La déclaration de Vienne

Le 28 juin, en prélude à la conférence mondiale sur le sida, 3 organisations scientifiques majeures (International AIDS Society, International Centre for Science in Drug Policy, BC Centre for Excellence in HIV/AIDS) lançaient un appel pour la réforme mondiale des politiques des drogues. Constatant que la « guerre à la drogue » avait des effets dévastateurs sur la santé et la sécurité des populations, elles appellent dans « la déclaration de Vienne » les gouvernements à réorienter leur politique des drogues en y intégrant des preuves scientifiques.

Lire et signer la déclaration de Vienne

Après le rapport de l’Inserm, Mme Bachelot, Ministre de la Santé, doit lancer l’expérimentation des salles de consommation de drogues à moindre risque

Communiqué des associations Asud, Anitea, Act Up – Paris, Gaïa Paris, Safe, Sos Hépatites Paris, salledeconsommation.fr, Aides, AFR, Élus Santé Publique et Territoires, Élus Locaux Contre le Sida

Suite à l’installation le 19 mai 2009 d’une salle de consommation de drogues à moindre risque, Mme Bachelot avait annoncé à l’Assemblée Nationale qu’elle attendait les résultats d’une expertise collective sur la réduction des risques confiée à l’Inserm pour se prononcer sur leur expérimentation. C’est chose faite depuis vendredi, l’Inserm ayant mis en ligne sa synthèse.

Le rapport prend acte que la réduction des risques est à un tournant. Si elle a pu réduire les risques de contamination VIH, les overdoses et améliorer l’accès aux soins, elle a aussi atteint certaines limites : elle ne touche pas forcément les populations les plus marginalisées, elle a du mal à prendre en compte les nouvelles pratiques des consommateurs de psychostimulants et injecteurs de cocaïne, et peine à réduire les contaminations par l’hépatite C….

Le rapport de l’Inserm recommande d’élargir la palette des mesures et approches dans un dispositif cohérent et coordonné d’offre de services. Dans ce cadre, il envisage la mise en place de Centres d’Injection Supervisés, CIS, (salles de consommation centrées sur l’injection).
Le rapport confirme donc ce que nous, associations de terrain et élus locaux, savions déjà : les CIS permettent d’atteindre les usagers injecteurs à haut risque, d’assurer une injection plus sure, de diminuer les comportements à risques (par rapport au VIH et à l’hépatite C), de réduire la mortalité, d’améliorer l’accès aux soins (y compris de la dépendance) pour les populations les plus précaires, de réduire la consommation sur les lieux publics, de réduire les impacts négatifs sur l’ordre public. L’Inserm note aussi que les CIS n’encouragent pas à la consommation, et qu’ils sont coût-efficaces, ce qui est important en période de restriction budgétaire.

Si logiquement l’Inserm recommande une étude des besoins avant la mise en place, les associations engagées rappellent que c’est précisément au nom de ces besoins constatés qu’elles ont lancé leur action : les injections en masse dans les caves, les squats et les rues de certains quartiers, exposent usagers et riverains à d’inutiles risques. Ces associations n’envisagent donc cette étude que sous la forme d’une première étape de la mise en œuvre concrète d’une première expérimentation d’un CIS.

L’Inserm a apporté sa caution scientifique, pour démontrer que les CIS étaient un service complémentaire au dispositif actuel de réduction des risques. Il l’a fait en invitant à penser la RdR dans le cadre global d’une politique cohérente, sans l’opposer au sevrage ni à une éducation et prévention permettant aussi d’éloigner les dangers des usages.
Il est temps que Mme Bachelot et le gouvernement adoptent officiellement cette politique des drogues, basée sur une approche scientifique et dégagée d’arrières pensées idéologiques. C’est d’ailleurs le sens de « la déclaration de Vienne » du 29 juin 2010, initiées par trois organisations scientifiques de renommée internationale : the International AIDS Society, the International Centre for Science in Drug Policy (ICSDP), and the BC Centre for Excellence in HIV/AIDS.

18 joint 2010 : 40 ans de prohibition…

Comme chaque année, le CIRC organise l’appel du 18 joint, pour demander la dépénalisation de toutes les drogues et la légalisation du cannabis. Dans le contexte des 40 ans de la loi de 70, et d’une répression envers les consommateurs de drogues toujours plus féroce, ce 18 joint à une tonalité particulière. Asud, avec le CIRC vous invite à venir manifester le 18 juin, à Paris à 18h à la Villette, et à Lyon à 18h Place Sathonay, pour dénoncer plus que jamais cette loi scélérate, qui détruit la vie de milliers de consommateurs de drogues chaque année.

Y a t-il encore une Ministre de la santé ?

Communiqué de presse d’Asud, Anitea, Act Up Paris, Gaïa Paris, Safe, SOS Hépatites Paris, salledeconsommation.fr

Le 19 mai 2009, à l’occasion de la Journée Mondiale contre les hépatites, un collectif d’associations « Asud, Anitea, Act Up – Paris, Gaia, Safe, Sos Hépatites Paris, salledeconsommation.fr » installait pour quelques heures une salle de consommation à moindre risque.

A l’automne, des hommes et femmes politiques de tous bords s’emparaient de cette question.
Le 4 novembre 2009, questionnée par un député de l’UMP, Roselyne Bachelot annonçait à l’assemblée nationale «qu’elle attendait les résultats d’une expertise collective commandée à l’INSERM pour se prononcer sur les salles de consommation à moindre risque». (Voir la réaction du collectif du 19 mai)
Le 31 mars 2010, le collectif  remettait au ministère de la santé un projet pour un dispositif de salle de consommation à moindre risque à Paris.

Depuis, la Ministre est aux abonnés absents sur la politique des drogues : nous n’avons pas été auditionné dans le cadre de l’expertise, aucun rendez vous n’a été programmé avec des conseillers du ministère, aucune prise de parole sur les questions d’addictions et de RdR n’a été maintenue !
Le 24 juin prochain, l’Inserm présentera les résultats de l’expertise, donc ceux consacrés aux salles de consommation à moindre risque  dont une abondante littérature internationale souligne à l’évidence l’intérêt. Loin d’être des lieux d’initiations, les salles de consommation participent d’un nécessaire échelonnement des réponses et d’une prise en compte des problèmes rencontrés par les publics les plus précaires.

Dans l’attente de cette publication, et sans aucune nouvelle, nous nous inquiétons de la capacité de Roselyne Bachelot de faire avancer, sur des bases scientifiques, des projets de santé publique. Avons-nous encore une ministre de la santé ou n’avons nous qu’une ministre du foot ou des paris en ligne ?

Ces mensonges qui nous font tant de mal

Juin 2010, les discours de Pétain passent en boucle sur les radios. Un des fleurons de cette rhétorique pleurnicharde est le discours du 17 juin 1940 sur « ces mensonges qui nous ont fait tant de mal », une phrase qui s’applique parfaitement au débat sur les politiques de drogues au niveau international et leur présentation par les officiels français : une succession de contrevérités énoncées puis répétées de manière systématique, quel que soit le contexte.

asudjournal44p9illusL’escroquerie est de laisser croire que notre politique des drogues – à l’image de notre football – pourrait prétendre à un podium mon­dial. Une distorsion impudente de la réalité qui devrait normalement nous conduire à changer d’entraineur ces prochaines années.

Propagande

Premier mensonge : « La consomma­tion de cannabis baisse grâce à l’inten­sification de la répression. » N’importe quel statisticien débutant peut aisément prouver que sur le court terme, c’est-à­dire à l’échelle de quinze ou vingt ans, la consommation de cannabis a pro­gressé jusqu’à atteindre des niveaux qui nous placent en tête des pays de l’Union européenne alors que parallèlement, les interpellations n’ont cessé d’augmenter. Tous les gens sérieux estiment que les liens de cause à effet entre répression et consommation de drogues sont impossi­bles à corréler scientifiquement. Soumis à des régimes législatifs très différents, les États-Unis, l’Espagne ou le Royau­me-Uni caracolent au top du hit-parade de la fumette mondiale. À l’inverse, la Suède et les Pays-Bas, dont les politi­ques sont absolument antithétiques, affichent des scores très modérés. Les incidences culturelles, le rôle de l’environnement social, l’appréciation collec­tive de l’ivresse, la place de la sexualité, toutes ces questions qui mériteraient au contraire d’être observées minutieuse­ment sont toujours traitées par le mé­pris, voire complètement ignorées par le discours de propagande politiquement correcte sur le fléau de la drogue.
Quelques milliers de Français fu­maient de la « marijuana » en 1970, lorsque la loi du même nom fut votée.
Depuis, les arrestations et les emprisonne­ments pour usage, possession, détention et autres ont progressé de manière exponen­tielle, et les milliers sont devenus millions. La courbe a culminé en 2005, avec 5 mil­lions d’individus ayant déclaré avoir fumé du cannabis dans l’année écoulée. Ce n’est que tout dernièrement, entre 2005 et 2010, qu’une baisse impressionnante de 0,5% par an du nombre de consommateurs a permis un élan de triomphalisme cocar­dier : la consommation de cannabis baisse, et c’est évidemment grâce au renforce­ment de la répression !

Désinformation

Autre mensonge éhonté : « Les pays européens qui ont assoupli leur législation sur les drogues sont en train de revenir en arrière. » Là, il ne s’agit plus d’approxi­mations sur les chiffres mais de pure dé­sinformation. Les exemples cités sont toujours les mêmes : l’Espagne et les Pays-Bas, les 2 finalistes de la coupe du monde (tiens, tiens !).
Commençons par nos voisins les Ibè­res. Après avoir minutieusement déman­telé la législation franquiste, le royaume espagnol est effectivement revenu en arrière… en 1986, il y a vingt-quatre ans ! S’il a alors supprimé la possibilité de consommer en public (flash-back sur les injecteurs d’héroïne juchés sur les monuments historiques), aucun pouvoir – fut-il néofranquiste, comme celui du Parti Populaire d’Aznar – n’a jamais recriminalisé l’usage simple et privé. Il suffit de se balader n’importe où dans la péninsule pour le comprendre.
Tous les gens sérieux estiment que les liens de cause à effet entre répression et consommation de drogues sont impossibles à corréler scientifiquement Décisionnaires en matière de drogues, les régions autonomes ne cessent, au contraire, d’approfondir depuis dix ans une politique de réduction des risques audacieuse qui associe sal­les de consommations et programmes d’héroïne médicalisés. Autant de choses qui hérissent le poil de nos supporters hys­tériques du modèle français. Plutôt que de parler du retour en arrière, on ferait mieux de les suivre dans la surface de réparation (ha mais !)
Parlons maintenant de l’autre finaliste, la Hollande. « Les Pays-Bas reviennent sur leur modèle de prise en charge », nous dit-on. Quelle farce ! Certes, le débat sur les coffee shops occupe une place prépondérante dans les joutes politiciennes, mais que repro­che-t-on exactement à ces oasis de tolérance cannabique ? L’afflux de Français (entre autres). Soi-disant décrié, le modèle hollandais a en effet permis au consommateur de cannabis local de trouver seul des raisons de fumer ou de ne pas fumer, sans être parasité par l’imbroglio psychologique de l’interdit. Le nombre de fumeurs étant proportionnellement plus faible aux Pays-Bas qu’en France, le plus étonnant est que nos voisins bataves aient trouvé sur ces ba­ses plus de raisons de s’abstenir que de planer avec de l’herbe-qui­fait-rire-bêtement. Ce qui défrise le Hollandais moyen, ce sont les hordes de fumeurs étrangers, et tout particulièrement français, qui écument les coffee shops le temps d’un week-end, par ailleurs copieusement arrosé de bière. Cette fonction d’oasis cannabique dans le désert européen finit par lasser une partie de l’opinion hol­landaise, qui songe à réserver l’endroit aux seuls Bataves de sou­che. On a l’identité nationale qu’on peut…

Et mensonge par omission

Le dernier mensonge est un mensonge par omission. Dans le continuum du mensonge n°2 qui veut que la tendance européen­ne soit au renforcement de l’interdit, les officiels français se gar­dent bien d’évoquer le nombre croissant de pays européens qui dépénalisent. Non seulement l’Espagne et les Pays-Bas ne revien­nent pas en arrière, mais le Portugal en 2004 et plus récemment la Tchéquie en 2009 ont décidé de dépénaliser l’usage de drogues. Essentiellement prise pour des raisons sanitaires, la décision por­tugaise a fait l’objet de tellement de commentaires internatio­naux que les partisans américains d’une réforme des politiques de drogues évoquent couramment le « modèle portugais » comme référence européenne, une sorte de propédeutique de dépénali­sation. Une définition qui n’a évidemment pas de sens en France puisque notre politique est un succès total.
Pour clore l’affaire, mentionnons quelques statistiques incontournables sur le sujet. Selon l’Observatoire européen des drogues et toxicomanies, la France décroche la médaille de bronze du championnat des amateurs de bédos, avec 30,6% de fumeurs de cannabis chez les 15-64 ans. Sur les 27 pays engagés dans la compétition, nos athlètes se placent juste derrière les Danois et les Italiens mais coiffent d’une courte tête l’Angleterre, qui vit surtout sur sa réputation. Des chif­fres dont notre « Drug Czar », Monsieur Apaire, se soucie comme d’une guigne. Interrogé le 10 août dernier par le jour­nal Le Monde sur les salles de consommations à moindres risques, il récidive en déclarant : « En France, la consom­mation de drogue a globalement baissé, celle d’héroïne y est moins importante qu’ailleurs en Europe. Le nombre d’overdo­ses y est aussi l’un des plus faibles. » Cette déclaration, très « Mundial 2010 », nous rappelle que la déformation systé­matique de la réalité peut ressembler à une forme d’addiction. Au-delà d’un certain seuil, on ne peut plus s’arrêter. La cocaïne bat des records historiques, l’héroïne relève la tête, le cannabis fait de nous les vainqueurs de la petite finale… et notre politi­que est la meilleure du monde.
Juin 1940-juillet 2010 : en France, la « gagne » est une valeur nationale reconnue. Alors pour les drogues, surtout ne changeons rien.

Asud journal n°43 : Dossier Salle de consommation

Après tous ce qui s’est passé ces derniers temps sur les salles de consommation de drogues à moindre risque (SCMR) et avant les résultats de l’expertise collective de l’INSERM sur la réduction des risques et les SCMR (24 juin), Asud journal N°43 ne pouvait pas faire moins qu’une dossier spécial sur ce sujet.

Salle de consommation : revue de littérature internationale

Apparues au Royaume-Uni et aux Pays-Bas dans les années 1960, les Salles de consommation de drogues à moindres risques (SCMR) telles que nous les connaissons aujourd’hui ont pris forme dans le milieu des années 1980. D’abord en Suisse (1986), en Allemagne (1994) et aux Pays-Bas (1996), puis dans d’autres pays comme l’Espagne, le Luxembourg, la Norvège, l’Australie et le Canada dans les années 20001. Différentes publications permettent désormais d’en démontrer l’efficacité.

De nombreux documents examinés par des pairs ou issus de la littérature grise2 – notamment Suisse et Canadienne –présentent ou évaluent des études sur le fonctionnement et l’incidence des SCMR. Nous nous sommes principalement intéressés à 3 évaluations internationales basées sur les revues de la littérature et des statistiques internes de ces SCMR : celles de l’European Monitoring Centres for Drugs and Drug Addiction3, du National Drug and Alcohol Research Centre d’Australie4 et de l’Institut national de santé publique du Québec5. Nous avons également étudié les évaluations nationales existant sur les SCMR de Genève, Bâle et Bienne (Suisse), Berne (Allemagne), Vancouver (Canada), Sydney (Australie) et Oslo (Norvège).

Réduire les risques…

D’après K. Dolan et al. (2000), D. Hedrich (2004) et L. Noel et al. (2009), la population visée par les SCMR a été atteinte dans tous les pays où elles ont été implantées. Il s’agit surtout de consommateurs de drogues de longue date, de ceux qui consomment leur substance dans les espaces publics ou semi-publics, de consommateurs « sans chez eux » ou ayant recours à la prostitution. Les SCMR permettent également de toucher une partie de la population vieillissante des consommateurs de drogues. Certaines salles suisses possèdent des prestations spécialement destinées aux femmes avec plages horaires spécifiques et possibilité de consulter un gynécologue, par exemple. Enfin, les SCMR reçoivent de nombreuses personnes n’ayant jamais eu de contact antérieur avec des structures de soins et permettent de créer un contact avec une population qui n’aurait pas forcément recherché d’aide. Elles permettent d’avoir accès à une médecine de premier recours et aux systèmes de soins. De nombreuses études démontrent en outre un effet positif en matière de « ré-insertion » sociale : de nombreux consommateurs restaurent en effet leur identité et leurs liens sociaux grâce au sentiment d’appartenance à un groupe ou au contact et aux échanges constructifs avec les intervenants (F. Benninghoff et al., 2003).
En favorisant l’accès à l’information, à l’éducation et à du matériel stérile, les SCMR aident par ailleurs à réduire les conduites à risque et la mortalité liée aux overdoses. La grande majorité des consommateurs estime ainsi avoir amélioré ses conditions de consommation et selon l’évaluation réalisée au Quai 9 (Genève), seule une fine minorité de consommateurs persiste dans des pratiques à risque. Si la prévalence du VIH a considérablement diminuée, il n’existe à ce jour très peu d’études épidémiologiques sur le lien SCMR/diminution de la prévalence VHC6. Le MSIC Evaluation Committee (2003) montre toutefois que les nouveaux cas d’hépatite C (diagnostiqués entre 1998 et 2002) ont continué à augmenter dans tout Sydney, sauf dans le quartier d’implantation de la SCMR !

… et les nuisances

Les SCMR permettent une diminution des consommations dans les lieux publics ou semi-publics. Dans un sondage effectué auprès de consommateurs de salles allemandes, 31% des répondants estimaient que cet aspect était l’un des principaux points positifs des SCMR et qu’ils aimeraient ne plus avoir à consommer dans des scènes ouvertes. Ce type de structures était le lieu de consommation principal de 64% d’entre eux (D. Hedrich, 2004). Un questionnaire passé auprès de consommateurs de structures bas seuil sans SCMR dans la ville de Lausanne a démontré, à l’inverse, que 60% des répondants consommaient à domicile (T. Huissoud, S. Arnaud et F. Dubois-Arber, 2005). Une étude française sur la perception de l’utilité des SCMR (B. Bertrand, 2001) révèle pour sa part que 56,6 % de la population interrogée est favorable à ce type de structure.
Des enquêtes réalisées auprès du voisinage, de différents acteurs politiques et de policiers montrent une diminution des nuisances publiques, et notamment du nombre de seringues souillées laissées sur la voie publique. N. Boyd (2008) a démontré que la délinquance (trafic, incivilité, prostitution, crimes violents, etc.) avait diminué après l’installation d’Insite (Vancouver). À noter, que les auteurs insistent sur le fait que les SCMR ne peuvent pas à elles seules enrayer les différents processus menant les consommateurs de substances à la commission d’actes délictueux.
Dr. A. M. Bayoumi (2008) a établi l’existence d’un lien de cause à effet entre Insite (Vancouver) et la question économique pour la cité. Les économies s’élèveraient ainsi à 10,3 millions d’euros et 920 années de vie gagnées en dix ans, en supposant que le seul effet d’une SCMR soit de réduire le partage de seringues, 14,7 millions d’euros et 1 175 années de vie gagnées si on estime que les SCMR ont également un rôle dans l’éducation à l’injection, donc sur la santé globale des personnes.

Meilleure gestion des consommations

Parmi les arguments s’opposant à l’idée même de l’ouverture d’une SCMR, D. Hedrich (2004) évoque la banalisation hypothétique de la consommation de drogues qui pourrait, selon certains, aboutir à un maintien ou à une augmentation de la consommation, voire à une augmentation du taux de mortalité. En réalité, aucune étude ne démontre ce risque (F. Zobel et F. Dubois-Arber, 2004). Dans l’évaluation de Quai 9 (Genève), F. Benninghoff et al. (2004) montrent un lien de cause à effet entre d’une part, une meilleure gestion ou une diminution de la consommation et d’autre part, l’espace créé par les échanges avec les intervenants, le temps d’attente pour entrer en salle de consommation et une plus grande tranquillité dans l’acte de consommer.
Autre hypothèse soulevée par ces auteurs : rendre la consommation aussi confortable pourrait créer une habitude à fréquenter ces locaux et entraver ainsi la volonté des usagers d’accéder à l’étendue des offres médicales existantes ou de débuter un traitement. La majorité des utilisateurs des SCMR sont pourtant en traitement, et il n’y a pas d’impact négatif sur le maintien de celui-ci (F. Zobel et F. Dubois-Arber, 2004).Le MSIC Evaluation Committee (2003) montre au contraire que les demandes de sevrage et de traitement de substitution ont augmenté de 30% depuis l’ouverture d’Insite (Vancouver).

