Guerre à la drogue : la faute aux «ni-ni»

«Qu’est-il arrivé à ce pays ? », se demandait Jack Nicholson juste avant d’être massacré à coup de barre de fer par une bande de « Red Necks » dans Easy Rider. Le film culte de Dennis Hopper sorti en 1971 est à la fois prophétique et réaliste. « Ils n’ont pas peur de toi, ils ont peur de ce que tu représentes… Ils vont te parler tout le temps de liberté individuelle. Mais, s’ils voient un individu libre, ils prennent peur, ça les rend dangereux… »

La même année, le 17 juin 1971, Richard Nixon déclare l’usage de drogue « ennemi public n° 1 » des États-Unis lors d’une conférence de presse à la Maison Blanche, et conclut logiquement qu’une « guerre » doit être menée pour éradiquer ce phénomène. Depuis,le monde s’est habitué. La guerre s’est installée comme une réponse normale aux questions posées par l’usage et la production de substances psychoactives, en Afghanistan, en Amérique centrale, dans le gettho de South Central LA, mais aussi dans nos banlieues françaises.
Mais le consensus est en train d’exploser. Lors d’une séance qualifiée « d’historique » le 2 juin dernier, la Global Commission on Drug Policy a en effet proposé de mettre fin à la guerre à la drogue à la tribune des Nations unies. Composée de dix-neuf personnalités reconnues pour leurs compétences internationales, tels Kofi Annan, l’ex-secrétaire général de l’ONU, ou Henrique Cardoso, l’ancien président du Brésil, la Commission recommande la fin de la pénalisation des usages de drogues, des expérimentations de légalisation du cannabis dans les États qui le souhaitent et plus généralement, la poursuite et l’amélioration de toutes les initiatives de réduction des risques.

Cette véritable bombe diplomatique va-t-elle enfin servir à débloquer le débat français ? On peut en douter. Non seulement parce que notre politique reste l’une des plus répressive de l’UE, mais aussi parce qu’en face, la gauche bon teint continue de se cramponner à un discours « ni-ni » qui prétend dépasser l’opposition « simpliste entre répression et dépénalisation ». Une fausse subtilité qui cache en réalité une vraie lâcheté politique. On ne le dira jamais assez : en matière de drogues, Simone Veil et Michèle Barzach, ministres de centre-droit, ont été mille fois plus courageuses que leurs homologues de gauche.
La politique du « ni-ni » est l’allié objectif du maintien du statu quo,de la prohibition. Le refrain qui consiste à verser quelques larmes de sauriens sur les pauvres toxicomanes tout en martelant la doxa de l’inaltérabilité de la loi est une imposture intellectuelle dont l’absurdité en rappelle bien d’autres. Car l’autre particularité du discours « ni-ni » est le sort fait aux opinions des usagers : si vous voulez exprimer une opinion sur les drogues, dites surtout que vous n’en consommez pas.

L’analogie avec d’autres débats de société est source de perplexité. Un antiracisme dont seraient exclus les non-Blancs, au prétexte que l’expérience de la discrimination empêche une analyse « objective » du phénomène, un féminisme qui craindrait d’être discrédité par l’opinion des femmes, une pétition contre l’antisémitisme qui prendrait soin de n’avoir aucun signataire juif… À bien y réfléchir, tous ces groupes ont eux aussi été, à un moment ou l’autre, taraudés par le même syndrome.

L’abolition de l’esclavage fut longtemps une affaire d’aristocrates blancs membres de la « Société des amis des Noirs ». En définitive, le « ni-ni » est toujours un conservatisme qui ne dit pas son nom. Une posture commode, une tartufferie qui explique la détermination des membres de la Global Commission des Nations unies à préciser d’emblée les termes du débat : la guerre à la drogue est une impasse, en sortir suppose de dénoncer clairement les lois qui organisent la répression.

Apaire au pays des jardiniers en herbe

Même si la plus grande partie de cette chronique est consacrée à la tentative de la Mildt de briser le moral des cultivateurs en herbe, entre deux saisies et trois interpellations, le reste de l’actualité cannabique joue en faveur des partisans du changement.

Je veux évidemment parler de Pour en finir avec les dealers écrit par le maire de Sevran en collaboration avec un flic de terrain. Difficile de passer à côté des thèses déve­loppées dans cet ouvrage tant il a été commenté dans les médias. Aux prises avec la réalité, les auteurs démontrent l’inefficacité de la prohibition et préconisent, au nom de la sécurité, de légaliser les drogues.
Un autre livre, paru quelques semaines auparavant et écrit par un journaliste qui « ne se drogue pas », Drogues : Pourquoi la légalisation est inévitable, a, lui aussi, participé à mettre le sujet du cannabis. sur le devant de la scène Il y avait bien longtemps que les télévisions n’avaient pas consacré d’émission au cannabis, un sujet qu’ils abordaient volontiers naguère. Le jour du printemps, France 2 consacre un dossier à ce sujet sous le titre Et si on légalisait le cannabis ?, une question qui contient déjà la réponse. En envoyant ses journalistes enquêter en Cali­fornie, aux Pays-Bas et au Portugal, l’émission a démontré qu’il existe des alternatives fiables à notre politique du tout répressif. Tant mieux si des politiques relaient enfin ce que nous répétons depuis des années, mais voilà qu’Étienne Apaire est arrivé avec ses gros sabots.

