux cas d’usagers injectant le Suboxone® dans des conditions tout aussi déplorables, voire encore plus dommageables en raison de la nécessité de multiplier les injections pour que la buprénorphine finisse par déloger la naloxone. Et de nombreux sites Internet ou forums d’usagers s’intéressent déjà au Suboxone® en tant que drogue de rue : comment l’injecter proprement, comment éviter l’effet naloxone ? Un forum américain2 s’étonne même du succès rencontré par l’injection de Suboxone® chez les « rehab », les anciens junkies sortis de cure.
Avec ses ailes de dragon et son corps de rat, la chauve-souris a longtemps laissé perplexes les zoologistes : s’agit-il d’un rongeur ou d’un volatile ? En véritable ornithorynque de la substitution, le Suboxone® s’avance vers un destin indéchiffrable, la gageure étant de vouloir bâtir une alliance thérapeutique grâce à la naloxone, une substance qui est le cauchemar du consommateur d’opiacés3.

Pour les ultra-motivés

Certes, la grande majorité des utilisateurs de Subutex® n’injectent ni ne sniffent leur prescription. Mais, lors d’une nouvelle inclusion, est-on certain qu’ils ne le feront jamais et s’ils le font, quelles seront les conséquences à long terme de les avoir dirigés vers le Suboxone® ? L’utilisation d’un antagoniste pur des opiacés pour renforcer les motivations des candidats au sevrage existe déjà avec la prescription de Revia®, un médicament contenant de la naltrexone, une molécule cousine de la naloxone. Selon les informations collectées sur ce traitement, seuls les candidats à l’abstinence ultra-motivés profitent du soutien anti-opiacé procuré par le gendarme chimique contenu dans le Revia®. Un traitement qui n’a en fait jamais réellement convaincu la masse des candidats à l’abstinence car la contrainte chimique ne peut tenir lieu de déterminant pour transformer tout ce qui a constitué l’univers mental et la sensibilité d’un usager durant de longues années.
Certes, quelques individus, résolus à ne plus injecter leur prescription de buprénorphine pourront peut-être trouver dans le changement de molécule un support psychologique supplémentaire, propre à renforcer leur motivation. Mais au nom de ces quelques bénéficiaires putatifs, on risque de toucher à l’équilibre, toujours délicat, d’un mécanisme qui fait tous les jours la preuve de son succès auprès de la grande majorité des patients.
Subutex® choisi ou Suboxone® subi ? Telle est la question. La balle est dans le camp des prescripteurs et dans celui des responsables de la communication qui sera faite sur ce sujet toujours perméable à la rumeur, au fantasme et à la maladie de la persécution, que l’on soit drogué, patient ou professionnel du soin.

    1. ^ -Soit la moitié des 130 000 patients traités à la buprénorphine !
    2. ^http://forum.opiophile.org/showthread.php?8161-Just-Doo-Ittt.
    3. ^ -En général les usagers de drogues découvrent les effets « particuliers » de cette molécule en salle de réveil après une overdose.

Pharmaciens / usagers de drogues : briser la glace sans casser la vitrine !

« Pharmaciens/toxicos : comment briser la glace ? » C’était déjà le titre d’un dossier d’Asud journal en 2007. Depuis 2006, nous œuvrons avec le soutien financier de la Drassif (désormais ARS d’Île-de-France) pour que la RdR cesse d’être considérée comme une option, un truc de militant qui ne concernerait que des braves gens un peu poires. Déjà, le communiqué commun que nous avions publié à l’époque avec l’Ordre des pharmaciens rappelait que la délivrance de TSO est une obligation professionnelle et la non-délivrance une infraction. Or depuis 2007, rien n’a changé. Il semble même que la situation se soit encore dégradée, comme le montre l’enquête PharmAsud menée avec l’association Safe dans les officines parisiennes. Des deux côtés du comptoir, les récriminations débouchent sur l’incompréhension, parfois la violence et globalement, sur une raréfaction de l’offre de substitution.

Pour autant, ne cédons pas au pessimisme. Toutes ces insuffisances sont à replacer dans le contexte historique des relations entre usagers de drogues et pharmaciens. Il n’est pas inutile de rappeler que le braquage ou le « casse de pharmas » était un sport très prisé par les toxicos des années 1980. C’était avant la réduction des risques et depuis, ce type de délit est devenu exceptionnel ou relève de la délinquance générale. On peut donc affirmer sans être démenti par les chiffres que sur le long terme, le climat se réchauffe doucement… Reste maintenant à faire faire fondre la glace.

Résultats de l’enquête PharmAsud

En 2005, selon le Baromètre santé de l’Inpes, 70 % des pharmaciens recevant des usagers de drogues délivraient des traitements de substitution aux opiacés (TSO) et 86 % du matériel d’injection. Alors que la politique de santé publique reconnaît désormais la réduction des risques et encourage la prescription de traitements de substitution en ville, cette situation s’est-elle améliorée ? Pas si sûr, à en croire les résultats de l’enquête menée dans les pharmacies parisiennes.

L’association Safe travaille depuis 2002 en partenariat avec les pharmacies parisiennes pour améliorer l’accès au matériel stérile d’injection pour les usagers de drogues : Safe leur fournit gracieusement des jetons « Prévention sida » et des supports d’information sur les automates et les lieux d’accueil, que les pharmaciens distribuent notamment lors de l’achat de Stéribox. Avec plus de 500 pharmacies partenaires de l’action, ce travail s’est considérablement développé.

Ni une priorité ni une réalité

Mais si cette évolution du partenariat semble positive, les pharmaciens indiquent que cette implication repose sur leur bénévolat et n’est pas valorisée dans leur travail, comme pour de nombreux autres actes de conseils et de prévention qu’ils dispensent. L’implication des pharmaciens dans ce programme n’est donc ni une priorité ni même une réalité permanente. Un enquêteur d’Asud a ainsi constaté que dans certaines pharmacies, une partie du personnel n’est même pas informée de l’existence et du contenu des Stéribox, des jetons, des automates… La priorité au quotidien n’est pas donnée à l’information ou à la formation des équipes sur ce type de sujets et d’outils.

Dans une enquête menée en 2005 par Safe auprès de ses usagers, certains se plaignaient de la difficulté d’obtenir des jetons ou des seringues en pharmacies, d’autres affirmaient que les jetons y étaient revendus. C’est dans ce contexte que les associations Safe et Asud ont décidé de travailler ensemble pour savoir si les droits des usagers étaient préservés en matière d’accès au matériel d’injection et aux médicaments de substitution aux opiacés. Nous avons choisi pour cela de mesurer l’accès au matériel d’injection, aux jetons et aux TSO, d’évaluer les éventuelles disparités géographiques, d’étudier les conditions de délivrance, et d’identifier les éventuels freins à la délivrance et discriminations.

Un diagnostic de la situation réalisé en couplant deux méthodes : une enquête déclarative auprès des pharmacies et une action de « testing » menée par des usagers dans les pharmacies. Un nombre représentatif de pharmacies a été tiré au sort, en fonction de la densité d’officines pour 10 000 habitants dans chaque arrondissement.

Un accès aléatoire et compliqué

Premier enseignement : seule une minorité de pharmaciens délivre du matériel d’injection et des TSO.

Les résultats de l’enquête menée auprès des pharmaciens d’officine montrent ainsi qu’une petite majorité (53 %) de pharmaciens vend le Stéribox, tandis qu’une majorité ne délivre pas de seringues seules, de jetons ou de TSO (respectivement 52 %, 67 %, et 58 % pour le Subutex®). Record battu pour la méthadone que seuls 29 % des pharmaciens acceptent de délivrer.

