Histoire de l’héroïne

De l’opium dans les habitats néolithique

Le pavot à opium est connu depuis des milliers d’années. On a retrouvé des capsules et des graines dans des habitats néolithiques européens datant de 5000 ans avant JC. Les sumériens (région de l’actuel Irak) le connaissaient 4000 an avant JC. Un de leurs idéogrammes désignait le pavot, traduit par hul, ce qui signfie joie ou réjouissance. Ils faisaient le commerce de ses graines ainsi que de l’opium à travers tout le bassin méditerranéen et ce jusqu’en Inde…

Il était aussi connu des Égyptiens et notamment des pharaons qui le consommaient certes pour ces vertus thérapeutiques mais aussi pour ces effets psychotropes…

Dans la Grêce Antique, Homère, dans l’Odysée, parle d’un étrange breuvage probablement à base d’opium, le Nepenthes, boisson procurant l’oubli des chagrins… Ce serait donc le lait du pavot à opium qu’Hélène utilisa pour soulager son angoisse. Ce breuvage était tellement répandu à cette époque que les Grecs de l’Antiquité représentaient sur des camées la déesse de la nuit, Nyx, distribuant des capsules de pavot. On a également retrouvé des figurines en terre cuite provenant de Knossos, surmontées d’une couronne faite de graines de pavot incisées, et une des cités de la Grèce Antique portait le doux nom de Opion, la cité du pavot à opium.

Selon la légende, le médecin de Néron, empereur romain ( 37/68 après JC) aurait concocté une boisson composé d’une cinquantaine de substances mais où domine l’opium afin de vaincre les maux les plus divers, le Thériaque…

C’est à Rome que sa première description scientifique est faite par Dioscoride au premier siècle de notre ère. Dans la Rome impériale en 312 il existe plus de 800 boutiques vendant de l’opium, dont le prix, modique, était fixé par décret de l’empereur…

L’empire arabe (7 siècle après JC) développa le commerce et la culture du pavot et participa à son essor dans tout l’ancien monde jusqu’aux Indes durant les conquêtes musulmanes…

En Europe, on voit apparaître l’opium plutôt vers le 15 è siècle avec le développement du breuvage de Philippe Théophraste Bombast de Hohenheim, resté célèbre sous le nom du Docteur Paracelse . Boisson ressemblant étrangement au Thériaque. Il qualifia cette potion de « supérieure à toute substance héroïque. Il la nomma le Laudanum , celui qu’on loue, raison pour laquelle on le soupçonna d’être lui-même opiomane…Il mourut et sa potion se répandit dans toute l’Europe…

Le Laudanum fut repris et étudié par Sydenham, médecin anglais et la consommation d’opium se développa. On le retrouve sous la forme du laudanum utilisé comme apéritif en Angleterre puis sous forme de pilules d’opium vendues brutes en pharmacies…

Au 19 è siècle en Grande-Bretagne, il est consommé sous forme de boulettes tandis que l’habitude de le fumer arrive en France sous la forme de Chandou, opium raffiné…

C’est au début du 19è siècle que l’allemand Sertürner, isole la morphine, premier alcaloïde chimiquement obtenu…Il l’appela ainsi en raison du Dieu romain du sommeil Morphée… Lorsqu’en 1850, la seringue hypodermique fut inventée, l’utilisation de la morphine se développa car elle permettait de soulager quasi immédiatement la douleur… Mais le corps médical s’inquiéta rapidement de la forte dépendance que causait la morphine et des études furent entreprise pour éliminer ses propriétés addictives…

Bayer commercialise l’heroïne

pub_hero2C’est dans ce contexte que Wright, synthétisa l’héroïne en 1874. Il en transmit un échantillon a un de ses collègues pour le tester sur des animaux et la réponse fut : « prostration profonde, de la peur, un assoupissement profond , les yeux deviennent sensibles, les pupilles se dilatent, et chez les chiens on observe une salivation considérable avec dans certains cas, une légère tendance au vomissement. La respiration s’accélère dans un premier temps pour ralentir ensuite nettement, le rythme cardiaque diminue et devient irrégulier. Un manque de coordination musculaire marquée et une perte de tonus dans le pelvis et les membres postérieurs… sont les effets les plus notables »..

Wright en arrêta l’exploitation et de nombreux chercheurs ne lui vit aucun avenir… Sauf Dreiser, en 1897, testeur pour les laboratoires Bayer. Après l’avoir tester sur des animaux et des humains (dont lui même), il lui trouva une utilité pour les traitements de différents troubles respiratoires, grands maux de l’époque, tuberculose, bronchite et asthme.
L’héroïne semblait efficace et mieux encore d’après Dreiser, elle ne créait pas de dépendance. Il était même question de l’utiliser en produit de substitution de la morphine !!! Bayer enregistra se nouveau médicament sous le nom de Héroïne de l’allemand, « heroisch », héroïque.
Bayer lança une grande campagne marketing en envoyant des échantillons aux médecins, et avant la fin de l’année , Bayer exporta de l’héroïne dans pas moins de 23 pays. En 1911, le British Pharmaceucical Codex nota que l’héroïne était aussi addictive que la morphine et en 1913, Bayer en arrêta complément la production.

