Château Rouge – Gaza
une expérience d’un sevrage UROD (Ultra Rapid Opiate Detox)

Précisions : nous n’avons pas mis cette article pour faire de la pub pour une méthode miracle, mais pour faire réfléchir sur les sevrages en France (en particulier des produits de substitution) qui sont souvent mal faits. Pour faire le pendant de ce sevrage réussi, nous avons mis dans les commentaires deux témoignages de personnes qui ont suivi la cure et qui ont rencontré l’échec, voire qui ont été confrontées à de plus grandes difficultés par la suite .  Rappelons également que la méthode UROD est un service médical privé qui propose ses services contre rémunération. 
L’équipe d’Asud

Ce n’est pas un nouveau cépage palestinien ni un jeu de mot de mauvais goût sur la violence des territoires mais le compte-rendu, pour les besoins de ce dossier spécial « neurosciences des accros et marché de la détox », d’une épopée israélienne en gonzo journaliste, très à cheval… sur la vérification des sources !!!!

J’ai repris le cheval !! Après un an de quasi abstinence qui avait suivi une longue et assidue carrière d’usager à dosages pachydermiques. J’avais pourtant réussi une décro de Marmotte maso (de 180 mg de métha) et une postcure au fond d’un trou sans fin qui m’avait fait jurer « plus jamais ça ». Mais à trop me laisser la bride sur le cou, le cheval m’a repris comme en 14, au dur front des tranchées urbaines. En 3 semaines, avec ma bouteille et mon côté « il en reste ? », j’en suis déjà à 3 g/jour : ½ pour le dragon du matin qui permet d’atteindre la cafetière, un autre ½ pour atteindre la coupure de midi, ½ pour redémarrer l’aprèm dans de bonnes conditions, 1/4 pour le petit 4 heures… sans compter le demi de CC mini qu’il faut pour boucler la journée sans piquer du zen devant les collègues !! Au secours le budget… après 50 millions de consommateurs, voici les consommations à 50 millions. Tout ça, juste pour fonctionner !!
Les 3 semaines de vacances qui s’annoncent sont l’occasion de mettre un point final à ce n’importe quoi. Je ne vois que 3 solutions : Chez moi, avec un sac poubelle de médocs triés sur le Vidal et une allaise en latex ! La Teuf ! Bordé à Marmottan (souvenirs, souvenirs…) ou enfin, un Easy Jet pour le soleil et le bungalow les pieds dans l’eau… De loin la solution la plus tentante, mais les pays qui sont si chauds sont aussi souvent sous le soleil de la substance. Risqué car comme la chair sa voisine, la veine est faible. Le souvenir de 4 ans sous méthadone me fait écarter d’emblée le confort de la solution substitution dont la porte de sortie est un foutu dédale.

La double promesse

asud_journal_39_waissmanDans ce vaste monde de la toxicomanie, je tombe comme par un hasard bien fait sur une précédente issue de la prestigieuse publication que vous tenez entre les mains et son article concernant le professeur Waismann et sa clinique de détox en Israël. Un petit tour sur le site de l’anachorète et son ANR Clinic, et de décrocher mon téléphone (c’est un début) afin d’en savoir plus sur la méthode et les modalités. C‘est Tamie, parlant un parfait gaulois, qui me met au parfum, et me donne le portable de plusieurs patients français passés entre les mains du Doc. Et de me laisser sur la double promesse : décrocher sous anesthésie générale en quelques heures sans douleurs, et ensuite un traitement qui me ramène à un état neurologique antérieur à ma 1ère addiction !!! Sans dec !? La perspective de m’éviter la terrible déprime post-décro me rallume la lumière dans toutes les pièces (la dernière descente pour quitter des années de métha à dose d’éléphant dura un an).
Coup de bigot aux clients traités, et mon sentiment est nettement plus positif que la réput largement distillée par ceux qui n’ont fait que voir l’homme qui a vu l’homme qu’a vu le doc.
Le gonzo conjuguant investigation journalistique et implication perso, coups de fil pour négocier un étalement de paiement, un emprunt à quelqu’un qui a les moyens et me préfère clean, reste plus qu’à retrouver mon passeport, ma brosse à dents, et un peu de Sub pour le voyage.
Tamie la francophone m’accueille à l’aéroport et me dépose dans le ventre de Tel Aviv. RdV le lendemain à 9 heures pour aller à Ashkelon, 7 bornes avant la bande de Gaza, pour un premier contact avec le Doc avant l’hospi, le surlendemain.

Fin prêt pour la croisière

Après avoir répondu en anglais aux questions et décliné mon CV d’usager (dont sans me vanter je n’ai pas à rougir), le docteur m’explique son procédé « simplissime et vieux comme l’anesthésie » : « N’importe quel anesthésiste utilise la plupart du temps des produits dérivés des opioïdes (rien de tel pour anesthésier !). Si au sortir de l’opération, ce même anesthésiste n’utilisait pas un bloqueur de récepteurs opiacés qui nettoie les récepteurs en se substituant aux molécules morphiniques, l’opéré resterait endormi puis dans le potage pendant des jours. »
C’est ce produit, qui bloque les récepteurs opioïdes après les anesthésies, qu’utilise le Dr Waismann pour nettoyer les récepteurs opioïdes des usagers d’opiacés. Une évidence biblique !
Le lendemain matin, en route dans la Golf de Tamie pour l’Ultra Rapid Detox (URD) dans la clinique où un lit m’attend. Staff d’experts hospitaliers au grand complet : une infirmière à mes petits soins, un anesthésiste qui m’envoie une poignée de cachetons pour me détendre et me mettre en condition, et le Dr Waismann à la manœuvre. À poil, une couche culotte XXXL que je savais pas que ça existait, une blouse jetable, et au pieu avec la télécommande et le docu animalier en hébreu, en attendant que les pilules agissent.
En début d’aprem, les experts redébarquent. Waismann me pose les patchs de l’électrocardiogramme, vérifie le tuyau d’intubation que l’on va me rentrer dans le gosier dès la sieste entamée (ça doit éviter de nettoyer le gerbi), l’infirmière vérifie les lanières qui me sangleront au lit histoire que je saute pas en route, l’anesthésiste me perfuse. Fin prêt pour la croisière…

Pourvu que ça dure !

