L’iboga, miracle ou imposture ?

L’iboga est une plante psychotrope très puissante, traditionnellement utilisée dans certaines régions d’Afrique Noire par des sorciers et guérisseurs locaux. Au Gabon, elle est associée à la religion Bwiti et ses impressionnantes cérémonies liées au culte des ancêtres. L’ingestion d’une mixture à base d’iboga permettrait d’entrer en contact avec leur esprit. Selon certains chercheurs et d’anciens pharmacodépendants, elle aurait, par ailleurs, la particularité de guérir les addictions aux drogues telles que l’héroïne, la cocaïne, mais aussi l’alcool et les anxiolytiques. Dans un cadre rituel approprié, elle permettrait également une forme de psychothérapie intensive et radicale. Voyons un peu ce qu’il en est.

Une expérience bouleversante

En cette période d’hyper-médicalisation, l’iboga est une démarche visant à trouver d’autres voies que celle de la psychiatrie ou des médicaments. Une alternative à l’opposé du statut de patient assisté, soumis et docile, qui accepte de faire pipi dans une bouteille sous l’œil d’un psychiatre soupçonneux pour avoir sa méthadone.

L’iboga classée stupéfiant

Comme Asud le craignait, l’iboga a été classée stupéfiant et son usage est désormais interdit. Plusieurs accidents et 2 décès ont accéléré ce classement. À terme, cela risque de rendre plus problématique encore son usage traditionnel dans la forêt africaine où les autorités finiront par interdire son usage, sous la pression des Occidentaux.

Paradoxalement tous ceux qui ont tenté l’iboga déconseillent très vivement de tenter cette expérience sans un médecin. L’iboga est un redoutable hallucinogène. Alors attention chers petits drogués, il y a eu 2 morts en quelques mois en France ! Il s’agit d’une philosophie basée sur une expérience ponctuelle bouleversante, parfois d’une violence inouïe… Après avoir consommé la plante, le postulant se retrouve peu à peu plongé dans des dimensions inconnues de sa conscience. Selon des spécialistes du Bwiti, « l’iboga proposerait une voie de responsabilisation » pouvant permettre à certains de retrouver une « dignité originelle » en plongeant dans l’inconscient et les méandres de la psyché avant de renaître. Une expérience spirituelle intense qui pourrait, dans certains cas, permettre à l’individu d’en finir avec ses démons et d’affronter la vie en se forgeant de nouvelles armes.

L’iboga pour décrocher

L’un des principes actifs de l’iboga, l’ibogaïne, fut le principal constituant du Lambarene®, un médicament (retiré du marché en 1966) dont Albert Schweitzer et Haroun Tazieff se servaient à faible dose pour combattre la fatigue.

Un rituel bien précis

L’iboga qu’on trouve au Congo, au Cameroun et au Gabon se prend toujours dans le cadre de cérémonies bien précises. Soit lors de la cérémonie d’initiation où le « Banzi » (Nouvel initié qui s’apprête à suivre la voie de l’iboga) en prend durant 3 jours, soit à l’occasion d’événement précis tel un deuil. La consommation d’iboga a toujours lieu après une préparation soigneuse et une mise en condition appropriée qui implique une purification rituelle, un nettoyage total, des purges. et une période de jeûne et de recueillement. La cérémonie se déroule sur 3 jours avec des feux, des chants, des danses et de la musique durant tout le rituel. Le premier jour symbolise la la naissance, le second le voyage vers la mort, le troisième la renaissance et la connaissance. Une période de récupération est ensuite indispensable. La cérémonie laisse toujours les participants exténués.

Dès les années 50, des chercheurs s’intéressent à cet alcaloïde qui potentialise les effets analgésiques de la morphine. En 1962, un groupe de jeunes héroïnomanes teste l’iboga, sur la suggestion de collaborateurs de Timothy Leary qui cherchent des remèdes contre la dépendance à l’héroïne. Cinq ne retouchent pas à l’héroïne durant plusieurs jours. L’un d’entre eux, Howard Lotsof, s’enthousiasme et veut développer l’usage d’ibogaïne. La suite est un scénario digne d’un roman d’espionnage avec ses rebondissements, ses secrets, les intérêts de l’industrie pharmaceutique, les pressions du gouvernement et de nombreuses magouilles. En 1968, en pleine période hippie, les USA interdisent l’ibogaïne, censée provoquer des visions. Durant les années 80, Lotsoft, qui a replongé entretemps, redécroche avec l’ibogaïne et, à force d’activisme, réussit à mobiliser des laboratoires, des mécènes… et Act Up. Des programmes expérimentaux ouvrent aux Caraïbes et aux Pays-Bas. Le succès est mitigé. Les évaluations rigoureuses manquent. Mais de plus en plus de voix s’élèvent pour témoigner. Parfois instrumentalisées par les professionnels de la « décroche alternative », qui présentent l’iboga comme la panacée pouvant permettre de surmonter toutes les dépendances. Alors que de nombreux sites Internet se consacrent à cette plante, à ses usages traditionnels, médicaux et expérimentaux, avec ses partisans et ses détracteurs, un consensus informel semble pourtant se profiler. L’iboga ou l’ibogaïne auraient effectivement aidé quelques personnes à décrocher de certaines drogues, mais il ne s’agit en aucun cas du produit miracle ou du médicament que certains décrivent.