L’Etats-Unis et la prohibition

Au début du XXè siècle, les Etats-Unis en mêlant, Tempérance et racisme envers les populations asiatiques et dans un premier temps envers les philippins, stigmatisèrent l’usage d’opium. En découla la première de nombreuses lois anti-drogues, l’interdiction de l’importation d’opium sur le territoire sous occupation américaine sous quelques formes que ce soit et prohiber tout usage non médical.
Cette jeune nation, la plus forte économiquement, n’avait que peu de poids dans les pour-parler mondiaux, face aux puissances du vieux continent. Les Etats-Unis virent l’occasion de s’affirmer et de s’afficher comme une nation superpuissante. Ils devaient même porter un coup sévère aux Britanniques, importateurs d’opium en Chine. Les européens et les Britanniques en particulier, gagnaient beaucoup d’argent sur le dos des fumeries d’opium. Ils avaient créer, en Chine, suite à deux guerres qui permit la légalisation les importations d’opium, une population de toxicomanes, estimée à environ 27% de la population adulte et masculine en 1900.
Par la suite, l’héroïne, supplanta l’opium et la morphine et devint la plus importante des drogues addictives.
De ce fait, les Etats-Unis déplacèrent leur combat anti-drogues de l’opium à l’héroïne et celle-ci devint la cause de tout les maux ( une fois que les lois anti-prohibitionnistes furent votées !!!)… « La plupart des cambriolages, hold-up audacieux, des meurtres cruels et autres crimes violents sont, on le sait maintenant, principalement commis par des toxicomanes, qui sont, pour l’essentiel, à l’origine de l’alarmante vagues des crimes que nous subissons. La toxicomanie est plus contagieuse encore que la lèpre, et bien moins curable. Les toxicomanes sont les principaux vecteurs de maladies abominables (….). Combinées aux vieilles méthodes du trafic d’opium, la puissance sans précèdent des stupéfiants, dérivés de la chimie moderne, menace actuellement l’avenir même de la race humaine. A son insu, l’humanité est engagée dans une lutte à mort contre le plus dangereux ennemi qui ait jamais menacé son avenir. De l’issue de ce conflit dépendent la survie de la civilisation, la destinée du monde et le futur de la race humaine » Hobson, 1928, créateur de l’Association mondiale contre les stupéfiants.

French connection

La lutte contre la drogue fut repris par Anslinger aux Etats-Unis. Il détestait en bloc les communistes, la Mafia et les revendeurs de drogues, à un point qui frisait la paranoïa. Dans son autobiographie, The murderers, il écrit : « Je crois que nous devons tout particulièrement prendre garde à l’utilisation de la drogue comme une arme par les forces communistes, en chine, et n’importe où ailleurs en orient, en Europe et en Afrique. Il y a toutes les chances pour qu’un certain nombre de cocos et de leurs compagnons de route tendent la main à l’internationale du crime organisé. ». Il crée en 1930 le FBN ( Bureau Fédéral des Narcotiques) dont il devint directeur jusqu’à sa retraite en …. 1961.
Il parut évident pour lui que pour faire baisser la consommation sur le territoire américaine il fallait couper les voies d’approvisionnements. C’est pourquoi fut organisé à son initiative, une conférence internationale à Genève. Des lois nationales et non obligatoires firent remplacer par des lois internationales à caractère obligatoire. La production légale d’opium passa de 42.000 en 1906 à 16.000 en 1934. Soit une baisse de 82 % qui fut vite compensée par la production illégale !!!

C’est à partir de là que c’est développé un marché mondial illégal autour de l’héroïne. Tenu par les italiens aux Etats-Unis avec le règne de Lucky Luciano qui su surfer avec la fin des lois prohibitionnistes, par les corses de Marseille en France avec la fameuse French Connection qui assura apparemment 80% des importations américaines ou encore par les Européens en Asie où se fut la naissance du triangle d’or.

Be-Bop, rock et grunge

Depuis les années 30, on repère l’héroïne dans nombres des groupes minoritaires. On dit que le Be-Bop tire sa force de l’héroïne, qu’elle permet aux musiciens de s’isoler, de se ressentir envelopper par la musique. Le Be-bop légua à la nouvelle génération sa consommation de drogues et les écrivains de la Beat Generation comme Jack Kerouac, Allen Ginsberg ou Williams Burroughs vouaient un véritable culte aux grands junkies du jazz comme Charlie Parker. « Le jazz était la référence ultime des Beatniks, pourtant et peut être a cause de çà, peu d’entre eux étaient des musiciens. C’est du jazz qu’ils tirent le mythe de l’artiste solitaire, dépressif et torturé, qui joue en compagnie des autres mais demeure toujours seul. Ils parlaient la langue du jazz, vénéraient avec ferveur les musiciens décédés, et construisaient des rites communautaires autour des drogues chères aux jazzmen. Pour eux, le comble de la liberté, c’était le musicien dont l’art avait causé sa perte », Maynard, 1991, dans Venice West.

L’héroïne fut essentiellement associée à deux périodes musicales : le rock des années 70 et le grunge de la fin des années 80. Nombres d’artistes rock furent associées à l’héroïne, non pas pour leur consommation mais pour leur mort. Jimi Hendrix mourut d’une overdose de barbituriques, Janis Joplin succomba à un mélange fatal de tequila et d’héroïne et Jim Morrison mourut dans des circonstances étranges, on dit qu’il serait mort d’une overdose d’héroïne et qu’on l’aurait plongé dans un bain pour le réanimer. Sa femme mourut d’une overdose en 1975.
Le mouvement grunge se fit aussi remarquer, Andrew Wood, chanteur des Mother Love Bone, mourut d’une overdose, en 1990, Stéfanie Sargeant des 7 Years Bitch, succomba en 1993 et Kurt Cobain une semaine avant de se suicider fit une overdose.

« La presse tout comme le public adore les scandales liées à la drogue. Ils montrent le monde tel qu’il devrait être : les gens ont ce qu’ils méritent, leur fierté est mise au pas et la morale retrouve sa place. Mais il y a autre chose dans la satisfaction que le public éprouve à voir les stars et les aristocrates humiliés, et c’est tout à fait ignoble.(…) Nous jugeons l’héroïnomane comme une personne qui a volontairement choisi de vivre à l’encontre de la norme et des attentes de la société, et l’on ne s’étonne guère qu’il finisse mal. Les journaux aiment publier les récits édifiants et moralisateurs et le public adore les lire. Derrière tout cela se dissimule le sentiment confortable mais illusoire que nous détenons la vérité. » Julian Durlacher, dans Héroïne.

