Pas de pitié pour le Captagon®

* Simone de Beauvoir raconte dans le second tome de ses mémoires, La force de l’âge, comment elle s’était inquiétée quand Sartre, bourré de Corydrane®, lui avait confié qu’il était poursuivi par des crabes et des homards…

Selon le célèbre dicton militaire, on peut tout faire avec des baïonnettes sauf s’asseoir dessus. Avec des amphétamines, on peut faire la guerre, préparer des examens, écrire la Critique de la raison dialectique si l’on s’appelle Jean-Paul Sartre* ou… se faire sauter. Mais avant d’aller plus loin, petit détour par l’histoire.

Le mot composé est un peu technique : pharmaco-psychose. Une substance psychoactive, une drogue, peut provoquer transitoirement un état psychotique, c’est-à-dire de perturbation globale du rapport à la réalité. Aucune drogue n’est mieux placée que l’amphétamine pour illustrer ce phénomène. Nous sommes des machines à deux temps (veille/sommeil) et la perturbation de ce rythme est notre plus grande vulnérabilité, bien avant la soif ou la faim. Après deux ou trois nuits sans sommeil, un être humain présente des hallucinations, se livre à des interprétations délirantes et peine à effectuer des tâches simples. Les Soviétiques, qui le savaient, utilisaient la privation de sommeil comme arme de torture (comme le montre bien le film de Costa-Gavras, L’aveu (1970), tiré du livre éponyme d’Artur London). Au bout de quelques dizaines d’heures, les plus solides signaient des aveux délirants pour qu’on les laisse un peu dormir. Autre manière de dire que les amphétamines, dès qu’on en abuse, rendent fou. J’ai relu, pour écrire cet article, Speed. La déglingue, de William S. Burroughs Jr., que j’avais beaucoup aimé au moment de sa publication en français en 1971. Je n’aurais pas dû, j’ai été très déçu. C’est le risque, bien connu, des relectures…

« La benzédrine a gagné la bataille d’Angleterre ! »

L'aveu affiche

Avec les psychiatres, les militaires se sont toujours beaucoup intéressés aux substances psychoactives. Soit pour renforcer les capacités de leur propre armée, soit pour désorganiser celle des autres (on a songé à utiliser le LSD dans ce but). Les amphétamines sont nées quelques décennies avant qu’elles ne soient utilisées durant la Seconde Guerre mondiale. À la fin du XIXe siècle, des chimistes japonais isolèrent le principe actif d’une plante, l’éphédra, connue de longue date pour dilater les bronches, augmenter la pression artérielle et stimuler le cerveau (Dr G. Varenne, L’abus des drogues, Charles Dessart éditeur, 1971, chapitre V : « La dépendance du type amphétaminique ».). Il suffira d’une simple modification de ce principe actif, baptisé éphédrine, pour obtenir, dans les années 20, un produit beaucoup plus puissant, la première amphétamine. Les essais cliniques eurent lieu aux États-Unis dans les années 30. Quelques années avant le début de la deuxième guerre mondiale apparut la dexamphétamine (benzédrine ou Maxiton®), puis la méthylamphétamine commercialisée en Allemagne sous le nom de Pervitin®. C’est la « meth » d’aujourd’hui.

Approches Drogues et Ivresse Junger couvertureSi les stimulants sont absents de la Première Guerre mondiale ou presque (Dans Approches, drogues et ivresse, Ernst Jünger raconte comment, à la fin de la Grande Guerre, les premiers aviateurs allemands consommaient de la cocaïne pour diminuer la fatigue et la peur et comment ils lancèrent la mode de cette substance), les amphétamines vont donc dominer la Seconde, surtout au début. Elles semblaient avoir toutes les propriétés pour décupler l’énergie, la résistance à la fatigue, à la faim et à la peur. Durant la bataille d’Angleterre où l’aviation britannique luttait dans le ciel contre les Stukas allemands dans un état de grande infériorité numérique, mécaniciens comme pilotes consommaient de la benzédrine. Certains pilotes anglais se posèrent même sur des aéroports français tant ils étaient « défoncés » ! À la fin de cet épisode crucial, les journaux britanniques titrèrent : « La benzédrine a gagné la bataille d’Angleterre ! » On abandonna les speeds, du côté allié comme de celui des forces de l’Axe, quand on comprit que, sous l’effet de cette substance, l’efficacité s’effondre rapidement tandis que le sentiment d’efficacité continue à croître. Cette disjonction était fatale ! Seuls les Japonais continuèrent à utiliser largement les amphétamines. Lorsque l’Empire nippon s’effondra, après Hiroshima et Nagasaki, d’énormes stocks militaires se retrouvèrent sur le marché noir, donnant lieu à la première grande épidémie « civile » de consommation de cette substance. Les actes de violence et les décompensations psychiatriques se multiplièrent au point que le Japon disposa durant les vingt années suivantes d’un quasi-ministère de la lutte contre les amphétamines. Actuellement, certains pays d’Asie du Sud-Est sont confrontés à une épidémie de consommation de méthamphétamine. C’est en particulier le cas de la Thaïlande, qui tente de lutter contre des laboratoires clandestins installés du côté birman de la frontière. Les étudiants, les prostituées, les camionneurs furent les premiers consommateurs de Yaba (le médicament qui rend fou), mais l’usage s’étend.