En cas de dépendance opiacée, l’iboga ne soulage absolument pas le manque. Prise dans un cadre rituel, la plante peut parfois provoquer une forte secousse psychique, une prise de conscience, parfois d’une redoutable violence, qui peut permettre de trouver les ressources internes pour surmonter l’envie de drogue. Puis, peu à peu, aider à résoudre les problèmes de dépendance, dans le cadre d’un processus de maturation. Selon les promoteurs de la bande à Lotsoft, tel Dana Beal (auteur de « The Ibogaine Story »), l’ibogaïne serait en fait plus adaptée pour résoudre les problèmes de comportements addictifs comme les dépendances au jeu, au sexe, voire aux stimulants comme la cocaïne.

Attention Bad trip

Mais attention. Si les techniques chamaniques fonctionnent dans les sociétés traditionnelles, dans des contextes religieux et culturels particuliers et avec des personnes familiarisées avec ces usages depuis des temps immémoriaux, il en va rarement de même avec les « touristes » occidentaux que nous sommes. Asud a rencontré de nombreux apprentis chamanes qui sont restés chéper sur leur branche.
Voici en résumé comment Vincent Ravalec explique l’expérience dans l’ouvrage « Bois sacré, Initiation à l’iboga » : « L’initié devenu visionnaire serait capable de communiquer avec ce que les Africains appellent l’esprit des ancêtres. Il s’agirait d’une immersion dans une espèce de bibliothèque vivante, une mémoire généalogique où lui serait projeté le film de sa vie et celle de sa lignée, mais sous un angle totalement inédit avec en bonus les coulisses du film, le tournage, l’intelligence du scénario. Tout ça avec la compréhension claire qu’il ne tient qu’à lui d’écrire la fin qu’il veut. » Ravalec insiste nettement sur le fait que l’iboga ne peut en aucun cas se prendre comme une drogue récréative. L’expérience comporte toujours une dimension pénible. La confrontation avec ses peurs, ses refoulements n’est jamais une partie de plaisir. Au Gabon, le Bwiti, ou religion de l’iboga, est une philosophie de vie, une voie vers la connaissance comme le yoga ou la voie de l’ayahuasca (autre plante psychotrope hallucinogène) d’Amazonie, qui nécessite une très forte motivation. Un travail permanent et dur. Si les témoignages et descriptions concernant l’iboga sont souvent spectaculaires et fascinants, tous mettent sérieusement en garde contre les expériences hasardeuses et dissuadent fortement d’en consommer en dehors des contextes rituels traditionnels. Certains expérimentateurs qui ont essayé d’autres plantes traditionnelles reconnaissent qu’avec l’iboga, ils ont eu très peur et que sans la présence d’un bon guide, ils auraient fait un sacré bad trip.
La teneur en principe actif de la plante peut, par ailleurs, varier sensiblement. Trouver le dosage optimum est donc plus qu’aléatoire.
On peut aussi décrocher tout seul, comme un grand, à la rigueur avec un peu de Subu ou de métha en doses dégressives en quelques jours. Le challenge c’est de ne pas recommencer.

Le témoignage d’un lecteur d’Asud

Depuis 28 ans je me droguais à l’héroïne, l’alcool, le tabac. Je passe sur une vingtaine de cures, autant à l’hôpital que sauvages. Je prenais du Skenan® à des doses dépassant le gramme. Il y a 4 ans que je cherchai à trouver une plante du nom de Tabernanthe Iboga…

J’ai essayé de voir des psys qui ne m’ont été absolument d’aucune aide, ils ne connaissent rien à cette plante et ne voulaient pas faire d’essai clinique. J’ai donc dû partir au cœur du Gabon où l’ on m’a donné l’iboga… et suis rentré chez moi à Angers… J’ai absorbé cette plante à 1h00 le 10 octobre 2002.

