Un Brève histoire de l’iboga

« J’ai marché ou volé sur une voie longue et multicolore, ou sur de nombreuses rivières, qui m’ont conduit à mes ancêtres qui, à leur tour, m’ont conduit aux grands dieux. »
C’est par ces quelques mots que le nouvel initié à l’un des différent cultes Bwiti tente de communiquer son expérience mystique, résultat d’heures de chants et de danses rituelles, associé à la prise d’une préparation à base de racine d’iboga. L’utilisation rituelle de l’iboga est principalement connue des tribus Fang et Mitsogho du Sud-Gabon. D’après la tradition orale, cette connaissance et son utilisation, ainsi que celles d’autres plantes médicinales ou psychotropes, dont sont issus les mythes fondateurs de la religion Bwiti leur aurait été enseignée par les pygmées de la forêt équatoriale.

Les européens découvrent la plante en 1819, à travers la description du Gabon d’Edward Bowdich. Dans leurs rapports, les officiers de district du Cameroun évoque cette « plante qui stimule le système nerveux, qu’on emploie pour effectuer de longues marches, de grands voyages en canoë ou pour rester éveiller la nuit. » C’est en 1939 qu’apparaît sur le marché pharmaceutique le Lambarène, des comprimés dosés à 0,20g. d’extrait d’iboga correspondant à 8 mg d’ibogaïne, dont la composition aurait été inspirée par le docteur Schweitzer, grand marcheur et explorateur infatigable. Haroun Tazieff, vulcanologue, raconte dans son livre: « Le gouffre de la pierre saint Martin » son expérience du lambarène, classé comme stimulant neuromusculaire, effaçant la fatigue, indiqué en cas de dépression, de convalescence, de maladies infectieuses, d’effort physique et intellectuel anormal. Devenu par la suite l’un des dopants préféré des sportifs d’après-guerre, le Lambarène fut retiré du marché en 1966, et l’ibogaïne interdite à la vente avant d’être classé comme produit dopant par le C.I.O. en 1989. C’est en testant ses vertus psychédéliques que Timothy Leary, et d’autres avec lui constate son pouvoir anti-addictif. Parmi eux, le futur docteur Lotsof, l’un des pionniers du traitement à l’ibogaïne qui lancera les premiers protocoles d’études cliniques. Ce n’est que plus tard que l’on apprendra que la C.I.A. menait déjà dans les années 50 un programme d’étude sur une population de morphinomanes afro-américains, étude dont les résultats sont toujours classés top-secret.

Le témoignage d’un lecteur d’Asud

Depuis 28 ans je me droguais à l’héroïne, l’alcool, le tabac. Je passe sur une vingtaine de cures, autant à l’hôpital que sauvages. Je prenais du Skenan® à des doses dépassant le gramme. Il y a 4 ans que je cherchai à trouver une plante du nom de Tabernanthe Iboga…

J’ai essayé de voir des psys qui ne m’ont été absolument d’aucune aide, ils ne connaissent rien à cette plante et ne voulaient pas faire d’essai clinique. J’ai donc dû partir au cœur du Gabon où l’ on m’a donné l’iboga… et suis rentré chez moi à Angers… J’ai absorbé cette plante à 1h00 le 10 octobre 2002.

Au bout de 36 heures, je revenais à moi (pas de syndrome de manque, peut-être 10%) et 12 heures après ces 36 heures, j’étais sur pieds. Je passe les visions paradisiaques, la joie, les amis décédés que j’ai eu la très grande chance de rencontrer! Voilà, j’ai arrêté de fumer, de boire, de me camer. Cela fait 6 jours, et pour l’instant je n’ai plus aucun symptôme de manque. J’espère que ce témoignage en aidera d’autres à s’en sortir…

L’injection intraveineuse de substances psychoactives

« Shooter la came ! » Voilà la phrase emblématique, celle qui conditionne quinze ans de politique de réduction des risques (RdR). Du fait de son ancrage dans le champ du sida et des hépatites, la RdR a fait de la seringue stérile l’alpha et l’oméga des politiques de drogues.

