Éditorial N°3

Par les temps qui courent, les usagers de drogue ne savent plus que penser. D’un côté, on nous souffle le chaud et de l’autre, le froid. Entre Kouchner – La Tendresse qui promet Méthadone et échange de seringues à gogo et Broussard – Père fouettard qui fulmine contre les toxicos de base et nous menace de répression tous azimuts, qui croirons-nous ?

Et, ce ne sont pas ces Messieurs du Gouvernement, Ministre de la Santé et Ministre de l’Intérieur, déclarant à l’unisson – et contre toute évidence ! qu’il n’y a pas de contradiction entre leurs politiques qui risquent d’éclairer notre lanterne : D’un côté, on déclare vouloir privilégier la prévention du SIDA et de l’autre, l’empêcher – car c’est carrément à cela que revient en fin de compte la politique de “guerre totale à la drogue” Essayez d’y comprendre quelque chose !

Mais malheureusement, les UD ont autre chose à faire de leur temps que le gaspiller à analyser les subtilités de ce casse-tête chinois version franchouillarde. Ils ont à vivre, à survivre. Face au SIDA, face à la répression, face à la misère physique et morale – c’est une question d’urgence…

Il ne s’agit plus, face aux discours contradictoires des uns et des autres, de se livrer à des décryptages byzantins des déclarations gouvernementales pour faire la part des intentions sincères et des concessions électoralistes, l’heure est à l’action.

Et l’action, pour le groupe ASUD, cela veut dire lutter pied à pied, au jour le jour, contre l’extension galopante de la contamination VIH dans nos rangs.

Cela veut dire aussi être ouvert à tous les partenariats, à toutes les initiatives – associatives, professionnelles, politiques (et peu importe qu’elles viennent de la gauche, de la droite ou du centre… N’est-ce pas Madame Barzach ?) – à toutes les expérimentations, en France et dans le monde, partout où il s’agit de nous empêcher de crever !

Pour cela, nous avons un instrument : le journal. Un journal où les UD trouveront bien sûr, comme dans nos deux premiers numéros, le maximum d’infos techniques, pratiques, de bonnes adresses et de nouvelles du front de notre lutte quotidienne contre le SIDA. Et aussi contre tout ce qui menace la vie, l’intégrité et la dignité humaine des UD. Informer, témoigner, mais aussi prendre position dans tous les débats de société qui nous concernent…

Comme aujourd’hui, sur la question (par exemple) des produits de substitution. Un terrain où, en réaction à la lamentable affaire du Temgésic.

Une remise en question que les progrès de l’épidémie du VIH rend chaque jour plus inéluctable. Aussi, nous ne l’éluderons pas, et tant pis pour l’hypocrisie d’État, tant pis pour ceux qui préfèrent se voiler la face et réaffirmer les grands principes de la Prohibition en feignant d’ignorer l’hécatombe quotidienne de ces parias qui sont pourtant leurs fils, leurs frères, leurs concitoyens…

C’est dans cet esprit de refus des tabous, d’ouverture à tous les questionnements, à toutes les possibilités de mieux-vivre pour les usagers de drogues que certains d’entre-nous se sont rendus à Montpellier pour participer à une semaine de réflexion sur la légalisation des drogues. Un débat juridique, politique et qui, en tant que tel, n’est pas à proprement parler le nôtre dans la mesure où ce qui nous préoccupe, c’est avant tout le vécu, la réalité quotidienne de la lutte contre le SIDA, contre le désespoir, en un mot contre tout ce qui, au jour le jour, ici et maintenant, nous pourrit l’existence. Mais un débat pourtant, dont nous ne devions, dont nous ne pouvions pas être absents. Nous en retranscrivons ici les points forts – à chacun de juger et, à défaut de trancher et de prendre position, de s’offrir au moins le luxe de la réflexion…

Mais s’agit-il vraiment d’un luxe ? Oui, si, comme le prétendent certains, nous ne sommes qu’un troupeau irresponsable de victimes et de délinquants, trop heureux de se voir octroyer le droit de survivre. Non, si nous arrivons enfin, malgré la répression, malgré les menaces de M. Quilès et les anathèmes de Papy Broussard, à nous considérer enfin comme une communauté, comme une minorité consciente, responsable et agissante au sein de la grande communauté des citoyens, prenant en main ses droits et son identité.

Son identité, c’est à dire aussi sa culture, qui, pas plus que la réflexion, ne constitue un luxe à nos yeux, ni n’entre en contradiction avec la priorité absolue que la situation nous oblige à donner à la prévention du SIDA. Car si la prévention du VIH, c’est d’abord, c’est avant tout, une question de seringues propres, ce n’est pas seulement cela, c’est également un état d’esprit, un mode de vie, c’est une volonté de sortir de la marginalité et d’assumer sa liberté…

C’est ce que nous, membres du Groupe ASUD, pouvons vous souhaiter de mieux pour cette année 1993…

Avec tous nos vœux

Prévention dans la rue : des infos et du matos

De plus en plus, toutes professions mêlées (médecins, travailleurs sociaux et… UD, bien sûr Auto-Support oblige !), les militants de la Prévention VIH chez les UD passent à l’action directe. C’est à dire descendent dans la rue, sur “la scène”, à la rencontre des toxicos. Pour leur parler prévention, bien sûr, pour les informer, aussi bien grâce au dialogue direct, engagé dans la rue, aux abords immédiats des différents “souks à la défonce” qu’en leur distribuant les différentes brochures des organisations anti-SIDA et, évidemment, des numéros d’ASUD journal.

Mais, depuis quelque temps, à côté de ces actions “informations”, on voit, aux quatre coins de Paris et de la banlieue, on voit se développer des opérations visant à passer à la vitesse supérieure : c’est à dire à la distribution, sur le terrain, là où sont les toxicos, de matériel de prévention : désinfectant pour seringues, seringues stériles (échange contre des seringues usagées), préservatifs, et – c’est la nouvelle tendance qui semble se développer depuis peu – Kits prévention complets, avec seringues, capotes, tampons d’alcool etc…

Pour les lecteurs d’ASUD journal, nous avons voulu essayer de faire le point de ces différentes initiatives.

1°) Les flacons désinfectants

Une initiative originale, et en tout cas, nouvelle dans notre pays, où elle ne se développe – avec succès – que depuis quelques semaines ? À la base, une idée typiquement empreinte de ce réalisme et de ce pragmatisme qui caractérisent la philosophie de la “réduction des risques” ! Une idée née d’une simple constatation faite sur le terrain, au cours des contacts établis avec les toxicos à l’occasion, par exemple, d’opérations d’échanges de seringues.

À savoir que, même informés et convaincus de la nécessité absolue d’utiliser une pompe neuve et stérile par personne et par shoot, il peut arriver – et il n’arrive que trop souvent – à des usagers (et surtout aux plus démunis d’entre-eux, à ces “galériens” de la rue et des squatts auxquels ce genre d’action s’adresse en priorité) de se trouver avec de la dope, mais pas de pompe stérile – en tout cas pas une par usager – et aucun moyen de s’en procurer rapidement (pharmacies fermées, ou trop éloignées, plus de fric, etc.). Dans ce cas, surtout pour peu que le manque se fasse sentir, le choix est malheureusement vite fait entre la perspective “lointaine” d’une contamination VIH et l’urgence immmédiate du manque et du képa de came qui vous brûle la poche : on partage sa pompe avec les copains de galère, séropo ou pas (mieux vaut pas le savoir !) ou, pire encore, on se sert de la première vieille shooteuse ramassée dans une cage d’escalier… La suite, on la connaît bonjour le SIDA.

C’est pour remédier à ce réflexe trop souvent constaté auprès des usagers de la rue, partagés entre l’urgence du shoot et le danger de contamination, que des médecins et des travailleurs sociaux, notamment ceux du “Préser-Bus du 93”, et de l’Association EGO, dans le 18ème arrondissement de Paris ont eu l’idée de distribuer massivement dans leurs secteurs (des points hyper chauds de Paris et sa banlieue) de petits flacons contenant de l’eau de javel. Celle-ci, aspirée puis gardée quelques secondes dans la seringue souillée, qu’on nettoie ensuite soigneusement à l’eau, suffit à la stériliser de toute façon avant chaque shoot… Un moyen de prévention empirique, mais efficace.