Un marché qui explose au Moyen-Orient

Captagon Pascal 1Venons-en au terrorisme. Certains témoins racontent que, le 13 novembre dernier, les tueurs du Bataclan tiraient de manière mécanique à hauteur d’épaule en tournant sur eux-mêmes. Debout au milieu des gens qu’ils abattaient, ils ne déviaient pas leurs tirs sauf pour réarmer. Ce qui expliquerait qu’il n’y ait pas eu plus de victimes, en particulier parmi ceux qui, terrorisés, se sont allongés les uns sur les autres, à leurs pieds. Voici, par ailleurs, comment le gérant d’un cybercafé décrit Salah Abdeslam le soir des attentats : « Ce qui m’a interpellé, c’est que cet homme avait l’air d’avoir bu ou consommé de la drogue. Son visage et ses yeux étaient gonflés – se souvient le vendeur. Il ressemblait à un des nombreux toxicomanes que l’on rencontre à Château-Rouge » ( Le Monde du 01/01/16). Les tueurs étaient-ils sous Captagon® (fénétylline), une amphétamine classée comme stupéfiant depuis 1986 et qui inonde littéralement les marchés clandestins moyen-orientaux depuis quelques années ? À Beyrouth, un prince saoudien s’est fait prendre en octobre 2015 avec, excusez du peu, deux tonnes de Captagon® ! Il s’apprêtait à prendre l’avion pour son beau pays. Et l’Arabie saoudite vient d’annoncer une prise de cinq millions de pilules d’amphétamines (lepoint.fr, 27/12/15), avec peine de mort à la clé pour les trafiquants. D’après les chiffres de l’Organisation mondiale des douanes, la quantité de pilules saisies dans les pays de la péninsule arabique a fortement augmenté ces dernières années : plus de 11 tonnes de Captagon® en 2013, contre 4 seulement en 2012 (Sciences et Avenir du 17/11/15).

Comme toutes les amphétamines, le Captagon® fait disparaître le besoin de dormir et de manger, du moins dans certaines limites, et diminue la peur. D’après certaines sources, il ferait aussi disparaître tout sentiment de pitié (Je me permets de renvoyer à mon article « Des drogues et des violences », revue Chimères, n°85). Dans un contexte moins tragique, une telle remarque ferait rire. Si quelqu’un a préalablement extirpé de son esprit tout sentiment de pitié, le passage à l’acte violent ou cruel lui sera probablement facilité par la prise d’amphétamines. Mais ce préalable est nécessaire. Comme pas mal d’étudiants de mon époque, j’ai consommé du Captagon® pour réviser mes examens et je ne me souviens pas avoir utilisé des armes de guerre contre des civils désarmés, installés à la terrasse de cafés ou assistant à un concert de musique… De même, il est probablement plus facile de se faire sauter sous Captagon® quand on a, au préalable, décidé de le faire.

Bref, il faudra trouver autre chose que le Captagon® comme circonstance atténuante aux tueurs de Daesh. Mais la présence massive d’amphétamines dans l’une des régions les plus chaotiques et violentes de la planète n’a rien de rassurant. Bonne année 2016 !

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Quand le cannabis sera légal en France…

Alors que l’opération policière de Saint-Ouen bat son plein et ne fera, dans le meilleur des cas, que déplacer le problème, j’aimerais proposer quelques réflexions sur les questions qui se poseront lorsqu’on légalisera le cannabis en France.