Pour conclure

« Certains estiment que maintenir un climat permanent de peur autour de l’héroïne ne peut avoir que des conséquences positives ; on est cependant en droit de penser qu’au contraire cela empêche tout progrès réel dans le traitement de ceux qui sont le plus affectés par l’héroïne : les toxicomanes. L’Occident ne peut pas non plus s’attendre a ce qu’à travers le monde les régimes dictatoriaux se transforment en gouvernements dociles et respectueux des libertés civiles alors que leur existence repose sur un commerce illégal. Cependant, de plus en plus de gens – dont beaucoup de convertis inattendus – remettent en question la pertinence du traitement actuel de l’héroïne dans le monde. Et il y a une chose sur laquelle tout le monde s’accorde, c’est que la politique actuelle ne marche pas. Pourtant, personne n’a le courage de faire le premier pas en suggérant une politique différente. Car telle est la puissance que dégage ce simple mot : Héroïne. » Julian Durlacher, dans Héroïne.

Safe, agence tous risques

Quel dispositif permet aux usagers injecteurs de produits psychoactifs d’avoir des Kit + 7 jours sur 7, 24 heures sur 24 ? Les distributeurs de seringues (distribox), bien sûr ! Mais qui les installe, les approvisionne, les répare ? L’association Safe, qui développe et entretient ce dispositif en région parisienne, tout en aidant à l’installation de distributeurs dans toute la France. Récit d’une journée passée avec l’équipe pour voir l’envers du décor.

Lundi, 9h30. Chacun s’affaire à préparer la voiture pour la tournée, réparer un distributeur, ou à rentrer les chiffres des Kit + (version d’état du Stéribox®) écoulés la semaine passée. Autour d’un café, graphiques à l’appui, Stéfo, le coordinateur, me montre le nombre des Kit + écoulés. Safe est la structure qui en donne le plus en France : 140 000 en 2006, un chiffre en hausse constante depuis plusieurs années, qui varie selon les mois, avec un pic en été, lorsque tous les Caarrud sont fermés. Car Safe n’arrête jamais son activité, et il n’y a pas un jour de l’année sans que les distribox ne soient remplis, mois d’août et dimanche compris !

10h00. Yves, me presse pour démarrer la tournée en voiture en évitant les embouteillages. Au programme : une quinzaine de distribox à vérifier sur les 30 que compte Paris. Arrivés au premier, Yves prend un sachet d’une centaine de jetons (que l’on glisse dans les distribox en échange des Kit +) et se dirige vers la pharmacie. Que ce soit dans son réseau de pharmaciens, dans les Caarrud parisiens, ou dans les urgences des hôpitaux, Safe en distribue des milliers chaque année. Dans la pharmacie, je ne peux m’empêcher de poser la question qui fâche : « Vous avez des problèmes avec vos clients UD ? » Tout sourire, la pharmacienne me répond : « Vu que je leur rends un service (les jetons), ils sont très gentils avec moi. » Une preuve de plus, si il en fallait, que quand on donne un peu de considération aux UD, ça se passe bien ! Nous repartons remplir le distribox d’en face. Un usager nous interpelle et nous demande un kit et quelques jetons. Quand je lui demande pourquoi pas plus de kits au lieu des jetons, il me répond : « C’est pour les flics, pour ne pas avoir de matos sur moi »… Dans la rue, malgré leur tenue militaire de camouflage, ce sont toujours les UD les plus précaires qui prennent…

Trop fatigué, trop loin…Kit+ StériboxSafe logo crayonné

Quelques distribox plus tard, nous arrivons à la

gare du Nord. À l’heure actuelle, un gros point de fixation dans Paris. Le distributeur/échangeur est vidé tous les jours de ses 100 Kit +. Alors qu’Yves s’occupe de l’échangeur, un UD nous demande du désinfectant pour les mains et des seringues 2 cc pour « shooter le Skenan® ». Pendant qu’Yves, habitué à ces demandes, ouvre le coffre de la voiture et lui donne le matériel, je lui demande s’il connaît des structures de réduction des risques où il pourrait se procurer du matos. « Je connais le 110 les Halles, mais je ne peux pas aller là-bas, je suis trop fatigué et c’est trop loin. » Je comprends que ce distribox est pour lui la seule façon de ne pas réutiliser (échanger ?) ses seringues à l’infini…

Nous finissons notre tournée vers 17h00, après avoir réparé des distribox endommagés, nettoyé des tags, fait le plein de tous les distributeurs… et vu une dizaine d’usagers, pour des kits, des jetons, ou pour tout le matériel qui n’est pas dans le Kit + (Stérifilt®, seringue 2 cc, désinfectant pour les mains…).

Pierre Chappard crayonnéRentré à Safe, je me faufile dans le bureau de Catherine, la directrice, qui me parle du distribox du XVIe qui marche très fort, de celui du XVIIe qui n’existera jamais (merci Mme de Pannafieu), et de tous les problèmes rencontrés pour implanter ou même garder ces distributeurs. Elle est également très fière que certains salariés de Safe soient d’anciens UD, et que cela soit désormais intégré dans la pratique de la maison. Nous refaisons le monde… puis nous nous quittons vers 20h00. Sur le chemin du retour, je me surprends à murmurer la chanson du célèbre feuilleton qui colle si bien à Safe et aux UD que j’ai rencontrés aujourd’hui : « L’agence tous risques, c’est vraiment… la dernière chance… au dernier moment… »

De la défense du citoyen à celle de l’usager du système de soins

Après la défense de l’usager de drogues citoyen, Asud s’était, ces dernières années, attaquée à la défense des usagers au sein du système de soins. Un combat qui vient de connaître sa première victoire avec l’attribution par l’État du statut officiel d’association représentant les usagers de drogues du système de soins.
Retour sur les processus et les idéologies sous-jacentes qui ont mené à ce changement pour éviter tout malentendu.