Fait prisé en tout cas des usagers, puisqu’en quelques jours, des centaines de petits flacons de javel, distribués dans la rue, mais aussi dans certaines pharmacies et même dans des squats chauds, se sont littéralement arrachés parmi les toxicos du coin… Ce qui prouve au passage que ces plus démunis parmi les usagers, véritables parias parmi les parias, sont tout aussi sensibles que les autres à la nécessaire prévention du VIH : il suffit de leur en donner les moyens. C’est chose faite avec ces petits flacons de javel. Espérons seulement que cette initiative donnera des idées à tous les usagers en panne de seringue neuve : si la pharmacie du coin ferme à 20h, ce n’est pas le cas des épiceries de quartier qui auront toujours une bouteille de javel “de derrière les fagots”.

2°) Les Kits

Conscients que la prévention du VIH ne s’arrêtait pas au seul problème seringue neuve stérile ou non, de plus en plus d’intervenants, professionnels, usagers ou associations de quartiers, ont compris que celle-ci, pour être efficace, devait porter sur l’ensemble du matériel utilisé par l’usager pour préparer son shoot – sans oublier l’aspect sexuel : à quoi sert en effet de “fixer propre”, si, une fois cassé, c’est pour se contaminer en négligeant de protéger ses rapports sexuels ?

D’où l’idée, qui sera bientôt mise en œuvre, de distribuer (dans les pharmacies, dans la rue, sur les lieux où se pratiquent déjà les échanges de seringues) aux usagers des kits-prévention comportant, outre une ou 2 seringues neuves, l’ensemble (coton, eau distillée, acide citrique) du matériel nécessaire à la préparation du shoot, plus des tampons alcoolisés (pour nettoyer la peau avant et après l’injection) et… des préservatifs – le tout dans un emballage jetable, de préférence d’un aspect attrayants.

Plusieurs de ces kits sont actuellement à l’étude, et seront bientôt distribués dans les rues de nos villes.

Nous vous les présenterons dans le N°4 de ce journal, avec nos appréciations pratiques d’usagers et nos suggestions pour d’éventuelles améliorations. Un véritable banc d’essai, en somme… Rendez-vous le mois prochain dans ASUD journal.

VIH et nutrition

Dans toutes les civilisations du monde, le repas a toujours été le lieu par excellence de la convivialité. Un moment privilégié où l’on se retrouve entre amis, l’occasion de festivités familiales – d’un échange entre l’individu et son environnement tant humain que matériel.

Le repas, ce n’est donc pas seulement se nourrir, diversifier ses aliments en assurant la richesse qualitative des apports nutritifs, c’est aussi ne pas se nourrir triste. Pour les personnes atteintes par le VIH, cette notion de plaisir ne doit pas être sous-estimée, car le phénomène de malnutrition (anorexie) et les carences protéino-énergétiques (avec leurs conséquences sur l’apparition et le développement de la maladie) sont à prendre en compte. Aussi est-il important de retrouver l’appétit, le manque d’attrait pour la nourriture et de plaisir à déguster pouvant entraîner des effets dramatiques.

Dans cette optique, et d’après les travaux du Dr. Bourges endocrinologue-nutritionniste, nous avons sélectionné une série de conseils pratiques à la fois pour restaurer l’appétit altéré par certains troubles liés au VIH et pour assurer une alimentation variée et équilibrée.

Bien qu’il ne soit pas inutile de consulter éventuellement un spécialiste en nutrition ayant une connaissance du VIH, il est en effet possible au séropositif de s’auto-médiquer dans ce domaine. Une auto-médication qui dans son cas est loin d’être anodine, le système immunitaire pouvant pâtir d’éventuelles erreurs. Pour les éviter, il est indispensable de posséder quelques bases.

Notamment concernant les principaux éléments qui jouent un rôle lors de l’infection HIV.

Les vitamines

En plus de l’apport équilibré de protéines, complètes comme incomplètes, il faut un apport de vitamines A, B, C, D, E, AC panthoténique.

La vitamine C améliore en effet la mobilité de certains globules blancs et augmente le pouvoir destructeur des bactéries. Mais cet effet plafonne au-delà d’lg de vitamine C par jour, cette dernière ne peut être stockée dans l’organisme qui s’autodétruit naturellement. En revanche, tandis que sa carence peut favoriser la multiplication de certaines germes, un apport excessif de cette vitamine augmente le taux du cholestérol et détruit la vitamine B12, elle est aussi essentielle. La vitamine C’est présente dans les oranges, les citrons et les pamplemousses etc… et dans certains légumes frais.

Les vitamines du groupe B sont très importantes, car leur déficit entraîne une atrophie des tissus lymphoïdes et une baisse des lymphocytes. On en trouve :

  • VIT B1 : viande, poissons légumineuses, amandes, pain, céréales
  • VIT B2 : viande légumineuse et noix

La vitamine D : Sa carence induit une diminution sélective des T4 en nombre et en fonction. On la trouve dans le lait, le yaourt, et le fromage.

Certains éléments minéraux ont aussi une importance capitale.

Le Zinc (Zn)

Présent dans les huiles et dans les produits de la mer, le Zinc a un effet positif sur les leucocytes CD4, les fameux T4 source de tant d’angoisse chez les séropositifs, probablement par le biais de l’hormone du thymus. Le manque de Zinc se manifeste par des retards de cicatrisations, des éruptions cutanées, des troubles du goût (dégoût de la viande, par exemple), des aphtes, des troubles de la sudation, une fréquence accrue des candidoses digestives, herpès et infections anorectales.

On trouve du zinc dans : le lait, le yaourt, le fromage, les poissons et fruits de mer, les légumineuses poix, fèves, lentilles (et autres haricots), les amandes et noix, le pain complet.

Le Fer

Sa carence est parfois constatée au cours du SIDA. Elle provoque un état anémique (anorexie et asthénie).

Important : il faut pourtant savoir qu’un apport de fer ne corrige pas une anémie causée par la prise quotidienne d’AZT. Le fer a le même effet bénéfique que le zinc sur les candidoses digestives et l’herpès. Mais il ne faut pas oublier que des doses trop élevées de fer peuvent aussi stimuler la croissance de certains germes. Parmi les sources alimentaires contenant du fer, on peut citer : les viandes, le foie, les lentilles, les légumes, le pain, les céréales, les fruits. Le Sélénium (SE), quant à lui, participe à plus d’une centaine de réactions enzymatiques. En tant qu’anti-oxydation, qui détruit certains anticorps, le sélénium participe à la destruction de certains des plus toxiques parmi les déchets produits par l’oxygène que nous respirons. Le sélénium stimule le système immunitaire, ce qui le rend évidemment précieux pour les séropositifs et les malades du SIDA. On constate d’ailleurs un déficit du sélénium dans l’organisme au cours de l’évolution de la phase de séropositivité asymptomatiques vers le déclenchement de la phase évolutive de la maladie ARC et SIDA. Mais là comme ailleurs attention à l’auto-médication anarchique : sélénium est un métal hautement toxique à fortes doses. Les aliments contenant du sélénium sont : poissons, légumineuses, noix, amandes, pain complet, céréales, viandes…

Quelques conseils

Si vous avez des problèmes de mycose buccale, souvent responsables des pertes de l’appétit, pensez d’abord à consulter un médecin. Cela dit, il existe des médicaments pour soigner ce genre d’infections :

  • Daktarin : en gel ou bien en comprimés (prendre trois fois par jour et laisser fondre trois minutes dans la bouche avant d’avaler).
  • Trifulcan : prendre en complément des granulés effervescents de motilium pour éviter les nausées que peut provoquer ce médicament.

D’une façon générale, veiller à :

  • Faire cuire suffisamment viandes rouges et légumes.
  • Manger des fruits, mais en prenant soin de bien laver à l’eau (germes etc…).
  • Manger des fromages en privilégiant les pâtes molles (gruyère, gouda etc…).
  • Éviter les œufs à cause des risques de salmonellose.
  • Ne pas craindre de consommer des surgelés.

Et surtout, pour garder l’appétit et pouvoir ainsi fournir à votre organisme les apports nutritionnels susceptibles de le soutenir dans sa résistance au virus, prenez soin de bien préserver cette espace de plaisir et de convivialité que doit être le repas.

Bon appétit !

Brésil : les UD de Sao Paulo interdits de prévention sida

Lorsque, pour tenter de parer à l’inquiétante progression du SIDA chez les UD locaux, les autorités sanitaires municipales de Sao Paulo, au Brésil, ont dès 1988 commencé à monter des programmer d’échange de seringues, ceux-ci ont été autoritairement interrompus par la justice fédérale.

Pourtant, et avec la bénédiction d’une municipalité consciente du danger de l’épidémie, les opérateurs de ces programmes ont passé outre. En riposte à quoi, la justice a engagé des poursuites contre la ville.