Alors que les oppositions françaises à l’implantation expérimentale de SCMR reposent plus sur un discours moralisateur que sur les résultats de recherches scientifiques, l’analyse de la bibliographie sur les SCMR démontre qu’il n’y a aucun effet néfaste sur les personnes et sur l’environnement. Comme le soulignent L. Noel et al. (2009), les SCMR sauvent des vies à court terme et permettent à long terme une réinsertion dans un mode de vie plus « classique ».


1) On compte aujourd’hui 78 SCMR officielles réparties dans 44 villes dans le monde, la majorité sur le sol européen (31 aux Pays-Bas, 17 en Suisse, 20 en Allemagne, 6 en Espagne, 1 au Luxembourg, 1 en Australie, 1 au Canada et 1 en Norvège).
2) La littérature examinée par des pairs fait référence à des documents soumis à des experts du domaine qui les évaluent avant leur publication. La littérature grise fait référence à des documents qui ne transitent pas par le circuit habituel de la recherche universitaire (documents gouvernementaux, thèses, rapports scientifiques…). Bibliographie disponible sur www.salledeconsommation.fr / rubrique Littérature.
3) Dagmar Hedrich, European report on drug consumption rooms, OEDT, 2004.
4) Kate Dolan et al., Drug consumption facilities in Europe and the establishment of supervised injecting centers in Australia, Drug and Alcohol Review n°19, 2000, p.337-346.
5) Lina Noel et al., Avis sur la pertinence des services d’injection supervisée. Analyse critique de la littérature, INSP Québec, juin 2009.
6) Les SCMR ont été mises en place pour lutter contre le VIH à une époque où les hépatites étaient encore mal connues. L’attention était portée sur le non-partage de seringues, pas sur celui du petit matériel (cuillère, filtre, eau…), ce qui est chose faite aujourd’hui. Il faudra attendre de nouvelles études scientifiques pour valider l’hypothèse que les SCMR ont une incidence réelle sur la prévalence des hépatites.

Une expérience d’usager dans la salle de consommation de Madrid

Grand retour en arrière dans l’histoire de Speedy Gonzalez qui évoque sans détour son expérience d’usager de la salle de conso de Madrid il y a quelques années. Un témoignage qui démontre le rôle primordial que ces structures peuvent jouer pour compléter une politique globale de réduction des risques.

Hiver 2002, 2h00 du matin. La nuit est bien noire et ça caille ce soir pour traverser la partie la plus désolée du bidonville gitan de Las Barranquillas, une scène ouverte à l’extérieur de Madrid où, à l’époque, 300 taudis vendaient de la CC, de la base et de l’héro 24h/24, un véritable supermarché de la défonce1 ! Marchant d’un pas rapide que les premiers signes du manque, le mauvais chemin de terre et le froid rendent chaotique, je me dirige au plus vite vers la Narcosala2 (salle de conso) serrant dans la main mon petit trésor : 2 doses d’héro et 2 de CC…

Un phare dans la nuit

Un no man’s land sordide et hostile où la présence de chiens qu’il faut parfois mettre en fuite à coup de pierres et les mauvaises rencontres rendent particulièrement flippant la nuit. Mais je n’ai pas le choix, rien à voir avec le courage ! Vu l’état déplorable de mes veines, je n’envisage pas du tout de me faire mon fix à l’extérieur dans le froid et l’obscurité. La hantise de tout perdre et de voir s’évanouir tous ses efforts en 1 seconde, sans compter les risques liés à une injection à l’aveuglette et puis, je n’ai même pas de seringues neuves… Ah, si l’administration avait eu la bonne idée d’installer cette structure au milieu de la scène ouverte, cela aurait grandement facilité les choses ! Mais à l’époque, la création de cette salle avait déjà été un véritable petit miracle en raison de l’opposition frontale de la mairie de Madrid qui y voyait « un encouragement au vice ». Partisan convaincu de la RdR et donc de l’utilité de cette structure, le président de la région – pourtant du même Parti Populaire de droite – dû peser de tout son poids pour l’obtenir3.
Je vois enfin des lumières au loin et, tel un phare pour le marin déboussolé, je m’en sers pour me guider dans cette nuit d’encre. J’accélère ma marche, je sais que dans quelques minutes je vais pouvoir pousser le piston et sentir dans mes veines (et aussitôt dans ma tête) la chaleur et l’énergie irremplaçable du speed-ball, et liquider (provisoirement) le manque qui me tenaille… Enfin, j’y suis ! Un ensemble de 3 bâtiments sur une surface de près de 2000 m2 offrant en plus de la salle d’injection, un dortoir avec une vingtaine de lits, une salle à manger offrant 3 repas chauds gratuits par jour, une laverie, des douches, une salle de repos avec télé, une bourse de vêtements, des consultations médicales, sociales et juridiques. Le tout, ouvert 24 heures sur 24, 7 jours sur 7…

Un vrai petit boudoir

Je monte en trébuchant les quelques marches du bâtiment qui abrite la salle d’injection. Elle est précédée d’une petite pièce où – en plus d’un vigile – la personne chargée de l’accueil me dit en me voyant arriver tout essoufflé et agité : « Cool mec, respire un bon coup, ce n’est pas bon d’être si nerveux, tu vas faire des conneries ! Donne-moi d’abord ton n° de dossier et prends du matériel stérile, tu sais que c’est obligatoire si tu veux rentrer ici. Ne t’inquiète pas, cela va être vite à toi. » Des mots que j’entends à peine mais qui me calment un peu. Vu l’heure et le peu de monde présent, l’ambiance est un peu plus relax que pendant la journée où passent parfois plus de 100 personnes4… L’endroit est aseptisé, genre hosto pas très gai ni convivial mais clean, chaud, bien éclairé et surtout, sûr. Et ça, dans cette jungle qu’est le bidonville, c’est beaucoup ! C’est rapidement mon tour. J’entre dans une plus grande salle au beau milieu de laquelle une table propose encore tout le matos stérile nécessaire à l’injection afin de l’avoir plus facilement sous la main si celui pris à l’entrée ne suffit pas.
Après m’avoir conseillé de me laver les mains dans un des grands lavabos situés de part et d’autre, un autre membre de l’équipe me désigne une cabine libre. Il est aussi chargé de surveiller les 10 cabines séparées par des parois en dur mais fermées par un simple rideau en plastique, permettant à l’usager de garder une certaine intimité sans pour autant le cacher totalement aux yeux du surveillant5.
Je m’assois enfin dans la cabine et malgré l’envie qui me tenaille, je m’y sens bien, j’apprécie sa tranquillité et sa sécurité. Bien qu’austère, c’est un vrai petit boudoir où je me dépêche de préparer mon mélange avec la moitié du matos (il faut bien en garder un peu…) sur la petite table qui est devant moi. Mais au bout de quelques tentatives infructueuses, ma nervosité revient au grand galop. Le spectacle que j’offre alors ne doit pas être terrible : le sang coule de plusieurs points d’injection, je n’en peux plus, je tremble, je commence à jurer. Ça fait des heures que j’attends cet instant et si près du but, je vais tout foutre en l’air !

« T’as vu la gueule de tes veines ? »

L’employé de la salle comprend vite que je suis en train de me massacrer, que le risque grandit, et appelle à la rescousse le toubib de garde qui arrive sur le champ : « Allons du calme, prends un autre embout, celui-ci est émoussé. Et puis regarde dans ta seringue, il y a maintenant un caillot de sang, tu dois refiltrer, t’inquiète on va y arriver ! » Sa présence et sa voix posée pleine d’assurance me permettent de souffler un peu. Je m’exécute et jette dans ma poubelle sécurisée la vieille aiguille et le coton sale. Tout en refusant que je m’injecte dans le cou6, il m’indique alors le meilleur point d’injection, et me conseille de me nettoyer les bras et de les passer sous l’eau chaude pour mieux faire ressortir les veines… Il ne touche à rien mais le courant passe… J’essaye à nouveau sans résultat mais cette fois, je garde mon calme. Je trouve enfin une veine pas trop mal et ça y est ! Tout va très vite : mille aiguilles transpercent mon cerveau, et je sens le produit arriver dans les maxillaires, ouf ! Une fois passé le flash du speed-ball, l’héro envahit tout mon corps comme une vague apaisante, je me reprends, j’ai envie de parler… Il est toujours là, me regarde, esquisse un sourire : « Bon, ça va ? Tu vois, le speed, c’est pas bon dans ces cas-là… » On commence à échanger quelques mots, sur tout, sur rien, sur moi… « T’as vu la gueule de tes veines ? Il faut que tu leur donnes des vacances et que t’y fasses plus attention en leur mettant cette pommade (il me tend un tube jaune). Je sais, c’est pas facile quand on shoote autant de fois par jour, mais avoue que si tu ne prenais pas autant de coke, tu shooterais déjà moins, non ? Je ne te propose pas de décro bien sûr, tu verras ça plus tard, mais tu pourrais déjà en finir avec la coke par voie intraveineuse. Fume-la, puis essayes de faire pareil avec l’héro et reviens me voir quand tu en seras là. On verra si tu veux vraiment passer à autre chose, à la métha, pourquoi pas ? Et demain si tu veux, on peut te faire un test VIH-VHC, ok ? Comme ça, tu verras où t’en es. »

Le chemin des vivants

C’était pas brillant. Ça faisait trop longtemps que je tombais dans une chute libre qui n’en finissait pas, restant parfois plusieurs jours sans sortir du bidonville… Je n’ai, bien sûr, pas suivi ses conseils tout de suite, mais cette conversation et d’autres qui ont suivi dans cette salle m’ont aidé à reprendre, tout doucement, le chemin des vivants… Grâce à la Narcosala, j’ai pu, comme beaucoup d’autres, retrouver quelques réflexes d’hygiène de base complètement oubliés. Mais ce fut surtout le premier lien avec une structure à un moment où je n’en avais plus aucun. La dernière chance, sur le lieu même où on se défonce, de prendre un peu soin de soi, de pouvoir peut-être faire un break ou d’envisager des possibilités de remonter. Parler à quelqu’un qui peut t’aider si tu le veux, mais qui va de toutes les manières déjà te rendre ta dignité en te traitant comme un être humain…


1) À lire notamment sur ces endroits typiques” espagnols, “Las Baranquillas, supermarché des drogues version ibérique” (Asud-Journal n°31) et “Cocaïne, castagnettes et corridas” (n°34).
2) Voir aussi “Salles de consommation à l’espagnole” (Asud-Journal n°37) pour une description complète et un historique de cette salle.
3) De son vrai nom Dispositif d’assistance à l’injection (Dave), cette structure créée en 2000 par l’administration régionale fut la deuxième salle de ce type à voir le jour en Espagne. Ouverte grâce à des fonds publics, sa gestion fut entièrement confiée à une société privée. De nombreuses autres salles ont depuis été créées dans le pays avec différents statuts.
4) À l’époque, car las Barranquillas est désormais en perte totale de vitesse au profit de Valdemingomez, une autre scène située plus loin. Mais la salle de conson est toujours là, victime de la lourdeur de son installation…. À quand une nouvelle salle ?
5) Éternel débat entre les partisans d’une surveillance plus facile des UD pour mieux prévenir d’éventuelles OD et le nécessaire besoin d’intimité pour réaliser cet acte. Une fois l’injection faite et compliquant cette question, reste le besoin de communiquer entre UD présents que ne permet pas l’isolement des cabines…
6) Ce point d’injection ainsi que les fémorales, les seins et l’appareil génital sont en effet strictement interdits dans la salle, comme l’injection par un membre de l’équipe ou par un autre UD.

Salle de conso : lettre ouverte de Julio Montaner, président de l’IAS à Mme Bachelot

Dans une lettre ouverte à Roselyne Bachelot, Julio Montaner, président de la conférence mondiale du Sida, et Edward Wood, professeur à l’Université de Colombie Britanique, apportent tous leur soutien à la Ministre pour l’expérimentation de salles de consommation de drogues à Paris.

>>Lettre ouverte de Julio Montaner (Président de l’IAS) à Roselyne Bachelot
>>International Aids Society

Salle de consommation : un Ovni dans la réduction des risques

Qui aurait pu se douter, lors de l’installation de la vraie-fausse salle de consommation du 19 mai, que les salles de consommation prendraient autant d’importance dans le champ de la réduction des risques ? Un Ovni médiatico-politico-addictologique qui fait poindre l’espoir qu’une vraie salle voit le jour à Paris fin 2010.

Pour marquer la Journée mondiale des hépatites, un collectif d’associations dit « Collectif du 19 mai » (Asud, Anitea, Act Up-Paris, Gaïa-Paris, Safe, Sos Hépatites-Paris, salledeconsommation.fr) installe une salle de consommation à moindres risques (SCMR) dans les locaux d’Asud. Une vraie salle, équipée en matériel stérile et tenue par des professionnels de santé… mais sans consommation de drogues, pour ne pas mettre les usagers en danger avec la loi. Un symbole destiné à faire parler de ce que le plan national de lutte contre les hépatites a sciemment évité : l’acte de consommation. L’effet médiatique est au rendez-vous, inespéré : de très nombreuses visites et près d’une trentaine d’articles et reportages, dans les journaux, les gratuits, à la radio, la télé, et sur la toile.

VRP des SCMR

Grâce à ce premier résultat et armés de dizaines d’études compilées par « The specialist » Bernard Bertrand , nous nous changeons en VRP des SCMR et allons taper aux portes des politiques : Jean-Marie Le Guen (député PS, adjoint au maire de Paris chargé de la santé), Michel Heinrich (député-maire UMP d’Épinal), Francine Bavay (vice-présidente du Conseil régional d’IdF chargée de la santé), Annick Lepetit (députée PS), Véronique Dubarry (adjointe au maire de Paris), Dominique Demangel (élue du XVIIIe arrondissement de Paris), Anne Souyris (conseillère régionale IdF), Jean-Luc Romero et la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, répondent présents et vont jouer un rôle dans la suite des évènements.

Interrogée le 4 novembre par Michel Heinrich qui lui demande, lors de la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale sur le projet de loi de finances 2010, « si elle est prête à tenter une expérimentation » de SCMR, la ministre de la Santé répond que « les associations Asud et Anitea ont déjà été reçues à cette fin » et que « la décision d’ouvrir ou non, à titre expérimental, une salle de consommation sera prise au vu des conclusions de l’expertise collective sur la réduction des risques menée par l’Inserm » (voir encadré). Les résultats de cette expertise, dont une partie est consacrée aux SCMR, sont attendus pour le mois de juin. Passée relativement inaperçue, cette déclaration de Roselyne Bachelot est pourtant intéressante à double titre. D’abord, parce qu’il ne s’agit pas d’une fin de non-recevoir et que sa réponse est suspendue à des études scientifiques, ce qui l’affranchit des barrières idéologiques. Ensuite, parce que la ministre cite Asud à l’Assemblée nationale, ce qui n’est pas rien quand on se souvient de l’attaque frontale lancée en 2005 contre l’association par 78 députés UMP…

Emballement médiatique

Le 14 décembre, Jean-Marie Le Guen fait voter au Conseil de Paris une subvention de 26 000 € pour permettre à l’association Élus, santé publique et territoire (ESPT) d’organiser un séminaire d’élus locaux sur la question de l’ouverture des SCMR. Outre le vote, qui n’est qu’une formalité, Mr Le Guen a tout minutieusement préparé pour que le débat soit mis sur la place publique.
Le premier coup est lancé dans Le Parisien avec une interview du maire-adjoint chargé de la santé intitulée « Bientôt des salles de shoot en France ? ». Reprenant habilement l’argumentaire sur les SCMR, que ce soit au niveau de la réduction des risques – « il faut que les toxicomanes apprennent à gérer leur shoot car ces populations sont toujours victimes du sida et de l’hépatite C » – ou de la politique de la ville – « Ces lieux permettront d’éviter les effets portés à l’environnement. Les habitants confrontés aux drogués en ont assez de cette promiscuité » –, le discours de Le Guen est ciselé. Durant la semaine qui suit, c’est un nouveau déluge de reportages et d’interviews, non seulement du député PS mais aussi de membres du Collectif dans toute sa pluralité et sa complémentarité : un débat sur Public Sénat pour Jean-Pierre Couteron (Anitea), une interview de Jean-Louis Bara (Safe) sur BFM TV, de Safia Soltani (Act Up-Paris) dans Le Figaro, un passage dans l’émission « Revu et corrigé » de Paul Amar sur France 5 pour Pierre Chappard (Asud) et Élisabeth Avril (Gaïa)… (voir la revue de presse sur le site d’Asud).

De droite comme de gauche

Pour nos soutiens comme pour nos opposants, c’est aussi l’occasion de sortir du bois. Côté soutiens : Cécile Duflot, secrétaire des Verts, et William Lowenstein (clinique Montevideo) sur RTL, Patrizia Carrieri (Inserm) dans Libération, ou Anne Hidalgo (première adjointe au maire de Paris) sur Direct8. Côté opposants, c’est malheureusement sans surprise qu’Étienne Apaire, le président de la Mildt, s’oppose à la création de SCMR, « une forme de désespérance » qui revient, selon lui, « à baisser les bras » (LeMonde.fr), un discours qui rappelle celui des opposants à la réduction des risques. Prétendant qu’il n’existe « aucune étude permettant d’avancer que ce genre d’infrastructures aient un effet positif », il n’hésite pas à employer des arguments fallacieux. Opposants qu’on retrouve également du côté de l’UMP parisienne et de leurs chefs de file, Philippe Goujon (député-maire du XVe arrondissement) et Jean-François Lamour (président du groupe UMP de Paris) qui, suite au vote du Conseil de Paris, publient sur LeMonde.fr une tribune intitulée « Salle de shoot de la mairie de Paris, le raisonnement par l’absurde », dans laquelle ils déploient avec des mots chocs le même argumentaire réactionnaire que Mr Apaire, n’hésitant pas à comparer les SCMR à des « antichambres de la mort ».
La semaine s’achève en beauté le 18 décembre avec le vote du budget 2010 du Conseil régional au cours duquel les Radicaux de gauche (Rageap de Jean-Luc Romero) et les Verts (emmenés par Anne Souyris) demandent 500 000 € pour construire une SCMR en Ile-de-France. Sous pression, l’exécutif fait voter une subvention de 20 000 € supplémentaires pour le séminaire organisé par ESPT. Si le débat sur la subvention à la mairie de Paris était clivé politiquement entre la gauche et la droite, au Conseil régional d’Ile-de-France, tous les groupes politiques (PS, Rageap, Verts, Modem, UMP, Nouveau centre) votent en faveur de la subvention à l’exception, bien sûr, des partis d’extrême droite (Front national et Nationaux indépendants).

L’effet « boule de neige »

La trêve des confiseurs n’arrête ni le débat ni le travail du Collectif du 19 mai qui dépose, début janvier, un projet de SCMR à Paris au ministère de la Santé, projet qui devrait être étudié dans les prochains mois, en particulier sur ses aspects juridiques. Du côté de la presse, l’Agence de presse médicale (APM) révèle le 12 janvier que la « Commission nationale Addiction a pris position en faveur des salles d’injection » dans des recommandations visant à compléter le plan national de lutte contre les hépatites pour lequel elle avait rendu un avis négatif en mai 2009. Le même jour, le site d’Asud publie une « Lettre ouverte à M. Jean-François Lamour » de Christophe Mani, directeur de la SCMR Quai 9 à Genève, répondant à la tribune du député UMP sur Lemonde.fr. Enfin, le 21 janvier, LeMonde.fr publie un « Appel pour l’expérimentation d’espace d’accueil et de consommation de drogue à Paris », fruit de plus de trois mois de travail et de contacts du Collectif du 19 mai, signé par des responsables associatifs, dont Nicole Maestracci (présidente de la Fnars et ancienne présidente de la Mildt), et par des responsables politiques de droite comme de gauche : Jean-Marie Le Guen (PS), Noël Mamère (député Verts), Michel Heinrich (UMP) et Christian Saint-Étienne (conseiller régional IdF et conseiller Nouveau centre de Paris).
Ayant permis de continuer à convaincre un certain nombre de personnes supplémentaires en dehors du milieu habituel de la réduction des risques, cet appel est un des éléments de l’étonnant effet « boule de neige » qui fait la force de cette action : il est n’est pas rare de rencontrer quelqu’un qui a repris à son compte l’action du Collectif et qui raconte comment il en a parlé à tel médecin, responsable politique ou administratif. Pour preuve, les signatures qui continuent à arriver sur la pétition de soutien mise en place sur le site d’Asud : Alain Rigaud (président de l’Anpaa), Michel Kokoreff (sociologue), Xavier Aknine (président de l’Angrehc) ou encore le Pr Jean-Luc Vénisse qui s’ajoutent aux 900 signataires.