Quand on regarde de plus près l’évolution d’Asud ces dernières années, 3 dynamiques sociopolitiques entre en jeu :

  •   La réconciliation avec le système de soin. Dans le cas des opiacés, la substitution nous met d’office à la place d’usager du système de soins : nous devons aller voir un médecin pour obtenir notre traitement. Mais l’avènement de la substitution nous permet également d’avoir tout simplement accès à tous les soins, sans avoir à être sevré d’office.
    Avec le développement de la réduction des risques, tous les usagers ont, par ailleurs, un accès facilité aux soins : les intervenants en RdR, médiateurs entre soignants et usagers, permettent à ces derniers d’intégrer le système de soins dont ils étaient auparavant « exclus ».
  •  L’addictologie et la pensée hygiéniste. Le médecin devient plus que jamais tout-puissant, et préserver son corps une obligation sacrée, qui prime sur tout, y compris parfois le bien-être. L’exemple du tabac, avec ses lois liberticides et la mise au ban de ses consommateurs, est un des avatars de cette pensée hygiéniste. Un sentiment renforcé par l’émergence d’un certain courant de l’addictologie, qui rend toute consommation suspecte, et tout consommateur (de drogues illicites ou pas) malade potentiel. L’hygiénisme rattrape les usagers de drogues pour les enfermer, non plus dans un statut de délinquants mais dans celui de malades.
  •  La loi de 2002. Suite aux abus constatés, notamment dans le système hospitalier, la loi du 2 janvier 2002 de rénovation sociale permet l’émergence d’associations destinées à représenter et défendre les droits des usagers du soin. C’est cette même loi qui vient de faire de nous des représentants officiels des usagers de drogue du système de soins. Un statut renforcé par le « Plan de prise en charge et de prévention des addictions 2007-2011 » qui parle, pour la première fois dans un document officiel, de « développer les associations d’autosupport : représentation, défense des droits et aide des usagers du système de soin ».

Trois dynamiques qui ont changé la relation des usagers de drogues avec le soin et naturellement rejailli sur Asud qui, à la défense des usagers de drogues citoyens-malfaiteurs ajoute désormais celle des usagers de drogue du système de soins.

Défense des usagers de drogue du système de soins : késako ?

Quand on parle des usagers de drogue du système de soin et de la défense de leurs droits, il faut d’abord définir de quoi il s’agit pour éviter les malentendus. L’usager de drogues peut entrer dans le système de soin de 2 manières : soit pour des raisons directement liées aux drogues (substitution), soit comme n’importe qui, pour se faire soigner. La défense des usagers de drogues du système de soins se fait donc à 2 niveaux : dans le premier cas, c’est non seulement défendre les droits liés au traitement de substitution, mais aussi une certaine éthique (non infantilisation, responsabilisation, traitement négocié entre l’usager et le médecin, sur la molécule, la dose…). Dans le deuxième cas, c’est s’assurer que la spécificité de consommateur ne constitue pas un obstacle aux soins (jugement, stigmatisation, médicament incompatible avec la consommation, adaptation des traitements…)
Mais attention, parler d’usager de drogues du système de soins n’est en aucun cas considérer l’usager comme un malade ! Si nous reconnaissons que l’usage de drogues – hors du contexte de leur illégalité – a un effet nocif sur la santé, cela ne veut absolument pas dire que l’usager de drogues, dépendant ou non, est un malade. Nous combattons d’ailleurs cette médicalisation à outrance de l’usage de drogue, qui fait aujourd’hui de tout usager de drogue un malade. En outre, à Asud, le débat est toujours ouvert sur la question de la dépendance et de la maladie. Peut-être, par exemple, pourrions-nous voir le traitement de substitution à la manière de la médecine chinoise : un traitement préventif pour justement ne pas tomber malade ?…
C’est pour toutes ses raisons que nous avons choisi le terme d’« usager de drogues du système de soins », plutôt que celui de « patient » ou même celui de « malade » pour les usagers dépendants. Toute personne peut en effet être usagère du soin sans être nécessairement malade (médecine préventive, grossesse, dentiste, check-up …).

Mais qu’en est-il de nos revendications premières, sur la loi de 70, la dépénalisation, le droit au choix de consommer, et quelles sont les nouvelles ?

  • Le droit au choix de consommer. Si le droit au choix de pouvoir consommer de manière éclairée (issu de la relative tolérance des années sida) est toujours une de nos revendications, elle n’est tout simplement plus supportable par la société hygiéniste des années 2000. Plus que cela, elle peut nous desservir : il est tellement facile de ne voir que ça en nous, et de s’en servir pour nous diaboliser et décrédibiliser notre discours. Bien que cette revendication soit sous-jacente à notre action, c’est donc une carte que nous abattons rarement, en attendant des jours meilleurs…
  •  L’abrogation de la loi de 70 et la dépénalisation. Si nous réclamons toujours que cette loi inique soit supprimée pour que les usagers de drogues puissent être des citoyens à part entière, notre position de représentant des usagers du soin nous permet d’envisager également cela sous l’angle de la santé. D’une part, parce que l’illégalité des drogues les rend plus dangereuses et plus nocives pour la santé (produits de coupe, problème de dosage et d’OD, liens avec le marché noir), d’autre part, parce que les UD se cachent pour consommer, ce qui n’aide en rien à ce qu’ils prennent soin d’eux et la mesure de leurs problèmes éventuels avec les produits…
  •  Des revendications citoyennes. La position de défenseur des usagers du système de soins n’est en fait pas antinomique de nos revendications initiales citoyennes. Mais surtout, ces 2 positions représentent finalement les 2 facettes du traitement socio-sanitaire de l’usage de drogues : soins et réduction des risques. En endossant ces 2 casquettes, nous affirmons haut et fort que le soin et la réduction des risques sont complémentaires, et que la vie d’un usager n’est pas linéaire : il peut naviguer entre les deux, selon les moments.

