Les déclarations de Madame Veil

Une des premières déclarations de Mme Veil, le nouveau (super) Ministre de la Santé a été pour dire que jamais elle n’envisagerait aucune forme de dépénalisation pour les “drogues”.

Et une de ses premières interventions a été de maintenir Georgina Dufoix a la tête de la DGLDT (Direction Générale de la Lutte contre la Drogue et les Toxicomanes …. pardon, la Toxicomanie). Mais, dernière heure, celle-ci vient de démissionner, sans que nous sachions, à l’heure où nous mettons sous presse, qui la remplace. A-t-elle voulu par cette déclaration puis par cette décision, pour le moins mal avisée, marquer sa rupture politique avec la ligne suivie par son prédécesseur M. Kouchner ?

Toujours est-il que nous avions connu Mme Veil mieux inspirée – et plus courageuse. Mais peut-être cette protectrice des droits de l’homme, que sa profonde compréhension et son implication personnelle dans les problèmes de la femme avaient à l’époque conduit à braver courageusement les tenants de l’ordre moral en libérant l’avortement, peut-être Mme Veil – et nous l’espérons – ne pèche-telle que par méconnaissance du dossier.

Auquel cas, les membres d’ASUD, au nom de plus de 150.000 toxicos que ses déclarations semblent vouloir renvoyer une fois de plus à l’illégalité et à la marginalité se proposent de l’éclairer sur le vécu, sur l’expérience quotidienne et sur les véritables besoins et aspirations de cette population qui, plus que d’on ne sait quelle malignité intrinsèque des produits, souffre et meurt de la (non) vie que leur est faite par la répression qui s’y attache.

C’est pourquoi nous nous tenons à la disposition de Mme le Ministre de la Santé pour un dialogue grâce auquel les usagers pourront enfin devenir les partenaires et les interlocuteurs du débat qui les concerne au premier chef. Madame le Ministre, la balle est dans votre camp !

10 mesures d’urgences contre la marginalisation et l’extension du SIDA chez les usagers de drogues

  1. Accès facilité aux seringues, généralisation des programmes d’échanges de seringues et installation de distributeurs automates
  2. Aise en place de programmes méthadone dans toutes les grandes villes françaises. (il n’y a actuellement que 52 places, uniquement à Paris)
  3. Organisation de réseaux de médecins généralistes se répartissant la prise en charge des toxicos, où circulerait une information spécifique. En corollaire, possibilité pour ceux-ci de prescrire des produits de substitution (y compris les spécialités inscrites aux tableau B)
  4. Accès libre, gratuit, anonyme et sans condition de sevrage aux soins médicaux et hospitaliers (prise en compte de la dépendance)
  5. Arrêt immédiat des incarcérations de toxicomanes pour simple délit d’usage de stupéfiant ; suppression de l’injonction thérapeutique.
  6. Prise en charge médicaux-sociale des détenus séropositifs pendant leur incarcération et au delà de leur sortie.
  7. Visite obligatoire d’un médecin aux toxicos en garde à vue depuis plus de 8 heures.
  8. Augmentation des places disponibles en post-cure (actuellement 600 lits pour près de 200 000 toxicos)
  9. Mise en place de structure d’accueil, d’hébergement pour les toxicos les plus marginalisés, souvent sans aucune couverture sociale.
  10. Aides des pouvoirs publics à la création et au fonctionnement autonome de groupes d’auto-support d’usagers et ex- usagers de drogues et participation aux décisions prises en matière de toxicomanie.

Brèves (été 1993)

Bloody yeuxUSA : au Kansas, trois dealers de crack ont été condamnés à la peine capitale, ayant été reconnus responsables de la mort de onze toxicos. Et comme là-bas ils ont le sens de l’humour, ils seront exécutés par injection toxique ! Et si on envoyait les responsables Français de la contamination HIV par transfusion se faire juger au Kansas ?

main jeterLes Pays-Bas violemment critiqués sur leur politique de répression des stupéfiants par un rapport de l’ONU. Les Néerlandais contestent les conclusions de ce rapport, et suggèrent qu’il a été rédigé sous la pression de la France. Il s’agirait d’une rivalité entre Paris et La-Haye, tous deux candidats au siège d’Europol, la future police européenne. (bizness is bizness …)

mainsRecord pulvérisé le 9 janvier dernier, avec la saisie de 14 tonnes d’héroïne afghane par l’armée turque sur un cargo en provenance du Pakistan. Sur le marché parisien, ça représenterait plus d’un milliard de “képas” !!!

Tête BDAprès Michelle BARZACH et Brice LALONDE, c’est Monique PELLETIER, ancien ministre de la famille, qui se déclare favorable à l’extension des programmes de méthadone et d’échange de seringues. Elle déclare que face au sida, “il faut passer à la vitesse supérieure”.

BaiserNaissance du MLC – Mouvement de Légalisation Contrôlée – animé par P. DOUGUET, avec la participation de l’avocat F. CABALLERO et du professeur Willy ROZENBAUM . Cette association entend promouvoir une alternative à la prohibition et à la répression, constatant que “l’interdiction des stupéfiants transforme leur usage en fléau”.

Bloody colère yeuxLe célèbre professeur CHORON bientôt au MLC ?
Extrait de son interview dans le journal BEST : “l’ivrogne chez nous, il a le nez rouge, il est un peu gonflé, là-bas l’opiomane est un peu maigre, c’est toute la différence ; mais il n’y a jamais de folie, la folie vient de la prohibition”.

Tchao HELNO ! Le chanteur des Négresses Vertes nous a quitté , victime d’une overdose (d’un produit toxique sans doute coupé à l’héroïne ?).

ASUD04_BusA Paris, l’action de “Médecins du Monde” est régulièrement troublée par certains services de police (sans doute dopés par les déclarations fracassantes de messieurs Quilès et Broussard) : interpellation des “toxs” à la sortie du bus de prévention et destruction des kits . On est décidément bien loin de Liverpool où la police oriente les toxicos interpellés vers les lieux d’échange de seringues et autres centres d’accueil . En effet, elle estime que sa mission consiste aussi à protéger la population du sida.

Bonne nouvelle : le ministre de la santé B. KOUCHNER a annoncé avant son départ que tous les séropositifs seront pris en charge à 100% par la sécurité sociale. Malheureusement ça ne changera pas grand chose pour les toxicomanes les plus marginalisés et sans aucune couverture sociale.
(M Kouchner est désormais remplacé par Mm Veil)

Incroyable : plusieurs toxicos strasbourgeois en ont été réduits (faute de places dans les centres d’accueil) à réclamer leur incarcération ! En effet , la région est confrontée à une forte augmentation de la toxicomanie et les rares structures médicales sont débordées, reste donc … la prison ! Connaissant les conditions de “vie” désastreuses des toxicos en milieu carcéral, on imagine l’ampleur du désespoir de ces personnes.

ASUD04_DoubleCeci est le sigle “de la “Double U.O.”, héroïne laotienne vendu aux G.I.’s américains durant la guerre du Vietnam.

Barbès en état de siège : Depuis la déclaration de guerre à la drogue faite par Messieurs Quilès et Broussard , le quartier de la Goutte d’Or est soumis régulièrement au quadrillage de la police, et l’arrivée de M. Pasqua au ministère de l’Intérieur ne fait qu’aggraver cette “politique” de harcèlement dont sont plus particulièrement victimes les toxicos.
Bilan de ces spectaculaires opérations anti drogues : dealers arrêtés : 0 ; quantité de drogue saisie : 0 ; restent quelques toxicos et quelques étrangers sans papiers en garde à vue . A la brigade des stups on appelle ça de la déstabilisation du deal de rue ! A part ça le prix du gramme d’héro dans le quartier est toujours à 500 francs, et largement disponible.

L’Italie dépénalise : après trois années de politique hyper-répressive qui a envoyé sous les verrous des milliers d’usagers, le gouvernement fait marche arrière en dépénalisant l’usage de stupéfiants. Ce nouveau décret a même été confirmé par un référendum (55% pour). Reste que la quantité de drogue tolérée est très faible : un dixième de gramme pour l’héroïne, un demi gramme pour le shit . Alors soit l’héroïne italienne est d’une pureté exceptionnelle, soit nos amis italiens sont condamnés à de multiples allers-retours …
Mais bon c’est quand même un progrès !

Une fois de plus la France est à la traîne en restant le seul pays de la C.E.E (avec le Luxembourg) à emprisonner les toxicos pour simple usage de stupéfiants.

Flash de dernière minute : aujourd’hui, 7 mai 1993, nous apprenons la démission de Mme Georgina Dufoix de la DGLDT ! Est-il vraiment nécessaire de préciser qu’ASUD se réjouit de cette nouvelle ?

ASUD04 VIH capote nez wolinskiAprès dix-huit mois de négociations serrées avec les pouvoirs publics, Médecins du Monde a mis en service un bus d’échanges de seringues fonctionnant trois soirs par semaine. Le besoin est réel, Strasbourg compte plus de 3000 toxicomanes dont un tiers est séropositif et les structures d’accueils spécialisées sont insuffisantes.

Pavot islamique : La police de Téhéran a découvert (puis détruit !) plusieurs plans de pavot dans les jardins du mausolée de l’Imam Khomeiny. Pendant ce temps les nombreux toxicos iraniens continuent de subir une répression féroce (exécution, incarcération massives)

Éditorial N°3

Par les temps qui courent, les usagers de drogue ne savent plus que penser. D’un côté, on nous souffle le chaud et de l’autre, le froid. Entre Kouchner – La Tendresse qui promet Méthadone et échange de seringues à gogo et Broussard – Père fouettard qui fulmine contre les toxicos de base et nous menace de répression tous azimuts, qui croirons-nous ?

Et, ce ne sont pas ces Messieurs du Gouvernement, Ministre de la Santé et Ministre de l’Intérieur, déclarant à l’unisson – et contre toute évidence ! qu’il n’y a pas de contradiction entre leurs politiques qui risquent d’éclairer notre lanterne : D’un côté, on déclare vouloir privilégier la prévention du SIDA et de l’autre, l’empêcher – car c’est carrément à cela que revient en fin de compte la politique de “guerre totale à la drogue” Essayez d’y comprendre quelque chose !

Mais malheureusement, les UD ont autre chose à faire de leur temps que le gaspiller à analyser les subtilités de ce casse-tête chinois version franchouillarde. Ils ont à vivre, à survivre. Face au SIDA, face à la répression, face à la misère physique et morale – c’est une question d’urgence…

Il ne s’agit plus, face aux discours contradictoires des uns et des autres, de se livrer à des décryptages byzantins des déclarations gouvernementales pour faire la part des intentions sincères et des concessions électoralistes, l’heure est à l’action.

Et l’action, pour le groupe ASUD, cela veut dire lutter pied à pied, au jour le jour, contre l’extension galopante de la contamination VIH dans nos rangs.

Cela veut dire aussi être ouvert à tous les partenariats, à toutes les initiatives – associatives, professionnelles, politiques (et peu importe qu’elles viennent de la gauche, de la droite ou du centre… N’est-ce pas Madame Barzach ?) – à toutes les expérimentations, en France et dans le monde, partout où il s’agit de nous empêcher de crever !