Même si tout reste suspendu à la décision du ministère de la Santé, le débat sur les SCMR est donc, au-delà de nos espérances, toujours sur la place publique six mois après le 19 mai. Mais face aux arguments déployés par leurs partisans et leurs détracteurs, on voit bien que quinze ans après l’avènement de la réduction des risques, sa philosophie est toujours mise en cause. Preuve s’il en est qu’il nous faut encore convaincre, tant le grand public que le politique avec le relais des médias… Et si par manque de volonté politique des salles de consommation ne voient pas le jour dans les prochains mois, le grand mérite de cette action aura été de relancer le débat sur cette pratique, philosophie et politique publique encore trop peu connue qu’est la réduction des risques.

« Les salles de consommation ne se feront pas sans les élus locaux »

L’association Élus, santé publique & territoires (ESPT) s’est vu confier par la mairie de Paris et le Conseil régional d’Île-de-France l’organisation d’un séminaire destiné à éclairer les élus locaux sur les salles de consommation à moindres risques. Entretien avec Laurent El Ghozi, le président d’ESPT.

Pouvez-vous présenter votre association ?
Financée par la Direction générale de la santé (DGS) et par le Secrétariat général du comité interministériel des villes (SG-CIV), ESPT est une association créée lors des Assises pour la Ville en avril 2005, avec pour objectifs la réduction des inégalités de santé, l’accès aux soins et à la prévention, et la reconnaissance du rôle des communes dans la mise en œuvre des politiques territoriales de santé. L’association compte plus de 60 villes adhérentes (représentant plus de 7 millions d’habitants) très variées, à la fois par leur taille et leur couleur politique : des grandes villes (Lille, Paris, Marseille), des villes moyennes (Strasbourg, Toulouse, Reims), des villes de banlieues (Saint-Denis, Fontenay-aux-Roses, Clichy-sous-Bois, Nanterre), toutes ayant pour point commun que leurs élus pensent que la santé fait partie intégrante des responsabilités de la ville. Et à partir du moment où les villes s’intéressent à la santé, il y a une vraie convergence entre celles de gauche et celles de droite.
Notre méthodologie est de favoriser l’échange de pratiques et la réflexion entre les différents élus chargés de la santé et de prendre des positions publiques pour peser dans le débat, notamment en organisant chaque année 2 journées nationales d’études sur différents thèmes. L’année dernière, nous avons par exemple réalisé une journée nationale d’étude sur « santé mentale, sécurités, libertés ».

Pourquoi ce séminaire ?
Nous avions déjà un projet de travail sur la toxicomanie avec le Forum français pour la sécurité urbaine (FFSU), qui est un peu l’équivalent d’ESPT pour la sécurité urbaine. Puis il y a eu la prise de position du Collectif et celle de Jean-Marie Le Guen, maire-adjoint chargé de la santé à Paris, qui nous a missionné pour mettre en place ce séminaire destiné à éclairer le débat public sur les aspects juridiques, éthiques et sociosanitaires, et à fournir des informations ciblées et pédagogiques aux élus locaux pour leur permettre de décider en toute connaissance de cause sur la réduction des risques, et en particulier sur les salles de consommation. Avec ce séminaire, nous sommes dans le concret. Ce que les élus veulent savoir, c’est si les salles de consommation peuvent améliorer l’état de santé des usagers et du quartier, et si oui, comment on fait. Car quelles que soient les décisions du gouvernement, les salles de consommation ne se feront pas sans les élus locaux.

Comment va-t-il se passer ?
Huit villes de gauche comme de droite (Paris, Lille, Marseille, Le Havre, Mulhouse, Annemasse, Saint-Denis et Bordeaux) se sont inscrites à ce séminaire, auxquelles il faut ajouter le Conseil régional d’Île-de-France et peut-être le Conseil général de Seine-Saint-Denis. Il y aura donc les 3 niveaux de collectivités territoriales, et un échantillon de villes très diverses. Un séminaire d’une trentaine de personnes, avec une quinzaine d’élus chargés de la santé dans ces collectivités territoriales et leurs collaborateurs. Il y aura notamment 8 élus de la ville de Paris de toutes les couleurs politiques.
Le séminaire se déroulera en 3 temps : 2 journées entières d’audition d’experts et de personnalités incontestées de différents champs avec des points de vue complémentaires, voire opposés, 2 voyages dans des villes d’Europe ayant déjà des salles de consommation (probablement Bilbao et Genève) afin de rencontrer à la fois les élus de ces villes et les opérateurs, et enfin une restitution publique finale en septembre 2010 à la mairie de Paris dans laquelle les élus rendront compte de leurs travaux et prendront publiquement une position argumentée et éclairée.

La prohibition est-elle soluble dans l’Atlantique ?

L’Amérique est en train de changer. Il y a peu, l’administration Bush confondait usagers de drogues et terroristes dans les forces du Mal. Mais depuis « yes, we can », le président lui-même confesse faire partie du club de ceux qui ont avalé la fumée. Le point, à l’occasion de la conférence bisannuelle du Drug Policy Alliance, le lobby américain des adversaires de la prohibition.

« I’m feeling good ! I’m feeling really good …». Ethan Nadelmann, le directeur du Drug Policy Alliance (DPA), est heureux. « The wind is on our back » (« nous avons le vent en poupe »), enchaine-t- il sous les ovations des 1 000 délégués réunis dans la bonne ville d’Albuquerque (Nouveau-Mexique). Nous sommes en novembre, il fait doux, et 2009 est une bonne cuvée pour les partisans du changement des politiques de drogues (Drug Policy Reformers).
Il faut dire que les antiprohibitionnistes américains reviennent de loin, de très loin. Depuis quarante ans, La Guerre à la Drogue (War on Drugs) creuse son sillon sans rencontrer beaucoup d’obstacles. À l’exception d’une embellie dans les années 1970 sous la présidence de Jimmy Carter, la répression de l’usage s’est accrue au même rythme que la rigidité du consensus antidrogue. Pire, les années 1980-90 –les années crack-cocaïne – ont autorisé toute les audaces, toutes les surenchères au service de la stigmatisation de tout ce qui touche aux substances illicites. Les Démocrates succèdent aux Républicains qui succèdent aux Démocrates, et l’ensemble de la classe politique récite depuis quarante ans une litanie sécuritaire bien rodée autour d’une évidence : « Drugs are bad ! »

War on Drugs

On oublie parfois que le concept de Guerre à la drogue est une invention historiquement datée, dont l’auteur s’appelle Richard Nixon. En 1969, lors d’une célèbre intervention au Sénat retransmise à la télévision, le président fait de La Drogue l’« Ennemi public n° 1 » du peuple américain. À l’instar du communisme pendant les années 1950 ou du terrorisme d’Al-Qaïda depuis l’attaque des tours jumelles, l’usage de drogues est promu au rang des grands fléaux à combattre par tous les moyens, y compris militaires.
1969-2009 : quarante années de violences policières, d’inflation carcérale, d’expéditions armées dans les États voisins et symétriquement, quarante années d’augmentation exponentielle de la consommation, de croissance des mafias et des bénéfices générés par le trafic international. Cette guerre a causé la mort de milliers de toxicos, dealers, voisins, petits frères, membres de gangs, en grande majorité Noirs ou Hispaniques. Elle a conduit des millions de fumeurs de marijuana derrière les barreaux et elle continue de déstabiliser gravement une partie de l’Amérique Latine, au point que de nombreuses voix y réclament la fin de la prohibition.
En 2009, Barack Obama fait renaitre les espoirs de tous ceux qui tentent de résister à cette déferlante. La biographie du nouveau président, la franchise avec laquelle il aborde ses propres consommations, la directive donnée aux procureurs fédéraux de ne plus poursuivre les planteurs de marijuana, autant de signes qui apparaissent comme un revirement quasi miraculeux aux yeux des activistes partisans d’un changement de politique. Il était donc particulièrement intéressant d’aller écouter ce que disent les lobbyistes du Drug Policy Alliance sur l’éclaircie de l’année 2009.

Comme du temps de l’Amérique « sèche »

L’Amérique est décidément une terre de contraste. Nulle part ailleurs la guerre à la drogue n’est combattue avec autant de ténacité que par les Américains eux-mêmes. Le Drug Policy Alliance – ex-Lindersmith Center – est une fondation patronnée par George Soros, l’un des hommes les plus riches du monde. L’animation et la direction du réseau sont confiées à un diplômé de Harvard, ancien professeur de droit international à l’université de Princeton, le très charismatique Ethan Nadelmann. En l’espace de quinze ans, cet intellectuel new-yorkais a hissé son organisation au tout premier plan. L’ancien « think tank » un peu élitiste du début est devenu une mécanique bien huilée qui martèle une seule idée : la guerre à la drogue est un fléau bien pire que celui qu’il prétend combattre. La comparaison avec le combat des années 1920 pour sortir de la prohibition de l’alcool s’impose dès que l’on analyse l’argumentaire des Drug Reformers. Comme du temps de l’Amérique « sèche », l’interdiction des drogues est désignée comme la principale responsable de la prospérité des mafias et de la permanence de la corruption aux États-Unis.
Pour toucher efficacement l’ensemble de la société, le DPA est organisé en lobby, à l’américaine. Un système qui associe des intellectuels et des politiques d’envergure nationale, qui cultive ses relais à l’université, essaime via les forces de police ou les représentants des minorités et privilégie, bien entendu, l‘intervention médiatique. Nulle part ailleurs dans le monde une telle machine de guerre n’eut été concevable, nulle part ailleurs les enjeux ne sont aussi déterminants. De par son importance géopolitique, et du fait de la place qu’elle occupe dans ce dossier, l’Amérique influence significativement la plupart des décisions internationales prise en matière de contrôle des stupéfiants. L’année 2009 sera donc peut-être un jour qualifiée d’historique.

Ensemble disparate

Aux États-Unis, la fonction d’activiste est une affaire sérieuse. À première vue, les délégués réunis au Conference Center d’Albuquerque ressemblent à un mélange improbable de militants de la Ligue des droits de l’Homme et d’adeptes de l’Église de scientologie. Tous ont en commun une ferveur presque religieuse dans la dénonciation des méfaits de la guerre menée contre les drogués, conjuguée à la certitude d’appartenir au camp des vainqueurs, de ceux qui sont du bon côté de la barrière. Bref, aux forces du Bien.
Derrière le stand des Étudiants américains pour la légalisation de la marijuana, on aperçoit quelques adolescents joufflus. Puis on transite vers celui des Mamans unies contre le mésusage et l’abus (Mothers Against Misuse and Abuse), où des mères de famille vous étouffent sous une montagne de flyers vantant la réduction des risques. On peut également visiter le stand des Forces de l’ordre contre la prohibition (Law Enforcement Against Prohibition) présidé par l’ineffable Jack Cole, un ancien flic du DEA « undercover » qui proclame la nécessité de légaliser toutes les drogues. En flânant un peu, on se rend compte que ces militants appartiennent à toutes les chapelles de l’Amérique, qu’ils ne partagent pas forcément les mêmes opinions politiques, et que leur penchant pour les drogues est tout aussi relatif. De nombreux ex-usagers de drogues issus des programmes d’abstinence en 12 étapes sont d’ailleurs de zélés militants du DPA. Un ensemble disparate uni derrière l’idée que l’État fédéral aggrave le problème en interdisant la consommation des citoyens américains. Un exemple ? L’orateur vedette de la clôture est un libéral, plutôt classé à droite, Gary E. Johnson.

« Candidat des drogués »

Ancien gouverneur du Nouveau Mexique, cet élu du parti républicain est un adversaire déclaré de la prohibition et bat, comme tel, les estrades du pays pour briser le mur de préjugés et de désinformation qui sévit, notamment dans les rangs de son propre parti. « Une femme, raconte-t-il, m’en voulait à mort d’avoir gracié une détenue condamnée à six ans de prison pour fabrication de fausses ordonnances.
– C’est un scandale. Vous êtes un criminel. J’ai été cocaïnomane pendant vingt ans, je sais que les drogues sont des poisons.
Elle a continué à s’énerver jusqu‘à ce que je lui demande si elle pensait vraiment que la prison aurait régler ses propres problèmes. Quelques années plus tard, un homme a déclenché un ouragan médiatique en clamant partout que la drogue avait tué 6 personnes de sa communauté. Les forces de police ont rapidement arrêté le dealer, qui a aussitôt été remplacé par un autre dealer, beaucoup plus dur, qui a causé la mort de 62 personnes…»
Mais le gouverneur sait également faire dans le genre plus léger : « On dit qu’il faut protéger notre jeunesse de la drogue. Mais si vous voulez des drogues, vous avez tout intérêt à vous adresser à un jeune plutôt qu’à un vieux car ce sont les jeunes qui savent où trouver les drogues, pas l’inverse. » Des anecdotes qui font le régal d’une salle chauffée à blanc qui scande « Insanity » (« infamie ») le poing levé après chaque démonstration de l’inanité des réponses répressives.
Si le gouverneur Johnson a de l’humour, ce n’est pas un rigolo. C’est un élu de premier plan, sérieusement en course pour la candidature des Républicains à la présidentielle. Il existe peu de nations où un homme politique de ce niveau prendrait ainsi le risque d’être étiqueté « candidat des drogués ».

« Yes, we can », « si, se puede »…

Mais la grande affaire, celle qui a polarisé tous les commentaires, est bien évidemment l’analyse des intentions de Barack Obama. La personnalité du président métis est effectivement l’objet de tous les espoirs et de toutes les interrogations. Dans son discours inaugural, Ethan Nadelmann a ainsi rappelé les signes positifs émis par la nouvelle administration, à commencer par la nomination d’un « Monsieur drogue », Gil Kerlikowske, acquis à la réduction des risques et auteur de la fameuse phrase critiquant le caractère métaphorique de la guerre à la drogue : « Nous ne sommes pas en guerre contre les gens de ce pays ». Le directeur du DPA n’a pas résisté au plaisir de citer le président Obama interrogé par la presse :
« Avez vous déjà fumé de la marijuana ?
– Oui.
– Mais avez-vous avalé la fumée ?
– Excusez-moi, je croyais que c’en était l’intérêt (I believe it was the point). »
Les similitudes entre notre « moment historique » et celui qui a vu s’effondrer la prohibition de l’alcool au début des années trente ont également été mises en perspective selon un angle particulièrement éclairant : une crise économique majeure, des produits toujours plus accessibles mais fournis par les mafias, une répression sélective qui sanctionne durement les « classes dangereuses » et favorise un climat d’hypocrisie générale chez les plus favorisés socialement.
« Si, se puede », ont scandé les 1 000 délégués en clôture de la conférence. Le « yes, we can » du président, hispanisé pour la bonne cause, a servi de cri de ralliement. Et l’on se prend à rêver d’une Alliance pour un changement de politique des drogues bien française, bâtie sur ce modèle. Il suffirait d’un milliardaire franchouillard militant du cannabis, de quelques anciens ministres partisans de la légalisation de la cocaïne, d’un syndicat de policiers engagé à fond dans le combat contre la loi de 70 !!!!

Il est clair que nos deux pays ont une conception très différente de la démocratie, de la liberté individuelle et du rôle de l’Etat. Ce qui fait sens pour un élu républicain comme pour un intellectuel « de gauche » new-yorkais, c’est avant tout l’atteinte insupportable à la vie privée, donc à la sacro-sainte liberté individuelle. L’interdiction fédérale de consommer tel ou tel type de drogues peut sérieusement être présentée comme un acte anti-Américain, contraire à toutes les traditions de ce pays depuis la guerre d’Indépendance. Qu’elle se décline sur le mode capitaliste ou dans une version libertaire, cette religion du Moi est toujours une idée forte à laquelle le citoyen de base reste attaché, car elle fonde la démocratie américaine. C’est donc bien la liberté individuelle, et non pas la réduction des risques ou les questions sanitaires, qui fédère les partisans du changement Outre-Atlantique. Un exemple qu’il conviendrait sans doute de méditer en 2010 quand nous célèbrerons les 40 ans de notre loi « liberticide » du 31 décembre 1970.

Revue de presse de la salle de consommation à moindre risques à Paris ?

La revue de presse

Presses écrites

AFP, 17 mai 2009 : Hépatite C: des associations alertent sur l’épidémie chez les usagers de drogue
Libération, 19 mai 2009 : des shoots médicalement encadrés
20 minutes, 19 mai 2009 : les toxicos en premières lignes
LeMonde.fr, 20 mai 2009 : La prévention de l’hépatite C a 20 ans de retard sur le sida »
Metro, 20 mai 2009 : des toxicos en lieux surs
Le Parisien, 20 mai 2009 : Une « salle de shoot » testée à Belleville
L’Humanité, 20 mai 2009 : Prévention contre répression
Actualités Sociales Hebdomadaires, 22 mai 2009 : Une opération symbolique à Belleville pour une « consommation de drogues à moindre risque »
Politis, 27 mai 2009 : Une salle pour se shooter propre
AgoraVox, 18 juin 2009 : Injection à moindre risque les 11 et 12 juin à la Vilette
Swaps, 1 septembre 2009 : Salle de consommation, le débat s’étend
AFP, 16 septembre 2009 : Propos d’Hortefeux sur la drogue: « la répression ne résoudra rien »
Journal du sida, 21 septembre 2009 : Les salles de consommation en débat
Alter Ego, Eté 2009 : une salle de shoot à Paris
APM, Le 5 novembre 2009 : salle d’injection de drogues : Bachelot attend l’expertise de l’Inserm
Le Parisien/Aujourd’hui en Frnace, le 14 décembre 2009 : Drogues :bientot des salles de shoot en France
20Minutes, le 14 décembre 2009 : Jean-Marie Le Guen: «On ne peut pas continuer à laisser ces personnes se droguer dans la rue»
AFP, le 14 décembre 2009 : le député PS Le Guen pour la création de salles de shoot
LeMonde.fr, le 14 décembre 2009 : Le gouvernement ne veut pas de salle de shoot
Libération.fr, le 14 décembre 2009 : Interview Patricia Carieri (Inserm)
Libération.fr, le 14 décembre 2009 : L’ouverture des salles de shoot en question
20Minutes.fr, le 14 décembre 2009 : Un point de repère et de contact pour les usagers de drogues
Figaro.fr, le 14 décembre 2009 : Des salles de shoot en_france
LExpress.fr, le 14 décembre 2009: Des salles de shoot contre les ghettos de toxicos
LExpress.fr, le 14 décembre 2009 : 80 salles de shoot en Europe
20Minutes, le 15 décembre 2009 : 2009-12-15 Des salles pour les drogués
20Minutes, le 15 décembre 2009 : Les «salles de shoot», c’est «faire une croix surle destin des gens» pour Etienne Apaire
AFP, le 15 décembre 2009 : Paris vote une subvention d’étude pour des salles de consommation de drogues
JDD.fr, le 15 décembre 2009 : Salles de shoot « Nous sommes en retard »
AFP, le 15 décembre 2009 : Salles de consommation drogues: « une des pistes de solution » pour Duflot
DirectMatin, le 15 décembre 2009 : Des salles pour consommer?
LeFigarro.fr, le 15 décembre 2009 : Paris reflechit à des lieux pour se droguer
Doctissimo.fr, le 15 décembre 2009 : Toxicomanie : bientôt des salles de consommationcontrôlée à Paris ?
LeMonde.fr, le 21 décembre 2009 : Jean-François Lamour : « Le raisonnement par l’absurde de la mairie de Paris »
AFP, le 8 janvier 2010 : Frederic Lefevre et Chantal Jouanno
APM, le 12 janvier 2010 : La commission addiction pour les salles d’injection
Seronet, le 13 janvier 2010 : Salle de shoot, 2eme couche
LeMonde.fr, le 21 janvier 2010 : Appel pour l’expérimentation de salles d’accueil et de consommation de drogues à moindres risques à Paris
Infirmière Libérale Magazine, le 1 Mars 2010 : Les salles d’injection contribuent elle à une réduction des risques ?
AFP, le 11 mars 2010 : « Salle de consommation »/régionales : Act up veut une réponse « claire » des candidats en IdF
APM, le 15 mars 2010 : La Fédération française d’addictologie soutient l’ouverture de salles d’injection de drogues
AFP, le 9 juin 2010 : Le PRG demande des salles de consommation
Le Parisien, le 9 juin 2010 : Le PRG demande des salles de consommation
AFP, le 10 juin 2010 : L’UMP dénonce l’irresponsabilité du PRG
Le Monde, le 22 juin 2010 : Drogues : débat autour des salles de consommation
Le Monde, le 22 juin 2010 : Au Quai 9 à Genève, accompagnement social et shoot propre
Backchich Info, le 23 juin 2010 : A quand des salles d’accueil pour se droguer ?
Direct Matin, le 28 juin 2010 : Vers des salles de consommation ?
Hépatites Info Service, le 28 juin 2010 : Des centres d’injection supervisés bientôt en France ?
Liberation, le 6 juillet 2010 : Bachelot priée de tester des salles de shoot
Journal International de Médecine, le 7 juillet 2010 : L’inserm juge favorablement les salles de shoot
Yahoo Actualités, le 7 juillet 2010 : Salle de shoot les conclusions de l’Inserm