Ensuite, en défendant le droit des usagers du soin, nous défendons aussi le droit et la dignité des usagers de drogues. Ce qui nous donne un autre angle d’attaque et une légitimité complémentaire, qui nous permet, par exemple, de lier des partenariats inédits avec le soin, comme avec l’Association nationale des intervenants en toxicomanie (Anit). Sans pour autant nous renier, cela rend donc notre réseau beaucoup plus fort.
Ces 2 positions relèvent pour finir du même combat : que l’usager de drogues retrouve une place d’acteur de son soin, de sa consommation, et finalement de sa vie.

« Tout doit être fait pour diminuer l’emprise de la drogue sur les quartiers », rencontre avec Fadela Amara

Dans un souci de clarification de l’image d’ASUD et de communication en direction du monde politique nous avions rencontré Christine Boutin au Palais Bourbon le 30 janvier 2007 (voir Asud journal n° 32). Puis, la fin de notre collaboration avec la MILDT ont rappelé aux partisans de la politique de réduction des risques que l’auto-support peut être mal compris voir diabolisé. Kate Barry ayant eu l’amabilité d’ouvrir son carnet d’adresses pour ASUD nous avons donc continué de rencontrer des membres du personnel politique, en l’occurrence Fadela Amara, ancienne présidente de l’association “ni pute ni soumise”, et actuelle Secrétaire d’État à la Ville.

Un peu d’histoire

Le Secrétariat à la Ville est installé en plein quartier des ministères, juste en face des Invalides. C’est l’ancien Ministère de la marine marchande, bâtiment austère qui fleure bon la république. On pourrait croire Mlle Amara , un chouille dépaysée dans ce décors un peu vieille France. C’est oublier un peu vite que la république c’est aussi La Plus Grande France – la France de l’Empire Colonial – qui s’est hissée sur trois continents, notamment grâce à ses bateaux marchands. D’ailleurs la première chose qui frappe dans le bureau de Madame la Ministre est un véritable monument d’art colonial , une fresque magnifique, peinte à la main, qui orne le mur sur toute sa longueur: Marianne, dressée au centre de l’Hexagone, brandit le fanal de la liberté pour éclairer les peuples d’Outre-Mer : hommes bleus du désert, guerriers bantous du Delta du Zaïre, chasseurs Sarakoulé de l’empire du Mali ou montagnards Hmongs des plateaux indochinois. Bref notre ministre , née à Clermont-ferrand, peut saluer chaque matins ses ascendants Kabyles, figurés en pagnes en haut à droite de la scène.

“Je ne crois pas que mes ancêtres aient pu avoir cette tête-là” nous dit-elle. Il n’importe, le foisonnement de peaux couleurs crème, café noir ou café au lait du ministère de la ville ne fait que renouer avec la vieille tradition française du métissage et du mélange, fut-ce par le fait colonial . Deux décennies entachées par la xénophobie du Front National nous l’ont parfois fait oublier .

La ville et la drogue

Mais revenons à nos moutons ou plutôt à nos éléphants roses, et posons la question à Madame le Ministre, quid de la drogue dans la politique de la Ville ?

“il y a trop de produit dans les quartiers, et je ne parle pas de la zetlah , parce que ça c’est rien, mais du reste, notamment la coke qui séduit de plus en plus de jeunes des quartiers .Tout doit être fait pour diminuer l’emprise de la drogue sur les quartiers”

Le dialogue étant engagé sur ces bases, nous avons rappelé à Madame la Ministre les principes de la Politique de Réduction des Risques (rdr), principes qui doivent aussi s’appliquer dans les « banlieues » . Il est frappant de constater à quel point , les populations que l’on a pris pour habitude de désigner sous le vocable de «gens des cités » sont hermétiques à la logique de la rdr (voir page ..ASUD au comité des familles )
Nous avons également rappelé le caractère particulièrement catastrophique de l’épidémie de sida des années 80-90 justement parmi la population des jeunes issus de l’immigration, touchée massivement au travers de leur usage de drogues par voie intraveineuse, une catastrophe dont les conséquences sociales et psychologiques sont encore mal connues. (Voir ASUD JOURNAL n° 32 ) .

La politique de réduction des risque : cette inconnue Fadela Amara a semblé extrêmement intéressée par notre approche tout en étant assez peu informée sur les réalisations concrètes de la RdR. Elle a acquiescé fortement à propos de la catastrophe épidémique du sida dans sa variante ethnico-sociale en y ajoutant le traumatisme des morts par overdoses, qui dès les années 70 ont endeuillé de nombreuses familles françaises issues de l’immigration magréhbine et africaine. Une chose lui a paru incroyable c’est l’extrême pénurie de résultats probants, sanctionnés par la recherche, en matière de réduction des risques . A l’exception des enquêtes Siamois , puis des travaux menés par l’INVS , très centrés sur les questions infectieuses, pas de statistiques sur la baisse réelle de la délinquance, pas de statistiques sur le nombre de personnes ayant quitté la substitution. Aucune information non plus sur le changement de perception des toxico dans la société. Rien sur les questions culturelles et encore moins ethniques, malgré les nombreux modèles anglo-saxons ou Hollandais. Bref, rien qui pourrait être comparé avec ce que fut par exemple la publication du rapport Engelmans aux Pays-Bas en 1985, ou bien encore le débat confédéral qui s’est emparé de la société helvetique à la suite de la fermeture du trop fameux Letten park de Zurich en 1994. Trop de questions restent sans réponses dès lors que nous voulons attire l’attention des politiques ou des journalistes sur l’impact réel du changement à 360 ° réalisé dans les années (1987- 94). Autre exemple, combien de toxicos, bénéficiant de cette politique ont pu renouer avec la vie sociale grâce aux produits de substitution ? Combien de tox on pu échappé à la prison ? etc..
Bref pas de réelle approche coût/efficacité, aucune enquête de l’IGAS sur les résultats de la politique de réduction des risques en matière de baisse de la délinquance, d’amélioration sanitaire, de réinsertion sociale et globalement de réduction des dommages et méfaits. Tout cela a semblé surprenant au Ministre , qui , encore une fois, comme beaucoup de nos concitoyens ne connaît pas la politique de réduction des risques en tant que telle, à tel point qu’elle s’est adressée à sa collaboratrice pour savoir dans quelle mesure et dans quels délais, l’IGAS était susceptible de mettre en place un questionnement de cet ordre.