Pour cela, nous avons un instrument : le journal. Un journal où les UD trouveront bien sûr, comme dans nos deux premiers numéros, le maximum d’infos techniques, pratiques, de bonnes adresses et de nouvelles du front de notre lutte quotidienne contre le SIDA. Et aussi contre tout ce qui menace la vie, l’intégrité et la dignité humaine des UD. Informer, témoigner, mais aussi prendre position dans tous les débats de société qui nous concernent…

Comme aujourd’hui, sur la question (par exemple) des produits de substitution. Un terrain où, en réaction à la lamentable affaire du Temgésic.

Une remise en question que les progrès de l’épidémie du VIH rend chaque jour plus inéluctable. Aussi, nous ne l’éluderons pas, et tant pis pour l’hypocrisie d’État, tant pis pour ceux qui préfèrent se voiler la face et réaffirmer les grands principes de la Prohibition en feignant d’ignorer l’hécatombe quotidienne de ces parias qui sont pourtant leurs fils, leurs frères, leurs concitoyens…

C’est dans cet esprit de refus des tabous, d’ouverture à tous les questionnements, à toutes les possibilités de mieux-vivre pour les usagers de drogues que certains d’entre-nous se sont rendus à Montpellier pour participer à une semaine de réflexion sur la légalisation des drogues. Un débat juridique, politique et qui, en tant que tel, n’est pas à proprement parler le nôtre dans la mesure où ce qui nous préoccupe, c’est avant tout le vécu, la réalité quotidienne de la lutte contre le SIDA, contre le désespoir, en un mot contre tout ce qui, au jour le jour, ici et maintenant, nous pourrit l’existence. Mais un débat pourtant, dont nous ne devions, dont nous ne pouvions pas être absents. Nous en retranscrivons ici les points forts – à chacun de juger et, à défaut de trancher et de prendre position, de s’offrir au moins le luxe de la réflexion…

Mais s’agit-il vraiment d’un luxe ? Oui, si, comme le prétendent certains, nous ne sommes qu’un troupeau irresponsable de victimes et de délinquants, trop heureux de se voir octroyer le droit de survivre. Non, si nous arrivons enfin, malgré la répression, malgré les menaces de M. Quilès et les anathèmes de Papy Broussard, à nous considérer enfin comme une communauté, comme une minorité consciente, responsable et agissante au sein de la grande communauté des citoyens, prenant en main ses droits et son identité.

Son identité, c’est à dire aussi sa culture, qui, pas plus que la réflexion, ne constitue un luxe à nos yeux, ni n’entre en contradiction avec la priorité absolue que la situation nous oblige à donner à la prévention du SIDA. Car si la prévention du VIH, c’est d’abord, c’est avant tout, une question de seringues propres, ce n’est pas seulement cela, c’est également un état d’esprit, un mode de vie, c’est une volonté de sortir de la marginalité et d’assumer sa liberté…

C’est ce que nous, membres du Groupe ASUD, pouvons vous souhaiter de mieux pour cette année 1993…

Avec tous nos vœux

Prévention dans la rue : des infos et du matos

De plus en plus, toutes professions mêlées (médecins, travailleurs sociaux et… UD, bien sûr Auto-Support oblige !), les militants de la Prévention VIH chez les UD passent à l’action directe. C’est à dire descendent dans la rue, sur “la scène”, à la rencontre des toxicos. Pour leur parler prévention, bien sûr, pour les informer, aussi bien grâce au dialogue direct, engagé dans la rue, aux abords immédiats des différents “souks à la défonce” qu’en leur distribuant les différentes brochures des organisations anti-SIDA et, évidemment, des numéros d’ASUD journal.

Mais, depuis quelque temps, à côté de ces actions “informations”, on voit, aux quatre coins de Paris et de la banlieue, on voit se développer des opérations visant à passer à la vitesse supérieure : c’est à dire à la distribution, sur le terrain, là où sont les toxicos, de matériel de prévention : désinfectant pour seringues, seringues stériles (échange contre des seringues usagées), préservatifs, et – c’est la nouvelle tendance qui semble se développer depuis peu – Kits prévention complets, avec seringues, capotes, tampons d’alcool etc…

Pour les lecteurs d’ASUD journal, nous avons voulu essayer de faire le point de ces différentes initiatives.

1°) Les flacons désinfectants

Une initiative originale, et en tout cas, nouvelle dans notre pays, où elle ne se développe – avec succès – que depuis quelques semaines ? À la base, une idée typiquement empreinte de ce réalisme et de ce pragmatisme qui caractérisent la philosophie de la “réduction des risques” ! Une idée née d’une simple constatation faite sur le terrain, au cours des contacts établis avec les toxicos à l’occasion, par exemple, d’opérations d’échanges de seringues.

À savoir que, même informés et convaincus de la nécessité absolue d’utiliser une pompe neuve et stérile par personne et par shoot, il peut arriver – et il n’arrive que trop souvent – à des usagers (et surtout aux plus démunis d’entre-eux, à ces “galériens” de la rue et des squatts auxquels ce genre d’action s’adresse en priorité) de se trouver avec de la dope, mais pas de pompe stérile – en tout cas pas une par usager – et aucun moyen de s’en procurer rapidement (pharmacies fermées, ou trop éloignées, plus de fric, etc.). Dans ce cas, surtout pour peu que le manque se fasse sentir, le choix est malheureusement vite fait entre la perspective “lointaine” d’une contamination VIH et l’urgence immmédiate du manque et du képa de came qui vous brûle la poche : on partage sa pompe avec les copains de galère, séropo ou pas (mieux vaut pas le savoir !) ou, pire encore, on se sert de la première vieille shooteuse ramassée dans une cage d’escalier… La suite, on la connaît bonjour le SIDA.

C’est pour remédier à ce réflexe trop souvent constaté auprès des usagers de la rue, partagés entre l’urgence du shoot et le danger de contamination, que des médecins et des travailleurs sociaux, notamment ceux du “Préser-Bus du 93”, et de l’Association EGO, dans le 18ème arrondissement de Paris ont eu l’idée de distribuer massivement dans leurs secteurs (des points hyper chauds de Paris et sa banlieue) de petits flacons contenant de l’eau de javel. Celle-ci, aspirée puis gardée quelques secondes dans la seringue souillée, qu’on nettoie ensuite soigneusement à l’eau, suffit à la stériliser de toute façon avant chaque shoot… Un moyen de prévention empirique, mais efficace.

Fait prisé en tout cas des usagers, puisqu’en quelques jours, des centaines de petits flacons de javel, distribués dans la rue, mais aussi dans certaines pharmacies et même dans des squats chauds, se sont littéralement arrachés parmi les toxicos du coin… Ce qui prouve au passage que ces plus démunis parmi les usagers, véritables parias parmi les parias, sont tout aussi sensibles que les autres à la nécessaire prévention du VIH : il suffit de leur en donner les moyens. C’est chose faite avec ces petits flacons de javel. Espérons seulement que cette initiative donnera des idées à tous les usagers en panne de seringue neuve : si la pharmacie du coin ferme à 20h, ce n’est pas le cas des épiceries de quartier qui auront toujours une bouteille de javel “de derrière les fagots”.

2°) Les Kits

Conscients que la prévention du VIH ne s’arrêtait pas au seul problème seringue neuve stérile ou non, de plus en plus d’intervenants, professionnels, usagers ou associations de quartiers, ont compris que celle-ci, pour être efficace, devait porter sur l’ensemble du matériel utilisé par l’usager pour préparer son shoot – sans oublier l’aspect sexuel : à quoi sert en effet de “fixer propre”, si, une fois cassé, c’est pour se contaminer en négligeant de protéger ses rapports sexuels ?

D’où l’idée, qui sera bientôt mise en œuvre, de distribuer (dans les pharmacies, dans la rue, sur les lieux où se pratiquent déjà les échanges de seringues) aux usagers des kits-prévention comportant, outre une ou 2 seringues neuves, l’ensemble (coton, eau distillée, acide citrique) du matériel nécessaire à la préparation du shoot, plus des tampons alcoolisés (pour nettoyer la peau avant et après l’injection) et… des préservatifs – le tout dans un emballage jetable, de préférence d’un aspect attrayants.

Plusieurs de ces kits sont actuellement à l’étude, et seront bientôt distribués dans les rues de nos villes.

Nous vous les présenterons dans le N°4 de ce journal, avec nos appréciations pratiques d’usagers et nos suggestions pour d’éventuelles améliorations. Un véritable banc d’essai, en somme… Rendez-vous le mois prochain dans ASUD journal.

Brésil : les UD de Sao Paulo interdits de prévention sida

Lorsque, pour tenter de parer à l’inquiétante progression du SIDA chez les UD locaux, les autorités sanitaires municipales de Sao Paulo, au Brésil, ont dès 1988 commencé à monter des programmer d’échange de seringues, ceux-ci ont été autoritairement interrompus par la justice fédérale.

Pourtant, et avec la bénédiction d’une municipalité consciente du danger de l’épidémie, les opérateurs de ces programmes ont passé outre. En riposte à quoi, la justice a engagé des poursuites contre la ville.

Et aujourd’hui, elle lui présente l’addition-exorbitante : 100.000 dollars environ par journée d’activité des programmes d’échanges en contravention avec la décision judiciaire.

Il est clair que cette peine d’amende fait délibérément obstacle à la prévention du SIDA chez une population d’UD au mode de vie naturellement marginal et précaire.

En somme, une version soft, légale, des exactions de ces groupes armés spécialisés dans l’extermination des gosses des rues, délinquants juvéniles et autres marginaux. Rien de bien étonnant malheureusement : n’oublions pas que le pays de la samba est aussi celui de ces fameux “Escadrons de la mort”.

Faut-il légaliser les drogues ?

C’est sur ce thème que trois membres d’ASUD ont été invités à débattre avec quelques unes des plus grandes sommités françaises de la question, réunies une semaine durant à Montpellier.

L’intervention d’ASUD le premier décembre à Montpellier fut pour nous l’occasion de se frotter au public et d’entériner deux constats : d’une part que le groupe ASUD joue désormais dans la cour des grands ; et d’autre part que la parole des usagers de drogues est non seulement irréductible, mais nécessaire à l’élaboration des politiques de santé publique.

Enfin, si cette journée mettait en exergue les relations drogues-sida, l’ensemble des débats d’une semaine commencée le 25 novembre pointe notamment le fait que la lutte contre le SIDA nécessite une démarginalisation des “toxicomanes” et la reconnaissance des droits de l’usager, en particulier celui d’être soigné sans restriction ni contrainte.