Et aujourd’hui, elle lui présente l’addition-exorbitante : 100.000 dollars environ par journée d’activité des programmes d’échanges en contravention avec la décision judiciaire.

Il est clair que cette peine d’amende fait délibérément obstacle à la prévention du SIDA chez une population d’UD au mode de vie naturellement marginal et précaire.

En somme, une version soft, légale, des exactions de ces groupes armés spécialisés dans l’extermination des gosses des rues, délinquants juvéniles et autres marginaux. Rien de bien étonnant malheureusement : n’oublions pas que le pays de la samba est aussi celui de ces fameux “Escadrons de la mort”.

Ibogaïne aux USA

La dépendance aux opiacés et à la cocaïne soignée grâce à l’ibogaïne, un produit tiré de l’iboga, drogue traditionnelle des sorciers camerounais.

C’est la solution que proposent, à l’initiative des groupes d’autosupport d’usagers de drogues, certains thérapeutes américains. Bien que l’ibogaïne soit actuellement très difficile à trouver aux USA, de nombreux spécialistes US se font les avocats d’une extension de son usage thérapeutique.

Dans la mesure où ce produit, malgré son actuel statut de semi-clandestinité ni légal ni illégal, ne figure pas non plus sur la liste américaine des stupéfiants, il semble que le NIDA (National Institute on Drug Abuse), qui est le plus important organisme spécialisé aux USA, ait donné son feu vert a des programmes prioritaires de recherche et d’expérimentation sur l’ibogaïne. La raison de cet empressement ? C’est que les pontes du NIDA se sont aperçus que cette drogue africaine peut jouer un rôle important dans la prévention du Sida en détournant les UD, à la fois de la pratique du shoot et de la consommation de la came frelatée des rues américaines, dont on pense par ailleurs qu’elle contribue à déprimer le système immunitaire.

Par ailleurs, l’Université de Miami a annoncé qu’elle commencerait dès le début 93 une série d’expérimentations cliniques de l’ibogaïne sur les personnes dépendantes de la coke…

Coke et héro : Une ambivalence qui pourrait surprendre au premier abord, la coke ayant un effet stimulant alors que celui des opiacés est sédatif…

Elle s’explique par le fait que ces deux types de produits, chacun à sa façon, partagent la caractéristique d’activer la production de dopamine dans le cerveau, la dopamine étant la substance chimique qui produit la sensation d’euphorie caractéristique des stupéfiants. C’est précisément à ce niveau qu’agit l’ibogaïne. Affaire à suivre.

Boom de la toxicomanie en Inde

Toxicomanie de masse, explosion de la contamination intraveineuse du SIDA, et de la criminalité liée au trafic clandestin de l’héroïne : l’Inde se découvre un sérieux problème de drogue. Et commence à s’en inquiéter au plus haut niveau.

Dans un pays dont la traditionnelle tolérance en matière d’usage de stups faisait une sorte de paradis pour les défoncés du monde entier, on comprend mal au premier abord pourquoi cette pratique est soudain perçue et dénoncée comme un problème. Et tous les vieux de la vieille des années 70, qui se sont enfumés les poumons à Manali, bronzé les fesses à Goa, troué les veines à Bénarès et explosé la tête un peu partout de l’Himalaya au Cap Comorin, s’en étonneront sans doute.

Mais ce que nos routards ne saisissent peut-être pas, c’est qu’un fait nouveau a bouleversé toutes les données en la matière. À savoir, le développement sous l’influence conjointe des lois répressives de la fin des années 70 d’une part, et de la guerre dans l’Afghanistan voisin d’autre part, d’un trafic et d’une toxicomanie locales. Une toxicomanie dure, au brown sugar fumé ou shooté dans des conditions apocalyptiques par une population d’UD urbaine, juvénile et prolétarisée. Plus rien à voir avec la consommation traditionnelle de shit et d’opium. Ni avec l’héro ou la morphine qui, jusque là, ne faisaient que transiter par le pays et dont la consommation, objet d’une tolérance de fait, était l’apanage presque exclusif des touristes étrangers pourvoyeurs de devises.

Aujourd’hui, le brown sugar (et même la blanche) importé du Pakistan ou produit sur place comme à Bénarès, envahit les bidonvilles des grandes cités indiennes. Et, sans même parler des problèmes sanitaires (dont évidemment le SIDA), y provoque une explosion de criminalité tout naturellement liée au trafic, lui-même stimulé par l’attitude d’une police souvent corrompue et dont la répression à outrance fait payer les complaisances à prix d’or.

Résultat : « Eh bien par exemple », déclare au magazine “Interdépendances”, M. Gabriel Britto, directeur du NARC, un organisme semi-officiel de recherche sur la toxicomanie, « Nous avons pu observer environ 100.000 toxicomanes rien qu’à Bombay… Une situation d’autant plus grave que nombre d’entre eux sont contaminés par le VIH. Ainsi, une étude réalisée dans l’Etat du Manipur à l’Est du pays, sur 900 toxicomanes, a révélé que 50 % d’entre eux étaient séropositifs…» On imagine aisément le désastre à l’échelle d’un pays de plus de 700 millions d’habitants dont l’immense majorité vit au dessous du seuil de pauvreté…

Les raisons de ce relativement brusque essor de la “toxicomanie” sont en grande partie d’ordre international. La guerre en Afghanistan tout d’abord qui depuis 1979, a poussé les différentes factions de guérilleros en quête de financement à multiplier les centres de production de brown dans tout le pays. Une production jusque là modeste et cantonnée dans les zones tribales de la frontière pakistano-afghane et qui, en s’intensifiant jusqu’à un niveau quasi industriel, a dû se trouver des débouchés autres que les pays occidentaux ou l’Iran et le Pakistan voisin. L’Inde était d’autant plus indiquée pour tenir ce rôle que l’afflux massif de réfugiés a permis à nombre de caïds afghans de la dope de s’y infiltrer pour venir sur place y faire leur business, en collaboration – ou en concurrence – avec les mafias locales.

À l’autre extrémité du pays, tout à l’Est, le Myanmar (ex-Birmanie) – un des trois côtés du fameux “Triangle d’or” – a joué un rôle à peu près similaire, bien qu’à une échelle plus réduite et seulement pour l’héroïne blanche.

Troisième facteur, enfin, le développement du commerce avec l’Australie. Celle-ci produit, exporte et vend au gouvernement indien une production d’opium capable, tant au point de vue prix qu’au point de vue qualité, de concurrencer celle que les cultivateurs indiens de pavot écoulaient pour les besoins des industries pharmaceutiques nationales. Lesdits cultivateurs se trouvant dès lors en difficulté pour écouler un volume par ailleurs croissant de production, ont donc cherché d’autres débouchés, même illégaux, pour leur opium. Et les ont facilement trouvés – sur place, dans un trafic clandestin en pleine expansion.

Cette expansion du trafic, et donc de la consommation locale, est bien sûr également liée au développement de conditions sociales particulières… Et peut-être pourrait-on se demander si le brusque durcissement des lois et de la répression à la fin des années 70 n’y a pas tenu une certaine place. Hypothèse corroborée par l’explosion spectaculaire de la consommation d’héroïne entre 1977 et 1979. C’est à dire avant et après la vague de répression en question… Quoiqu’il en soit une chose est désormais certaine : ce n’est pas en réprimant que l’Inde conjurera la caractère angoissant de l’actuelle vague de toxicomanie…

Et peut-être une part de la solution réside-t-elle en germe dans un travail de recherche, d’information et de prévention en vue d’un traitement non plus policier mais sanitaire et social du problème.

C’est ce à quoi se consacrent Gabriel Britto et sa petite équipe du NARC. Et il serait intéressant de savoir quelles conclusions ils tireront de leurs recherches quand celles-ci les amèneront à constater la simultanéité de phénomènes comme le durcissement de la répression, la fermeture des traditionnelles boutiques d’opium et de cannabis ainsi que des fumeries, avec la progression soudaine et galopante de la consommation – notamment intraveineuse d’héroïne…

À l’échelle d’un pays comme l’Inde, il y aura certainement de quoi s’interroger sur l’incidence de la prohibition et de la répression – le malheur c’est que d’ici là, ils seront des dizaines, des centaines peut-être des milliers d’indiens à se retrouver contaminés par le virus du SIDA…

IDUN un réseau mondial

À côté d’EIGDU, il existe maintenant un réseau mondial des usagers de drogues. Celui-ci est né en mars 92, à Melbourne en Australie, à la première conférence des UD par voie intraveineuse, qui a réuni plus de 50 personnes venues des cinq continents.

Son nom : IDUN, International Drug Users Network (réseau international des usagers de drogues).

