Irresponsable Saison 1

Après la série de genre made in Canal+, la série d’auteur arrive en France. Imaginé par Fréderic Rosset, le pilote de la série a vu le jour au sein du tout jeune département séries de la FEMIS, l’éminente école de cinéma français. Repéré par OCS qui lui donne un budget restreint avec une carte blanche pour une première saison, Irresponsable est , au moment de sa sortie, la création originale de la chaîne qui a eu le meilleur démarrage. Et si elle parle de drogues… ce n’est pas pour faire la morale.

Contrairement à la démesure des (bonnes) séries américaines similaires (Weeds, Breaking Bad…), Irresponsable ausculte la vie ordinaire des gens. La série raconte comment, dans une petite ville banale, Jaques, 15 ans, se lie avec Julien, son père immature de 31 ans, dont il vient d’apprendre l’existence, autour de deux passions communes : les joints et les jeux vidéo. La saison 1 compte 10 épisodes de 26 minutes, un format idéal pour les comédies efficaces qui ne se contentent pas d’être des usines à gags. Histoire et personnages nous sont familiers autour de Julien, éternel adolescent, que l’on rêve de rester. On se régale à suivre les aventures du duo père-fils complice face au reste du monde. Une microsociété qui comprend l’ami d’enfance devenu flic style gendre idéal, le dealer cinglé du lycée, la meilleure pote homo délurée, les grands-parents cathos réacs… et la mère de Jacques qui ne sait plus comment se positionner face à ce père (ir)responsable, entre le respect des conventions sociales, le bonheur de son fils… et ses propres sentiments. Quant à la mère de Julien, devenue tout à coup grandmère d’un ado, perdue au milieu de ces trentenaires émancipés, elle délègue toutes les décisions de sa vie à son psy idolâtré, Jean-Pierre, représentant d’une autorité médicale omniprésente, invisible, dépassée mais terriblement influente.

Sous ses allures inoffensives et son style passe-partout, la série vient remuer le tabou dans le tabou, en mettant en scène le rôle positif, social et convivial des drogues y compris dans la sphère familiale.

3 questions à Julia Monge, doctorante en socioanthropologie à l’EHESS-Paris

Pour tes recherches, tu as observé l’intimité de nombreux foyers qui consomment ou parlent ouvertement des drogues en famille. As-tu rencontré des parents comme le personnage central de la série ?

J’ai effectivement rencontré des parents qui n’ont pas une thune, s’habillant à l’arrache, ne voulant pas travailler et fumant des pétards avec leurs enfants. Mais j’en ai rencontré autant qui consomment et ressemblent davantage au personnage inséré de Marie, la mère, avec des emplois à haute responsabilité, jouissant d’un certain prestige social et portant des fringues en adéquation avec ce prestige.

Julien dédramatise la consommation de son fils face au discours ambiant. Le discours parental sur les drogues diffère-t-il entre les parents qui n’en ont jamais consommé et les autres ?

Oui et non. Oui, parce que certains parents qui n’ont jamais consommé de cannabis arrivent dans les Consultations jeunes consommateurs chargés de tous les stéréotypes liés aux drogues. Ils pensent que leur ado va nécessairement mal. C’est probablement l’idée reçue la plus forte quand on parle d’usage de drogues.

Ensuite, on retrouve l’idée qu’inéluctablement, l’ado va passer du pétard à la seringue avec l’image du type qui tape la manche et qui parle à sa canette de 8.6. Ça traduit tout le poids qu’on fait porter aux parents. Ils arrivent en pensant qu’ils ont raté quelque chose en matière d’autorité ou d’amour, ce qui, là encore, est un stéréotype.

Donc oui, cela diffère parce que les parents qui consomment du cannabis comme leurs enfants n’ont pas certains de ces a priori. Et non, parce qu’on s’aperçoit que quand un enfant de fumeur de pétard se met à consommer une drogue que le parent ne connaît pas, c’est grosso-modo la même panique !

Un bon éducateur est-il aussi un bon complice ?

Comme pour les drogues, c’est une question de dose ! Si on est à 100 % complice, on est dans la fusion. Difficile dans ces cas-là d’être suivi quand on donne une consigne. Par contre, il y a une notion intermédiaire entre l’autorité et la complicité, qui est la confiance. Si on te fait confiance, c’est
qu’on est assez proche de toi pour suivre ta consigne, même si on ne la comprend pas bien. Les personnes que j’ai rencontrées m’ont beaucoup parlé de cette confiance.

FABRICE PEREZ

Tweed une usine de cannabis florissante

Le Canada compte actuellement une quarantaine de producteurs de cannabis thérapeutique homologués par le gouvernement, fournissant plus de 50 000 clients. Des fournisseurs qui attendent impatiemment la légalisation complète du cannabis récréatif, qui pourrait faire grimper le marché à 7 G$ par an (4,95 millions d’euros). Visite chez le plus gros producteur canadien, une entreprise (presque) comme les autres.

Les deux usines de production de Tweed en Ontario ont une superficie équivalant à celle de 10 terrains de foot. Elles sont supervisées par Kevin Furet, le master grower, l’équivalent du sommelier sur un vignoble. Fort de ses nombreux prix en Cannabis Cup, ce dernier conçoit de nouveaux hybrides de marijuana. Cela permet à Tweed d’offrir une douzaine de variétés de plantes aux teneurs variées en THC (source de l’effet psychédélique) ou en CBD (pour les douleurs ou l’humeur), qui marche paraît-il assez bien chez les enfants épileptiques.

Une impressionnante zone de production

Ce qui frappe en pénétrant dans la zone de production, c’est qu’il faut doublement montrer patte blanche : carte magnétique nominative et reconnaissance des empreintes digitales sont nécessaires pour entrer. La voûte, où sont stockées des centaines de kilos de cocotes séchées, est même restreinte à une dizaine de personnes qui doivent avoir un casier judiciaire vierge pour pouvoir pousser la lourde porte blindée.                                                                                                              Au rez-de-chaussée de l’ancienne usine de chocolats Hershey, 120 employés du coin s’attachent à tailler des plantes, faire des boutures, simuler le printemps, simuler l’été pour la floraison, sécher les cocotes, mener les analyses pharmacologiques exigées par Santé Canada, fabriquer différentes huiles de cannabis, peser et emballer.                                                                                                    Le Montréalais Adam Greenblatt, qui a longtemps dirigé un dispensaire communautaire de cannabis médicinal avant de faire le saut chez Tweed, est impressionné par la chaîne de production. « Comme j’ai déjà fait pousser du cannabis thérapeutique pour des patients, je sais le défi que c’est. Alors, voir tout ça réglé au quart de tour, ça m’impressionne », dit-il en faisant référence à l’atmosphère quasi chirurgicale qui règne dans l’usine.                                                                          « Dans une production artisanale, on peut se retrouver avec des résidus de pesticides qui dépassent les normes ou des moisissures qui peuvent altérer les poumons des cancéreux en traitement », précise-t-il avant de souligner aussi l’importance d’obtenir des produits dont les caractéristiques resteront uniformes dans le temps, afin de ne pas mettre en péril le traitement. Pas étonnant qu’Adam ait été impressionné par toute cette infrastructure, le système de production a été conçu par un Français sorti de Harvard qui a fait ses preuves en dirigeant une équipe du fabricant de pneus Michelin… en Chine !

Une marque « conviviale »    

Le service est en effervescence. La gamme de produits Tweed à l’effigie du rappeur Snoop Dog doit être lancée dans moins de deux semaines. « On veut positionner Tweed comme une marque conviviale », explique Adam Greenblatt. S’il convient que le personnage a un côté sulfureux, « c’est une icône de la culture du cannabis et il a su traverser les épreuves », rétorque-t-il. La marque offre aussi des rabais compassion à ses clients qui gagnent un salaire inférieur à 29 000 $ par an (20 500 €).

L’équipe marketing se charge en outre de promouvoir les différents produits Tweed sur son site web et a récemment eu l’autorisation d’offrir des huiles (extraits de cannabis ajoutés à de l’huile de tournesol), qui peuvent aussi bien traiter les problèmes de peau ou les inflammations sous-cutanées qu’agrémenter des recettes pour les patients qui n’aiment pas fumer.

Quelques mètres plus loin, on aboutit au service clientèle. Une cinquantaine de personnes prennent les commandes de 60 000 clients (800 courriels et 600 coups de téléphone par jour), en répondant également aux questions des médecins. Quelques unes de leurs interrogations les plus fréquentes : Quelles sont les raisons de prescrire du cannabis ? Combien de grammes prescrire pour telle pathologie ? Quelles sont les implications légales ? « Selon nos estimations, environ 6 000 médecins ont déjà prescrit du cannabis au Canada, soit 10 % de la profession », avance Marie- Josée Pinel, coordonnatrice des projets médicaux.

Une société cotée en bourse

Parmi les 67 fabricants autorisés de pot médical au Canada, Tweed est la première à avoir tenté sa chance en bourse. Elle vaut aujourd’hui 2 milliards de dollars (1,3 milliard d’euros), ce qui lui permet d’envisager sereinement les travaux d’expansion de son siège social à Smith Falls, juste avant la légalisation complète, en juillet 2018.

« Les grandes banques canadiennes nous snobent encore, mais la valeur de l’action a presque doublé en deux ans. On a aussi triplé notre nombre d’employés dans la dernière année », plaisante Phil Shaer, avocat général et vie-président des ressources humaines. De son côté, le président Mark Zekulin, tout en attendant les orientations gouvernementales, a néanmoins déjà une vision du
marché, qu’il estime à 7 G$ par an si le gouvernement est plutôt large sur les produits autorisés.

Afin de s’assurer que son opinion soit entendue, le patron de Tweed a embauché un lobbyiste et espère que le gouvernement permettra aux marques commerciales « de communiquer directement avec les Canadiens (par la pub notamment) pour leur expliquer toutes les chemins possibles avec le cannabis et ainsi vaincre les peurs et les préjugés »

Big Cannabis ?

Hugô St-Onge, chef du parti politique Bloc Pot depuis treize ans, craint entre autres que la légalisation fédérale de la marijuana ne mène à la création d’un oligopole, le Big Cannabis, comme il existe déjà un Big Pharma : un marché mené par quelques entreprises préoccupées par la recherche du gain. Cela nuirait, selon lui, à l’éradication du marché noir, car des règles fédérales de production trop strictes maintiendraient des prix élevés et laisseraient une grande marge de profit pour le commerce illicite. « De l’herbe séchée, c’est presque gratuit ! », claironne-t-il. Hugô St-Onge souhaite donc « que le gouvernement québécois agisse selon ses compétences constitutionnelles et mette en place un marché plus libre où la production artisanale serait préservée afin de damer le pion au Premier ministre canadien, Justin Trudeau ». Si la légalisation a été enclenchée à l’échelon fédéral canadien, les provinces (dont le Québec) ont une certaine latitude dans l’exécution, notamment pour établir le mode de distribution. Du côté de Tweed, on se veut rassurant. « Le marché se libéralise lentement depuis plus de dix ans. On espère établir un marché inclusif qui encourage les amateurs de cannabis à se tourner vers des sources légales », répond Adam Greenblatt. Encore faut-il que les producteurs de cannabis médicinal n’adoptent pas certaines pratiques controversées de l’industrie pharmaceutique, comme les pots de vin déguisés en subventions. Dernièrement, des producteurs se sont d’ailleurs fait prendre la main dans le sac à financer certaines activités dans les cliniques prescrivant du cannabis afin que leur marque le soit davantage que celle du concurrent.

M. M.

Touche pas à mon « pot » : Les recettes du succès du cannabis médical au Canada

Au Canada, le cannabis thérapeutique est légal depuis 2001. Mais au Québec, trouver un médecin acceptant d’en prescrire et qui en plus connaît bien les différents produits sur le marché relève encore de la gageure. C’est ce double défi que tente de relever la clinique Santé Cannabis qui a pignon sur rue, aux portes du centre-ville de Montréal.

À part l’enseigne qui arbore une large feuille de cannabis, la clinique privée de la rue Amherst ressemble à n’importe quelle autre. Sur place, une dizaine de médecins se relaient tous les jours de la semaine. Les clients doivent avoir en main une demande de leur médecin traitant et s’acquitter de frais d’inscription de 250 $ (177 €). « Les 2 000 patients qu’on a reçus depuis deux ans viennent donc nous voir quand ils ont essayé toutes les autres options », indique Nadia Kvakic, la gérante.

Indications multiples

La liste des maladies pour lesquelles le cannabis thérapeutique peut être conseillé est large. Cela va de la dépression à la sclérose en plaques, en passant par les problèmes inflammatoires, les migraines, l’épilepsie, la maladie de Parkinson… Il vise aussi, plus globalement, à diminuer la douleur ou à stimuler l’appétit chez les malades traités pour des pathologies lourdes (sida, cancer). Le plus jeune patient est un bambin de 2 ans, le plus âgé a 94 ans. Pour Stéphanie Dubois, « la découverte du cannabis médicinal a été une révélation ». Elle souffre d’endométriose depuis sept ans et malgré trois opérations, dont l’ablation de l’utérus, saignements et douleurs sont toujours au rendez-vous. « Ça ressemble à des douleurs liées à l’accouchement avec parfois aussi des chocs électriques, c’est très pénible. Mais depuis cet été, je prends du cannabis médical, et c’est le jour et la nuit. Je ne suis quasiment plus absente du travail et j’ai pu recommencer à avoir une vie sociale et familiale », confie la jeune femme de 37 ans.

Cette mère de deux ados avait déjà fumé plus jeune, mais n’avait pas beaucoup apprécié l’expérience qui la rendait « un peu paranoïaque ». Après plusieurs essais, le médecin de la clinique et le conseiller en cannabinoïdes ont finalement trouvé les bons dosages. Le matin, elle prend un comprimé de nabilone, du cannabis synthétique issu de l’industrie. Après sa journée de travail, elle remplit son vaporisateur d’un mélange de Honstoot (14 % de THC) et de Boaty (13 % de CBD) qui calme ses douleurs sans la rendre stoned. Avant de dormir par contre, Stéphanie prend un cannabis dosé à 23 % de THC et avale une bouchée de muffin qu’elle a préparé avec ses restants de vapo non brûlés. Ingéré ainsi, les effets durent plus longtemps et elle peut passer une nuit sans douleur.

Pas un produit magique

Pour le système de santé canadien, le cannabis médicinal est source d’économies. Dans le cas de Stéphanie, ses anciennes prescriptions d’opioïdes, d’antidouleurs et d’antidépresseurs représentaient un total de 3 000,00 $ par an (2 120 €), remboursé par les contribuables. Depuis qu’elle utilise du cannabis médicinal, la facture de pharmacie a diminué de moitié, sans compter qu’elle perd désormais moins de journées de travail. Le nabilone coûte 180 $ par mois (127 €), mais l’achat de marijuana reste aux frais du patient et coûte 5 $ à 15 $ le gramme (3,55 € à 10,60 €). Les défenseurs du cannabis thérapeutique demandent d’ailleurs que la substance soit remboursée, au même titre que bien des médicaments.

Pour le Dr Antonio Vigano qui travaille à la clinique Santé Cannabis depuis mars 2015, l’efficacité du cannabis médical est indéniable. Chacun de ses patients doit venir avec une liste détaillant ses prescriptions de médicaments des cinq dernières années. Cela permet d’éviter les faux patients, trop nombreux, ainsi que ceux qui ont connu des épisodes psychotiques.

« Sur les 700 patients que j’ai rencontrés depuis que je suis ici, j’estime que pour près de 50 %, le cannabis est un succès et élimine leurs symptômes. Pour 40 %, le succès est partiel », et pour les 10 % restants, l’échec du traitement est plus souvent lié à l’âge ou à l’impossibilité d’utiliser un vaporisateur. En cas de crise, l’huile de cannabis sera inefficace car elle nécessite environ deux heures avant d’agir. Le Dr Vigano travaille comme anesthésiste dans un grand hôpital de Montréal tout en s’impliquant auprès des patients en fin de vie. « Le cannabis n’est pas un produit magique. C’est une substance complexe qui doit être abordée avec une approche holistique : on ne doit pas juste répondre aux symptômes, mais travailler en partenariat avec le patient. Malheureusement, le personnel médical manque de formation et de connaissances sur le sujet, c’est pourquoi je compte ouvrir bientôt une clinique similaire dans un hôpital universitaire », ajoute-t-il.

Conseillers en cannabinoïdes

En attendant, à la clinique de la rue Amherst, il peut compter sur l’aide de Mathieu Paquin, conseiller en cannabinoïdes. Ce dernier connaît bien les produits sur le marché et compte aussi sur une expérience de quinze ans dans le domaine de la réhabilitation des toxicomanes et plutôt de la réduction des méfaits. Lors de séances d’une durée de trente minutes, Matthieu évalue les besoins du patient en fonction de son historique de consommation. « Il y a des gens qui arrivent à la clinique avec l’autorisation gouvernementale pour faire pousser leur propre cannabis, mais qui ne savent pas comment consommer de façon sécurisée », raconte-t-il en citant l’exemple de jeunes qui se fabriquent des concentrés de cannabis à des taux de 80 % de THC, ou d’autres s’approvisionnant dans la rue. « Ceux-là, il faut leur rappeler les risques de dépendance psychologique et éviter qu’ils tombent dans un modèle de surconsommation qui s’éloigne des objectifs du cannabis thérapeutique. Avec d’autres, il s’agira plutôt de trouver les produits aux bons dosage de THC et de CBD, ou de leur apprendre à utiliser les huiles ou les vaporisateurs de façon optimale », ajoute-t-il. Face à cette manne, toutes les cliniques ne sont pas aussi sérieuses. Une enquête du Journal de Montréal comment il avait été facile de se faire prescrire 4 g de cannabis thérapeutique par jour pendant 12 mois, après seulement 4 minutes d’entrevue sur Skype avec un médecin de l’ouest du Canada, et en invoquant uniquement le stress.

Épilogue

Présenté au printemps dernier, le projet de loi sur la légalisation du cannabis récréatif devrait entrer en vigueur en juillet prochain. Si l’expérience du Colorado se confirme au Canada, le pays comptera 15 % de fumeurs de cannabis et le marché du cannabis récréatif représentera plus de 60 % du chiffre d’affaires de l’industrie.