Un marché ultraviolent

La prohibition du cannabis vit ses dernières années (ses dernières décennies ?) en Europe et aux États-Unis. Le but fondamental de la prohibition est de limiter, autant qu’il est possible, la consommation de drogues considérées comme dangereuses et ce, à l’échelle nationale et internationale. Il est clair, les enquêtes ne cessent de le démontrer, que cet objectif, concernant le cannabis, est un cuisant échec. Avec plusieurs conséquences dont l’une est dramatique. Si le cannabis est une drogue dont la dangerosité est faible, le trafic de cannabis, un marché considérable puisqu’il approvisionne en France des millions de fumeurs, est devenu d’une extrême violence. Alors que le chômage des jeunes est massif, l’entrée dans le biz du cannabis est une tentation presque irrésistible (en particulier pour les « jeunes de cités ») et participe largement à la déscolarisation de choufs de 10 ans tandis que les valeurs de la mafia viennent corrompre celles de la démocratie. La règle est simple : plus un marché illégal est lucratif, plus il est violent et plus il finit par se trouver aux mains de groupes criminels qui règlent leurs comptes à coups de kalachnikov. Exemple : l’ultraviolent trafic de cocaïne au Mexique qui vise le marché américain.

Usage public et/ou privé

Dans les lignes qui suivent, je me situe donc dans la perspective d’une légalisation de la production, de la distribution et de la consommation de cannabis. Il y aurait un grand débat à mener, il l’a été en partie par Terra Nova (Cannabis : réguler le marché pour sortir de l’impasse,
Christian Ben Lakhdar, Pierre Kopp et Romain Perez, Terra Nova, décembre 2014)
, sur le modèle de légalisation : monopole d’État et « commerce passif » (Une alternative à la prohibition des drogues : la légalisation contrôlée, Francis Caballero in La prohibition des drogues, regards croisés sur un interdit juridique, sous la direction de Renaud Colson, Presses universitaires de Rennes, 2005), légalisation dans un cadre concurrentiel, modèle libertaire des cannabistrots. Mais je le laisse de côté.

Yes we cannabis normlLa toute première question porte sur l’usage public et l’usage privé. Ce n’est pas une mince affaire. Pour des raisons évidentes, les manifestations pour la légalisation du cannabis laissent flotter un nuage de fumée clandestine. Mais qu’en sera-t-il lorsque le cannabis sera légalisé ou même la consommation seulement dépénalisée ? En Belgique, par exemple, l’usage privé de drogues n’est pas pénalisé, seul l’usage public l’est. Pour deux raisons : la consommation publique peut avoir une dimension prosélyte ; à l’inverse, elle peut heurter certaines personnes. À quoi il faut ajouter que les substances fumées, et elles seules, peuvent provoquer une consommation passive. Imaginons que demain la consommation soit dépénalisée ou le cannabis légalisé : on risque alors de voir des gens fumer, par pure provocation, des pétards sous le nez des flics. Et ce ne sera pas une bonne idée. Beaucoup de jeunes, habitant chez leurs parents, ne peuvent pas fumer chez eux et consomment donc dehors. De fait, l’usage public de cannabis est pratiquement devenu la règle en France, ce qui rend la question explosive. Or sans doctrine sur cette question, nous ne pourrons pas avancer. J’ajoute que, dans l’État du Colorado, le cannabis récréatif a été légalisé mais l’usage public reste interdit. Pour ma part, je suis partisan de l’usage privé, pour les deux arguments évoqués plus haut, quitte à créer des lieux où les consommateurs pourront fumer.

Le problème des mineurs

J’en viens au deuxième point qui a quelques liens avec le premier. La massification des usages de cannabis s’est accompagnée d’une précocité des consommations. Je ne sais ce que représentent les 12/18 ans en proportion du cannabis consommé, mais l’usage s’est répandu dans cette classe d’âge. Or personne, ni au Colorado, ni dans l’État de Washington, ni en Uruguay ne songe à légaliser la consommation pour les mineurs. Il y a donc là un sérieux problème. Je ne vais pas développer les arguments de santé publique qui militent en faveur de l’abstinence de drogues – alcool et tabac compris – chez des jeunes en pleine croissance. Mais, comme disait De Gaulle, il n’y a pas de politique qui vaille hors des réalités. Si le cannabis était légalisé demain par Hollande et Valls (!), les usages de substances psychoactives par les mineurs ne cesseraient pas magiquement. On peut même penser que la consommation augmenterait aussi pour cette classe d’âge, au moins dans un premier temps. Et on sait bien que les grands achèteront pour les petits. Il suffit, au demeurant, de voir comment la politique en matière de tabac et d’alcool est appliquée concernant les mineurs… Il faut l’admettre, le fait d’interdire l’usage public mettra les mineurs dans une situation difficile. Mais il n’y a aucune solution simple à ce problème. Il nous amène au troisième débat.