Un shoot, un fix, un taquet, c’est ce petit moment de fébrilité qui vous fait remonter votre manche en tenant la pompe entre les dents, puis chercher le renflement d’une veine pas trop esquintée avant d’enfoncer l’aiguille d’un geste précis et de tirer le piston pour faire une, deux, trois « tirettes »… Ce petit cérémonial est à l’origine de bon nombre de morts par overdoses, d’au moins deux épidémies de virus mortels parmi les usagers et de pas mal de fantasmes concernant la consommation des drogues en général.
Alors y a-t-il une fatalité de l’injection ? Doit-on considérer le shoot comme faisant partie de la culture de l’usage ou comme une pratique à risques qu’il convient de confiner à un petit noyau d’irréductibles ? A-t-on réellement réfléchi aux attendus sociaux, culturels ou psychologiques du shoot ? A-t-on déjà pensé que le contexte de l’injection a pu évoluer, voire être absolument transformé par les années sida?

Un peu d’histoire

La seringue hypodermique est inventée vers 1850 par Charles-Gabriel Pravaz. Comme l’écrit Anne Coppel : « la vraie rencontre est celle de la morphine et de la seringue ». Très vite cette nouvelle technique est détournée par les usagers de drogues, souvent initiés dans un but thérapeutique. L’usage de morphine, puis d’héroïne dans les milieux bourgeois du XIXe et du XXe siècle est souvent intraveineux, au point que le recours à la « piquouze » est pratiquement confondu avec la prise d’opiacés.

Un signifiant lourd

asud24-seringuesMais cette seringue est d’abord un instrument médical, le symbole d’une compétence technique tournée vers la rationalité.

Elle devient une sorte d’emblème du caractère sacrilège de l’usage des drogues. En détournant l’outil bienfaisant au service d’une jouissance égoïste, le drogué foule aux pieds plusieurs tabous. Nous avons déjà eu l’occasion de l’écrire souvent : le « toxico » occupe aujourd’hui la place de bouc émissaire occupée par d’autres parias à d’autres époques. La Persécution rituelle des drogués , décrite par Thomas Szasz est fortement conditionnée par l’espace fantasmagorique de la seringue, contaminée ou non. La seringue perce, troue, envahit. Elle atteint l’intérieur du corps. Son signifiant est le pain bénit des psychanalystes. L’odyssée épicurienne des hippies injecteurs ne pouvait que mal se terminer. On ne brave pas impunément et la morale et la science, surtout à une époque où les deux tendent à se confondre. L’épilogue est en forme d’apocalypse avec les années sida qui deviennent vite les années hépatite.

Le damnés de la terre

L’injection oppose donc une forte résistance à la vague de normalisation qui touche certains aspects de la consommation de drogues illicites ces dernières années. Le rapport Roques, le nouveau discours de la M.I.L.D.T.(Mission Interministérielle deLutte contre la Drogue et la Toxicomanie), l’usage dit « récréatif » de drogues dites « douces », autant de facteurs destinés à dédramatiser (d’aucuns disent à banaliser) l’utilisation de certaines substances exotiques consommées notamment par les jeunes.
Le tour pris par les campagnes procannabis est significatif : plutôt que de revendiquer la transgression d’un interdit, comme le faisaient leurs aînés, les cannabinophiles accentuent les aspects « intégrés » de la fumette, les fumeurs sont des gens « normaux », le cannabis rend non violent… bref tout cela n’a rien à voir avec La Drogue.
Idem pour les amateurs de pills. Depuis le retour en force des drogues de synthèse, on sniffe, on pile, on gobe, on inhale, mais shooter ah non ! Jamais. S’il existe une pratique indéfendable, c’est bien celle-là. Avec les free parties, le mouvement techno a vu émerger de véritables « scènes ouvertes », c’est-à-dire des lieux où s’achètent et se consomment ouvertement les stupéfiants habituellement échangés sous le manteau. De tels lieux ont existé ou existent encore ailleurs en Europe pour un public d’injecteurs d’héro et de coke. En France, les frees, tout en drainant une ribambelle hétéroclite d’amateurs de tout ce qui défonce, sont plus spécialisées dans les drogues de synthèse, la cocaïne et le LSD. Le caractère non officiel de tels événements n’exclut pas un certain conformisme ou tout au moins une référence aux valeurs dominantes du mouvement parmi lesquelles le rejet de l’injection occupe une place de choix. Si le recours aux drogues psychédéliques est revendiqué, la shooteuse est perçue comme dégradante et nocive. Englobées dans une même réprobation, l’héroïne et la pompe n’ont rien à faire aux environs du dance floor. La stigmatisation des injecteurs est telle que des opérations de réduction des risques type « salles d’injection » seraient nécessaires pour les teufers adeptes de la pompe, mais seraient probablement mal acceptées par le milieu.
Comble du comble, même les crackeurs expriment parfois de l’hostilité à l’égard de la shooteuse. Le discours des plus jeunes est révélateur à la fois de l’impact et des limites des campagnes antisida. Tout fiers de fumer la base, leur leitmotiv peut être résumé comme suit : « moi je shoote pas, donc je suis pas accro ». Même eux, identifiés par les riverains et la police comme la quintessence du « toxico », tirent une certaine gloire à ne pas le faire ce geste explicite qui désigne le drogué. Le plus souvent fumée, la base est injectée par des usagers qui quelquefois sont d’ex-héroïnomanes substitués. Ces injecteurs voisinent avec d’autres usagers de la rue, consommateurs de Subutex® (les polytoxicomanes du système de soins).
La nouvelle configuration sociale semble épouser étroitement la courbe de la « nouvelle » (tellement nouvelle qu’elle a maintenant presque trente ans) pauvreté.