Radios / Audios

France Info, 19 mai 2009 : Actualités
France Culture, 19 mai 2009 : Reportage
France Inter, 19 mai 2009 : Le téléphone sonne
RMC, 19 mai 2009 : 10H-11H
Libe Labo Audio in Vivo, 20 mai 2009 : « quand tu te shootes, la mort te tourne autour »
– France Bleu ile de France, le 19 mai à 18h.
– France Inter, le 19 mai à 7H : La chronique de Danièle Messager
France Info, 14 décembre 2009 : Une proposition choc pour les drogués
Europe1, 14 décembre 2009 : Jean-Marie Le Guen
RMC, 14 décembre 2009 : Jean-Marie Le Guen et Etienne Apairechez Bourdin&Co
RTL, 14 décembre 2009 : Jean-Marie Le Guen
RTL, 14 decembre 2009 : Cécile Duflot et William Lovenstein
France Info, 15 decembre 2009 : Reportage
LCI Radio, 15 decembre 2009 : Jean-Pierre Lhomme, président de Gaïa Paris
– France Inter, 26 juin 2010 : Interview de Pierre Chappard

Télévisions

France 3 , 18 mai 2009 : le journal régional
France 3 , 18 mai 2009 : Salles de consommation de drogues: pour ou contre?
France 5 , 19 mai 2009 : le magazine de la santé
France 3, 19 mai 2009 : le journal national
France 3, 16 octobre 2009 : le journal regional – THS9
LCI, 14 décembre 2009 : Bientot des salles de consommation en France
BfmTV, 15 décembre 2009 : Ouverture de salles de consommation
France 3 Paris Ile de France, 15 décembre 2009 : Le 19-20
Public Senat, le 14 décembre 2009, debat entre Jean-Pierre Couteron (Anitea) et Julien Emmanuelli (MILDT)
France 5, Revu et corrigé, 19 décembre 2009 : Des centres pour drogués ?
M6, le 28 décembre 2009, le journal de 19h45
France 2, le 6 avril 2010, le journal de 20h
Bakchich Info, le 23 juin 2010, A quand des salles pour se droguer
Arte Journal de 19h, le 28 juin 2010, Dossier Salle de consommation

Blogosphère

Salle de shoot virtuelle chez ASUD : pavé dans la mare de la prohibition ou coup de seringue dans l’eau ?
Tatun Info, 18 mai 2009 :Ce que pourrait être une “salle de consommation” de drogues à Paris
Paris.eVous, 20 mai 2009 : Drogue : salle de consommation à Paris ?
Romandie.com, 18 mai 2009 (d’après AFP): Des associations montrent ce que pourrait être une « salle de consommation » de drogues à Paris
Ménilmontant, mais oui madame…, 18 mai 2009 : VHC : une salle de consommation de drogues dans l’Est parisien
A l’asso.net, 20 mai 2009 : SCMR…?
Les Verts au conseil de Paris, 8 juin 2009 : Vœu relatif à la création d’une salle de consommation sécurisée pour les usagers de drogues
Alain Lhostis, 8 juin 2009 : Une salle de consommation à moindre risque à Paris
Elus socialistes et apparentées à la mairie du 2ème arrondissement de Paris, 11 juin 2009 : Des salles d’injection pour une vraie politique de prévention active
Paris.fr, Le 17 decembre 2009, Une « salle de consommation » pour toxicomanes bientôt à Paris ?
Seronet.info, Le 27 janvier 2010, Salle d’injection, un appel pour changer
Les jeunes socialistes, Le 21 janvier 2010, Salle de consommation de drogues à moindre risques : une exigence de santé publique
Le blog de Jean-Luc Roméro, Le 25 mars 2010, Communiqué à l’occasion du Sidaction

Salle de consommation, Roselyne Bachelot dit oui, si….

Communiqué d’Asud, Anitea, Act Up Paris, Gaïa, Safe, Sos Hépatites Paris, salledeconsommation.fr

A l’occasion du projet de loi de finance 2010, la commission des finances et la commission des affaires sociales de l’Assemblée Nationale étaient réunie en commission élargie, le 4 octobre 2009, pour poser des questions et entendre Roselyne Bachelot sur les crédits de la mission « santé ».

Pendant cette séance, Michel Heinrich, député UMP et maire d’Epinal a posé une question à la Ministre de la santé sur l’expérimentation de salles de consommation :

« Mon rapport de 2007 sur la mission « Santé » suggérait, dans le cadre de la lutte contre les drogues illicites, la mise en place de lieux publics de consommation. La plupart des usagers aux pratiques à risques ne sont jamais en contact avec des soignants. La Suisse, après l’expérience désastreuse des scènes ouvertes, comme de très nombreux autres pays de l’Europe ainsi que le Canada ou l’Australie, ont ouvert des salles de consommation au fonctionnement strictement réglementé. Après quinze ans, différentes études ont fait apparaître une réduction des overdoses et de la mortalité, une baisse des comportements à risques, une augmentation des démarches de sevrage et une réduction des nuisances dues à l’usage de la drogue dans l’espace public. Il est établi que ces salles n’ont aucun effet d’incitation à la consommation : à Vancouver, par exemple, on a constaté une hausse de 30 % des demandes de médicaments de substitution ou de sevrage. Et il est bien clair qu’aucune drogue n’est fournie dans ces salles. Êtes-vous prête à tenter une expérimentation ?»

La réponse de Roselyne Bachelot a été plutôt positive, envisageant une expérimentation de salles de consommation à moindre risque, si les conclusions de l’expertise collective conduite par l’INSERM sur la réduction des risques chez les usagers de drogues étaient favorables. :

« Monsieur Heinrich, vous m’avez interrogée sur l’ouverture expérimentale d’une salle de consommation pour usagers de drogues par injection et consommateurs de crack.
À l’occasion de la journée mondiale contre les hépatites, le 19 mai, les associations ont réclamé l’ouverture, dans le cadre du programme de réduction des risques liés aux hépatites, d’une salle de consommation à Paris. Une telle salle serait destinée avant tout à une population très précarisée, souvent sans domicile fixe. Son ouverture, à titre expérimental, s’accompagnerait d’une évaluation de son impact sur la santé publique.
L’enquête collective que conduit l’INSERM sur la réduction des risques chez les usagers de drogues traitera, à ma demande, des salles de consommation. La décision d’ouvrir ou non, à titre expérimental, une salle de consommation sera prise au vu de ses conclusions, qui sont attendues pour la fin du premier trimestre de 2010. Au cas où celles-ci se révéleraient favorables, des porteurs de projets devront être trouvés. Deux associations, dont ASUD, ont déjà été reçues à cette fin.»

Une salle de consommation de drogue à  moindre risque à Biarritz !

Communiqué de presse d’Asud, Anitea, Act Up – Paris, Gaïa, Safe, Sos Hépatites Paris, salledeconsommation.fr

A l’occasion du colloque THS9, les associations Asud, Anitea, Act Up Paris, Safe, Gaïa, Sos Hépatites Paris, salledeconsommation.fr, installent une salle de consommation de drogues à moindre risque au Casino Bellevue de Biarritz, le 15 et le 16 octobre. Ils organisent le jeudi 15 octobre à 17h30 une conférence de presse avec la participation des intervenants de la salle de consommation de Bilbao (Espagne), qui présenteront leur structure, et les scientifiques qui ont évalué la salle de Vancouver.

Le collectif a déjà installé des salles de  consommation le 19 mai dernier à Paris lors de la journée mondiale hépatites,  puis le 11 et 12 juin dernier lors des 30eme journées de l’Anitea. Ces  actions ont eu un impact médiatique et politique.  Des élus de tout bord politique, locaux ou nationaux nous ont témoigné leur soutien.

Encadrées par des professionnels du soin et de la réduction des risques, les salles de  consommation sont des espaces qui offrent un cadre d’usage sécurisé, aux  conditions d’hygiène optimales et proposent des services  d’accès aux soins et aux droits sociaux. Elles ne  fournissent pas de produits illicites, mais ceux-ci sont amené par les  consommateurs.

Si pour les éditions  précédentes, nous avions souligné les apports de ce dispositif en terme de  santé publique (lutte contre le VIH/VIH, accès au soins,…) nous souhaitons  attirer l’attention aujourd’hui sur ce qu’il peut apporter dans les villes  dans le domaine de l’écologie et de la tranquillité  urbaine, ou pour le dire autrement sur « le comment mieux vivre  ensemble ».

En effet, malgré une répression toujours plus  forte, la consommation et le deal de drogues perdurent depuis plus de vingt ans  dans Paris, en Saint-Denis(93), mais aussi dans d’autres villes de France. La  répression a été inefficace pour endiguer le phénomène des scène ouvertes  (consommations de rue). Les mesures d’ordre publique ne peuvent être utiles  que si elles sont complétées et articulées avec une offre sanitaire et sociale  allant des centres de soins jusqu’aux salles de consommation à moindre risque !  Ce dispositif encore inconnu en France mais utilisé dans d’autres pays  d’Europe comme à Bilbao en Espagne, mais aussi en Allemagne et en Suisse, a  pourtant réussi à mettre un terme aux scènes ouvertes et à un grand nombre de  nuisances occasionnées par celles-ci.

Ne fermons pas les yeux, jouons !

Communiqué de presse Asud / Anitea

La ministre de la Santé, Madame Roselyne BACHELOT a lancé en début de semaine une nouvelle campagne qui se veut informative sur les dangers des addictions. Sur le thème de « Ne fermons pas les yeux », elle décline sous un habillage moderne et plutôt réussi des idées toujours aussi anciennes et confuses sur la dangerosité des drogues, même si c’est à la Science qu’il est cette fois demandé d’en être garant. Sans revenir sur la relative inutilité de ce type de communication, on ne peut que s’amuser ou s’inquiéter des discordances de communication sur ces questions pourtant essentielles de santé publique.
Le lendemain, en ouverture de la conférence de presse qu’il tenait dans les locaux de l’hôpital Marmottan pour y exposer les bases du projet de loi sur l’ouverture à la concurrence et à la régulation des jeux d’argent et de hasard en ligne, Eric Woerth, ministre du budget, déclarait que pour les addictions,  la prohibition, cela ne marche pas, il faut réguler.

Alors qui croire ? Ceux qui persistent à nous dire que seul le produit fait le danger ? Ceux qui feront peut-être du jeu un commerce non équitable mais un risque partagé ?
Si la campagne d’information ne mérite pas d’autres commentaires, le projet de loi est lui intéressant, par le débat qu’il permet d’ouvrir. Prenant acte qu’il est vain de lutter contre un comportement qui se banalise (25 000 sites de jeux illicites seraient recensés), il veut poser les bases d’une politique de régulation, articulant les limites de la loi, l’accompagnement éducatif et préventif, l’aide thérapeutique.

Pour les différents acteurs du secteur de l’addictologie que nous sommes, assister en directe au montage d’un tel cadre est intéressant. Dans un contexte d’hyper – modernité dont nous avons pu souvent souligner le potentiel addictogène, le fragile équilibre entre les différents axes de cette loi devra être défendu. Mais ce plaidoyer politique pour la régulation est intéressant. Il survient alors que des responsables de premier plan, sur la scène internationale, soulignent l’échec des politiques de prohibition et autres différentes guerres à la drogue.

Reste une question, bien délicate, si l’on veut réguler, si l’on veut modérer, c’est à l’homme qu’il faut revenir, à l’homme et à ses compétences. C’est donc à une éducation qui respecte le plaisir, le besoin de satisfaction mais accompagne la construction de la mesure et des limites que l’hyper – consumérisme ont mis à mal, qu’il faut travailler. Cela aiderait à sortir du morcellement des discours que cache de plus en plus mal le terme d’addiction ! Mais qui nous en donnera les moyens ?

La croisade de l’ONU contre la drogue

Un monde sans drogue, c’est possible

« Les drogues sont en train de déchirer nos sociétés, engendrant la criminalité, répandant des maladies comme le sida, détruisant notre jeunesse et notre avenir. On compte aujourd’hui environ 190 millions de toxicomanes dans le monde. Aucun pays n’est à l’abri… La mondialisation du commerce de la drogue exige une réaction internationale », déclarait en 1998 le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, en préambule de la session spéciale de l’Assemblée générale des Nations unies à New York. Lors de cette grand-messe, les pays membres des Nations unies se donnèrent dix ans, d’une part pour éradiquer la culture du pavot, du cocaïer et du cannabis, et d’autre part pour réduire significativement l’offre et la demande de drogues illicites…« Un monde sans drogue, c’est possible », tel était leur slogan. Sous l’amicale pression des états-Unis, pour qui la prohibition est une aubaine (qui leur permet de régner par la force sur une partie du monde), les nations membres de l’ONU déclarèrent la « guerre à la drogue ». Et tout ce beau monde ( Jacques Chirac en était) de se donner rendez-vous à mi-parcours afin d’évaluer les effets positifs de la croisade lancée contre la drogue et les drogués.

Nous voilà donc en 2003. L’absence de réunion préparatoire n’a pas facilité les débats lors de la 46e session de la Commission des stupéfiants. Faute de temps, mais surtout de bonne volonté, les délicates questions soulevées par les représentants de certains pays (Suisse, Hollande, Belgique…) sur le développement alternatif, le blanchiment de l’argent sale ou la réduction des risques, ont été évacuées.
Dans le document final adopté par 140 délégations, les États membres commencent ainsi par se dire « gravement préoccupés par les politiques et activités en faveur de la légalisation des stupéfiants et des substances psychotropes illicites qui ne sont pas conformes aux traités internationaux relatifs au contrôle des drogues et qui risqueraient de compromettre le régime international de contrôle des drogues ». Puis, après s’être félicités des progrès accomplis dans leur lutte contre le trafic, ils réaffirment leur volonté d’éradiquer les plantes à drogues dans les cinq ans à venir. Une dangereuse utopie de la «guerre à la drogue » défendue par les États-Unis avec le soutien de nombreuses dictatures, dénoncée par une manifestation européenne – à laquelle participaient des activistes d’Asud et du Circ – qui part du centre de Vienne pour se terminer 7 kilomètres plus loin, devant le siège des Nations unies(1).

Un bilan déplorable

Dix ans plus tard – en 2008 – force est de constater que l’offre et la demande de drogues ont augmenté partout dans le monde, et que la politique de prohibition pure et dure est un échec. La « guerre à la drogue » n’est pas qu’un concept. C’est aussi une réalité qui engendre de nombreux conflits de toute nature où sont quotidiennement bafoués les droits de l’homme les plus élémentaires.
En axant sa politique sur la répression et la stigmatisation des usagers, l’ONU a favorisé la diffusion du virus du sida. Mais les dégats ne sont pas que sanitaires, ils sont aussi sociaux : le crime organisé ne s’est jamais aussi bien porté. Au point, constatait benoîtement le directeur de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime en décembre 2008, que les cartels de la drogue ont participé au renflouement en liquidités de certaines banques victimes de la crise financière.

Ne pouvant – décence oblige – que constater les graves coûts humains et financiers de sa politique, la Commission des Nations unies sur les stupéfiants (CND) réunie à Vienne ne s’est pas avouée vaincue pour autant. Et Antonio Maria Costa, son porteparole, de déclarer que « le problème de la drogue au niveau mondial a été contenu, mais n’a pas été résolu»… L’année précédente, il annonçait même triomphalement que le « problème mondial des drogues était en train d’être endigué », tout en notant que la production d’opium afghan avait augmenté de 42% entre 2005 et 2006. Sa politique étant contestée par de nombreuses associations et par les délégations de plusieurs pays, l’ONU décide alors de s’accorder un an de réflexion pendant lequel ses différentes officines (2) se chargeront d’évaluer la pertinence des politiques menées depuis dix ans, en invitant la société civile à alimenter le débat.

Évidemment, aucune évaluation sérieuse de la politique ONUsienne n’a été entreprise. Les technocrates se sont agités pour que la Déclaration politique soit acceptée par consensus, sans lire les contributions de la coordination mondiale des ONG qui propose une politique respectant les droits de l’homme, une politique de réduction des risques impliquant les usagers.

La montagne accouche d’une souris

Le 11 mars 2009, plus de 1 400 responsables représentant 130 nations sont invités à la séance plénière du 54e sommet de l’ONU sur les drogues. Dans son discours inaugural, Antonio Maria Costa souhaite que « les États traitent la dépendance à la drogue comme une maladie et s’impliquent davantage dans la prévention, le traitement et la réduction des risques »… Une première, l’expression « réduction des risques » étant jusqu’alors bannie du vocabulaire des Nations unies. D’après le président de la CND, le trafic a pris des proportions que personne n’avait prévues. Une situation qui gangrène l’économie formelle et donne de l’eau au moulin des partisans (heureusement minoritaires) de la légalisation, et qui inquiète Antonio Maria Costa. Aussi, incite-t-il les États signataires des Conventions à lutter avec plus d’énergie encore contre le trafic, mais en aucun cas à mener une politique « en faveur des drogues ». De ce segment de haut niveau, les médias n’auront retenu que l’intervention d’Evo Morales demandant solennellement que la feuille de coca soit retirée du tableau des stupéfiants. « Si les effets étaient tels qu’on les décrits, affirme Evo Morales à la tribune, je ne serais jamais devenu président de la République. Si c’est une drogue, alors vous devez me mettre en prison.»

Parallèlement à la séance plénière, plusieurs tables rondes étaient organisées, où technocrates et experts du monde entier ont pu échanger leurs points de vue sur les axes à privilégier dans la politique à venir. Quelques représentants des usagers invités par des délégations nationales ont essayé de défendre leurs arguments.

Terminé fin 2008, le rapport de la Commission européenne sur « l’évolution du marché mondial des stupéfiants entre 1998 et 2007 » a été rendu public à quelques jours seulement de la réunion du CND… Et pour cause : composée d’experts internationaux indépendants, la commission démontre que la politique de l’ONU en matière de drogues est un échec sur toute la ligne. En témoignent les propos sans concession de Peter Reuter, son rapporteur : « La majorité des dommages observés proviennent des politiques menées plutôt que des drogues elles-mêmes » ou encore « la prohibition des drogues a provoqué des dégâts involontaires importants dont beaucoup étaient prévisibles. »

Le 11 mars, à l’entrée du bâtiment de l’ONU, des militants représentant les usagers ont distribué des tracts et brandi des pancartes dénonçant la guerre à la drogue et aux drogués : « The war on drugs destroys lives – We are not collateral damage, we are people. » (3)

Une motion déposée à la dernière minute par l’Allemagne et signée par 25 pays 4, pour demander que la réduction des risques fasse partie de la stratégie de l’ONU a provoqué l’ire de pays influents comme le Japon, la Russie, ou la Chine. Quant aux représentants de la délégation américaine, ils n’ont pas moufté, signe que la promesse de Barack Obama de privilégier la politique de réduction des risques fait son chemin (5).