On dit de Montpellier qu’elle héberge les plus belles filles de France. Son maire quant à lui prétend qu’elle est surdouée… C’est vrai qu’au premier abord la mariée a de l’allure et que nombre de visiteurs en tombent amoureux… Mais l’astiquage de vieilles pierres et les réalisations de prestige ne mettent que mieux en évidence la pauvreté des uns côtoyant l’opulence des autres dans un des centre ville aseptisé où les dealers de rue suscitent la peur et le rejet, le réflexe sécuritaire. Tout cela est bien banal, hélas ; comme l’est également le glissement révélateur des mots qui nomment aujourd’hui “problèmes sociaux” ce qu’on appelait hier “la question sociale”. Et quelle meilleure illustration de ces problèmes sociaux que la politique des drogues, engluée depuis 1985 dans l’épidémie de SIDA, rebondissant sur le scandale politico-médical du sang contaminé ?

Aussi, ces manifestations montpelliéraines organisées en des lieux tels qu’une librairie, un cinéma, une salle de concert, un palais des congrès avaient-elles plusieurs buts :

  • Renouer avec le débat public.
  • Apporter une information pluraliste sur la question des drogues.
  • Donner la parole aux usagers.

Le public : premier intervenant

La drogue est un sujet multiple où la simplification n’est pas de mise. Aussi la formule retenue fut-elle d’organiser des débats thématiques avec des spécialistes et d’alterner les lieux de rencontres : Aspects juridiques, en ouverture à la FNAC, avec Francis Caballero (professeur de droit et avocat), Film (27 heures) et débat sur “les dépendances” au Diagonal Paillad avec Jean Louis Fregine (éducateur) et Alain Rouge (sociologue) ; Aspects économiques et Géopolitiques avec Yves Le Bonniec (journaliste et écrivain) et Ricardo Parvex (directeur d’Interdépendances) ; Exposition (photos, dessins, fresque), concert Rock et rencontre informelle à Victoire 2 avec Jean Pierre Galland (président du CIRC) et Robert Bres (psychiatre) ; Film L627 et débat sur la “prohibition” avec Michel Alexandre (policier et scénariste du film) et Michel Ripstein (psychiatre) ; Aspects sanitaires et sociaux, politiques et philosophiques avec Isabelle Stengers (philosophe des Sciences), Anne Coppel (sociologue), Marc Valeur (psychiatre), Alain Morel (psychiatre et président de l’ANIT), Philippe Marchenay et Rodolphe Mas (ASUD), au Corum. Tous les débats étaient animés par des journalistes et une géographe de la Santé.

Si chacun pouvait constater l’éclectisme dans la composition du public et la passion dans les débats, force est de constater également l’absence des responsables politiques locaux. « ça montre leur incompétence, leur peur de perdre des voix, mais ils se plantent », analyse le patron du cinéma Diagonal. « Pour un élu, la moindre des choses quand il y a un débat social, c’est d’être présent ». Avis partagé par le directeur du CRIJ qui voit là « un dysfonctionnement sur le plan social et démocratique ». Quant aux intervenants en toxicomanie de la région (CORIFET), coorganisateurs de la semaine, s’ils sont traditionnellement hostiles à la légalisation, ils n’en sont pas moins ouverts au débat. « Nous sommes en général pour la dépénalisation (“la civilisation” dira Robert Bres), c’est à dire contre la répression, explique Jean Marie Ferrari. J’ai beaucoup appris cette semaine, en particulier la nécessité de laisser un espace de parole aux toxicomanes car ce n’est pas à nous de parler à leur place,(…) Travailler avec un Groupe ASUD à Montpeller, oui. Mais en définissant d’abord et ensemble des modes d’intervention. C’est à dire ne pas pervertir cela en versant dans le prosélytisme et faire en sorte que chacun reste à sa place ».

Drogues et SIDA (Francis Caballero)

Partisan d’une légalisation contrôlée des drogues, Francis Caballero inscrit de plus en plus son discours dans l’urgence que constitue la lutte contre le SIDA. S’appuyant sur la tardive – selon lui – légalisation de la vente des seringues, il dénonce vigoureusement l’incurie de l’état, l’irresponsabilité de la classe politique et l’ostracisme de la société française envers les toxicomanes. Extrait :

« À partir du début des années 1980 on commence à savoir que le SIDA se propage par l’échange de seringues. En 1985 on commence à se poser la question de la légalisation de la vente des seringues (Le Monde du 30/08/85). Or, le décret Barzach n’intervient que le 13 mai 1987.

Cette mesure va être retardée et deux gouvernements sont en cause dans ce retard : Fabius-Dufoix puis Chirac-Barzach.

Selon les statistiques de l’OMS concernant les SIDA déclarés chez les toxicomanes, d’après mes calculs j’évalue qu’entre aout 85 et mai 87, entre 400 et 1000 personnes vont être contaminées parce que les politiques ne vont pas prendre la mesure de la légalisation de la vente des seringues. »

Le Docteur Curtet, conseiller de la D.G.L.D.T. écrit dans le Quotidien du Médecin, le 3 mars 86 « La majorité des toxicomanes continuerait à partager les seringues si la vente devenait libre ». Puis dans le quotidien du pharmacien le 18 aout 86 : « Cette mesure préviendrait un peu le SIDA mais favoriserait l’accès aux toxicomanies par voie injectable ».

Fabius avait pour sa part annoncé : « Sous mon gouvernement on ne légalisera pas la vente des seringues ».

« Or, le jour où on légalise la vente des seringues une étude épidémiologique montre que 40 % des toxicomanes n’échangeraient plus, leurs seringues (R. Ingold, INSERM). La presse va trouver cette mesure courageuse et pratiquement personne ne la critiquera. Pour terminer sur la responsabilité des hommes politiques sur cette affaire de comparaison hémophiles-toxicomanes, je dis ceci : techniquement la mesure de la légalisation de la vente des seringues est très simple, c’est une mesure réglementaire qui prend une ligne en abrogeant le décret Boulin de 1973. C’est donc une responsabilité pure. Alors les gens qui ont bonne conscience, les “Curtet” qui ont fait pression, qui ont dit « Il ne faut pas légaliser » ont du sang sur les mains et sont responsables de la contamination de 400 à 1000 personnes. Peut-être pas coupables… Encore qu’un procès serait fort intéressant techniquement ; on accuse les politiques d’une responsabilité qu’ils n’ont pas dans le dossier des hémophiles parce que la presse est comme cela, et on n’accuse pas les politiques des responsabilités qu’ils ont dans le dossier des toxicomanes. Pourquoi ? C’est parce que le toxicomane tout le monde s’en fout ; tout çà c’est de la racaille et, qu’après tout, s’ils ont le SIDA c’est bien de leur faute.

Le seul problème c’est que le sang des toxicomanes qu’on a au passage incarcérés – car non seulement on les a rendus séropositifs, mais on les incarcère ! il a été prélevé en prison et redistribué aux hémophiles. Au fond, quand la société méprise un groupe à risque comme le groupe des toxicomanes, le sang des toxicomanes retombe sur les hémophiles et sur la société française.

Quand on arrive avec les meilleures intentions du monde – pas de seringues = pas de toxicomanes – à une politique prohibitionniste d’interdiction de la vente des seringues, ça ne marche pas, c’est faux, c’est mal conçu et on menace la santé publique, et je pense que cela on pourrait peut-être répondre un jour. »

A contrario des rendez-vous précédents la rencontre au Corum à l’occasion de la journée mondiale du SIDA était plus empreinte de gravité, de sérénité que de passion et de contradictions. Nous en publions quelques extraits en ne retenant que les interventions d’Isabelle Stengers, Anne Coppel, Alain Morel et Marc Valeur, conservant l’initiative avec ASUD et le public montpellierain de revenir sur ces journées dans un prochain numéro, avec en particulier un bilan des suites données et des projets, en cours et à venir.

Est-ce qu’il faut s’appuyer sur le sida pour parler de la légalisation des drogues ? (Isabelle Stengers)

« On peut le regretter et on peut dire que çà n’a pas été le cas partout puisqu’aux Pays-Bas les seuls risques sociaux, comme la criminalité, la délinquance et les risques sanitaires comme l’hépatite C ont suffi dès le début des années 80 à ce que la politique hollandaise s’embarque dans ce qui peut déjà s’appeler une réduction des risques, à la fois médicaux et sociaux.

On peut dire que la drogue joue comme un symptôme pour notre démocratie dans la mesure où les toxicomanes et usagers nombreux ne désirant pas s’engager dans la voie de la désintoxication et du sevrage étaient tout bonnement invisibles ; et on n’en parlait plus. Les rendre visibles a été une stratégie positive et un bien en soi poursuivi par les néerlandais. Il y a là une leçon de démocratie qui nous vient du Nord. Maintenant qu’il y a le SIDA et qu’on ne peut plus maintenir dans l’invisibilité tous ces usagers et toxicomanes puisqu’ils font courir des risques de mort désignables à eux-mêmes – et pire, aux gens en bonne santé – eh bien, on peut le regretter. On peut ne pas oublier cette histoire, c’est à dire savoir avec humilité à quel point nos capacités d’occultation des problèmes peuvent être élevées et raconter aux enfants des écoles les faiblesses de nos démocraties.

Le seul point sur lequel je pense qu’il peut y avoir une tension forte est le suivant : est-ce que la réduction des risques va se limiter à une politique médicale où justement on ne parle de la drogue que comme d’un mal malheureusement incontournable et dont on ne s’occupe que par rapport aux risques ou bien est-ce que d’une manière ou d’une autre, d’une manière lente, d’une manière difficile nous allons aussi apprendre – pas nous tous – à vivre avec les drogues, avec les dangers des drogues, ou que cette possibilité d’apprendre va se dérouler sur des pans qui ne soient pas uniquement médicaux, mais aussi de socialisation, mais aussi culturel. »

Quelle légalisation ?