Refonder la prévention

Lorsque l’on examine les campagnes pro-cannabis américaines, on constate que la question des emplois induits par la légalisation ou des taxes décidées par l’État constitue un argument central et il n’y a, après tout, rien de choquant à cela. On comprend combien il est puissant dans un État comme la Californie, toujours au bord de la faillite. Mais cette question en cache une autre au moins aussi importante : quelle sera la part des taxes qui sera consacrée à la prévention et aux soins ? La réduire à la portion congrue voudra dire que l’on n’aura tiré aucune leçon du tabac et de l’alcool comme drogues légales. Disons un mot de la prévention. Imaginer qu’elle demeure ce qu’elle est aujourd’hui serait absurde. Il faut, au contraire, refonder une prévention qui s’adressera à des « not yet users », des jeunes qui ne sont pas encore consommateurs mais pourraient le devenir. Donc aborder ces questions bien plus tôt qu’on ne le fait. Un ado de 12 ou 13 ans considère tout adulte qui lui parle de drogues comme un vieux con. C’est comme ça. Il faut aussi dire la « vérité » sur le cannabis : sa faible dangerosité, le plaisir qu’il peut procurer, mais aussi le fait qu’il a tendance à rendre paresseux ou casanier : après un joint fumé chez soi, on n’a pas toujours envie d’affronter le dehors. Et c’est une très mauvaise idée, pour un collégien ou un lycéen, de fumer dès le matin pour rêvasser pendant les cours. D’une manière générale, la consommation de drogues s’insèrera dans un discours plus large sur les conduites à risques : risque sexuel, routier… Tout cela demande des formateurs, des moyens, bref, le nerf de la guerre. Si la légalisation du cannabis devait s’aligner sur celle du tabac et de l’alcool, si une part substantielle des taxes n’était pas consacrée à une prévention et à des soins inspirés de la réduction des risques et des dommages, ce serait une vraie défaite pour la santé publique.

J’évoquais le risque routier. Un alcoolique ou un héroïnomane en manque au volant peut être très dangereux pour lui-même et pour les autres. Sur cette question, je reste donc un farouche partisan des tests psychomoteurs simples qui peuvent être demandés au conducteur au bord de la route en tenant compte de l’âge. Être capable de faire des index/nez, de marcher un pas devant l’autre ou de tenir debout sur une jambe a bien plus de valeur que des tests salivaires. À ma connaissance, ces derniers continuent à souffrir du fait que le cannabis est lipophile, c’est-à-dire qu’il se fixe sur les graisses. Il est donc difficile d’affirmer qu’une personne présentant un test salivaire positif au cannabis est bien sous l’influence psychoactive de la substance et non pas qu’il a fumé un joint la veille.

En réalité, le vrai problème du cannabis est son association avec l’alcool car au « flou » que provoque la beuh ou la résine s’ajoute la désinhibition liée à l’éthanol. Ce n’est pas un hasard si le meilleur argument des prohibitionnistes consiste à dire : pourquoi voulez-vous ajouter un troisième poison légal, le cannabis, à ces deux poisons légaux que sont le tabac et l’alcool ? Les campagnes de prévention en matière de risque routier, en particulier en France où la consommation d’alcool reste élevée, devraient prioritairement viser cette association dont de nombreuses études montrent qu’elle augmente l’accidentalité d’un facteur 10. Quel que soit l’amour qu’on porte au cannabis, on préfèrera un pilote d’avion qui n’en a pas fumé avant de décoller, comme on préfèrera qu’un technicien qui occupe un poste à responsabilité dans une centrale nucléaire ne soit pas raide def.

Usage public/usage privé, consommation des mineurs, part des taxes qui serait réservée à la prévention et aux soins, risque routier et professionnel : voilà quelques questions qui mériteraient un large débat. Car elles sont devant nous, qu’on le veuille ou non.