L’impossible consensus

Les résultats du débat de haut niveau de la CND sont un demi-échec pour les délégations et les associations qui espéraient que l’expression « réduction des risques » figurerait dans la Déclaration politique de cette 54e session. À l’expression « Harm Reduction » sans doute trop réaliste, les technocrates préférèrent celle de « Services au soutien connexe » pour signifier timidement qu’ils vont désormais mener une politique de santé publique digne de ce nom.
Négociée en coulisses tout au long de l’année 2008, la déclaration politique finale de l’ONU est comme d’habitude pétrie de grands principes dans un vocabulaire très diplomatique et tarabiscoté. Un exemple ? Après avoir noté «l’augmentation alarmante » des cas de sida chez les usagers de drogues par voie intraveineuse, « réaffirmons notre volonté d’oeuvrer vers l’objectif de l’accès universel aux programmes globaux de prévention de l’usage illicite de drogues et au service de traitement, de soins et de soutiens connexes dans le strict respect des Conventions internationales relatives au contrôle des drogues et conformément à la législation nationale, eu égard à toutes les résolutions pertinentes des Nations unies et, le cas échéant, au guide technique de l’OMS, de l’UNODC et d’ONUSIDA, et prions l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime de s’acquitter de son mandat en la matière »… Ouf !
Et les États membres de se donner rendezvous en 2019, « la date butoir pour éliminer ou réduire sensiblement et de façon mesurable :
– La culture illicite du pavot à opium, du cocaïer et de la plante de cannabis ;
– La demande illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, et les risques sanitaires et sociaux liés aux drogue ;
– La production, la fabrication, la
commercialisation, la distribution et
le trafic illicites de substances psychotropes, notamment de drogues synthétiques ;
– Le détournement et le trafic illicite
de précurseurs ;
– Le blanchiment d’argent lié aux drogues illicites. »

Réduction des risques et prohibition : frères ennemis ou complices ?

À quoi sert la politique de réduction des risques (RdR) ? À protéger la santé de ceux qui consomment des drogues, tout en étant utile à leur entourage. Mais pour les partisans de la guerre à la drogue, tout ce qui peut aider les usagers de drogues est suspect : nous serions des défaitistes dans la guerre, des traîtres ou, pire encore, des prodrogues ! Inacceptable, donc !

Certains antiprohibitionnistes s’étaient, de même, montrés méfiants dans un premier temps : assimilée à la médicalisation des toxicomanes inscrite dans la loi de 1970 comme alternative à l’incarcération, la RdR était une fausse bonne réponse. Pourtant, les premiers militants de la réduction des risques étaient souvent eux-mêmes des antiprohibitionnistes. En 1993, avec Bertrand Lebeau, Phong, la première présidente d’Asud, et quelques autres, nous avons participé à la création du Mouvement de légalisation contrôlée (MLC), la première association antiprohibitionniste française dont Me Caballero était le président. Mais nous nous sommes rapidement éloignés du MLC. Nous n’étions pas d’accord sur la dépénalisation de l’usage : alors que nos amis du MLC pensaient que ça ne changerait rien au problème de la drogue, pour nous, passer du statut de délinquant à celui de citoyen, ce n’est pas rien. Ce n’est pas qu’une question de principe, c’est aussi une question de santé car, comme l’a montré la lutte contre le sida, plus les gens ont des droits, plus ils sont en mesure de protéger leur santé. L’alliance avec les médecins s’est faite sur cette nouvelle conception de la santé publique qui reconnaît à chacun le droit de choisir comment protéger sa propre santé.

Retour insidieux à la répression

Nous nous sommes engagés dans la réduction des risques pour obtenir des changements dans l’immédiat, sans attendre un ultérieur changement radical et même, en ce qui me concerne, pour y contribuer. S’il devient chaque jour plus évident que la guerre à la drogue est un échec, nous ne sortirons pas de cette impasse par un coup de baguette magique. Il faut expérimenter de nouvelles façons de faire, de nouvelles façons de réguler à la fois les consommations et les produits. Telle est ma position, mais que s’est-il passé en réalité ? Peut-on dire que la réduction des risques a changé la politique française ? Le seul changement majeur issu de la RdR est l’introduction des traitements
de substitution, mais comme certains le craignaient, cette médicalisation s’est accompagnée d’un renforcement de la prohibition. La réponse à l’usage est plus que jamais répressive.
Cette évolution était-elle inévitable ? La RdR a-t-elle atteint ses limites ? Je ne le pense pas.
Russie ou Thaïlande, États-Unis ou France, la RdR est une démarche qui peut s’inscrire dans n’importe quel système politique. C’est une de ses forces. Ses limites dépendent du contexte, du cadre légal et du rapport de forces. Or le moins que l’on puisse dire, c’est que le rapport de forces n’est pas favorable à la réduction des risques. Alors que nous étions parfaitement conscients qu’il ne pouvait y avoir de réelle avancée sans ce changement de la loi, nous n’avons pas réussi à obtenir la dépénalisation de l’usage. Distribuer des seringues et interdire de s’en servir est pourtant manifestement incohérent ! Le retour vers des réponses essentiellement répressives à l’usage a été insidieux. Compte tenu des résultats de la RdR, le gouvernement n’a pas pu la remettre en cause, du moins immédiatement. La loi de santé publique de 2004 a officialisé un dispositif institutionnel avec des objectifs purement médicaux : réduction des overdoses et lutte contre les maladies infectieuses. Mais la logique de la réduction des risques a été abandonnée : « La meilleure façon de protéger sa santé, c’est de ne pas consommer des drogues ! », dit-on désormais. Mais c’est bien sûr ! C’est même tellement évident qu’on se demande pourquoi nous n’y avons pas pensé plus tôt ! Sauf que ce raisonnement-là est précisément celui qui conduit à l’escalade de la guerre à la drogue. Ceux qui nous gouvernent savent très bien qu’on ne protège pas la santé des gens en les mettant en prison, mais ils sont convaincus que sanctionner quelques-uns fait peur au plus grand nombre. La peur du gendarme serait la meilleure des préventions. C’est ce raisonnement qui a conduit les Américains à incarcérer plus de 2 millions de personnes, sans supprimer pour autant ni la consommation de drogue ni le trafic. Nous faudra-t-il dix ans de répression, des centaines de milliers de vies détruites et un durcissement de la délinquance pour tirer le même bilan ?

Le désastre de la tolérance zéro

Nous nous sommes arrêtés en chemin. Avec un dispositif institutionnel restreint à des objectifs purement médicaux pour les usagers en grande exclusion, les équipes n’ont plus les moyens d’aller au-devant des nouvelles générations. En milieu festif, les actions ont été limitées à l’information. Le testing, qui fait appel à la responsabilité, aurait permis d’entrer en relation avec des usagers qui n’avaient a priori aucune demande de soin. C’est précisément une des missions de la RdR, mais le testing a été interdit et il n’y a plus de nouvelles expérimentations. De plus, la RdR en France est limitée à la gestion des consommations. À l’exception des prescriptions médicales, il n’y a pas d’expérience portant sur la gestion des produits. En Europe, les salles de consommation imposent de penser la question de l’accès aux produits, chaque ville ayant sa propre méthode, négociée avec les usagers à Genève, avec une zone de tolérance pour la revente à Berne, et même avec des
dealers dûment habilités à Rotterdam. Le cannabis a déjà donné lieu à quelques expérimentations qui répondent à une logique de réduction des risques, culture en Suisse, vente aux Pays-Bas, mais en France, le cannabis a été radicalement exclu de la logique de RdR. Résultat : nous avons connu la plus forte progression du nombre d’usagers de cannabis en Europe occidentale. Et pourtant, nous nous obstinons dans la répression ! Aujourd’hui, cette consommation se stabilise, une stabilisation que le gouvernement attribue malheureusement à la répression, alors qu’elle est tout simplement liée à l’expérience. Ce qui limite les consommations de drogues, cannabis ou alcool, ce n’est pas l’interdit, ce sont les effets qui sont ou non recherchés. Hier, j’espérais que l’Europe résisterait à la logique de guerre à la drogue à l’américaine. Mais aujourd’hui, le changement vient manifestement d’Amérique, au Nord comme au Sud (voir page suivante). Le problème, c’est que nombre de pays européens sont désormais tentés de reproduire le modèle de la tolérance zéro, à l’origine du désastre. La France fait figure de pionnière : interpellations massives, sanctions systématiques, casiers judiciaires, comparutions immédiates, peines planchers. Un modèle qui prétend prévenir la récidive, mais les casiers judiciaires démultiplient les obstacles : voilà qui ne peut qu’enfermer le plus grand nombre dans la délinquance. Les gangs américains sont issus de cette politique. Très récemment, Peter Reuter, un professeur de criminologie américain, en a fait la démonstration dans un rapport rendu à la Commission européenne (voir p. 18-19). Tout le problème est de savoir comment sortir de ce guêpier.

Convaincre le plus grand nombre

Si au niveau international, la grande majorité des antiprohibitionnistes soutient la réduction des risques, c’est que les seuls changements de la politique des drogues sont jusqu’à présent dus à la réduction des risques. Un jour peut-être l’ONU se décidera-t-elle à changer les conventions internationales, mais un changement radical ne sera possible que lorsqu’il aura convaincu une part décisive de l’opinion. L’avantage des expérimentations qui sont menées dès à présent, c’est qu’elles peuvent convaincre, par leurs résultats, des hommes et des femmes de bonne volonté, même s’ils ont a priori peur de la légalisation des drogues. C’est d’autant plus nécessaire que si la vente contrôlée de cannabis est relativement aisée à imaginer, il n’y a pas de solution toute faite pour les autres drogues, par exemple pour la cocaïne. « Dans un premier temps, il y aurait sans doute une augmentation du nombre de consommateurs », reconnaissent généralement les antiprohibitionnistes. Voilà qui n’est guère rassurant ! La plupart des gens ont peur des drogues, et au-delà de la propagande (qui a d’ailleurs été la plus efficace des publicités !), ce sont effectivement des poisons dont il faut réduire les risques. Il est clair que ce marché devra être régulé, et s’il est régulé, il y aura nécessairement du trafic. Ce serait évidemment le cas si la culture de la coca ou celle de cannabis sont légalisées. Ces expérimentations ne répondent que partiellement aux différents problèmes qui se posent sur le terrain, mais répondre partiellement vaut mieux que l’escalade continue vers une impasse.. Cocteau disait de l’opium qu’il faut s’en approcher comme on s’approche des fauves, en restant constamment sur ses gardes. Les fauves sont là, tapis dans les fossés, et il est illusoire d’espérer les exterminer tous ! Il nous faut apprendre à coexister avec eux. Autant le faire sans ajouter notre sauvagerie à la leur !

La mairie de Paris veut engager le débat sur les salles de consommations à moindre risques.

Les 8 et 9 juin dernier, le conseil de Paris a voté un vœu relatif à la politique de réduction des risques liés à l’usage de drogue. Ce voeu, qui demande l’ouverture d’un débat sur les salles de consommation, fait suite à l’action « une salle de consommation à moindre risque à Paris ? », organisée par le collectif d’associations « Asud, Anitea, Act Up Paris, Gaia, Safe, Sos Hépatites Paris, salledeconsommation.fr » lors de la journée mondiale hépatites du 19 mai. Vous trouverez le vœu du conseil de Paris ci-dessous :

CONSEIL DE PARIS, Séance des 8-9 juin 2009

Vœu de l’exécutif municipal relatif à la politique nationale de réduction des risques liés à l’usage de drogues

Les politiques volontaristes de réduction des risques sanitaires et sociaux liés à l’usage de drogues ont montré leur efficacité : le taux de prévalence du VIH chez les usagers de drogues ainsi que le nombre d’overdoses ont considérablement diminué.

Néanmoins, les risques de contamination par les hépatites B et C demeurent élevés et imposent de nouvelles actions. Ainsi, les hépatites B et C sont responsables de 8000 contaminations et de 4000 morts par an, avec des taux de prévalence de l’hépatite C allant de 70% à 90% chez les usagers de drogues injectables fréquentant les structures de soins. La prévention est en effet compliquée par le fort pouvoir contaminant du virus, le nombre important des contaminations précoces, et le fait que l’infection par le VHC est souvent durablement asymptomatique.

Sur la base de ce constat, en février dernier, la ministre de la santé, de la jeunesse et des sports, Madame Roselyne BACHELOT, a présenté un plan national de lutte contre les hépatites B et C. Cependant, ce plan n’a pas répondu aux attentes des professionnels et associations engagés dans la lutte contre ces épidémies. Alors que la répression des usagers de drogues n’a jamais été aussi forte, le gouvernement n’apporte aucun remède aux carences en matière de prévention, de dépistage et d’accès aux traitements, ne reprenant aucune des propositions concrètes des associations consultées.

Face à ces insuffisances, et afin de relancer le débat, 6 associations engagées dans la réduction des risques, l’aide aux usagers et à leur entourage, ont mis en place une « salle de consommation de drogues à moindre risque », le temps de la journée mondiale des hépatites du 19 mai. Ces salles de consommations, qui sont développées dans de nombreux pays européens comme l’Allemagne, la Suisse, l’Espagne ou la Norvège par exemple, visent à assurer l’accueil et la prise en charge des usagers les plus marginalisés, pour améliorer l’accès aux soins et réduire la mortalité directe liée à l’usage de drogues, grâce à des conditions d’hygiène optimales et à la présence de professionnels médico-sociaux.

Selon leurs promoteurs, les salles de consommation limitent les pratiques clandestines et participent ainsi d’une politique de prévention active, globale d’accompagnement vers le soin et l’insertion sociale des usagers de drogues marginalisés. Elles réduisent également les nuisances telles que, par exemple, la présence de seringues souillées dans l’espace public et limitent les tensions entre riverains et consommateurs de drogues.

C’est pourquoi, sur proposition de l’exécutif municipal le Conseil de Paris émet le vœu que le Maire de Paris intervienne auprès du gouvernement afin:

  • qu’une politique ambitieuse de réduction des risques soit mise en œuvre pour répondre aux enjeux identifiés sur le terrain
  • qu’un large débat soit engagé afin de déterminer dans quelles conditions une expérimentation sur des salles de consommation à moindre risque pourrait être menée, et une adaptation du cadre légal et réglementaire engagée

Réponse aux descentes de police dans les collèges

Communiqué de presse ASUD / ANITeA

Encore une descente de police dans un collège sous couvert de « prévention anti-drogue ». Ceci va pourtant à l’encontre de ce qu’a affirmé Michèle Alliot-Marie dans une circulaire aux préfets du 2 décembre 2008 qui a reconnu que de telles interventions « sont de nature à nuire à la compréhension et à la clarté de l’action » des services de police.

Les usagers et les professionnels du champs de la toxicomanie ajoutent que la politique de la peur, qui ne pense que loi, interdit et danger, ne peut faire office de prévention. Au contraire, elle favorise le repli sur soi, enferme les usagers dans leur consommation, empêche les professionnels de travailler et aggrave la situation.

Elle ne laisse aucune place à des actions d’Intervention Précoce sur les circonstances et les facteurs qui aggravent les risques de ces conduites (déscolarisation, dislocations des liens familiaux, traumatismes et troubles psychiques…). Aujourd’hui, l’État sous-finance ce type d’actions au profit d’actions répressives, inefficaces et coûteuses, comme les descentes dans les collèges.

Dans notre société de plus en plus addictogène, une politique de « rupture » pour employer un mot à la mode, devrait privilégier la santé au moralisme, l’éducation à la peur et la responsabilisation à l’autoritarisme.

Collèges : descentes de « prévention »
les élèves traités en délinquants

Fin 2008, policiers et gendarmes ont investi plusieurs établissements scolaires en quête de stupéfiants. Chiens, fouilles au corps … ces « opérations de prévention antidrogues » ont suscité un tollé chez les parents et les enseignants, qui ont fini par faire reculer le Ministre de l’Education. Mais le 11 février 2009, les policiers remettent le couvers dans les Pyrénées-Atlantiques… Retour sur le non-sens de la prévention par le feu.

Le 19 novembre 2008 dans le Gers, des gendarmes accompagnés d’un chien « antidrogue » font irruption dans un lycée. Ils passent dans les classes, font sortir des élèves et les fouillent à corps, ironisant sur « leurs têtes de camés ». Sept jours plus tard, une quinzaine de policiers déboulent dans le dortoir du lycée Castelnaudary dans l’Aude. Le 15 décembre, à 7H30, des gendarmes interceptent les élèves du collège de Vendres (Hérault) à la sortie du bus scolaire, les mettent face contre mur et les fouillent, tandis que les chiens antidrogue reniflent leur cartable. Bilan des opérations : quelques grammes de shit. Pour les forces de l’ordre, « tout c’est bien passé, et ces opérations de prévention antidrogues ont été un succès.»
Mais à Vendres, Daniel Guichard se met en pétard, choqué par ce « spectacle affligeant » des enfants face contre mur. Dans le Gers, un professeur raconte, effaré, l’intervention des gendarmes, suivi par un père qui met en ligne le récit d’une jeune élève fouillée à corps, et traitée de « camée » par les représentants des forces de l’ordre. Ministre de l’Éducation nationale, Xavier Darcos tente alors de calmer l’indignation des parents en chargeant la procureur de la république du Gers qui… s’empresse de renvoyer la patate chaude au principal de l’établissement. L’ANITeA se fend d’un communiqué de presse intitulé « Quand le remède est pire que le mal… », et Darcos finit par désavouer la procédure, en appelant à faire la différence entre répression et prévention.

A la stupeur générale,les policiers remettent ça le 11 février 2009 dans un collège d’Arthez-de-Béarn, dans les Pyrénées-Atlantiques. Ces actions contraires à l’annonce du gouvernement sont un désaveux pour Darcos mais aussi pour Etienne Apaire, le président de la MILDT, qui avait dit sur France Inter le 4 février à l’émission « le téléphone sonne » que ces opérations n’étaient en aucun cas de la prévention…

Plus fondamentalement, ces descentes dans les établissements scolaires posent la question de la prévention et en miroir, celle de la répression. Comment peut-on encore croire que la politique de la peur et de la désinformation peut faire office de prévention, et aider les usagers de drogue à ne pas abuser ? Comment peut-on aider les parents et les professeurs à parler drogues avec leurs enfants et leurs élèves quand on traite ces derniers comme des délinquants ?
La dramatisation des dangers des drogues illicites ne fait que renforcer la fracture générationnelle et ridiculise les parents face à leurs enfants. Dire que les drogues sont interdites parce qu’elles sont dangereuses ne tient pas pour les ados qui voient leurs parents consommer de l’alcool et les dégâts que provoque cette drogue. Elle ne tient pas non plus scientifiquement. Aucun rapport scientifique n’a pu prouver le bien-fondé d’un classement séparant drogues licite et illicites. De plus, en pénalisant et en stigmatisant l’usage, la loi de 70 empêche les ados emprunts de culpabilité et de honte de revenir vers leurs parents quand la consommation dérape. Quand les parents s’en rendent compte, il est souvent trop tard et l’usage a déjà basculé dans l’abus ou la dépendance.

Ce que ces parents indignés découvrent, c’est que leurs enfants sont considérés comme de potentiels délinquants. Ce qu’ils ressentent, c’est l’absurdité et la brutalité de la répression. . Redonner l’autorité aux parents sur la problématique des drogues, c’est pouvoir leur expliquer sans dramatiser ce que sont les drogues licite et illicites, c’est pouvoir comparer la dangerosité de l’alcool et du cannabis en montrant que le statut légal n’a pas grand chose à voir, et finalement, c’est dépénaliser l’usage. Tant que la loi sera injuste et basée sur un non-sens, elle ne sera pas un interdit symbolique, et les parents, qui en sont les relais, seront dans l’impossibilité de pouvoir la justifier. Nous ne sommes plus en 1950, quand la figure d’autorité parentale était censée suffire à définir la règle. De nos jours, les parents se doivent d’expliquer, de donner du sens à ce que vivent leurs enfants.
Dans une société qui devient de plus en plus addictogène, il est temps d’en finir avec cette politique démagogique qui fait de la loi le seul rempart contre l’usage de drogue. Une politique de « rupture » – pour employer un mot à la mode – devrait privilégier l’éducation à la peur, la santé à la morale, et la responsabilisation à l’autoritarisme.

Des députés stupéfiants

Communiqué de Presse ASUD / AFR / ANITeA / Aides / Médecins du Monde

Des députés UMP ont présenté ce jour à l’Assemblée Nationale un rapport sur la question des drogues. Leur mesure phare est le classement du Subutex® au tableau des stupéfiants, proposition qui avait déjà couru en 2006, contre laquelle s’étaient élevées très unitairement de nombreuses associations et que le ministre d’alors Xavier Bertrand avait finalement écartée.