La prévention mais sans oublier la répression

Fadela Amara nous a informé d’une rencontre avec Monsieur Appaire dont elle déclare ne pas partager toutes les options. La prévention reste à ces yeux un critère décisif pour résoudre le problème. Pour autant , La secrétaire d’État ne se veut pas « laxiste »la répression est nécessaire en ce qui concerne le trafic , particulièrement dans sa variante « mafia » de plus en plus investie dans les affaires de marchandises illicites dès lors que l’on est dans les contexte « cité » . La terme même de dépénalisation lui semble un leurre dans la mesure où il s’agirait du mauvais « signal » donné à la jeunesse. La prohibition des drogues n’apparaît donc pas comme scandaleuse à Fadela Amara qui qualifie de « facile » l’argument de la comparaison avec la prohibition américaine de l’alcool pendant les années 30. D’ailleurs, la stigmatisation dont sont victimes les jeunes de banlieues, fumeurs de cannabis, rapportée à la complicité goguenarde dont bénéficie les jeunes alcoolos des campagnes berrichonnes ou bourguignonnes qui s’enroulent autour d’un platane après une baston en boite, n’est pas un thème qui emporte sa conviction. En ce sens Fadela Amara se fait la porte-parole convaincante, d’une proportion probablement majoritaire de l’opinion publique qui voit dans la toxicomanie une maladie contemporaine du sida ou de la violence dans les lycées. Vu sous cet angle toute action visant à « faciliter » l’usage sera mal perçu. Par exemple le principe de la substitution en soi pose problème à la Ministre qui s’étonne, pour ne pas dire plus de nous voir faire la promotion de traitements qui s’étalent sur 10, 15, ou 20 ans.

Un outil de communication : la promotion du citoyen

La véritable porte d’entrée de la RdR dans la politique de la ville est visiblement la promotion du citoyen, C’est sur cette base que l’on peut agir pour changer le regard porté sur les drogues. Un citoyen a le droit d’être informé sur les stupéfiants de façon crédible. Madame Luc Vidal, la conseillère de la Ministre, est intervenue à ce stade de la discussion pour indiquer que les interventions en collèges et lycées effectuées dans le cadre de la prévention de la toxicomanie sont en partie du ressort du ministère et qu’il n’est pas souhaitable de laisser les seules forces de police exercer cette mission.
Dans le même ordre d’idée, il a été pointé par la conseillère de Fadela Amara que la Délégation Interministérielle à la ville (DIV) soutenait l’action de l’ANIT, dans le cadre de la mission « prévention de la délinquance » de la DIV , alors que l’étiquette « action sanitaire » aurait pu être retenue. Un écart d’interprétation administratif qui en dit long sur la manière dont les questions de drogues ont traditionnellement été abordées dans notre pays .

Ne pas enfermer la banlieue dans les drogues.

Le soutien demandé par ASUD au secrétariat d’État peut donc prendre la forme d’une aide directe sous forme de subvention, par exemple pour l’organisation des EGUS 2008. Néanmoins ce soutien doit être compris comme faisant partie d’un éventail de mesures en directions des population urbaines précarisées ayant vocation à être représentées par ASUD, en aucun cas il ne s’agit d’une action visant à « remplacer la MILDT » , comme d’aucuns vont s’empresser de la propager. Ce soutien peut aussi se manifester par des propositions qu’ASUD et l’ANIT sont invités à faire conjointement dans le cadre du plan « banlieues » que le Secrétariat d’Etat est amené à produire d’ici la fin de l’année 2007.

Attention cependant d’ éviter les pièges démagogiques de deux sortes. D’abord se laisser enfermer dans une image réductrice qui assimilerait la drogue avec les banlieues, ensuite une mauvaise interprétation de la RdR qui en ferait l’antichambre inévitable de la libéralisation de la vente de drogues.

BILAN

En résumé Fadela Amara nous a paru tout à fait conforme à son image , un incontestable franc-parler, doublé d’une véritable authenticité et un réel souci de voir les populations dont son ministère a la responsabilité sortir de la suite de stéréotypes dévalorisants dans lesquels elles sont systématiquement enfermées par les médias. Visiblement la drogue fait partie de ces stéréotypes et l’approche pragmatique suggérée par la RdR peut-être une manière d’avancer sur ce terrain.

Dans notre travail de communication en direction des politiques, il est frappant de constater à quel point la RdR s’est contenté de quelques résultats sanitaires sur la baisse des contaminations VIH ou la baisse des overdoses, sans comprendre toute la force de conviction qu’elle aurait a tirer des arguments sociaux ou sociologiques. Un exemple parmi cent : l’arrêt presque brutal de la délinquance en direction des professionnels de santé est un fait que connaissent tous les acteurs concernés (ordre des pharmaciens, groupes d’auto-support et policiers) , mais cette évidence n’est, à ma connaissance, cautionnée par aucune étude . La corrélation entre la mise en place de la rdr et la fin de ce que les années 70 avaient baptisé : « les braquages de pharmas » n’a jamais été faite. Or quiconque fait un peu de recueil de témoignage auprès de pharmaciens d’officines les entendra tous déclarer que le cambriolage et l’attaque à main armée pour mettre la main sur les produits stupéfiants étaient un classique d’avant la mise en place de la substitution.