Quoi de neuf Doc ? (mars 2015)

De nouveaux kits d’injection

La prochaine trousse Steribox® contiendra deux filtres, le filtre traditionnel et un filtre toupie, plus performant vis-à-vis des « poussières » et des bactéries. La réutilisation est de plus impossible et il n’y a pas de contact entre la membrane et les doigts. Pourtant, de nombreux usagers sont critiques : perte de produit, complexité d’utilisation, taille encombrante. Ce débat n’est pas minime. Une préparation de l’injection qui diminuerait le risque de contamination bactérienne serait un grand progrès. Certains soutiennent qu’il faut d’abord faire un filtrage traditionnel puis, seulement après, utiliser le filtre toupie. Je suis incapable de répondre à la question mais elle est importante et mériterait une « table ronde ».

Dépistage au travail

J’ai lu que les tests anticannabis allaient être utilisés dans les entreprises avec un certain nombre de garanties… Je ne connais pas le dossier mais j’ai clairement compris qu’il y avait un malentendu dans cette histoire. Si un patron veut savoir si son employé fume et si le test salivaire est positif, il se fout de savoir s’il a fumé avant-hier ou hier. En revanche, lorsque ces tests sont utilisés le long des routes pour vérifier que les personnes ne conduisent pas sous l’influence du joint, le test salivaire est incapable de répondre à une telle question. Il y a trop de faux positifs et de faux négatifs (lire à ce sujet : De la difficulté de légiférer sur la conduite en état d’ivresse stupéfiante). S’il faut peut-être lutter contre le cannabis au volant (surtout mélangé à l’alcool), il faut pour cela disposer de tests permettant d’affirmer que la consommation est récente et que la personne est bien sous l’influence du cannabis. On n’en est pas là. Pour revenir à l’entreprise, peut-être verra-t-on, dans quelques temps, des syndicats se battre pour que les tests cannabis, cocaïne et autres n’aient pas lieu le lundi matin comme l’ont déjà fait des syndicats américains.

Amsterdam : tourisme, overdoses et RdR

Deux jeunes Britanniques sont morts récemment à Amsterdam pour avoir sniffé de l’héroïne blanche vendue pour de la cocaïne. Il y avait déjà eu un mort en octobre dernier et plusieurs personnes ont été hospitalisées après en avoir sniffé. Des questions se posent : d’où vient cette blanche ? Est-ce le Triangle d’Or qui se remet à produire ou est-ce en Syrie ou en Asie centrale que des chimistes la raffinent ? Quoi qu’il en soit, elle doit être relativement forte et difficile à écouler puisqu’il faut la faire passer pour de la coke pour la vendre. À moins que Daesh ait aussi lancé le djihad de la drogue, l’un des signes les plus visibles de la décadence des peuples européens. Conjecture peu vraisemblable.

En attendant, la ville d’Amsterdam a pris les choses en main et d’énormes panneaux expliquent : « N’achetez pas de cocaïne dans la rue, ce peut être une héroïne mortelle ». Des tests permettant de reconnaître les opiacés ont aussi été distribués. La « blanche » a dominé le marché de l’héroïne jusqu’à la fin des années 70. Elle pouvait être coupée à 90% avec des poudres blanches. Puis le « brown sugar », supposé être de l’héroïne n°3 moins raffinée que la blanche, venu, lui, de la frontière pakistano-afghane, a gagné. Le bruit courait qu’il y avait ici ou là un « plan de blanche » mais ce n’était pas fréquent. Elle est réapparue ces derniers temps et les trois morts d’Amsterdam lui donnent une grande publicité. Certains amateurs d’héroïne vont aller à Amsterdam en espérant se faire arnaquer…