Depuis nous avons fait du chemin. La Caisse Nationale d’Assurance Maladie renforce son contrôle, la Commission Nationale Addiction a évalué le problème et proposé des réponses tournées vers le soin, les centres de soins, les centres d’accompagnement et les médecins libéraux qui accueillent et aident ceux qui ont besoin de ce médicament pour vivre mieux (ils sont 100.000 en France) ont affiné leur prise en charge.
A l’évidence, ces députés arqueboutés sur une position répressive (envoyer « un signal fort aux usagers et aux trafiquants ») ne sont pas intéressés par le travail des professionnels et ne s’informent pas de l’avancée des idées et de la science. Dans le cadre de la Commission Addiction, mise en place par la Direction Générale de la Santé, existe un groupe d’experts sur les traitements de substitution aux opiacés (TSO), dont les avis peuvent faire autorité.
La politique du bâton, démagogiquement toujours attractive est totalement contreproductive en matière de santé publique et fait de nos bénéficiaires d’éternels boucs émissaires.
Nous réclamons au contraire un élargissement des dispositifs, un meilleurs accès aux traitements de substitution (autres molécules, autres galéniques), nous nous organisons face à cette urgence sanitaire qu’est l’épidémie d’hépatite C et qui exige que nos patients accèdent sans menace aux structures de soins. Les traitements de substitution coûtent cher à la sécurité sociale, lit-on dans ce rapport !
Sûrement moins que le traitement des maladies qui sont liées à des consommations clandestines et moins que la prison où on incarcère de plus en plus (cf la Conférence de Consensus sur les traitements de substitution en 2004.
Quand nos législateurs s’informeront ils sur ces politiques de Réduction des Risques que nous développons en France, qui existent partout dans le monde et ont fait leurs preuves tant en termes d’amélioration de la santé des usagers, qu’en termes d’ordre social ? Combien de temps encore, des positions idéologiques, moralisantes et irrationnelles persisteront et feront obstacle à une politique pragmatique, humaine, opérante, peu coûteuse et qui a fait ses preuves ?

Salle d’injection de drogues : Lettre ouverte à M. Jean-Francois Lamour

L’auteur, Christophe Mani, est directeur de Quai9, une salle d’injection supervisée à Genève.

Espaces d’accueil et d’injection, salle de consommation supervisées sont les termes bien plus appropriés que salle de shoot ou drogatoriums pour désigner les lieux qui n’existent certes pas en France, mais qui ont largement fait leurs preuves dans d’autres pays comme la Suisse.

Dans son point de vue publié dans le monde du 21 décembre dernier, M. Lamour, président du groupe UMPPA Conseil de Paris, estime que les salles de consommation de drogues supervisées sont des « antichambres de la mort ». Encore une fois, les ambassadeurs du « Non à la drogue » sont aveuglés par leur approche idéologique, au mépris des considérations humaines et scientifiques.

Ces salles ont-elles pour effet de cacher les toxicomanes dans des centres ?

A Genève, le Quai 9 est situé en plein centre ville. Après avoir été longtemps cantonné au milieu de bâtiments insalubres et après des travaux environnants, ce centre est maintenant on ne peut plus visible sur un petit ilot situé derrière la gare ferroviaire. Nombreux sont les usagers de drogues nous ayant témoigné avoir enfin l’impression de faire partie du milieu social, d’y avoir une place, fut-elle peu enviable. C’est bien sans l’existence de tels centres que les personnes sont cachées, terrées dans des caves par exemple, au risque de n’avoir plus le moindre lien avec le milieu social.
Continuer à se détruire sous prétexte de lutte contre les VIH sida, les overdoses, les hépatites C ?
Pour envisager le sevrage, seule voie possible pour M. Lamour, encore faut-il rester vivant. En Suisse, aujourd’hui les usagers de drogues sont largement devenus et depuis plusieurs années, la population dite « à risque » qui est la moins concernée par les nouvelles infections au VIH/sida. A Genève, entre zéro et deux infections de toxicomanes ont été répertoriées ces 3 dernières années, contre 91 en 1991. Les overdoses mortelles ont diminué de moitié par rapport à la fin des années 80 et début des années 90. Il est également intéressant de constater qu’une baisse majeure des nouvelles infections aux hépatites C, virus pourtant très présent dans cette population, coïncide avec l’ouverture du Quai 9. Est-ce seulement le fruit du hasard ?

Le parcours dans la toxicodépendance est transitoire. Certes des personnes y demeurent très longtemps, bien plus longtemps qu’on ne le souhaiterait pour elles et ne répondront jamais à certaines attentes de la société. La « soi-disant sécurité » dénoncée par M. Lamour est effectivement apportée par un lieu adapté, mais surtout des professionnels compétents et empathiques qui ont justement une éthique et des valeurs humanistes complètement tournées vers la vie. Un travail conséquent de relais avec le réseau de soins est mené par ces professionnels travailleurs sociaux, infirmiers ou médecins. Plusieurs institutions effectuent des présences sur place pour favoriser le lien avec les usagers qui sont en demandent d’aide. L’Association pour la réhabilitation des toxicomanes d’Annemasse (APRETO) en Haute-Savoie fait partie de ces institutions, ce qui a déjà permis à plusieurs personnes de nationalité française fréquentant notre centre d’accéder à une démarche de traitement.

Aggraver le problème de la consommation ?

Selon quelles sources M. Lamour ose–t-il affirmer péremptoirement que les expériences menées en Suisse et en Allemagne, mais aussi au Canada, en Australie, en Norvège, en Espagne, au Luxembourg et aux Pays-Bas, démontrent que l’ouverture de salle de consommation aggravent le problème ? Plus de gens sont en vie plus longtemps et nous sommes aujourd’hui confrontés à de nouveaux défis, comme le vieillissement de cette population. A l’inverse, il a été largement démontré que ces espaces ne créent pas d’effet d’attraction parmi les jeunes. On ne devient pas toxicomane juste en passant devant un tel centre. Au contraire, la moyenne d’âge des personnes fréquentant ces structures de réduction des risques a augmenté de manière constante par rapport aux années 90. La réalité montre que les personnes prêtes à prendre des risques n’attendent pas la présence de professionnels pour les surveiller. Au contraire les risques maximums sont pris en dehors de tels lieu. Les professionnels peuvent conseiller, aider à un travail de conscientisation des situations à risque, voire même proposer un travail pédagogique d’apprentissage de gestion du risque.

Une diminution de la stigmatisation et de l’exclusion, principales sources de difficultés, pour les usagers de drogues ne peut qu’améliorer la situation. Sur ce plan, la tâche reste bien sûr énorme, puisqu’elle rejoint celle de la lutte contre la précarité et la pauvreté qui concerne nos sociétés dans leur globalité et pas uniquement les usagers de drogues.

Une acceptation tacite de la société par rapport à l’usage de drogues ?

Ces centres, comme les autres programmes de mise à disposition de seringues stériles, sont effectivement une acceptation de faire avec le problème, d’accepter de voir qu’il existe, au plus proche de la réalité des personnes qui le vivent. Il ne suffit pas de décrets pour se libérer de la dépendance, qui comme le dit bien M. Lamour est un chemin de souffrance pour l’homme et pour sa famille. Cacher le problème, juger les personnes qui y sont confrontées, ne va au contraire que les enfermer dans une forme de clandestinité qui augmentera la méfiance vis à vis de toute forme d’autorité, y compris médicale. Les collaborateurs de ces centres ont justement la mission de favoriser ce travail de médiation entre les usagers de drogues et la société. Oui la consommation de drogues doit être accompagnée par les pouvoirs publics, ce qui ne veut pas dire s’en rendre complice.

Troubles de l’ordre public ?

Des règles strictes (pas de trafic, pas de violence) existent pour favoriser le bon fonctionnement de ces centres, qui ne sont pas des espaces de non droit : Les usagers reçoivent la garantie de pouvoir y accéder sans être importunés par la police, mais celle-ci peut intervenir en cas de deal ou d’autres activités délictueuses. Un travail important est réalisé avec le voisinage, afin que celui-ci subisse le moins possible d’éventuels désagréments liés à l’usage de drogues. N’étant pas ouvert plus de 7 heures par jour, faute de moyens financiers, c’est surtout en dehors de ces heures que certains problèmes d’injection dans des lieux inappropriés peuvent se poser. Par ailleurs, si nous ne pouvons pas éviter toute prise de contact entre consommateurs cherchant du produit, il est évident que le deal organisé ne se fait pas dans ou à proximité du lieu, grâce au fait que les usagers acceptent de jouer le jeu et de protéger le lieu de cet effet indésirable. Le deal cause d’importants soucis depuis plusieurs années à Genève et personne ne peut le nier. Toutefois, les plus gros problèmes sont situés dans des quartiers où notre association n’est pas présente, que cela soit avec notre centre ou notre bus de prévention.

En Suisse, comme dans les autres pays mentionnés, la réduction des risques n’est pas le seul outil utilisé pour faire face aux méfaits de la drogue. Il s’inscrit dans une approche concertée intégrant également prévention primaire, traitement et répression. Et il est certain qu’il reste nécessaire de renforcer le travail mené en matière de prévention et d’éducation, sans diaboliser les drogues, mais dans une logique de promotion de la santé. Rappelons à ce titre que le produit qui pose aujourd’hui le plus de problèmes concernant la protection de la jeunesse est parfaitement légal et même souvent valorisé; il s’agit de l’alcool. Les efforts de prévention doivent donc intégrer l’ensemble des produits qui sont d’ailleurs souvent consommés de manière combinée.

En conclusion, je souhaite adresser une invitation à M. Lamour et à l’ensemble des élus chargés de débattre de cette question, à venir visiter le travail mené à Genève et en particulier dans notre espace d’accueil et de consommation pour toxicomanes. Ils pourront ainsi juger sur pièce.

2èmes Rencontres Nationales de la Réduction des risques

Discours d’ouverture par le Président des Rencontres

Madame la ministre, Mesdames Messieurs, chers amis,

C’est au nom des associations qui ont organisé ces rencontres nationales de la Reduction Des Risques qu’il me revient de poser trois questions qui nous travaillent.

Celle des conflits de logique non résolus.
Le sentiment de ne plus progresser, vous nous démentirez peut-être.
« L’effort pour rendre l’autre fou »

Pour le premier point des évolutions récentes ont été indiscutablement favorables à la réduction des risques. Il n’en reste pas moins que les conflits de logiques entre santé publique et ordre publique continuent de l’entraver.

La Réduction Des Risques liés aux usages de drogues a effectivement été inscrite dans loi de santé publique du 9 août 2004 et c’est un progrès considérable dans l’histoire de la santé des usagers de drogues depuis 1970 : mais rappelons que ce ne sont pas des structures qui s’inscrivent dans la durée, c’est d’abord le service rendu aux usagers qui sort de la précarité. C’est un des résultats de l’unité que nous construisons. La seconde édition de ces rencontres inter associative en est un second et votre présence l’honore

Plus largement, les lois du 02. 1. 2002 et du 03. 3. 2002 « consacre le droit des usagers et des malades ».
Accréditations, agréments, attestent de l’engagement des institutions aux respects de ces droits des usagers et des malades qu’elles reçoivent.
Évaluation interne, externe, démarche qualité, ont pour but de sans cesse améliorer les offres de services aux usagers. Il s’agit avant tout de répondre à leurs besoins, de les recueillir pour s’adapter et améliorer notre efficacité. Elles ont pour fonction de « vérifier » l’application des dispositions « réglementaires », dont celles concernant les usagers.

De son côté, l’éducation à la santé, la promotion de la santé (la charte d’Ottawa, les principes d’actions de l’OMS), supposent une implication des personnes concernées par une action destinée à protéger leur santé. Elles sont des ressources, pas un problème. La santé communautaire renforce cette implication démocratique qui rappelle clairement que les « usagers » et les « malades » sont des citoyens en premier lieu. La lutte contre le SIDA, matrice de la RDR porte en elle par essence cette exigence : sous ton pyjama, la pompe dans le bras ou sous les arbres du bois de Boulogne, tu restes un citoyen.

En matière d’addiction, les travaux admis distinguent trois niveaux d’usage de produits addictifs, quelques soit leur nature : l’usage, l’abus, la dépendance. En matière d’usage de drogues, du point de vue social, médico-social ou sanitaire, les deux premiers qualificatifs (usage, abus) relèvent du droit des usagers. Le troisième relève à la fois du droit des usagers et du droit des malades.

Du point de vue légal « usage, abus, dépendance » relèvent de la sanction pénale, sans distinction. Ces derniers temps, la sanction continue de s’alourdir : la passion l’emporte toujours sur la raison ?
Est-ce que ces conflits de logique sont encore tenables ? Ils ne sont plus seulement « RDR / répression », ils sont devenus « droit des usagers et des malades / répression », c’est une autre dimension, la dimension est citoyenne. Le rapprochement s’effectue. Dans quel sens ?
Si le droit de la drogue et sa répression est une exception acceptée pour « les marginaux » puisqu’ils y contreviennent, à quand ses fondements pour tous ? Un cinquième des Européens consomme du cannabis, ça commence à faire beaucoup de marginaux… Au fait c’est la saint Edvige : bonne fête Edvige ?

Ces conflits de logique sont-ils si récents ? Pas sûr. Une chose m’a toujours interrogé. Pourquoi la « prévention des drogues » auprès des jeunes est confiée en partie, de plus en plus grande, à la police ? Parce qu’il y a un conflit de logique fondamental entre l’approche sociale et médico-social et celle de la police. La première parie sur l’éducation, la seconde parie sur la peur. Avec l’approche RDR sur le fond, c’est encore pire. La preuve, la police, en France, ne fait pas de RDR.

Faire avec les contradictions politiques entre santé et répression n’est plus assumables. Toutes les organisations réunies ici ont pris position au moins pour la dépénalisation de l’usage de drogues. Il reste cependant des débats : est-ce bien le moment, ne risquons nous pas d’avoir pire ? Et bien moi, depuis 25 ans, j’entends que ce n’est pas le moment et je ne suis pas sur que nous soyons si loin du pire comme avec le VHC ou la situation dans les prisons. C’est donc bien le moment de sortir de la censure

Au moment ou l’évaluation est reine, il n’est plus possible de nier les réalités : La terre n’est pas plate et le soleil ne tourne pas autour d’elle. Il faut bien le dire, les incohérences induites par la pénalisation des drogues constituent un frein majeur au développement de la réduction des risques. Il n’est plus possible de proclamer que l’on soutient la réduction des risques tout en refusant de remettre en cause le cadre légal. Il est à ce point utile de rappeler que si la politique de la France s’inscrit dans les conventions internationales, rien ne l’oblige à pénaliser l’usage simple des drogues. C’est un principe clé de la charte Européenne de la RDR… Ce matin, contrairement aux injonction au silence, nous avons entendu des femmes et des hommes politiques qui partagent nos idées.

Second point
Nous ne progressons plus

la RDR a donc fait ses preuves, en France, en Europe, partout dans le monde où elle a été développée dans la lutte contre le VIH et le soutien des personnes atteintes, l’un ne fonctionnant pas sans l’autre. Au contraire, partout où la RDR est combattue, ignorée, les usagers se contaminent et meurent en masse comme en Russie ou, en bonne logique d’éradication, ils sont abattus comme en Thaïlande. Alors, si nous ne sommes pas en France dans cette situation, malgré tout, nous ne progressons plus ou pas assez encore.
En matière de VHC, les résultats sont effectivement moins probants. Les contaminations sont massives, elles interviennent tôt et trop peu de personnes sont traitées.

Nous répétons que ce n’est pas la RDR qui est en échec avec le VHC ou que les opérateurs n’en font pas assez, ils sont là devant vous parce qu’ils veulent justement en faire beaucoup plus, (il ne sont pas tous là parce ue pendant les journées, la RDR continue…). Mais c’est parce que nous ne poussons pas les logiques de la réduction des risques jusqu’au bout. Elle est toujours « handicapée », « empêchée » des conflits de logiques entre l’ordre et la santé publique.
Alors oui, nous nous posons des questions. Quelle est la volonté de lutte, quels sont moyens de lutte, quels soutiens effectifs sont apportés aux personnes concernées, aux équipes sur le terrain ?

Pourquoi nous n’avançons nous plus ?

– Est-ce du fait d’une pression prohibitionniste internationale avec par exemple, venue des états unis, des velléités d’interdire la bubrénorphine dans le monde (SWAPS) d’ailleurs qui nous représente à l’ONU ? Et dans les instances Européennes Pourquoi n’y a-t-il pas de représentants des associations qui accompagnent ces représentants alors que les autres pays de l’Europe le font ? Nous ne sommes pas sortable ? Quel discours est porté ? ne serait-il pas quelque peu univoque ?

– Est-ce du fait d’un discours politique et social qui reste fondé sur des « préjugés » moraux essentiellement. Ne serait-ce pas là le résultat du refus d’un débat public sur les drogues, (on en parle entre nous mais ne le répétez pas) ? Mesdames Barsach, Veil, Maestracci, n’ont-elles pas au fond « évité » le débat qui devient incontournable ? La RDR « à la française » peut-elle continuer avec une main droite qui ignore la main gauche et inversement, n’est-elle qu’une politique du malgré tout ?

– Est-ce du fait d’un refus d’évaluer ? Nous avons certes des taux de morbidité, mortalité, d’incidence, de prévalence mais quid des recherches sur l’impact de la RDR sur la sécurité, de l’efficacité de la répression, des coûts de santé liés à l’absence de mesures adéquates connues, de l’intégration en premier par les usagers de la RDR, de leur association aux programmes ?

Nous DEVONS progresser, nous en avons les moyens : au moins généraliser l’existant, couvrir correctement le territoire et nous n’y sommes pas, et mieux (la qualité !), développer l’offre de service aux usagers fondées sur leurs besoins réels et non pas sûr ceux imposés par… une norme pénale ?
Nous ne plaidons pas coupable, nous plaidons responsable. Nous ne plaidons pas réhabilitation ni reconnaissance, nous plaidons citoyenneté, droits.
Il n’y a pas lieu d’être coupable de prendre de drogues ou d’informer sur ce qu’elles sont. Mais nous sommes responsables parce que les usagers et les professionnels ont largement montré leur capacité de changements face à l’épidémie de SIDA. Face au VHC nous connaissons des moyens qui sont capables d’attaquer le virus par tous les bouts : mieux prévenir, mieux diagnostiquer, mieux soigner, mieux accompagner. Les moyens existent. Ils ne sont pas disponibles.
Ce n’est pas acceptable en citoyen : chacun doit pouvoir se prévenir ou soigner.
Ce n’est pas acceptable en droit, usager ou malade, même délinquant.
C’est bien pour cette raison que nous devons continuer à développer la palette d’offres de RDR aux usagers et sans doute nous aussi nous devrons mieux nous former, mieux adapter nos pratiques aux nouveaux contextes, mieux évaluer l’impact de nos programmes.

Mais il y a d’autres choses à considérer. Par exemple connaissez vous le paradoxe communautaire de l’usager de drogue, ou « L’effort pour rendre l’autre fou » ? C’est l’histoire d’un mec, (une allusion à Coluche qui a dit que le communisme on l’a pas essayer sur les animaux avant de l’appliquer aux hommes, c’est comme la prohibition) bref l’histoire d’un usager, assez alerte pour s’intéresser à la vie autour de lui. Il rencontre une association de RDR dans la rue et un lien se construit puisque nous faisons de la clinique du lien. Ses qualités personnelles, sa volonté de participer est forte et il rejoint l’équipe bénévolement. Ses connaissances du milieu, des cultures d’usages, sa connaissance des gestes, ceux qu’il a acquis pour réduire les risques, sa connaissance des produits consommés et des contexte en font un collaborateur précieux. Il est donc embauché et intègre l’équipe salarié comme « intervenant », « intervenant de proximité », « acteur communautaire », c’est sa fonction. Son statut conventionnel est celui de faisant fonction, de moniteur éducateur ou d’éducateur par exemple. Son rôle est de développer une action de proximité, d’apporter une expertise d’usager. Depuis sa structure est devenue CAARUD et s’il y a des avantages il y a de nouvelles exigences. Qualifier le personnel par exemple. Intervenant bénévole devenu professionnel, « notre » usager pourrait faire éducateur par exemple.
Le problème c’est que c’est un motif d’interdiction professionnel d’être usager de drogues lorsqu’on est éducateur ! Ou encore si par malheur il était arrêté pour usage, être éducateur serait pour lui une situation aggravante et doublerait la condamnation. C’est en tout cas ce que prévoit la loi prévention et délinquance. Pourquoi donc dés lors, cet usager serait-il assez fou pour se mettre dans cette situation ? Pourtant il a respecté le référentiel RDR en ne consommant pas pendant son activité. Pourtant c’est sur lui que l’on s’appuie comme lors du dernier appel de l’OFDT qui cherche des informations sur une héroïne jugée particulièrement dangereuse (d’ailleurs c’est urgent, si vous avez des tuyaux…).
Donc nous proclamons l’usager acteur de sa santé, mais dés qu’il devient acteur de santé (communautaire), il risque juste de ramasser deux fois plus. Si des doutes subsistent sur les propriétés schizophréniques du cannabis je n’en ai aucun sur cet effort pour rendre l’autre fou. Je vous laisse méditer mais pour moi, il y a là de quoi rendre dingue…

Au fond il y a quelque chose de plus systémique qui cloche, qui rend fou ?
D’un coté plus de droit : du consommateur, du «client roi », du malade, de l’usager, de l’handicapé, de la personnes dépendante (physiquement entendu…), c’est important.
De l’autre plus de suspicions, de contentions, de contrôles : du chômeur, du Rémiste, de l’assuré social, du délinquant, de l’étranger, « du toxico », c’est normal.
Comment s’y retrouver ? Comment ne rien prendre, du coup, « Je bois pour oublier que je bois… » raconte le petit Prince, pour oublier le reste ? Ou alors on peut prendre un p’tit générique d’antidépresseur encore remboursé ?