Au réveil, j’ai un peu l’impression d’avoir fait tous les manèges de la fête foraine, très secoué mais radieux. Rhabillé, mes clics et mes clacs sous le bras, je prends la direction de l’hôtel de luxe sur la plage, à 2 pas de la clinique, que l’on a réservé pour moi et mes émotions… Le Doc exigeant que quelqu’un soit là pour accompagner le convalescent dans sa retraite, une amie Israélienne arrive de Tel Aviv. J’ai un peu le sentiment que je viens de naître et je n’en suis pas si mécontent. Un pas sur la balance, j’ai perdu 1,5 kg par rapport à la veille !!!
Le Dr Waismann me conseille d’aller me faire bichonner à l’hôtel et de me reposer pour me remettre de l’anesthésie, et me glisse 5 mg de Valium® et un potentialisteur de benzo pour m’aider à dormir. Salutations chaleureuses à tout le staff et direction l’hôtel plein d’étoiles, jacuzzi, hammam, rapide aller-retour en ville en fin d’aprèm pour un snack houmous de la mort. Derrière la fatigue, l’état particulièrement apaisé dans lequel je me trouve me rend dubitatif sur le fait d’être effectivement sevré. Je me tâte, je me guette à l’affût d’un des symptômes du manque : pas le moindre frisson, pas la moindre trace de sueur, pas la moindre torsion de boyaux, l’appétit est frugal mais là, l’esprit serein et léger…Pourvu que ça dure ! Le lendemain, je constate avoir éprouvé une légère suée dans la nuit, mais je me sens comme la veille, un peu moins fatigué, en pleine forme dans ma tête, stimulé aussi sans doute par la découverte du pays… Copieux p’tit déj dans la salle de l’hôtel complètement vide.

Protégé contre la tentation

Après le rot, Tamie nous emmène au premier débriefing dans le bureau de Magic Doc.
« Vous m’avez donné du mal, m’accueille-t-il. Une fois anesthésié, je vous ai injecté par doses successives de 25 mg la nettoyeuse naltrexone. À chaque dose, vos récepteurs mécontents ont entraîné une violente réaction de manque pendant laquelle vous en avez traversé tous les symptômes de manière sévère (vomissements, diarrhées, extrême sudation, convulsions qui sans les sangles éjectent du lit…). À la dernière injection, votre corps a cessé de faire le pop corn et de présenter les symptômes de sevrage des doses précédentes. J’ai pu en déduire que j’étais venu à bout de l’ensemble de vos récepteurs opiacés, et la dose totale utilisée m’a donné une estimation assez précise du volume global de vos récepteurs. Je suis aujourd’hui en mesure de vous prescrire un traitement neurobiologique visant à rééquilibrer cette disproportion entre le volume de vos récepteurs et votre production naturelle d’endorphine. J’ai déterminé le dosage quotidien du médicament qui va bloquer vos récepteurs opiacés, ce qui veut dire que si vous prenez des opiacés pendant ce traitement vous n’en ressentirez aucun des effets. Tant que vous prenez ce médicament, vous êtes protégé contre la tentation. Mais cet ange gardien a une autre fonction : il accélère le processus de réduction de la production de récepteurs opiacés par votre cerveau. Dans quelques mois, lorsque ce nombre de récepteurs sera revenu à un seuil plus naturel, vous pourrez stopper la prise de la molécule bloquante. Vous serez alors livré à votre libre arbitre, aurez le choix de décider si vous désirez continuer à vivre sans opiacés ou si vous désirez reprendre une consommation… Retournez vous reposer à l’hôtel, je reste à votre disposition pour vous rencontrer dès vous en ressentez le désir ou le besoin. »

Back to normality

De retour à l’hôtel, j’en mène pas large en Quicksilver, les pieds dans l’eau du lagon. Nous sommes en février, le 1er bain de l’été attendra, pas question d’ajouter un naufrage au sevrage !!! Merav et moi checkons out (ce qui réduira encore la note globale), direction Tel Aviv, non sans faire une dernière visite au docteur Waismann. Une dernière discussion au cours de laquelle il me rappelle que, tant que je suis son traitement de postcure, je suis protégé de l’effet des opiacé. Mon boulot désormais consiste à stimuler ma fonction endorphinique naturelle, en faisant tout ce que j’aime faire dans la vie : « Faites du sport, faites l’amour, masturbez-vous, écoutez de la musique, allez au cinéma, au théâtre… Évitez tous les stimuli qui vous rappellent la drogue, si vous avez besoin d’un psy allez en ville et pas dans un centre spécial drogués, etc. En un mot, back up to normality !!! »
À Tel-Aviv, séjour touristique dans un état de santé plutôt bon. Seules quelques sudations nocturnes me rappellent que je viens de décrocher de 3 g d’héroïne quotidiens. Elles stopperont progressivement au bout de 3 semaines…
Votre serviteur doit cependant confesser une assez nette compensation par l’alcool, surtout dans les premier temps, avec de très problématiques effets secondaires car le traitement neurologique qui bloque mes récepteurs donnent à cette consommation des effets un peu incontrôlables (perte de mémoire, déséquilibre…), qui s’aggravent sévèrement avec le cocktail alcool/cocaïne.
À la finale, quelques mois après le retour et un suivi à 80% du traitement à la naltrexone (quelques périodes de rupture d’appro et quelques oublis), je n’ai retouché qu’une seule fois au brown pour vérifier que je n’en ressentais pas les effets (sevré mais curieux, hé ! hé !). Ce que j’ai effectivement pu vérifier. Je dois reconnaître que je n’avais jamais traversé de sevrage aussi confortable physiquement et psychologiquement et de sortie de sevrage avec un moral aussi bon et une volonté aussi stable. Rien de particulièrement significatif n’est intervenu dans ma vie, ni en positif ni en négatif, qui aurait facilité ou mis à mal la démarche de ce sevrage. Encore 6 mois de naltrexone avant de retrouver ma liberté totale. Vous savez… l’excitante et dangereuse !!

Il est mort le poète !

L’héroïne, la drogue maudite des années 80, est revenue en force dans l’actualité. Entre le 20 janvier et le 02 février, un décès par overdose et 49 personnes dans le coma ont été signalés en région parisienne.

En cause, une mystérieuse « héroïne frelatée » achetée sur deux sites de la périphérie, la bien-nommée cité des Poètes à Pierrefitte, et le Clos-Saint-Lazare à Stains. À quelques jours de la mort de Claude Olievenstein, c‘est un clin d’oeil déplaisant adressé par la Camarde à nos emballements médiatiques. En 40 ans de guerre à la Drogue, plusieurs substances ont été transformées en chiffon rouge par la presse grand public. La marijuana dans les années 70, puis le LSD, l’héroïne bien sûr, l’ecstasy, le crack et même dernièrement, le cannabis. À chaque fois, un discours policier ou médical, fortement teinté de moralisme, vient cautionner l’inquiétude des familles françaises, sans jamais aborder le point essentiel : Comment agissent les « victimes de la drogue » ? Quelles sont leurs attentes en choisissant tel produit plutôt que tel autre ? Quelle est la « cuisine » de l’usage au quotidien ? Quelles techniques sont utilisées pour sniffer, fumer ou shooter tel ou tel produit ? Autant de questions qui, prises eu sérieux par les pouvoirs publics, auraient fourni en temps utiles des informations pour réduire les risques.