Au bout de 36 heures, je revenais à moi (pas de syndrome de manque, peut-être 10%) et 12 heures après ces 36 heures, j’étais sur pieds. Je passe les visions paradisiaques, la joie, les amis décédés que j’ai eu la très grande chance de rencontrer! Voilà, j’ai arrêté de fumer, de boire, de me camer. Cela fait 6 jours, et pour l’instant je n’ai plus aucun symptôme de manque. J’espère que ce témoignage en aidera d’autres à s’en sortir…

Un Brève histoire de l’iboga

« J’ai marché ou volé sur une voie longue et multicolore, ou sur de nombreuses rivières, qui m’ont conduit à mes ancêtres qui, à leur tour, m’ont conduit aux grands dieux. »
C’est par ces quelques mots que le nouvel initié à l’un des différent cultes Bwiti tente de communiquer son expérience mystique, résultat d’heures de chants et de danses rituelles, associé à la prise d’une préparation à base de racine d’iboga. L’utilisation rituelle de l’iboga est principalement connue des tribus Fang et Mitsogho du Sud-Gabon. D’après la tradition orale, cette connaissance et son utilisation, ainsi que celles d’autres plantes médicinales ou psychotropes, dont sont issus les mythes fondateurs de la religion Bwiti leur aurait été enseignée par les pygmées de la forêt équatoriale.

Les européens découvrent la plante en 1819, à travers la description du Gabon d’Edward Bowdich. Dans leurs rapports, les officiers de district du Cameroun évoque cette « plante qui stimule le système nerveux, qu’on emploie pour effectuer de longues marches, de grands voyages en canoë ou pour rester éveiller la nuit. » C’est en 1939 qu’apparaît sur le marché pharmaceutique le Lambarène, des comprimés dosés à 0,20g. d’extrait d’iboga correspondant à 8 mg d’ibogaïne, dont la composition aurait été inspirée par le docteur Schweitzer, grand marcheur et explorateur infatigable. Haroun Tazieff, vulcanologue, raconte dans son livre: « Le gouffre de la pierre saint Martin » son expérience du lambarène, classé comme stimulant neuromusculaire, effaçant la fatigue, indiqué en cas de dépression, de convalescence, de maladies infectieuses, d’effort physique et intellectuel anormal. Devenu par la suite l’un des dopants préféré des sportifs d’après-guerre, le Lambarène fut retiré du marché en 1966, et l’ibogaïne interdite à la vente avant d’être classé comme produit dopant par le C.I.O. en 1989. C’est en testant ses vertus psychédéliques que Timothy Leary, et d’autres avec lui constate son pouvoir anti-addictif. Parmi eux, le futur docteur Lotsof, l’un des pionniers du traitement à l’ibogaïne qui lancera les premiers protocoles d’études cliniques. Ce n’est que plus tard que l’on apprendra que la C.I.A. menait déjà dans les années 50 un programme d’étude sur une population de morphinomanes afro-américains, étude dont les résultats sont toujours classés top-secret.

Ibogaïne aux USA

La dépendance aux opiacés et à la cocaïne soignée grâce à l’ibogaïne, un produit tiré de l’iboga, drogue traditionnelle des sorciers camerounais.

C’est la solution que proposent, à l’initiative des groupes d’autosupport d’usagers de drogues, certains thérapeutes américains. Bien que l’ibogaïne soit actuellement très difficile à trouver aux USA, de nombreux spécialistes US se font les avocats d’une extension de son usage thérapeutique.

Dans la mesure où ce produit, malgré son actuel statut de semi-clandestinité ni légal ni illégal, ne figure pas non plus sur la liste américaine des stupéfiants, il semble que le NIDA (National Institute on Drug Abuse), qui est le plus important organisme spécialisé aux USA, ait donné son feu vert a des programmes prioritaires de recherche et d’expérimentation sur l’ibogaïne. La raison de cet empressement ? C’est que les pontes du NIDA se sont aperçus que cette drogue africaine peut jouer un rôle important dans la prévention du Sida en détournant les UD, à la fois de la pratique du shoot et de la consommation de la came frelatée des rues américaines, dont on pense par ailleurs qu’elle contribue à déprimer le système immunitaire.

Par ailleurs, l’Université de Miami a annoncé qu’elle commencerait dès le début 93 une série d’expérimentations cliniques de l’ibogaïne sur les personnes dépendantes de la coke…

Coke et héro : Une ambivalence qui pourrait surprendre au premier abord, la coke ayant un effet stimulant alors que celui des opiacés est sédatif…

Elle s’explique par le fait que ces deux types de produits, chacun à sa façon, partagent la caractéristique d’activer la production de dopamine dans le cerveau, la dopamine étant la substance chimique qui produit la sensation d’euphorie caractéristique des stupéfiants. C’est précisément à ce niveau qu’agit l’ibogaïne. Affaire à suivre.

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