Souvenirs de Jimmy Kempfer

C’est Fabrice Olivet qui m’a rappelé que Jimmy Kempfer avait rejoint Limiter la casse via une association née d’une scission d’Asud et qui s’appelait Substitution Autosupport. Phuong Charpy et le regretté Gilles Charpy en étaient les animateurs. Mais je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans… J’ai tout de suite eu de bons rapports avec Jimmy. On a beaucoup parlé depuis qu’on en a fait un slogan (et on a eu raison) de « l’expertise de l’usager ». Jimmy avait au plus haut point cette qualité. Ses articles en témoignent. Les thèmes de ses papiers étaient intéressants et le point de vue original. J’aimais ce qu’il écrivait. Jimmy avait une passion pour les livres sur les drogues, les affiches, les objets. C’est grâce à lui que j’ai retrouvé un bouquin publié en 1967 chez Denoël, dans la célèbre collection « Les lettres nouvelles » dirigée par Maurice Nadeau : Les drogués de la rue, des récits de vie de junkies new-yorkais recueillis par Jeremy Larner et Ralph Tefferteller. Un des meilleurs livres que j’ai lus dans les années 70. Salut Jimmy, toi qui as été embarqué dans notre bande et as su conduire ta barque depuis vingt ans que nous nous sommes connus. Je te salue, mon pote.

Les aventures françaises du cannabis médical (suite)

Chère lectrice, cher lecteur, vous arrive-t-il de fouiner dans Légifrance, le site officiel du gouvernement français pour la diffusion des textes législatifs et réglementaires ? Non ? Eh bien vous avez tort, comme le montre la belle histoire du cannabis médical en France et son dernier épisode, le Sativex®1.

L’article R.5181 du 28 novembre 1956 du CSP interdit toute utilisation du cannabis à des fins médicales. Cette date ne doit rien au hasard : c’est l’année où le Maroc acquiert son indépendance. Deux ans auparavant, la Régie française des kifs et tabacs créée en 1906 et qui, pendant un demi-siècle a promu et vendu du kif au Maroc, disparaît. Il n’est donc plus interdit d’interdire… le cannabis !

THC de synthèse

Cette version de l’article ne sera modifiée que le 31 décembre 1988 puis quatre autres fois jusqu’à la version du 8 août 2004. En effet, en juin 2001, Bernard Kouchner, qui avait fait de la lutte contre la douleur un axe fort de sa politique, annonce qu’il est favorable aux utilisations médicales du cannabis et des cannabinoïdes et charge l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) du dossier. Que se passe-t-il alors ? Une nouvelle version de l’article, en date du 8 août 2004, est alors rédigée. Le diable se cachant dans les détails, ce texte interdit toujours le cannabis et ses dérivés à des fins médicales mais, et c’est la nouveauté, à l’exception du THC de synthèse. Le détail, c’est « de synthèse ».

asud-journal-54 Marinol

L’Afssaps met alors en place une Autorisation temporaire d’utilisation (ATU) pour le Marinol® (dronabinol), un THC de synthèse précisément, qui se présente sous la forme de gélules dosées à 2,5 mg, 5 mg et 10 mg. Habituellement, une ATU concerne des médicaments qui n’ont pas encore d’Autorisation de mise sur le marché (AMM) mais qui pourraient déjà être utiles à certains patients. Ainsi, dans le cadre du sida, où les avancées thérapeutiques sont constantes, de nombreux médicaments disposent d’ATU « de cohorte », c’est-à-dire pour un nombre plus ou moins important de patients. Mais il existe une autre ATU, bien plus contraignante, l’ATU dite « nominative » : après examen du dossier concernant un seul patient et pour une période limitée, l’Afssaps donnait ou ne donnait pas d’autorisation.

Il y avait deux manières de mettre en œuvre cette ATU nominative. La première aurait consisté à donner un minimum d’informations sur son existence aux médecins hospitaliers, seuls habilités à prescrire, et aux pharmaciens hospitaliers, seuls habilités à délivrer. À élaborer et rendre publique une liste de maladies dont cette ATU pouvait éventuellement relever. À faciliter, autant qu’il était possible, le travail des prescripteurs tant ces dossiers d’ATU nominative sont chronophages.

Une centaine d’ATU nominatives

asud-journal-54 sativex spray

C’est l’exact contraire qui fut fait : absence de publicité, opacité des décisions (souvent négatives), demandes concernant les médicaments dont le patient avait déjà bénéficié, voire de bibliographie justifiant l’indication. Autant dire que le dispositif visait à décourager les (rares) prescripteurs. Il y parvint parfaitement : en dix ans, une centaine d’ATU nominatives de Marinol® fut attribuée…