Reste une question de fond. Accepter de s’intéresser sérieusement à la dynamique culturelle des drogues dans un but préventif suppose de parier que les « toxicomanes » sont capables d’influer sur leur destin, qu’ils ne sont pas indifférents à l’idée de la souffrance et de la mort, et surtout qu’ils sont accessibles à des messages de santé publique, dès lors que ces derniers leur semblent crédibles. Par exemple fin janvier, justement. Avons-nous tenté d’informer les potentiels acheteurs d’héroïne ? Avons-nous communiqué sur la couleur et le type de poudre incriminée ? Brune ? Blanche ? Une de ces dopes qui gélifient dans la cuillère ? Doit-on éviter de la chauffer si cela risque d’accélérer l’adultération toxique du produit ? Était-elle irritante par voie nasale ? À fort goût d’éther quand on la shoote ? Hélas, comme toujours, priorité a été donnée à l’interrogatoire policier, avec pour unique objectif d’arrêter le ou les « méchants dealers » (voir ASUD Journal N°39 p.4), voire – une illusion récurrente des forces de répression – de réussir un jour à agrafer le dealer ultime : celui qui fabrique et vend la Drogue.

Quinze années de réduction des risques liée à l’usage des drogues pour en arriver là. Seule la catastrophe de l’épidémie de sida aura temporairement bousculé les certitudes hypocrites en ouvrant un petit espace d’autonomie pour les usagers de drogues injecteurs qui peuvent (encore) acheter des seringues stériles. Du « drug, set and setting », le triptyque olievensteinien, il ne reste que le drug. C’est toujours la Drogue que l’on combat, c’est autour des performances chimiques des produits de substitution que se mobilise le lobby médical, c’est bien la drogue et seulement la drogue qui intéresse les policiers et les juges qui contrôlent, placent en garde à vue, emprisonnent. Le reste est tabou. Que le nombre de consommateurs récréatifs augmente avec la même célérité que les arrestations depuis 40 ans ne gêne, semble-t-il, personne. Que la grande majorité des consommateurs aient comme priorité n°1 d’échapper à la fois au soin et à la police ne bouscule aucune certitude. Attendons, continuons de faire l’autruche ne sortant la tête du sol qu’au fil des drames sanitaires, sida, hépatites, overdoses. La boulimie française de psychotropes légaux ramenée à notre leadership européen en matière de répression est une schizophrénie que nous finirons par traiter, la question est de savoir comment. Avec une législation rajeunie ou avec encore plus de médicaments

Les origines de l’opium en Chine

De nombreux lecteurs pensent que les Chinois fumaient traditionnellement de l’opium récréatif depuis des temps immémoriaux, sans que cela ne pose de problème jusqu’à l’arrivée des Occidentaux et des guerres de l’opium, suivis d’une opiomanie importante puis de la prohibition. Un phénomène souvent restitué de manière tronquée, selon que les sources soient orientales ou occidentales, les intérêts commerciaux, politiques, religieux… Qu’en fut-il réellement ? Petite synthèse chronologique.

L’opium était connu et recherché en Asie comme en Occident depuis l’Antiquité pour ses qualités thérapeutiques. Aucun produit n’était aussi efficace pour soulager la douleur et traiter nombre de maladies et d’épidémies. Ses propriétés addictives étaient connues. Mais l’opium était très rare et cher en Chine. Seuls quelques privilégiés pouvaient se le payer. Les pauvres avaient recours à la décoction de têtes de pavots pour soulager leurs maux.

L’art alchimique du sexe »

Dès le VIIe siècle, les Chinois cultivaient le pavot pour faire des aliments avec les graines et des décoctions à usage médical avec les têtes. À la même époque, des marchands arabes et chinois font connaître l’opium sans dévoiler le secret de sa production. En Chine comme ailleurs, l’opium était avalé, bu ou mâché, parfois mélangé à divers produits végétaux, animaux ou minéraux.
Vers le XVe siècle, à la cour impériale de Chine constamment à la recherche de raffinements nouveaux, l’opium acquit peu à peu une réputation d’aphrodisiaque grâce à sa capacité à retarder la jouissance. « L’opium médicament » devint alors « l’art alchimique du sexe et des courtisans ». Des rapports sexuels soutenus avec un maximum de partenaires, mais sans émission de semence, avaient la réputation de prolonger la vitalité amoureuse jusqu’à des âges canoniques, de « nourrir le cerveau », de prémunir contre les maladies… Posséder de l’opium pouvait alors conférer un prestige inouï. Célèbre pour ses collections érotiques, l’empereur Chenghua (1464-1487) envoya des émissaires à travers tout le continent pour ramener « la noire et odorante médecine du printemps triomphant », payée un prix fabuleux.

Le « madak » ou tabac à l’opium

Au XVIe siècle, des navigateurs ramenèrent du tabac en Chine depuis les Philippines où les Espagnols venaient d’introduire la plante découverte en Amérique. Hollandais et Portugais propagèrent ce produit au fort potentiel commercial et en quelques décennies, un peu partout en Extrême-Orient, on se mit à fumer, priser et cultiver du tabac. Ce tabac n’avait rien à voir avec celui de nos cigarettes. Beaucoup plus rustique et contenant un fort taux d’alcaloïdes, il pouvait être puissamment psychoactif. Il avait la réputation « d’affûter l’œil » et d’éloigner la malaria, mais son usage pouvait entraîner « ivresse » et « perte des sens ». La plupart des consommateurs en faisaient un usage utilitaire (détente, stimulation, convivialité…) et/ou médicinal. On trouvait toutes sortes de variétés de tabacs que l’on prisait depuis des flacons finement ouvragés ou fumait dans de petites pipes en terre, métal, bambou, corne, calebasse… Une coutume qui ne plaisait pas à la très conservatrice cour de la Chine impériale. Dans les années 1630, l’empereur Taïzong promulgua des lois de plus en plus sévères pour interdire sa consommation. Les contrevenants pouvaient être exécutés, ce qui ne freina pas la consommation.
Portugais et Hollandais développèrent des plantations de tabac en Indonésie, où l’opium était déjà connu et cultivé et parfois consommé de manière récréative, « gobé » en pilules ou mâché sous forme de « chiques » aromatisées. On y trouvait aussi du « kandu » un breuvage alcoolisé à base d’opium, parfois mélangé à des têtes de cannabis et autres plantes, dans lequel on eut l’idée de faire tremper un certain temps du tabac haché. Cela devint le « madak »(1), auquel on attribua moult vertus thérapeutiques et préventives. Certains madaks contenant de l’ambre, du safran, du camphre, des clous de girofle, etc., coûtaient des fortunes, ce qui renforça son attrait et sa réputation. Son usage correspondait tout à fait à la philosophie médicale chinoise : prévenir pour éviter d’avoir à guérir.