Faut-il se résoudre aux scandales (du sang contaminé, de l’amiante, de la vache folle) pour que le pays agisse ? Nous avons par exemple des projets concernant les pipes à crack ou l’ERLI. Les acteurs ont développé une approche technique, scientifique, d’expertise des usagers, associé à des chercheurs. Ils négocient, répondent à toutes les questions, sont prêts à évaluer et être évalué… Mais, mais, mais, mais, mais, ça traîne. Lorsque les associations travaillent à la proposition de projets « consistants » pourquoi faut-il qu’elles retrouvent des positionnement militants, politiques, de dénonciation, pour se faire entendre ? Pourquoi les négociations n’aboutissent pas ou alors dans des calendriers millénaristes ? Peur de l’innovation ? Absence de culture du progrès ? Franchement on pourrait aller plus vite. Demain des projets innovants peuvent démarrer sans attendre : les expertises sont faites (le bench marking à la mode), les revues de littératures et constats sont faits, l’ingénierie de projet est solide, les protocoles d’évaluation prêts. Il y a d’autre programmes à envisager et du temps à prendre mais faisons ce que nous pouvons déjà faire, tout de suite, maintenant.
Alors oui on veut bien parler, on est même très bavard, mais pas pendant cents ans.

La RDR est bien une innovation sociale qui n’a pas le temps d’attendre que tout soit réglé, elle a bouleversé les pratiques et les mentalités, elle a associé acteurs de terrain, usagers, chercheurs, et même des fonctionnaires pour démontrer son efficacité évaluée.
Ce travail de bouleversement des pratiques et des mentalités par l’évaluation doit se poursuivre parce que les préjugés et les idées simplistes sont nos pires ennemis. Les travaux des groupes de la commission nationale des addictions auxquels nous participons tous semblent confirmer cette démarche et nous comptons bien y prendre une part active. Nous ne redoutons pas l’évaluation, pour nous c’est un levier. Mais la responsabilité est politique et sans un message clair, non seulement nous ne progresserons pas mais en plus, nous deviendrons fous.

Beaucoup de ceux qui sont ici ont vécu les années noires du SIDA et ont enterré beaucoup d’amis. Vous en êtes, vos engagements dans la lutte contre le SIDA ne date pas d’hier, je le sais, des amis angevins me l’ont dit.
Avec le VHC, c’est le retour de ce cauchemar. C’est insupportable, nous en avons marre d’être dans la survie. Combien de temps les français ignoreront que nous ne faisons pas ce que nous pourrions faire en sachant que c’est efficace ? Combien de temps mettront-ils pour découvrir que leurs proches auraient pu être sauvés ?

La RDR est pragmatique et il est question de l’explosion des dépenses de santé. Avec le VHC nous faisons le pari de les réduire considérablement en attaquant vraiment l’épidémie par les deux bouts : la prévention et le soin. C’est le seul moyen de réduire les risque et les coûts de santé liés au VHC. DONNONS NOUS nous les moyens de le faire !!! DEPASSONS LES FOLLES RESISTANCES !!!

Dans l’histoire de la réduction des risques, les associations ont dues se mobiliser très fort pour être entendues. « Éradiquer les drogues » n’est pas une objectif tenable et encore moins efficace. Zéro risque, zéro défaut, zéro tolérance, ça n’existe pas. La réduction des risques n’est pas qu’un instrument éphémère réductible au seul champ des maladies infectieuses. C’est un paradoxe de le rappeler alors que c’est justement le VHC qui nous explose à la figure ? Est-ce que ce ne serait pas plutôt le contre effet de n’avoir pas pu développer, assumer, une réduction des risques qui soit une réelle alternative globale dans le champ de la consommation de produits quels que soient leur statut ou plus largement encore, des conduites à risques comme la vie par exemple ?

Les réducteurs de risques sont fréquemment accusés de vouloir banaliser, accepter les drogues. D’autres préfèrent dramatiser et stigmatiser. Faire de cette question une question normale nous paraît juste. En faire « Le fleau absolu » nous conduira dans le mur en claxonnant.
Nous ne sommes pas un parti politique mais nous avons une responsabilité politique, celle de porter le débat public. Il manque en France en dehors des cercles d’initiés. Ces rencontres inter associatives ont pour but d’alimenter ce débat. Elles devraient vous aider à défendre la juste voie. Rares sont les politiques qui ont démontré une si forte efficacité : comment se fait-il que ces résultats ne soient pas rendus public, revendiqués pour soutenir d’aller plus loin au contraire des préjugés qui minent notre démocratie. A quoi sert le discours sur l’évaluation si c’est en éluder les résultats dés qu’ils PROUVENT ?

J’ai cité plus haut Mesdames Simone Veil, Michelle Barsach, Nicole Maestracci. Je me suis permis une question critique à leur égard mais c’est parce qu’avec Anne Coppel, ce sont les grandes dames de la Réduction Des Risques en France.
Nous voudrions, Madame la Ministre, que vous rejoignez « ce quarteron » de combattantes des idées reçues. Toutes ont eu raison. Ne nous donnez pas tord.

Juste une petite blague pour balayer devant notre porte. Il nous a été demandé s’il était possible de rendre anonyme les badges des usagers qui participent à ces rencontres. Du coup c’est plus facile de les reconnaître, ce sont ceux et celles qui n’ont qu’un prénom.

Le Planplan (de la Mildt)

Plan plan, Rantanplan, Plantigrade, plantation, planétarium… Il y a mille et une manières de faire des plans, de rester en plan ou de tirer des plans sur la comète.

Annoncé à grand cris, soit pour le critiquer à l’avance, soit pour prévenir que… vous allez voir ce que plan veut dire, le plan gouvernemental de lutte contre la drogue et les toxicomanies est-il un événement considérable en matière d’addiction ? En bien ou en mal ?
Quand je lis la place accordée à la prévention « disqualifiante », celle qui pense que pour empêcher les jeunes de consommer, il faut que des adultes leur disent que la drogue c’est pas bien, je me souviens de Matt Southwell à la Xe Conférence internationale de réduction des risques de Genève racontant l’odyssée des jeunes acteurs anglais de la campagne antidrogue « Just say no ! » (fin des années 90). Ils en avaient pris tellement pendant le tournage, qu’il a fallu leur faire subir une cure de désinto expresse avant de les rendre à leur parents !

Ce plan-là, il fait dans le sérieux, le technique. Et n’en déplaise aux critiques, dans la continuité. J’ai beau lire et relire les passages qui inquiètent tant une partie de nos amis du soin et de la réduction des risques (le rappel constant à la loi, les références morales, le poids de la prévention au détriment du soin), je ne vois rien de fondamentalement différent de ce qui a précédé.
Non, le décalage essentiel entre la lutte contre la drogue et les autres activités gouvernementales est que la lutte contre la drogue ne s’adresse jamais aux gens qui en sont prétendument l’objet. Les consommateurs ne sont pas les destinataires du plan qui sont, par ordre de préséance, les partis politiques, les associations familiales, les personnels en charge du secteur, les policiers et les douaniers. Mais vous ou moi ? Jamais. Je dis vous ou moi, façon de parler, j’entends ancien ou futur consommateur ou tout au moins, intéressé par l’acte de consommer, engagé dans un soin relatif aux addictions, amateur de ce que les drogues engendrent comme univers, comme culture. Bref, intéressé par les drogues. Pas pour s’en faire une gloire ou pour le déplorer, mais pour comprendre comment ça se passe. Voilà le grand absent du plan et de la plupart des plans qui l’ont précédé. Voilà la grande différence entre un plan de la Mildt et un plan de lutte contre la pauvreté ou contre le cancer. Dans ces derniers cas, la référence symbolique, parfois introduite avec un trop-plein de pathos, c’est le pauvre, le malade, le chômeur, la personne handicapée… C’est à eux que l’on adresse des encouragements ou des avertissements.
Mais quand il s’agit de La drogue, les plans gouvernementaux ne s’adressent jamais aux usagers.
On pourrait rétorquer qu’un plan de lutte contre la délinquance ne s’adresse pas non plus aux criminels. Mais alors, pourquoi parler de maladie ? Pourquoi légaliser les soins destinés aux addicts et faire ensuite semblant d’oublier qu’ils sont la clé du succès… ou de l’échec d’une politique.

Dans la vraie vie, l’usage de drogues est associé à des pratiques festives, à la convivialité, la séduction, au sexe et à de la rigolade. Bien des contextes absolument exclus du genre plan-gouvernemental-de-lutte-contre-la-tox dont les mots-clés se déclinent en sida, pauvreté, violence, souffrance, exclusion… prison.
Comment voulez-vous que les millions de nos concitoyens qui consomment ou qui vont consommer (oui c’est bien de vous dont je parle) se sentent le moins du monde concernés par toutes ces mesures justement destinées à les empêcher de consommer ?
Et Sans parler des millions d’adolescent(e)s qui n’ont pas encore réellement consommé, et pour lesquels on ne prévoit rien d’autre que l’abstinence comme une sorte de futur obligatoire. Une fiction qui disqualifie d’entrée toute possibilité de dialogue avec ceux qui ont déjà en tête un petit joint par-ci, une petite cannette par-là. Pour engager le dialogue, comprendre comment ça se passe, il faut éviter de condamner par avance, sinon la bouche de votre interlocuteur se referme comme une huître et vous pouvez continuer la discussion… avec les parents.
Des parents qui se trouvent ici à nouveau annexés au monde virtuel de l’antidrogue. « Relégitimer les adultes dans leur rôle », « Quand les parents mettent plus d’interdits (…) il y a un effet sur les consommations ». Le rôle des parents dans le théâtre des drogues est un sujet inépuisable. Comme si les parents ne pouvaient être eux-mêmes concernés par des consommations dures ou douces !

Cela fait 15 ans que la réduction des risques a compris que pour sortir de la fusion entre prévention et répression, il faut remettre les usagers et les futurs usagers de drogues au cœur du dispositif. Et pour cela, une seule méthode : le non-jugement. Pas seulement à l’égard des usagers atteints d’une hépatite ou malades du sida ni même pour les personnes en traitement de substitution, qui sont des usagers du système de santé. Le non-jugement, c’est pour votre collègue de travail qui se poudre le nez tous les samedis soirs, pour le petit copain de votre fille qui tire sur un bédo, pour votre maîtresse qui écluse son whisky en cachette. C’est de vous et de nous qu’il s’agit, pas d’eux, les autres, les toxicomanes.
Et dire que dans sa lettre de mission, Monsieur le Premier Ministre parle du centenaire de la loi de 1909, la première loi internationale édictée contre les stupéfiants. Il est sidérant de célébrer ainsi une loi qui a à ce point failli dans la tâche qui lui était assignée. Soyons honnêtes, peut-on imaginer cent ans plus tard pire situation au regard de tous les critères communément admis ? Peut-on sérieusement croire que ces lois ont limité le nombre de gens qui fument du cannabis, qu’elles ont contribué à réduire la fabrication d’héroïne ou de cocaïne ? Et plus que tout, qu’elles ont facilité la prise en charge des personnes addictes ?

Ces arguments ont été battus et rebattus. Ce qui compte, ce n’est pas La drogue mais l’idée que l’on s’en fait. Ce n’est pas les gens qui prennent des drogues, mais les parents de gens qui prennent des drogues, les forces de police qui arrêtent les gens qui prennent des drogues, les gens qui vendent des drogues aux gens qui prennent des drogues, et les gens payés pour soigner les gens qui prennent des drogues. Tant que cette logique prédomine, il n’y a pas de bons ou de mauvais plans de la Mildt, il n’y a que des bons citoyens et des mauvais drogués.

Des lois, encore des lois, toujours des lois

Après la loi sur la prévention de la délinquance, ses injonctions thérapeutiques et ses stages payants, celle sur la récidive peut désormais mener en prison pour simple possession de quelques grammes de beuh. À défaut de réformer la loi de 70, le gouvernement se concentre donc avant tout sur la répression.

Le cannabis, dont étaient si friands les médias, ne fait plus recette en 2008. S’il y a bien eu quelques frémisse­ments, le dernier remonte à la nomination, en lieu et place de Didier Jayle, mal à l’aise dans ses pompes de docteur, d’Étienne Apaire, un des proches collaborateurs de Nicolas Sarkozy au temps où il menait à la baguette le ministère de l’Intérieur.

Tolérance zéro

Étienne Apaire est un des artisans de la « Loi sur la prévention de la délinquance » votée en mars 2007, la dixième loi pénale votée depuis que la droite a pris le pouvoir, une loi qui transforme les « maires » en flics, durcit les sanctions contre les mineurs, les­quels peuvent se retrouver en taule dès l’âge de 13 ans, une loi stigmatisante et très répressive, qui compte aussi nom­bre de « dispositions tendant à prévenir la toxicomanie et certaines pratiques addictives ». Des dispositions qui sont passées inaperçues.
Parmi ces mesures, que Nicolas Sar­kozy ose présenter comme une réforme de la loi de 1970, l’injonction thérapeu­tique est toujours la reine. « Aucune infraction dont l’auteur est identifié », précise Nicolas Sarkozy « ne doit rester sans réponse ». Et ce, même si la faute « peut apparaître vénielle ».
Cette politique a un nom : la tolérance zéro. Pour atteindre son but, le ministre propose de généraliser les tests de dé­tection du cannabis sur les routes comme dans les entreprises, et de se lancer dans la chasse aux consommateurs, en ajoutant à l’arsenal des peines existantes de nouvelles peines complémentaires.
Déjà inscrite dans la « Loi sur la pré­vention de la délinquance », la seule me­sure spectaculaire que le nouveau « Mon­sieur Drogue » ait annoncée lors de sa nomination est l’instauration de « stages de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants »… Des stages payants par le contrevenant, qui devraient être effectifs à l’heure où je vous écris.
Autre loi qui concerne les amateurs de drogues psychotropes : celle sur la récidive. Un texte voté le 10 août 2007, en dépit des réserves exprimées par une partie du monde judiciaire et par Maître Badinter, qui jugeait ce texte « inutile, implicitement vexant pour les magis­trats et potentiellement dangereux » .
Directement inspirée de la politique étasunienne qui a fait de l’industrie péni­tentiaire un secteur d’activité florissant, cette loi oblige les juges à prononcer des peines d’au moins un tiers de la peine maximale encourue à l’encontre des ré­cidivistes (cela concerne les crimes et délits passibles d’au moins 3 ans d’emprisonnement), et supprime l’article 4132-24 du code pénal qui garantissait l’indivi­dualisation des peines. Mais comme le permet le texte, un juge pourra toujours prendre une autre décision que celle im­posée par la loi, à condition de la motiver spécialement. En cas de seconde récidi­ve, ce sera plus compliqué, le condamné devant présenter des garanties « excep­tionnelles » de réinsertion pour échapper à la prison.

Rassurer le bon peuple

Parions que de nombreux juges, par facilité ou par crainte de passer pour laxistes, se tairont, même s’ils pen­sent la peine disproportionnée avec l’acte commis… Souvenez-vous de Rachida Dati convoquant le vice procureur de Nancy qui avait refusé d’appliquer une peine plancher ! « J’ai vu en comparution immédiate un jeune homme de 20 ans qui a acquis 2 grammes de cannabis en récidive pour sa consomma­tion personnelle. La peine plancher est de quatre ans ferme : c’est totalement dispro­portionné ! », s’exclame ainsi un magistrat dans les colonnes du journal Le Monde, qui consacrait un dossier à ce sujet.
Ne doutons pas que la loi sera appli­quée dans toute sa rigueur imbécile, avec pour conséquence de remplir un peu plus des prisons déjà surpeuplées. Les experts prévoient d’ailleurs que les peines plan­chers vont, en quelques années, envoyer 10 000 personnes en prison.
En quatre ans, pas moins de trois lois ont été votées concernant la récidive. Des lois qui veulent rassurer le bon peuple au détriment de toute réflexion sur le sujet, car chacun sait que paradoxalement « la prison, parmi les premiers facteurs crimi­nogènes, favorise bien davantage la réci­dive qu’elle ne la dissuade ».
Concernant le cannabis, la seule politique du gouvernement, c’est la répression. Pas forcément une répression spectaculaire avec convocation des médias au petit ma­tin dans une cité, mais une répression mes­quine, discrète, répétitive, stigmatisante, dont le seul objectif est de pourrir la vie de l’amateur de cannabis en multipliant les contrôles, en se servant des outils ju­ridiques à leur disposition, la comparution immédiate comme la composition pénale, pour dissuader le consommateur.

Démonstration

Pour arrondir des fins de mois difficiles, Christophe monte une petite entreprise de vente de haschich… Par un malencontreux hasard, il se fait prendre. Or, la cession – que ce soit contre argent comptant ou à l’amiable – est punie par la loi de dix ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende.
C’est du passé tout ça. Christophe ne deale plus pour arrondir ses fins de mois. Il fume de temps en temps, c’est tout. Mais un jour qu’il revient de chez un pote, lequel lui a offert 1 ou 2 têtes de beuh, les pandores l’arrêtent et tombent sur le sachet qu’il n’avait même pas pris la peine de planquer.
Comparution immédiate, déjà condamné pour trafic dont la peine maximale est de dix ans. Les deux tiers de dix, ça fait quoi ? Ça fait quatre ans de prison. Le tour est joué. Pour quelques grammes de beuh, le voilà derrière les barreaux.

« Tout doit être fait pour diminuer l’emprise de la drogue sur les quartiers », rencontre avec Fadela Amara

Dans un souci de clarification de l’image d’ASUD et de communication en direction du monde politique nous avions rencontré Christine Boutin au Palais Bourbon le 30 janvier 2007 (voir Asud journal n° 32). Puis, la fin de notre collaboration avec la MILDT ont rappelé aux partisans de la politique de réduction des risques que l’auto-support peut être mal compris voir diabolisé. Kate Barry ayant eu l’amabilité d’ouvrir son carnet d’adresses pour ASUD nous avons donc continué de rencontrer des membres du personnel politique, en l’occurrence Fadela Amara, ancienne présidente de l’association “ni pute ni soumise”, et actuelle Secrétaire d’État à la Ville.

Un peu d’histoire

Le Secrétariat à la Ville est installé en plein quartier des ministères, juste en face des Invalides. C’est l’ancien Ministère de la marine marchande, bâtiment austère qui fleure bon la république. On pourrait croire Mlle Amara , un chouille dépaysée dans ce décors un peu vieille France. C’est oublier un peu vite que la république c’est aussi La Plus Grande France – la France de l’Empire Colonial – qui s’est hissée sur trois continents, notamment grâce à ses bateaux marchands. D’ailleurs la première chose qui frappe dans le bureau de Madame la Ministre est un véritable monument d’art colonial , une fresque magnifique, peinte à la main, qui orne le mur sur toute sa longueur: Marianne, dressée au centre de l’Hexagone, brandit le fanal de la liberté pour éclairer les peuples d’Outre-Mer : hommes bleus du désert, guerriers bantous du Delta du Zaïre, chasseurs Sarakoulé de l’empire du Mali ou montagnards Hmongs des plateaux indochinois. Bref notre ministre , née à Clermont-ferrand, peut saluer chaque matins ses ascendants Kabyles, figurés en pagnes en haut à droite de la scène.