MATHIAS MARCHAL

Légalise émois

Pays-Bas, République tchèque, Croatie, Allemagne, Suisse, Tchèquie, Finlande, Italie… On ne compte plus les pays européens ayant légalisé l’usage du cannabis pour se soigner. De l’Australie au Canada, de la Jamaïque au Brésil, du Chili à l’Argentine, de la Nouvelle-Zélande à la Colombie, ou du Mexique à Porto Rico, en passant par Israël ou 23 États américains, tous ont compris que le cannabis pouvait améliorer la santé. Dans le microcosme franco-français, aucun candidat à la dernière présidentielle ne s’est pourtant penché sur le potentiel médical des cannabinoïdes. Retour sur ce débat en herbe…

Droite : l’exception qui confirme la règle

Est-ce l’enquête d’octobre 2016 rapportant qu’une majorité de Français (52 %) souhaite que la question du cannabis soit abordée lors de la présidentielle qui décide Nathalie Kosciusko-Morizet, seule femme à se présenter à la primaire de droite, à se prononcer pour sa dépénalisation ? Elle se distingue en tout cas de ses collègues, toujours prompts à dégainer des inepties. À titre d’exemple, Jean-François Copé en avril 2016 : « On a bien en tête les ravages du cannabis sur la santé physique psychologique psychique de nos jeunes. » Chez LR, ça balance dur dès qu’on évoque « les ravages de la drogue ». Accusé de suivre NKM, Bruno Lemaire période ante-macronienne se dépêche de préciser que lui est pour le maintien de l’interdit d’un « cannabis de plus en plus addictif ». Nicolas Sarkozy, à qui l’on demande s’il est « plutôt Ricard ou plutôt pétard », répond de manière fort énigmatique : « Je n’ai jamais fumé un pétard de ma vie, ce n’est pas du tout que je suis contre. » Jean- Frédéric Poisson, lui, pense que le cannabis est « beaucoup plus dangereux pour l’activité cérébrale » que naguère. Aussi est-il partisan de renforcer la loi, contre « les promoteurs de sa consommation »… Asud, si tu nous entends !!!

Le vainqueur de la primaire, François Fillon, escroc malgré lui et fervent catholique, est évidemment contre toute évolution législative déclarant que face « à un fléau comme celui-là, il n’y a pas de bonne solution ». Et il prend en exemple les Pays-Bas où la tolérance envers le cannabis n’a pas permis de diminuer sa consommation, ce qui, les chiffres en attestent, est un mensonge éhonté… Mais en plein Penelopegate, who cares ?

À droite de la droite, Marine Le Pen s’est exprimée par l’intermédiaire de son directeur de campagne, David Rachline, sur l’éventualité d’une dépénalisation : « C’est complètement délirant, Il faut au contraire lutter de toutes nos forces contre les trafiquants et la drogue »… Marine Le Pen qui, et il est bon de le rappeler, qualifiait de « dramatique sur le plan moral, politique et sanitaire » l’implantation de salles de consommation à moindres risques. Quant à son vassal Dupont-Aignan, il fustige Kosciusko- Morizet et Hamon sur leur prise de position respective : « C’est une hérésie, il y a un mal, eh bien couchons-nous devant, ce sont des collabos. » Il y a parfois un vocabulaire que certains mouvements politiques devraient éviter d’utiliser.

Écologistes : carton plein

Autre primaire et autre ton, celle d’un parti aujourd’hui marginal : Europe Écologie les Verts qui fait carton plein. Une fois n’est pas coutume, les candidats, au nombre de quatre, sont favorables à une légalisation contrôlée du cannabis. Une position qu’ils défendent depuis la création du Collectif pour l’abrogation de la loi de 1970 (CAL 1970) il y a vingt ans et, il faut le souligner, qu’ils ont toujours maintenue malgré de forts remous internes.

Gauche : on est pour parce qu’on est contre

Quand la question vient à être posée aux sept candidats à la primaire de la gauche, un seul parmi les socialistes « pur jus » estime comme 84 % des Français que la loi de 1970 est bancale. Même chez les partisans d’un changement légal, on sent toujours le poids d’une condamnation morale de la consommation vue comme un préalable nécessaire à toute remise en cause du dogme prohibitionniste.

Le plus à l’aise sur la question est Benoît Hamon, le gagnant de la primaire. Mais même lui prend bien soin de préciser qu’il n’a jamais tiré sur un pétard parce que « ça peut être dangereux » (sic). S’il veut légaliser (et non de dépénaliser), c’est pour en finir avec le marché noir, une « vraie gangrène ». Et avec les 535 millions d’euros aujourd’hui consacrés à la répression, il mènera « une vraie politique de prévention sur les risques du cannabis ». Autre argument : légaliser garantirait la qualité des produits et éviterait aux consommateurs de fréquenter des dealers toujours rapides à vous fourguer des drogues beaucoup plus addictives que le cannabis, car en plus des dangers de la drogue, il y a les méchants dealers.

À l’opposé, Manuel Valls, qui n’a jamais caché son aversion pour les partisans de la légalisation, tient des propos confus : « Si vous légalisez le cannabis, vous aurez de toute façon un cannabis plus dur, coupé autrement, qui alimentera d’autres trafics. » Vincent Peillon, quant à lui, ne se mouille pas, même s’il reconnaît « que le débat mérite d’être ouvert », et Montebourg y est franchement hostile.

Constatant que le trafic génère de l’insécurité, Sylvia Pinel, du Parti radical de gauche, veut confier aux pharmaciens le soin de délivrer « une telle substance » et dans le même temps de « dispenser des conseils », une aberration. Élevé chez les Verts, François de Rugy penche, lui, pour la vente « sur le modèle des débits de tabac ». Quant au trublion de la primaire Jean-Luc Bennahmias, longtemps secrétaire national des Verts (1997-2001) et soutien du Circ lorsque la justice lui cherchait des noises, il souligne l’échec de la répression et s’en est prend aux « discours hypocrites et à une diabolisation simpliste » de la majorité de la classe politique. Merci Jean-Luc !

Insoumis : bienvenue au Cannabistrot

Autre candidat à la présidence : Jean- Luc Mélenchon. De retour d’un voyage au Canada, le candidat de la France insoumise rapporte dans ses bagages une déclaration de la ministre canadienne de la Santé : « Nous allons introduire une législation pour empêcher la marijuana de tomber entre les mains des enfants, et les profits de tomber entre les mains des criminels. » Le cannabis, ce n’est pas sa culture et dans le clip publié sur son blog, elle répète qu’il faut légaliser pour que l’on puisse faire campagne contre le cannabis. Toujours cet argument contre intuitif, qui semble plaire à tant de politiques tenaillés par la crainte d’apparaître « partisan de la drogue », voire drogué eux-mêmes. Il reconnaît être mal à l’aise sur le sujet et s’en remet à la sagacité des militants de la France insoumise qui, dans L’Avenir en commun, propose « de légaliser et encadrer la consommation, la production et la vente de cannabis, accompagné d’un contrôle de la qualité des produits ».

En marche ! : contravention + prison ?

Dans son livre-programme, notre nouveau président écrit : « Je plaide pour une dépénalisation de la détention en petite quantité du cannabis afin de désengorger les tribunaux. » Ça, c’était avant ! Aujourd’hui, il propose par la bouche du ministre de l’Intérieur de « contraventionaliser » la possession de cannabis. Au-delà de la validité du néologisme, le tout est de savoir s’il s’agit de véritablement décriminaliser en remettant tout à plat dans une nouvelle loi ou de racketter les consommateurs en généralisant les amendes (100 € ?) sans réformer la loi de 1970. Tout tourne en fait autour du fameux article L. 3421-1 du code de la santé publique (l’ancien L. 627), qui rend passible de 1 350 € d’amende et d’un an de prison quiconque consomme la substance incriminée, en l’occurrence le cannabis. Tant que cet article ne sera pas abrogé, le reste ne sera que littérature. Pour notre président, la punition doit s’appliquer à tous les délits, « du vol à l’étalage à l’usage de stupéfiants ». Ça ne vous rappelle rien ? Mais oui, la politique de « tolérance zéro » chère à tous les prohibitionnistes patentés qui, de Ronald Reagan à Nicolas Sarkozy, ont tellement oeuvré pour transformer la lutte contre la drogue en outil de contrôle des minorités ethniques. Un compagnonnage qui ne semble pas très République en marche… et en même temps ??!!!

JEAN-PIERRE GALLAND

L’ordre des pharmaciens d’ Île-de-France se bouge…

En 2007, l’Ordre national des pharmaciens avait obligeamment relayé auprès de ses adhérents un appel à respecter l’obligation de délivrance des traitements de substitution aux opiacés (TSO) grossièrement bafouée par plus de 3 pharmacies sur 41. Depuis, plus rien, malgré une situation qui n’a cessé de se dégrader, au point que certains Csapa se sont vus contraints de faire appel à Asud pour trouver des officines « usagers de drogues compatibles ». Grâce à une campagne de presse et quelques démarches auprès de la mairie d’arrondissement, Asud et le groupe SOS ont réussi à convaincre l’ordre des pharmaciens d’Île-de-France de renouveler une démarche pédagogique en direction de ses ouailles, parfois un peu oublieuses des devoirs qui incombent au statut de professionnels de la santé. Nous publions ici ce courrier in extenso, dans l’espoir qu’il serve de modèle à d’autres organisations ordinales régionales.

Mes chers confrères,

Le Conseil régional de l’Ordre a été informé par le Centre de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA) 110, Les Halles et l’association de patients de l’addictologie ASUD (Auto-Support des Usagers de Drogues) que certaines officines de notre région refuseraient de dispenser des médicaments de substitutions aux opiacés aux personnes utilisatrices de TSO.

Cette situation n’est pas satisfaisante et ne saurait perdurer, et ce, d’autant moins que les risques sanitaires liés à leur addiction sont aggravés par le refus de délivrance surtout lorsqu’il s’agit de personnes en situation de précarité. S’il est concevable que ce type de traitement peut parfois poser des problèmes tant pratiques (ordonnances mal rédigées, non sécurisées, falsifiées…) que de gestion humaine (nombre trop important de patients dirigés vers la même officine, individus agressifs…), ceux-ci ne peuvent justifier de refuser cette patientèle.

Est-il besoin de rappeler qu’en tant qu’acteurs de santé publique, nous, pharmaciens, avons, non seulement le devoir de faire preuve du même dévouement envers toutes les personnes qui ont recours à notre art mais aussi de contribuer à la lutte contre la toxicomanie, notamment en participant aux actions de soin et de prévention visant à limiter les dangers liés à l’usage de psychotropes ?

Il convient de souligner que le Code de la Santé publique, en ses articles R. 4235-2 et 61 n’ouvre le refus de dispenser un médicament qu’aux seuls cas où « l’intérêt de la santé du patient lui paraît l’exiger » ou de soupçon de « trafic », à condition d’avertir le prescripteur et d’inscrire le refus sur l’ordonnance. Ainsi, lorsqu’ils présentent des ordonnances en bonne et due forme, respectant les règles et bonnes pratiques, ces patients inclus dans un parcours de soins doivent être accueillis et traités comme tous les autres patients. De même, ils bénéficient d’une dispense de frais, s’ils présentent les pièces justificatives.

Sachez que les refus injustifiés alimentent chez ces patients un sentiment de profonde injustice en même temps qu’ils portent atteinte à l’image de notre profession. Fort heureusement, au quotidien, une large majorité de confrères font honneur à notre serment. Les autres doivent savoir que nos instances, sont particulièrement attentives au respect de nos règles déontologiques et n’hésitent pas à les faire appliquer, le cas échéant.

Afin de vous épauler, vous trouverez ci-joint des liens vers des informations utiles :

– Meddispar : Substances vénéneuses – Médicaments stupéfiants et assimilés – Conditions de prescription et Conditions de délivrance ;
– Précis de réglementation applicable à l’officine – eQo 2016, publié par l’ARS (pp. 57 à 62) ;

– Bonnes pratiques de dispensation : Arrêté du 28 novembre 2016 relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments dans les pharmacies d’officine.

Les CSAPA et les médecins généralistes se sont engagés être attentifs à la qualité de leurs ordonnances et à informer davantage leurs usagers des modalités de dispensation. De plus, l’association ASUD s’est engagée à répondre à vos demandes d’informations. En cas de besoin, n’hésitez pas à contacter :

– le CSAPA : 110leshalles@groupe-sos.org
– l’association de patients ASUD : contact@asud.org
– le CROP : cr_paris@ordre.pharmacien.fr

Recevez, mes chers Confrères, mes meilleures salutations.

Le Président Martial FRAYSSE

1. Voir Asud-Journal n°34.

Comme une pierre qui roule ( like in a Rolling Stone)

Depuis plus de dix ans, Asud dénonce le scandale de la non-délivrance de traitement de substitution dans les pharmacies en faisant des enquêtes, en multipliant les tribunes (Libération du 27 décembre 2015) (1) et en émettant des protestations auprès de l’ordre des pharmaciens et des pouvoirs publics. D’aucuns prétendent que nous avons une perception à la fois paranoïaque et parisiano centrée du problème… Justement, Marc Dufaud, habituellement connu de nos lecteurs par son « A-Kroniks », est parti à Bordeaux, capitale du bon vin, sans avoir renouvelé sa provision de buprénorphine… Qui a dit que la délivrance de TSO ne posait pas de problèmes ?

Une phrase de Dylan m’est revenue : non, ce n’est pas Everybody must get stoned, mais « comment ça fait d’être là seul comme le plus parfait inconnu comme une pierre qui roule ? » (Like a Rolling Stone !!!!). Oh, n’allez pas pour autant vous imaginer que je me sois perdu en terre lointaine et hostile – Cette sentence-là m’est venue à… Bordeaux, Gironde.

Mais reprenons depuis le début… Quelques jours plus tôt, j’embarquais à bord d’un TGV gare Montparnasse pour un séjour improvisé d’une semaine. Si bien improvisé qu’à la descente (c’est de circonstance), je constatais dépité avoir, dans ma précipitation, oublié de renouveler mon ordonnance de médicament de substitution aux opiacés (MSO)… Autrement dit, mon « Sub » délivré pour 28 jours.

J’ai beau compter et recompter mes tablettes de Subutex® : rien à faire, même en restreignant ma consommation, ce sera trop juste. De prime abord, ça ne m’inquiète pas plus que ça. J’ai sur moi une ou deux ordonnances récentes – les contrôles de police m’ont appris ce genre de prévoyance qui épargne de déplaisants séjours au dépôt. Il suffira de passer dans une pharmacie me faire avancer une boîte ou même quelques comprimés afin de ne pas être malade. Au pire des cas, je pourrais proposer un appel ou un mail de mon toubib confirmant que je suis bien sous traitement et on conviendra ensuite d’une régularisation en bonne et due forme (2).

J’allais vite comprendre que ce plan relevait du chemin de croix… vertes clignotantes !

Cour de la Marne, Bordeaux : je pénètre dans la première officine venue. La pharmacienne, baguenaudant, non dans les pâturages mais dans les rayonnages pour une mise en place de produits de parapharmacie très rémunérateurs, a un mouvement de recul dès mon entrée. Retour vers le futur 10-15 ans en arrière ! « Ah, mais ça n’est pas possible sans ordonnance, me débite sans reprendre son souffle la quadragénaire, aussi saure qu’un hareng, d’une voix presque robotique, nous fermons pour l’heure du déjeuner je vous prierais donc de bien vouloir sortir, merci monsieur, au revoir. » J’échoue blanc !

Pas découragé, je file place Saint-Michel et là, je propose d’emblée un mail de mon médecin : « Désolé, nous n’avons pas d’Internet en ce moment… Je vous assure depuis deux jours on n’a pas de connexion. »… Ça interloque un peu, mais partant du principe que les gens n’ont pas de raison de mentir sans bonne raison justement, je veux bien les croire… les gens.

La pharmacie suivante me ressert le « Sans ordonnance, ce n’est pas possible. »
« Comment je fais ? », me rebelle-je mollement.
« Vous n’avez qu’à aller aux Capucins », me suggère le pharmacien, l’air de rien. Les
Capucins, c’est le coin « mal famé » de la ville, celui des tox et de la vente de rue. Cocasse ! Tenace, des bords de Gironde à l’avenue Victor Hugo en passant par les abords de la gare, j’étrenne à peu près toutes les officines locales, asiatiques, bourgeoises et même la pharmacie « pionnière » de la ville en termes de substitution. « On a été la première à Bordeaux à délivrer du subutex® », me renseigne la laborantine pas peu fière. Un court instant, je me sens sinon compris du moins entendu, mais même les pionniers… :

Sans ordonnance, non vraiment, blah blah

De guerre lasse, j’appelle mon toubib. Le répondeur m’informe que le cabinet est fermé exceptionnellement pour 10 jours. Il n’y a plus à tergiverser, autant consulter un médecin dans ma ville « d’accueil » et établir une prescription en bonne et due forme.

Je plonge donc chez le généraliste que m’a indiqué à rebrousse-poil la pharmacienne d’un centre commercial : situé au rez-de-chaussée, le cabinet donne sur la
rue. La porte ouverte à cause de la chaleur laisse voir la salle d’attente où patientent une dizaine de patients. Je m’apprête à me joindre à eux quand mon regard est attiré par une série de consignes placardées en A4 sur la porte à l’extérieur : les deux premières représentent l’une un chien, l’autre une cigarette, toutes deux barrées d’un panneau d’interdiction, la troisième liste les produits qui ne sont pas délivrés ici « Rohypnol®, Ritaline®, Subutex® ».

Récapitulons : l’endroit est interdit aux chiens, aux fumeurs et aux tox ! Ça a le mérite d’être clair et ça ne date pas d’hier quand on sait que le Rohypnol® est interdit depuis des années.

Il est 19 heures, j’en ai ma claque… Demain est un autre jour.

Le lendemain, je finis par décrocher – si, si ! – une consultation dans un cabinet du côté des Capucins. La femme médecin, d’abord suspicieuse, pour ne pas dire rétive, se déride à la lecture de mon historique qu’elle décrypte en introduisant ma carte Vitale dans son lecteur directement branché sur la Sécu. Elle me délivre ma prescription et joint par téléphone la pharmacienne du centre commercial pour lui indiquer ma venue imminente. Se souvenant de mon passage la veille, la patronne n’est pas très encline à délivrer sur 28 jours. « Il est de Paris, je préférerais sur 10 jours », assène-t-elle. Là, je refuse tout net. Mon médecin absent, j’exige une prescription mensuelle. Ce que j’obtiens en dépit de quelques grincements de dents.

Finalement, après trois journées de déambulations dans cette charmante et typique bourgade d’Aquitaine dont on nous vante le réveil, la percée culturelle et même l’avant-gardisme, tout rentre dans l’ordre.

Découvrir Bordeaux en pérégrinant de pharmacies en pharmacies, c’est une façon originale, voire avant-gardiste, de faire du tourisme, non ?