Un niveau d’accès donc très inférieur aux résultats nationaux du Baromètre santé 2005. Est-ce parce que la situation s’est dégradée ou parce que la situation parisienne est très spécifique ?

Pharmasud accès matériel injection et MSO

Deuxième enseignement : des disparités géographiques.

Elles apparaissent entre les arrondissements de Paris, sans lien apparent avec la demande supposée ni avec la densité de lieux d’accès aux matériels d’injection et aux traitements (Caarud, Csapa…).

Une hypothèse des associations était que les délivrances de matériel d’injection et/ou de TSO seraient fonction des lieux mêmes de consommation/revente présumées de drogues. Cette étude démontre à l’inverse qu’il n’y a pas de lien entre la délivrance et les besoins.

À titre d’exemple : si la distribution de seringues par automates est comparable dans les XIIIe et XXe arrondissements, l’attitude des pharmaciens y est très différente. Les pharmacies du IIe arrondissement sont moins actives que leurs voisines pour un besoin similaire.

Carte Pharmasud MéthadoneCarte Pharmasud SubutexCarte Pharmasud Matériel

Alors qu’ils sont indispensables pour utiliser les distributeurs qui ne sont pas installés avec des échangeurs, il n’y a pas non plus de lien entre la délivrance de jetons (qui servent pour l’utilisation des automates d’échange de seringues) et la présence d’automates dans les arrondissements.

Des refus de délivrance mal justifiés

Dans le questionnaire, la justification de l’absence de délivrance faisait l’objet d’une question libre. Si certains pharmaciens n’ont pas justifié leur refus, nous avons toutefois recueilli 155 justifications au total, parfois plusieurs dans une même officine. Cinq grandes catégories d’arguments ont été avancées :

  • L’absence de demande ou de prescription (57 % des justifications)
  • La peur/les problèmes déjà rencontrés (13 %)
  • Le refus des usagers de drogues ou de certains d’entre eux (11 %)
  • Les jugements sur la substitution (10 %), avec des arguments comme : « traitement qui doit être délivré par les Csapa », « incompatibilité de délivrer des seringues et des TSO », « trafic supposé d’ordonnances », « inefficacité des TS0 »
  • Les difficultés d’organisation de la délivrance de la substitution (9 %), avec des arguments tels que : « difficultés liées au remboursement par la CPAM », « recouvrement des prescriptions », « contraintes d’organisation pour la délivrance »

Ces arguments sont-ils plausibles et justifiés ? Qu’entend-on par « pas de demande » ou « pas de prescription » qui arrivent en tête des justifications ? La première hypothèse est effectivement l’absence d’usagers qui se présentent pour la délivrance de TSO, dans certains quartiers ou sur l’ensemble du territoire parisien. Elle est possible si les prescriptions par les médecins généralistes sont faibles. Une information à vérifier auprès des tutelles (et pour le moment, nous n’y avons pas eu accès, malgré nos demandes) et si elle s’avère exacte, elle devra déclencher la mise en place d’actions de sensibilisation spécifiques en direction des médecins généralistes.

Peut-on pour autant en conclure que les pharmacies répondent aujourd’hui à l’ensemble de la demande ? Les équipes d’Aides Paris et d’Asud ont interrogé cinq Csapa parisiens à propos du relais en ville des patients suivis sous TSO. Il ressort de leur enquête que l’ensemble des Csapa indiquent qu’ils ont un nombre restreint de pharmacies partenaires (généralement inférieur à 10) et qu’ils fonctionnent avec ce nombre limité de pharmacies car il leur semble très difficile d’impliquer de nouvelles officines.

Enfin, comme le montrent les cartes, il n’y a pas de lien apparent entre la demande globale de matériel d’injection sur un secteur et l’offre en pharmacies. L’argument selon lequel il n’y a pas de demande ne semble donc pas toujours justifié.

Qu’en est-il des autres arguments ? Si la peur ou des problèmes déjà rencontrés peuvent être des arguments compréhensibles pour refuser la délivrance des outils de RdR ou des TS0, les jugements personnels ou les discriminations sont contraires à l’éthique de cette profession et au serment des pharmaciens, et ne peuvent être acceptés. Nous avons pourtant relevé les arguments suivants :

  • « L’inefficacité des TSO », au motif « qu’un usager sous traitement n’est pas forcément guéri au bout de deux ans »
  • La discrimination entre usagers : certains pharmaciens n’acceptent de délivrer les matériels et traitements qu’aux usagers connus ou à « certains d’entre eux »
  • « L’image du quartier » : peut-on refuser la délivrance d’un traitement ou la protection contre le VIH et le VHC pour préserver « l’image du quartier » ?

Affiche Pharmacie Subutex

Enfin, les contraintes et difficultés rencontrées pour la délivrance des TSO sont-elles réellement plus importantes que pour les autres traitements ? Est-ce aussi à dire que les pharmaciens se plient plus volontiers aux contraintes de délivrance de certains médicaments qu’à celles des traitements de la dépendance ?

Le testing, révélateur du déficit de conseils

Des résultats positifs pour l’accès au matériel d’injection (mais à considérer avec prudence compte tenu du fait que l’échantillon n’est pas représentatif de tout Paris) : sur les 79 pharmacies testées, 50 (soit 63 %) délivrent le Stéribox et seules deux d’entre elles le vendent plus cher qu’un euro. De plus, 3 pharmacies vendent des seringues seules. Il est à noter que nous n’avons pas fait de testing la nuit. Or d’après les usagers de Safe, c’est essentiellement la nuit que le tarif augmente, dans certaines pharmacies de garde. L’explication pourrait être que les pharmacies font payer une majoration correspondant au coût de l’acte de garde.

Enfin, le testing révèle un bon accueil par les pharmaciens (absence de jugement, politesse, discrétion…). Ce résultat va à l’encontre tant des retours que nous avions avant l’enquête, que de l’étude menée par Tiphaine Canone (Relation entre les usagers de drogues et les pharmaciens lors de la délivrance du matériel d’injection, thèse de DE de pharmacie, 2010.) dans laquelle les usagers considèrent le plus souvent la fréquentation de la pharmacie comme une épreuve.

Mais dans leur majorité, les pharmaciens orientent peu et mal les usagers. En réponse aux questions posées lors du testing, seuls :

  • 33 % des pharmacies orientent pour un accès au matériel gratuit
  • 34 % orientent vers un lieu de collecte du matériel usagé
  • 46 % orientent vers un accès à la substitution.

S’ajoute à ces faibles pourcentages le fait que les réponses apportées ne sont pas forcément pertinentes. Pour la substitution, 33 % des orientations sont par exemple « allez à l’hôpital » sans aucune autre information, 25 % sont d’aller chez son médecin généraliste, 3 % d’appeler « les numéros du Stéribox ». Pour la collecte des seringues usagées, 18 % des orientations sont « allez à l’hôpital », 7 % « allez dans une autre pharmacie », 4 % « allez dans un laboratoire d’analyse »… Une grande partie des orientations proposées ne s’avèrent donc pas exploitables.

Passer de la théorie à la réalité

L’accès au matériel stérile d’injection et aux TSO à Paris est encore trop compliqué et aléatoire. Et malgré l’intégration de la réduction des risques dans la loi de santé publique, nous ne relevons pas d’amélioration de la situation mais plutôt une régression par rapport aux enquêtes antérieures, que ce soit celle menée par Médecins sans frontières en 1999, le Baromètre santé 2005 ou encore l’enquête d’Asud en 2006.

La densité de pharmaciens est importante à Paris, ce qui permet de compenser la faible proportion de ceux qui acceptent de délivrer le matériel ou les TSO, notamment la méthadone (29 %), un niveau qui reste inacceptable et qui nécessite de mettre en place des réponses adaptées.