Anne Coppel :

« Personne – y compris les Pays-Bas – ne veut mettre à l’heure actuelle l’héroïne en vente libre dans des supermarchés. Ce qu’on essaie de faire c’est des expérimentations de contrôle des produits. Il y a sept projets de programmes d’héroïne en Europe, limités à des personnes pour lesquelles les autres solutions n’ont pas fonctionné. Ce sont donc des tentatives de contrôle auxquelles nous devons être attentifs, les regarder avec l’esprit clair en se demandant quels sont les avantages et quels sont les inconvénients. Et nous-mêmes ne pas avoir peur d’expérimenter car on peut prendre autant de risques que les risques qu’encourent les toxicomanes. »

Marc Valeur :

« L’héroïne n’est pas un produit anodin. Personne ne pense qu’il faut mettre cela dans des bureaux de tabac. Il s’agit de réfléchir : comment revenir en arrière sur les excès de la prohibition – et pas de promouvoir un usage généralisé. Pour le moment le seul mode imaginable de contrôle est un contrôle médical de distribution des substances. Il pourrait y avoir – et il faut espérer que le débat ira jusque là – des réflexions sur des modes non-médicaux de contrôle, comme l’équivalent de ce qui a existé longtemps avec les fumeries d’opium. Le problème c’est que la prescription médicale est née de l’interdiction des drogues. C’est quelque chose qui est mal connu mais en 1916, après l’interdiction des drogues aux États-Unis, quand pour avoir un médicament le citoyen était obligé de faire appel au médecin, c’est parce que l’opium a été interdit. Et donc la prescription médicale telle qu’on la connait est née d’une prohibition qui n’avait pas comme source une demande réellement médicale. On hérite aujourd’hui de ce problème là et pour les médecins c’est un problème extrêmement complexe. Encore plus pour les spécialistes de la toxicomanie dont le métier est d’aider les gens à s’en sortir et les accompagner pour qu’ils puissent changer quand ils veulent changer et à qui ça fait particulièrement mal au cœur de se dire qu’on va peut-être se retrouver obligés, nous, de donner des produits si personne d’autre n’accepte de le faire si ça décoince pas par ailleurs, et on va se retrouver dans la situation de l’alcoologue qui prescrirait de l’alcool ou du cancérologue qui prescrirait du tabac. C’est vrai que ce n’est pas de gaieté de cœur qu’on fait ces révisions sur nos pratiques. »

Alain Morel :

« (…)

Il me semble qu’on est à peu près d’accord – çà ne veut pas dire que la France entière est d’accord – mais en tout cas à cette table on est à peu près d’accord sur le fait que premièrement : desserrons l’étau répressif de la surpénalisation – pour ne pas dire un autre mot – qu’on connaît notamment en France. C’est la seule manière d’arriver à ce que concrètement on se pose d’autres questions. Mais ces autres questions qui viennent après, que l’on met sous un terme générique de légalisation ou de distribution contrôlée ect… ne sont pas moins problématiques. La question est de savoir quel contrôle, parce qu’il en faut un. Parce d’une part les laboratoires pharmaceutiques vont continuer de produire des produits de plus en plus actifs, de plus en plus nombreux, et parce qu’il y a, d’autre part, cette généralisation de l’utilisation culturelle de la phamarcochimie et de la psychochimie d’une manière générale dans nos sociétés. Donc effectivement on n’éradiquera pas le problème.

Il y a des grands risques dans certains types de contrôle, et notamment médical. On croit que par là on va obtenir des garanties d’un tiers – et d’un tiers scientifique en plus. Or prescrire des opiacés en particulier à quelqu’un qui est dépendant, c’est un pouvoir extraordinaire, c’est un pouvoir énorme sur la personne.

(…)

Il est clair que le SIDA depuis 10 ans maintenant est un révélateur social gigantesque qui a notamment permis en France de s’apercevoir que les toxicomanes existaient, alors qu’auparavant on avait oublié, je me rappelle qu’en 1987 et 88, il y avait des débats avec des infectiologues et les pouvoirs publics qui disaient : la prévention auprès des toxicomanes çà ne marche pas parce qu’ils sont trop irresponsables pour entendre ces messages. Or on voit 2 à 3 ans après la décision importante de légaliser la vente des seringues que les 2/3, voire les 3/4 des toxicomanes ont changé radicalement leur attitude et et leur comportement par rapport aux seringues. Cela montre bien que c’est possible, qu’il a des choses qui fonctionnent vite et bien, et qu’on peut compter sur cette population pour aller plus loin en prévention du SIDA »

Philippe Douguet, organisateur de la manifestation :

« Il serait grand temps que les Pouvoirs Publics admettent enfin leur erreur et le fait que pour la population que nous représentons, la prise de produits opiacés est fondamentale. Comment en effet, ne pas être indigné par la politique menée actuellement qui fait fi de notre souffrance et de notre liberté ? Sommes-nous des êtres humains ?

Nous souffrons et c’est là qu’est notre maladie non son symptôme et c’est cela qui justifie la prise de produit. Le comportement social à notre égard, nous conduit incidemment à la mort : suicide, sida, overdose. La liste est longue.

Nous mourons en grand nombre, disséminés dans la souffrance et la misère. Que penserait le diabétique si l’insuline était prohibée et son utilisation passible d’une peine de prison – si on ne l’écoutait ni le respectait du fait de son diabète ? Pourquoi ne déciderait-on pas que sa maladie dérange et nuit aux autres ? On pourrait même aller jusqu’à l’exterminer. Que penser d’une société où ceux qui auraient la chance de ne pas avoir faim interdiraient aux autres de se nourrir et ou avoir faim serait condamnable et maladif. Avoir faim, un crime ! – interdit de manger – ne serait-ce pas absurde et cruel ?

Bien sûr, la mort n’est pas inéluctable pour tous les UD privés de leur produit, comme elle l’est pour un diabétique privé de son insuline ou tout être humain, de nourriture. Mais regardons les choses en face : une population évaluée (entre 150 000 et 300 000 personnes) est séropositive ou malade du sida dans une proportion allant de 40 % à 60 % (Médecins du Monde). Rajoutez-y ceux qui mourront de came frelatée, de désespoir ou de tous les maux inhérents à la situation actuelle, avec tous ceux qui sont déjà morts – le fait que la totalité d’entre nous ne soit pas condamnée, justifie-t-elle le règne de l’absurde ? Et pourtant on nie nos besoins, on décide à notre place de ce qu’il nous faut au plus grand mépris de nous-mêmes. On ne nous écoute pas. On nous interdit de nous soigner – sans pourtant que notre pratique nuise à autrui.

Malgré cela, nous sommes considérés comme délinquants. Mais de quoi ? De quel singulier délit dont la “victime” et le “coupable” sont une seule et même personne. La dépendance est alors invoquée, en tout dernier recours pour justifier la négation de notre liberté. Mais ne sommes nous pas tous dépendants ? dépendants de l’air que nous respirons, de la lumière du soleil, des autres et que sais-je encore ?

Le problème serait-il de respirer ou de respirer de l’air pollué ? – prochainement interdiction de respirer – culpabilité de vie ?

Je le demande : à quand l’interdiction du port des chaussures jaunes ?

Face à l’épidémie du SIDA qui a mis en évidence notre existence au sein même de la société, cette dernière a pris des mesures sanitaires ayant pour but de sauvegarder les non-usagers. Mais l’usager, lui peut toujours crever, aller en prison, souffrir, la société s’en fout. Et pourtant, elle lui demande de faire preuve de civisme, de respecter les autres, est-ce bien normal et légitime ? Que peut-on espérer d’une telle situation ? Enfin, qu’attendre de l’injustice ? »

L-627 suite

Le 26 octobre M. Broussard a été nommé responsable de la lutte contre la drogue. La presse s’est largement fait l’écho de ses déclarations fracassantes sur la guerre totale qu’il compte mener contre la la drogue. Il déclare que les “stups” sont « assez bien préparés à la lutte contre le grand trafic et le blanchiment de l’argent, et que donc la répression se concentrera sur le deal de rue ! »

Les toxicos comprendront tout de suite : la chasse (aux toxs) est ouverte. Elle sera impitoyable pour atteindre l’objectif fixé par notre cher Ministre de l’Intérieur : 50 000 interpellations, soit une augmentation de 65 % par rapport à l’année précédente !

Charmant programme qui promet une chaude ambiance dans les rues parisiennes, le film “L-627” n’y est pas étranger.

AVEC TENDRESSE…

Le lendemain de la nomination de M. Broussard aux stups, c’était au tour de M. Kouchner de monter au créneau, déclarant qu’il allait porter à 10 le nombre des programmes Méthadone (il n’y a actuellement que 50 places !), et créer des réseaux de médecins généralistes.

Une petite phrase a particulièrement retenu l’attention d’ASUD : « Il faut soigner les toxicomanes avec tendresse » (sic !).

On espère que M. Broussard l’a bien entendue… Et aussi que toutes ces belles déclarations se réaliseront rapidement et concrètement ?

Lettre ouverte d’un usager de drogue à Monsieur Bernard Kouchner, Ministre de la Santé

Monsieur le Ministre,

Je voudrais commencer cette lettre par ces trois mots : Déception, Désillusion et Désarroi ; dans l’ordre et avec toutes les nuances dont la langue française les a dotés.

Déception : car toutes vos interventions télévisées ou autres m’enchantaient, votre franchise, votre passion dénotaient dans le paysage politique ; vous évitiez la langue de bois de vos collègues et surtout vous parliez de problèmes quotidiens bien réels.

Désillusion : car si vous aussi vous baissez les bras et vous pliez aux solutions de facilités prônées par vos semblables, les politiques, je ne croirai plus en rien et perdrai les dernières illusions qui me restent quant au genre humain en général et à la politique en particulier…

Désarroi : car la solution qui m’était offerte jusqu’à maintenant étant supprimée, je retrouve les mêmes problèmes qu’avant avec le lot d’angoisse et de trouble qu’ils génèrent.

J’ai 35 ans et j’ai été toxicomane pendant sept ans. L’année dernière, j’ai découvert le Temgésic, ce médicament que vous venez de faire classer au tableau B des stupéfiants. Depuis un an donc, grâce à ce médicament et à un médecin un peu plus évolué que ses confrères, j’ai mené une vie beaucoup plus calme, retrouvé un travail stable et des repères solides et sûrs – je retrouvais confiance en moi et la confiance des autres ; en un mot je revivais.

Et voilà que tout d’un coup, vous M. Kouchner vous mettez un terme à tout cela.

J’espère que vous n’avez pas tenu compte que des pharmaciens et des docteurs pour prendre cette décision – J’espère que vous vous êtes entretenu avec d’anciens toxicomanes ou au moins avec les gens qui sont en contact avec ce milieu.

Je l’espère de tout cœur parce que moi je ne vous aurais sûrement pas conseillé ce genre de décision.

Vous allez me dire que je remplace simplement une drogue par une autre et je vous répondrai qu’à ce compte là, il faut classer l’alcool, les somnifères, les sados-masos, et même les homosexuels pourquoi pas au tableau B des stupéfiants. Vous ne pouvez pas vous permettre d’intervenir dans la vie des gens à ce point là.

Moi mon truc c’est le Temgésic pour l’instant en tout cas ; il m’a permis de décrocher de l’héroïne en douceur, de reprendre une vie normale, et un travail dans lequel on m’apprécie. Il m’a évité la descente aux enfers qu’est le quotidien du toxicomane. Je suis un intoxiqué aussi d’une autre manière avec ce médicament, mais d’abord on ne supprime pas 7 ans de dépendance d’un coup d’éponge, ensuite, je m’arrêterai quand j’en aurai marre, quand j’aurai envie de passer à autre chose, quand ma vie aura évolué suffisamment pour que je n’en ai plus besoin, et enfin troisièmement tant que je n’embête personne avec çà, tant que je m’assume avec mes problèmes, En quoi çà regarde les autres ?

Pourquoi se permet-on de décider pour moi de ce qui m’est profitable ou pas ?

Quoiqu’il en soit, à l’heure qu’il est, moi qui habite à côté de Strasbourg St Denis, je peux vous assurer qu’il m’est beaucoup plus facile de me procurer de l’héroïne que du Temgésic. Oui M. Kouchner.

Chaque jour je revois des dealers à qui j’achetais à l’époque ; je n’ai pas encore replongé là-dedans, je tiens trop à ma nouvelle vie, mais franchement il y a de quoi se pose des questions devant tant d’incompréhension, tant d’indifférence, tant d’obscurantisme.