Malgré les difficultés de communication – entre autres – qui ralentissent inévitablement la matérialisation et la mise en action d’un tel réseau, certains des membres fondateurs d’IDUN ont annoncé à leurs camarades européens d’EIGDU qu’ils étaient en train de préparer « un rapport annuel sur les UD intraveineuses et le VIH dans le plus grand nombre possible de pays » et que ce rapport serait présenté en mars 93 à la 4ème Conférence Internationale pour la Réduction des risques, qui aura lieu à Rotterdam et abritera également après celle de Melbourne l’année précédente, la seconde conférence mondiale des UDVI.

Souhaitons donc bonne chance et longue vie à IDUN, avec lequel ASUD souhaite bien sûr entrer en contact le plus vite possible.

Le réseau européen des groupes d’auto‑support (EIGDU)

Le Congrès de Berlin et la formation du Réseau

Le Réseau existe depuis décembre 1990, lorsque 30 usagers de drogues de sept pays européens se réunirent à Berlin à l’initiative du groupe d’auto-support allemand J.E.S. (“Junkies, Ex-junkies, Substitutes”).

Ce premier congrès se donna pour tâche de développer un réseau européen des groupes d’auto-support existants et de stimuler la formation de tels groupes dans les pays où il n’en existait pas.

Il a mis en chantier trois projets, dont le premier est de préparer une déclaration européenne qui sera adoptée au 2ème Congrès, réunissant 49 participants à Berlin en décembre 1991. Les principales revendications de cette déclaration portent sur la facilitation de l’accès aux soins des personnes atteintes et le renforcement de la prévention du VIH chez les usagers.

Le deuxième projet est de doter le réseau d’une existence légale et d’une structure permanente, avec un secrétariat dont le siège était fixé à Amsterdam, et transféré cette année à Amsterdam. C’est ainsi qu’au 2ème Congrès un Bureau (“General Board”) fut élu afin d’assurer la continuité du travail entre chaque congrès.

Le troisième projet est de préparer un mémorandum sur la situation des usagers de drogues dans les douze pays de la Communauté européenne et les Pays de l’Est. Ce mémorandum s’est achevé au Congrès de Vérone, au mois de décembre 92.

À ce jour, 27 groupes d’auto-support sont membres de ce Réseau.

Raisons d’être et revendications

EIGDU est donc né de l’initiative et par la volonté des usagers pour faire face à l’inefficacité et au peu de moyens mis en œuvre pour arrêter la progression de l’infection à VIH, ainsi que pour faciliter l’accès aux soins de ceux qui sont atteints, dans le contexte des conditions déplorables dans lesquelles vit l’écrasante majorité des usagers européens. Pour y parvenir, EIGDU se fixait quatre objectifs principaux :

Accélérer la mise en place des politiques et projets de réduction des risques.

  • Provoquer la renégociation des conventions internationales relatives à le drogue, en vue de donner la priorité à la lutte contre le sida au lieu de la “guerre à la drogue”, comme c’est le cas actuellement. Une guerre qui, pensent-ils, contrecarre à beaucoup d’égards les efforts de prévention du sida.
  • Faciliter l’accès aux soins des usagers vivant avec le VIH, séropositifs ou malades, surtout ceux qui sont incarcérés.
  • Être reconnus par leurs gouvernements respectifs comme partenaires privilégiés pour tout ce qui concerne la prévention du sida dans leur communauté.

EIGDU se donne pour tâche à la fois d’organiser les usagers de drogues dans les pays où ils ne sont pas encore organisés, en vue de faire pression sur « ceux qui prennent des décisions concernant nos vies et leur dire que nous sommes là. Vous devez parler avec nous, nous avons une expérience de laquelle il y a beaucoup à apprendre » (John Mordaunt, Mainliners)

L’idée est de se constituer là où cela est possible, à l’échelle locale, nationale ou européenne, en groupe de pression et de lobbying.

Depuis 1992, s’est aussi constitué un Réseau mondial d’auto-support d’usagers de drogues (“International Drug Users Network”), ce à l’occasion de la 3ème Conférence internationale sur la réduction des risques pour ces mêmes usagers (Melbourne, Australie), auquel EIGDU a adhéré, notamment avec des groupes d’Australie et des États-Unis.

EIGDU est également reconnu par la Communauté européenne et l’OMS.

Faut-il légaliser les drogues ?

C’est sur ce thème que trois membres d’ASUD ont été invités à débattre avec quelques unes des plus grandes sommités françaises de la question, réunies une semaine durant à Montpellier.

L’intervention d’ASUD le premier décembre à Montpellier fut pour nous l’occasion de se frotter au public et d’entériner deux constats : d’une part que le groupe ASUD joue désormais dans la cour des grands ; et d’autre part que la parole des usagers de drogues est non seulement irréductible, mais nécessaire à l’élaboration des politiques de santé publique.

Enfin, si cette journée mettait en exergue les relations drogues-sida, l’ensemble des débats d’une semaine commencée le 25 novembre pointe notamment le fait que la lutte contre le SIDA nécessite une démarginalisation des “toxicomanes” et la reconnaissance des droits de l’usager, en particulier celui d’être soigné sans restriction ni contrainte.

On dit de Montpellier qu’elle héberge les plus belles filles de France. Son maire quant à lui prétend qu’elle est surdouée… C’est vrai qu’au premier abord la mariée a de l’allure et que nombre de visiteurs en tombent amoureux… Mais l’astiquage de vieilles pierres et les réalisations de prestige ne mettent que mieux en évidence la pauvreté des uns côtoyant l’opulence des autres dans un des centre ville aseptisé où les dealers de rue suscitent la peur et le rejet, le réflexe sécuritaire. Tout cela est bien banal, hélas ; comme l’est également le glissement révélateur des mots qui nomment aujourd’hui “problèmes sociaux” ce qu’on appelait hier “la question sociale”. Et quelle meilleure illustration de ces problèmes sociaux que la politique des drogues, engluée depuis 1985 dans l’épidémie de SIDA, rebondissant sur le scandale politico-médical du sang contaminé ?

Aussi, ces manifestations montpelliéraines organisées en des lieux tels qu’une librairie, un cinéma, une salle de concert, un palais des congrès avaient-elles plusieurs buts :

  • Renouer avec le débat public.
  • Apporter une information pluraliste sur la question des drogues.
  • Donner la parole aux usagers.

Le public : premier intervenant

La drogue est un sujet multiple où la simplification n’est pas de mise. Aussi la formule retenue fut-elle d’organiser des débats thématiques avec des spécialistes et d’alterner les lieux de rencontres : Aspects juridiques, en ouverture à la FNAC, avec Francis Caballero (professeur de droit et avocat), Film (27 heures) et débat sur “les dépendances” au Diagonal Paillad avec Jean Louis Fregine (éducateur) et Alain Rouge (sociologue) ; Aspects économiques et Géopolitiques avec Yves Le Bonniec (journaliste et écrivain) et Ricardo Parvex (directeur d’Interdépendances) ; Exposition (photos, dessins, fresque), concert Rock et rencontre informelle à Victoire 2 avec Jean Pierre Galland (président du CIRC) et Robert Bres (psychiatre) ; Film L627 et débat sur la “prohibition” avec Michel Alexandre (policier et scénariste du film) et Michel Ripstein (psychiatre) ; Aspects sanitaires et sociaux, politiques et philosophiques avec Isabelle Stengers (philosophe des Sciences), Anne Coppel (sociologue), Marc Valeur (psychiatre), Alain Morel (psychiatre et président de l’ANIT), Philippe Marchenay et Rodolphe Mas (ASUD), au Corum. Tous les débats étaient animés par des journalistes et une géographe de la Santé.

Si chacun pouvait constater l’éclectisme dans la composition du public et la passion dans les débats, force est de constater également l’absence des responsables politiques locaux. « ça montre leur incompétence, leur peur de perdre des voix, mais ils se plantent », analyse le patron du cinéma Diagonal. « Pour un élu, la moindre des choses quand il y a un débat social, c’est d’être présent ». Avis partagé par le directeur du CRIJ qui voit là « un dysfonctionnement sur le plan social et démocratique ». Quant aux intervenants en toxicomanie de la région (CORIFET), coorganisateurs de la semaine, s’ils sont traditionnellement hostiles à la légalisation, ils n’en sont pas moins ouverts au débat. « Nous sommes en général pour la dépénalisation (“la civilisation” dira Robert Bres), c’est à dire contre la répression, explique Jean Marie Ferrari. J’ai beaucoup appris cette semaine, en particulier la nécessité de laisser un espace de parole aux toxicomanes car ce n’est pas à nous de parler à leur place,(…) Travailler avec un Groupe ASUD à Montpeller, oui. Mais en définissant d’abord et ensemble des modes d’intervention. C’est à dire ne pas pervertir cela en versant dans le prosélytisme et faire en sorte que chacun reste à sa place ».