Nous pensons que ces réponses doivent être pensées et mises en place en partenariat avec les tutelles, les représentants des pharmaciens et des médecins, et les partenaires associatifs impliqués dans le champ de la réduction des risques. Il nous semble aussi que des moyens conséquents doivent être mis en œuvre, que ce soit sur le plan stratégique, politique ou financier, car les militants associatifs seuls ne pourront pas mener les discussions qui s’imposent, notamment avec les ordres des médecins et pharmaciens.

Rappelons aussi que les difficultés présentées ici ne constituent vraisemblablement pas un problème spécifiquement parisien. Combien d’usagers de province disent avoir des difficultés pour se procurer du matériel d’injection ou pour pouvoir se le procurer dans le respect de la confidentialité ? Combien de Csapa de province disent à quel point il est compliqué de trouver des relais en officine pour la délivrance des TSO ? Des difficultés qui se trouvent renforcées par la faible densité de pharmacies sur certains territoires, par les problématiques d’éloignement, d’accès aux moyens de transport, etc.

Un acquis fondamental de la réduction des risques est l’accès gratuit au matériel d’injection et à la substitution, partout sur le territoire. Exigeons de passer de la théorie à la réalité.

Synthèse de l’enquête PharmAsud 2010-2011

Stéphane Robinet, président de Pharmaddict

Stéphane Robinet est pharmacien. Il est aussi le président de Pharmaddict, une association fondée en 2006, dont l’objectif est de promouvoir la réduction des risques au sein de sa profession. La reconnaissance de Pharmaddict comme un acteur dynamique de l’intégration de la RdR en pharmacie est symbolisée par la présence de Stéphane au sein de la prestigieuse Commission des stupéfiants et à la non moins prestigieuse Commission addictions.

Comme des milliers de ses confrères, il équilibre ses stocks, s’inquiète des marges, reçoit des visiteurs médicaux et s’arrange pour que sa vitrine ne soit pas un handicap esthétique. Mais Stéphane est aussi un professionnel de santé, docteur en pharmacie (mais oui, on dit docteur) qui a effectué un long cursus de six ans destiné à le sensibiliser à tout ce qui différencie un pharmacien du chef de rayon d’un super marché de province (nous n’avons rien contre la province, c’est juré). Cette sensibilisation l’a conduit à s’intéresser particulièrement aux actions de réduction des risques, peut-être parce que le traitement des addictions subit, plus que d’autres activités, une forme d’ostracisme au sein de certaines officines (voir Pharmaciens/Toxicos, comment briser la glace ?, interview de P. Demeester, docteur en pharmacie, Asud-Journal n°33 et Pharmaciens et usagers, le dialogue nécessaire, Marie Debrus, Asud-Journal n°34). Le dialogue entre usagers et pharmaciens est une nécessité depuis le décret Barzach (1987) qui autorise les usagers de drogues à acquérir du matériel d’injection. La mise à disposition des trousses Stéribox et l’autorisation des traitements de substitution aux opiacés (TSO) ont propulsé le pharmacien au rang d’interlocuteur privilégié des héroïnomanes, traitement ou pas. Stéphane Robinet milite activement pour que la RdR cesse d’être considérée comme une activité optionnelle, militante, qui ne concernerait que des braves gens un peu poires ou au contraire, un truc louche que la CPAM ferait bien de surveiller de près. L’échange de seringues en pharmacie est une expérience intéressante, mais la délivrance de TSO est d’abord une obligation professionnelle. En pèlerin de la RdR, Stéphane Robinet chemine sur un sentier plein de préjugés et de rancœurs. La route est longue et la pente raide. Des deux côtés du comptoir, les récriminations débouchent sur l’incompréhension, parfois la violence.

Un luxe pour passionnés (interview de Stéphane Robinet, président de Pharmaddict)

Quelle est votre réaction aux résultats de l’enquête Pharmasud ?

Stéphane Robinet (lire Stéphane Robinet, président de Pharmaddict) : Il y a une différence entre la méthadone et la buprénorphine, ce qui conforte ce que j’ai pu constater dans ma pratique et dans des discussions avec des copains pharmaciens : les pharmaciens font une différence dans la délivrance des deux médicaments. Soit parce qu’ils considèrent que la méthadone va s’adresser à des personnes plus « compliquées » ou plutôt, pour des raisons administratives. Comme la méthadone est un stupéfiant, il faut un coffre, un registre, faire une comptabilité un peu plus compliquée que pour la buprénorphine. C’est pour ces raisons que les pharmaciens n’ont pas trop envie de s’investir sur la méthadone. Même si certains ont l’impression que ces patients sont plus difficiles, la principale explication est administrative.

Après, il me manque les détails de l’étude pour être plus précis dans mon analyse. Si elle a été vérifiée par testing, je suis un peu surpris par ces chiffres en région parisienne. Ici en Alsace, j’ai plutôt l’impression que la majorité des pharmaciens délivrent ces médicaments, un peu moins la méthadone pour les raisons évoquées. Mais globalement, beaucoup délivrent. Pour les seringues, je suis encore plus surpris que seule la moitié des pharmacies en vende. C’est inquiétant.

La sensibilisation des pharmaciens à cette problématique semble en recul : une dégradation des relations pharmaciens/usagers ou les conséquences de tracasseries administratives ?

S.R : Globalement, malgré une méconnaissance réelle des usagers, les pharmaciens se sont rendu compte qu’ils étaient des gens « normaux » et qu’ils n’avaient pas plus de problèmes avec eux, à part dans des endroits particuliers. Par contre, le travail administratif supplémentaire qu’ils génèrent est assez chiant et non rémunéré. Dans certains coins, les actions des CPAM contre les pharmaciens ne facilitent pas non plus les choses. De plus en plus, les contrôles des CPAM servent davantage à embêter les professionnels qu’à favoriser les bonnes pratiques.

Les jeunes pharmaciens nouvellement installés ont plus la préoccupation de rentabiliser leur boutique que de faire de la santé publique. Attention, ce n’est pas un reproche : faire activement de la santé publique devient presqu’un luxe pour passionnés qui aiment le faire et peuvent se le permettre. Plus préoccupé par la gestion de sa boutique, le pharmacien lambda fera son boulot correctement mais sans plus. Et c’est compréhensible, le métier est devenu plus complexe, de plus en plus chiant. Sans vouloir faire de misérabilisme, les marges baissent, les pharmaciens sont obligés de s’associer en groupements pour tirer les prix, et d’avoir des politiques commerciales plus étayées pour maintenir la rentabilité des boutiques. Vous allez aussi avoir des gens passionnés et très engagés qui vont se donner à fond, surtout des pharmaciens qui vont mieux que d’autres car ils sont installés depuis un moment et peuvent donc faire leur métier plus confortablement. Les nouveaux doivent avant tout penser à faire du pognon et c’est normal, vu notre situation économique.

Malheureusement, tant que les actions de santé publique ne sont reconnues, ne sont pas évaluées, pas rémunérées, la professionnalisation ne suivra pas.

Vitrine pharmacie 2Cet argument semble moins pertinent pour les seringues et la faiblesse de l’information/orientation des usagers.

S.R : Oui et non. Faire de l’information suppose que le pharmacien ait été à des formations continues, donc qu’il a quitté son officine pour y aller. C’est vrai qu’il existe des formations conventionnelles continues payées par la Sécu qui indemnise le pharmacien. L’addictologie en fait partie, le pharmacien peut utiliser ces actions de formation, mais beaucoup ne le savent pas encore.