La Mildt découvre la cannabiculture

Alors qu’en quelques années, la politique de la matraque aidant, la culture du cannabis a fleuri partout en France, la Mildt – qui ne maîtrise pas le sujet – demandait en 2007 à l’Ofdt de se pencher sur « la part de la production domestique de cannabis en France ». En 2008, Jean-Michel Costes, feu le directeur de l’Ofdt, remet son rapport : les cannabiculteurs seraient 200 000 et produiraient 32 tonnes de beuh, 11,5% de l’herbe fumée serait locale et son taux en THC avoisinerait les 8 %… Bref, en France comme dans tous les pays d’Europe, force est de constater que la culture domestique du cannabis est en pleine expansion. La Mildt s’en émeut. Son président nous rassure, il prendra les mesures qui s’imposent dans le plan antidrogue qu’il nous concocte.
Le Circ se fend alors d’une lettre à son président1 dans laquelle il souligne malicieusement que le succès de l’autopro­duction est un des effets collatéraux de la politique répressive. Le cannabis étant trop souvent coupé avec des produits nocifs, le Circ relève également qu’en cultivant son jardin, l’amateur milite paradoxalement pour sa « bonne santé ». En cultivant son jardin, il coupe les ponts avec le marché noir où il risque non seulement de se voir proposer d’autres drogues, mais aussi de se faire alpaguer au détour d’une rue par des policiers contraints de faire du chif­fre. Fort de ses arguments pragmatiques, le Circ invitait la Mildt à adopter une politique tolérant la culture de quelques pieds de chanvre dans son jardin, sur son balcon ou en « placard ».

La Mildt déclare la guerre aux cannabiculteurs…

Dans son « Plan gouvernemental 2008/2011 de lutte contre les drogues et les toxicomanies », la Mildt ne tient pas compte de ces propositions sensées et promet de s’attaquer à ce « phéno­mène favorisé par la libre circulation des graines et du matériel de production, ainsi que par la prolifération de magasins et de sites In­terrnet spécialisés dans la “cannabiculture” »… Pour éradiquer ce nouvel ennemi de l’intérieur, comme le qualifie Étienne Apaire, la Mildt décide de doter la police « de moyens de détection in­novants » (appareils à infrarouge, détection aérienne, détecteurs de particules, amplificateurs de bruit…).

…l’Onrdp en rajoute une couche

Quant â David Weinberger, il déduit de l’étude qu’il a menée pour le compte de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (Onrdp) que 80% de ceux qui cultivent du cannabis le font uniquement pour assurer leur consomma­tion personnelle. 47% de la beuh fumée en France serait en outre produite sur le territoire. David Weinberger (comme la Mildt) remarque que cette activité qui se concentre en « zone périurbaine » est facilitée par la multiplication des sites In­ternet spécialisés et des boutiques. Il en dénombre 400 en France… À ce rythme nous assure le rapporteur, la beuh sup­plantera bientôt le shit dans le cœur des fumeurs.