Drogues et SIDA (Francis Caballero)

Partisan d’une légalisation contrôlée des drogues, Francis Caballero inscrit de plus en plus son discours dans l’urgence que constitue la lutte contre le SIDA. S’appuyant sur la tardive – selon lui – légalisation de la vente des seringues, il dénonce vigoureusement l’incurie de l’état, l’irresponsabilité de la classe politique et l’ostracisme de la société française envers les toxicomanes. Extrait :

« À partir du début des années 1980 on commence à savoir que le SIDA se propage par l’échange de seringues. En 1985 on commence à se poser la question de la légalisation de la vente des seringues (Le Monde du 30/08/85). Or, le décret Barzach n’intervient que le 13 mai 1987.

Cette mesure va être retardée et deux gouvernements sont en cause dans ce retard : Fabius-Dufoix puis Chirac-Barzach.

Selon les statistiques de l’OMS concernant les SIDA déclarés chez les toxicomanes, d’après mes calculs j’évalue qu’entre aout 85 et mai 87, entre 400 et 1000 personnes vont être contaminées parce que les politiques ne vont pas prendre la mesure de la légalisation de la vente des seringues. »

Le Docteur Curtet, conseiller de la D.G.L.D.T. écrit dans le Quotidien du Médecin, le 3 mars 86 « La majorité des toxicomanes continuerait à partager les seringues si la vente devenait libre ». Puis dans le quotidien du pharmacien le 18 aout 86 : « Cette mesure préviendrait un peu le SIDA mais favoriserait l’accès aux toxicomanies par voie injectable ».

Fabius avait pour sa part annoncé : « Sous mon gouvernement on ne légalisera pas la vente des seringues ».

« Or, le jour où on légalise la vente des seringues une étude épidémiologique montre que 40 % des toxicomanes n’échangeraient plus, leurs seringues (R. Ingold, INSERM). La presse va trouver cette mesure courageuse et pratiquement personne ne la critiquera. Pour terminer sur la responsabilité des hommes politiques sur cette affaire de comparaison hémophiles-toxicomanes, je dis ceci : techniquement la mesure de la légalisation de la vente des seringues est très simple, c’est une mesure réglementaire qui prend une ligne en abrogeant le décret Boulin de 1973. C’est donc une responsabilité pure. Alors les gens qui ont bonne conscience, les “Curtet” qui ont fait pression, qui ont dit « Il ne faut pas légaliser » ont du sang sur les mains et sont responsables de la contamination de 400 à 1000 personnes. Peut-être pas coupables… Encore qu’un procès serait fort intéressant techniquement ; on accuse les politiques d’une responsabilité qu’ils n’ont pas dans le dossier des hémophiles parce que la presse est comme cela, et on n’accuse pas les politiques des responsabilités qu’ils ont dans le dossier des toxicomanes. Pourquoi ? C’est parce que le toxicomane tout le monde s’en fout ; tout çà c’est de la racaille et, qu’après tout, s’ils ont le SIDA c’est bien de leur faute.

Le seul problème c’est que le sang des toxicomanes qu’on a au passage incarcérés – car non seulement on les a rendus séropositifs, mais on les incarcère ! il a été prélevé en prison et redistribué aux hémophiles. Au fond, quand la société méprise un groupe à risque comme le groupe des toxicomanes, le sang des toxicomanes retombe sur les hémophiles et sur la société française.

Quand on arrive avec les meilleures intentions du monde – pas de seringues = pas de toxicomanes – à une politique prohibitionniste d’interdiction de la vente des seringues, ça ne marche pas, c’est faux, c’est mal conçu et on menace la santé publique, et je pense que cela on pourrait peut-être répondre un jour. »

A contrario des rendez-vous précédents la rencontre au Corum à l’occasion de la journée mondiale du SIDA était plus empreinte de gravité, de sérénité que de passion et de contradictions. Nous en publions quelques extraits en ne retenant que les interventions d’Isabelle Stengers, Anne Coppel, Alain Morel et Marc Valeur, conservant l’initiative avec ASUD et le public montpellierain de revenir sur ces journées dans un prochain numéro, avec en particulier un bilan des suites données et des projets, en cours et à venir.

Est-ce qu’il faut s’appuyer sur le sida pour parler de la légalisation des drogues ? (Isabelle Stengers)

« On peut le regretter et on peut dire que çà n’a pas été le cas partout puisqu’aux Pays-Bas les seuls risques sociaux, comme la criminalité, la délinquance et les risques sanitaires comme l’hépatite C ont suffi dès le début des années 80 à ce que la politique hollandaise s’embarque dans ce qui peut déjà s’appeler une réduction des risques, à la fois médicaux et sociaux.

On peut dire que la drogue joue comme un symptôme pour notre démocratie dans la mesure où les toxicomanes et usagers nombreux ne désirant pas s’engager dans la voie de la désintoxication et du sevrage étaient tout bonnement invisibles ; et on n’en parlait plus. Les rendre visibles a été une stratégie positive et un bien en soi poursuivi par les néerlandais. Il y a là une leçon de démocratie qui nous vient du Nord. Maintenant qu’il y a le SIDA et qu’on ne peut plus maintenir dans l’invisibilité tous ces usagers et toxicomanes puisqu’ils font courir des risques de mort désignables à eux-mêmes – et pire, aux gens en bonne santé – eh bien, on peut le regretter. On peut ne pas oublier cette histoire, c’est à dire savoir avec humilité à quel point nos capacités d’occultation des problèmes peuvent être élevées et raconter aux enfants des écoles les faiblesses de nos démocraties.

Le seul point sur lequel je pense qu’il peut y avoir une tension forte est le suivant : est-ce que la réduction des risques va se limiter à une politique médicale où justement on ne parle de la drogue que comme d’un mal malheureusement incontournable et dont on ne s’occupe que par rapport aux risques ou bien est-ce que d’une manière ou d’une autre, d’une manière lente, d’une manière difficile nous allons aussi apprendre – pas nous tous – à vivre avec les drogues, avec les dangers des drogues, ou que cette possibilité d’apprendre va se dérouler sur des pans qui ne soient pas uniquement médicaux, mais aussi de socialisation, mais aussi culturel. »

Quelle légalisation ?

Anne Coppel :

« Personne – y compris les Pays-Bas – ne veut mettre à l’heure actuelle l’héroïne en vente libre dans des supermarchés. Ce qu’on essaie de faire c’est des expérimentations de contrôle des produits. Il y a sept projets de programmes d’héroïne en Europe, limités à des personnes pour lesquelles les autres solutions n’ont pas fonctionné. Ce sont donc des tentatives de contrôle auxquelles nous devons être attentifs, les regarder avec l’esprit clair en se demandant quels sont les avantages et quels sont les inconvénients. Et nous-mêmes ne pas avoir peur d’expérimenter car on peut prendre autant de risques que les risques qu’encourent les toxicomanes. »

Marc Valeur :

« L’héroïne n’est pas un produit anodin. Personne ne pense qu’il faut mettre cela dans des bureaux de tabac. Il s’agit de réfléchir : comment revenir en arrière sur les excès de la prohibition – et pas de promouvoir un usage généralisé. Pour le moment le seul mode imaginable de contrôle est un contrôle médical de distribution des substances. Il pourrait y avoir – et il faut espérer que le débat ira jusque là – des réflexions sur des modes non-médicaux de contrôle, comme l’équivalent de ce qui a existé longtemps avec les fumeries d’opium. Le problème c’est que la prescription médicale est née de l’interdiction des drogues. C’est quelque chose qui est mal connu mais en 1916, après l’interdiction des drogues aux États-Unis, quand pour avoir un médicament le citoyen était obligé de faire appel au médecin, c’est parce que l’opium a été interdit. Et donc la prescription médicale telle qu’on la connait est née d’une prohibition qui n’avait pas comme source une demande réellement médicale. On hérite aujourd’hui de ce problème là et pour les médecins c’est un problème extrêmement complexe. Encore plus pour les spécialistes de la toxicomanie dont le métier est d’aider les gens à s’en sortir et les accompagner pour qu’ils puissent changer quand ils veulent changer et à qui ça fait particulièrement mal au cœur de se dire qu’on va peut-être se retrouver obligés, nous, de donner des produits si personne d’autre n’accepte de le faire si ça décoince pas par ailleurs, et on va se retrouver dans la situation de l’alcoologue qui prescrirait de l’alcool ou du cancérologue qui prescrirait du tabac. C’est vrai que ce n’est pas de gaieté de cœur qu’on fait ces révisions sur nos pratiques. »

Alain Morel :

« (…)

Il me semble qu’on est à peu près d’accord – çà ne veut pas dire que la France entière est d’accord – mais en tout cas à cette table on est à peu près d’accord sur le fait que premièrement : desserrons l’étau répressif de la surpénalisation – pour ne pas dire un autre mot – qu’on connaît notamment en France. C’est la seule manière d’arriver à ce que concrètement on se pose d’autres questions. Mais ces autres questions qui viennent après, que l’on met sous un terme générique de légalisation ou de distribution contrôlée ect… ne sont pas moins problématiques. La question est de savoir quel contrôle, parce qu’il en faut un. Parce d’une part les laboratoires pharmaceutiques vont continuer de produire des produits de plus en plus actifs, de plus en plus nombreux, et parce qu’il y a, d’autre part, cette généralisation de l’utilisation culturelle de la phamarcochimie et de la psychochimie d’une manière générale dans nos sociétés. Donc effectivement on n’éradiquera pas le problème.