Ne serait-ce pas aux laboratoires concernés de faire de l’information ?

S.R : Surtout pas les labos ! C’est à la profession de faire savoir, à l’Ordre et aux syndicats. Du moment qu’il existe des formations conventionnées, c’est à la profession de se mobiliser, d’expliquer le dispositif et de le promouvoir, pas besoin des labos.

Médocs-boite-pharmacieJ’évoquais les labos dans un souci d’efficacité face à l’apparente baisse de sensibilisation de la profession, mais aussi de l’opinion publique, sur les virus.

S.R : Vous me connaissez, je suis très sensibilisé à ces questions de toxicomanie, de santé publique, de VIH, VHC, RdR, je suis toujours très engagé là-dedans. Mais je vais me faire l’avocat du diable : j’arrive à comprendre que des gens ne soient pas forcément passionnés par ça. Tout le monde a ses intérêts. Certains pharmaciens sont plus mobilisés sur le diabète ou la sclérose en plaques parce qu’ils ont dans leur famille un enfant diabétique ou un parent qui a une sclérose. C’est souvent comme cela que se construit l’intérêt. Je n’irais pas non plus jeter la pierre sur un pharmacien en lui disant « tu pourrais t’investir un petit peu plus », chacun a le droit de choisir ses engagements. C’est par contre plus réaliste à partir du moment où le truc est professionnalisé, où on n’est pas que sur de la demande des services publics. Actuellement, on fonctionne comme cela, les pouvoirs publics disent « faites, faites, faites » et après, ils nous tapent sur les doigts quand c’est à leur sens mal fait. Au bout d’un moment, on peut ne plus avoir trop envie de s’investir et de s’engager. Et il ne reste plus que les passionnés, qui le font plutôt bien.

Comment sortir de l’impasse ?

S.R : Il y a deux manières de voir. Soit on laisse faire les passionnés parce qu’ils le font mieux que les autres et on organise bien un réseau de passionnés. Tout cela peut marcher s’il y a suffisamment de passionnés. Ou alors on estime que ce n’est pas raisonnable, et que c’est une mission et un engagement de toute la profession. C’est un tout autre discours et dans ce cas, il faut aussi mettre des moyens pour que cela soit une vraie partie du métier, pas seulement des recommandations et du volontariat. Je suis persuadé que cela peut marcher à partir du moment où ces actions sont rémunérées, codifiées, quantifiées et font partie intégrante du métier. Le problème est là : pour les pharmaciens, ces actions sont toujours dans le cadre du bénévolat.

Dans les zones à faible densité de services médicaux, n’est-on pas dans l’assistance d’urgence ?

S.R : Je suis complètement d’accord avec vous, mais j’ai eu beaucoup de discussions avec mes confrères sur ce point. Les réactions sont très tranchées : « On en a marre de faire des trucs pas rémunérés pour les beaux yeux des pouvoirs publics ou de la santé publique. » C’est un discours un peu choquant. J’admets volontiers que dans le code de santé publique, la mission du pharmacien est également de faire des actions de santé publique. Je suis donc d’accord avec vous mais le message n’est pas facile à porter.

Dans une société de plus en plus dirigée par des considérations financières, il serait surprenant que les pharmaciens échappent à cette tendance mercantile…

S.R : Si les actions sont rémunérées à juste titre puisque cela fait partie de la profession, ce n’est plus du mercantilisme. Le mercantilisme consiste à ne faire que des choses qui rapportent alors qu’il y a des choses qui ne rapportent pas qui seraient peut-être plus intelligentes à faire. Si le dossier est vraiment important, c’est le cas, et si les pouvoirs publics estiment et cela devrait être le cas que la promotion de la santé publique est finalement le meilleur moyen de faire gagner de l’argent à la société parce qu’on est dans la prévention de dégâts futurs, alors le calcul est très bénéficiaire. Il faut mettre les moyens. D’après moi, on trouverait une majorité de pharmaciens d’accord pour mener des actions de santé publique sur cette base.

Pour en revenir aux usagers, que peuvent-ils faire pour améliorer leurs relations avec les pharmaciens ?

S.R : J’ai du mal à répondre à cette question. Dans ma pratique, je reçois vraiment beaucoup d’usagers depuis une dizaine d’années, il s’est créé naturellement une sorte d’équilibre au cours des ans. Ce que nous sommes capables d’offrir en termes d’accueil, d’écoute et d’investissement, a sélectionné une partie des usagers que ça intéressait. Les moins intéressés ont été dans d’autres pharmacies. Je ne veux pas donner de leçon. J’ai un pool de plus d’une centaine d’usagers qui se répartissent de façon très harmonieuse dans mon activité professionnelle. C’est ma façon de travailler, les relations que j’ai établies dans les deux sens et aussi avec mon équipe. Tout pharmacien peut arriver à ce type de résultat. Maintenant si j’étais dans une cité avec des usagers « difficiles », des problèmes d’agression et des choses comme cela, je ne pourrais pas vous donner ce type de réponse. Nous avons réussi à gérer les rares fois où cela a été un peu tendu.

L’ambiance du quartier n’est pas comparable à celle de Sevran ou de la Goutte-d’Or…

S.R : C’est pour cela que je ne peux pas me permettre de donner des leçons. Moi, j’ai offert des services, un cadre, un dialogue, une organisation claire. Il y a plein de problèmes qui trouvent ainsi leur solution.

Certes, mais si on en croit l’étude Pharmasud, cela ne suffit sans doute pas pour améliorer rapidement une situation peu acceptable…

S.R : Il faut de la formation et de l’information. Si on a une meilleure information des pharmaciens et une meilleure formation sur la RdR, c’est forcément positif. En termes de médiation, il y a des coins où la Sécu pourrait un peu lever le pied. En ce qui concerne les usagers, il faut personnaliser les relations en fonction de sa clientèle, de son quartier, du charisme des membres de l’équipe et du titulaire, et cela se passe bien. Dans mon cas, cela ne me paraît pas trop compliqué mais je ne suis pas à la Goutte-d’Or mais à Strasbourg, dans un quartier pas difficile. Si le pharmacien de Sevran arrive à avoir des relations non-conflictuelles avec ses usagers et que la Sécu ne l’emmerde pas, au bout d’un moment cela se passe bien.

N’est-ce pas plutôt l’inverse ?

S.R : Quand un pharmacien a des problèmes à cause d’un trop grand nombre de prescriptions de méthadone et de Subutex®, la Sécu lui bloque les dossiers. Cela veut dire qu’il est payé au bout de cinq à six semaines au lieu de trois jours. Sur des gros volumes, ces pharmaciens sont étranglés. Si ces pratiques deviennent trop fréquentes dans une région, il n’y aura plus un pharmacien qui voudra faire de la substitution. Les zones problématiques vont s’étendre. Il y a une grande méconnaissance des addictions de la part des pharmaciens et des médecins de la Sécu. Pareil pour le VIH, le VHC, la méthadone, la buprénorphine, les autres consommations, les prescriptions et les dosages, ils mélangent tout.

Ils ne sont pas les seuls à méconnaître le sujet, ils subissent aussi des pressions hiérarchiques et politiques, le mésusage et le trafic de rue sont régulièrement dénoncés et officiellement traqués…

S.R : Ici aussi, un préfet s’est un jour excité. On lui avait dit qu’il y avait du trafic transfrontalier avec l’Allemagne. C’est logique vu la position géographique de Strasbourg et aussi parce qu’on trouve régulièrement près de la gare des gars qui dealent quelques comprimés de Subutex®, rien de plus. Ce n’est pas une grosse affaire. De manière générale, le pharmacien dealer est une vue de l’esprit. Il peut y avoir trois ou quatre cas limites sur 150 clients, cela ne justifie pas de sanctions, ni de harcèlement.