Mildt attack

Le 26 avril 2011, gendarmes et policiers encadrés par l’Octris passent â l’attaque et effectuent conjointement vingt-trois descentes sous l’autorité de dix-neuf par­quets. Dix-huit personnes sont interpel­lées, dont quatorze se retrouvent en garde â vue. Ces descentes médiatisées, on les doit aux cyber policiers qui, durant de longs mois, ont espionné les cultivateurs en herbe via le site Cannaweed et réussi â en localiser certains, notamment grâce aux photos de leur jardin intime publiées sur le site.
Efficaces les policiers du Net ? Pas vraiment puisque certaines personnes interpellées ne cultivaient plus depuis des années. Quant â l’opération elle-même, il n’y a pas de quoi pavoiser : cent pieds d’herbe saisis, soit une moyenne de cinq pieds par personne. Quatre kilos de beuh de « très grande qualité », dixit Le Figaro, ont été retrouvés, ce qui ne fait jamais que trois cents grammes par jardinier, de quoi assurer sa consommation estivale. Et dire que nos flics, qu’ils soient « cyber » ou pas, ont été formés par des policiers néer­landais. S’inspirant de leurs judicieux conseils, la Mildt vient d’ailleurs de pu­blier un guide de cannabiculture réservé aux fins limiers chargés de repérer les cultures clandestines.
Alors qu’elles s’étaient déroulées deux semaines auparavant, ces descentes orches­trées par la Mildt ont été jetées en pâture aux médias la veille de la dixième Mar­che mondiale du cannabis. Un méchant hasard ou un message codé â l’intention des jardiniers en herbe, des growshops, du Circ et de sa devise : « Contre la guerre à la drogue, cultivons notre jardin » ?
Encore une fois, voulant montrer au bon peuple qu’elle ne lâche pas le mor­ceau, la Mildt a consacré beaucoup de temps, d’énergie et d’argent â la seule fin de gâcher la vie de quelques passion­nés de jardinage qui, pour se fournir, n’auront plus comme recours que le marché noir avec les multiples risques que cela comporte.
Rien que le procédé – pister des jar­diniers comme s’ils étaient des terroristes alors qu’ils ne présentent aucun danger pour la société – n’est pas très élégant. Étienne Apaire, qui dit craindre « que le crime organisé ne mette la main sur cette production nationale à l’image de ce qu’il se passe en Grande-Bretagne où les mafias vietnamiennes s’en sont emparées », se couvre non seulement de ridicule avec ses onze « armoires de culture » saisies, mais favorise aussi l’installation de ce qu’il voudrait combattre.
Les autres arguments du patron de la Mildt pour justifier cette tentative de déstabilisation du peuple de l’herbe ne sont guère plus convaincants : le jardinier d’intérieur produisant une herbe très ri­che en THC (de 20 â 25 %) est souvent « victime » de surproduction, ce qui le pousserait â se lancer « dans un trafic lo­cal », nous dit-il en substance.
En baptisant « Cannaweed » l’opé­ration menée conjointement par la Mildt et l’Octris, le pouvoir cherche â semer la panique chez les utilisateurs du « portail francophone de la culture du cannabis » et â les priver d’une information pré­cieuse et multiple car avant d’être un site d’échanges entre cannabiculteurs, Can­naweed est un site politique militant pour une consommation raisonnée et raisonnable.

Une pure affaire Affiche

Une pure affaire

Ce film est un bon produit. M. et Mme Classe-Moyenne mènent leur train-train pavillonnaire et banlieusard avec leurs enfants (un de chaque sexe, bien sûr) et leur chien. Lui est un bon avocat mais trop honnête pour monter dans la hiérarchie aussi verticale que l’arrogante tour du quartier de la Défense où officie son entreprise. Elle, secteur logistique, vient d’être sacrifiée sur l’autel de la compétitivité transnationale. Aussi, quand le Père Noël leur apporte un sac de cocaïne, ces honnêtes gens y voient rapidement l’opportunité d’une vie meilleure. Un moyen d’avoir le même train de vie que les requins de l’économie libérale qu’ils n’ont pas pu être. Et sans faire autant de mal.

Si quand il s’agit de drogues, nos séries télé n’arrivent pas à la semelle de leurs homologues US comme Weeds ou Breaking Bad, ce premier film montre que la France a gros un potentiel d’émancipation sur ce sujet. On en redemande ! À l’heure où l’État communique sur le rôle exemplaire que les parents doivent jouer dans la lutte contre la drogue, la montée du film – qui installe le trafic de cocaïne – joue merveilleusement sur une ambiguïté : le couple est-il sous l’effet du produit ? Les personnages deviennent sûrs d’eux, sexy, flambent, mordent la vie comme certains la sniffent, et ça leur réussit. Pour tenir le spectateur en haleine, l’histoire fait mine de s’assombrir mais fort heureusement, point de morale politiquement correcte. Pas de long spot culpabilisant de la Mildt mais au contraire, une formidable comédie de situation du début à la fin, d’ailleurs récompensée par les prix mérités d’interprétation masculine (François Damiens) et féminine (Pascale Arbillot) et par le prix spécial du jury du festival de film d’humour de l’Alpe d’Huez.

Tous les gags ne mènent pas au fou rire et certaines scènes parfois inutiles à l’histoire, voire peu crédibles, n’existent que pour pouvoir en placer quelques-uns. Mais ils sont assez nombreux, originaux, et certains vraiment décapants, pour maintenir le film sur ces bons rails. Un petit échantillon pour goûter : médecin à la retraite, beau-père du héros, l’un des personnages secondaires a cette phrase pour convaincre sa fille de le laisser dealer avec elle et son mari : « Quand on a été médecin, prescrire une drogue plutôt qu’une autre, quelle différence ? » Et le voilà embarqué dans des livraisons de coke à domicile, n’hésitant pas à délivrer des conseils de consommation à un client après auscultation : «… et surtout, tu espaces bien tes prises de deux à trois heures. »

Étienne Apaire avait tort de dire en 2008 que « chaque consommateur est un dealer en puissance ». Chaque non-consommateur aussi.

Une pure affaire, 2011, réalisé par Alexandre Coffre avec François Damiens
Site officiel : www.unepureaffaire-lefilm.com

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