L’injection, toujours en vogue ?

Alors que reste-t-il ? Qui donc est encore injecteur, et sinon fier de l’être, au moins prêt à l’assumer au grand jour ? La consommation d’héroïne, le produit « phare » du shoot, n’a pas tant baissé si l’on s’en réfère au chiffre des saisies. Il semble qu’elle se soit plutôt recomposée sur de nouvelles bases. La peur du sida et des hépatites a heureusement amené une partie des nouveaux usagers de drogues à préférer la fumette au shoot. Il est, par exemple, explicite de constater que le département du Nord caracole en queue de peloton des ventes de Stéribox® alors que son voisinage avec les Pays-Bas en fait l’un des départements les plus touchés par les flux commerciaux de l’héro. Les consommateurs les mieux informés découvrent ce que les pays du Nord et les pays producteurs d’opium et de coca savent depuis longtemps : l’injection est une méthode de consommation adaptée à la pénurie et aux mauvaises qualités ; elle est ce que le coup de massue est à l’arme de précision : un maximum d’effets dans un minimum de temps pour énormément de dégâts collatéraux. Reste comme toujours la question du plaisir. Le shoot n’est pas seulement une méthode de conso pour l’« économiquement faible », c’est aussi et avant tout, pour de nombreux usagers, un gigantesque pied (voir pagexxx, tableau synoptique des produits injectables).

1. Anne Coppel, Le dragon domestique
2. Thomas Szasz, la persecution rituel des drogués

ASUD, 10 ans déjà

Pour ASUD, tout a vraiment commencé un beau soir de novembre 92. Mais laissez-moi vous raconter…

Depuis quelques mois -quelques années déjà- quelque chose qui fermentait du côté de «la drogue», se préparait. Une série de signes discrets, éparpillés, mais qui, assemblés, dessinaient les contours d’un changement de la politique ultra-répressive instaurée par la loi de 70.

Ainsi la loi Barzach, qui pour la première fois a su discerner dans les infections virales transmissibles par voie intraveineuse,un danger plus imminent que ces «paradis artificiels» , et en tirer la conséquence urgente: la mise en vente libre des seringues dans les pharmacies en 86.
Vers la fin de l’automne, des militants anti-VIH et des «intervenants en toxicomanie», des hurluberlus, dont votre serviteur et sa compagne, ont ainsi été invités à exposer leur conception d’un «junkiebond»à la française au cours d’une réunion de l’association EGO (Espoir Goutte-d’Or)

