Ballade chez les têtes à crack 1996

Tenter le crack, pour voir, par curiosité de vieux guerrier revenu des batailles, draguer un «pote» qui sait … et buter sur le caillou, comme un bleu. Témoignage.

Depuis un moment j’entendais les rumeurs les plus folles sur le crack. Ma curiosité toxicomaniaque en était tout émoustillée. Après 20 ans de carrière, j’avais à peu près essayé tout ce qui tourne sous le nom de drogues. Stabilisé à la méthadone, et bien que redoutant la cocaïne, je m’estimais assez aguerri pour tester en toute sécurité le mystérieux caillou.

Le discours alarmiste tenu sur le crack m’en rappelait d’autres et la perspective d’une bonne défonce sans avoir à me trouer les veines m’excitait méchamment. L’occasion de me déniaiser s’est présentée en mai. Un «pote» me proposa d’aller pécho du caillou, et vite fait mec. Le malin, connaissant le produit, avait vite compris le bénéfice à tirer de mon initiation. Car si acheter du caillou est facile, le fumer requiert de l’habileté. Bref, après dix minutes d’attente Porte de Clignancourt et en échange d’un pascal, quatre petites «plaquettes» passèrent de la bouche d’un modou aux nôtres.

En apnée

De retour dans la turne du pote, après quelques coups de cutter bien placés, la première bonbonne s’ouvrit découvrant un petit rock blanc, tendance jaunâtre ressemblant à une lamelle de savon ou à de la cire de bougie. Les yeux brillants d’excitation, mon initiateur prépare fébrilement la pipe, un doseur à pastis ébréché. Sur l’embout qui sert de fourneau il place un filtre, du fil électrique compressé, le chauffe puis pose dessus un bout du précieux caillou qui fond illico sur la ferraille incandescente. Angoisse et stupeur, le caillou se serait-il volatilisé avant même que j’ai pu en goûter?

Mon collègue cracker me rassure: le caillou à bel et bien fondu mais en s’imprégnant sur le filtre. Il ne reste plus qu’à chauffer ce bazar et en aspirer goulûment les vapeurs. Premier essai: loupé. J’ai recraché la fumée trop vite. L’autre tête à crack en profite pour me faire une démonstration gratuite: approchant la flamme du fourneau improvisé, il aspire lentement et longuement la fumée blanchâtre qui emplit le doseur, spectacle aussi fascinant que le sang remontant dans la shooteuse après la tirette.

Merde, ce mec à des poumons de plongeur! Il reste en apnée, tentant de conserver la fumée dans ses poumons. Ça commence à m’inquiéter, il devient tout blanc. Les yeux exorbités, pris de spasmes, il toussote renvoyant des volutes de fumée puis, n’y tenant plus, il recrache un monumental nuage à l’odeur âcre. Le voilà tétanisé sur sa chaise, l’air salement défoncé, un sourire béat illuminant sa face de rat, heureux.

Plutôt impressionné, je passe à mon deuxième essai. X me chauffe le caillou, j’aspire d’un seul coup toute la fumée, la retient une dizaine de secondes dans mes poumons, et soudain: paf, c’est la baffe. Ma bouche est anesthésiée, mon cerveau s’enveloppe d’une brume électrique jouissante. Tout clignote dans ma tronche. D’un robinet coule une musique superbe, tout est clair, je suis fort, le monde m’appartient. Mais pas longtemps. L’état de grâce disparaît après deux minutes. Reste une excitation proche d’un simple sniff.

Au final, l’effet du caillou fumé est très proche de celui d’un fix de coke, quoique moins puissant et peut-être plus court. Bref, c’est très bon mais pas nouveau. Après dix minutes de bavardage futile, arrive l’angoissante mais si classique descente de coke. Nous la retardons grâce à trois autres cailloux, mais sans jamais retrouver l’effet fantastique de ma première baffe

Frustré, mélancolique, je quitte X. Je n’ai plus envie de parler, je veux rester seul au calme. X ne me retient pas, et pour cause, il attend avec impatience que je me casse pour récupérer l’huile de coke qui a abondamment coulé dans le doseur. C’est l’ambiance-reine chez les crackers: «tout pour ma gueule».

La suite est moins rose. Cette petite virée m’avait redonné goût à la coke. Le mois suivant, mon salaire complet partit en fumée. A court de tunes, je commençai à emprunter, puis à utiliser le compte en banque de mon taf. De retour dans les rues mal famées, je me suis remis à galérer comme jamais. La défonce au caillou revenant très cher, je repris le shoot pour être bien sûr de ne rien perdre.

Le crash du vétéran

La descente aux enfers était bien entamée quand après une nuit chargée, je fus pris d’une crise de convulsions qui m’envoya à l’hosto. J’étais lessivé physiquement, moralement et matériellement. Contraint à l’ exil, je me remet doucement de ce crash, tentant désespérément de comprendre, comment moi, un digne vétéran des drogues, j’ai pu me faire ainsi baiser la gueule. Dans les cauchemars qui rythment mes nuits, des cailloux (inaccessibles) ont remplacé les sachets d’héro, un doseur (fêlé) la shooteuse. Seule consolation, je ne souffre pas de manque comme avec l’héro. Bof.