MARC DUFAUD

1. http://www.liberation.fr/france/2015/12/27/substitution-aux-opiaces-vingt-ans-dhypocrisie_1423123

2. Voir le Manuel des droits des usages de TSO sur asud.org

L’ayahuasca : La plante qui nous parle

L’ayahuasca (appelée aussi natem ou yagé), la plante des morts en langue quechua, a la réputation de « parler » à ceux qui la consomment, de s’adresser à eux, ou de faire parler en eux quelque chose qu’ils ignorent. Elle nous ramène aux expériences psychédéliques des années 60 et 70, à l’idée que les drogues, avant d’être des addictions, sont des voyages intérieurs puissants, capables de nous transformer et de nous faire « triper ».

L’ayahuasca doit son succès à l’intérêt qu’elle suscite dans la sphère new-age pour ses perspectives de développement personnel. Elle renoue ainsi avec une définition expérimentale et initiatique des psychotropes, une définition des drogues datée, mais moins dysphorique que celle placée sous le signe de la dépendance. Cette promesse, qui fondait naguère toute une part de l’intérêt pour ces voyages intérieurs, portée par les Baudelaire, les de Quincey, les Timothy Leary et autres Aldous Huxley, a été largement remplacée par l’enjeu du plaisir, de la performance, de la fête ou par les différentes figures plus sombres de la « conso » et de l’addiction.

La plante des chamans

Et voilà que du fond de la forêt vierge, et d’un monde historique précolombien, resurgit une expérience psychédélique et presque sacrée qui nous ramène à une forme de pureté originelle, quasi rousseauiste. L’ayahuasca, la plante des chamans du bassin amazonien, nous offre une plongée imaginaire aux racines de l’humanité, avec une promesse d’accord écologique avec la création (1). Elle nous connecte avec ces peuples premiers, amérindiens, qui représentent encore
une sorte d’état de nature pour l’Occident. Cette plante de la forêt, utilisée par les Indiens Shipibos ou Jivaros par exemple, ne porte pas un nom savant et compliqué de chimiste (N,N-diméthyltryptamine), mais renvoie à un sacré magique qui nous fascine. Elle peut se concevoir comme une pratique aux racines de l’humanité d’autant qu’elle témoigne d’un rapport à la nature non-cartésien et loin des formes occidentales de la pensée, fondées comme on le sait sur une stricte distinction entre nature et culture. La plante sacrée est réputée créer un lien avec les entités naturelles, les animaux, considérés comme des personnes, mais aussi les esprits et les morts, la plante elle-même étant douée d’une identité propre et donc capable d’« enseigner » celui qui la consomme. Elle renoue donc avec l’animisme (les hommes ne sont plus les seuls à avoir une âme ou un esprit) comme avec une vocation thérapeutique liée à une dimension enthéogène spécifique, de par sa dimension divinatoire et sa capacité à établir des liens à avec d’autres mondes, ceux des esprits et des morts (2). Elle renvoie aussi aux racines phylogénétiques de l’humanité comme à ces premières expériences psychotropes vieilles comme les hommes et leurs croyances (3). Il est notable d’ailleurs de constater que cet imaginaire animalier est bien présent dans les récits qui sont faits, y compris par les psychonautes occidentaux, de ces expériences, peuplés qu’ils sont de jaguars, de serpents, d’oiseaux de proie et d’insectes, mais aussi de vierges de la forêt et de vieux sages comme de nos morts ordinaires, comme si des invariants anthropologiques perduraient au-delà de la variété des expériences et du poids évident des formes d’auto-influence.

Une expérience occidentale

Ces usages anciens existent aujourd’hui sous plusieurs formes. Sous une forme explicitement religieuse avec des cultes syncrétiques, qui associent autour de la plante (en réalité une décoction de plusieurs plantes différentes qui se potentialisent et permettent la fixation du principe actif sur les neurotransmetteurs) un culte chrétien et une relecture du chamanisme, à travers des cérémonies qui mêlent chants, danses et consommation eucharistique du Saint Don (Santo Daime). Ces cultes, qui associent la culture religieuse issue du monde hispanique sud-américain, celle des tribus amazoniennes et celles des esclaves marrons, fleurissent en Amérique du Sud, au Brésil en particulier. Exportés en Europe ou aux USA, ils renouent avec un usage collectif, sacralisé, ritualisé d’une drogue et se définissent comme des religions, ce qui juridiquement autorise au demeurant ces pratiques dans certains endroits comme en Hollande. La drogue n’est plus au service du plaisir, de la performance ou de l’expérience des limites, mais considérée comme une voie d’accès à soi, au spirituel et comme ciment, communion au sein d’un groupe. Par ailleurs, la très forte attractivité imaginaire de cette expérience a conduit au développement d’un néo-chamanisme local (bassin amazonien péruvien) et exportable qui voit des Américains ou des Européens tenter de revivre les expériences extatiques sous la gouverne, ou l’influence de chamans et de guérisseurs sud-américains d’origine hispanique, ayant eux-mêmes un rapport second avec ces pratiques, orientées vers la guérison. Cette mode conduit bien sûr à travestir ce qui la fonde et à bafouer, ici ou là, la quête d’authenticité qui la motive, dès lors que pouvoir et argent s’en mêlent.

Lutter contre les addictions ?

Depuis Lévi-Strauss, nous savons que les tropiques sont tristes, et qu’il nous faut savoir dire adieu aux voyages comme aux sauvages. Mais la tentation de se ressourcer ne faiblit pas, surtout quand elle prend la forme d’une expérience psychique bercée par les Icaros, ces chants anciens qui l’accompagnent toute la nuit. Cette rencontre entre civilisations, à travers l’usage d’un pharmakon, salvateur et sans doute à risques, est néanmoins passionnante, tant on voit comme chaque culture va tirer à elle l’usage du psychotrope : le chamanisme originel, guérisseur et guerrier (4), la tradition des guérisseurs d’origine hispanique qui en font une forme de purge, accessible que sous une forme revisitée et marchandisée, la religion syncrétique du Santo Daime, la quête de soi et de spiritualité individuelle, voire, paradoxe suprême, la lutte contre ses propres addictions, toutes occidentales (5),
sont les différentes formes que prend aujourd’hui ce que William Burroughs à la fin de Junky appelle le yagé. Les livres de Carlos Castaneda sur les Indiens Yaquis (6) et leur chamanisme avaient déjà suscité la même fascination, tout comme le même cortège de doutes, d’inquiétudes et de remises en cause. Mais ce qui paraît notable dans ces pratiques, c’est qu’elles déplacent nos conceptions et nos rapports avec les psychotropes en (re)mettant en avant un usage collectif et ritualisé en contradiction avec la dimension très individualiste qu’a prise l’usage des drogues.

Une fois bien comprises les précautions élémentaires relatives aux compétences réelles des chamans à accompagner ces voyages, aux risques psychiques qu’il y a à les effectuer, voire aux dérives sectaires éventuelles auxquelles ils peuvent donner lieu, il faut comprendre le caractère révolutionnaire de ces pratiques. Elles n’opposent pas l’usage et le non-usage ni le sujet au monde, mais les articulent explicitement. Les Indiens de la forêt ne construisent pas l’expérience de la liane comme l’envers de leur vie, mais la lient au contraire étroitement à son cours ordinaire, puisque pour eux ces deux mondes n’en font qu’un, rompant avec la conception occidentale de distinction absolue entre les choses et l’esprit, pour renouer les fils du matériel et de l’immatériel.

JEAN-MAXENCE GRANIER

1.Voir le film Avatar (James Cameron, 2009) qui s’inspire de cet imaginaire en mettant en scène des tribus extra-terrestres, les Na’vis, proches des formes de vie amazoniennes, toutes reliées à leur planète (Pandora) et à l’ensemble des animaux qui la peuplent via un « arbre des âmes » qui rappelle fortement la liane des morts.
2.Voir le documentaire de Yan Kounen D’autres mondes, 2004, qui enquête sur les Indiens Shipibos et la plante sacrée.
3. Voir dans cette veine le controversé (Le) serpent cosmique : L’ADN et les origines du savoir, Georg Editeur, 1997.

4. Voir le livre de Philippe Descola sur les Achuars, Les lances du crépuscule Relations Jivaros Haute Amazonie, Paris Plon,
1994, collection Terre Humaine.
5. Il existe ainsi un centre au Pérou, le centre Takiwasi, qui s’appuie sur l’ayahuasca pour lutter contre l’addiction.
6. Voir par exemple L’Herbe du diable et la Petite Fumée, 1968 ou Le Voyage à Ixtlan,
1972.

 

 

Un traumatisme durable.

Cette histoire commence en 2009. À l’époque, j’étais déjà relativement expérimenté avec certains psychédéliques (cactus, champis magiques, salvia, cannabis fumé/ingéré…), j’avais pas mal lu sur l’aya (Jeremy Narby, Jean-Marie Delacroix, etc.) et vu les films de Jan Kounen. Comme beaucoup, j’ai été nourri de l’idée que cette expérience pouvait permettre de guérir certaines choses, que c’était une plante enseignante et le chaman, un guide.

J’avais aussi entendu parler des « arnaques ». J’avais vu partir quelques amis vers un séminaire
d’une semaine dans le sud de la France, et l’un d’eux m’a même appelé au cours de son troisième trip, complètement flippé : après avoir quitté le cercle de cérémonie, il était parti dans les bois, à moitié à poil, avec son téléphone et moi à l’autre bout du fil comme seul lien avec la réalité… J’avais réussi à le rassurer, le calmer, et il était finalement rentré un peu secoué et très excité par ses visions, mais avec plus de questions qu’avant. Bref, je connaissais « les risques ». Enfin, je le croyais.

Arrive donc le jour où j’ai la possibilité (et le sentiment que c’est le « bon moment ») de participer à une cérémonie. On m’a conseillé un « spécialiste » (H.L., en fait un rabatteur) que je vois une première fois seul, puis une seconde en groupe, avec d’autres intéressés et d’anciens participants venus parler de leur expérience et promouvoir ce qui nous attend. Tout ça me met en confiance, les chamans en question (C. et M., un couple de Brésiliens) semblent avoir déjà fait déjà beaucoup de cérémonies. Ils pratiquent à Bruxelles et Amsterdam (en France jusqu’à l’interdiction en 2005), avec une autre spécialité : le « kambo », venin d’une grenouille d’Amérique du Sud censé être un très puissant stimulant du système immunitaire… La cérémonie à laquelle je dois participer est donc un « pack » ayahuasca + kambo.

La peur au ventre

La semaine où je dois me décider, une appréhension persiste, mais je suis alors fermement persuadé qu’il faut vaincre ses peurs… Me voici donc inscrit (je paye la moitié, soit 80 €). Après deux jours sans aucune drogue ni sexe (une des recommandations importantes de l’organisateur), un des participants (T.) vient me chercher. Pour lui, ce n’est pas la première fois, c’est un teufeur qui a expérimenté pas mal de trucs. Un titre de Younger Brother (Ribbon on a Branch) passe dans la voiture. En l’écoutant, j’avais la sensation d’aller vers l’inconnu… et vers une sorte de « petite mort », au point d’envoyer des SMS (pour demander pardon, faire la paix) à plusieurs de mes proches. En arrivant dans la salle (à Bruxelles), je sens l’odeur caractéristique du palo santo (bois brûlé comme encens pendant les cérémonies). Je ne sais pas pourquoi mais mon corps rejette cette odeur, et soudain, une sensation dans le ventre me crie de NE PAS rentrer, de faire demi-tour et d’aller jusqu’à la gare la plus proche !!!

Je fais part de mes hésitations à la personne avec qui je suis venu. Mal à l’aise, il me dit que non, ça va aller. C’est alors que Mi., un type d’une cinquantaine d’années vient vers moi d’un pas très sûr de lui. C’est un chef d’entreprise, père de famille qui assure donner de l’aya à son garçon de 15 ans ! Il me fixe comme s’il pouvait lire en moi, décrivant les émotions que je ressens, et me rassure : « Ne t’inquiète pas, ça va aller. Je suis passé par là aussi, mais tu ne dois pas te laisser guider par la peur ! Si tu fais demi-tour maintenant, la peur te guidera toute ta vie ! » Soudain, le doute. Je ne sais plus trop. Le chaman (C.) vient à son tour, se présente et me met en confiance, me dit que tout va bien se passer, etc.

Je commence à rentrer dans la salle puis, voyant que j’hésite encore un peu, le rabatteur dit : « Bon allez, on va pas y passer la nuit, si tu veux avoir peur toute ta vie, c’est ton problème. » Pris dans le mouvement, souhaitant vaincre ma peur, je paye le reste (80 €) et suis le groupe. Les hommes (une dizaine) d’un côté, les femmes (une dizaine également) de l’autre. Une photo du Christ est présente (ils font partie du Santo Daime), mais différentes divinités sont invoquées par le chaman au début de la cérémonie. Chaque participant se voit ensuite remettre un verre (que C. re-remplit à chaque fois) d’un breuvage ocre/orangé contenu dans une bouteille en plastique. Le goût est assez spécifique et pas très agréable, mais ayant déjà mangé des cactus à mescaline, ça ne me semble pas si mauvais. Mon voisin murmure parfois des « Tsss, tsss », comme dans les films de Jan Kounen…

Rien au début…

Au début, je ne sens rien, juste une légère torpeur, puis, quelques maux de ventre, quelques nausées. Les chants commencent, il y a aussi du tambour. La lumière est tamisée. Mon mode de pensée se met à changer doucement, se faisant plus clair. Une certaine « ivresse », indescriptible et légère, je vois la peau d’un serpent (avec des écailles fluo) fondre en surimpression sur toute la pièce… ! Ça continue comme ça pendant un bon moment, et j’ai une sorte de révélation : à l’instant où la pensée (tout juste naissante) se tapit dans mon esprit, une sorte de projecteur (la conscience ?) l’éclaire en grand et la met en évidence !!! Une vraie prise de conscience. Avec cet « outil », impossible par exemple de se laisser attraper par la peur ! Repérée dès qu’elle surgit, elle se volatilise d’elle-même ! J’ai l’impression de comprendre un peu ce que le Christ, Bouddha (et d’autres) ont tenté d’expliquer à l’humanité. Bref, j’use de ce « pouvoir » avec délectation, et cette découverte me rend euphorique. La cérémonie continue, jusqu’au moment où le chaman pousse un cri atroce !!!!!!! J’ai l’impression que quelque chose se déchire en moi, mais sur le coup, je n’y prête pas plus d’attention que ça. Le cri s’arrête, c’est le principal ! Ensuite, on nous distribue des instruments très simples (tambour, sifflets, maracas, etc.). Petit à petit, les sons se superposent harmonieusement, et nous faisons tous UN. C’est beau, certainement le meilleur moment dans la cérémonie, dont la première partie prend fin au bout de trois heures environ.

On prépare maintenant le kambo. Le couple de chamans brûle de fins bâtons pour obtenir une braise avec laquelle ils feront de légères brûlures sur l’épaule ou la jambe, pour rendre la peau perméable et y étaler le venin. Ainsi, le passage dans le sang est très rapide, et il paraît que dès que le cerveau reçoit l’information, le corps l’interprète comme… la FIN. Impossible de raisonner, le corps te dit « c’est fini, tu vas claquer ». Un des premiers à le faire est un gaillard bien rôdé à l’ayahuasca, dont je vois le visage devenir verdâtre et s’affaisser… Puis il glisse (on était assis) et semble perdre connaissance, tout en vomissant. Le « staff » s’occupe de lui pour ne pas qu’il avale son vomi et s’étouffe ! Franchement, j’ai aucune envie de prendre ça. Je le dis. On m’explique que l’aya est comme une bombe qui rase tout mais laisse un trou béant, et que le kambo agit lui comme un pansement. Tant pis, pas de pansement pour moi. Vers 4 heures du mat’, tout le monde va se coucher puis le lendemain, réveil assez tôt, petit déj’ en mode « discussions passionnées sur les révélations de la veille », et départ. Je redécolle vers midi avec le même « pilote » qu’à l’aller. Le trajet du retour est assez silencieux, la fatigue aidant.

La plus étrange période de ma vie

Le retour chez moi est assez étonnant : j’ai l’impression de redécouvrir ma rue ! Le soir, je me couche tôt, je me sens fatigué. Le lendemain après-midi, j’enchaîne le boulot et je me sens en
décalage, mais j’arrive pas à savoir exactement pourquoi. J’ai l’impression que quelque chose a
changé. La concentration me demande plus d’efforts que d’habitude. Ayant un poste à responsabilité, c’est un peu embêtant… Le surlendemain, je sens que quelque chose ne tourne pas rond. Nuit affreuse, sensations bizarres, je me réveille toutes les trente minutes, je transpire à grosses gouttes, je me sens anxieux. C’est le début de la plus étrange période de ma vie. Les jours suivants, je perds de plus en plus le sommeil, mes nuits sont très courtes, entrecoupées de réveils en sueur, avec des sensations bizarres au niveau du côté gauche de mon visage et de la tête. Je me sens comme dans La Quatrième Dimension. Ma perte de concentration s’aggrave et l’organisation me demande des efforts terribles ! J’ai aussi l’impression d’être beaucoup plus plongé dans l’instant présent. Plusieurs clients me demandent si ça va, j’ai pas l’air bien, mauvaise mine…

Je décide d’aller voir mon généraliste pour ces sensations étranges dans la joue. Il me fait faire quelques examens sans succès et, quand je lui parle de l’ayahuasca, finit par me proposer des anxiolytiques… J’en prendrai quelques jours : la confusion et les sensations étranges restent et en plus, je me sens abruti. Un soir, je fais une crise terrible au moment du repas : je vais m’enfermer dans ma chambre, j’ai une grosse sensation de mort imminente. C’est la PEUR à l’état pur. J’ai déjà vécu quelques crises d’angoisse mais là, ça n’a rien à voir… Je décide de recontacter l’organisateur de la cérémonie, qui me propose de revenir le mois prochain et « boire » à nouveau. Je n’en ai bien
sûr aucune envie (sans parler des 160 € à payer) et quand je le lui dis, il me lance « Alors t’as qu’à faire un peu de yoga ! » et raccroche. Quand je le contacterai plus tard sur Facebook pour lui faire part de ce qui m’arrive, il s’en lavera les mains en disant « on a déjà fait des milliers de cérémonies,
ça c’est toujours bien passé, donc c’est de ta faute ». J’apprendrai par la suite que plusieurs victimes ont déposé plainte contre ces gens-là, et que H.L. recrutait notamment via Facebook mais aussi sur des sites de rencontres !

Entre temps, je n’arrive plus du tout à gérer mon travail, je démissionne. Dans les transports en commun, c’est comme si je ressentais les émotions des gens x 1 000 !

C’est invivable… Je comprends peu à peu que nous avons tous une sorte de « carapace » qui, certes, nous empêche parfois d’être plus à l’écoute des autres mais nous permet aussi de fonctionner dans la société et de nous protéger. J’ai l’impression que l’aya à fait voler cette « couche » en éclats (donc toutes mes protections). Presque tous les jours, je vais jardiner dans un potager associatif. Le contact avec la terre me fait énormément de bien, m’ancre un peu. Je me sens tellement déconnecté de mon corps… !