Kiefs gratuits….

Au XVIIe siècle, la consommation se démocratisa. Le madak, souvent fumé rapidement en quelques bouffées dans un tube de bambou ou une petite pipe, devint peu à peu un complément naturel de la chique de bétel et du thé traditionnels. Des « maisons de fumée » accueillirent des clients venant fumer, parfois en famille. Le prix baissant, le petit peuple put enfin goûter la drogue de l’élite. Des shops proposèrent des « kiefs » gratuits pour attirer et fidéliser la clientèle.
L’usage quotidien aboutissait généralement à une dépendance, sans doute modérée, mais réelle. L’empereur y voyait une pernicieuse influence des Occidentaux. L’opium, toujours importé et payé en lingots d’argent désavantageait la balance commerciale chinoise. Le tabac fut interdit, puis le madak. Son prix augmenta sensiblement au marché noir et les marchands chinois comprirent rapidement combien ce marché était lucratif, ce qui généra trafic et corruption

« Yan qiang » et « chandoo »

Au XVIIIe siècle, des empereurs, parfois eux-mêmes fumeurs, interdirent vente et consommation d’opium pour usage non médical mais sans grand succès(2). Les Chinois, industrieux et subtils adoraient « manger la fumée », et cherchèrent des alternatives au tabac et à l’odorant madak, détectable de loin.
Des princes goûtèrent la « fragrance noire » de Java, exclusivité de l’empereur qui la consommait à l’aide d’un nouveau procédé : le « Yan qiang » (littéralement : « fusil à fumer »). opium3Les mandarins imitèrent les princes. Lettrés et eunuques imitèrent les mandarins… Au fur et à mesure, le « Yan qiang » se perfectionna, et le peuple voulut lui aussi imiter les élites. On assista alors à l’élaboration d’un mode de consommation très sophistiqué : la méthode thébaïque, avec la fameuse pipe à opium, la lampe et les autres instruments(3). Le procédé modifia le rapport à l’opium en lui associant une dimension technique très élaborée et un aspect rituel avec son cérémonial, ses instruments et ses officiants. L’opium brut ne pouvant se fumer pur car il carbonisait, il fallait que la drogue ait une texture suffisamment malléable pour être manipulée facilement et donner le maximum d’effets en un minimum de volume. Les Chinois devinrent très habiles pour fabriquer le « chandoo », un opium purifié semi liquide, exclusivement destiné à être fumé. On vit apparaître des « tavernes à opium » ou « Opium Den », avec des « Boypipe » virtuoses dans la préparation des pipes. L’opium se fumait entre personnes d’une même classe sociale, dans un cadre convivial et luxueux. Les riches avaient leur « fumerie » particulière, une alcôve où ils pratiquaient un rituel raffiné et sensuel qui pouvait durer des heures, plusieurs fois par jour, si possible en agréable compagnie.

Le trafic, premier avatar du capitalisme

Vers 1820, l’usage du chandoo se développa, créant une clientèle captive et dépendante, prête à payer des prix élevés lorsque la drogue se faisait rare.

La consommation chinoise

Les Anglais importèrent 2 400 tonnes en 1839, 5 000 tonnes en 1884, sans parler de la production locale et de la contrebande. Ces chiffres semblent importants mais les Chinois étaient déjà 400 millions. 15 à 20 000 tonnes d’opium (soit à 8 à 10 000 tonnes de chandoo) consommées par an dans les années 1880 semble une évaluation rationnelle. Un gramme de chandoo fait en moyenne 4 à 5 pipes. Si des riches pouvaient fumer 10 ou 20 grammes quotidiennement, voire plus (certains fumaient plus de 300 pipes par jour), la majorité des fumeurs du peuple consommait entre 1et 2 grammes par jour, soit une dizaine de pipes au maximum. Beaucoup de gens fumaient aussi très occasionnellement, l’offre d’une pipe d’opium étant un geste de bienvenue, de convivialité. À la fin du XIXe siècle, le nombre de fumeurs réguliers dépendants se situait probablement entre 3 et 5 millions.

Dans certaines régions, 80% des hommes et 25% des femmes seraient opiomanes, mais ces chiffres sont invérifiables. Dans certaines villes néanmoins, les fumeries, souvent d’infâmes bouges, étaient nombreuses L’offre importante de « remèdes contre l’opium » témoigne d’une forte demande pour se libérer de la dépendance. Nombre de fumeurs passaient des heures dans les fumeries, aux dépens de leur vie professionnelle et familiale, fonctionnaires, soldats et officiers fumaient de plus en plus… L’opium, théoriquement interdit jusqu’au milieu du XIXe siècle, fut une aubaine pour de nombreux Chinois qui se mirent à trafiquer, contribuant au développement de la consommation, au grand désespoir du gouvernement. Affirmant que sa consommation « n’était pas un dommage mais un réconfort », Anglais, Français et Américains exigèrent alors son libre commerce. Ce qui déboucha sur les guerres de l’opium et la légalisation forcée de la consommation et du commerce de la drogue dans toute la Chine.

Mythes et bénéfices

Dès 1870, diverses personnalités dénoncèrent les thèses alarmistes et l’instrumentalisation des chiffres qui servaient les intérêts des uns et des autres(4). Des lobbies politico-religieux anglo-saxons trouvaient que l’usage de l’opium défavorisait les projets de colonisation par la religion. L’hygiénisme naissant voulait assurer la mainmise médicale sur la moralisation et, grâce au développement de la chimie, l’industrie pharmaceutique avait compris les immenses profits que pouvait rapporter le contrôle des psychotropes et antalgiques. Les journaux se plaisaient à relater les récits de voyageurs décrivant des enfants de 8 ans mendiant quelques résidus de dross(5), des mères endormant leurs enfants en leur soufflant la fumée de la pipe dans les narines, des bébés dépendants car nés de mères opiomanes… D’autres évoquaient des populations d’êtres squelettiques et affaiblis à cause de l’opium, alors que les maladies, les épidémies, le manque d’hygiène et la sous-alimentation en étaient généralement l’explication. Une pipe de dross était le seul remède à leur portée pour soulager leurs maux. L’immense majorité des pauvres n’avait pas les moyens de s’adonner à un usage susceptible d’entraîner une réelle accoutumance.

Fin de l’histoire

Au XXe siècle, les Japonais exploitèrent le désordre politique du pays et l’appétence des Chinois pour les drogues, en organisant l’intoxication massive du pays à l’opium, la morphine, l’héroïne, la cocaïne… et en créant l’État fantoche du Mandchoukouo, le premier narco-État de l’histoire pour financer leur main mise sur la Chine. Après la prise du pouvoir de Mao, l’opiomanie baissa rapidement pour disparaître presque totalement. Aujourd’hui, les Chinois considèrent avec amertume cette longue partie de leur histoire.