Flyer de RDR, édité et distribué en rave par Techno +.

Ecsta sana in corpore techno

Contre les plombs qui sautent ou le tout répression, les ravers se défendent : ils ont créé l’association Techno+. Présentation.

La techno est née au milieu des années 80 à Détroit d’un mariage entre la musique synthétique blanche et le groove black. La rave est le rituel techno où tout concourt à créer un état de transe : musique, lumière, lieu insolite, et aussi pour certains, prise de drogues.

Le principal effet del’ecstasy est de désinhiber les émotions et la communication non verbale. Il y a une forme d’équilibre entre les sons synthétiques et industriels de la techno et les émotions et sentiments amplifiés par l’ecsta.

Tendances

Le mouvement techno s’est éclaté en de nombreuses tendances : la musique, les fringues, certaines valeurs, les mots, les drogues, diffèrent suivant les tendances.

Outre l’ecsta, d’autres produits sont consommés : le LSD, le speed, la kétamine, la coco, les champignons, l’héro (sniffée pour adoucir les descentes de LSD ou de speed)…

Bien sûr, la consommation de drogues dans la techno ne se fait pas sans dommages et en 1995 une bande de ravers a créé Techno+, pour répondre à ces questions sur le plan sanitaire, pour proposer une alternative à la répression et pour favoriser l’expression de la culture techno, y compris en dehors des raves.

Nos objectifs principaux sont de permettre aux ravers usagers de gérer leur usage. Cette action s’inscrit dans le cadre de la réduction des risques (acceptation de l’usage et non-jugement) et de l’auto-support.

La grande majorité des ravers usagers de drogues pratiquent un usage récréatif et ritualisé par la rave. Nous on dit « Usage récréatif des drogues » et non usage de drogues récréatives. Car on peut faire un usage récréatif de n’importe quel produit et un usage addictif d’ecstasy. On ne parle pas non plus d’usage « abusif » : on a vu des mecs péter les plombs à leur première prise d’un quart de buvard, et d’autres en bouffer comme des smarties sans dommages importants. Nous préférons parler d’autocontrôle.

Marathon

Concernant l’ecsta, les ennuis viennent souvent de l’usage répétitif entraînant fatigue, amaigrissement, dépression, comportement agressif. Cela provient des histoires de taux de sérotonine dans le cerveau. Ces problèmes sont aggravés par les conditions de prise lors de marathons.

Notre message de prévention auprès des ravers insiste alors sur la contradiction entre leur recherche d’émotions positives et d’amour et ce qu’ils vivent : la dépression, l’agressivité.

L’autre grand problème de l’ecsta est bien sûr que c’est tout sauf de l’ecsta. L’ecsta à l’origine c’est du MDMA, mais en général, c’est aussi des amphétamines et tout un tas de trucs indéterminés, vu qu’il n’y a pas en France, pour l’instant, de politique de contrôle de la qualité des produits comme en Hollande. D’où surconsommation…

Au niveau du LSD, on voit surtout beaucoup de pétages de plomb ! Des très jeunes, vulnérables, prennent cette défonce ultra-puissante mentalement, comme ils prendraient du speed ou de l’ecsta, et ne s’en remettent pas… Le LSD est d’un excellent « rapport qualité/prix » : 50 balles un buvard, un quart de buvard faisant déjà un bon effet. C’est la défonce attitrée des très jeunes, très fauchés. Bref, il y a du boulot !

Évidemment, le Ministère de l’intérieur a utilisé le prétexte de la drogue pour taper sur la techno et les raves. Les organisateurs de raves et les médias techno ont répliqué qu’il n’y avait pas plus de drogue dans les raves qu’ailleurs. Peu crédible… À Techno+, nous avons choisi une autre stratégie. Nous avons édité des brochures d’information sur la réduction des risques. Nous avons créé un espace d’écoute et de soutien des ravers en difficulté. Nous nous sommes formés au secourisme pour assurer en cas de pépin dans les teufs. Nous nous battons pour que la qualité des produits soit contrôlée.

Associés

Bref, nous avons fait du beau travail en nous associant avec AIDES, Médecins du Monde, la Mutualité Française et de nombreuses autres associations travaillant dans la réduction des risques, mais également avec des institutions (Ministère de la Santé, CRIPS, Drogue Info Service, CFES…), nos confrères allemands (Safe Party People, Eve & Rave), anglais (Crew 2000) et français (le Tipi à Marseille, Techno+ Pays d’Oc à Montpellier, Keep Smiling à Lyon et Spiritek à Lille) Résultat des courses, on a gagné ! Ce sont maintenant les associations, soutenues par le Ministère de la Santé, qui gèrent la santé au sein de la techno, ce qui paraît normal, et le Ministre de l’intérieur a déclaré lors d’un séminaire interne sur la techno auquel nous étions conviés (13/11/97), qu’il ne s’opposerait plus aux raves intégrant le cadre légal. À voir.

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