Naïvement, certains tentèrent de savoir pourquoi un autre médicament, le Sativex® dont on parle tant aujourd’hui, ne pouvait pas être prescrit, même dans le cadre contraint de l’ATU nominative. Contrairement au Marinol®, il associe deux cannabinoïdes, le THC, principe psychoactif du cannabis, et le cannabidiol (CBD), qui n’est pas psychoactif. La principale raison de cette association est que le THC seul provoque souvent une anxiété que vient heureusement contrebalancer le CBD. La raison du refus de l’Afssaps était simple mais habituellement ignorée tant l’affaire avait été habilement ficelée : seul le THC de SYNTHÈSE, comme l’indiquait la version du 8 août 2004, pouvait être prescrit. Or le THC et le CBD du Sativex® sont des cannabinoïdes NATURELS, c’est-à-dire extraits de la plante. Bien que n’étant pas psychoactif, le CBD, était en outre exclu de l’ATU !

En février 2013, Marisol Touraine fit connaître son intérêt pour le Sativex® et confia à l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM, qui a succédé à la défunte Afssaps trop compromise dans le scandale du Médiator®) le soin de mettre en œuvre les conditions d’une AMM pour ce médicament. Le décret du 5 juin 2013 donc l’article R.5181 du CSP qui interdisait l’utilisation du cannabis en médecine depuis cinquante-sept ans.

asud-journal-54 tête cannabis

Une nouvelle usine à gaz ?

Quelle est la morale de cette histoire ? Tout d’abord, on se demande bien pourquoi ce n’est pas Bernard Kouchner, signataire de l’appel du 18 joint de 1976 et sensible à l’utilisation du cannabis dans la douleur, qui a abrogé l’article qui bloquait tout. Ensuite, et l’essentiel est là, on peut poser la question suivante : l’AMM du Sativex® ouvre-t-elle enfin de vraies perspectives pour le cannabis médical, tant sur le plan de la recherche clinique que des indications ou est-on face à une nouvelle usine à gaz qui permettra, tout comme l’ATU nominative du Marinol®, de geler la situation pour les dix prochaines années ?

Le Sativex® n’a actuellement en Europe qu’une seule indication : les contractures douloureuses de la sclérose en plaques et en deuxième intention, c’est-à-dire après que les autres traitements aient échoué. En France, seuls des neurologues hospitaliers pourront en prescrire à des patients adultes avec la possibilité de déléguer la prescription au médecin traitant entre deux consultations hospitalières. Le médicament, qui aura le statut de stupéfiant et dont l’autorisation de prescription sera renouvelée tous les six mois, pourra être délivré en pharmacie de ville2. Et sans entrer dans les détails, le Sativex® sera cher, très cher 3.

Mais les recherches se poursuivent en Europe pour d’autres indications du Sativex®, en particulier dans les douleurs cancéreuses, actuellement en phase 3 d’essais cliniques c’est-à-dire à un stade avancé. Notre beau pays étendra-t-il, au terme du processus, l’indication du Sativex® ? D’une manière plus générale, se contentera-t-il d’un service minimum en queue de peloton ou participera-t-il, sans avoir peur de son ombre, à l’aventure du cannabis et des cannabinoïdes en médecine ? Une déclaration du ministère de la Santé rapportée par Le Monde du 9 janvier 2014 n’est, à cet égard, pas rassurante :

« Il ne s’agit pas de légalisation du cannabis thérapeutique (…) juste d’une autorisation accordée à un médicament. »

Bref, on n’est pas rendu ! Espérons que le ministère fera preuve d’un peu de courage et l’ANSM d’un tout petit peu plus de transparence (Les débats des commissions de mise sur le marché des médicament- et notamment la commission des stupéfiants- sont mis en ligne par le site de l’ANSM à l’adresse suivante : ansm.sante.fr, ce qui est déjà, reconnaissons-le, lui demander beaucoup.


Notes :

1/  Le ministère français de la Santé vient de faire savoir que le Sativex®, un spray sublingual contenant du THC (tétrahydrocannabinol) et du CBD (cannabidiol) avait obtenu une AMM en France (voir les délibérations de la Commission nationale des stupéfiants du 20 juin 2013). Mis au point à la fin des années 1990 par la société britannique GW Pharmaceuticals et commercialisé au Royaume-Uni en 2005, ce spray est déjà prescrit dans 23 pays, dont 17 en Europe. En France, il pourrait être prescrit de manière très restrictive à partir de 2015 dans les contractures douloureuses de la sclérose en plaques.