Note
(1) Qu’on trouve encore en Inde en cherchant bien (mais Asud ne vous dira pas où ;-) ).
(2) Jusqu’en 1805, les différents édits impériaux interdisaient la vente et la consommation mais pas l’importation. La corruption était quasi généralisée. D’innombrables marchands chinois, malais, puis anglais, américains… importèrent ouvertement des tonnes d’opium en soudoyant les fonctionnaires.
(3) On situe l’apparition de la pipe à opium telle qu’on la connaît vers 1750
(4) Voir The other side of the opium question, W. J. Moore, J. A. Churchill, London 1882 ; L’opium, histoire d’une fascination, Paul Butel, Perrin, Paris 1995.
(5) Cendre provenant de l’opium fumé. Beaucoup moins cher que l’opium, le dross est plus toxique car fortement concentré en morphine.

Biblio non exhaustive
– Opium Culture – The art & ritual of the chinese tradition, Peter Lee, Parkstreet Press, USA 2006
– The social life of Opium in China, Yangwen Zheng, Cambridge University Press 2005
– Narcotic culture – A History of Drugs in China, Dikötter & Laamann& Zhou Xun, The University of Chicago Press 2004
– L’opium, Histoire d’une fascination, Paul Butel, Perrin, Paris 1995
– The other side of the opium question, W. J. Moore, J. A. Churchill, London 1882
– All about opium, Henri Hartmann, Wertheimer, London 1884
(http://www.gallica.fr & http://www.books.google.com)

La double face d’Olive, le psy des toxicos !

« Qui c’est Olievenstein ? », interroge un internaute du forum d’Asud, qui ajoute : « son livre, Il n’y a pas de drogués heureux, j’ai pas trop envie de le lire, j’aime pas le titre. » Cet article s’adresse à lui, mais pas seulement.

Olievenstein s’est opposé bec et ongle à la réduction des risques et pourtant, « le psy des toxicos », « Olive » pour les intimes, a longtemps été le protecteur officiel des toxicomanes, s’élevant aussi bien contre la répression que contre « la médicalisation ». C’est d’ailleurs là où le bât blesse, où nous avons besoin de comprendre notre propre histoire. Des générations d’usagers se sont succédé à Marmottan, le centre de cure qu’il a créé, et nombreux ont été ceux qui ont vu en lui un allié, y compris dans la réduction des risques.

Ami ou ennemi ?

Alors, ami ou ennemi ? L’ambiguïté est inscrite dans l’ancien sous-titre d’Asud-Journal, « Le journal des drogués heureux ». Si Asud refusait d’endosser le rôle de victime de la drogue, c’était sans agressivité contre la personne, presque un clin d’œil. Chacun savait qu’Olive aimait la provoc. D’ailleurs, des drogués heureux, il y en a dans ce livre culte de 1977, même si leur histoire s’est souvent mal terminée. Olievenstein y raconte comment, jeune psychiatre à l’hôpital de Villejuif, il rencontre cette première génération de jeunes drogués, comment il tente de les protéger contre l’institution, comment pour comprendre leur voyage, il est allé jusqu’à San Francisco aux plus belles heures du mouvement psychédélique. Ces jeunes ne sont pas des malades, ils ne sont pas suicidaires, ils veulent être libres, ils se servent des drogues pour échapper à la morale puritaine, conventionnelle et hypocrite de leurs parents. Olievenstein lui-même était trop pessimiste pour partager l’utopie « peace and love » des hippies, mais il a compris ce qui les animait. Pendant les trente années de son règne, il a assumé un rôle de passeur entre ces jeunes contestataires et le monde des adultes, il est devenu leur porte-parole. Il était persuadé que ces jeunes s’affrontaient à des pouvoirs qui pouvaient les détruire, pouvoirs des flics et des juges, pouvoirs des institutions qui, à l’hôpital psychiatrique, pouvaient en faire des chroniques à vie. Olievenstein a voulu faire de Marmottan un refuge au service de ceux qui demandaient de l’aide, et seulement ceux-là.

La liberté de choix

En 1971, la loi qui venait d’être votée prévoit un dispositif de soin, mais le Dr Olievenstein refuse que Marmottan serve d’alternative à l’incarcération. S’il accepte la direction de ce premier centre de cure, c’est pour que les jeunes en pleine dérive ne soient pas enfermés en psychiatrie. Restait une question : quel soin devait-on leur proposer ? La réponse, il avait été la chercher sur les quais de la Seine, là où se réunissaient les hippies et les freaks. Sa démarche s’inspire des Free Clinics californiennes, qui, avec des volontaires appartenant au mouvement hippie, répondaient à l’urgence dans les concerts : petits bobos, information sur la contraception et les maladies vénériennes, accompagnement de ceux qui avaient fait un bad trip. Ceux qui demandaient de l’aide étaient allés trop loin, ils avaient perdu leurs repères, bref un moment de flip. L’accompagnement, fondé sur la relation de personne à personne, devait les aider à retomber sur leurs pieds. Cette conception du soin, héritée des Free Clinics, l’a conduit à recruter des accueillants qui avaient l’expérience du « monde de la drogue ». À Marmottan, on savait de quoi on parlait. Ces accueillants, qui, dans l’institution, deviennent des ex-toxicomanes, étaient les garants d’une alliance thérapeutique fondée sur la liberté de choix : choisir librement sa façon de vivre, et même choisir de consommer ou non des drogues – après la cure, bien sûr. Mais encore une fois, le médecin donnait une liberté que ne donnait pas la loi.

Ambigu sur la loi

Quelle a été la position d’Olievenstein sur la loi de 1970 ? Dans l’article du Monde écrit à sa mort, la psychanalyste Élisabeth Roudinesco affirme qu’il était « opposé autant à la dépénalisation, qui favorisait la jouissance autodestructive des toxicomanes qu’à une politique répressive ». La jouissance autodestructive ? Je ne sais pas le discours qu’il lui a tenu. Il a su parler à chacun le langage qu’il peut entendre, parlant de la souffrance du toxicomane aux parents et du plaisir à ceux qui en avaient l’expérience. Sur la loi, il a longtemps été ambigu, mais il rompt le silence en 1986 dans un article du Monde : « J’aurais dû m’engager davantage pour la dépénalisation de l’usage du cannabis. Je n’ai pas assez insisté sur la différence entre les drogues et sur le fait qu’il n’y a pratiquement aucun rapport entre un usager occasionnel et un toxicomane. J’ai trop accepté qu’on parle de drogue en général sans jamais citer l’alcool, le tabac ou l’abus de médicaments. » 1986, c’est l’année où le ministre de la Justice Chalandon veut appliquer la loi de 1970 à la lettre : les toxicomanes doivent être punis ou soignés dans des services fermés en psychiatrie. Ce faisant, il rompt le contrat implicite entre justice et médecine à l’origine de la loi : il ne devait pas y avoir de traitements obligatoires. Olievenstein avait fait partie des experts médicaux consultés sur la future loi. La pénalisation avait été exigée par Marcellin, ministre de l’Intérieur. Deux ans après 68, l’État doit rassurer l’opinion en se montrant ferme défenseur de l’ordre social ébranlé par les contestataires. La santé publique, officiellement invoquée, n’est qu’un prétexte et les médecins le savent. Ils étaient persuadés que la répression n’était pas la bonne réponse pour ces jeunes en pleine dérive. Ils finissent par s’y résoudre parce qu’ils avaient obtenu une garantie : la demande de soin sera volontaire. Grâce à l’anonymat, la Justice n’aura pas les moyens de contrôler les traitements.