Plusieurs années à m’en remettre

Presqu’un an plus tard, j’ai été voir une acupunctrice recommandée par une amie. Dès la première séance, j’ai ressenti un réel mieux-être (la première fois depuis que j’essayais tout un tas de méthodes pour me soigner) ! J’allais la voir toutes les trois semaines et au bout d’environ six mois, je me sentais nettement mieux, j’ai recommencé à travailler quelques heures par semaine grâce à une entreprise d’insertion (rien à voir avec mon ancien métier mais c’était déjà beaucoup pour moi). Tout n’était pas parfait (loin de là) mais je me sentais revivre et avec le recul, je peux dire que j’ai mis plusieurs années à me remettre de cette expérience qui a laissé des cicatrices.

Si certains pensent que je suis une exception, au fil des années, j’ai rencontré d’autres personnes gravement choquées par leur prise d’ayahuasca. La plupart n’ont pas la force de témoigner, ou ne veulent plus en parler, préférant continuer à vivre et tenter d’oublier. C’est aussi pour eux que j’ai écrit ce témoignage.

Une chamane préoccupée par les dérives actuelles m’a également assuré que s’occuper de plus de 3-4 personnes dans une cérémonie était irresponsable et dangereux. Contrairement à une idée largement répandue, les chamans sont loin d’être des « sages », comme l’ont malheureusement démontré certains faits divers tragiques (décès, abus sexuels lors de cérémonies). Un tourisme chamanique se développe par ailleurs et avec lui, les imposteurs attirés par l’appât du gain prolifèrent. N’oublions pas que l’individu sous psychédéliques se trouve dans un état de grande suggestibilité. Le chaman possède donc sur lui un pouvoir important et la liberté d’en user comme bon lui semble…

Pour finir, je souhaite remercier infiniment ma famille, mes amis, et particulièrement la femme qui partage ma vie, pour l’amour et la patience dont ils ont fait preuve à mon égard. Sans eux, je n’aurais probablement pas tenu le coup…

J HI-DOU

La DMT (N, N-diméthyltryptamine) entre science et spiritualité

Beaucoup de choses ont été dites, écrites ou rapportées sur cette substance consommée depuis la nuit des temps au cours de rituels sacrés et qui revient en force dans nos sociétés… L’occasion de faire le point sur cette molécule au carrefour de la science, du psychonautisme et de la spiritualité.

Présente en abondance dans la nature, la DMT est une tryptamine proche de la psilocybine (4-PO-DMT), le principe actif des champignons hallucinogènes. Sur le plan neurobiologique, elle cible particulièrement les sites à sérotonines (5-ht) dont elle est aussi très proche chimiquement parlant. La sérotonine est d’ailleurs aussi une tryptamine mais pas psychédélique. Ce neurotransmetteur est impliqué dans l’humeur, la stabilité émotionnelle et la cognition. La plupart des dépressifs chroniques ont un taux de sérotonine plus bas que la moyenne. La DMT semble présente naturellement dans le corps humain, notamment à l’intérieur du cerveau dans la glande pinéale. Située dans l’épithalamus, cette glande connue depuis longtemps est entourée de mystère : Descartes y voyait « le siège » de l’âme tandis que pour les hindous et bouddhistes, elle correspondrait au troisième œil. Encore peu connue du grand public il y a quelques années, la DMT a vu sa popularité augmenter en flèche et on la retrouve de plus en plus sur les événements de musique électronique. Mais au-delà de sa consommation, c’est surtout le mythe qui l’entoure et la fascination pour cette drogue, souvent considérée comme un « médicament de l’âme », qui se propage comme une traînée… De poudre !

Un peu d’histoire tribale archaïque

Si sa consommation moderne, sous forme de free base à fumer ou de sel à sniffer/injecter, est assez récente, cela fait des milliers d’années que des plantes qui en contiennent sont consommées par les chamans et curanderos amérindiens. Sauf que, détail important, la DMT n’est pas active oralement ! Ingérée, elle est en effet détruite trop rapidement par le foie (par la monoamine oxydase, plus précisément) pour avoir un quelconque effet. Mais les anciens chamans ont découvert que des plantes contenant des IMAO (inhibiteurs de la monoamine oxydase) permettaient à la DMT de traverser la barrière hépato et donc de produire son effet psychoactif.

En mélangeant à 50/50, des feuilles de Psychotria viridis (chacruna) contenant la DMT + des morceaux de liane de Banisteriopsis caapi (ayahuasca) contenant des IMAO, on obtient donc un breuvage fortement psychoactif appelé traditionnellement le yagé ou, par extension, ayahuasca. Par leur action sur le foie, la consommation d’IMAO est très risquée. Par exemple, manger du fromage qui contient de la tyramine avec du yagé est potentiellement mortel, et la liste d’aliments à éviter est
longue. Dans les rites traditionnels, la prise de yagé s’accompagne ainsi de régimes alimentaires et de jeûnes sur plusieurs jours. Il arrive que les chamans ajoutent d’autres plantes à leur yagé, suivant les pathologies à soigner chez leurs patients. Certaines ne sont pas ou peu psychoactives, d’autres sont très puissantes, à l’instar des feuilles de Diplopterys cabrena (chaliponga), utilisée parfois en remplacement de la chacruna et qui contient 4 fois plus de DMT en moyenne, mais aussi une autre substance hallucinogène : le 5-MeO-DMT.

Ce 5-MeO-DMT, qu’on retrouve aussi dans les glandes sudorifères de la grenouille nord-américaine Bufo alvarius, un animal avec lequel les curanderos mexicains travaillent notamment dans le traitement des dépressions, dépendances et toxicomanies. D’autres tribus n’utilisent pas le yagé, elles prisent l’intérieur des graines de yopo (Anadenanthera peregrina), ou du cébil (Anadenanthera colubrina), qui contiennent du 5‑MeO-DMT avec un peu de chaux végétale pour activer les tryptamines. D’autres encore produisent du vin de Jurema (Vino de Jurema), fabriqué à partir d’écorce de Mimosa Hostilis. Cette plante a la particularité de contenir un peu d’IMAO, et donc d’être légèrement active oralement seule. Relativement accessible en Occident, c’est la plante la plus utilisée ici pour l’extraction de free base de DMT (bien que la plante à DMT la plus courante dans nos contrées soit le Phalaris Arundinacea ou baldingère faux‑roseau).

En fait, la liste des plantes contenant des tryptamines à courte durée d’action (DMT, 5-MeO-DMT, DET, DPT, NMT, etc.) est aussi longue que leur utilisation parmi les tribus amazoniennes est fréquente.

Quel est le rôle de la DMT ? La question à 64 milliards du Dr Meuli *1

En raison sûrement de son utilisation chamanique, la DMT est entourée d’une aura de mysticisme. La liste des croyances modernes et des interrogations autour de cette molécule est trop longue pour pouvoir être dressée ici. Elles constituent un réservoir dans lequel les consommateurs peuvent piocher pour « créer » un ensemble de croyances cohérent qui entrera en résonance avec leurs propres expériences sous DMT. Car la première chose à dire est que, plus encore que pour les autres hallucinogènes, la DMT entraîne des états « visionnaires » qui se prêtent au mysticisme… Qu’il s’agisse d’extra-terrestres, d’humains du futur ou de « créateurs », les rencontres avec les entités sont fréquemment rapportées lors des percées (voir encadré), de même que les souvenirs de vie passée, les expériences de mort imminente, ou les OBE (Out of Body Experience).

L’une des premières interrogations concernant le DMT est statistique. Elle concerne la probabilité qu’avaient les anciens Amérindiens de découvrir qu’en mélangeant l’ayahuasca à la chacruna, ils pouvaient obtenir de la DMT oralement active, parmi les millions de combinaisons possibles de plantes amazoniennes. L’explication réside peut-être dans le fait que, comme on l’a vu, les plantes à DMT sont nombreuses, et que par l’inhibition des processus de métabolisation qu’elle entraîne, la plante à IMAO – d’ailleurs, celle qui est nommée à proprement parler ayahuasca – produit des effets en association avec un grand nombre de substances et pouvait donc être assez facilement repérée par les chamans. Il n’en reste pas moins que ce « mystère pharmacologique » est d’autant plus troublant pour certains consommateurs que – la nature faisant bien les choses – la liane ayahuasca et les feuilles de chacruna se mélangent à 50/50 et que lorsque les anciens chamans des villages amérindiens sont interrogés sur l’origine du mélange, ils désignent le ciel en expliquant que ce sont leurs « cousins des étoiles » qui leur ont transmis cette technologie de l’esprit…

La percée, Wellcome to the Breakthrough
À partir d’une certaine dose (qui varie selon beaucoup de critères), le consommateur de DMT va expérimenter le deuxième effet Kiss Cool de la molécule, la percée (break through en anglais). Extérieurement, il aura l’air inconscient : il va tomber ou glisser de sa chaise, les yeux ouverts ou fermés, et il sera impossible d’en tirer la moindre réaction pendant la dizaine de minutes que va durer son voyage. Mieux vaut donc avoir quelqu’un qui assure pour gérer l’environnement et veiller sur la personne, notamment si elle a aussi pris de l’alcool, des opiacés ou tout autre produit pouvant provoquer des vomissements (risque d’étouffement). Définir ce qui constitue une « percée » de DMT n’est pas chose facile, mais le mot n’est pas choisi par hasard. Beaucoup d’usagers décrivent un passage vers un autre monde : comme si le temps/ l’espace/le soi volaient en éclats sous l’impulsion de la DMT qui vous aspire et vous projette dans une nouvelle dimension. L’expérience dépend évidemment de chaque utilisateur, de sa sensibilité, de sa perception, etc. (attention à bien prendre en compte ces facteurs, une percée peut virer au cauchemar). Quelques thèmes reviennent néanmoins de façon récurrente dans les récits : dissolution de l’ego, connexion avec la nature ou avec quelque chose de plus grand et de vivant, rencontre avec des entités en tous genres, passage à un état lumineux et hors du corps, visite de lieux mythologiques, inconnus, étranges, extra terrestres ou souvenirs de vie passée. Certains consommateurs de DMT apprécient de percer et recherchent cet état. En multipliant les expériences « de l’autre côté », ils peuvent en venir à penser que cet autre monde et les entités qu’ils y rencontrent sont réels et à considérer la DMT comme un véhicule vers d’autres dimensions… Quoiqu’il en soit, l’expérience est violente, et une des choses sur laquelle presque tous s’accordent, c’est que si vous vous demandez si oui ou non vous avez percé, c’est que la réponse est non !

L’histoire moderne de la molécule de l’esprit 

Pourtant, l’histoire moderne de la DMT commence de manière très scientifique, en laboratoire. C’est le chimiste anglais Richard Manske qui, le premier, a synthétisé de la DMT en 1931, lors de recherches pharmaceutiques et son nom commercial était la Nigerine. Sa première utilisation « psychonautique » par un Occidental est attribuée au pharmacologue Stephen Szara qui se l’injecta en intramusculaire (75 mg), puis en administra à ses amis. Nous sommes alors en 1957, l’année où
A. Hoffman isole le principe actif de la psilocybine sur la souche de champignon Psilocybe mexicana, en collaboration avec Roger Heim, le grand mycologue français, et Gordon Wasson, un milliardaire de la finance devenu, à sa retraite, un grand collectionneur et découvreur de souches de champignons. Passionné d’ethnobotanique, ce dernier faisait le tour de la planète avec sa femme, en quête de découverte mycologique, jusqu’à ce qu’il entende parler des champignons magiques du Mexique et qu’il rencontre Maria Sabina, la grande curandera mexicaine…

Cette femme, devenue plus tard une icône hippie malgré elle, découvrit les « Santos Ninos » alors qu’elle n’était qu’une petite fille. Elle raconte avoir été appelée par les champignons et n’avoir jamais arrêté de travailler avec, pour percer les secrets du monde de Teonanacatl, le dieu champignon…

Il faut savoir que beaucoup de respect et de piété entourent ce type de cérémonie au cours desquelles on invoque tous les saints de la Bible, mais aussi les dieux des croyances locales. Les chants, les prières, les psaumes et les battements de mains rythment les cérémonies…

C’est dans cette atmosphère que Gordon Wasson expérimenta les Santos Ninos (Psilocybe mexicana) sous la supervision de Maria Sabina. Après cette expérience, il fallait découvrir quelle substance contenue dans les champignons créait ces états visionnaires. Roger Heim s’occupa de l’aspect mycologique et c’est à Albert Hoffman, connu pour sa découverte accidentelle du LSD, qu’on confia la mission d’isoler le principe actif des Psilocybe mexicana. Hoffman expérimenta les fameux (façon de parler !) champignons et trouva que l’expérience ressemblait fortement au LSD. Il prit la même dose que les Indiens Mazatec (qui utilisaient traditionnellement douze paires de psilo) et vécut une expérience intense et plaisante, selon ses propres mots…

C’était le début de la grande aventure de la recherche sur les psychédéliques. À cette époque, ces travaux étaient bien tolérés et suscitaient un certain engouement. Les étudiants des grandes universités américaines étaient rémunérés comme cobayes pour tester LSD et autres ergolines, tryptamines et phénéthylamines (mescaline, DOM, etc.). Des chercheurs (chimistes, pharmacologues, psychiatres…) ont d’ailleurs bâti leur carrière sur les psychédéliques, dans lesquels ils voyaient des outils de l’esprit, au riche potentiel thérapeutique. Cette vague de recherche prit fin avec le début de la guerre contre la drogue. En peu de temps, ces composés ont été criminalisés et sont sortis du milieu universitaire pour se retrouver dans la rue. On n’accordait plus aucun crédit aux chercheurs, la politique avait pris le pas sur la science…

Les travaux du Dr Strassman

À la fin des années 1980, le Dr Rick Strassman, psychiatre souhaitant travailler avec les états modifiés de conscience, se démena pour obtenir autorisations et financements pour pouvoir travailler avec la DMT et la psilocybine. Il voulait mettre en corrélation le rôle de la DMT avec celui de la glande pinéale. S’il n’arriva pas à le prouver, il ne démontra pas l’inverse non plus ! Ce fut pour
lui un chemin long et tortueux, tant les obstacles administratifs et logistiques étaient nombreux. Et quand il réussit à obtenir autorisations et financements, il s’aperçut qu’aucun laboratoire n’acceptait de synthétiser la DMT dont il avait besoin. Il se tourna donc vers son ami chimiste et pharmacologue Dave Nichols, qui produisit quelques grammes de la fameuse molécule sous forme de sel injectable.

Pendant cinq années, il administra de la DMT en intraveineuse (400 doses furent administrées sur cette période) à près de 60 volontaires ayant pour la plupart des postes à responsabilité et/ou des familles. Le protocole de recherche impliquait 4 injections intraveineuses dans la matinée avec des
doses de 0,4 mg/kg, doses suffisantes pour « percer » (voir encadré) quasi systématiquement. Les participants relatèrent des expériences très intenses, allant de l’expérience de mort imminente, à
des niveaux de béatitude extatique, ainsi que des visites de vaisseaux spatiaux habités de robots, des rencontres et communications avec des entités, des visions de géométrie sacrée, etc. Sur toute la durée de ces travaux, il démontra que l’on pouvait administrer de la DMT en toute sécurité, les seuls critères rédhibitoires pour participer à l’expérience étant une tension artérielle élevée et/ou des fragilités psychologiques. Strassman publia en 2000 le résultat de ses recherches sur la DMT dans divers magazines scientifiques, et l’historique de ses travaux ainsi qu’une compilation des expériences de ses sujets dans un livre DMT the Spirit Molecule, dont fut tiré le documentaire éponyme (accessible sous-titré en français sur la toile).

De plus en plus populaire…

Depuis la sortie du livre et du documentaire, de films comme Enter the Void de Gaspard Noé ou D’autres mondes de Yan Kounen, et avec la disponibilité sur Internet de recettes d’extraction, la propagation du DMT se fait lentement mais sûrement chez les amateurs de psychédéliques et de sensations fortes. Un peu partout sur terre, des utilisateurs racontent comment la DMT a changé leur façon de voir le monde. Certains sont sortis de leur addiction, d’autres ont pu profiter des visions produites par la DMT pour évoluer, créer et faire des choses constructives. On trouve moins de témoignages sur les potentiels effets néfastes de la DMT mais l’expérience peut aussi s’avérer déstabilisante (voir p. 26). Comme la plupart des hallucinogènes, la DMT semble extrêmement peu addictive, ceux qui essayent d’en abuser sont généralement remis en place par la molécule elle-même, souvent au travers d’expériences difficiles. En effet, contrairement à ce que prétendent certains, sans un bon « set & setting », l’expérience peut devenir cauchemardesque. Ne consommez surtout pas de DMT si vous avez des soucis ou que l’environnement n’est pas propice.

Ecrit par : MIGHTY YO

CONSOMMATIONS ET PROHIBITION DES DROGUES APPROCHE TRANSVERSALE

Depuis deux ans, Asud organise avec l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) une réflexion autour de la déclinaison du mot « prohibition ». Déclinaisons historique, sociale ou anthropologique, le séminaire EHESS-ASUD est au cœur de l’approche structuraliste qui a présidé à la fondation de cet établissement si particulier. Réunissant sociologues, économistes, militants, écrivains, les séances sont visibles sur le site de l’École. Alessandro, historien au cœur de cette initiative et administrateur d’Asud, nous présente un résumé de cette expérience inédite dans le champ chaotique de la réforme des politiques de drogues.

Lors de son intervention en qualité d’animateur-discutant de la séance du 9 mars 2017, consacrée
au thème « Vivre et travailler avec les drogues », Jean-Pierre Couteron, président de la Fédération Addiction, a rendu hommage à notre séminaire qui portait un regard « autre que médical » à laquestion des drogues. C’est dire si les professionnels du médicosocial confrontés à une population d’usagers souvent en difficulté ont conscience que toutes les consommations ne peuvent être réduites et compressées dans la catégorie « toxico » ou « addict ». Le séminaire de l’EHESS a contribué à inscrire la « question des drogues » dans une problématique large, ouverte, non culpabilisante, sur les bienfaits possibles recherchés par les consommateurs de drogues.