2/  L’AMM obtenue, restent 3 étapes à franchir : celle de la Commission de la transparence de la Haute autorité de santé (HAS) qui déterminera le Service médical rendu (SMR). Le SMR permettra au Comité économique des produits de santé (CEPS) de fixer le prix du médicament. Enfin, l’Union nationale des caisses d’Assurance maladie (UNCAM) déterminera le niveau de remboursement. Au terme de ce processus, le Sativex® pourrait être prescrit à partir du début 2015. Comme je vous le dis !

3/  La question du prix du Sativex® a été l’occasion d’un bras de fer entre GW Pharmaceuticals et Almirall, le laboratoire espagnol qui le commercialise en Europe continentale. Puis d’âpres négociations entre Almirall et la Sécurité sociale allemande. L’ANSM considère que le Sativex® concernera 2000 patients, Almirall, 5000. Il n’est pas impossible que cette question du prix soit l’occasion de relations tendues entre les acteurs français du médicament et le laboratoire espagnol.

Cannabis et VHC

Aujourd’hui, un patient qui commence un traitement de son hépatite chronique active C devrait arrêter l’alcool, le tabac et… le cannabis. L’alcool, parce que son hépatotoxicité n’est plus à démontrer et que l’on sait malheureusement que les hépatites C sous alcool évoluent rapidement vers la cirrhose. Le tabac, parce qu’il accélère la fibrose, c’est-à-dire la transformation de tissu hépatique fonctionnel en tissu sans activité biologique. Le cannabis enfin, parce que, tout comme le tabac, il semblerait avoir un effet fibrosant. C’est le principe de précaution qui, dans ce dernier cas, devrait s’appliquer.

Demander à des usagers ou ex-usagers de drogues de renoncer à l’alcool, au tabac et au cannabis n’est pas raisonnable et en faire une condition de l’accès au traitement serait les exclure d’un tel accès. Voilà plusieurs années déjà que des études concluent que le cannabis a des effets fibrosants. C’est une mauvaise nouvelle, pour au moins deux raisons. La première, c’est que de nombreux usagers fument. La seconde est bien plus embarrassante encore : des patients fument du cannabis pour mieux supporter les lourds effets secondaires du traitement interféron + ribavirine, et certains m’ont dit qu’ils l’auraient arrêté s’ils avaient cessé de consommer du cannabis. Il en est de même de patients qui sont dans des essais cliniques comportant, en outre, une antiprotéase.

Reste une question essentielle : y a-t-il consensus parmi les hépatologues sur les effets fibrosants du cannabis ? La réponse est non. Ainsi, le professeur Christophe Hézode (hôpital Henri Mondor, Créteil) est convaincu du caractère délétère du cannabis mais cet effet serait dose-dépendant et n’interdirait donc pas des consommations réduites. À l’inverse, le professeur Diana Sylvestre (Oakland, Californie) obtient de meilleurs résultats chez les patients sous bithérapie qui consomment du cannabis… Je remercie Laurent Gourarier d’avoir attiré mon attention sur ces études.

Il serait donc nécessaire qu’un groupe constitué d’hépatologues, d’addictologues et d’usagers fasse le point sur l’état actuel des connaissances afin que les patients soient en mesure de prendre une décision éclairée. C’est la proposition que j’ai faite à l’occasion du colloque THS 9 qui s’est tenu à Biarritz du 13 au 16 octobre derniers.

Une dernière remarque : il y a une dizaine d’années, une polémique était née sur la neurotoxicité de la MDMA. Persuadé que c’était un argument fallacieux mis en avant par les « drug warriors », ceux qui mènent la « guerre à la drogue », je n’ai d’abord pas pris cette question au sérieux. De longues discussions avec Jean-Pol Tassin, dont je connais la compétence et la probité, m’ont amené à changer d’avis. Il m’a alors semblé de la plus haute importance que les usagers sachent que les consommations lourdes de MDMA pouvaient provoquer des troubles cognitifs (concentration, mémoire…).

Toutes choses égales par ailleurs, la question des effets fibrosants du cannabis pose le même problème : les usagers ont le droit d’être informés des débats qui agitent la communauté scientifique car ils sont les premiers concernés. Mais tant de mensonges ont été énoncés sur les drogues que le scepticisme est la règle. Voilà qui donne à l’autosupport une responsabilité particulière pour informer sur ce que l’on sait et, plus encore, sur ce que l’on ne sait pas.

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