Nous avons donc de nombreux chantiers devant nous, notamment en ce qui concerne la propagation en direction des politiques, des idées qui sous-tendent la RdR. Effectuer ce travail main dans la main avec une association de professionnels telle que l’ANIT est une excellente chose, cela permet de proposer une approche globale des problèmes posés. A nous maintenant d’être réactifs, car si nous le souhaitons cette rencontre peut-être à l’origine d’un nouveau partenariat durable avec un acteur original de la vie politique française qui semble avoir une connexion directe avec la présidence de la république.

« Association d’usagers de drogues, c’est ambigu ! » rencontre avec Étienne Apaire

Depuis 1999 ASUD bénéficie d’une subvention accordée par la Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et les Toxicomanies (MILDT). Cette relation privilégiée-peu d’associations bénéficiaient de l’avantage d’être financées directement de cette façon- avait avant tout un sens politique. La MILDT organisme interministériel, dépend directement du Premier Ministre. C’est une structure qui coordonne l’action globale du gouvernement en matière de drogues, autant du point de vue sanitaire que du point de vue policier ou encore en matière de communication. Que cet organisme ait une relation privilégiée avec l’association historique des drogués constituait en soi un signe que les temps avaient changé. La fin de cette collaboration pouvait apparaître comme le signal d’un retour en arrière, c’est la réponse que nous étions venus chercher dans les locaux de la MILDT ce vendredi 19 octobre 2007.

Ambiance

Après un petit quart d’heure d’attente (pour une fois nous étions à l’heure), la chef de projet de la MILDT habituellement désignée pour négocier avec nous, vient nous proposer de passer dans le bureau du Président.
Atmosphère tendue durant tout l’entretien. Changement de style. Didier JAYLE vous recevait une fesse posée sur un coin de bureau, tout en étant capable de vous tourner brusquement le dos pour se préparer un café, pile au moment où vous prononciez le montant de votre demande de financement.
Monsieur Apaire, lui, est à la fois plus urbain et plus glacial. Il nous fixe droit dans les yeux en expliquant qu’il a été magistrat, puis conseiller de l’actuel président de la République quand celui-ci était au ministère de l’Intérieur. Il est clair qu’ASUD lui semble une entreprise au moins suspecte. La raison officielle du non-financement d’ASUD est simple : la MILDT ne finance plus les associations. Point à la ligne. On aurait pu s’arrêter là…

Usagers de drogues

Quelques journaux sont négligemment jetés sur une table basse. « vous voyez que je m’informe » m’annonce-t-il. « Ce qui m’amuse c’est la taille de la seringue qui s’amenuise au fil des parutions ». La seringue c’est bien entendu le logo d’ASUD. Je tente de justifier l’existence de ce logo par le contexte de lutte contre le sida qui fut l’enfance de l’association mais il me coupe en m’expliquant que « association d’usagers de drogues, c’est ambigu». Ambigu est du reste le maître-mot de son vocabulaire concernant ASUD, et apparemment le nom d’ASUD fait partie des fameuses « ambiguïtés ».
Et de s’étonner que nous ayons pu déposer nos statuts en préfecture. Un conseiller suggère que nous changions de dénomination sociale, monsieur Apaire approuve, nous tentons laborieusement de rappeler l’historique d’ASUD, tout ce que l’association doit à la lutte contre le sida, tout cela constituant aujourd’hui notre identité, mais nos arguments tombent à plat. La loi , toute la loi , rien que la la Loi. Monsieur Appaire ne connaît que la loi. Et l’usage de drogues c’est un délit, donc ASUD peut-être assimilée à une association de malfaiteurs. Je n’ose rappeler que cette provocation, nous la faisions nous-mêmes en 1994. L’action d’ASUD paraissait alors tellement utile dans la lutte contre le sida que parler de « malfaiteurs payés par l’Etat » était alors à la fois absurde et comique. Mais les temps changent.

La loi toute la loi rien que la loi.

« J’ai été nommé pour la faire appliquer, l’usage de drogues constitue un délit, je ferai appliquer la loi contre la drogue »
Ah Oui, précision : Monsieur Apaire est fier de se présenter comme « de la vieille école », il dit « la drogue » plutôt que « les addictions » et « toxicomanes » plutôt qu’usagers de drogues. Mon collègue a le mauvais esprit de préciser « sales toxicos » je m’empresse de devoir excuser cet excès de langage.

A ceci près que Monsieur Appaire nous déclare en préambule avoir été hostile à l’ « échange de seringues »- comprenez la distribution de matériel stérile aux usagers pendant l’épidémie de sida- puis avoir changé d’avis, jusqu’à admettre que cette action puisse en définitive se révéler être positive en matière de santé publique. Pour autant on ne s’emballe pas, la meilleure façon de lutter contre tous les problèmes connexes (sida, hépatites etc..) c’est quand même de ne pas prendre de drogues. Et les toxicomanes, il les connait, il ne les a rencontré auparavant que dans son prétoire de magistrat du Siège.

« Drogézeureux»

Finalement je crois que ce que le nouveau président de la MILDT apprécie le moins dans ASUD ce sont nos jeux de mots idiots, pardon ambigüs. D’ailleurs, sur mes sollicitations répétées de bien vouloir préciser –texte en main- de quelles ambiguïtés parlions-nous exactement , il ouvre le journal n° 34 et commence la lecture « parmi les énigmes caractérisant la sublimissime Sativa il y a celle du maintien de son interdiction… » Et paf. J’ai bien tenté d’expliquer que le terme sublimissime est à prendre au second degré.Sacré second degré qui ne passe pas du tout, du tout au-delà du cercle des initiés. Je n’ai qu’une trouille c’est qu’on parle des drogézeureu. Patatras : « ambigu, comme ce sous-titre les drogués heureux ». Le jour où on a voulu ce faire plaisir avec ce slogan imbécile… Et pourtant l’humour est sans doute l’ingrédient le plus prisé du journal d’ASUD, mais c’est un autre débat.