« La parole du toxicomane »

La hantise d’Olievenstein, c’est l’imposition de traitements qui n’ont pas de justification médicale, comme les médecins l’ont fait pour l’homosexualité, la masturbation ou l’opposition politique. La médecine ne devait pas être au service de la justice. Lorsqu’il prend la direction de Marmottan, le Dr Olievenstein met en place un dispositif qui doit garantir la liberté du toxicomane. Il veille à ce que tous les soignants français, le plus souvent formés par lui, se réclament d’une même éthique de soin et refusent les traitements coercitifs, des communautés thérapeutiques à la médicalisation. Le toxicomane n’étant pas un malade, il n’y a pas justification médicale à la méthadone. Dans les programmes américains, sa fonction est de contrôler au quotidien les toxicomanes, avec analyse d’urine, en les enchaînant à un produit qui ne donne même pas de plaisir ! Il faut se rappeler que les héroïnomanes sont peu nombreux pendant les années 70. On sait finalement très peu de choses sur la dépendance à l’héroïne. Dans le système de soin, personne ne s’intéresse aux travaux des neurobiologiques auxquels on oppose « la parole du toxicomane » : il faut, disait-on, « entendre la souffrance du toxicomane », et non pas l’écraser avec un médicament. Cette position fait consensus dans la société française avec, d’un côté les partisans de la répression, de l’autre ceux qui se réclament des droits de l’Homme. Ce consensus est une des raisons de l’immobilisme français dans la lutte contre le sida pour les injecteurs, en retard de 7 à 8 ans sur la Grande-Bretagne.

Pas un ennemi a priori

L’éthique de soin est irréprochable. Aussi, les premières initiatives ont presque toutes sollicité le soutien d’Olievenstein, AIDES dès 1986, Médecins du monde dès 1988, et bien d’autres ensuite. Les Asudiens ne l’ont pas fait, mais que pouvaient-ils lui demander ? A priori, il n’était pas un ennemi, mais les Asudiens ne voulaient pas de porte-parole, ils voulaient parler en leur nom propre. De plus, s’ils refusaient la médicalisation, la prescription d’opiacés était une des premières revendications. La discussion ne pouvait manquer d’être confuse. Elle l’a d’ailleurs été avec tous ceux qui l’ont sollicité. Sur la méthadone, il a résisté jusqu’au bout, mais l’argumentaire change avec les interlocuteurs. Dans Le Figaro, il dénonce « la méthadone en désespoir de cause » mais propose, dans un entretien, de mettre la méthadone en vente dans les bureaux de tabac, une proposition parfaitement irréaliste mais qui lui attire la sympathie des antiprohibitionnistes. Dans Le Monde, il se déclare pour « une prescription médicale au cas pour cas ». La position semble modérée pour ceux qui ne connaissent pas la réalité de terrain mais jusqu’en 1995, la prescription d’un opiacé était illégale, et les médecins risquaient une interdiction d’exercer.

Le choix des usagers

Je connaissais ce que vivaient les usagers. C’est en confrontant les principes et les réalités de terrain que peu à peu, j’ai pris mes distances avec Olievenstein. Je n’ai jamais été proche, je me méfiais du gourou, mais j’étais longtemps été d’accord avec l’essentiel de ses thèses. Si j’ai participé à l’expérimentation d’un premier programme méthadone en 1990 au Centre Pierre Nicole, c’est que je savais par expérience qu’utiliser des produits en substitution à l’héroïne pouvait calmer le jeu. Le Néo-Codion® pouvait faire l’affaire à condition de ne pas être trop dépendant. J’ai changé d’opinion sur le traitement en voyant à quel point les usagers stabilisés par la méthadone allaient mieux que ceux qui faisaient des cures à répétition. Alors, pourquoi pas la méthadone ? La méthadone comme les communautés thérapeutiques, les cures de sevrage, et même la cure psychanalyse, sont des outils qui peuvent être ou non répressifs, selon la manière dont on s’en sert. Bien sûr, chacun peut avoir son opinion sur les méthodes, mais les premiers concernés sont les usagers. Le choix doit leur appartenir. Le problème en France, ce n’est pas qu’Olievenstein ait eu telle ou telle opinion, c’est qu’il a rendu impossible toute autre approche que la sienne.

La menace du tout-abstinence

Ce qui a fait la force d’Olievenstein, c’est l’alliance qu’il a nouée avec la génération des hippies. Ce qui a fait sa faiblesse, c‘est que cette alliance n’a pas été renouvelée avec les générations suivantes. Olievenstein a aimé les hippies « beaux comme des Dieux », « qui avaient un idéal », il trouvait les punks ou les loubards des années 80 beaucoup moins fascinants. Progressivement, le système de soin s’est rigidifié, mais les soignants sont restés persuadés de l’alliance thérapeutique, qui avait été nouée 20 ans plus tôt : leurs patients ne disaient-ils pas qu’« il ne servait à rien de remplacer une drogue par une autre » ? Les soignants ont été piégés par leurs certitudes qui se sont cristallisées dans des logiques institutionnelles et les conséquences en ont été meurtrières. Les mêmes erreurs risquent fort de se répéter aujourd’hui. Dénonçant le tout-substitution, Olievenstein n’avait pas conscience d’imposer le tout-abstinence, avec en parallèle une augmentation de la répression. Depuis 1995, la substitution, devenue légale, l’a emporté. L’alliance entre les usagers d’héroïne et les médecins a sauvé bien des vies mais en 1995, la génération techno avait déjà pris la relève, avec des polyusages festifs, dominés par les stimulants. Un fossé n’a pas manqué de se creuser entre des médecins, persuadés de détenir la vérité scientifique de la dépendance, et des usagers qui ne se vivent pas comme des malades. C’était il y a plus de dix ans déjà. Que se passe-t-il du côté des plus jeunes ? Quels problèmes se posent à eux ? Répression, logique institutionnelle et ignorance de ce que vivaient ceux qui consomment des drogues, voilà l’origine de la catastrophe des années 80. Voilà qui est aussi étrangement actuel ! Une bascule vers un tout-abstinence menace. Souvenons-nous de la double face d’Olievenstein, celui qui a su nouer une alliance avec une génération d’usagers, et celui qui, parlant à leur place, n’a pas pu renouveler l’alliance. Peut-être pourrons-nous ainsi arrêter le balancier qui ne cesse d’aller et venir entre malade et délinquant !