Je n’ai pas encore replongé parce que j’ai réussi à force d’obstination à trouver quand même quelques médecins qui ont le courage de braver leur ordre sacro-saint, et qui continuent courageusement à prescrire du Temgésic. Des médecins que vous devriez remercier M. Kouchner, car en plus d’enrayer l’épidémie de Sida qui terrasse la population toxicomane, ils permettent à des gens comme moi de continuer à vivre, à aimer, et à espérer. Des médecins qui vont sûrement avoir des ennuis un jour ou l’autre si vous continuez dans votre politique répressive à courte-vue. Si vous continuez à préférez de l’avis d’un Docteur Curtet à l’avis d’un Docteur comme M. Schwartzenberg parce qu’il est plus dans la norme, parce qu’il est plus confortable, parce qu’il remet moins en question tout le système – Réveillez vous M. Kouchner !

Faites comme pour le droit d’ingérence humanitaire. Combattez l’ordre établi. C’est aussi grave, c’est aussi important. Ne sous-estimez pas le problème.

Voilà. Je sais que vous avez mille autres problèmes, à résoudre surtout en ce moment, mais je voulais quand même attirer votre attention sur celui là parce qu’il me touche de près et parce que je vous estime encore comme homme même avec le peu d’éléments dont je dispose pour vous juger.

J’ai commencé cette lettre par trois mots pessimistes mais je voudrais la terminer en vous reconfirmant ma confiance dans le genre humain ; et je sais que vous aussi vous avez cette confiance autrement vous ne feriez sûrement pas ce que vous faites ni aussi bien.

Recevez, Monsieur, mes sincères salutations.

PS : ça m’embête beaucoup de rester anonyme mais je vis avec quelqu’un et je ne voudrais pas l’exposer à plus de problèmes qu’elle n’en a déjà en vous donnant mes coordonnées – une autre fois peut-être lorsque je vous remercierai d’avoir réintroduit le Temgésic dans le circuit normal sans restriction…

ASUD au Forum des Associations

ASUD était au rendez-vous lors du Forum des Associations, qui se tenait au Jeu de Paume à Paris du 30 nov. au 2 déc. 92, et qui réunissait une quarantaine d’associations ayant pour but la prévention du V.I.H.

Accueilli sur le stand d’A.P.A.R.T.S., A.S.U.D. a étonné le public. Il y aurait beaucoup à dire sur les contacts que nous avons noués, les rencontres que nous avons faites, les dialogues que nous avons engagés… Mais dans un premier temps, voici d’abord un bref résumé de ces trois jours.

LUNDI

Mise en place de notre stand, affiche, manifeste, et distribution du N°2 de notre journal. En fin d’après-midi, visite de Bernard Kouchner, actuel ministre de la santé, qui s’est arrêté devant notre stand, et a dialogué quelques instants (protocole oblige) avec Yvon, membre d’ASUD, se déclarant notamment favorable à notre action de lutte contre le sida dans le milieu des usagers des drogues par voie intraveineuse.

MARDI

Ouverture publique de la “Journée Mondiale de Lutte Contre le SIDA”. Beaucoup de monde et une foule de questions posées aux membres d’ASUD ; Qui êtes-vous ? Que faites-vous ? Comment vous joindre ? Pouvez vous accueillir les usagers ? Autant de questions que nous ne pouvions laisser sans réponses. Jack Lang était l’invité de cette journée, mais son intervention auprès des lycéens a été perturbée par les coups de sifflet d’un groupe de lutte anti-sida connu pour le caractère radical de ses actions. Littéralement assailli, c’est dans la confusion générale qu’il dut s’échapper vers d’autres lieux où il était sans doute attendu…

MERCREDI

Ce fut une journée de détente, ce qui nous permit de rencontrer des membres d’associations travaillant déjà sur les problèmes du V.I.H. dans le milieu des U.D.V.I, tel “Pluralis” dont le but est l’accès au soin de l’UDVI séropositif. Nous avons aussi pu nous faire connaître d’associations qui jusqu’à ce jour ignoraient notre existence. Les échanges d’informations, d’idées, d’adresses et parfois les prises de rendez-vous étaient le mot d’ordre de cette journée… Qu’on se le dise !

En bref, ce furent trois jours où le public a découvert une autre image du “toxicomane” que celle qu’on lui décrit habituellement, et où il a pu discuter tant de la “toxicomanie” que des problèmes du SIDA chez les UDVI. Les journalistes eux aussi étaient présents et (sans vouloir nous passer de la pommade), ils se sont surtout focalisés (caméra oblige) sur le stand d’ASUD.

Étonnant : Asud a surpris par sa présence, mais aussi par la qualité du dialogue qui s’est ouvert entre les différentes associations. Elles se sentent désemparées et déconcertées, et nous demandent conseil sur le type d’information et de discours préventif à tenir auprès des usagers de drogues, ou encore sur la direction à prendre dans la lutte spécifique qu’elles mènent dans la lutte contre le SIDA dans ce milieu.

Notre action a donc été dans l’ensemble très bien accueillie. Nous avons cependant pu constater au fil des rencontres, des lacunes littéralement hallucinantes au niveau de la prévention en direction des jeunes : ces lycéens, par exemple, qui ont pris les seringues posées sur le stand pour des stylos ! Il nous a fallu leur expliquer ce que c’était : l’outil de base de l’UDVI – et son arme n°1 contre le risque de contamination VIH ! Ce qui amène à poser une question aux parents : Comment voulez-vous que vos enfants fassent attention aux seringues qui traînent dans les caniveaux ou dans une poubelle si vous ne leur expliquez pas à quoi cela ressemble ? Je fus surpris de voir que ces enfants à qui l’on décrit dans tous les sens l’usage du préservatif, on ne leur explique pas à quoi ressemble une seringue, pour que s’ils en voient une, ils ne la prennent pas dans la main et surtout qu’ils ne jouent pas avec au risque de se piquer et de contracter le VIH…

Voilà : très positif donc, ce forum, tant pour les associations qui ne nous connaissaient pas et qui maintenant savent que l’on existe, que pour nous, qui ne connaissions pas forcément certaines associations qui pourraient être à même de nous aider dans notre action. Un forum qui, il faut le dire n’aurait jamais existé sans la présence et le soutien de l’AFLS (Association Française de Lutte contre le Sida) et Dieu sait, si ici, au groupe ASUD, nous sommes bien placés, puisque c’est notre existence même que nous devons à l’AFLS et au soutien qu’elle nous apporté dès le départ, pour savoir le rôle essentiel que cette organisation joue dans la lutte anti-SIDA.

Colloque anniversaire d’APPARTS

Le 28 novembre 92, le colloque anniversaire d’A.P.A.R.T.S, Association fondée en 1987 et qui propose des services d’aide aux malades en Île-de-France et à Marseille (Appartements de Relais Thérapeutique et Social, service social, aide à domicile, soutien aux malades du SIDA), a réuni 200 professionnels des soins et de l’accompagnement des malades et séropositifs, parmi lesquels de nombreux responsables du secteur associatif, mobilisés autour de la journée mondiale du 1er décembre.

Les membres d’ASUD étaient également présents, et ce, tout d’abord pour des raisons évidentes d’amitié et de reconnaissance. Comment oublier en effet que sans nos amis d’APARTS, à commencer par son président Jean Javanni, qui voici un an n’ont pas hésité dans un formidable geste de solidarité militante, à nous prêter, dans leurs propres locaux, le bureau et la logistique qui nous permettent de fonctionner au quotidien – le Groupe ASUD ne pourrait peut-être pas publier aujourd’hui ce journal.

Mais nous avions une autre raison d’être là, toute aussi évidente : c’est que les Usagers de Drogue sont une des catégories de population les plus lourdement touchées par le SIDA.

C’est à ce titre qu’entre autres, notre responsable Philippe Marchenay a été convié à animer un atelier de travail au cours duquel il a ainsi pu débattre avec… le commissaire Boucher, de la Brigade des Stupéfiants, et sa collègue Mme Boulanger. Bien que les deux policiers, en dépit d’une ouverture d’esprit et d’une volonté de dialogue évidentes, ne se soient guère démarqués des positions et des arguments répressifs habituels, leur présence même à ce débat ne peut qu’apparaître comme l’indice d’un début de changement radical dans l’attitude des Pouvoirs Publics à l’égard des drogues et de ceux qui en font usage.

C’est en effet la première fois en France que des policiers – des policiers des stups ! – s’asseyent officiellement avec des usagers de drogues à une table qui n’est pas une table d’interrogatoire !

Tout aussi significatifs de ce changement nous sont apparus la présence et les propos de Mme Barzach, qui en 87, alors qu’elle était Ministre de la Santé du Gouvernement Chirac, a, pour la première fois en France pris le risque politique de libéraliser la vente des seringues en pharmacie.

Qu’on en juge

« Face à la tragédie que vit notre pays avec la propagation du SIDA, il est inacceptable de rester passif par simple peur de considérations politiques ou électorales » a en effet déclaré avec force Madame Michèle Barzach, invitée à prononcer l’allocution de clôture du colloque anniversaire d’A.P.A.R.T.S., samedi 28 novembre 1992, à la Cité des Sciences et de l’Industrie de la Villette.

Sur ce point précis, à savoir la timidité de la politique officielle de prévention du SIDA, et en particulier chez les usagers des drogues, Madame Barzach s’est déclarée elle-même « révoltée et agressive » face à la passivité générale « des responsables qui parlent du SIDA sans même aller voir ce qui se passe dans la réalité. D’autant que les nombreuses évaluations conduites dans le monde permettent de savoir exactement où et comment agir ». Et reprenant certains points abordés lors de l’atelier consacré à la transmission du SIDA chez les usagers de drogues intraveineuses organisé avec le Groupe ASUD (Auto-Support-des Usagers de Drogues) elle a formulé le souhait qu’enfin un vrai débat soit engagé en France, y compris, en l’élargissant au cadre international, sur la question de la libéralisation des drogues.

Outre la partie cruciale de la prévention du SIDA chez les toxicomanes pour lesquels « on ne fait pas ce qu’il y aurait lieu de faire », Madame Barzach a évoqué l’incidence croissante des facteurs économiques dans les décisions en matière de santé. Elle a estimé que le scandale du sang contaminé avait produit un véritable électrochoc de l’opinion en posant de façon dramatique la confrontation de l’éthique morale et de l’argent. « On s’approche dangereusement de la ligne jaune » a-t-elle prévenu, et face à de nouvelles tragédies qui ne sont plus à exclure « la conscience des décideurs est aujourd’hui engagée ».

Enfin, après avoir qualifié d’« absurdes » les récentes propositions de dépistage obligatoire du SIDA, généralisé sur toute la population, Madame Barzach a conclu sur son inquiétude face à « une conscience médicale en danger et qu’il faut à tout prix préserver »… Non sans avoir auparavant évoqué l’exemple de la Suisse ou de Liverpool où l’urgence de la lutte contre le SIDA chez les UD a conduit à organiser la distribution contrôlée d’héroïne.