Cette réunion, je ne suis pas près de l’oublier. Au cours du dîner qui a suivi, un des membres d’EGO, un travailleur social nommé Abdalla Toufik, a tenu à s’asseoir près de moi. Et à m’expliquer gentiment que ma conception d’un groupe d’usagers de drogues comportait quelques points légèrement irréalistes… «Mais j’aimerais t’en parler plus longuement». Et le voici qui s’invite chez moi pour le surlendemain à 16 heures.
Le jour dit, à 16 heures précises, la sonnerie retentit et la porte s’ouvre sur Abdalla, flanqué d’un grand garçon pâle au sourire timide qu’il me présente sous le nom de Philippe Marchenay. Philippe qui sera avec Abdalla, Phuong et moi-même le quatrième fondateur d’Asud.
Abdalla, pour avoir rencontré les membres du «syndicat des junkies» nous initie peu à peu aux notions, encore quasi-inconnues en France, d’autosupport et de réduction des risques…
Nous parlons aussi des spécificités de la situation française: la loi de 70, la répression tous azimuts et la façon dont, elle entretient un lien de cause à effet avec les overdoses, la délinquance et la progression galopante du VIH et des hépatites chez les UD.
«Usagers de drogue»: une expression nouvelle, venue des Pays-Bas et d’Angleterre et que nous décidons d’utiliser systématiquement et même d’imposer dans toute discussion sur la question, par opposition aux termes de «camés», «drogués», «toxicomanes» ou «malades dépendants», tous très stigmatisants.
Une démarche militante, dans la mesure où changer le mot utilisé pour désigner telle ou telle catégorie d’individus contribue à changer le regard qui sera posé sur eux. Pas du «politiquement correct», de la politique. De la vraie, qui commence à délimiter l’espace où l’UD se définit comme citoyen, c’est-à-dire comme individu vivant dans la cité, et partie prenante des décisions qui le concernent. Waouh!

C’est ainsi qu’au bout de plusieurs semaines de discussions parfois houleuses, nous finissons par trouver le nom de la future association: Asud, pour Auto-support des usagers de drogues. Et, dans la foulée, par rédiger un manifeste qui reprend les principaux points dégagés au cours de nos discussions préliminaires: la reprise en main de leur vie par les UD confrontés à la maladie et à la «guerre à la drogue» ; le droit desdits UD à choisir librement entre l’abstinence, la continuation de leur mode de vie clandestin ou la prise de produits de substitution; la multiplication par 100, sinon par 1000 des programmes méthadone existants et la diversification maximale de la palette des molécules et des protocoles de substitution; l’organisation par les usagers eux-mêmes de la réduction des risques liés aux drogues qu’ils consomment grâce, entre autres, à une information non biaisée sur les produits et les techniques d’injection «propre» ;la nécessité, donc, d’une publication faite par et pour les UD et destinée à délivrer ce type d’information ainsi qu’à présenter (en évitant les attaques frontales contre les institutions) les revendications des usagers et des témoignages de leur quotidien.
En somme, faire ce qu’Asud-Journal n’a cessé de faire depuis dix ans. Mais ce journal, colonne vertébrale indispensable à notre mouvement, il fallait d’abord le créer -et le perpétuer. Donc trouver des militants prêts à y travailler, mais aussi, le nerf de la guerre, les thunes. Lesquelles ne pouvaient venir que des milieux antiprohibitionnistes et surtout des mouvements et institutions gouvernementales engagés dans la lutte contre l’explosion de la contamination VIH/hépatites chez les tox.
Pour cela, il importait de nous faire connaître. Si bien qu’un beau jour d’avril 93, nous nous pointons à la fac de Nanterre, au colloque «Drogues et droits de l’homme» organisé par Francis Caballero. Pour la première fois, se dressant dans l’amphithéâtre bondé, Philippe Marchenay prononce le nom d’Asud et expose nos objectifs tandis que 5 ou 6 autres compères parcourent les travées en distribuant des exemplaires du manifeste, fiévreusement tirés la nuit précédente sur la photocopieuse de nos hôtes d’Aparts. Applaudissements nourris, y compris à la tribune et, d’une façon générale, gros succès dans l’assemblée…