Lancé voilà deux ans sous l’intitulé « La prohibition des drogues : approche transversale », ce séminaire se voulait d’emblée un carrefour d’hommes, de femmes, de connaissances d’origines différentes. Nous avons voulu réunir dans la même salle des chercheurs universitaires de toute discipline, de la sociologie à l’histoire, de l’anthropologie à l’économie politique, de la géographie au droit. Mais aussi des médecins, des avocats, des psychiatres, des travailleurs sociaux, des militants des droits humains et surtout, des membres et des activistes des associations de défense et d’entraide des consommateurs de drogues. Ajoutons que nous avons voulu que ce carrefour d’information et de réflexion collective ait lieu, non dans n’importe quelle salle universitaire, mais bien dans l’amphithéâtre de l’EHESS, temple des sciences humaines et sociales en France. C’était un pari un peu osé, vu l’offre pléthorique et concurrentielle de séminaires à l’EHESS (mille par an), mais de 25-30 personnes présentes à la première séance, nous sommes passés à 50, 100 participants, pour arriver à remplir les 300 places de l’amphi lors de la séance « Se droguer pour le plaisir ».

L’évidence du plaisir

Est-ce un hasard si cette séance fut la plus courue du séminaire ? Sans doute pas ! C’est que cette dimension est normalement escamotée, sinon niée, dans les conférences et débats sur les drogues, systématiquement centrés sur les addictions, les risques sanitaires, la délinquance économique et la criminalité. Et ce, en dépit du fait qu’après l’expérience multiséculaire des Amérindiens et des peuples d’Orient, trois générations de consommateurs en Occident ont démenti l’affirmation de Claude Olievestein : « Il n’y a pas de drogués heureux ».

Pourtant, si de plus en plus de pays ont légalisé l’usage du cannabis thérapeutique et certains ont admis son usage récréatif, le droit de consommer une drogue pour en tirer du plaisir a encore du mal à être accepté par nos sociétés et nos cultures. D’ailleurs, le doux euphémisme de « récréatif » renvoie à une pause après le travail, à une récompense après une dure journée de labeur et de souffrance. Comme si le tabou qui avait pesé pendant des siècles sur les plaisirs sexuels, l’homosexualité en particulier, était aujourd’hui calqué sur les dites drogues. Les homosexuels qui
pratiquent aujourd’hui le chemsex (pratiques sexuelles intensives à l’aide de drogues) le savent bien : la libération récente du stigmate de la sexualité « contre-nature » n’empêche pas une réelle mésestime de soi de la part de ces mêmes « pédés » lorsqu’ils sont « drogués ». La première caractéristique de ce séminaire est d’ouvrir en grand les portes de la compréhension anthropologique du phénomène appelé « drogues », sans a priori, sans adjectivation morale d’aucune sorte, renforcée par l’observation historique et géographique sur le temps long. Ainsi, l’observation de la consommation du hachisch et de l’opium en Orient (Inde, Iran, Indochine, Chine) au cours des siècles nous donne à voir des sociétés qui ont intégré une consommation de masse de ces psychotropes, vivant avec les drogues, ses bienfaits et ses problèmes. Le cas du khat au Yémen et dans la Corne d’Afrique est parfaitement emblématique : nous avons là une consommation partagée par une grande partie de la population, qui en ordonne le rythme quotidien et la sociabilité, y compris en temps de guerre. Nous avons d’emblée intégré l’alcool et les benzodiazépines, cassant la séparation artificielle et hypocrite entre psychotropes légaux et illégaux, vendus en pharmacie, à l’épicerie ou sur le marché noir. La comparaison entre différentes civilisations et cultures régionales d’hier et d’aujourd’hui conforte cette approche. Si, des temps coraniques à aujourd’hui, le monde musulman a interdit la consommation d’alcool, le cannabis et l’opium ont été largement tolérés et n’ont pas fait l’objet d’une véritable prohibition jusqu’à une époque récente. À l’inverse, le monde judéo-chrétien a vécu depuis l’Antiquité avec l’alcool, et c’est seulement aux États- Unis qu’une prohibition stricte a été appliquée pendant un bref laps de temps (1920- 1933). Les études historiques nous disent d’ailleurs que les Occidentaux se sont cantonnés à cette seule et exclusive consommation de psychotropes éthyliques, ne s’appropriant des drogues venues d’Orient (cannabis et opiacés) ou des Amériques (coca et plantes psychédéliques) que dans
la deuxième moitié du xxe siècle, à la suite des voyages de la génération hippie. Bien sûr, auparavant, quelques rares aventuriers, médecins et artistes, s’étaient essayés à ces psychotropes, mais de façon expérimentale et limitée.

L’échec patent du prohibitionnisme

La licéité ou l’illicéité d’une drogue ou d’une autre selon le temps et l’espace considéré est un argument central dans le questionnement du bien-fondé de la législation prohibitionniste, en vigueur dans la plupart des pays du monde aujourd’hui. Ce n’est pas le seul. Depuis que les moralistes occidentaux, par différentes étapes au cours du XXème siècle, ont imposé au reste du monde la prohibition de la production, du commerce et de la consommation d’une série de plus en plus étendue de psychotropes, la guerre à la drogue s’est révélée une catastrophe humanitaire. Plusieurs intervenants au séminaire, qu’ils soient juristes, sociologues ou politologues, ont souligné les conséquences effroyables de cette guerre à la drogue qui s’est convertie en une guerre aux « drogués », une guerre raciale, sociale, ethnique. La criminalisation des consommateurs et des revendeurs a conduit à l’incarcération de millions d’Africains- Américains aux USA, de dizaines de milliers de « Noirs » et d’« Arabes » en France, favorisant les comportements racistes des forces de l’ordre, soutenues par la bien-pensance faisant des dealers les démons des temps modernes. Mais, malgré avoir rempli les prisons du monde entier, envoyé à l’échafaud des milliers de « trafiquants » dans les pays appliquant la peine de mort, justifié d’autres milliers d’exécutions extrajudiciaires, ruiné des petits paysans par une politique d’éradication des cultures illégales, dépensé des centaines de milliards de dollars dans la guerre à la drogue, la consommation de drogues a explosé et s’est mondialisée, grâce notamment aux transports modernes, tant physiques que numériques. L’échec patent du prohibitionnisme et les conséquences néfastes de la guerre à la drogue ont poussé à la réflexion vers d’autres politiques publiques en matière de drogues. Depuis vingt ans, la réduction des risques s’est imposée, bon an mal an, dans plusieurs pays, en Europe, aux Amériques, comme en Asie centrale et en Afrique. La légalisation du cannabis, d’abord thérapeutique ensuite récréatif, est en train de se répandre dans plusieurs États américains, du Canada à l’Argentine, en passant par le Colorado, la Californie et l’Uruguay. Pour nous en parler, nous avons eu l’honneur d’accueillir
à notre séminaire des figures importantes du combat antiprohibitionniste, comme Carl Hart (neuropsycho-pharmacologue de la Columbia University de New York), Ethan Nadelmann (ex-directeur de la Drug Policy Alliance) ou encore Raquel Peyraube (médecin, conseillère du gouvernement uruguayen). Mise à part la renommée, nous pouvons dire que l’ensemble des intervenants, animateurs et discutants du séminaire, qu’ils soient chercheurs universitaires, doctorants, militants associatifs, ont présenté des analyses solides et originales, conférant au séminaire un label de qualité indéniable. Sans oublier tous les auditeurs qui ont pris la parole dans les débats, enrichissant d’autant la réflexion collective par des témoignages personnels et des apports théoriques souvent ancrés dans des expériences concrètes. Pour finir, il faut souligner que ce séminaire a été rendu possible grâce au soutien scientifique de l’EHESS et au soutien financier du Centre de recherches historiques (CNRS-EHESS) et de l’association Apothicom, dirigée par le docteur Elliot Imbert.

ALESSANDRO STELLA

Jean-Pierre Lhomme (1948-2017) La médecine au risque des drogues

Jean-Pierre Lhomme est mort le 15 août 2017. Le premier programme d’échange de seringues,en 1989, le premier bus méthadone, en 1998, la première salle de consommation, en 2016,c’était lui ! Le médecin humanitaire engagé dans Limiter la casse, puis à l’Association française de réduction des risques (AFR) ; l’animateur des comités de pilotage et groupes de réflexion sur la RdR à Médecins du monde (MdM) et, bien sûr, la présidence du Csapa-Caarud Gaïa-Paris, l’ancien programme réduction des risques (RdR)de MdM, c’était encore lui !

Médecin généraliste

Pour être complet, il faut ajouter à ce « palmarès » un exercice médical inattendu à l’hôpital Marmottan. Que venait donc faire cet adversaire du « tout sevrage » dans le temple de la psychologisation dirigée par le célèbre Pr Olievenstein ? Toute l’intelligence de Jean-Pierre était d’avoir compris que c’est justement là, en terre de mission, qu’il fallait porter la bonne parole, au prix de l’intégration de la psychanalyse au service d’une RdR parfois un peu dogmatique. Et ça aussi, c’était Jean-Pierre. Et pourtant, l’essentiel n’est pas là. Tout au moins, cette présentation en forme de « palmarès » serait très éloignée de la nature profonde du personnage.

Alors qui était vraiment Jean-Pierre Lhomme ?

Jean-Pierre était d’abord médecin généraliste. Médecin ET généraliste, c’était sa marque de fabrique. Lui-même le formulait ainsi : « La médecine Générale [qu’il écrivait avec un G majuscule] est un secteur avec sa spécificité : une spécialité du général qui, à sa mesure, prend en compte la personne dans sa globalité : corps et âme. » Et il complétait : « La pratique de la médecine générale m’a très vite appris l’importance de la place donnée à la personne pour faire soin. » Et c’est bien dans la lignée du médecin généraliste, dans sa « boutique » ou son « arrière-boutique », comme il qualifiait parfois son cabinet médical de la rue Olivier Noyer à Paris, que s’est inscrite la figure du médecin humanitaire à MdM, puis à Gaïa, à l’épreuve de la toxicomanie sur fond de sida. La pratique de médecin généraliste lui a pleinement permis de concevoir ce qui ne s’appelait pas encore la réduction des risques. C’est avec ces bases, qu’il a inventé, avec d’autres, la RdR.

Inventer la RDR en France

« Pour la majorité des médecins généralistes, c’était le refus de prendre en soin ces gens qui se rendaient malades eux-mêmes. Pour les hospitaliers, c’était des débuts de réponses thérapeutiques au regard de la pathologie sida et… un compte rendu d’hospitalisation dont la conclusion était bien souvent : « sortie par évasion » (eh oui, le manque, ça fait « sortir » pour « aller pécho ») », écrivait-il 1. Il revenait alors sur l’événement déclencheur de son engagement dans ce qui allait devenir une « politique des drogues fondée sur la santé publique et les droits humains », comme dit aujourd’hui l’ONU. « Il fallait réduire les risques, « Limiter la casse ». Il a donc agit pleinement, sincèrement, avec conviction. « Il fallait faire partager ces pratiques initiées dans le colloque singulier du cabinet médical. Il a fallu le faire d’abord entre confrères qui partageaient ces pratiques. Ce fut le début des réseaux de généralistes. Mais cela ne suffisait pas. Il fallait faire passer ces pratiques professionnelles jusque dans les structures spécialisées en toxicomanie, bien souvent corsetées dans leur modèle… et s’affranchir radicalement du savoir médical, pouvoir qui pousse à savoir pour les autres ce qui est bien pour eux sans chercher à les entendre. ». À l’époque, lui, ses collègues, tous les premiers militants de la RdR, mais aussi les premiers acteurs de l’autosupport apprenaient en marchant, il fallait « surtout faire la démonstration de ces pratiques à une autre échelle que celle de sa petite boutique pour les faire accepter, qu’elles soient reconnues et figurent un jour dans les orientations de politique de santé publique. Il fallait faire là, maintenant, redémontrer ce que bon nombre de pays avaient déjà fait ; il fallait le démontrer à la française ! ».

La condition particulière de la démonstration à la française, c’est une approche politique qui se situe bien au-delà du soin. Et ca aussi, c’est Jean-Pierre Lhomme. Contrairement à nombre de ses pairs en addictologie, souvent incapables de sortir d’une perspective étroitement sanitaire, JPL avait la tête politique au sens noble du terme. Son bagage militant d’ex-soixante-huitard lui faisait concevoir la santé comme un horizon traversé par les aléas des luttes sociales et barré par le fossé profond de la discrimination, qu’elle soit économique, ethnique ou culturelle. La révolution créée dans le soin par la prise en charge des toxicos séropositifs n’est pas une fin en soi mais un moyen de penser et de porter une parole politique. Un combat qui venait succéder à d’autres engagements du même ordre. Avant la loi Veil de 1975 sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG), il avait aussi fallu produire des évidences, faire oeuvre de pédagogie et rédiger des argumentaires pour pouvoir lutter efficacement contre un ordre légal, social et moral qui pouvait entraîner la mort de femmes désirant mettre fin à leur grossesse. Les mêmes raisons qui l’ont vu se dresser contre les dogmes qui conduisaient à la mort des injecteurs de drogues dans les années quatre-vingts l’ont vu pratiquer des IVG illégales dans les années 70. L’IVG, la RdR : il existe un lien finalement clair entre deux combats qui reposent sur des pratiques médicales considérées comme déviantes au regard de la norme légale et sociale, mais aussi en opposition avec le milieu professionnel bien pensant – les « Académies », comme aurait dit Molière, ceux qui qualifiaient des médecins comme Jean-Pierre de « dealers en blouse blanche » quand ils inventaient la « substitution ». Cette même substitution que certains (parfois les mêmes) voudraient aujourd’hui gommer du dictionnaire pour la remplacer par « maintenance », toujours au nom de la science… C’est en ce sens que le médecin généraliste qu’était Jean-Pierre était aussi un médecin politique. Un médecin qui avait ,à cœur, in fine, de prendre soin de « la santé de la cité », selon ses propres mots pour souligner aussi les carences sociales qui rendent malade, tout autant sinon plus que les germes ou les virus.

« Séronégativer la RdR »

Cette conception de la médecine est marxiste, ou plutôt gramscienne, et pas seulement à cause de son amour proclamé de l’Italie. Dans le droit fil des théories du penseur transalpin (un peu trop souvent cité aujourd’hui), l’engagement politique de Jean-Pierre est celui de la réhabilitation des actes politiques qui pèsent comme une démonstration des choix faits par les hommes au détriment de l’infrastructure économique chère aux marxistes orthodoxes. Il avait commencé par l’établi à l’usine, sans oublier un combat personnel pour devenir médecin vécu comme l’appropriation d’un pouvoir à mettre au service du plus grand nombre et cela aussi est gramscien.

Le corollaire de ce goût des autres était la « fraîcheur » de son regard et l’acuité de son appréhension quasi instinctive des rapports de force qui corsettent souvent de manière invisible les grands problèmes sanitaires. Jean-Pierre Lhomme en avait encore fait la démonstration en Côte-d’Ivoire, lors d’un voyage accompli en 2015, notamment dans le but d’évaluer les potentialités de ce pays d’Afrique francophone en matière de santé communautaire. En tant qu’humanitaire et pionnier de la substitution en France, il était légitime pour démontrer à quel point le modèle néocolonial magico-institutionnel seringue+méthadone était absurde. Combien les besoins allaient au-delà du strict périmètre sanitaire, à commencer par un besoin vital de citoyenneté… Cela saute au yeux à Abidjan, mais c’est aussi vrai à Paris, veiller à ce que nous ne soyons ni témoins ni complices d’une « aseptisation de la RdR », coincée par le référentiel « addicto ». C’était ce que nous appelions « séronégativer la RdR », en référence à la dernière saison de l’Association française de réduction des risques dont il fut l’un des acteurs principal. Le fil conducteur des deux dernières années mémorables de l’association étant de « rompre avec une politique de soin aux toxicomanes taillée par la morale et le prohibitionnisme », mais aussi de faire la part belle aux aspects purement sociopolitiques de la guerre à la drogue.

Lhomme du contact humain

Jean-Pierre… L’homme (ah, ah) du contact humain, l’homme aussi du bien manger, du bien boire. L’homme des tirades obscures mais formatées pour étancher sa soif inextinguible de communication devant une (ou plusieurs) bière, entre l’antipasti et le dulce.

Enfin, à l’intérieur de cette boule d’humanité, veillait un professionnel carré, d’une rectitude impressionnante, qui considérait la maitrise de compétences techniques fiables comme une marque de respect envers les patients, tous les patients. Loin, très loin, de la démagogie qui confond bienveillance et nonjugement avec facilité et manque d’exigence. Loin du fameux effet miroir – « Comme je ne suis pas toxico, je vais tout faire comme un toxico pour être sûr d’avoir une vraie relation avec lui ». Les sourcils broussailleux de JP encadraient toujours un jugement clinique sûr, qui rassure ou désillusionne, mais qui toujours responsabilise.

Jean-Pierre l’épicurien, Jean-Pierre le rebelle, Jean-Pierre le râleur des commissions « théodules », tu nous manqueras sur le trottoir au moment de s’en griller une à la sortie du ministère de la Santé. Mais peut être es-tu quelque part, sirotant un chianti vieux de deux ou trois éternités, en train de nous observer avec ton sourire narquois…

Arrivederci camarade !!

OLIVIER ET FABRICE

1. Histoire et principes de la réduction des risques. Entre santé publique et changement social, Médecins du monde, juin 2013.

LES RÉPONSES ELLIPTIQUES DE LA MILDECA

Pour compléter son dossier, Asud a posé une série de questions à la Mission interministérielle de lutte contre les addictions (Mildeca) pour obtenir des éclaircissements sur ses angles morts, par exemple l’existence de traitements légaux de type opioïdes créant nécessairement un flou dans la législation. Sur seize questions, cinq ont obtenu une réponse dont le caractère est à la fois imprécis, incomplet, voire parfaitement hors sujet. Par déontologie et simple respect pour ses interlocuteurs, Asud se devait de les publier (1).

En cas de dépistage positif, les frais d’analyse sont à la charge du conducteur mais est-ce quand même le cas quand le résultat est négatif ? Pour la contre-expertise, les frais sont-ils encore à la charge du conducteur et est-ce toujours le cas si l’analyse se révèle négative ?

Une évolution législative (cf. loi de modernisation du système de santé et en particulier son article 45 qui modifie le code de la route) prévoit la possibilité de pratiquer des épreuves de prélèvement salivaire après la phase de dépistage en vue d’établir si une personne conduit en ayant fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants.

Si la personne est condamnée, les frais d’analyse sont mis à sa charge en application de l’article 1018 A du code général des impôts et de l’article A38-6 du code de procédure pénale.

En cas de prélèvement salivaire, les forces de l’ordre informent le conducteur qu’il peut demander à ce que soit réalisé un prélèvement sanguin qui lui permettra de demander une contre-expertise ou de faire vérifier qu’il prend des médicaments psychoactifs et non des drogues, conformément aux dispositions de l’article R. 235-6 du code de la route. Si le conducteur fait cette demande, il est alors emmené le plus tôt possible auprès d’une personne habilitée à faire le prélèvement sanguin. La demande d’analyse sur le prélèvement sanguin ainsi réalisé doit être faite par le conducteur dans un délai de cinq jours suivant la notification des résultats de la première analyse, en application des dispositions de l’article R. 235-11 du code de la route.