Réduire les risques infectieux

Ensuite Monsieur APPAIRE nous a écouté tenter un plaidoyer pour ASUD, en donnant des petits signes d’impatience puis a conclu en expliquant que nous étions ici chez nous- c’est à dire chez lui- car il reçevait toutes les associations. Toutes et de tous bords. D’où une petite digression sur les associations de l’autre bord, qui semble-t-il comptaient sur sa nomination pour « faire le ménage ». Rendons justice à une certaine forme d’impartialité du nouveau président de la MILDT, ces associations « anti-drogue proche du fonctionnement sectaire », n’ont pas été mieux reçues que nous. Visiblement Monsieur APPAIRE n’a pas apprécié de se sentir pris en otage par une frange de la droite de la droite, prête à brader l’ensemble des acquis de la réduction des risques.
«Ils sont venus me voir avec des projets de financement rédigés en francs » ce qui laisse rêveur tant sur les années de frustration emmagasinées par ces défenseurs de la famille française que sur l’ardeur juvénile qui les anime. Mais visiblement le nouveau président de la MILDT croit à la réduction des risques en tant qu’outil de lutte contre « certaines maladies infectieuses ». Cette acception, tout en restreignant terriblement le concept, donne malgré tout une certaine légitimité à cette politique, qui par ailleurs reste la bête noire d’un journal comme « Valeurs Actuelles ». D ailleurs, reprenant au vol une allusion faite à ma rencontre avec Christine Boutin, il nous encourage vivement à « prendre notre bâton de pèlerin » pour aller évangéliser les 139 députés signataires de l’appel au Premier ministre mettant en cause le financement d’ASUD en 2006.

Réduire le nombre d’usagers dans les dix ans.

A ceci près, la philosophie politique dont Etienne Appaire s’inspire en matière de drogues est clairement réductionniste, au sens où l’entend dans les officines internationales : réduire la demande. Prenons un exemple, nous lui annonçons qu’ASUD a décidé de communiquer sur les « sorties de traitement de substitution ». Dans notre idée, il s’agit de résister à la pression conjuguée de certains médecins et des visiteurs médicaux, qui, loin de philosopher sur les besoins des usagers en traitements se contentent de comptabiliser à la hausse le nombre de mg prescrits chaque année. Ces considérations semblent rencontrer celles de Monsieur le Président. Hélas, quelques jours plus tard, la lecture de Valeurs Actuelles me montre que sa vision des sorties de substitution est assez loin de la nôtre. Si l’on en croit ce journal, qui reste à ce jour le seul mensuel auquel il ait accordé une interview complète, il s’agit plutôt de réduire coûte que coûte le nombre de personnes substituées dans les dix prochaines années. Cette vision minimaliste est l’exact pendant du maximalisme hospitalo-médical que nous prétendons dénoncer. La question n’est pas de savoir s’il y a trop ou pas assez de personnes substituées mais de savoir dans quelles conditions ils vivent avec des traitements qui durent depuis 5 10 ou parfois 15 ans. Il s’agit donc, comme nous l’avons expliqué lors du colloque de Biarritz THS 8 de rechercher avec chaque usager le type de molécule, la posologie et les activités annexes (sports, psychothérapies ou traitements complémentaires) susceptibles d’améliorer la qualité de vie de ces thérapies au long cours.

Parents contre la drogue

Puis vint le plaidoyer au bénéfice de Monsieur Lebigot, le président de Parents Contre la Drogue. « Vous l’assassinez dans votre journal… » Et moi de bredouillez que non tout en sachant pertinemment que oui. Bref, il est clair que sans être l’extrêmiste décrit par certains de nos amis, Monsieur Apaire est naturellement plus proche des thèses de Parents contre la Drogue que de celles défendues par ASUD. Monsieur Appaire et nous ne sommes pas sur la même longueur d’onde. Pas d’interview pour ASUD journal de peur d’avoir à « cautionner » l’association. Pas de venue aux EGUS, même ceux prévus en 2008 pour la même raison.

Ah si, une autre chose lui a plu dans ASUD, c’est « votre évolution récente vers l’association de malades ». Mais tout cela est récent, il s’agit peut-être d’une inflexion circonstancielle de l’association. A tout prendre l’enthousiasme Monsieur Appaire à notre égard reste excessivement modéré : « Sur le fond je reste réservé et la forme me pose question ». Cela devait être le mot de la fin

Le Diable en personne

Quelques minutes après la fin de l’entretien nous avons échangé quelques mots avec les conseillers de Mr Apaire tous deux membres des différentes équipes ayant eu à travailler avec ASUD depuis 10 ans. Leur point de vue a quelque peu atténué le goût amer que m’a laissé cette petite heure d’entretien. « Pour certains décideurs politiques que nous avons rencontrés récemment vous êtes le diable ! » nous dit l’un d’eux. Il est étrange de constater à quel point notre petite association, qui salarie 3 ou 4 personnes dans un bureau poussiéreux, est appréhendée comme l’une des pièces maîtresses d’un dispositif destructeur au service de l’anti-France par certains milieux conservateurs. Ensuite il semble indéniable que Monsieur Appaire a déjà quelque peu évolué sur ces appréciations concernant la réduction des risques depuis son entrée en fonction. Il nous a ainsi déclaré être prêt à financer la traduction en français des séances de la 19e conférence Internationale de réduction des risques prévue à Barcelone les …et mai 2008. Ces deux considérations nous ont amené à penser que nous partions d’encore plus loin, et que peut-être, tout espoir n’est pas mort de reprendre cette collaboration politique tellement souhaitable entre l’une des seules associations d’usagers de drogues (ou de traitements) au monde et l’organisme officiel chargés de gérer les conséquences humaines de ces consommations en France.

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