Réponse aux descentes de police dans les collèges

Communiqué de presse ASUD / ANITeA

Encore une descente de police dans un collège sous couvert de « prévention anti-drogue ». Ceci va pourtant à l’encontre de ce qu’a affirmé Michèle Alliot-Marie dans une circulaire aux préfets du 2 décembre 2008 qui a reconnu que de telles interventions « sont de nature à nuire à la compréhension et à la clarté de l’action » des services de police.

Les usagers et les professionnels du champs de la toxicomanie ajoutent que la politique de la peur, qui ne pense que loi, interdit et danger, ne peut faire office de prévention. Au contraire, elle favorise le repli sur soi, enferme les usagers dans leur consommation, empêche les professionnels de travailler et aggrave la situation.

Elle ne laisse aucune place à des actions d’Intervention Précoce sur les circonstances et les facteurs qui aggravent les risques de ces conduites (déscolarisation, dislocations des liens familiaux, traumatismes et troubles psychiques…). Aujourd’hui, l’État sous-finance ce type d’actions au profit d’actions répressives, inefficaces et coûteuses, comme les descentes dans les collèges.

Dans notre société de plus en plus addictogène, une politique de « rupture » pour employer un mot à la mode, devrait privilégier la santé au moralisme, l’éducation à la peur et la responsabilisation à l’autoritarisme.

Collèges : descentes de « prévention »
les élèves traités en délinquants

Fin 2008, policiers et gendarmes ont investi plusieurs établissements scolaires en quête de stupéfiants. Chiens, fouilles au corps … ces « opérations de prévention antidrogues » ont suscité un tollé chez les parents et les enseignants, qui ont fini par faire reculer le Ministre de l’Education. Mais le 11 février 2009, les policiers remettent le couvers dans les Pyrénées-Atlantiques… Retour sur le non-sens de la prévention par le feu.

Le 19 novembre 2008 dans le Gers, des gendarmes accompagnés d’un chien « antidrogue » font irruption dans un lycée. Ils passent dans les classes, font sortir des élèves et les fouillent à corps, ironisant sur « leurs têtes de camés ». Sept jours plus tard, une quinzaine de policiers déboulent dans le dortoir du lycée Castelnaudary dans l’Aude. Le 15 décembre, à 7H30, des gendarmes interceptent les élèves du collège de Vendres (Hérault) à la sortie du bus scolaire, les mettent face contre mur et les fouillent, tandis que les chiens antidrogue reniflent leur cartable. Bilan des opérations : quelques grammes de shit. Pour les forces de l’ordre, « tout c’est bien passé, et ces opérations de prévention antidrogues ont été un succès.»
Mais à Vendres, Daniel Guichard se met en pétard, choqué par ce « spectacle affligeant » des enfants face contre mur. Dans le Gers, un professeur raconte, effaré, l’intervention des gendarmes, suivi par un père qui met en ligne le récit d’une jeune élève fouillée à corps, et traitée de « camée » par les représentants des forces de l’ordre. Ministre de l’Éducation nationale, Xavier Darcos tente alors de calmer l’indignation des parents en chargeant la procureur de la république du Gers qui… s’empresse de renvoyer la patate chaude au principal de l’établissement. L’ANITeA se fend d’un communiqué de presse intitulé « Quand le remède est pire que le mal… », et Darcos finit par désavouer la procédure, en appelant à faire la différence entre répression et prévention.

A la stupeur générale,les policiers remettent ça le 11 février 2009 dans un collège d’Arthez-de-Béarn, dans les Pyrénées-Atlantiques. Ces actions contraires à l’annonce du gouvernement sont un désaveux pour Darcos mais aussi pour Etienne Apaire, le président de la MILDT, qui avait dit sur France Inter le 4 février à l’émission « le téléphone sonne » que ces opérations n’étaient en aucun cas de la prévention…

Plus fondamentalement, ces descentes dans les établissements scolaires posent la question de la prévention et en miroir, celle de la répression. Comment peut-on encore croire que la politique de la peur et de la désinformation peut faire office de prévention, et aider les usagers de drogue à ne pas abuser ? Comment peut-on aider les parents et les professeurs à parler drogues avec leurs enfants et leurs élèves quand on traite ces derniers comme des délinquants ?
La dramatisation des dangers des drogues illicites ne fait que renforcer la fracture générationnelle et ridiculise les parents face à leurs enfants. Dire que les drogues sont interdites parce qu’elles sont dangereuses ne tient pas pour les ados qui voient leurs parents consommer de l’alcool et les dégâts que provoque cette drogue. Elle ne tient pas non plus scientifiquement. Aucun rapport scientifique n’a pu prouver le bien-fondé d’un classement séparant drogues licite et illicites. De plus, en pénalisant et en stigmatisant l’usage, la loi de 70 empêche les ados emprunts de culpabilité et de honte de revenir vers leurs parents quand la consommation dérape. Quand les parents s’en rendent compte, il est souvent trop tard et l’usage a déjà basculé dans l’abus ou la dépendance.

Ce que ces parents indignés découvrent, c’est que leurs enfants sont considérés comme de potentiels délinquants. Ce qu’ils ressentent, c’est l’absurdité et la brutalité de la répression. . Redonner l’autorité aux parents sur la problématique des drogues, c’est pouvoir leur expliquer sans dramatiser ce que sont les drogues licite et illicites, c’est pouvoir comparer la dangerosité de l’alcool et du cannabis en montrant que le statut légal n’a pas grand chose à voir, et finalement, c’est dépénaliser l’usage. Tant que la loi sera injuste et basée sur un non-sens, elle ne sera pas un interdit symbolique, et les parents, qui en sont les relais, seront dans l’impossibilité de pouvoir la justifier. Nous ne sommes plus en 1950, quand la figure d’autorité parentale était censée suffire à définir la règle. De nos jours, les parents se doivent d’expliquer, de donner du sens à ce que vivent leurs enfants.
Dans une société qui devient de plus en plus addictogène, il est temps d’en finir avec cette politique démagogique qui fait de la loi le seul rempart contre l’usage de drogue. Une politique de « rupture » – pour employer un mot à la mode – devrait privilégier l’éducation à la peur, la santé à la morale, et la responsabilisation à l’autoritarisme.

Pourquoi la Hollande et la Suisse font-elles marche arrière ?