Il y a des grands risques dans certains types de contrôle, et notamment médical. On croit que par là on va obtenir des garanties d’un tiers – et d’un tiers scientifique en plus. Or prescrire des opiacés en particulier à quelqu’un qui est dépendant, c’est un pouvoir extraordinaire, c’est un pouvoir énorme sur la personne.

(…)

Il est clair que le SIDA depuis 10 ans maintenant est un révélateur social gigantesque qui a notamment permis en France de s’apercevoir que les toxicomanes existaient, alors qu’auparavant on avait oublié, je me rappelle qu’en 1987 et 88, il y avait des débats avec des infectiologues et les pouvoirs publics qui disaient : la prévention auprès des toxicomanes çà ne marche pas parce qu’ils sont trop irresponsables pour entendre ces messages. Or on voit 2 à 3 ans après la décision importante de légaliser la vente des seringues que les 2/3, voire les 3/4 des toxicomanes ont changé radicalement leur attitude et et leur comportement par rapport aux seringues. Cela montre bien que c’est possible, qu’il a des choses qui fonctionnent vite et bien, et qu’on peut compter sur cette population pour aller plus loin en prévention du SIDA »

Philippe Douguet, organisateur de la manifestation :

« Il serait grand temps que les Pouvoirs Publics admettent enfin leur erreur et le fait que pour la population que nous représentons, la prise de produits opiacés est fondamentale. Comment en effet, ne pas être indigné par la politique menée actuellement qui fait fi de notre souffrance et de notre liberté ? Sommes-nous des êtres humains ?

Nous souffrons et c’est là qu’est notre maladie non son symptôme et c’est cela qui justifie la prise de produit. Le comportement social à notre égard, nous conduit incidemment à la mort : suicide, sida, overdose. La liste est longue.

Nous mourons en grand nombre, disséminés dans la souffrance et la misère. Que penserait le diabétique si l’insuline était prohibée et son utilisation passible d’une peine de prison – si on ne l’écoutait ni le respectait du fait de son diabète ? Pourquoi ne déciderait-on pas que sa maladie dérange et nuit aux autres ? On pourrait même aller jusqu’à l’exterminer. Que penser d’une société où ceux qui auraient la chance de ne pas avoir faim interdiraient aux autres de se nourrir et ou avoir faim serait condamnable et maladif. Avoir faim, un crime ! – interdit de manger – ne serait-ce pas absurde et cruel ?

Bien sûr, la mort n’est pas inéluctable pour tous les UD privés de leur produit, comme elle l’est pour un diabétique privé de son insuline ou tout être humain, de nourriture. Mais regardons les choses en face : une population évaluée (entre 150 000 et 300 000 personnes) est séropositive ou malade du sida dans une proportion allant de 40 % à 60 % (Médecins du Monde). Rajoutez-y ceux qui mourront de came frelatée, de désespoir ou de tous les maux inhérents à la situation actuelle, avec tous ceux qui sont déjà morts – le fait que la totalité d’entre nous ne soit pas condamnée, justifie-t-elle le règne de l’absurde ? Et pourtant on nie nos besoins, on décide à notre place de ce qu’il nous faut au plus grand mépris de nous-mêmes. On ne nous écoute pas. On nous interdit de nous soigner – sans pourtant que notre pratique nuise à autrui.

Malgré cela, nous sommes considérés comme délinquants. Mais de quoi ? De quel singulier délit dont la “victime” et le “coupable” sont une seule et même personne. La dépendance est alors invoquée, en tout dernier recours pour justifier la négation de notre liberté. Mais ne sommes nous pas tous dépendants ? dépendants de l’air que nous respirons, de la lumière du soleil, des autres et que sais-je encore ?

Le problème serait-il de respirer ou de respirer de l’air pollué ? – prochainement interdiction de respirer – culpabilité de vie ?

Je le demande : à quand l’interdiction du port des chaussures jaunes ?

Face à l’épidémie du SIDA qui a mis en évidence notre existence au sein même de la société, cette dernière a pris des mesures sanitaires ayant pour but de sauvegarder les non-usagers. Mais l’usager, lui peut toujours crever, aller en prison, souffrir, la société s’en fout. Et pourtant, elle lui demande de faire preuve de civisme, de respecter les autres, est-ce bien normal et légitime ? Que peut-on espérer d’une telle situation ? Enfin, qu’attendre de l’injustice ? »

Thomas De Quincey : le premier junky moderne

C’est l’anglais Thomas de Quincey qui, en tant qu’Individu, peut être considéré comme “l’inventeur” de la conception actuelle du “junky”, de l’usager d’opiacés dépendant. De Quincey a lui-même été dépendant du Laudanum (élixir à base d’opium) durant 52 ans ! C’est pourquoi du fait de la conception problématique de l’usage des drogues qu’il a développée, de Quincey peut être considéré comme le premier Junky.

Il était écrivain, et à travers ses œuvres, en particulier les “Confessions d’un opiomane anglais” (Collection 10/18), il s’est attaché à tracer les contours d’un modèle de dépendance et d’usage des opiacés qui demeure très actuel. De plus, c’est lui qui, pour la première fois, a attiré l’attention du corps médical sur le problème de la dépendance aux opiacés. Et c’est lui, en particulier, qui a fourni les informations directes sur le syndrome de manque. Grâce à des description très précises et détaillées de sa relation physique et mentale au Laudanum, il est devenu le principal cas de référence en la matière pour les savants du XIXème siècle.

Pour nous, toxicos des années 90, c’est un peu comme si la dépendance aux opiacés était quelque chose qui a toujours existé. Un peu comme si l’idée que nous nous faisons des opiacés et de leur usage était une réalité unique et universelle. Mais au fond, l’origine de ce concept de “dépendance aux opiacés” n’a été que peu étudiée au point de vue historique. Pour la médecine, en particulier, étant donné le fait que sa conception même de la dépendance a toujours été liée à la politique officielle de prohibition des drogues, la question de cette origine peut receler certains problèmes. Car s’il y a d’autres conceptions possibles de l’usage et des usagers des drogues, cela signifie que ce qui constitue la base de la politique actuelle de prohibition peut être remis en cause, et du même coup, toutes les instances qui la servent, y compris la justice et la bureaucratie répressive.

De ce point de vue, on trouve en ce début du XIXème siècle une approche critique de l’examen de ce qui fonde notre conception actuelle de la dépendance aux opiacés. Du fait que nous considérons celle-ci comme une question à la fois d’ordre médical et légal, il est assez surprenant que les individus qui eurent la plus grande influence sur son origine furent des écrivains, dont un poète. De Quincey a subi, à la fois dans sa vie personnelle et dans son œuvre littéraire l’influence du poète Samuel Taylor Coleridge. Ce dernier est considéré comme l’un des plus grands poètes du XIXème siècle. Parmi ses œuvres, le poème “Kublai Khan” s’est acquis une renommée mondiale. Dans la préface, qu’il lui est adjointe, il déclare avoir pris une forte dose de laudanum et être tombé dans un état de semi-somnolence au cours duquel il a écrit le poème en rêve. À son réveil, il avait gardé un souvenir très exact de celui-ci et s’était mis à le transcrire. Malheureusement interrompu par l’apparition d’un visiteur, il devait s’apercevoir par la suite qu’il avait “perdu” la fin du poème dont il ne subsiste que les 57 premiers vers transcrits avant l’arrivée du visiteur inopportun.