Le premier groupe d’autosupport d’UD «non repentis» en France! La nouvelle se répand comme une traînée de poudre (ah ah ah!) dans les milieux concernés et les coups de fil d’encouragement bloquent presque le standard tandis qu’affluent les adhérents.
Ah les premiers Asudiens! Les Hervé Michel et sa bande, les Georges Sintès (dont l’ultime pied de nez sera de décéder un 1er décembre, Journée mondiale du sida 95!), Yvon Moisan, Rodolphe Mas, Caroline et Alain Chateau, Jean-René Dard (qui sera plus tard le troisième président d’Asud), Fabrice Olivet (le quatrième)et tous les autres, ceux qui continuent aujourd’hui encore à faire marcher Asud et à écrire dans les pages du journal. Ceux aussi qui nous ont quittés depuis pour le paradis (bien réel hélas) des toxicos ou pour vivre leur vie, mais qui tous arrivaient avec leur rage et leur joie débordante de pouvoir enfin faire entendre leur voix.
Et puis, malheureusement, ceux que nous avons dû -gentiment- éconduire: les exaltés, prêts à dynamiter la Préfecture de police ou à se shooter à mort sur les marches du ministère de la Santé, les zonards en quête d’un toit ou d’un repas, ceux encore qui prenaient le local d’Asud pour une shooting room, une scène de deal, ou une ANPE pour tox…!
C’est pourquoi nous nous sommes d’abord recrutés par cooptation -en fait juste un entretien «de motivation» devant un café ou un demi, histoire d’être bien d’accord sur la nature, les objectifs et le fonctionnement d’Asud. Et hop, au boulot! Gratos, pour commencer évidemment…
Car c’était bien beau l’enthousiasme, les grandes idées, l’intérêt croissant des média et des professionnels, les perspectives de financement (et de salaires?), mais en attendant, restait à tenir nos promesses…
Et d’abord à sortir ce journal dont nous avions annoncé à grand bruit la naissance imminente lors de notre première apparition publique à Nanterre
Là encore, comme pour la rédaction du manifeste, les discussions sont parfois chaudes, sinon explosives. Tel article est jugé trop provocateur, tel autre trop timide. Et chacun de défendre bec et ongles sa contribution. D’autant que chacun tient à mettre son grain de sel dans ce premier numéro d’Asud-Journal, son titre décidé à la quasi unanimité.

Ce n°1, il nous faudra près de trois mois et demi pour le sortir. Pas facile, en effet, de choisir entre le véritable monceau d’articles (de poèmes, de dessins, etc.) qui nous sont soumis en ménageant les susceptibilités. Et d’abord celle des auteurs bien sûr, qui ne comprennent pas toujours qu’il ne s’agit pas de se faire plaisir et de se défouler en sortant un fanzine-brulôt tout fumant. A se vouloir trop chaud, on finit par se griller!
Il s’agissait donc à la fois de ménager la susceptibilité des auteurs-militants et surtout ne pas heurter celle des non-usagers, soignants, intervenants en toxicomanie et institutions de lutte contre le VIH, seules prêtes à nous financer et à nous protéger, au nom de notre travail de prévention du sida. C’est en tenant compte de ces divers impératifs que nous arriverons, vers la fin août 93, à sélectionner enfin les textes qui constitueront Asud-Journal n°1. Maquetté, imprimé à 5OO exemplaires et agrafé avec les moyens du bord, il comportera divers témoignages d’UD, dont bon nombre de séropositifs ou malades du sida, un texte «historique» sur Thomas de Quincey, le premier junkie conscient de son addiction au 18e siècle, et surtout à la une, un éditorial largement inspiré du manifeste d’Asud et l’annonce de notre article-vedette: l’interview d’un médecin sur les techniques du «shoot propre».
Un véritable coup de poker qui, en détaillant l’art de diluer sa came avec telle eau, tel produit acide, dans un cuiller nettoyée de telle et telle façon, puis de la pomper dans une shooteuse propre, à travers un coton à usage unique avant de piquer la veine bien garrottée à travers la peau nettoyée à l’alcool, pouvait aussi bien nous faire tous coffrer au titre de la loi punissant « l’incitation à l’usage de drogue » que nous valoir les subsides des organisations antisida.
Subsides que nous ne pouvions d’ailleurs recevoir qu’une fois constitués en association, avec un président, un trésorier, un secrétaire, etc. Ce qui fut fait rapidement avec, pour premier président, l’ami Philippe Marchenay.