L’article L. 235-5 stipule qu’après avoir réalisé les tests de dépistage, le placement en garde à vue du conducteur n’est pas obligatoire. Dans la pratique, c’est pourtant un recours quasi systématique. Qu’est-ce qui justifie alors le placement en garde à vue ?

Il appartiendra au Parquet, en vertu de son pouvoir d’opportunité des poursuites, d’apprécier s’il convient ou non de poursuivre un conducteur faisant l’objet d’un traitement de substitution. Dans ce contexte, la production d’une ordonnance médicale, même si elle n’est pas explicitement prévue par la réglementation, peut être un préalable à l’appréciation objective, au cas par cas, par le Parquet, de la situation du conducteur détecté.

Les personnes dépistées positives (donc présumées innocentes jusqu’à la confirmation par analyse) subissent immobilisation du véhicule, retrait de permis provisoire, garde à vue, et parfois même une perquisition à leur domicile, mais un pourcentage non négligeable d’entre elles sont finalement mises hors de cause après analyse. N’y a-t-il donc aucun recours contre cela ?

La simple étape du dépistage peut entraîner pour le conducteur la suspension du droit de conduire, tout du moins à titre provisoire. C’est ce que prévoit l’article L. 224-1 du code de la route avec une retenue à titre conservatoire du permis de conduire dans les cas où « il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner que le conducteur ou l’accompagnateur de l’élève conducteur a fait usage de stupéfiants ou lorsque le conducteur ou l’accompagnateur refuse de se soumettre aux épreuves de vérification ». Cette rétention […] couvre une période de soixante-douze heures pendant lesquelles il est fait interdiction au conducteur de reprendre le volant et pendant lesquelles le préfet décidera de la durée de suspension provisoire. En pratique, il est fréquent que les résultats
des analyses toxicologiques ne soient retournés qu’après ce délai de soixante douze heures.[…]

[…] L’article 62-2 du code de procédure pénale limite la possibilité d’une mise en garde à vue aux délits punis d’une peine d’emprisonnement d’un an, et si certaines conditions sont remplies. Les délits routiers punis d’une peine d’emprisonnement d’au moins un an comprennent notamment la conduite après usage de stupéfiants. C’est à ce titre qu’un conducteur dépisté positif peut être placé en garde à vue ou si une infraction connexe (elle-même éligible à la garde à vue) est constatée (découverte de produits stupéfiants sur la personne ou dans le véhicule par exemple). Les dispositions de l’article L. 235-5 du code de la route n’entrent pas en contradiction avec ces dispositions (« lorsqu’il a été procédé aux épreuves de dépistage et aux vérifications prévues par l’article L. 235-2, le placement en garde à vue de la personne, si les conditions de cette mesure prévues par le code de procédure pénale sont réunies, n’est pas obligatoire dès lors qu’elle n’est pas tenue sous la contrainte de demeurer à la disposition des enquêteurs et qu’elle a été informée des droits mentionnés à l’article 61-1 du code de procédure pénale ») car l’article 62-2 rappelle bien que la garde à vue doit être l’exception, celle-ci devant être « l’unique moyen de parvenir » à l’un des objectifs fixés par cet article. Comme en toute matière, l’officier de police judiciaire apprécie donc l’opportunité du placement en garde à vue et la décide sous le contrôle de l’autorité judiciaire.[…]

La loi ne précise aucun seuil en dessous duquel il n’y a pas de poursuites (et dit bien que le seul fait d’être positif à une analyse suffit à caractériser le délit). Pourtant dans la pratique, nous avons eu de nombreux témoignages faisant état de ces seuils, par exemple pour le THC en dessous de 1ng/ml de sang les poursuites sont abandonnées. S’agit-il d’une tolérance ? Qui a décidé de ces seuils et pouvez-vous nous préciser les différents seuils selon les drogues ? Correspondent-ils aux seuils a minima de détection pour l’analyse cités dans l’article 10 de l’arrêté d’application du 13 décembre 2016 ?

[…] Conformément à la loi et à la jurisprudence constante de la Cour de cassation, l’article 1er du décret 2016- 1152 du 24 août 2016 a supprimé toute référence à la notion de dosage de stupéfiants auparavant précisée par l’article R. 235-5 du code de la route : il convient simplement d’établir si le conducteur a fait usage de produits stupéfiants et non qu’il se trouvait sous l’influence de stupéfiants. Les seuils présentés dans l’arrêté du 13 décembre 2016 ne sont que des seuils analytiques pour la mise en oeuvre de l’exploitation des prélèvements salivaires par les laboratoires et experts.

L’arrêté du 13 décembre 2016 précise les seuils de détection selon les tests de dépistage ou d’analyse et selon qu’il s’agisse de prélèvements salivaires, sanguins ou urinaires. Cela signifie qu’il est exigé des laboratoires qu’ils soient en capacité de déceler la substance recherchée à une dose de x ou z ng/ ml dans la salive selon qu’il s’agisse de dépistage ou d’analyse et y ng/ml dans le sang.[…]

[…] La fenêtre de détection d’une substance dépend de la substance elle même, de son mode de consommation, de la dose et de l’usager, et il n’est pas possible de répondre à une question relative aux durées de détection des différentes drogues.[…]

En 2016, plus de 60 000 personnes ont été dépistées positives aux stupéfiants alors que seulement 25 000 ont été condamnées pour ces mêmes faits. Comment expliquer cette incohérence dans les chiffres ?

Les différences statistiques entre le nombre de personnes ayant eu un dépistage positif pour usage de stupéfiant en application du code de la route et le nombre de personnes condamnées illustrent deux phénomènes : les alternatives aux poursuites ou la composition pénale ne sont pas
comptabilisées dans les condamnations et les ministères de l’Intérieur et de la Justice utilisent des unités de compte, des nomenclatures et des méthodes de comptage différentes. Ceci a donné lieu à
un groupe de travail conjoint de ces deux ministères en 2016 en vue d’élaborer des propositions d’harmonisation.

Comment échapper au contrôle ?

Jusqu’en août 2016, le dépistage des stupéfiants ne pouvait avoir lieu que dans des cas précis :

•• à l’occasion d’un accident corporel ou mortel ;
•• suite à une infraction commise ;
•• en cas de « suspicion légitime » de prise de drogue ;
•• ou à l’occasion d’une opération ordonnée par le procureur.

Mais comme pour l’alcool, il est désormais possible d’être soumis à un dépistage stups sans aucune justification. Il est même possible d’être testé dans une voiture à l’arrêt. Ces tests font généralement suite à une infraction mais on peut tomber sur un contrôle aléatoire.

À court terme, l’objectif des autorités est de multiplier par 2 le nombre de dépistages (126 000 en 2015), puis d’augmenter la cadence pour que la probabilité d’être soumis à un dépistage de stups soit la même que celle de l’être à un alcootest (10 millions de tests/an).

Quelques règles élémentaires devraient vous aider à maximiser vos chances de ne pas être dépisté:

•• rouler dans un véhicule clean et en règle ;
•• conduire sans commettre aucune infraction ;
•• soigner sa « dégaine » dans la mesure du possible, pour ne pas correspondre au stéréotype du gars qui se défonce tel que se le représentent les forces de l’ordre ;                                                    •• ne pas laisser fumer du cannabis dans son véhicule ;
•• se faire conduire par une personne sobre dans un événement festif ;
•• utiliser une application d’aide à la conduite de type Waze et programmer ses déplacements.

Si vous faites gaffe à tout ça, vous limiterez très sérieusement le risque d’un contrôle.

Selon la loi, c’est au conducteur de prélever lui-même l’échantillon de salive, ne laissez pas les forces de l’ordre fourrer leurs sales pattes dans votre bouche.

Vous trouverez sur Internet de nombreuses méthodes de tromper ces tests de dépistage. Reste à savoir laquelle est efficace, car il n’y a n’a pas encore d’études scientifiques pour les évaluer. Avant, un bain de bouche soigneux et prolongé était fréquemment cité comme étant efficace, mais d’autres témoignages disaient que dans leur cas, cela n’avait pas marché.

Petit florilège des méthodes supposées fausser les résultats du test :

•• bain de bouche à l’Éludril®, à la Listerine® ou au Paroex® ;
•• bain de bouche au peroxyde d’hydrogène (eau oxygénée), surtout ne pas l’avaler ! ;
•• bain de bouche à l’huile d’olive citronnée ;
•• produit commercial de type « kleaner » ;
•• garder en bouche des bonbons Altoids et lors du prélèvement de salive, frotter le bâtonnet contre eux ;
•• mâcher des chewing-gums en conduisant, de préférence au bicarbonate de soude ;
•• se rincer soigneusement la bouche à l’aide de Gaviscon®, un produit contre l’acidité vendu en pharmacie ;
•• juste avant un contrôle, mettre une goutte d’huile essentielle de menthe poivrée sur sa langue et se faire saliver ;                                                                                                                                      •• consommer des fruits acides, voire de l’acide citrique ;
•• manger du Nutella avant le contrôle.

Attention, aucune de ces méthodes ne vous garantit de passer au travers, utilisez-les en dernier recours. De toute façon, restez connectés, il serait bien étonnant que parmi les millions de personnes visées par ces tests dans le monde entier, aucune ne trouve LA méthode pour les neutraliser ou qu’une entreprise ne commercialise un produit miracle réellement efficace (avis aux amateurs, celui qui trouve la formule deviendra riche !). C’est juste une question de temps.

Autant il est moralement condamnable de fournir un moyen de neutraliser un éthylotest, autant ce serait presque un devoir pour les tests antidrogue, tant ils sont arbitraires et scandaleux.

Bon à savoir

•• Le fabricant du test recommande de ne pas fumer ni manger dans les 15 minutes précédant le test, cela étant susceptible de fausser le test.
•• Une étude scientifique précise qu’une infection buccale modifie les résultats de l’analyse en faisant baisser le taux.
•• Une autre étude à constaté que la concentration en drogues d’un échantillon salivaire est jusqu’à trois fois supérieure à celle obtenue après stimulation acide de la salive.
•• Une salive trop « visqueuse » est plus difficile à analyser.

ATTENTION

Si vous êtes convoqué à la gendarmerie ou au commissariat pour une affaire liée de près ou de loin aux stupéfiants, n’y allez pas en voiture, les pandores risquent d’en profiter pour faire un petit dépistage gratuit. Plusieurs personnes ont ainsi perdu leur permis. Plus largement, si dans votre quartier ou votre village vous êtes plus ou moins connu pour usage de drogues, réfléchissez à deux fois avant de prendre le volant. Ou déménagez.

Dossier réalisé par JI.AIR

Que faire si vous êtes dépisté positif ?

S i vous pensez avoir un taux bas (consommation de + de 12 heures), évitez d’avouer l’usage d’une drogue, dans la mesure du possible. Cela peut paraître stupide de nier l’évidence, mais ça pourrait vous éviter d’être condamné pour usage si le taux détecté par l’analyse de confirmation est inférieur à celui toléré. Il est en effet courant d’être condamné pour usage sur la foi de votre déclaration. Ayez de l’imagination, invoquez une consommation passive, prétendez avoir été drogué à l’insu de votre plein gré… Si par chance un vice de forme annule la procédure, on ne pourra pas invoquer vos aveux pour tenter de vous condamner quand même.

Vu l’extrême sensibilité des tests, la consommation passive est une possibilité tout à fait réelle, au moins pour le THC (voir encadré). Plusieurs études scientifiques l’ont confirmé sans aucune ambiguïté. Il est courant que les forces de l’ordre « bluffent » et vous fassent croire que le résultat de votre analyse en dit long sur vous. Alors sachez que pour le THC, en dessous de 5 ng/ml de sang et de 50 ng/ml de THC-COOH, il est impossible de savoir si vous êtes un usager régulier
ou occasionnel.

Si les forces de l’ordre ont pour obligation de vous montrer les résultats de l’analyse, elles refusent la plupart du temps de vous en donner une copie, alors prévoyez le coup et prenez-la en photo.

Peines encourues pour conduite après usage de stupéfiant
•• retrait du permis ;
•• perte de 6 point sur le permis ;
•• jusqu’à deux ans de prison ;
•• jusqu’à 2 500 € d’amende ;
•• confiscation possible du
véhicule ;
•• et en cas de récidive :
annulation du permis,
confiscation du véhicule.

Réclamez une prise de sang

Une prise de sang n’est désormais plus nécessaire pour confirmer le test, mais la loi vous autorise à en réclamer une.

Alors réclamez-la. Les forces de l’ordre vont tout faire pour vous en dissuader mais ne lâchez pas, elles seront obligées d’accepter. Si elles vous disent que cette procédure va prendre du temps et
allonger votre garde à vue, tant mieux car plus elles vous feront attendre, plus votre taux va baisser. Le temps joue pour vous.

En cas de prise de sang, vous aurez également droit à un examen clinique qui, à défaut de vous innocenter, pourra confirmer que vous étiez dans un état apparemment normal. L’analyse de sang est bien plus fiable que celle de la salive, ne prenez pas de risque, même si son coût (250 €) sera à vos frais.

Sans prise de sang, vous ne pourrez pas réclamer de contre-expertise, car l’analyse salivaire ne prévoit qu’un prélèvement quand l’analyse sanguine en prévoit deux. Si les gendarmes se contentent d’un seul échantillon de sang, n’en réclamez surtout pas d’autre car il sera alors impossible de faire une contre-expertise, ce qui entraînera l’annulation de la procédure.

Demandez systématiquement une contre-expertise

En effet, il arrive que deux analyses produisent des résultats différents et dans ce cas, le taux retenu sera le plus faible. Si la différence entre les deux résultats est importante, l’analyse n’aura plus aucune valeur et vous serez relaxé.

Vous avez cinq jours pour réclamer cette contre-expertise à compter du jour où le résultat de la première analyse vous est communiqué.

Et après ?

Dans un premier temps, votre permis sera suspendu pour soixante-douze heures maximum (délai nécessaire pour obtenir les résultats de l’analyse). À l’issue de ce délai, si votre taux est supérieur au seuil toléré, le procureur vous colle d’office un retrait provisoire de six mois en attendant la décision du tribunal. S’il ne le fait pas, les forces de l’ordre sont dans l’obligation de vous restituer votre permis.

Au tribunal, inutile de chercher à démontrer que vous n’étiez pas sous l’influence d’aucune drogue, le seul fait d’avoir été positif à l’analyse caractérise l’infraction. Dans les rares cas où des conducteurs sont relaxés en appel car ils ont démontré ne pas avoir conduit sous l’empire de stup, le proc fait systématiquement appel et la cour de cassation confirme la condamnation. Le seul moyen de s’en sortir, c’est de trouver un vice de forme. D’où l’importance d’avoir un avocat spécialisé car lui seul sera à même d’en dénicher, si tant est qu’il y’en ait un.

Attention, on vous conseillera la comparution en reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) en vous assurant que la sanction sera moins forte. D’une part, ce n’est pas toujours vrai et quand ça l’est, la différence de peine est peu significative. D’autre part, si vous choisissez cette option, vous ne pourrez plus invoquer un éventuel vice de forme. Inutile alors de claquer de l’argent pour un avocat, il ne servira à rien, les peines étant fixées bien avant votre comparution.

Donc, réfléchissez bien avant de choisir.

La consommation passive                                                                                                             Non, la « consommation passive » n’est pas un mythe, il est tout à fait possible d’être dépisté positif après avoir passé du temps dans une pièce dans laquelle des stupéfiants ont été consommés. En février 2014, les policiers du commissariat de Roubaix, où étaient entreposées des saisies de cannabis, se sont plaints de vertiges et de nausées, et ont alors eu la lumineuse idée de s’auto-dépister avec les tests salivaires employés pour les contrôles routiers. Résultat : ils étaient tous positifs au THC. Une étude scientifique a exposé une personne durant trois heures aux effluves de cannabis dans un coffeeshop hollandais. L’analyse sanguine a montré qu’elle présentait 3 ng/ml
de sang de THC. Et il n’y a pas que le cannabis qui soit concerné : la « contamination » se faisant par la fumée, l’héroïne, la cocaïne-base ou la méthamphétamine fumées peuvent aussi vous valoir une positivité.

Dossier réalisé par JI.AIR

Les risques induits par la loi

Pour respecter cette loi, un usager de drogues, qu’il soit habituel ou occasionnel, se retrouve face à un choix impossible : stopper toute prise de drogue ou renoncer à conduire. En effet, étant donné les durées de détection des drogues, il n’est techniquement pas possible pour une personne conduisant tous les jours pour aller au travail d’user de drogues, même le week-end, sans risquer d’être dépistée positive quarante-huit heures plus tard. Et si l’histoire nous a enseigné quelque chose, c’est qu’on ne fait pas reculer l’usage de drogues par la répression, bien au contraire. Certes, certains usagers occasionnels renonceront à leur petit joint du soir, mais la majorité continuera ses consommations en s’adaptant à la nouvelle donne.

Sur les forums spécialisés, on voit déjà apparaître de nombreuses questions sur les drogues non détectées ou non détectables. Pour le cannabis on peut s’inquiéter d’un recours aux cannabinoïdes de synthèse, non détectables (certains ne sont d’ailleurs pas classés stupéfiants) mais autrement plus nocifs et dangereux que le cannabis lui-même. Quant aux opiacés et aux stimulants, ils ont aussi leurs équivalent parmi les Research Chemicals (drogues de synthèse), et on peut s’attendre à une forte augmentation de la demande qui pourrait favoriser l’apparition de nouveaux produits. À une augmentation probable la consommation d’alcool également puisque, avec cette loi, c’est désormais le seul produit qu’il est possible de consommer en prenant le volant douze heures plus tard sans risquer les foudres de la justice. Autre risque corroboré par des témoignages sur les forums d’usagers : que, « pris pour pris », certains cessent leurs efforts pour ne pas conduire sous l’emprise de drogues (quitte à être positif, autant que cela soit pour quelque chose). Bref, en supposant que l’objectif de cette loi est d’améliorer la sécurité routière, elle risque fort d’arriver au résultat inverse.

En sanctionnant l’usage et non l’abus, cette loi perd toute crédibilité et sera logiquement rejetée par les personnes concernées, contrairement à celle sur l’alcool qui sanctionne l’abus et non l’usage et qui est globalement bien acceptée, une condition importante de sa réussite. L’année suivant la mise en place des dépistages d’alcool, on a enregistré une baisse de 20% de la mortalité routière, et je doute fort qu’on arrive à un tel résultat.