Coleridge était “accro” au Laudanum, et l’est resté depuis environ 1797 jusqu’à sa mort en 1833, ce qui fait 36 ans. Et ce qui est curieux, c’est que pendant tout ce temps, il n’a jamais pris conscience de sa dépendance. Il est vrai qu’à l’époque l’opium et ses dérivés étaient en vente libre sans aucun contrôle. Il n’y a d’ailleurs jamais eu en Angleterre de restriction à sa vente ou à son usage avant le milieu du XIXème siècle. On pouvait se le procurer chez l’épicier du coin, le pharmacien ou l’apothicaire aussi bien que par les camelots et les marchands ambulants. On l’utilisait couramment comme analgésique, comme calmant ou comme somnifère. On en prenait aussi simplement pour le plaisir et dans beaucoup de quartiers ouvriers, les épiciers et les pharmaciens préparaient des paquets d’opium spécialement destinés à la vente pour le samedi soir, où il était très prisé du petit peuple, étant même moins cher que le gin ! Dans certaines régions urbaines, son usage était très répandu et régulier. SI bien qu’un grand nombre d’individus qui, comme Coleridge, étaient dépendants de l’opium et de ses dérivés mais ne s’en sont jamais aperçus, n’ayant jamais connu le manque du fait de problème d’approvisionnement…

Cela dit, l’idée que se faisait Coleridge de son usage de l’opium ne manque pas d’intérêt. À savoir qu’il était bien conscient d’avoir cette habitude, mais que pour lui, ce n’était qu’une habitude parmi tant d’autres, jamais considérée comme une dépendance. Il déclarait avoir commencé à en prendre à cause d’une maladie, et en avoir gardé ensuite l’habitude. Il en concevait cependant un certain remords, à cause de sa morale chrétienne qui le poussait à se reprocher de succomber à ce qu’il concevait comme un luxe et un plaisir. Lorsque par la suite, la dépendance s’est installée à son insu, et qu’il a essayé d’arrêter, il s’est bien sûr aperçu que cet arrêt était accompagné d’un malaise physique. Mais il n’a considéré celui-ci que comme la résurgence de la maladie qu’il avait jugulée grâce à l’opium. Pour lui, les choses étaient limpides : il était malade, il prenait de l’opium et sa maladie s’arrêtait. Il arrêtait l’opium et elle revenait. Coleridge n’a jamais pensé à associer ses symptômes à ce que nous connaissons aujourd’hui comme le “manque”. Il n’est pas indifférent de noter que le poète avait exigé qu’après sa mort, on procède à l’autopsie de son cadavre afin de découvrir la nature de cette “mystérieuse” maladie.

Coleridge était très célèbre à cette époque en Angleterre, à la fois pour ses écrits et sa personnalité. Pour nous, il semble évident que les descriptions qui ont été faites alors de son expression radieuse et de son regard brûlant sont caractéristiques de l’usage d’opiacés, de même que les interminables monologues qu’il se plaisait à tenir. Il était très respecté des jeunes écrivains et des intellectuels de son époque. Au premier rang desquels Thomas De Quincey, fils d’un négociant et né en 1785 à Manchester. Le jeune homme, qui avait des ambitions littéraires, tenta à plusieurs reprises de rencontrer Coleridge. Pourtant, son intérêt à son égard ne venait pas seulement de leur goût commun pour l’écriture, la poésie et la philosophie, car déjà au moment de leur première rencontre en 1807, De Quincey avait commencé sa carrière d’usager d’opiacés.

Les aspects que revêtait à l’époque l’usage d’opium, avant l’institution des lois restrictives, ne sont pas sans intérêt pour nous. Pour Coleridge comme pour de Quincey il n’y avait en effet ni restriction, ni barrières légales à l’usage d’opium – pas plus d’ailleurs que de restriction d’ordre social ou médical. De Quincey parle des années 1804 à 1812 comme des années de “simple pratique” des opiacés. C’est en 1813 qu’une “irritation stomacale” fut selon-lui responsable de l’augmentation de ses doses quotidiennes de 340 grains d’opium à 8000 gouttes de Laudanum (« une formidable quantité », écrit A.H.Japp, le premier biographe de l’écrivain, bien que, ajoute-t-il, « nous savons que c’est à peine plus de la moitié que ce que prenait Coleridge à la même époque »). C’est durant toutes ces années, pendant lesquelles de Quincey a tenté de réduire sa tolérance croissante au produit, qu’il a mis en lumière en analysant les effets de l’Opium sur son corps, un syndrome de dépendance qui, à peu de chose près, correspond à ce que nous connaissons actuellement.

C’est au cours des années 1818-1819 que De Quincey s’est mis à utiliser couramment des doses croissantes de Laudanum. Une période féconde au cours de laquelle il commença de concevoir ses “Confessions” ; Sa capacité “onirique” était puissante et chaque fois qu’il “piquait du nez”, c’était pour tomber dans un état fertile de visions, de rêves et de fantasmes. : “Lorsque je suis étendu au lit”, écrit-il, “j’ai souvent l’impression d’avoir vécu un siècle en une seule nuit… la splendeur d’architectures de rêve… j’ai contemplé dans mes rêves les merveilles de cités et de palais que l’œil éveillé n’a jamais vues… çe furent des années embrumées dans la mélancolie de l’opium”.

C’est en retrouvant par la suite le contrôle de ses doses et de sa vie qu’il a pu connaître le succès littéraire. De Quincey a été le premier d’une longue lignée d’écrivains qui ont utilisé leurs expériences avec les drogues pour en faire le sujet de leur livre. Les “Confessions d’un opiomane anglais” ont été publiées en deux parties dans les “London Magazine” de septembre et Octobre 1821. À l’époque, ce genre de périodique connaissait une grande popularité chez les lecteurs qui y trouvaient des commentaires sophistiqués sur les événements contemporains, le débat intellectuel, ainsi que de la fiction et des articles d’opinion. C’est ainsi que les “Confessions” ont connu un vif succès et d’excellentes critiques. Ce qui permit à De Quincey de continuer à écrire pour ce genre de magazines et de devenir un personnage célèbre du Londres littéraire de l’époque. Les “Confessions” furent rééditées sous forme de livre en 1822.

Cette œuvre est fascinante, surtout du point de vue contemporain. De Quincey y décrit en effet son usage de l’opium dans un luxe de détails sensationnels, mais n’oublie pas de le replacer dans le contexte de sa vie, dans la mesure où il considère celle-ci comme la clé et l’explication de sa carrière d’opiomane. Pour la première fois, l’usage d’opiacés est ici considéré, non pas comme une simple habitude, mais comme le résultat du processus de toute une vie. C’est cette approche qui a conduit à la conception actuelle, psychologique, selon laquelle l’opiomanie est le résultat à la fois d’une éducation et d’un caractère individuel.

L’histoire de De Quincey, telle qu’il la raconte dans la première version des “confessions” nous narre comment il s’est enfui de l’école en 1802. Il a ensuite vagabondé à travers l’Angleterre et le Pays de Galles pour se retrouver à Londres. C’est là qu’avec de très maigres ressources financières et souvent en proie à la faim, il a végété, trouvant refuge où il pouvait. Et, comme de juste pour quelqu’un qui est obligé de vivre dans la rue, a naturellement rencontré de nombreuses prostituées de l’époque victorienne, dont une jeune femme de 18 ans nommée Ann. Il en tomba amoureux lorsqu’elle prit soin de lui alors qu’il s’évanouissait de faim. Puis, comme un ami de sa famille avait fini par le reconnaître et lui accorder son aide, il essaya de la retrouver mais dans les labyrinthe des rues de Londres, en vain… Dans les rêves qu’il devait faire plus tard, sous l’influence de l’Opium, De Quincey se revoyait souvent en train de chercher désespérément une jeune femme dans l’immense cité fantomatique aux rues interminables.

La deuxième partie du livre relate sa découverte de l’Opium. Après une maladie consistant en “d’insupportables douleurs rhumatismales” à la tête et au visage, un ami lui avait recommandé de l’opium. C’était par un triste et pluvieux dimanche après-midi de 1804, et le changement soudain opéré en lui par le produit fut une expérience extraordinaire. Pour le jeune homme de 19 ans qu’il était alors, le plaisir procuré par la drogue fut tout de suite fabuleux, tout comme le nouvel univers qui semblait s’ouvrir en lui. Un plaisir qu’il commença à répéter de plus en plus souvent au cours des mois qui suivirent. Il en prenait toutes les trois semaines, généralement le mardi ou le samedi soir, où il aimait à se rendre à l’opéra ou à vagabonder dans les rues illuminées grouillante d’un spectacle permanent.