“Je ne crois pas que mes ancêtres aient pu avoir cette tête-là” nous dit-elle. Il n’importe, le foisonnement de peaux couleurs crème, café noir ou café au lait du ministère de la ville ne fait que renouer avec la vieille tradition française du métissage et du mélange, fut-ce par le fait colonial . Deux décennies entachées par la xénophobie du Front National nous l’ont parfois fait oublier .

La ville et la drogue

Mais revenons à nos moutons ou plutôt à nos éléphants roses, et posons la question à Madame le Ministre, quid de la drogue dans la politique de la Ville ?

“il y a trop de produit dans les quartiers, et je ne parle pas de la zetlah , parce que ça c’est rien, mais du reste, notamment la coke qui séduit de plus en plus de jeunes des quartiers .Tout doit être fait pour diminuer l’emprise de la drogue sur les quartiers”

Le dialogue étant engagé sur ces bases, nous avons rappelé à Madame la Ministre les principes de la Politique de Réduction des Risques (rdr), principes qui doivent aussi s’appliquer dans les « banlieues » . Il est frappant de constater à quel point , les populations que l’on a pris pour habitude de désigner sous le vocable de «gens des cités » sont hermétiques à la logique de la rdr (voir page ..ASUD au comité des familles )
Nous avons également rappelé le caractère particulièrement catastrophique de l’épidémie de sida des années 80-90 justement parmi la population des jeunes issus de l’immigration, touchée massivement au travers de leur usage de drogues par voie intraveineuse, une catastrophe dont les conséquences sociales et psychologiques sont encore mal connues. (Voir ASUD JOURNAL n° 32 ) .

La politique de réduction des risque : cette inconnue Fadela Amara a semblé extrêmement intéressée par notre approche tout en étant assez peu informée sur les réalisations concrètes de la RdR. Elle a acquiescé fortement à propos de la catastrophe épidémique du sida dans sa variante ethnico-sociale en y ajoutant le traumatisme des morts par overdoses, qui dès les années 70 ont endeuillé de nombreuses familles françaises issues de l’immigration magréhbine et africaine. Une chose lui a paru incroyable c’est l’extrême pénurie de résultats probants, sanctionnés par la recherche, en matière de réduction des risques . A l’exception des enquêtes Siamois , puis des travaux menés par l’INVS , très centrés sur les questions infectieuses, pas de statistiques sur la baisse réelle de la délinquance, pas de statistiques sur le nombre de personnes ayant quitté la substitution. Aucune information non plus sur le changement de perception des toxico dans la société. Rien sur les questions culturelles et encore moins ethniques, malgré les nombreux modèles anglo-saxons ou Hollandais. Bref, rien qui pourrait être comparé avec ce que fut par exemple la publication du rapport Engelmans aux Pays-Bas en 1985, ou bien encore le débat confédéral qui s’est emparé de la société helvetique à la suite de la fermeture du trop fameux Letten park de Zurich en 1994. Trop de questions restent sans réponses dès lors que nous voulons attire l’attention des politiques ou des journalistes sur l’impact réel du changement à 360 ° réalisé dans les années (1987- 94). Autre exemple, combien de toxicos, bénéficiant de cette politique ont pu renouer avec la vie sociale grâce aux produits de substitution ? Combien de tox on pu échappé à la prison ? etc..
Bref pas de réelle approche coût/efficacité, aucune enquête de l’IGAS sur les résultats de la politique de réduction des risques en matière de baisse de la délinquance, d’amélioration sanitaire, de réinsertion sociale et globalement de réduction des dommages et méfaits. Tout cela a semblé surprenant au Ministre , qui , encore une fois, comme beaucoup de nos concitoyens ne connaît pas la politique de réduction des risques en tant que telle, à tel point qu’elle s’est adressée à sa collaboratrice pour savoir dans quelle mesure et dans quels délais, l’IGAS était susceptible de mettre en place un questionnement de cet ordre.

La prévention mais sans oublier la répression

Fadela Amara nous a informé d’une rencontre avec Monsieur Appaire dont elle déclare ne pas partager toutes les options. La prévention reste à ces yeux un critère décisif pour résoudre le problème. Pour autant , La secrétaire d’État ne se veut pas « laxiste »la répression est nécessaire en ce qui concerne le trafic , particulièrement dans sa variante « mafia » de plus en plus investie dans les affaires de marchandises illicites dès lors que l’on est dans les contexte « cité » . La terme même de dépénalisation lui semble un leurre dans la mesure où il s’agirait du mauvais « signal » donné à la jeunesse. La prohibition des drogues n’apparaît donc pas comme scandaleuse à Fadela Amara qui qualifie de « facile » l’argument de la comparaison avec la prohibition américaine de l’alcool pendant les années 30. D’ailleurs, la stigmatisation dont sont victimes les jeunes de banlieues, fumeurs de cannabis, rapportée à la complicité goguenarde dont bénéficie les jeunes alcoolos des campagnes berrichonnes ou bourguignonnes qui s’enroulent autour d’un platane après une baston en boite, n’est pas un thème qui emporte sa conviction. En ce sens Fadela Amara se fait la porte-parole convaincante, d’une proportion probablement majoritaire de l’opinion publique qui voit dans la toxicomanie une maladie contemporaine du sida ou de la violence dans les lycées. Vu sous cet angle toute action visant à « faciliter » l’usage sera mal perçu. Par exemple le principe de la substitution en soi pose problème à la Ministre qui s’étonne, pour ne pas dire plus de nous voir faire la promotion de traitements qui s’étalent sur 10, 15, ou 20 ans.

Un outil de communication : la promotion du citoyen

La véritable porte d’entrée de la RdR dans la politique de la ville est visiblement la promotion du citoyen, C’est sur cette base que l’on peut agir pour changer le regard porté sur les drogues. Un citoyen a le droit d’être informé sur les stupéfiants de façon crédible. Madame Luc Vidal, la conseillère de la Ministre, est intervenue à ce stade de la discussion pour indiquer que les interventions en collèges et lycées effectuées dans le cadre de la prévention de la toxicomanie sont en partie du ressort du ministère et qu’il n’est pas souhaitable de laisser les seules forces de police exercer cette mission.
Dans le même ordre d’idée, il a été pointé par la conseillère de Fadela Amara que la Délégation Interministérielle à la ville (DIV) soutenait l’action de l’ANIT, dans le cadre de la mission « prévention de la délinquance » de la DIV , alors que l’étiquette « action sanitaire » aurait pu être retenue. Un écart d’interprétation administratif qui en dit long sur la manière dont les questions de drogues ont traditionnellement été abordées dans notre pays .

Ne pas enfermer la banlieue dans les drogues.

Le soutien demandé par ASUD au secrétariat d’État peut donc prendre la forme d’une aide directe sous forme de subvention, par exemple pour l’organisation des EGUS 2008. Néanmoins ce soutien doit être compris comme faisant partie d’un éventail de mesures en directions des population urbaines précarisées ayant vocation à être représentées par ASUD, en aucun cas il ne s’agit d’une action visant à « remplacer la MILDT » , comme d’aucuns vont s’empresser de la propager. Ce soutien peut aussi se manifester par des propositions qu’ASUD et l’ANIT sont invités à faire conjointement dans le cadre du plan « banlieues » que le Secrétariat d’Etat est amené à produire d’ici la fin de l’année 2007.

Attention cependant d’ éviter les pièges démagogiques de deux sortes. D’abord se laisser enfermer dans une image réductrice qui assimilerait la drogue avec les banlieues, ensuite une mauvaise interprétation de la RdR qui en ferait l’antichambre inévitable de la libéralisation de la vente de drogues.

BILAN

En résumé Fadela Amara nous a paru tout à fait conforme à son image , un incontestable franc-parler, doublé d’une véritable authenticité et un réel souci de voir les populations dont son ministère a la responsabilité sortir de la suite de stéréotypes dévalorisants dans lesquels elles sont systématiquement enfermées par les médias. Visiblement la drogue fait partie de ces stéréotypes et l’approche pragmatique suggérée par la RdR peut-être une manière d’avancer sur ce terrain.

Dans notre travail de communication en direction des politiques, il est frappant de constater à quel point la RdR s’est contenté de quelques résultats sanitaires sur la baisse des contaminations VIH ou la baisse des overdoses, sans comprendre toute la force de conviction qu’elle aurait a tirer des arguments sociaux ou sociologiques. Un exemple parmi cent : l’arrêt presque brutal de la délinquance en direction des professionnels de santé est un fait que connaissent tous les acteurs concernés (ordre des pharmaciens, groupes d’auto-support et policiers) , mais cette évidence n’est, à ma connaissance, cautionnée par aucune étude . La corrélation entre la mise en place de la rdr et la fin de ce que les années 70 avaient baptisé : « les braquages de pharmas » n’a jamais été faite. Or quiconque fait un peu de recueil de témoignage auprès de pharmaciens d’officines les entendra tous déclarer que le cambriolage et l’attaque à main armée pour mettre la main sur les produits stupéfiants étaient un classique d’avant la mise en place de la substitution.

Nous avons donc de nombreux chantiers devant nous, notamment en ce qui concerne la propagation en direction des politiques, des idées qui sous-tendent la RdR. Effectuer ce travail main dans la main avec une association de professionnels telle que l’ANIT est une excellente chose, cela permet de proposer une approche globale des problèmes posés. A nous maintenant d’être réactifs, car si nous le souhaitons cette rencontre peut-être à l’origine d’un nouveau partenariat durable avec un acteur original de la vie politique française qui semble avoir une connexion directe avec la présidence de la république.

« Association d’usagers de drogues, c’est ambigu ! » rencontre avec Étienne Apaire

Depuis 1999 ASUD bénéficie d’une subvention accordée par la Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et les Toxicomanies (MILDT). Cette relation privilégiée-peu d’associations bénéficiaient de l’avantage d’être financées directement de cette façon- avait avant tout un sens politique. La MILDT organisme interministériel, dépend directement du Premier Ministre. C’est une structure qui coordonne l’action globale du gouvernement en matière de drogues, autant du point de vue sanitaire que du point de vue policier ou encore en matière de communication. Que cet organisme ait une relation privilégiée avec l’association historique des drogués constituait en soi un signe que les temps avaient changé. La fin de cette collaboration pouvait apparaître comme le signal d’un retour en arrière, c’est la réponse que nous étions venus chercher dans les locaux de la MILDT ce vendredi 19 octobre 2007.

Ambiance

Après un petit quart d’heure d’attente (pour une fois nous étions à l’heure), la chef de projet de la MILDT habituellement désignée pour négocier avec nous, vient nous proposer de passer dans le bureau du Président.
Atmosphère tendue durant tout l’entretien. Changement de style. Didier JAYLE vous recevait une fesse posée sur un coin de bureau, tout en étant capable de vous tourner brusquement le dos pour se préparer un café, pile au moment où vous prononciez le montant de votre demande de financement.
Monsieur Apaire, lui, est à la fois plus urbain et plus glacial. Il nous fixe droit dans les yeux en expliquant qu’il a été magistrat, puis conseiller de l’actuel président de la République quand celui-ci était au ministère de l’Intérieur. Il est clair qu’ASUD lui semble une entreprise au moins suspecte. La raison officielle du non-financement d’ASUD est simple : la MILDT ne finance plus les associations. Point à la ligne. On aurait pu s’arrêter là…

Usagers de drogues

Quelques journaux sont négligemment jetés sur une table basse. « vous voyez que je m’informe » m’annonce-t-il. « Ce qui m’amuse c’est la taille de la seringue qui s’amenuise au fil des parutions ». La seringue c’est bien entendu le logo d’ASUD. Je tente de justifier l’existence de ce logo par le contexte de lutte contre le sida qui fut l’enfance de l’association mais il me coupe en m’expliquant que « association d’usagers de drogues, c’est ambigu». Ambigu est du reste le maître-mot de son vocabulaire concernant ASUD, et apparemment le nom d’ASUD fait partie des fameuses « ambiguïtés ».
Et de s’étonner que nous ayons pu déposer nos statuts en préfecture. Un conseiller suggère que nous changions de dénomination sociale, monsieur Apaire approuve, nous tentons laborieusement de rappeler l’historique d’ASUD, tout ce que l’association doit à la lutte contre le sida, tout cela constituant aujourd’hui notre identité, mais nos arguments tombent à plat. La loi , toute la loi , rien que la la Loi. Monsieur Appaire ne connaît que la loi. Et l’usage de drogues c’est un délit, donc ASUD peut-être assimilée à une association de malfaiteurs. Je n’ose rappeler que cette provocation, nous la faisions nous-mêmes en 1994. L’action d’ASUD paraissait alors tellement utile dans la lutte contre le sida que parler de « malfaiteurs payés par l’Etat » était alors à la fois absurde et comique. Mais les temps changent.

La loi toute la loi rien que la loi.

« J’ai été nommé pour la faire appliquer, l’usage de drogues constitue un délit, je ferai appliquer la loi contre la drogue »
Ah Oui, précision : Monsieur Apaire est fier de se présenter comme « de la vieille école », il dit « la drogue » plutôt que « les addictions » et « toxicomanes » plutôt qu’usagers de drogues. Mon collègue a le mauvais esprit de préciser « sales toxicos » je m’empresse de devoir excuser cet excès de langage.

A ceci près que Monsieur Appaire nous déclare en préambule avoir été hostile à l’ « échange de seringues »- comprenez la distribution de matériel stérile aux usagers pendant l’épidémie de sida- puis avoir changé d’avis, jusqu’à admettre que cette action puisse en définitive se révéler être positive en matière de santé publique. Pour autant on ne s’emballe pas, la meilleure façon de lutter contre tous les problèmes connexes (sida, hépatites etc..) c’est quand même de ne pas prendre de drogues. Et les toxicomanes, il les connait, il ne les a rencontré auparavant que dans son prétoire de magistrat du Siège.

« Drogézeureux»

Finalement je crois que ce que le nouveau président de la MILDT apprécie le moins dans ASUD ce sont nos jeux de mots idiots, pardon ambigüs. D’ailleurs, sur mes sollicitations répétées de bien vouloir préciser –texte en main- de quelles ambiguïtés parlions-nous exactement , il ouvre le journal n° 34 et commence la lecture « parmi les énigmes caractérisant la sublimissime Sativa il y a celle du maintien de son interdiction… » Et paf. J’ai bien tenté d’expliquer que le terme sublimissime est à prendre au second degré.Sacré second degré qui ne passe pas du tout, du tout au-delà du cercle des initiés. Je n’ai qu’une trouille c’est qu’on parle des drogézeureu. Patatras : « ambigu, comme ce sous-titre les drogués heureux ». Le jour où on a voulu ce faire plaisir avec ce slogan imbécile… Et pourtant l’humour est sans doute l’ingrédient le plus prisé du journal d’ASUD, mais c’est un autre débat.

Réduire les risques infectieux

Ensuite Monsieur APPAIRE nous a écouté tenter un plaidoyer pour ASUD, en donnant des petits signes d’impatience puis a conclu en expliquant que nous étions ici chez nous- c’est à dire chez lui- car il reçevait toutes les associations. Toutes et de tous bords. D’où une petite digression sur les associations de l’autre bord, qui semble-t-il comptaient sur sa nomination pour « faire le ménage ». Rendons justice à une certaine forme d’impartialité du nouveau président de la MILDT, ces associations « anti-drogue proche du fonctionnement sectaire », n’ont pas été mieux reçues que nous. Visiblement Monsieur APPAIRE n’a pas apprécié de se sentir pris en otage par une frange de la droite de la droite, prête à brader l’ensemble des acquis de la réduction des risques.
«Ils sont venus me voir avec des projets de financement rédigés en francs » ce qui laisse rêveur tant sur les années de frustration emmagasinées par ces défenseurs de la famille française que sur l’ardeur juvénile qui les anime. Mais visiblement le nouveau président de la MILDT croit à la réduction des risques en tant qu’outil de lutte contre « certaines maladies infectieuses ». Cette acception, tout en restreignant terriblement le concept, donne malgré tout une certaine légitimité à cette politique, qui par ailleurs reste la bête noire d’un journal comme « Valeurs Actuelles ». D ailleurs, reprenant au vol une allusion faite à ma rencontre avec Christine Boutin, il nous encourage vivement à « prendre notre bâton de pèlerin » pour aller évangéliser les 139 députés signataires de l’appel au Premier ministre mettant en cause le financement d’ASUD en 2006.

Réduire le nombre d’usagers dans les dix ans.

A ceci près, la philosophie politique dont Etienne Appaire s’inspire en matière de drogues est clairement réductionniste, au sens où l’entend dans les officines internationales : réduire la demande. Prenons un exemple, nous lui annonçons qu’ASUD a décidé de communiquer sur les « sorties de traitement de substitution ». Dans notre idée, il s’agit de résister à la pression conjuguée de certains médecins et des visiteurs médicaux, qui, loin de philosopher sur les besoins des usagers en traitements se contentent de comptabiliser à la hausse le nombre de mg prescrits chaque année. Ces considérations semblent rencontrer celles de Monsieur le Président. Hélas, quelques jours plus tard, la lecture de Valeurs Actuelles me montre que sa vision des sorties de substitution est assez loin de la nôtre. Si l’on en croit ce journal, qui reste à ce jour le seul mensuel auquel il ait accordé une interview complète, il s’agit plutôt de réduire coûte que coûte le nombre de personnes substituées dans les dix prochaines années. Cette vision minimaliste est l’exact pendant du maximalisme hospitalo-médical que nous prétendons dénoncer. La question n’est pas de savoir s’il y a trop ou pas assez de personnes substituées mais de savoir dans quelles conditions ils vivent avec des traitements qui durent depuis 5 10 ou parfois 15 ans. Il s’agit donc, comme nous l’avons expliqué lors du colloque de Biarritz THS 8 de rechercher avec chaque usager le type de molécule, la posologie et les activités annexes (sports, psychothérapies ou traitements complémentaires) susceptibles d’améliorer la qualité de vie de ces thérapies au long cours.

Parents contre la drogue

Puis vint le plaidoyer au bénéfice de Monsieur Lebigot, le président de Parents Contre la Drogue. « Vous l’assassinez dans votre journal… » Et moi de bredouillez que non tout en sachant pertinemment que oui. Bref, il est clair que sans être l’extrêmiste décrit par certains de nos amis, Monsieur Apaire est naturellement plus proche des thèses de Parents contre la Drogue que de celles défendues par ASUD. Monsieur Appaire et nous ne sommes pas sur la même longueur d’onde. Pas d’interview pour ASUD journal de peur d’avoir à « cautionner » l’association. Pas de venue aux EGUS, même ceux prévus en 2008 pour la même raison.

Ah si, une autre chose lui a plu dans ASUD, c’est « votre évolution récente vers l’association de malades ». Mais tout cela est récent, il s’agit peut-être d’une inflexion circonstancielle de l’association. A tout prendre l’enthousiasme Monsieur Appaire à notre égard reste excessivement modéré : « Sur le fond je reste réservé et la forme me pose question ». Cela devait être le mot de la fin

Le Diable en personne

Quelques minutes après la fin de l’entretien nous avons échangé quelques mots avec les conseillers de Mr Apaire tous deux membres des différentes équipes ayant eu à travailler avec ASUD depuis 10 ans. Leur point de vue a quelque peu atténué le goût amer que m’a laissé cette petite heure d’entretien. « Pour certains décideurs politiques que nous avons rencontrés récemment vous êtes le diable ! » nous dit l’un d’eux. Il est étrange de constater à quel point notre petite association, qui salarie 3 ou 4 personnes dans un bureau poussiéreux, est appréhendée comme l’une des pièces maîtresses d’un dispositif destructeur au service de l’anti-France par certains milieux conservateurs. Ensuite il semble indéniable que Monsieur Appaire a déjà quelque peu évolué sur ces appréciations concernant la réduction des risques depuis son entrée en fonction. Il nous a ainsi déclaré être prêt à financer la traduction en français des séances de la 19e conférence Internationale de réduction des risques prévue à Barcelone les …et mai 2008. Ces deux considérations nous ont amené à penser que nous partions d’encore plus loin, et que peut-être, tout espoir n’est pas mort de reprendre cette collaboration politique tellement souhaitable entre l’une des seules associations d’usagers de drogues (ou de traitements) au monde et l’organisme officiel chargés de gérer les conséquences humaines de ces consommations en France.

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