Cette loi va de fait interdire à toute personne faisant usage de stupéfiant de conduire un véhicule. Que vous utilisiez le cannabis dans un cadre thérapeutique, de façon occasionnelle pour vous détendre, ou que vous soyez sévèrement accro au crack, vous êtes désormais considéré comme un chauffard en puissance et serez condamné (lourdement) comme tel. Les autorités ont enfin trouvé un moyen efficace de réprimer l’usage de drogues : interdire à ceux qui en usent de conduire, donc de se déplacer librement. Avec des conséquences dramatiques pour certains : perte d’emploi, perte d’autonomie, et pour ceux qui vivent dans des campagnes sans transports en commun, c’est carrément une mesure d’élimination. Impossible d’emmener ses enfants à l’école, d’aller faire ses courses, chez le médecin, de rendre visite à ses amis ou à sa famille, bref, plus aucune vie sociale ou possibilité de subvenir aux besoins les plus essentiels.

Cette loi est une loi d’exclusion, une loi d’élimination, une loi qui va stigmatiser un peu plus les personnes faisant usage de drogues, pour un bénéfice dont on peut sérieusement douter en termes de sécurité routière.

Facteurs de risques d’accident
Alcool 0,49 g/L
de sang (taux légal) x 3
Cannabis x 1,8
Alcool+cannabis x 5
Rouler sous la pluie x 2
Téléphone au volant x 4

Améliorer la sécurité routière supposerait de commencer par fournir aux usagers des informations fiables, objectives, compréhensibles et cohérentes, et que les usagers puissent s’autoévaluer, voire proposer des dépistages préventifs volontaires dans les lieux festifs. Les usagers de drogues ont déjà démontré qu’ils étaient capables de modifier leurs habitudes, si tant est qu’on leur en donne les moyens. Il serait temps d’appliquer le concept de la réduction des risques à la sécurité routière, pour le bénéfice de tous.

Dossier réalisé par JI.AIR

 

Le HIT-PARADE des produits recherchés

Aucun outil certifié en vente libre, comme l’éthylotest pour l’alcool, ne permet à un conducteur de s’auto-évaluer de façon préventive. Comment, dès lors, s’assurer qu’on est en règle avec la loi avant de prendre le volant ?

Le cannabis

Le THC est la drogue la plus fréquemment dépistée (environ 90 % des cas) et, précision importante, il est associé à l’alcool dans 42 % des cas. En cas d’accident, il serait intéressant de savoir auquel des deux produits les statistiques attribuent la responsabilité. Selon les forces de l’ordre, le taux moyen relevé est de 2,8 ng par ml de sang. Mais selon l’étude SAM, seuls 4,3 % des accidents sont directement imputables au cannabis, contre 31,5 % à l’alcool. Les risques à conduire sous cannabis sont donc infiniment moins élevés qu’avec l’alcool.

Sans rentrer les détails, toutes les études confirment que le cannabis abaisse plus ou moins notre aptitude à conduire un véhicule. Mais elles précisent aussi ce que sait déjà tout consommateur de ce produit, à savoir qu’il a conscience de son état et modifie sa conduite en conséquence : il roule moins vite que les autres et surtout, prend beaucoup moins de risques. Un constat qui n’est pas le fruit de l’imagination délirante d’un « drogué », comme le prétendent les « anticannabis », mais le résultat d’études scientifiques sérieuses.

Selon une étude de l’Inserm, le sur-risque lié au cannabis serait ainsi nul ou faible s’il est utilisé seul.

Et ce n’est qu’à partir d’une concentration de 5 ng que le risque serait avéré. C’est d’ailleurs ce seuil de 5 ng qu’ont choisi les deux premiers États américains à avoir légalisé le cannabis récréatif, le Colorado et l’État de Washington. Le taux de THC correspondant au taux légal d’alcool (0,5 g/L de sang) serait, quant à lui, de 3,8 ng, taux que plusieurs rapports d’experts européens préconisent de mettre en place.

RÉGULIER OU NON, L’USAGE DE CANNABIS NE SEMBLE PAS AVOIR D’INCIDENCE NOTABLE SUR LA SÉCURITÉ ROUTIÈRE :

« EVEN FREQUENT USERS OF CANNABIS DO NOT SEEM TO HAVE A HIGHER ACCIDENT RISK THAN NONUSERS, AS LONG AS THEY ARE NOT UNDER THE ACUTE INFLUENCE OF THE DRUG, I. E., THERE APPEAR TO BE NO EXTENDED EFFECTS OF CANNABIS USE ON TRAFFIC SAFETY BEYOND THE PERIOD OF ACUTE IMPAIRMENT. » (DUIC REPORT)

Mais voilà, en France, on a choisi le taux de 0,5 ng/ml de sang. Au Royaume-Uni, lui aussi adepte de l’option tolérance zéro, il est de 2 ng/ml, et de 3 ng aux Pays-Bas et en Norvège, la Suède ayant sans surprise le seuil le plus bas (0,3 ng/ml de sang). En France, il est donc fréquent que des personnes se fassent prendre au dépistage pour un joint fumé la veille, voire plusieurs jours plus tôt, alors que les effets d’un joint sont totalement dissipés grand maximum quatre heures après au (huit heures en cas d’ingestion).

Pour justifier de considérer une personne sous influence deux semaines après sa consommation, un toxicologue, le Dr Mura, a une théorie très originale, du genre à provoquer un fou rire incontrôlé chez les adeptes de cette redoutable drogue : selon cet expert, le THC qui se fixe pour une très longue période dans les graisses pourrait se relâcher en certaines occasions, provoquant alors des effets équivalents à ceux ressentis en fumant un joint. Les fumeurs expérimentés apprécieront la pertinence de cette observation. Le taux minimum serait selon lui trop élevé et aucune trace de cannabis ne serait détectable deux heures après. Là encore, les malheureux condamnés pour un joint fumé vingt-quatre heures plus tôt apprécieront. Ceci expliquant peut-être cela, ce monsieur est connu pour ses expériences au cannabis sur nos amis les cochons. Ce docteur Folamour injecte directement dans la jugulaire du cochon la dose monstrueuse de 200 mg de THC par kilo (soit plus de 400 fois la dose usuelle pour un humain), puis il abat la pauvre bête et mesure la concentration de THC dans ses organes (Allo la SPA ?).

S’il est bien entendu préférable de s’abstenir de consommer du cannabis avant de prendre le volant, condamner une personne pour avoir fumé quarante-huit heures plus tôt est ridicule et la peine encourue totalement disproportionnée au regard du risque pris. Mais attention, la tolérance au produit est un élément déterminant : certaines personnes ne sont absolument pas en mesure de conduire après un simple joint, quand d’autres se sentiront simplement plus détendues. Une étude cite même le cas d’une personne jugée parfaitement apte à conduire alors qu’elle avait 40 ng/ml de sang.

Les drogues fumées donnant les plus fortes concentrations salivaires, il serait intéressant de vérifier si l’usage d’un vaporiser est de nature abaisser ces concentrations.

L’effet du cannabis sur les fonctions cognitives et psychomotrices
Lorsque vous fumez un joint, vous passez par trois phases :durant les premières 60 minutes, c’est l’Acute Phase (phase aigüe) où les effets sont à leur maximum. Puis on passe à la Post Acute Phase, qui dure une à deux heures après avoir fumé, période pendant laquelle les effets baissent assez rapidement. Et c’est enfin la Residual Phase, deux à trois heures durant lesquelles ils se dissipent peu à peu. Pour être sûr de ne pas conduire avec des facultés affaiblies, il serait donc plus
prudent d’attendre quatre heures avant de prendre le volant. Boire de l’alcool en ayant consommé du cannabis est une pratique à bannir absolument, les risques étant alors démultipliés.

Amphétamines

Il est possible d’être détecté positif plus de quatre jours après en avoir consommé. Prises à dose thérapeutique, les amphétamines ne seraient pourtant pas forcément un handicap à la conduite. Une étude précise même qu’elles auraient plutôt tendance à l’améliorer. En fait, c’est surtout la fatigue provoquée par leur abus qui serait de nature à augmenter le risque d’accident. Évidemment, tout est là encore question de dose : un type blindé de speed depuis trois jours sans dormir n’est certainement pas en état de conduire, c’est du pur bon sens.

Cocaïne

Pour la cocaïne, tout dépend de même du dosage et du mode de consommation : l’effet d’un sniff de coke n’a rien à voir avec son injection ou lorsque elle fumée sous forme de base. Mais l’effet de la cocaïne étant assez bref, il est probable que l’on retrouve son aptitude à conduire relativement rapidement.

Selon de Dr Jean-Pierre de Mondenard, expert reconnu en matière de dopage, « la cocaïne est un stimulant ultra performant » qui augmenterait les performances par « augmentation de la réactivité ». Selon le contexte, une même drogue passe donc du statut de dopant améliorant les performances à celui de drogue incapacitante vous rendant inapte à la conduite.

Mais si une simple trace de coke n’entraîne pas d’incapacité notable (et peut même l’améliorer selon une étude tout à fait scientifique), il n’en est pas de même pour une dose équivalente prise en intraveineuse. Il serait alors carrément crétin (et criminel) de prendre le volant. Concernant le crack ou la base, est-il utile de préciser qu’il est extrêmement déconseillé de prendre le volant sous leur influence ?

Opiacés

En ce qui concerne les opiacés, les conclusions des études sont parfois contradictoires.
Pris dans un contexte médical à dose thérapeutique, ils ne modifient pas de façon notable l’aptitude à conduire, si la personne est déjà tolérante aux opiacés bien sûr. Donc attention en début de traitement.

Alors que l’héroïne est généralement désignée par les expert comme l’ennemi public n° 1, si elle consommée raisonnablement, il n’y a pas de raison que son usage soit plus accidentogène que la morphine médicale.

Le facteur clé avec l’héro, et les opiacés en général, est celui de la tolérance qui fait qu’un addict est capable de s’envoyer sans broncher des doses qui enverraient direct à la morgue n’importe quelle personne « naïve » aux opiacés. Le risque n° 1 avec la poudre, c’est de piquer du nez, ce qui n’est malheureusement pas trop compatible avec la conduite bien que rare chez un héroïnomane confirmé.

En fait, c’est plutôt en manque qu’un usager d’opiacés au volant peut devenir un danger.

Si on présume que quelqu’un soigné à la morphine est tout à fait apte à conduire, je ne vois pas trop pourquoi on devrait considérer qu’une autre sous héroïne est forcément un chauffard en puissance car à la finale, il n’y a guère de différence entre les deux (l’héroïne se transforme en morphine très rapidement). Mais voilà, l’une est légale, l’autre est illicite et peut vous coûter la prison.

Les stupéfiants sur ordonnance

Et les personnes consommant des produits stupéfiants sur prescription médicale ? Sauf erreur de ma part, la loi n’en fait pas mention, ce qui laisserait à penser que même utilisés tout à fait légalement sous contrôle médical, vous n’avez pas le droit de conduire.

Mais bien qu’il n’y ait pas de texte évoquantce cas de figure, l’usage de stupéfiant sur ordonnance ne devrait pas vous faire condamner. Ni la méthadone ni la buprénorphine (Subutex®) ne font partie des produits recherchés, bien qu’il soit possible de se retrouver positif aux opiacés par réaction
croisée.

Méthadone

Pour la méthadone, un patient stabilisé et ne consommant pas d’autres drogues (alcool
compris !) est parfaitement apte à conduire. La Suisse, qui interdit de conduire aux dépendants aux drogues, redonne ce droit aux personnes stabilisées sous traitement méthadone. En règle générale, les personnes qui prennent des stups dans le cadre d’un traitement médical conduisent bien mieux que lorsqu’elles ne suivent pas de traitement. Au Royaume-Uni, la méthadone est acceptée tant que le taux n’excède pas 500 ng/ml de sang, ce qui correspond à peu près à une dose quotidienne de 80 mg. Une personne stabilisée conduisant après avoir consommé 80 mg de méthadone n’a pas plus de risque d’accident qu’une personne n’ayant rien consommé, alors que ce même dosage peut entraîner la mort de quelqu’un n’ayant aucune tolérance aux opiacés. Par contre, les personnes sous prescription médicale de diamorphine (héroïne) perdent leur permis de conduire.

Dans certains États américains et dans d’autres pays, conduire sous méthadone est un délit, que cet usage soit ou non médical. Le simple fait d’être recensé comme « addict » entraîne le retrait de votre permis, et la Communauté européenne suggère elle aussi d’interdire de conduire aux personnes dépendantes.

Sulfates de morphine

Concernant les sulfates de morphine, vous serez évidemment positif… à la morphine, ce qui, dans un premier temps, va faire de vous un présumé coupable, traité comme tel par les forces de l’ordre. Vous serez placé en garde à vue, votre véhicule immobilisé et votre permis suspendu pour soixante-douze heures maximum. La présentation de votre
ordonnance n’y changera strictement rien et avec un peu de chance, vous aurez même droit à une perquisition à votre domicile. Vous devrez aussi subir une prise de sang, seule à même de prouver votre bonne foi. Les forces de l’ordre seront sûrement plus compréhensives avec un cancéreux qui prend de la morphine qu’avec un usager de drogues substitué qui reste à leurs yeux un « toxico ».

Benzodiazépines

Passons aux downers et autres benzodiazépines. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, elles n’auraient qu’une faible incidence sur la conduite. Oui, quand c’est pris à dose raisonnable mais sûrement pas quand on en abuse ou quand elles sont associées à de l’alcool ou d’autres drogues. Quoiqu’il en soit, les benzos et autres antidépresseurs seraient responsables de 3 % des accidents.
Mais ce genre de psychotropes est surtout consommé par « Monsieur tout le monde » et par de nombreuses personnes âgées, des seniors qui restent intouchables malgré une inévitable baisse de leurs capacités à conduire et des résultats pas vraiment fameux en termes de sécurité routière. En France, il vaut mieux conduire à moitié sourd et aveugle que de prendre le volant en pleine possession de ses moyens après avoir fumé un joint deux jours plus tôt.

Codéine

Pour la codéine, c’est encore plus compliqué car bien qu’elle soit classée stupéfiant, de nombreux médicaments vendus sans ordonnance en contiennent suffisamment pour être dépisté positif aux opiacés.

Bon, il est tout de même fortement conseillé d’avoir en permanence votre ordonnance sur vous et quelques doses de votre substitution qui, en cas de garde à vue prolongée, vous éviteront de vous retrouver en manque dans ce trou puant appelé cellule. Et pourquoi pas, demander à votre médecin une attestation précisant que votre médicament étant de la famille des opiacés, vous êtes susceptible d’être dépisté positif à tort, certifiant par ailleurs que vous êtes apte à conduire.

Il ne serait pas du luxe de sensibiliser les médecins et le personnel des Csapa à ce problème car personnellement, je n’ai jamais vu ou entendu la moindre information à ce sujet dans aucun centre. Les professionnels pourraient également monter au créneau pour dénoncer la façon ignoble dont risquent d’être traités leurs patients.

Méthylphénidate

Les personnes en traitement à la Ritaline® ou au Concerta® peuvent de même être positives à tort aux amphétamines. Là encore, même traitement que pour les opiacés : prise de sang, garde à vue et tout le tralala, sauf qu’il vous faudra en plus demander une recherche de médicaments psychoactifs, l’analyse classique n’étant pas assez précise. Une incohérence de plus quand on sait que le méthylphénidate sous contrôle médical améliore la conduite. Tout comme le Captagon® qui, après avoir fait la joie de nos écrivains et autres rugbymen, serait désormais la « Drug of Choice » des frappés du djihad.

Cannabis thérapeutique

Enfin, en ce qui concerne le cannabis thérapeutique, c’est comme d’habitude « circulez y a rien à voir ». À moins que vous ne fassiez partie des rares personnes ayant un accès au Sativex® ou au Marinol®, auquel cas une ordonnance devrait vous disculper (enfin, à vérifier…). Pour les autres, n’espérez aucune clémence de la justice, vous serez aussi condamnés comme de vulgaires chauffards. On peut conduire sous opiacés, sous antidépresseurs, sous benzodiazépines, mais pas sous cannabis, cherchez l’erreur… Même aux États-Unis, où de nombreux États ont légalisé le cannabis à usage médical, aucun d’entre eux n’accepte qu’une personne en traitement conduise. En Israël, pays pourtant à la pointe du cannabis thérapeutique, le seul fait d’être en traitement.

L’inquisition des temps modernes
Les tests antidrogues ont de beaux jours devant eux. Aux USA et en Australie, les chômeurs vont bientôt être dépistés gracieusement et en cas de positivité, ils perdront leurs allocations. En France, une nouvelle loi autorise le dépistage au travail tandis qu’à Béziers, la mairie propose aux parents des tests salivaires gratuits pour dépister leurs enfants. Il va falloir apprendre à vivre avec cette épée de Damoclès et s’adapter. Les tests salivaires laisseront bientôt place aux tests par empreinte digitale, une « méthode non-invasive, hygiénique et impossible à falsifier, avec l’identité du sujet capturée dans l’empreinte elle-même » qui permet déjà de dépister la cocaïne. Les défenseurs des droits de l’homme ont déjà démontré qu’ils savaient utiliser avec habilité les nouvelles technologies, espérons qu’ils seront vite capables de trouver des outils permettant de nous prémunir de cette nouvelle inquisition des temps modernes.

Dossier réalisé par JI.AIR

Mensonges et flous statistiques.

Ce que disent les statistiques officielles… ou la présentation tendancieuse de la Sécurité routière.

En France, la Sécurité routière a pris l’habitude, concernant les stupéfiants, de citer le chiffre de 23%, qui représenterait le pourcentage des tués sur la route où les stupéfiants seraient impliqués. Et les médias de reprendre ce chiffre bêtement, sans aucune explication ou analyse, laissant entendre que les stupéfiants auraient tué 790 personnes en 2015.

Une lecture attentive de ces statistiques permet pourtant de tempérer ce chiffre sérieusement : en 2015, il y a eu 3 461 tués dans la métropole, dont 501 dans un accident où l’un des conducteurs a été testé positif aux stupéfiants. Faites le calcul, et vous constaterez que 501 équivaut à 14,5 % de 3 461, et non à 23 %. Les 23 % et 790 tués sont donc des extrapolations, basées sur le fait que les conducteurs impliqués dans un accident mortel n’ont pas tous été dépistés. Or, qu’un conducteur soit dépisté positif ne signifie nullement qu’il conduisait sous influence d’une drogue, et n’indique pas non plus qu’il soit responsable de cet accident. Ce qu’on constate, toujours selon les statistiques officielles, c’est que 6,9 % des accidents mortels auraient pour cause principale la prise de stupéfiant. 23 % et 6,9 %, c’est pas vraiment la même chose. De plus, 42 % des conducteurs positifs aux stups le sont également à l’alcool. En cas d’accident mortel, à qui va-t-on attribuer la responsabilité de l’accident ? À l’alcool ou aux drogues ?