Ce qu’en disent les usagers du forum

Des heures de galère

Mon médecin m’a fait une ordonnance et j’ai eu mon Subutex® après plusieurs heures de galère à faire plusieurs fois le tour de la ville entre les pharmacies qui n’avaient pas de Subutex®, celles qui en avaient mais fonctionnaient avec un certain nombre de traitements au Sub et n’en acceptaient pas de nouveaux, et celles qui théoriquement avaient du Sub mais actuellement plus en stock. Mais pour compenser, j’imagine qu’aujourd’hui est ma meilleure journée depuis très longtemps, une journée que je ne passe pas à penser à l’héro et à être tiraillée entre les deux extrêmes : qu’est-ce que j’attends pour en reprendre, et horreur plus jamais ça. Fin bref, désolée si je raconte un peu ma vie, mais c’est difficile de se faire autant jeter d’un peu partout dans la même journée.

Chrisalyde

Pharmachien

Juste un mot par rapport au Stéribox : quand c’est pas des regards dégoutés ou des réflexions plus que désagréables, c’est la pharmacienne qui beugle « ils sont ou les Stéribox ? » à sa collègue devant tous les autres clients, histoire de te foutre bien mal à l’aise.

Il y a quelques années, avant que je passe sous substitution, je passe chercher un peu de came. Comme d’hab avec ces deals, ça prend plus de temps que prévu. Une fois le truc en poche, je regarde l’heure : 18h30, je cours à la pharma la plus proche, située dans le centre bien bourgeois de ma ville. J’étais fringuée normal, genre petite étudiante (donc loin du style Bloodi). J’entre, le pharmacien, un petit vieux, me reçoit avec un « Bonsoir Mademoiselle », accompagné d’un charmant sourire. Je lui demande très poliment : « Bonsoir Monsieur, un Stéribox s’il vous plait. » Là, le sourire bienveillant se transforme en rictus pincé, et il me répond outré : « On fait pas de ça chez nous. Nous avons des clients respectables ici. » Je lui ai répondu que c’était inacceptable et dangereux, que je pouvais être contaminée… Et là il me répond : « Tu l’auras bien cherché ! De toute façon, j’en ai rien à faire. C’est pas mon problème. » J’allais continuer à argumenter tellement j’étais choquée. Mais il me dit « Maintenant, tu sors d’ici ou…», en faisant mine de prendre son téléphone pour appeler les flics. Je pense pas qu’il l’aurait fait, mais il avait sûrement envie d’impressionner les vieilles grenouilles de bénitier présentes dans la pharma et qui me regardaient comme si j’étais en train de les contaminer par ma présence. Je me doutais bien qu’il n’avait aucun droit de faire ça. Mais vu que j’avais de la came sur moi, que toutes les pharmas allaient bientôt fermer et que j’étais déjà en manque, j’ai filé sur une autre pharma. J’ai bien compris que pour lui, je ne faisais pas partie de sa « respectable » clientèle. Mais vous avez aussi sûrement remarqué que ce « pharmachien » est instinctivement passé au tutoiement, histoire de bien me faire comprendre que j’étais une sous-merde qui ne méritait pas une quelconque politesse.

Minirach

Il m’a jeté l’insuline par terre

J’ai beaucoup fréquenté les pharmacies, j’ai rencontré très peu de gens « sympa » mais c’est arrivé… J’avais même un pharmacien qui, même si son officine était bourrée à craquer, prenait toujours le temps de discuter avec moi un bon moment… Ce gars m’a beaucoup aidé, mais combien de fois je me suis retrouvé face à des enfoiré(e)s qui en plus me toisaient de haut, comme si je n’étais rien d’autre qu’un chien… Je me rappellerai toujours d’un soir où, arrivant chez un pote qui avait de la came et qu’une seule seringue pour sa femme et lui, je suis parti sous la pluie à 1 heure du mat’ pour rejoindre le centre ville (il habitait une banlieue de Strasbourg). J’ai trop galéré pour trouver une pharmacie de garde et quand je suis arrivé, le gars m’a demandé 22 francs à l’époque (5 francs une seule seringue à insuline et 17 francs de tarif de garde). Je n’avais que 10 balles sur moi… Au début, le mec n’a rien voulu entendre. Je lui ai fait mon « baratin » mais que dalle, il avait vraiment envie de m’emmerder… Finalement, j’ai commencé à faire la manche devant la pharmacie, vu l’heure, j’attendais les gens qui s’pointaient pour acheter des médocs. J’ai galéré comme ça presqu’une heure, à ne penser qu’à une seule chose, le pet que j’allais m’envoyer… Au bout d’un moment, j’ai même eu peur que ce con n’appelle les flics. J’suis parti cacher ma bonbonne et suis revenu… Devant l’insistance de ma démarche (sachant que l’autre pharmacie de garde se trouvait de l’autre côté de la ville), il a finalement compris que je ne lâcherais pas prise. Savez vous ce qu’il a fait ce fi de pute ??? Il m’a jeté l’insuline par terre… sans même me demander les 10 francs que j’avais et en marmonnant un truc du genre « tiens et crèves-en !!! »

Sativa

Sans me regarder

Samedi, je suis passée à la pharmacie comme souvent pour chercher mon Sub… La première fois que je suis allée dans cette pharmacie, c’était une grande première fois et pour moi, première prescription, et pour eux, première délivrance. Avec le pharmacien, ça c’est bien passé, on a appris ensemble…. Avec les autres, ça été plus dur mais je ne suis pas le genre à me laisser marcher dessus. Enfin d’habitude, et le mépris je ne supporte pas, alors je les ai remballés. Tout allait bien…

Et puis samedi, la semaine avait été longue, j’étais fatiguée… Redescente d’héro et des difficultés à équilibrer mon Sub… Je suis tombée sur une nouvelle pharmacienne, charmante de prime abord. On discute carte Vitale le sourire aux lèvres… Puis le pharmacien lui explique comment on fait avec « ce genre de traitement ». Ils passent derrière, et il lui montre où inscrire mes coordonnées, les photocopies à faire… Et oui, le Sub est un produit vénéneux… Mais il lui explique surtout dans quel cas on le prescrit…

Il a fallu que j’attende dix minutes devant mon comptoir qu’elle revienne après discussion avec une autre pharmacienne où leurs regards dans ma direction n’étaient pas discrets… Et là, elle refait une apparition devant moi mais sans me regarder. Elle me tend mon ordonnance mais sans me regarder, elle me demande ma carte mais sans me regarder, me la rend mais sans me regarder, elle me dit merci mais sans me regarder, elle me dit au revoir mais sans me regarder… Durant tout cet « échange », je l’ai fixée mais elle ne m’a pas regardée. Au fond de moi, je me disais, « dis-lui, demande-lui pourquoi elle rigolait avec toi il y a 5 minutes et que maintenant, elle ne te regarde pas ».

Mais je ne pouvais pas, je n’ai pas réussi, je ressentais mon intérieur se liquéfier, je sentais les larmes monter et je n’avais qu’une envie, que ça finisse…

Je suis sortie, j’ai marché quelques mètres et je me suis effondrée en larmes. Depuis quelques temps, avec la substitution, j’ai appris à gérer les regards de pitié, de supériorité, de méchanceté, de colère… Mais l’absence de regard… Ce jour là, c’était trop.

NaïV

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L’Académie de Pharmacie envisage l’héroïne médicalisée

Communiqué de presse ASUD / SAFE / AFR

L’académie de pharmacie vient de rendre son rapport sur le bilan des politiques en matière de traitement de substitution aux opiacés. Surprise ! La plupart de leurs recommandations viennent rejoindre les revendications de nos associations.