Il y a encore quelques années, 2 pays européens se singularisaient par des politiques de drogues originales et innovantes : la Hollande et la Suisse. Ce n’est plus vrai aujourd’hui, et comprendre les raisons pour lesquelles leur dynamisme a pris fin est l’un des sujets les plus importants pour ceux qui tentent de promouvoir de nouvelles directions.

Cet échec, car c’est bien d’un échec qu’il s’agit, suppose de revenir sur un passé récent. C’est d’abord la Hollande qui a mis en œuvre une véritable révolution dans sa manière de gérer la question des drogues. Elle le fit en 1976, à une époque où la plupart des pays européens durcissaient leur législation, comme la France en 1970 ou la Suisse en 1975.

La théorie de la normalisation

À contre-courant, la Hollande décidait d’accorder « une faible priorité » à la question du cannabis et de mettre en place la théorie dite « des 2 marchés » en tolérant l’existence des coffee shops. Contrairement à une idée reçue (que l’on retrouve dans la plupart des articles consacrés récemment à cette question), la Hollande n’a jamais légalisé le cannabis, ne fut-ce que parce qu’elle aurait alors dû dénoncer les conventions internationales qu’elle avait signées. Le cannabis vendu par les coffee shops est donc issu du marché clandestin. C’est ce que les spécialistes appellent le « back door problem », « le problème de la porte de derrière ».
But recherché par les Hollandais : que quelqu’un qui veut se procurer du cannabis ne se voit pas aussi proposer d’autres drogues, héroïne, cocaïne, LSD, etc., un véritable objectif de santé publique. La théorie générale qui sous-tendait alors la politique néerlandaise était celle de la « normalisation » : moins on donnera de sens à l’usage de drogues, moins il en aura pour les jeunes. La prévention, une prévention intelligente qui dit la vérité sur les différentes drogues, en sera renforcée.
Pétris d’olievensteinisme, les intervenants français furent ulcérés par les élaborations bataves car ils défendaient la théorie exactement inverse : saturé de sens, l’usage de drogues était le signe d’une révolte et celui d’une souffrance lorsque l’usager basculait dans la dépendance.

Feue la tolérance hollandaise

Munis ce cette théorie, les Hollandais surent bien mieux répondre que les Français à l’épidémie d’hépatites B puis à celle du sida, en développant précocement l’accès aux seringues propres et les traitements par méthadone. Quant aux coffee shops, ils prirent place aux côtés d’autres mesures comme la légalisation de la prostitution ou l’euthanasie dans ce qui devint la « tolérance hollandaise ».
« Les coffee shops néerlandais menacés de fermeture » titrait Le Monde en novembre. Que s’est-il passé ? La tolérance hollandaise est morte, blessée une première fois avec l’assassinat du leader politique Pim Fortuyn en mai 2002, achevée en novembre 2004 avec celui de Theo Van Gogh par un islamiste d’origine marocaine qui laissa sur le cadavre un mot indiquant que sa prochaine victime serait l’ex-députée d’origine somalienne Ayaan Hirsi Ali, qui vit aujourd’hui aux États-Unis. Dans cette ambiance où le terrorisme, la délinquance et l’immigration extra-européenne devenaient les nouvelles obsessions de la société néerlandaise, la fameuse question du « back door problem » refit son apparition. Un phénomène qui a pris ces dernières années des proportions inquiétantes avec la prise de contrôle de certains coffee shops par des groupes criminels. La politique hollandaise des drogues est donc en panne pour un bon moment.

Les 4 piliers helvétiques

Passons maintenant à cette Europe en miniature qu’est la Confédération helvétique. Son tournant politique date de la fin des années 80, à une époque où l’épidémie de sida flambait et où s’étaient développées dans les villes germanophones, à commencer par Zurich, des « scènes ouvertes », les plus célèbres étant celle du Platzpitz puis du Letten. C’est dans ce climat que fut élaborée la théorie dite « des 4 piliers » : prévention, soin, répression, et « aide à la survie » grâce aux dispositifs visant à venir en aide aux toxicomanes les plus désinsérés en leur permettant un accès à la prévention, aux soins et à l’hébergement. Une expression bientôt remplacée par celle de « réduction des risques », mais l’idée reste la même : dispositifs de première ligne, large accès à la substitution par méthadone, accès aux soins hospitaliers et, last but not least, traitements d’héroïne médicalisée qui ne concernaient que quelques centaines d’usagers dans un cadre très strict, mais qui attirèrent l’attention de toute l’Europe.
Et c’est ainsi que, par un processus d’une très grande complexité, on mit en chantier une nouvelle loi où la théorie des 4 piliers figurait toute entière avec ses programmes de prescription d’héroïne. Mais c’est surtout en matière de cannabis que les Helvètes modifiaient radicalement la donne : dépénalisation de la consommation et de la production pour usage personnel. Ayant médité sur les impasses du « back door problem » hollandais et du tourisme de la drogue, les auteurs du projet autorisaient les planteurs de cannabis à écouler leur production dans les magasins de chanvre à 3 conditions : déclarer les quantités récoltées, ne pas vendre à des mineurs, ne pas vendre à des non Suisses. Une quasi-légalisation.

Rattrapés par le « back door problem »

Mais cette loi ne verra jamais le jour, pour une simple raison : l’Union démocratique du centre (UDC) de Christoph Blocher, un parti « populiste et xénophobe » selon l’expression consacrée, est désormais au cœur de la politique de la Confédération. Hostile à la politique des 4 piliers et à toute modification de la loi sur le cannabis, l’UDC a introduit des liens très forts entre drogue, immigration et délinquance et modifié de fond en comble le climat qui régnait sur ces questions. Si une récente votation populaire vient ainsi de valider la politique des 4 piliers, c’est en refusant parallèlement toute modification de la politique en matière de cannabis (voir page ??). La politique suisse des drogues est elle aussi en panne pour un bon moment.
Quelles leçons tirer de ces 2 expériences ? La première, c’est que les politiques de drogues, comme beaucoup d’autres politiques sectorielles, n’ont pas d’autonomie par rapport aux grandes questions politiques qui déterminent le cours d’une nation. En Suisse comme en Hollande, la montée en puissance des questions de sécurité publique (délinquance, groupes criminels), d’immigration, de terrorisme ont ôté tout dynamisme à l’inventivité des politiques de drogues et provoquent déjà des retours en arrière. La seconde leçon, c’est qu’entre la prohibition et la légalisation d’une drogue donnée, il n’y a probablement pas d’alternative. Le modèle des coffee shops, qui était précisément une sorte de moyen terme, prend eau de toutes parts lorsqu’il est rattrapé, dans une ambiance délétère, par le « back door problem ».
La « domestication du dragon » (Anne Coppel et Christian Bachmann) doit rester notre idée régulatrice. Mais la politique des drogues est une longue marche.

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