Et ce n’est qu’un un exemple parmi bien d’autres. L’objectif étant de marquer les esprits et justifier ainsi une politique toujours plus répressive, et surtout totalement arbitraire, la Sécurité routière a une façon tendancieuse d’analyser et de présenter ses statistiques. Ce n’est pas la première fois que son objectivité est mise en cause. Le 8 février 2014, Pierre Chasseray, porte-parole de l’association 40 millions d’automobilistes affirmait que la Sécurité routière « falsifie les résultats pour faire croire que la mortalité routière est mauvaise et justifier la répression ». Selon la Société française de statistique, « la communication publique sur la sécurité routière est exagérément simplificatrice »
et le fichier national des accidents n’est pas adapté pour déterminer la responsabilité des conducteurs dans les accidents.                                                                                                          La sécurité routière ne serait-elle qu’un alibi pour réprimer plus durement l’usage ?

En 2015, 59 % des 118 476 conducteurs dépistés étaient positifs,soit 70 011 personnes, pour 20 900 condamnations seulement. Pourquoi un tel écart entre positifs et condamnés ? Faux positifs ? Taux inférieur au seuil de 1 ng ? 4 800 peines de prison, dont 987 fermes, ont été prononcées pour conduite après usage.

En dépit du principe de tolérance zéro, il existerait des seuils sous lesquels on échapperait aux poursuites. Difficile de dire ce qu’ils valent puisque la loi stipule sans ambiguïté que, peu importe le taux, l’infraction est établie dès que la plus petite trace est détectée.                                                    Dans ce cas, pourquoi fixer des taux ?                                                                                                    À quoi servent-ils ?                                                                                                                                  À quel niveau de consommation correspondent-ils ? Comment savoir si on est détectable ou pas ? Combien de temps doit-on s’abstenir de consommer pour ne plus être considéré positif ?

Comme vous pouvez le constater, la loi ne fait aucune différence entre analyse sanguine et salivaire. Les études scientifiques démontrent pourtant sans aucune ambiguïté que les taux de drogues varient considérablement selon les milieux dans lesquels ils ont été prélevés. Pour les amphétamines, le taux relevé dans la salive est par exemple jusqu’à 10 fois supérieur à celui relevé dans le sang. Une différence qui – en cas de faible positivité – peut vous valoir d’être condamné ou pas selon que vous ayez choisi l’analyse salivaire ou pas. En Belgique et concernant le THC, le seuil légal pour la salive est de 10 ng/ml contre 1 ng/ml pour le sang. Si on appliquait le même ratio en
France, le seuil pour la salive devrait être de 5 ng/ml et non de 0,5 ng. Que les taux « tolérés » diffèrent selon les drogues ne signifie pas qu’une drogue serait « favorisée » par rapport à une autre. Pour vous donner juste une idée, sachez qu’une demi-heure après un simple joint de cannabis à 3,5 % de THC, vous aurez autour de 160 ng/ml dans votre sang, qui passeront à 20 ng/ml une heure après, puis descendront sous la barre des 5 ng/ml quelques heures plus tard. Mais le temps
d’élimination peut être beaucoup plus long et variable, selon votre mode de consommation et votre propre métabolisme. Un fumeur régulier peut encore être à plus de 1 ng après 7 jours d’abstinence, bien que ce taux tombe généralement sous un nanogramme au bout de 24 heures. Avec 200 mg de morphine, vous serez à 66 ng/ml de morphine dans le sang, et pour un sniff de 6 mg d’héroïne, vous serez à 151 ng de 6-MAM (un métabolite de l’héroïne se dégradant rapidement en morphine)
et 44 ng de morphine. Avec 100 mg de méthadone, vous serez à 850 ng quatre heures plus tard, à 500 ng vingt-quatre heures après.

Durée de détection des drogues :

•• THC (usage occasionnel) : 24 heures,
voire plus ;
•• THC (usage habituel) : 4 jours et plus ;
•• Cocaïne : 48 heures ;
•• Opiacés (morphine, héroïne,
codéine) : 48 heures ;
•• Méthamphétamines (dont MDMA) :
jusqu’à 4 jours ;
•• Amphétamines : jusqu’à 4 jours.
(Attention : en l’absence de données
officielles fiables, ces chiffres sont des
estimations et les respecter ne vous
garantit pas à 100 % d’échapper à une
positivité.)
Seuils de « tolérance » :
•• THC : 1 ng/ml de salive ou 0,5 ng/ml
de sang ;
•• Cocaïne : 10 ng/ml ;
•• Opiacé : 10 ng/ml ;
•• Amphétamine : 10 ng/ml ;
•• Méthamphétamine : 10 ng/ml.

Dossier réalisé par JI.AIR

DOSSIER SÉCURITÉ ROUTIÈRE : L’AUTRE GUERRE À LA DROGUE

Les substances psychoactives sont de nature à modifier l’aptitude à la conduite de véhicule, de nombreuses études l’ont confirmé. Les statistiques de la Sécurité routière font état d’une forte augmentation des accidents dans lesquels les stupéfiants sont mis en cause, ce qui, associé à une prévalence de l’usage également en hausse, justifie que l’État légifère à ce sujet, l’affaire est entendue. Personne ne souhaite croiser la route d’un conducteur défoncé jusqu’au trognon. Mais là ou ça se corse, c’est que, contrairement à l’alcool pour lequel il existe un large consensus sur les niveaux de consommation entraînant une baisse notable de l’aptitude à conduire, concernant les stupéfiants, les études sont souvent contradictoires et définir des seuils au-delà desquels il y a un risque notable d’avoir un accident est une tâche compliquée, chaque stupéfiant agissant de façon fort différente.

Face à ce problème, deux politiques possibles : celle dite de « tolérance zéro », qui réprime lourdement sans aucune distinction tout usage de drogue, quel que soit le taux de drogue, peu importe qu’il soit réellement incapacitant ou non, sans tenir compte des connaissances scientifiques sur le sujet. C’est la solution la plus facile à mettre en place mais c’est aussi la plus arbitraire.
La deuxième solution, Impairment Approach en anglais, consiste, en se basant sur les connaissances scientifiques, à établir pour chaque drogue des seuils au-delà desquels conduire un véhicule entraîne un risque avéré de causer un accident. Passé ces seuils, la loi interdit de conduire. C’est ce qui est appliqué pour l’alcool et ce que l’étude européenne DUIC, une référence dans le domaine, proposait pour le cannabis et recommandait aux États européens. Plus complexe à mettre en place, c’est la solution qui semble la plus équitable, la plus juste.

Condamner l’usage plus que la conduite sous influence.

Mais devinez donc quelle approche a choisi la France ? Évidemment, l’option « tolérance zéro » qu’elle a même modifié à l’été 2016, allant bien plus loin avec une politique carrément en dessous de zéro. En fait, la loi française a cette particularité de réprimer la conduite après usage de stupéfiant plutôt que la conduite sous influence de stupéfiant. Une nuance de taille, car elle permet de condamner un conducteur ayant consommé une drogue une semaine auparavant (voire plus) et qui n’est évidemment plus sous l’influence de ladite drogue.

Plus précisément, l’article L. 235.1 du code de la route dit :

« Toute personne qui conduit un véhicule alors qu’il résulte d’une analyse salivaire ou sanguine qu’elle a fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiant est punie d’une peine de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 4 500 € ». Peu importe le taux de drogue relevé, de simples traces de l’ordre du demi-nanogramme (pour le THC) suffisent à caractériser le délit alors qu’à ce taux, vous n’êtes plus sous l’influence du produit depuis longtemps. Cette loi condamne donc l’usage de drogue bien plus que la conduite sous influence, et ne différencie pas un authentique chauffard conduisant sous « l’emprise » d’un stupéfiant d’un conducteur suffisamment responsable pour ne pas faire usage de drogues au volant. Un peu comme si on mettait dans le même sac toutes les personnes qui boivent de l’alcool sans distinguer l’irresponsable qui conduit avec 2 g dans le sang de celui qui fait un usage responsable en s’abstenant de conduire dès qu’il a bu plus d’un verre. Si avec l’alcool, la loi distingue bien l’usage de l’abus, ce n’est pas le cas avec les drogues.

Le principe de précaution poussé à l’extrême.

Quand la mortalité routière baisse, c’est bien sûr grâce à cette politique et quand elle augmente, c’est la faute des usagers. Cherchez l’erreur. On part du principe que les drogues, c’est le « mal », que leurs usagers sont forcément dangereux pour la société – la preuve, ils ne respectent même pas la loi qui prohibe les drogues – et que pour le bien du plus grand nombre, il faut donc les mettre hors-jeu. Peu importe que nombre d’entre eux aient un comportement tout aussi responsable et respectueux que n’importe quel citoyen, peu importe qu’ils veillent à ne jamais conduire en étant sous influence d’une drogue. Parler d’usage de drogues responsable est en fait déjà un non-sens, l’usage de drogues (illicites) étant par nature irresponsable. Résultat : une politique simpliste, arbitraire et fondamentalement injuste, votée par une large majorité d’élus, dont la plupart sont soit de redoutables ignares de ce que sont et font les drogues, soit de fieffés hypocrites mais dans tous les cas des prohibitionnistes convaincus.

CETTE LOI SERAIT-ELLE UNE SIMPLE EXCROISSANCE DE LA GUERRE À LA DROGUE ?

Dossier réalisé par JI.AIR

Total Chaos !

Comme nous le savons tous, nous sommes passés, après l’effondrement de l’Union soviétique, du monde bipolaire États-Unis/URSS au monde multipolaire. Et ce monde, probablement pour encore pas mal de temps, est instable, imprévisible, dangereux et chaotique. Pourquoi, dans ces conditions, voudrait-on que la question des drogues ne le soit pas elle aussi ? Trois exemples en donnent une petite idée.

Les États-Unis sont confrontés à une incroyable épidémie d’overdoses aux opiacés : environ 50 000 décès par an. C’est à peu près comme s’il y avait 10 000 décès par OD en France… Cette épidémie a deux caractéristiques : tout d’abord, elle est majoritairement liée à des opiacés prescrits (méthadone, oxycodone, fentanyl) avant l’héroïne du marché noir (elle-même parfois associée à du fentanyl !). Ensuite, elle touche surtout de jeunes Blancs issus des classes moyennes inférieures vivant dans des petites villes ou à la campagne et non des « minorités visibles ». On a beaucoup parlé de cette affaire à Montréal, lors de la conférence internationale de réduction des risques. Elle a été connue avec un retard assez incompréhensible et il va falloir des années pour sortir d’un tel guêpier. Nul doute que la distribution de naloxone va faire partie des armes à disposition. Ensuite, le président des Philippines, Rodrigo Duterte, propose à la population de se débarrasser des usagers de methamphétamine (meth, crystal meth, yaba…). Il le faisait déjà dans la ville dont il était maire. Le plus flippant, c’est que, majoritairement, la population le soutient et jusqu’au réalisateur

Brillante Mendoza, récompensé à Cannes l’an dernier pour son film Ma Rosa. Résultat : plusieurs milliers d’exécutions extrajudiciaires. D’où j’en déduis, peut-être à tort, que la « scène » de la meth doit être violente et créer des « nuisances ». De là à tirer les usagers et les dealers de rue comme des lapins… Enfin, Le Monde daté du 28 au 29 mai a publié sur une double page un article intitulé « Brésil, À “Cracolandia”, l’antre des maîtres du crack »(1). Il s’agit d’une « scène ouverte » de crack dans un quartier de Sao Paulo tenu militairement par la plus puissante mafia du Brésil, « Premier Commando de la Capitale (PCC) » dont nombre de dirigeants sont en prison d’où ils continuent à diriger leurs affaires. Quant aux milliers de crackeurs qui fréquentent cette scène, ils sont dans un état de déréliction effrayant. Dès qu’ils n’ont plus d’argent, ils repartent en ville pour mendier, se prostituer, voler, braquer… Inutile d’ajouter que le niveau de violence lié à ce trafic est à l’image du reste : il y a environ 55 homicides par semaine à Sao Paulo. On ne peut comparer la manière dont les questions de drogues sont gérées dans les pays riches et dans les pays pauvres ou sortant du sous-développement. En particulier en Amérique latine où, indépendamment même des histoires de drogues, le niveau de violence politique et sociale est une tradition établie. Et on conviendra que la légalisation de la meth et du crack n’est pas pour demain. Le fait que l’on soit médicalement désarmé avec les stimulants (pas de « cocadone ») ajoute au caractère inextricable de ces situations. Comment faire de la réduction des risques à Sao Paulo ou à Manille ? Enfin, l’histoire américaine ébranle certaines de mes idées. Je pense, depuis longtemps, que les opiacés, contrairement aux stimulants, ne sont pas si difficiles à « domestiquer » pour reprendre la catégorie chère à Anne Coppel. Et je m’aperçois qu’il y a encore un long chemin à faire pour que les laboratoires cessent de faire du « pushing » mensonger sur les prescripteurs comme ça a été le cas avec l’oxycodone, pour que ces derniers apprennent à prescrire des opiacés et à donner les infos utiles à leurs patients, pour que les usagers, enfin, disposent d’outils, à commencer par la naloxone, qui les gardent en vie.

BERTRAND LEBEAU

RÉFÉRENCES

1. Écrit par Bertrand Monnet, professeur à l’Edhec où il est titulaire de la chaire Management des risques criminels.

Codéine, perd, passe, et manque…

Jusque très récemment, la France était le pays de la codéine en vente libre. Une pharmacopée pléthorique offrait à nos bronches douloureuses une panoplie de médicaments en « co », Codoliprane®, Codedrill®, et, à tout seigneur…, le célèbre Néo-Codion®, compagnon d’infortune de deux générations d’usagers en manque, sortis de garde à vue, privés de dealer, ou tout simplement amateurs de sensations douces sans ordonnance. Mais ça, c’était avant…

Rappelons pour mémoire que le dit Néo-Codion® – « Néo » pour les intimes – fut l’objet de plusieurs tentatives de retrait des officines de la fin des années 1980 au début des années 1990. Des velléités très révélatrices du climat d’hypocrisie qui a de tout temps caractérisé ce dossier. Les mêmes instances officiellement hostiles à l’introduction de la méthadone se sont épisodiquement alarmées des scores de vente olympiens de la célèbre petite pastille verte. À chaque fois, l’institution a reculé devant la perspective d’un lâcher de « toxicos » en manque dans nos rues, en maintenant la « soupape de sécurité » que représentait la vente libre de Néo-Codion® à l’intérieur de l’édifice prohibitionniste. Presque trente ans plus tard, toute une gamme de médicaments, indiqués cette fois pour la douleur, se sont progressivement installés dans la brèche. Efferalgan® codéiné, Dafalgan® codéiné, Padéryl® codéiné sont assaisonnés à la codéine, un dérivé de l’opium. Depuis bientôt vingt mille ans, l’opium remplit la même fonction pour les homo sapiens : dormir, rêver et ne plus avoir mal en un seul volume. Un bémol d’importance : comme tous les opiacés, la codéine souffre d’une tare majeure, quand on en prend trop, on en meurt. Depuis les années 2010, les opiacés, chassés du catalogue des drogues récréatives par les mauvais souvenirs de la seringue et des années sida, ont fait leur réapparition sous la forme de cocktails relayés dans la communauté Hip Hop. Les purple drank (1)et autre sizurp(2) ont essaimé chez les adolescents. Deux accidents mortels ayant impliqué des mineurs font la une des médias français au printemps 2017. La campagne de presse est animée par la mère de l’une des victimes qui se mobilise autour d’un seul objet : abolir la vente libre de ces médicaments codéinés. Comme souvent en pareille occurrence, le gouvernement, craignant par dessus tout d’apparaître laxiste à propos de « la drogue », adopte une mesure de circonstance, mal taillée, mal préparée, et surtout, mise en oeuvre dans une précipitation qui a rendu impossible le recueil d’une information fiable sur la cible, laquelle, rappelons-le, est cachée par définition, puisque officiellement la codéine ne soignait que les rhumes et les maux de tête. Aucune information non plus n’est parvenue aux professionnels de la santé, médecins et pharmaciens, peu connus pour leur
empressement à accueillir dans leurs cabinets ou leur officines les usagers d’opiacés toutes catégories (voir p 31). Le grand scandale de cette affaire est le suivant : nous dénonçons depuis
douze ans, avec preuves à l’appui, la détermination avec laquelle les pharmaciens d’officine refusent de délivrer à des patients parfaitement en règle les vrais médicaments opiacés dûment tamponnés par l’Académie. Et en même temps, les mêmes pharmaciens sont supposés incapables de refuser une vente de codéine détournée à des adolescents boutonneux. En clair, il serait apparemment plus facile de contrevenir à la loi en résistant à la pression des méchants drogués que de gérer la triche des lycéens en goguette.

Conclusion

Le 12 juillet 2017, par arrêté ministériel, l’ensemble des médicaments contenant de la « codéine de l’éthylmorphine, du dextrométhorphane ou de la noscapine » sont passés en liste I et II, c’est-à-dire dorénavant soumis à une prescription obligatoire. Après un combat d’arrière-garde à la commission des Stupéfiants (3) et une conversation téléphonique avec le directeur général de la santé, Asud n’a jamais pu faire entendre son point de vue. Les trafics, chapardages, et ventes à distance sur le Net vont donc naturellement pourvoir à la confection des cocktails stupéfiants dans les cours de récré tandis qu’une foule de consommateurs dépendants à la codéine s’est brusquement retrouvée livrée aux incertitudes du syndrome de manque un vendredi soir en plein
mois de juillet. Nous prenons ici l’engagement de tenir une rubrique dédiée aux suites de cette affaire, parfaite illustration en temps réel de nos incohérences politiques en matière de drogues.

FABRICE OLIVET

RÉFÉRENCES

1. Georges Lachaze, « Hip Hop, le sirop de la rue » – partie 2, Asud- Journal n° 56

2. Georges Lachaze « Hip Hop, le sirop de la rue » – partie 1, Asud-Journal n° 51

3. Le compte-rendu de la séance de juin 2017, qui s’est soldée par un vote favorable à l’interdiction une très courte majorité, est en ligne sur le site de l’ANSM. Jusque très récemment, la France était le pays de la codéine en vente libre. Une pharmacopée pléthorique offrait à nos bronches douloureuses unepanoplie de médicaments en « co », Codoliprane®, Codedrill®, et,
à tout seigneur…, le célèbre Néo-Codion®, compagnon
d’infortune de deux générations d’usagers en manque,
sortis de garde à vue, privés de dealer, ou tout
simplement amateurs de sensations douces sans
ordonnance. Mais ca, c’était avant…

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