Tout d’abord, l’académie prend acte du succès de la politique de substitution en France, en particulier sur la réduction par dix du nombre d’overdose et la baisse du nombre de contamination par le virus de VIH. Elle recommande ainsi le maintien du statut actuel de la buprénorphine (substances vénéneuse) alors qu’elle avait jusqu’a présent toujours été favorable à la classification de la buprénorphine (Subutex) comme stupéfiant. Mais elle a aussi conscience que ces deux produits ne suffisent pas et qu’il est nécessaire de diversifier la palette thérapeutique. Elle recommande ainsi « de ne fermer aucune porte » et que la morphine puisse être utilisée « quand les malades ne répondent pas bien aux deux médicaments disposant d’AMM ». C’est un rappel indispensable, à l’heure ou les patients sous morphine sont inquiétés et menacés d’arrêt de traitement par la sécurité sociale, avec pour conséquence de les renvoyer au marché noir. Elle se dit également « attentive » à d’autres options thérapeutiques, en particulier à « l’héroïne comme traitement de substitution en milieu médicalisée, qui fait l’objet d’expérimentation chez nos voisins européens ». C’est une raison de plus pour que de tels programmes, qui ont montré leur efficacité sur la santé des patients, se mettent en place dans les plus brefs délais..

Concernant les modalités de prescription, elle souhaite une « Extension de la durée de prescription à 28 jours pour tous les médicaments y compris la méthadone », en notant que « l’obligation d’aller en consultation tous les 15 jours pour obtenir son traitement de substitution paraît inutile, coûteuse et décourageante à l’égard du maintien dans le circuit sanitaire. ». Elle souhaite aussi que la BHD puisse être prescrite aux urgences, parce qu’elle « peut être considérée comme un traitement d’urgence du manque ». C’est une mesure de bon sens quand on sait combien d’usagers de drogues se sont fait refouler en manque des urgences, augmentant grandement les risques encourus.

Au niveau du parcours de soin, elle recommande que « Le pharmacien dispensateur doit être choisi par le patient », ce qui nous paraît raisonnable vu le mauvaise accueil dans une grand nombre de pharmacies. Elle ajoute que le refus de dispensation par le pharmacien « pourrait être assimilé à une faute professionnelle. », ce que nous appelons de nos voeux depuis plusieurs années, tellement il est dur pour un patient de trouver une pharmacie qui veuillent lui délivrer son traitement. Elle recommande enfin de limiter le nombre de patients par prescripteur et par pharmacien. Si cette dernière recommandation par d’un bon sentiment, « deghétoïser » le peu de pharmaciens et prescripteurs qui acceptent des patients sous substitution, cela nous paraît à l’heure actuelle inimaginable. Où iraient les 50 patients d’un prescripteur qui devrait d’un coup se limiter à 10, vu que personne d’autre n’en veut ?
Ce retournement de position radicale est le produit de longues consultations de tout les acteurs du champs de la toxicomanie, en particulier des usagers. C’est une bonne nouvelle pour la réduction des risques et pour les usagers, et une marche à suivre pour l’État !

La substitution aux opiacés : le point de vue des usagers

Qu’est que la substitution ?

Ce sont des traitements mis à disposition des usagers dépendants aux opiacés pour réduire les risques liés à la consommatio d’opiacés illicites. Réduire les risques voulant dire ici, soit arrêter ou baisser la consommation de produits illicites, arrêter ou baisser l’injection, ou aider à gérer l’usage de drogues. Au final, c’est pour aider ces usagers à aller mieux et à pouvoir gérer leur vie.

Il y a en effet deux types de substitution : la substitution « sevrage », qui à plus ou moins long terme vise l’abstinence de toute drogue, y compris parfois des traitement de substitution, et la substitution « maintenance » qui permet aux usagers de gérer leur consommation de produits illicites.
La première est surtout connu en France, y compris par les professionnels du soin. La deuxième est plus utilisée par les usagers qu’on peut le croire… ce qui peut être la source de tensions et de malentendus entre usagers et professionnels du soin, comme nous le verrons plus tard. Elle est pourtant très pratiquée comme telle dans les pays anglo-saxons. Il faut aussi noter que les usagers ne se cantonnent pas à l’une ou l’autre, mais font des aller et retour entre les deux.

Au niveau des produits de substitution proprement dit, il y en a 4 en France, 2 officiels, 2 officieux. Les officiels sont bien sur la buprénorphine Haut dosage (BHD) et la méthadone, et les officieux sont la morphine (skénan et moscantin) et la codéine (Néo-codion, codoliprane….). Les chiffres sont de 120000 pour la BHD (avec 30% de générique), de 20000 pour la méthadone, de 5 à 10000 pour la codéine et de 3000 pour la morphine, ce qui n’est pas négligeable.

Pourquoi ces substitutions officieuses ?

Avant d’expliquer cela, il faut rappeler le cadre de prescription de la buprénorphine et de la méthadone. La buprénorphine peut s’obtenir chez tout médecin généraliste, pour 28 maximum, sans contrôle urinaire. La méthadone ne peut être primo-prescrite que dans les centres de soin, pour une période de 14 jours maximum, avec un cadre souvent très stricte, qui comprend les contrôles urinaires et parfois des « punitions » si l’usager consomme des produits illicites.
Ces substitutions officieuses ont perdurées parce qu’il n’y a pas adéquation entre l’offre de soin et la demande des usagers.
L’avantage de la codéine est qu’elle est en vente libre en France, et qu’elle sert à tout une catégorie d’usagers qui ne sont pas prêts (ne peuvent pas ou ne veulent pas) à rentrer dans le système de soin. Elle sert au coup par coup, pour combler le manque entre deux arrivages d’héro, comme dans les années 80. Mais elle sert aussi à de vieux usagers des années 80 qui avait créer leur substitution avec le Néo-Codion et qui n’ont pas arrêté depuis. Son principal inconvénient, c’est que les cachets (mis a part le Néo-Codion) sont souvent associés à du paracetamol, ce qui peu provoquer des hépatites fulgurantes à hautes doses (4g).Pour la morphine, qui peut être prescrite par les médecins généralistes, principalement sous forme de Skénan, c’est très différent. Ce sont des usagers, qui ne trouvent pas leur compte ni dans la buprénorphine, qui n’est pas assez « forte » pour eux, ni dans la méthadone, dont le cadre est trop stricte.

Qu’est ce que la substitution apporte aux usagers d’opiacés et à la socièté ?