Auto-support et réduction de risques

Durant les dernières années, quelques dizaines de groupes d’auto­support d’usagers de drogues ont vu le jour partout en Europe, particulièrement dans les pays de l’Europe du Nord (Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni). En effet, devant l’extension rapide de l’épidémie de VIH parmi la population des usagers de drogues, d’une part, et, d’autre part, l’extrême difficulté de faire de la prévention au sein d’un groupe social clandestin, les pouvoirs publics se sont trouvés devant une situation contradictoire : la drogue est interdite comme son usage, ce qui renvoie les usagers à la clandestinité, alors que la nécessité de stopper rapidement l’épidémie requiert au contraire la visibilité du même groupe comme condition indispensable pour que le message préventif atteigne sa cible.

Résoudre cette contradiction nécessitait l’élaboration de plusieurs modèles qui tentent de réconcilier la prohibition des drogues et les besoins impérieux de la prévention.

Les Pays-Bas et le Royaume-Uni sont les deux pays d’Europe qui ont le plus essayé d’apporter des réponses à cette contradiction. Ils ont élaboré un ensemble de politiques cohérentes basées sur un nouveau principe : la réduction des risques («harm reduction policies»).

Les axes principaux de cette politique sont les suivants :

  • Des programmes massifs de maintenance aux produits de substitution, essentiellement la méthadone.
  • La recherche de nouveaux procédés de travail social : le ciblage systématique des populations difficiles à atteindre («outreach work») et l’éducation par les pairs («peer éducation»).
  • Soutien aux groupes d’auto-support existants («self help groups»), ou encouragement à leur formation s’ils n’existent pas encore.

Ces trois axes de travail, tout en visant des objectifs différents, se retrouvent complémentaires dans leur finalité :

  • L’éducation par les pairs vise au changement du comportement individuel. – Les programmes de méthadone visent au changement dans le style de vie, principalement à la sortie de la clandestinité.
  • L’auto-support vise à changer les normes dans la sous-culture de la drogue par une action «de l’intérieur».du groupe concerné.

Le sida et la difficulté de faire un travail de prévention avec certains usagers «difficiles à atteindre», ont accéléré le rythme de formation de ces groupes avec, dans certains pays d’Europe, le soutien massif des Pouvoirs Publics qui ont bien compris tout l’intérêt et la potentialité d’une telle approche.

En France, la notion d’auto-support n’a pas encore fait son chemin, surtout pour ce qui concerne les «toxicomanes». Il y a effectivement un retard dans la prise de conscience de toute la potentialité de cette approche, surtout en matière de prévention du VIH dans une population par définition difficile à atteindre comme celle des Usagers des Drogues.

Qu’est-ce que c’est l’auto‑support ?

L’auto-support (self-help) est un terme générique qui couvre des réalités qui doivent être distinguées. Dans son acception générale, le terme désigne un regroupement de personnes volontaires, issues de la même catégorie sociale, des “pairs”, en l’occurrence des usagers de drogues, réunis dans le but de s’offrir une aide mutuelle et de réaliser des objectifs spécifiques : satisfaire des besoins communs, surmonter un handicap, résoudre un problème social auquel le groupe est confronté dans son ensemble.

A la base il y a un constat: les besoins de la catégorie sociale à laquelle le groupe appartient ne sont pas ou ne peuvent pas être satisfaits par ou au travers des institutions et mécanismes sociaux existants, d’où la nécessité de l’auto-organisation.

Outre l’aide matérielle et relationnelle, l’auto­support peut aussi viser à promouvoir des idéologies ou des valeurs au travers desquelles les membres forgent et acquièrent une nouvelle identité. Il offre souvent à ses membres une tribune, soit pour informer l’opinion publique sur le problème concernant le groupe ou pour corriger des idées fausses.

Selon une étude réalisée par le NIDA de San Francisco, pour chaque usager en traitement, il y en a sept autres qui sont à la rue avec peu ou pas de contact du tout avec un centre de soins. En France, quoiqu’on ne dispose pas d’étude fiable en la matière, on estime la proportion des usagers en contact avec les lieux de soins entre 10 et 20 pour cent.

En matière de prévention de l’infection au VIH, il est de plus en plus urgent d’identifier ces personnes et leurs partenaires sexuels, ainsi que de trouver les moyens adéquats pour substituer les comportements à risque par des comportements sans risque.

L’auto-support et l’éducation par les “pairs” sont deux méthodes largement utilisées dans certains pays, comme le Royaume-Uni, les Pays-Bas ou les États-Unis, et dont l’efficacité est démontrée par de très nombreuses recherches, surtout lorsque ces méthodes sont appliquées dans le cadre d’une politique cohérente de réduction des risques.

Réduction des risques : de quoi s’agit-il ?

La réduction des risques est une théorie de politique sociale en matière de santé qui se donne comme priorité la réduction des conséquences négatives de la consommation de drogues. Elle se présente comme une alternative à la politique “abstentionniste” qui se donne comme priorité de réduire l’usage de drogues, voire le supprimer. Tandis que la première trouve ses racines dans le modèle scientifique propre à la santé publique avec un volet humanitaire et libéral, la seconde trouve ses racines dans la loi pénale dans un cadre paternaliste moral et médical.

La réduction du risque comme stratégie individuelle et collective se résume dans l’idée suivante : s’il n’est pas encore possible pour l’individu d’arrêter la prise de la substance injectable, ou s’il n’en a pas envie, on doit au moins essayer de minimiser le risque qu’il fait encourir aussi bien à lui-même qu’à son environnement. La réduction des risques dans le contexte du sida est une politique contractuelle partenariale entre les Pouvoirs Publics et les usagers, dont le but est de substituer à la “guerre à la drogue” la “paix des partenaires” ; il en résulte un contrat dont le mot-clé est la responsabilité réciproque. Plus la société marginalise les toxicomanes, moins elle peut attendre d’eux qu’ils agissent de manière responsable : ne pas partager les seringues, ne pas les jeter dans les lieux publics, utiliser le préservatif, etc. A l’inverse, moins la société les marginalise, plus elle les intègre dans une politique à visée préventive, plus ils agissent comme des citoyens responsables.

Le renforcement de ces formes de responsabilité protégerait la société d’une catastrophe épidémiologique en contribuant à stopper la progression du virus dans la population toxicomane en particulier et dans la population en général, les toxicomanes ayant naturellement une vie sexuelle, hétéro ou homo, comme l’ensemble de la société.

Pratiquer une politique de réduction des risques suppose l’établissement préalable d’une hiérarchie des buts à atteindre par une telle politique. Cela suppose de savoir quels sont les comportements à changer, quels sont les comportements à acquérir pour réduire les risques et les moyens à mettre en œuvre pour opérer un tel changement.

La décision du “Advisory Council on the Misuse of Drugs”, placé auprès du gouvernement britannique, visant à introduire la politique de réduction des risques est le meilleur exemple à donner. Le Council s’est donné comme objectif de réduire la transmission du VIH parmi les usagers de drogues; la hiérarchie des objectifs fut fixée comme suit : en essayant de réduire le partage des seringues, transformer l’usage par injection en usage oral, réduire la quantité de drogue consommée et finalement promouvoir l’abstinence.

D’autres objectifs secondaires sont aussi visés; en cas de partage, nettoyer ou stériliser les matériels d’injection avant de les passer aux autres partenaires, réduire le nombre de personnes avec qui on partage les seringues, inciter à la consommation de drogues médicalement prescrites au lieu de drogues illicites. L’analogie est faite avec le système de sécurité des acrobates, où lorsqu’un filet se défait il y en a toujours un autre dessous.

Prévention de l’extérieur, prévention de l’intérieur.

La prévention de l’infection au VIH chez les usagers de drogues, pour être efficace, doit opérer et agir simultanément sur trois niveaux :

  • Le comportement individuel (l’individu) ;
  • Le style de vie (le groupe) ;
  • La sous-culture de la drogue (mentalités et représentation sociales).

Si le premier point peut partiellement être réalisé par la prévention conventionnelle au niveau de l’individu isolé (médias, plaquettes, etc…), les deux autres ne peuvent être réalisés que si le groupe social visé est lui-même partie prenante active dans un tel changement. Dans ce sens, le lien entre la réduction du risque et l’auto-support ne peut être plus évident.

La transmission du VIH chez les usagers de drogues résulte d’un comportement social : partager les matériels d’injection ou avoir des rapports sexuels. Prévenir le sida demande donc un changement dans le comportement social (inter-personnel) des usagers. Ces changements affectent l’ensemble des rapports de la personne avec ses partenaires.

Pour cela, toute action visant au changement dans le comportement individuel des usagers sera inadéquate si elle n’est pas accompagnée de changements similaires chez les autres partenaires et acceptée comme telle par eux. Autrement dit, on est prêt à changer soi-même de comportement si l’entourage et les pairs ont déjà changé leur comportement ou sont sur le point de l’être. Le changement de comportement social du groupe produit un changement du comportement individuel.

Partager les seringues par exemple n’est pas toujours le résultat du manque de seringues stériles, ni le résultat de l’ignorance des modes de transmission du VIH. Le comportement individuel tend souvent à s’aligner aux normes dominantes dans le groupe des pairs, ou la sous-culture auxquels l’individu appartient.

Tandis que les actions de prévention de l’extérieur visent à modifier certains comportements au niveau individuel, l’auto-organisation, agissant de l’intérieur, vise en revanche à intégrer, généraliser et enraciner des changements dans la sous-culture de la communauté. Cette dernière devient émetteur et producteur actif de son modèle préventif. La communauté se positionne comme un sujet ; elle est le but et le moyen de changement désiré. Dans le modèle extérieur, elle ne peut qu’être un objet, un récepteur, consommateur passif des informations éclatées visant à modifier certains comportements à risque. La non-prise en compte des liens organiques entre ces comportements et les autres éléments de mode de vie de la sous-culture de la drogue rend malaisée l’intégration des comportements préventifs et, de ce fait, leur application par l’usager est problématique.

Une autre limitation à la portée de ce modèle extérieur résulte de la clandestinité imposée aux usagers, en ce sens que ce modèle ne peut, par sa nature même, toucher qu’une partie infime de ceux auxquels il est destiné; ce qui réduit d’autant son efficacité.

Par contre, la prévention de l’intérieur métamorphose le message préventif en comportement socialement valorisé par les groupes de pairs eux-mêmes. Il en résulte en pratique que le nouveau comportement n’est plus un objet de conflit ou de résistance. Il n’exprime plus une méfiance vis à vis de l’autre mais il devient un comportement ordinaire car il est accepté par tous.

L’auto-support, peut, par ce soutien de l’intérieur, aider à introduire de nouvelles normes de réduction de risques dans la sous-culture de la drogue, ou rendre ces pratiques acceptables et opérationnelles lorsqu’elles existent déjà au niveau individuel : généraliser, enraciner, transformer ces pratiques en normes socialement valorisées parle groupe.

Dans ce sens, l’auto-support pourra contribuer à ralentir, voire même à stopper, la progression du VIH et du sida dans la communauté des usagers de drogues en créant un climat de soutien social en faveur de la réduction des risques et en utilisant l’influence du groupe d’appartenance lui-même comme un levier de ce changement.