Vers la mi- septembre, tout était à peu près au point. Nous n’en menions pourtant pas large, quand nous nous sommes retrouvés Phuong, Philippe, Abdalla et moi, en robe et costards-cravates, le journal sous le bras, grelottant sous la pluie fine qui détrempait le parvis de l’AFLS (Agence française de lutte contre le sida) où Sylvie Justin allait dans un quart d’heure décider de l’avenir d’Asud, en clair, de son soutien et de son financement par l’AFLS.
De ce qui s’est dit exactement pendant la petite heure qu’a duré cette mini-réunion, je ne garde étrangement aucun souvenir, tant j’étais possédé par le trac. Je me rappelle juste qu’au sortir de l’ascenseur, nous avions tous les quatre le sourire: c’était gagné! A commencer par le financement, donc la possibilité de continuer à sortir le journal, et celle pour l’association de salarier quelques emplois CES. Le tout sanctionné par une convention entre Asud et l’AFLS.
Une convention qui mettait, il est vrai, quelques bémols à notre projet de départ. Le financement promis ne porterait pas sur le journal lui-même, mais sur les actions de prévention anti-VIH de terrain (c.à.d. dans les pharmacies, les salles, les squats, «scènes» de rue, etc.). D’où l’obligation de centrer notre sommaire sur l’aspect sanitaire, et d’en rabattre un peu sur le côté revendicatif.
Bref, nous nous retrouvions un peu le cul entre deux chaises et il n’a pas toujours été facile de nous accommoder de cette ambiguïté fondatrice .Recrudescence des engueulades et des portes claquées. D’autant qu’avec l’afflux incessant des nouveaux Asudiens, nos réunions, désormais soumises aux règles de la « démocratie associative » se devaient d’aboutir non plus à un consensus informel entre quatre ou cinq personnes, mais à des décisions votées à main levée par plus d’une dizaine de participants forts en gueule (on les comprend!) et pas toujours très portés aux compromis…

Pourtant, en dépit de toutes ces difficultés, de la prise de distance d’Abdalla, de l’élection d’un véritable bureau dont Phuong était désormais présidente, et des inévitables querelles et jalousies suscitées par l’attribution des CES (donc des salaires!), Asud a continué son chemin, et plutôt bien: interviews et prises de parole dans les media, contacts avec les principales pointures de la «réduction des risques» et sortie, en un peu plus d‘un an, de trois autres numéros du journal, chacun plus fourni et plus «professionnel» que le précédent. La moindre de nos réussites n’étant pas d’être parvenus à faire fonctionner Asud comme une assoce «normale», bien que composée quasi-exclusivement d’individus à forte personnalité, au parcours chaotique, durement marqué par les galères et la maladie, et plus portés au coup de gueule (sinon au coup de poing dans ladite gueule) qu’à la recherche souriante du consensus.

Mais la véritable consécration n’allait survenir qu’au printemps 94. Au cours d’un dîner-pizza improvisé entre Anne Coppel, Valère Rogissart, responsable à l Aides de la prévention chez les UD, Arnaud Marty-Lavauzelle, président de ladite association, Bertrand Lebeau de MDM,… et Phuong, présidente d’Asud depuis quelques mois. C’est au cours de cette soirée historique que fut conclue l’alliance formelle entre les militants anti-VIH, les professionnels de la réduction des risques, les médecins et les UD. Le nom du futur collectif, décidé à l’unanimité: «Limiter la casse». Un intitulé qui définissait sans équivoque son objectif: constituer un lobby voué à soutenir toutes les initiatives de réduction des risques.
Pour ASUD, c’était un véritable triomphe. Non seulement parce que nos objectifs et nos revendications se voyaient ainsi entérinés, mais aussi parce qu’en nous voyant invités dans ce collectif dont, fait significatif, la première action fut d’élire un bureau dont le président était Fabrice Olivet, l’un des nôtres, Asud était enfin officiellement conviée à jouer dans la cour des grands, et les usagers pris en compte comme acteurs centraux de la RdR.
NOUS EXISTIONS ENFIN POUR DE VRAI!!!

La suite, avec les bouleversements, les dissensions et la part d’embrouilles, ce n’est pas à moi qui, peu de temps après la création de LLC, ai pris quelque distance vis-à-vis d’Asud, de vous la raconter. Pas plus que de parler des 23 numéros du journal qui, à hue et à dia, se sont succédés depuis. Ni des nouveaux financements ou de la galaxie des sections Asud , ont fait de nous un mouvement d’envergure nationale, et même internationale.
Tout ce que je puis dire aujourd’hui, dix ans après le tout début d’Asud, c’est que si je suis encore là pour vous raconter ses premiers pas, c’est qu’en dépit de tous ses changements, de ses quelques échecs et de son incroyable succès, Asud n’a pas dévié d’un poil par rapport à ce qui fut notre rêve, un soir d’hiver 92.
Et, nom d’une petite shooteuse, qu’il continue à en être ainsi dans les siècles des siècles, alléluia et Bom Shankar!

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