Obtenir un traitement de substitution, c’est arrêter de dépenser son temps et son argent pour l’obtention d’opiacés illicites, c’est arrêter de prendre des risques avec la loi, c’est diminuer les injections et prendre moins de risque de contamination VIH/VHC, c’est pouvoir avoir accès au soin.
C’est pourquoi la substitution en France a été un succès pour la santé publique : une réduction des overdoses de 80% en quelques années, une diminution de la consommation d’héroïne, les injecteurs ne se contaminent plus avec le VIH (moins de 3% de taux de prévalence), la durée de vie des usagers a augmenté, les usagers ont pu rentrer dans le système de soin. Sur ce dernier point, il faut rappeler qu’au début des années 90, les usagers d’héroïne n’avaient pas accès au soin, puisque les soignants, en particulier à l’hôpital, leur demandaient de faire un sevrage avant d’être pris en charge pour n’importe quelle maladie. La substitution a changé complètement la donne.
Mais ce n’est pas qu’un succès de santé publique, c’est aussi un succès économique et social. Non seulement, les usagers travaillent plus et vont moins en prison, mais ce qui n’est pas dit souvent, c’est que la substitution fait économisé à la société française des centaines de millions d’euro (cf conférence de consensus sur les traitement de substitution) : moins de maladie ou d’overdose, moins d’Infraction à la Législation sur les Stupéfiants pour Héroïne et de prison, plus de travail et plus d’impôts payés…

Le cas de la buprénorphine haut dosage

Le Subutex a beaucoup été décrié ces dernières années, mais c’est grâce à lui que la substitution a été un succès en France. Son cadre libéral a permis aux usagers d’avoir accès à la substitution en nombre et de rentrer massivement dans le système de soins. Dans d’autres pays comme au Canada, qui n’ont pas accès à une substitution libérale, les taux de prévalence VIH et les overdoses à l’héroïne baissent beaucoup moins vite que chez nous.
Mais ce cadre libéral à des effets secondaires.
Premièrement, la buprénorphine a remplacé l’héroïne dans la rue, prouvant si il le fallait, que la buprénorphine est bien une drogue avec des effets psychoactifs. Si on peut le déplorer, notamment parce que cela peut mettre en danger le dispositif, il faut analyser le pourquoi et différencier le trafic, qui doit être combattu, de ce que les usagers peuvent trouver au marché noir. C’est le cas par exemple, des usagers qui ne peuvent pas ou ne veulent pas rentrer dans le système de soin et qui peuvent trouver de la buprénorphine au marché noir. Il peut en effet être très dur d’aller voir un médecin et un pharmacien, et cela peut etre vécu comme une épreuve. (Ceci plaide pour la multiplication des bus à bas seuil d’exigence, type Gaia à Paris, pour aller aller à la rencontre de l’usager sur son lieu de consommation.) C’est aussi le cas des usagers que le médecin a sous-dosé par méconnaissance ou par punition qui peuvent ainsi compléter leur traitement.
Deuxièmement, la buprénorphine est «mésusée» que ce soit en injection, en sniff ou en la fumant. Nous n’appelons pas cela mésusage, très connoté péjorativement, mais «usage alternatif» de la substitution. En effet, pour nous, si des usagers s’injectent ou sniffent de la buprénorphine, c’est que leurs besoins ne sont pas en phase avec l’offre de substitution. Ainsi, si le Subutex est injecté, c’est qu’il n’existe pas en France de traitements de substitution injectables pour répondre aux besoins des usagers qui ne peuvent pas arrêter l’injection, contrairement à la plupart des pays européens voisins.
Troisièmement, c’est la question de la primo-dépendance à la buprénorphine. Des usagers qui n’ont jamais gouté l’héroïne se retrouvent dépendants à la buprénorphine au marché noir. Si encore une fois, on peut le déplorer, est ce qu’il ne vaut mieux pas que ces nouveaux usagers commencent par la buprénorphine, beaucoup moins dangereux que l’héroïne. Il sera en outre plus facile pour eux d’entrer dans le système de soin parce que le produit auquel ils sont dépendant et le même que celui que celui qui est proposé dans ce système.

La question du sevrage

Contrairement aux idées reçus, la substitution ne s’oppose pas au sevrage. Ce sont deux outils différents pour aider les usagers. La question est de savoir quand le faire, qui décide de le faire et comment le faire.
Sur le terrain, nous voyons souvent des usagers ayant arrêté leur traitement de substitution, reprendre de l’héroïne en prenant le risque de l’overdose, puisqu’il ne sont plus aussi tolérants. De même, de nombreux usagers sont devenus dépendants à l’alcool après avoir arrêté leur traitement. De plus, le commentaire d’Andrew Byrn sur l’étude « Loss of tolerance and overdose mortality after inpatient opiate detoxification: follow up study » prouve que les héroïnomanes sevrés de toute opiacés, y compris des traitements de substitution, ont une durée de vie plus courte que les personnes sous substitution. Ceci nous confirme que le traitement de substitution ne doit pas être arrêter à la légère. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas se sevrer des traitements de substitution, mais surtout que c’est aux usagers et non aux médecin de prendre la décision de baisser et d’arrêter les traitements.
Enfin, il y a un vrai problème sur les sevrages des traitements de substitution en France. Il n’y a pas de clinique du sevrage des traitements de substitution. Le dispositif est adapté pour les sevrage à l’héroïne mais pas pour la substitution, dont le sevrage est plus progressif et dur plus longtemps. Les usagers qui sortent du sevrage au bout de 10 jours n’en ont pas encore terminé et la rechute n’est pas loin. C’est aussi ce qui explique que beaucoup d’usagers vont tenter leur chance dans la clinique de l’escroc Dr Waissman en Israel avec son sevrage NRO ultra-rapide à 8000 euros. Il faut redéfinir en urgence une clinique du sevrage.

Les relations médecin-usager et pharmacien-usager

On ne peut pas affirmer que les relations usagers-soignants vont mal. Mais, à cause de la différence entre le besoin de l’usager et l’offre de soin, et parce que les soignants sont mal formés (voire pas formés du tout) à la toxicomanie, elles sont souvent un dialogue de sourd. France Lert dans une étude sur les représentations qu’ont les usagers de leur médecin traitant, fait ressortir quatre types de représentations : le dealer en blouse blanche, le médecin paternaliste et autoritaire, le médecin focalisé sur les dosages, et le spécialiste focalisé sur la personne. Elle conclue son étude en montrant que dans tout les cas, quand il y a rechute ou «usage alternatif», il est très difficile d’en parler à son médecin. Nous pouvons affirmer la même chose pour le pharmacien, ce qui laisse les usagers seuls face à leurs problèmes puisque le médecin et le pharmacien sont souvent les seules personnes à qui ils peuvent parler de leur traitement.
Dans ce dialogue de sourd, on peut néanmoins souligner deux types de problèmes qui témoignent d’une conception différente des addictions. Il y a des médecins qui veulent à tout prix baisser le traitement dès que l’usager a commencé. Cela conduit l’usager à la rechute, ou à aller compléter son traitement au marché noir. Inversement, certains médecins ne veulent pas baisser le traitement, même si l’usager en a envie, considérant que de toute façon celui-ci va rechuter. Ceci conduit l’usager a tenté tout seul de décrocher, sans pouvoir s’appuyer sur les compétences du corps médical.
Ces deux exemples montrent bien à quel point les pratiques sont hétéroclytes et surtout à quel point parfois le traitement n’est pas négocié avec l’usager. Hors, la négociation du traitement doit être au coeur de la prescription du médecin. Pour responsabiliser l’usager autant que pour répondre à ses besoins.

Conclusion

La substitution à la française a été un succès sanitaire, économique et sociale, en particulier grâce au cadre libéral de la prescription de la buprénorphine. Mais il a oublié des usagers aux bords de la route, notamment les plus précarisé, parce que leurs besoins ne sont pas en adéquation avec l’offre du système de soin et parce que les professionnels du soin ne sont pas assez formés. Certaines mesures à prendre sont simples : élaborer une clinique du sevrage, pouvoir prescrire de la méthadone en médecine de ville comme le font les belges, légaliser la prescription de morphine, inclure des formations sur l’usage de drogues dans les cursus de pharmaciens ou de médecins. D’autres sont plus compliqués, plus à cause de tabous qui résistent que de questions techniques, comme mettre sur le marché un subutex injectable pour ceux qui ne peuvent se passer de l’injection ou élaborer un protocole d’héroïne médicalisée.
Dans tout les cas, il est nécessaire d’écouter les besoins des usagers si l’on veut diminuer les dysfonctionnement du système, comme le marché noir et les « usages alternatifs».

