Idées reçues sur le crack et les crackers(

(Article publié le 23 mars 2013)

Crack, base ou caillou, peut importe, dans tous les cas l’objectif c’est le « kiff ». Le kiff c’est l’alpha et l’omega de la vie, ou plutôt de la survie, des « crakers », un sous-genre de l’espèce toxicomane, situé tout en bas de l’échelle sociale et tout en haut de l’échelle du stigmate.

Il est fascinant de constater avec quelle constance, chaque époque a fabriqué son propre épouvantail toxico. Dans les années 70 c’était le « drogué en manque », éventuellement en manque de marijuana. dans les années 80-90, le stéréotype s’est affiné pour cibler les junkees, c’est à dire les injecteurs d’héroïne, et pour inaugurer le XXI e siècle nous avons les « crackers ». Le point commun de ces populations est qu’elles se sont constituées en marge de la marge, elles représentent le pire de ce que la société condamne sous l’appellation « drogue ». Bref, les crackers ne sont pas des victimes de la drogue, tout au moins aux yeux des riverains plus ou moins « boboïsés » qui revendiquent le titre pour eux-mêmes. Non, les crakers sont tout en bas, là où l’on est sûr de ne trouver personne en -dessous.

Du reste, cette réputation de toxique très toxique n’est pas forcément usurpée. D’aucuns se souviennent avoir croisé, y compris dans les couloirs de la rédaction d’ASUD, nombre de vieux briscards, anciens héroïnomanes, rescapés des années 80, rescapés du sida et des overdoses, ayant gouté à quasiment tout ce qui s’avale, se fume,se sniffe ou se shoote, et qui sur le tard, découvrent le frisson très particulier d’une bouffée de cocaïne-base. Et là , bang! le grand saut.

En deux coups les gros, nos vétérans sont renvoyés à la case départ, de retour sur le bitume à la recherche d’un petit « caillou » blanc. Adieu, apparts, boulot, copains, copines bref, la totale, comme si vingt ans de patiente réinsertion n’avait servi à rien. Pire, il semblerait même que dans certains cas, l’illusion naisse du souvenir des « speed-ball » et des fixs de coke, des réminiscences qui ont tôt fait de se transformer en alibi genre : « moi la coke, je connais! » et ben non coco! La C et le caillou c’est un peu comme le cidre et l’absinthe, pas vraiment la même concentration!

Autre piège, le caillou ça se fume, donc c’est moins dangereux qu’une came qui se fixe. Seconde illusion regrettable. Le « craving » de la cocaïne basée n’a rien à envier à celui de la cocaïne injectée. De plus, il n’existe aucun médicament de substitution. Le contexte fantasmagorique dans lequel baigne toute évocation du crack, le surcroit de diabolisation amené par l’épidémie de crack cocaïn qui sévit sur une échelle autrement préocuppante dans les getthos noirs et latinos des métropoles américaines, autant de facteurs qui font de nos quelques centaines de crackers parisiens des oubliés de la réduction des risques.

Qu’en est -il réellement ? Peut-on envisager des solutions de court ou moyen terme pour ces populations ? L’expérience du » kit base », menée par l’association EGO est elle un début de réponse? Une chose est sûre, cette population appartient au monde de la précarité sociale, en cela leurs problèmes ne sont pas forcément différents de ceux des autres SDF, jetés sur le pavé par la crise, alcoolisés, bourrés de médocs détournés et trimballant avec eux l’attirail du clochard 2.0. Fini le litron de rouge, bonjour la dope ( ou un mix des deux). Certes les crackers cumulent les handicaps, mais leur principal mérite aux yeux du public est de coller aux stéréotypes les plus éculés sur les « ravages de la drogue ». Avant d’être des victimes de la drogue, les crackers sont des victimes de la pluie, de la faim et du froid et en tant que telles, ils se foutent éperdument d’être stigmatisés par les produits qu’ils consomment, ils sont donc des cocaïnomanes visibles à la différence de tous ceux qui « basent de la coke en « teufs » « où qui deviennent dépendants après une prise en charge méthadone ou encore- le cas le plus fréquent- qui sniffent des rails de plus en plus longs avant de reprendre une activité normale  comme disaient les regrettés Guignols de l’info .

Le tapage médiatique mené autour des « crackers de Stalingrad » possède donc au moins un mérite, celui de mettre le doigt sur la pointe émergée de la consommation de masse de cocaïne qui monte en France depuis quelques années sur une échelle qui n’est pas sans rappeler la vague  d’héroïne dans les années 80. Une cocaïne qui a le bon goût d’être consommée bien à l’abris des regards , dans les appartements cossus de centre ville après avoir été livrée en express par des méchants dealers venus d’une lointaine banlieue au péril de leur casier judiciaire.  Une consommation  dont il serait intéressant de savoir comment elle est jugée du point de vue des riverains,  qu’ils soient observateurs ou consommateurs eux-mêmes .  

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