Appel pour la mise à disposition de seringues

Dans l’état actuel de la législation de nôtre pays, la loi interdit, sauf dérogation exceptionnelle, l’échange et la distribution gratuite de seringues. Mais aujourd’hui, face à la gravité de l’épidémie du SIDA, qui à travers les catégories de personnes dites “à risque”, menace l’ensemble de la population, il devient urgent de promouvoir et de mettre en œuvre des opérations d’échange des seringues.

Nous, usagers des drogues, sommes prêts à apporter notre concours actif à de telles opérations. Et avec nous beaucoup de particuliers, d’associations, publiques comme privées.

Nous les appelons, eux qui partagent notre volonté de prévention active du SIDA par la multiplication des opérations d’échange de seringues, à se joindre à nous pour demander aux autorités un changement de la législation.

Et à nous exprimer leur soutien en envoyant par courrier le texte ci-dessous :

Je soutiens votre démarche pour la multiplication de lieux d’échanges de seringues :

– Nom :
– Prénom :
– Adresse :
– Organisme ou Association :

Signature :

Lettre ouverte à Mme Georgina Dufoix

Madame le Ministre,

Comme vous avez pu lire dans notre manifeste, l’une des principales raisons d’être du groupe Asud est d’apporter la preuve vivante que les usagers des drogues sont prêts à engager un dialogue constructif avec les décideurs en matière de toxicomanie afin de devenir des partenaires actifs de la lutte contre tous les dangers qui les menacent, à commencer par celui du sida.

Sachant l’intérêt éclairé que vous portez aux problèmes de toxicomanie, nous vous serions infiniment reconnaissants de bien vouloir accepter de nous recevoir pour un entretien qui, publié dans le prochain numéro du journal ASUD, jetterait les bases de ce dialogue que tout comme vous -même nous appelons de nos vœux.

Interview de Mme Christine Ortmans

Mme Christine ORTMANS est chargée de mission, responsable des actions de prévention en direction des toxicomanes et des prostitués à l’Agence Française de Lutte contre le Sida (AFLS).

ASUD : Depuis sa création l’AFLS déploie des efforts considérables pour la prévention du sida – quelle est sa politique actuelle, en mai 92, dans le domaine spécifique de la prévention du sida chez les usagers de drogues ?

C.ORTMANS : En ce qui concerne les usagers de drogues l’agence s’est fixé deux objectifs : d’une part la facilitation de l’accès aux seringues stériles et aux préservatifs; d’autre part, la circulation d’une information faite par et pour les usagers. A cet égard, nous ne pouvons que nous féliciter de l’existence et de l’action d’un groupe comme le vôtre . Quant aux seringues et aux préservatifs la tâche est loin d’être simple. Il y a en effet, en ce qui concerne les seringues une sorte de blocage, qui fait que la population n’est pas encore prête à accepter des campagnes d’information préconisant l’usage de seringues stériles et où certaines personnes estiment encore que la vente libre des seringues favorise la prise de drogues illicites. Une enquête menée dans 5 villes de France, après la libéralisation de la vente des seringues en pharmacie, n’a pas mis en évidence une augmentation du nombre des toxicomanes. Dans une société où le seul mot de drogue suffit à effrayer le public, il nous faut aller progressivement.dans nos actions sur le terrain.

“Mais quelles que soient les difficultés que nous rencontrons, c’est une seule et même idée qui sous-tend le double objectif de notre action. A savoir que pour que l’usager de drogues prenne soin de sa santé, à la fois pour lui-même mais aussi pour ses partenaires – en un mot, pour qu’il se respecte , il faut que la société lui offre le respect dû à tout citoyen . Ce qui signifie que pour qu’il accorde du prix à la sauvegarde de sa vie, il faut lui offrir la possibilité d’une vie qui vaille la peine d’être vécue. Que signifient en effet le risque du sida, la prévention pour un être démuni de tout, dans un état de précarité absolue, seul, sans travail, sans ressources, sans refuge , que la rue ou la prison, et voué à l’opprobre général ?

ASUD : A titre d’exemple, la libéralisation de la vente des seringues, en 87, a-t-elle provoqué un tassement de la hausse du taux de contamination chez les usagers de drogues?

C ORTMANS : “Il est impossible de donner des chiffres précis D’abord parce que la clandestinité de l’usage des drogues empêche toutes statistiques. Ensuite, parce que les délais d’apparition de la maladie – plus ou moins l0 ans après la contamination – et l’absence de déclaration de la séropositivité font qu’il est encore trop tôt pour juger des résultats de cette mesure.

La seule certitude que l’on ait c’est que, indéniablement, les comportements ont changé. Ce qui prouve que, si on informe les toxicomanes et qu’on leur donne les moyens d’accès aux soins, aux seringues, aux préservatifs – les usagers de drogues peuvent se montrer responsables et soucieux de leur santé. Les études ont montré que les compor­tements ont changé.”

ASUD : Le tabou qui pèse dans notre pays sur toute information sur la drogue constitue-t-il une gêne, une pierre d’achoppement pour votre action ?

C ORTMANS : “Malheureusement oui. En France, la drogue reste un sujet qui suscite autant la réflexion que la passion. Pourtant, en ce qui concerne la prévention du VIH chez les usagers des drogues, il y a une urgence dont il faut tenir compte en matière de Santé Publique. Mais il faut composer avec la réalité.”

ASUD : Le discours officiel sur les drogues peut-il continuer à arborer le double visage qu’il a actuellement: d’un coté, la prévention (et pour nous, ça signifie promotion de l’usage des seringues stériles) et de l’autre, la répression (stigmatisation de la drogue, déclarations publiques de « guerre à la drogue » etc.)?

C.ORTMANS : “C’est bien là le problème dans notre travail Être patient. Il faut expliquer et expliquer encore au public que ce n’est pas parce qu’on fait de la prévention du SIDA en favorisant le libre accès aux seringues, qu’on incite les jeunes à prendre tel ou tel produit. De même que la promotion du préservatif n’a pas pour objectif d’inciter les jeunes à la “débauche”, mais simplement à se protéger eux-mêmes et leurs partenaires lors de relations sexuelles. Pourtant il y a encore beaucoup de réticences à faire passer la prévention du sida avant celle de la toxicomanie. Néanmoins, je peux vous assurer que les responsables des différentes administrations travaillent ensemble sur ce sujet et que l’on commence à observer une évolution dans les discours et les mentalités.”

ASUD : Pensez-vous que les usagers ont un rôle à jouer dans la prévention du sida ?

C.ORTMANS : “Bien sûr . Il est normal que la prévention passe en priorité par les groupes les plus exposés. A la fois pour eux-mêmes mais aussi pour l’ensemble de la société”.

Oslo : la présence d’Asud au niveau européen

C’est tout naturellement que dès sa création, le groupe ASUD s’est inséré dans le réseau européen des groupes d’Auto-Support des usagers des drogues. Un ralliement tardif, certes (mais après tout, nous n’existons que depuis le 9 avril 1992) mais enthousiaste.

Comme ont été enthousiastes les applaudissements, qui, le 26 avril 1992 à Oslo, où s’était réuni le comité directeur du Réseau Européen, ont salué l’annonce de la création du groupe ASUD France.

La naissance du réseau européen que notre groupe ASUD vient donc de rallier, remonte à novembre 1990. C’est au cour d’un congrès organisé par le groupe allemand d’Auto-Support JES et financé par la Deutsche AIDS-Hielfe (Agence allemande de Lutte contre le SIDA) à Berlin et réunissant 30 participants venus de toute l’Europe de l’Ouest et de l’Est pour affirmer la volonté des groupes d’auto-suppport des usagers des drogues de prendre part en toute première ligne au combat de la prévention du SIDA, que l’idée de créer un réseau organisé des groupes ASUD européens , doté d’une structure permanente, s’est imposée.

Une idée qui devait prendre corps un an plus tard, du 29 novembre au 1er décembre 1991, toujours à Berlin. On a en effet pu voir, tout au long de cette nouvelle rencontre, le réseau européen esquissé, l’année précédente, s’élargir à de nouveaux participants (26 groupes au total), et se doter d’un secrétariat permanent ainsi que d’un comité directeur élu.

A l’issue de son congrès fondateur de Berlin 1991, la toute nouvelle organisation européenne devait également adopter une déclaration résumant les objectifs et les revendications des groupes ASUD européens.

5 mois plus tard, en cette fin avril 1992, c’est à Oslo que le comité directeur, qui rassemblait une douzaine de personnes sous l’égide d’un observateur de l’OMS venu apporter le soutient de son organisation à l’action du réseau européen, a pu saluer la toute nouvelle création de notre groupe ASUD français.

Abdalla Toufik, membre élu du comité et messager du ralliement de notre groupe au réseau européen, a demandé au Comité son remplacement par un usager membre d’ASUD France, parce que, dit-il :

“J’ai démissionné du comité parce que, dans la logique de l’Auto-organisation des usagers des drogues, n’étant pas usager moi-même, il me semblait normal de céder ma place à Philippe Marchenay, responsable du groupe ASUD France. Le comité directeur a accepté ce remplacement , en dépit de la règle selon laquelle ses membres étaient en principe élus au scrutin nominal, et non par association. Tout le monde en effet a compris la nécessité pour ASUD France, d’y être représenté.”

Quant aux travaux de cette première réunion de ce comité directeur, ils ont été largement féconds, aboutissant notamment à la définition d’un double objectif pour l’action au niveau européen : la lutte contre le fléau du SIDA d’une part, et la protection des droits de l’Homme pour les usagers des drogues :

“Il ne s’agit pas, poursuit Abdalla, de promouvoir la Toxicomanie ou de devenir je ne sais quel carrefour de la défonce, mais de participer activement en tant qu usager des drogues, à la politique de réduction des risques à commencer par celui du SIDA. Or, les travaux du comité ont clairement mis en lumière le fait que c’est dans les états (Allemagne, Grande-Bretagne, Pays-Bas) où les pouvoirs publics ont enfin compris que rien ne peut être fait en matière de prévention sans le concours des usagers des drogues que sont menées les seules expériences réellement fructueuses. Les résultats sont là : il n’ a qu’à voir les statistiques ; partout où les usagers des drogues sont pris en compte, on observe que la contamination par le virus VIH est nettement moindre.

“C’est pourquoi nous comptons travailler avec nos partenaires européens sans oublier les conditions imposés par le contexte local, en servant à notre façon le double objectif du réseau : le droit à la santé et les Droits de l’Homme”.

“Pour nous, en France, cela veut dire entre autre faire en sorte d’élargir la palette des choix de vie proposés à l’usager, et surtout à l’usager malade. C’est à dire en un mot : abstinent ou non, avec ou sans drogue, survivre … vivre, tout simplement.”

Quoiqu’il en soit, c’est dès juillet prochain, à Amsterdam, où se trouve le siège officiel du réseau européen, que se tiendra la prochaine réunion du comité directeur, à l’occasion de la conférence mondiale du SIDA. Et notre groupe, bien que nouveau venu, entend bien y tenir un rôle actif, d’autant qu’il a été convenu à Oslo de lui confier la coordination des groupes francophones et d’Europe du sud. : Belgique, Suisse, Espagne, Italie et la Grèce.