Références

Commentaire d’Andrew Byrne sur l’étude : Loss of tolerance and overdose mortality after inpatient opiate detoxification: follow up study. Strang J, McCambridge J, Best D, Beswick T, Bearn J, Rees S, Gossop M. BMJ. 2003 May 3;326(7396):959-60

Tendances en matière de réduction des risques chez les usagers de drogues par voie IV – Julien Emmanuelli, InVS, 2001

Conférence de consensus : Stratégies thérapeutiques pour les personnes dépendantes des opiacés : place des traitements de substitution (23 et 24 juin 2004 – Lyon)

Buprenorphine substitution treatment in France: drug users’ views of the doctor-user relationship – Anne Guichard,1* France Lert,1 Jean-Marc Brodeur,2 and Lucie Richard3

Les conduites addictives – Alain Morel et Jean-Pierre Couteron – 2008 – Edition Dunod

Le Suboxone®, c’est pour bientôt !

Les laboratoires Schering-Plough devraient commercialiser d’ici la fin de l’année un nouveau traitement de substitution opiacé (TSO) : le Suboxone®, une association de buprénorphine, le principe actif du Subutex®, et de naloxone, un antagoniste opiacé. Objectif attendu de cette association : une diminution du mésusage de la buprénorphine (injection IV, sniff) et de son détournement vers le marché clandestin. Tentons maintenant d’expliquer par quel mécanisme.

Certains récepteurs présents dans le système nerveux central sont comme des serrures auxquelles peuvent se lier différentes clés. En matière d’opiacés, ces clés sont de 3 types : des agonistes purs comme l’héroïne, la morphine ou la méthadone, des agonistes partiels comme la buprénorphine, et des antagonistes comme la naloxone ou la naltrexone.

Agonistes, antagonistes, etc.

Naturels (morphine), semi synthétiques (héroïne), ou synthétiques (méthadone), les agonistes purs ont les mêmes propriétés que les opiacés, en particulier la diminution de la douleur et l’euphorie. Les agonistes partiels (ou agonistes/antagonistes) se comportent comme des agonistes lorsqu’ils ne sont pas en compétition avec des agonistes purs, ou comme des antagonistes dans le cas contraire. C’est pour cette raison qu’on ne peut associer prise de buprénorphine et héroïne, morphine ou méthadone, sauf à prendre le risque d’éprouver des signes de manque. Enfin, les antagonistes se comportent comme des « fausses clés » qui prennent la place de l’agoniste s’il est déjà présent ou qui l’empêchent d’agir. La première propriété est utilisée en urgence comme antidote des opiacés en cas d’overdose, la seconde comme prévention de la rechute en prise quotidienne après un sevrage (Nalorex® dosé à 50 mg de naltrexone). La prise quotidienne de l’antagoniste – une rude discipline soit dit en passant – dissuade alors de consommer un opiacé puisque ce dernier ne pourra agir. Deux notions importantes pour la suite de cette saga pharmacologique : dans ce modèle « clé/serrure », les clés ont une vitesse de liaison et une « affinité » plus ou moins grande pour les récepteurs. Ainsi la buprénorphine a-telle une haute affinité pour les récepteurs auxquels elle se lie et dont elle se délie lentement (d’où sa longue durée d’action) tandis que la naloxone se lie et se délie vite (courte durée d’action) mais avec une affinité faible.

Un effet en deux temps

Lorsque le Suboxone® est pris par voie sublinguale, la naloxone n’agit pratiquement pas et les choses se passent donc comme si l’on avait pris de la buprénorphine seule. Que se passe-t-il en cas d’injection ? Il faut distinguer deux cas de figure très différents. Si la personne injecte habituellement de l’héroïne, l’expérience risque fort d’être désagréable car la naloxone va déplacer l’héroïne et des signes de manque d’intensité moyenne vont apparaître. Si elle injecte habituellement du Subutex®, il ne va, en revanche, pas se passer grand-chose car la naloxone ne prend pas la place de la buprénorphine. On peut même préciser les choses en fonction du facteur temps : si la dernière injection de Subutex® est proche (environ 2 ou 3 heures), il ne se passera à peu près rien en termes de signes de manque car la buprénorphine sature les récepteurs auxquels elle est solidement liée.

Déjà commercialisé dans plusieurs pays européens, aux États-Unis et en Australie, le Suboxone® a obtenu une autorisation européenne de mise sur le marché. Il associe naloxone et buprénorphine dans un rapport de 1 à 4 : 0,5 mg de naloxone pour 2 mg de buprénorphine, 2 mg de naloxone pour 8 mg de buprénorphine. S’il n’existe pas de dosage à 0,4 mg de buprénorphine comme pour le Subutex®, la dose maximale autorisée passe, en revanche, de 16 à 24 mg. Le Suboxone® est contre-indiqué chez la femme enceinte.

Si elle est plus ancienne (12 à 24 heures), certains récepteurs auront été libérés et la naloxone pourra agir. Les usagers décrivent alors un effet en deux temps : d’abord une sensation désagréable liée à cette action, puis la buprénorphine prend le dessus et son effet finit donc par dominer.
Que va entraîner l’introduction de leSuboxone® sur le marché français ? Bien difficile à dire. La France présente, en effet, 3 spécificités importantes : tout d’abord, le Subutex® y a été introduit depuis longtemps, 12 ans, ce qui n’est le cas d’aucun autre pays, Subutex® et Suboxone® ayant généralement été commercialisés pratiquement en même temps. Ensuite, le cadre légal français très « souple » a généré des prescriptions très larges puisque près de 100 000 usagers suivent désormais ce traitement. Enfin, en raison de ce cadre légal et de la faiblesse des procédures de contrôle, le Subutex® a fait l’objet d’un détournement important vers le marché noir. Un détournement qui ne concerne qu’un nombre limité d’usagers, de médecins et de pharmaciens, mais massif en quantités.

L’inconnue des prescripteurs

L’introduction du Suboxone® en France se déroule dans une ambiance pour le moins compliquée. Pour certains, le principe même de cette association est condamnable en raison de sa dimension punitive. Pour d’autres, et un peu contradictoirement, le Suboxone® ne changera pas grand-chose au détournement par voie injectable du Subutex®. D’autres enfin considèrent le Suboxone® comme un Subutex® amélioré puisque moins mésusé et moins détourné. À cadre légal strictement équivalent, reste à savoir ce que feront les prescripteurs. La logique voudrait que le Suboxone® soit proposé (imposé ?) aux patients mésuseurs de Subutex®, avec des résultats qui risquent d’être un peu décevants. Le principal intérêt de l’association sera donc peut-être un détournement de Suboxone® vers le marché noir beaucoup plus faible que celui de Subutex®, une donnée que l’on retrouve dans les pays où l’association est déjà commercialisée. Et les usagers là-dedans ? On peut penser qu’ils sauront gérer cette nouvelle situation. De même qu’ils ont su s’adapter à l’arrivée, en 1996, d’un agoniste partiel en respectant un intervalle de temps minimal entre une injection d’héroïne ou de sulfate de morphine et une injection de Subutex®, ils devraient apprendre à « jongler » avec cette nouvelle association. En tentant d’éviter la polémique et la caricature, le Suboxone ® permettra donc peut-être de limiter l’injection de buprénorphine, mais plus probablement de diminuer le détournement vers le marché noir. Elle s’ajoutera aux TSO existants : Subutex® et génériques, méthadone sirop et gélule. Mais il faudra sans doute attendre plusieurs années pour pouvoir dire quelle sera sa place par rapport à la buprénorphine seule. Les spécificités françaises étant ce qu’elles sont, de nombreux pays suivront avec intérêt les tribulations du Suboxone® dans notre pays.

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