Lettre d’un ami

Lors du colloque “Drogue et droits de l’Homme”, ce 10 avril 1992 à Nanterre, j’ai été agréablement surpris d’apprendre l’existence de votre groupe “ASUD”. Cette révélation s’est passée d’un façon assez cocasse d’ailleurs. Au moment où le Dr Marc Valeur déplorait la lecture que faisait les NA (Narcotic Anonyme) du toxicomane, qui constitue d’ailleurs leur idéologie et “l’esprit” de leur réunion – le toxicomane comme impuissant ou pour dire autrement comme malade incurable – vous dévoiliez à l’assistance votre existence, votre puissance, votre citoyenneté (ce qui va forcément à l’encontre de l’anonymat et de la maladie). Sans doute M.Valeur fut le plus étonné, alors qu’il ne voyait en France d’autres formes d’auto-support que les NA, mais le remarquable fut cet auditoire qui tout au long de la journée et de la soirée vous a ovationnés et soutenus et qui, en définitive, a pris parti pour vous.

Chers amis, ce que je voudrais surtout vous dire, c’est qu’ici en Belgique, vous avez aussi notre soutien inconditionnel. Plusieurs belges présents ce 10 avril vous ont déjà exprimé chaleureusement leur sympathie et leur soutien. J’ai moi-même, lors de mon retour en Belgique, parlé de vous à plusieurs citoyens-consommateurs belges qui seraient partants pour la même aventure. L’idée nous est même venue de vous proposer de nous unir à vous, en respectant bien entendu les différences régionales inéluctables.

D’abord parce qu’en Belgique nous avons besoin d’une telle dynamique, ensuite et surtout parce que comme on dit ici “l’union fait la force”, avantage qu’il ne faudrait pas négliger dans l’Europe politique qui prend racine. Unissons nous aussi aux Suisses. Formons un front francophone. Je le dis avec d’autant plus d’aisance qu’il faut savoir que les groupes d’auto-support néerlandais, anglais ou allemand, qui ont une bonne longueur d’avance sur nous, ont déjà obtenu énormément de droits et de reconnaissances grâce à leur existence et aux groupes de pression qu’ils forment. Il n’est pas faux de dire que l’usager hollandais est un citoyen à part entière … en tant qu’usager. Un premier signe de cette union serait de diffuser le journal dans toute la France, la Belgique, la Suisse, mais il faudra aller plus loin.

L’idée d’un front francophone dépasse bien entendu notre légendaire unilinguisme. notre Politique* en France et en Belgique émane d’une conception bien française où la morale – le bien/le mal – gouverne la politique alors que d’autres, anglo-saxons, allemands ou néerlandais mettent en avant les réalités, le pragmatisme. ous ne sommes pas des parias, mais des êtres humains à part entière, ce que semblent oublier nos pays qui prétendent par ailleurs se laisser, guider par la charte des Droits de l’Homme. Ensemble nous serons plus forts pour rappeler notre existence, notre humanité et nos désirs à ceux qui se targuent de morale pour notre « bien ». Mais à quel titre ?

Encore un mot. A l’avenir, nous ne pourrons plus nous contenter d’être seulement auditeurs (participants) dans ces colloques d’experts, mais il faudra participer en tant qu’experts à ces colloques. Je n’ai pas peur de dire que nous sommes les experts par Excellence en matière de drogue. Cessons de laisser parler les autres à notre place et pour notre « bien ». Ils y ont droit, car un avis extérieur n’est pas à dédaigner, mais ils prennent toute la place. C’est un abus de pouvoir sinon de droit !

*Si la politique Suisse est en train de changer, c’est surtout au départ de la Suisse alémanique et non la Suisse romande.

Didier De Vleeschouwer, Sociologue – ex-usager

Pour une politique de réduction des risques

Dans leur journal “Junkmail” de mars 1992 nos amis australiens se livrent à une comparaison entre la politique officielle de réduction des risques de la drogue dans leur pays et une expérience d’avant-garde mise en œuvre dans la région de Merseyde en Grande-Bretagne. L’auteur, Michael Rimmer en tire quelques réflexions qui ne valent pas seulement pour les Antipodes. Nous traduisons ici l’essentiel de cet article.

”Dans la région de Merseyside, au Royaume-Uni, on n’a pas enregistré depuis deux ans un seul cas de transmission du virus du SIDA par injection de drogues … Alors qu’à seulement 150Km de là, à Édimbourg (Ecosse), la majorité des usagers des drogues par voie intraveineuse ont un SIDA déclaré. Cela parce que les autorités sanitaires du MERSEYSIDE ont mis en œuvre une véritable politique de réduction des risques, alors que celles d’Édimbourg, imperturbables, continuent à “repeindre la cabine du capitaine tandis que le bateau coule”, c’est à dire à partir en guerre contre la drogue, pendant que le SIDA décime les usagers.

On parle beaucoup de “réduction des risques” mais on oublie souvent qu’une véritable réduction des risques impliquerait l’abandon de la politique de répression contre les usagers des drogues. Beaucoup d’autres spécialistes des problèmes d’alcool et des drogues, ainsi que ceux qui orientent la politique officielle en la matière ne voient la réduction des risques qu’à travers le préalable de l’abstinence.

Les puissants de notre société ont en réalité légalisé les drogues de leur choix (Tabac, alcool, etc ..) et interdit les nôtres, ce qui a rendu les drogues “illicites” bien plus dangereuses qu’elles ne le sont par elles-mêmes. Ils ont confisqué le débat sur les drogues en se servant d’un véritable tir de barrage de discours hystériques, passionnels, destinés à manipuler le peuple australien pour obtenir son soutien dans leur guerre contre la drogue. La vérité, c’est que la prohibition des drogues est une forme très efficace de contrôle social, et qu’il n’est pas question pour ceux qui tiennent les rênes du pouvoir de renoncer à un outil aussi commode simplement pour aider les “junkies” à ne pas contracter le SIDA.

Il faut savoir que l’Australie n’a prohibé l’héroïne qu’en 1954 à la suite de pressions considérables exercées par les États-Unis (…)

Il apparaît clairement à tous ceux qui connaissent les véritables données du problème que la grande majorité des dommages causés par la drogue est en fait imputable non aux drogues elles-mêmes, mais à leur prohibition (…)

Tant que ceux qui arrêtent la politique du pays ne comprendront pas cela, la réduction des risques ne relèvera jamais que du bavardage politicard. La prohibition des drogues met en danger ceux qui en font usage, et ce, pour de nombreuses raisons. Ils sont obligés de dissimuler leur consommation, ce qui fait qu’ils ne sont jamais certains d’avoir sous la main du matériel stérile là et au moment où ils en ont besoin, la loi interdisant notamment de mettre à leur disposition ledit matériel stérile sur les lieux précis où il le faudrait – à savoir là où on vend la dope… La répression impose à l’usager de drogues intraveineuses, un style de vie complètement disjoncté, qui rend la plupart du temps pratiquement impossibles les précautions sanitaires indispensables à une véritable “réduction des risques”. Plus encore, le couple infernal “prohibition-répression” dégrade l’image que l’usager se fait de lui-même, et son respect pour sa propre personne, ce qui n’est guère de nature à l’encourager à prendre soin de sa santé. En fait, la prohibition criminalise l’usager. Nos prisons en sont pleines, pourtant on leur interdit l’accès aux capotes et aux seringues stériles – qui sont pourtant notre seule arme face à la contamination du sida.

Dans le Merseyside, au contraire, les gens qui sont dépendants des drogues se voient prescrire par ordonnance de l’héroïne, de la méthadone, de la déxamphétamine, de la cocaïne – en fonction de leurs besoins – ce qui leur épargne d’avoir à mener ce style de vie déstructuré qui est trop souvent leur lot. C’est ainsi que là-bas, la possibilité d’une véritable réduction des risques est en train de s’inscrire dans la réalité…

Tandis qu’ici, en Australie, le simple fait de posséder du matériel usagé peut conduire à une incrimination pour consommation de stupéfiants (bien que se ne soit pas en principe une preuve suffisante pour justifier une inculpation) ou à entraîner une perquisition. Ce n’est pas ainsi qu’on peut espérer réduire les risques – au contraire, on les augmente. En réalité, une véritable réduction des risques est impossible avec la législation qui prévaut actuellement en Australie.

Les programmes méthadone, en particulier, depuis la mise en œuvre de programmes dits “à faible niveau d’intervention”, nous sont proposés également comme exemple d’une politique de réduction des risques. Qu’en est-il réellement ?

A Canberra, où l’on dénombre huit mille usagers de drogues par voie intraveineuse, il n’y a que cent sept places pour des programmes méthadone, aucun “programme à bas niveau d’intervention”, et il n’existe qu’un seul point de distribution, éloigné du centre-ville. La loi interdit aux médecins généralistes de ville de prescrire de la méthadone et aux pharmaciens d’en délivrer. Les “toxicos” habilités à en recevoir, sont traités de façon proprement effarante, ils n’ont aucun droit – ce qui n’est pas pour engager les autres usagers à cesser de se shooter pour se mettre à la méthadone. L’obligation d’aller tous les jours chercher leur dose de méthadone enchaîne les usagers à la clinique où on la leur distribue. Un véritable esclavage, aggravé par l’obligation à la fois inutile et dégradante de subir un test d’urine sous surveillance. Le texte des “directives nationales sur la méthadone” stipule que l’un des buts des programmes est la diminution de l’usage illicite des drogues et que leur objectif final est l’abstinence. Les tests d’urine ne servent qu’à s’assurer de cette abstinence. Nous pensons quant à nous qu’à l’heure du sida, ces tests n’ont pas de raison d’être, à moins d’être expressément demandés par le patient lui-même.(…)

Un programme de réduction des risques digne de ce nom devrait au contraire offrir un choix d’amphés et d’opiacés variés à fumer à injecter ou à prendre oralement selon le choix de chacun. En fait, la plupart des programmes méthadone mis en œuvre ici ou là n’ont jamais fait que refléter le jugement moral du personnel soignant, et donc, de la société sans prendre en compte les désirs et les besoins des usagers. Leur rigidité même les rend inaptes à répondre à ces besoins.

En Angleterre, on ne parle en revanche presque pas de la contrainte quotidienne pour l’usager d’aller chercher sa dose après s’être soumis au test d’urine et les bases de la civilisation n’en sont pas ébranlées pour autant! Dans le Merseyside il y a deux cliniques où l’on donne de l’héroïne à fumer au lieu de méthadone, pour la simple raison qu’il est plus facile de décrocher de l’héroïne que de la méthadone et que la plupart des intéressés la préfèrent à celle-ci. Les programmes méthadone ne deviendront réellement des programmes de réduction des risques que lorsque les usagers se verront rendre la responsabilité de la gestion de leur consommation de drogues, c’est à dire de leur propre corps.”

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