Le titre du chapitre suivant des “Confessions” s’intitule : “Introduction aux souffrances de l’Opium”. Tout au long de la période allant de 1804 à 1812, Thomas de Quincey avait continué à user du produit, mais pas de façon continue. Une maladie survenue en 1813 le força à en prendre en plus grandes quantités, et de plus en plus fréquemment jusqu’à ce qu’à force de consommer quotidiennement, il se retrouve “accroché” pour la première fois. C’est alors qu’il expérimenta les effets d’un usage constant et à fortes doses. Il fit notamment l’expérience d’une sorte de continuité entre l’état de veille et le rêve – ce que nous appelons plus prosaïquement “planer” ou “piquer du nez”. En partie du fait des propriétés de l’opium et en partie à cause de sa nature de “rêveur”, il fit toute une série de longs rêves compliqués et effrayants. Ces rêves étaient accompagné de distorsion dans sa perception de l’espace-temps qui lui donnait l’impression d’avoir vécu un siècle en une seule nuit – sensation analysée plus tard par de nombreux auteurs contemporains comme l’américain W. Burroughs.

De notre point de vue moderne, on constate que ce que ce De Quincey était en train de découvrir, et ce sans idée culturelle préconçue sur la drogue, c’est l’expérience des opiacés telle que nous la connaissons actuellement. Il y a une comparaison intéressante à faire avec nos concepts et nos expériences de toxicos modernes. Pourtant, ce n’est que dans l’appendice ajouté à la version des “Confessions” de 1822 que De Quincey nous communique sa découverte la plus importante, car il y décrit un syndrome, c’est à dire une série de symptômes que nous appelons aujourd’hui “le manque”.

Pour qui ne sait pas à quoi s’attendre, l’expérience dite “normale” du monde est incapable de renseigner sur la dépendance physique causée par les opiacés et sur le malaise résultant de la cessation de leur usage. La dépendance aux opiacés est en effet un phénomène unique. Et le fait de dire, comme le fait De Quincey, que l’arrêt des opiacés est la cause du malaise physique aigu qui s’ensuit, est en soi une découverte qu’on ne trouve nulle part dans la littérature médicale du début du XIXème siècle. En fait, à cette époque, la médecine ignorait à peu près tout des opiacés, excepté qu’ils étaient (et qu’ils sont encore) les analgésiques les plus puissants. Aucun écrit médical des années 1820 ne fait en effet allusion à la dépendance ni au manque bien qu’un grand nombre d’individus aient eu alors l’habitude impérieuse d’en consommer quotidiennement.

Dans cet appendice à son livre, De Quincey montre avec des chiffres comment il a essayé entre le 24 juin et le 27 juillet de réduire ses doses, avec les rechutes, les descriptions détaillées des symptômes du manque : irritation, fringales, insomnie, éternuements, transpiration, agitations, douleurs articulaires, etc. C’est la première fois que les symptômes se trouvent ainsi énumérés et désignés en tant que tels.

C’est aussi la première fois, notamment lorsque De Quincey se désigne comme un “opiomane anglais”, qu’une auteur assume une identité d’usager, de “junky”, et situe sa pratique dans un contexte culturel et social donné. C’est bien en ce sens qu’on peut dire que De Quincey est le premier Junky des temps modernes.

À lire absolument.

  • Lire un extrait des “Confessions d’un mangeur d’opium anglais”

Extrait des “Confessions d’un mangeur d’opium anglais”

C’était un samedi après-midi, humide et sans joie ; et notre terre n’offre pas de spectacle plus triste que celui d’un dimanche de pluie dans Londres. Ma route de retour passait par Oxford Street et, près de “l’imposant panthéon” (comme M. Wordsworth l’a obligeamment appelé), je vis une boutique de pharmacien. Le pharmacien – inconscient ministre des plaisirs divins ! – comme en harmonie avec le pluvieux dimanche, avait l’air morne et stupide exactement comme on pouvait s’attendre que n’importe quel pharmacien d’ici-bas eût l’air un dimanche ; et, quand je lui demandai de la teinture d’opium, il m’en donna comme n’importe quel autre homme eût pu le faire ; bien plus, il me rendit sur mon shilling ce qui me parut être de réelles pièces de bronze, sorties d’un réel tiroir de bois. Néanmoins, en dépit de ces indices d’humanité, il est resté toujours dans mon esprit depuis lors comme la vision béatifique d’un pharmacien immortel envoyé ici-bas avec une mission particulière à mon adresse. Et ce qui me confirme dans cette manière de voir, c’est que, la première fois que je revins à Londres, je le cherchai aux abords de l’imposant Panthéon et ne le trouvai point : à moi qui ne connaissais pas son nom (si vraiment il en avait un) il semblait qu’il eût disparu d’Oxford Street plutôt que l’avoir quitté d’aucune façon corporelle. Le lecteur peut voir en lui, s’il y est enclin, un simple pharmacien sublunaire : il se peut ; mais ma foi à moi est plus grande : je crois qu’il s’est évanoui ou évaporé. Tant je répugne à associer aucun souvenir terrestre avec l’heure, le lieu et cette créature qui m’ont fait connaître pour la première fois la céleste drogue.

Extrait du livre « Les confessions d’un mangeur d’opium anglais » Thomas De Quincey – Coll “L’Imaginaire” C/° Gallimard.

  • A lire aussi sur ce site l’article Thomas De Quincey : le premier junky moderne.

Une courte maladie (pour Evy)

Tu es Marine, Mon héroïne
Tu as pourtant les dents du bonheur,
Oui mais marine,
Ton héroïne,
Ce fut quand même une dure erreur !

Des labos clandestins ont ruiné tes vingt ans,
Des labos pires encore, t’ont promise à Satan
Comme ta biographie qui est gravée sur tes bras,
Bracelet indélébiles sur tes poignets de soie,
Tu as lu les résultats comme on lit un faire-part,
Comme un mauvais tirage, un négatif tout noir.

Offres-toi au soleil, Marine,
Au bleu des Mers du Sud
Offres-toi un prélude,

À ce calendrier où tes jours sont comptés,
Ce mauvais jeu de cartes qu’on ne peut plus “fricher”
Laisse les “si” au solfège et redeviens pucelle,
Pour couronner le tout, ton amour est mortel.

Offres-toi à ces plages ignorées de l’hiver, tout ce que tu as fait, tu le payes un peu cher.
Mais si l’un de ces jours, tu en rencontres un. Fais-lui patte de velours et sois toute douceur,
Et d’une étreinte mortelle,
Détruis-lui la cervelle !

Entre Balzac et Rambouillet

C’était deux gosses de divorcés,
Bien allumés et bien brisés,
Qui trouvaient le trajet longuet,
Entre Balzac et Rambouillet.

Anne habitait le 17ème,
Son frère jumeau, un fort en thème,
Avait des yeux comme une panthère,
Elle était brune comme une berbère.
Dans l’ignorance du Ministère,
Dans leur jeunesse et leur détresse,
Ils ont jumelé deux grands lycées,
Ce fut Balzac et Rambouillet.

Ils voulaient tout et tout tout de suite,
C’était bien après 68,
Marc s’adonnait au tableau B,
Dans un bistrot du Bd Ney,
Anne avait découvert Morphée.
Ils furent deux ardents prosélytes,
Entre deux fugues, entre deux fuites,
Ils ont jumelé deux grands lycées,
Ce fut Balzac et Rambouillet

Ce fut comme une traînée de poudre
Dans la pinède de Rambouillet,
Ce fut comme un éclair de foudre
Dans le grand Lycée d’Honoré.
Car Marc adorait sa jumelle,
Comme son double version femelle,
Mais trouvait le trajet longuet
Entre Balzac et Rambouillet.

On a tout dit sur la jeunesse,
Sur les ados sur les minots,
Et tout écrit sur tous leurs stress,
Sur leurs conneries et leurs mélos.
Quand ils ont quitté le lycée,
Ceux qu’ils avaient jumelés,
Ils ne sont jamais quittés,
Et ensemble ils ont galéré.

Je les ai vus juste avant-hier,
À la station du métro Glacière,
Entre Sainte Anne et la Santé,
Bien allumés et bien brisés.

L-627 suite

Le 26 octobre M. Broussard a été nommé responsable de la lutte contre la drogue. La presse s’est largement fait l’écho de ses déclarations fracassantes sur la guerre totale qu’il compte mener contre la la drogue. Il déclare que les “stups” sont « assez bien préparés à la lutte contre le grand trafic et le blanchiment de l’argent, et que donc la répression se concentrera sur le deal de rue ! »

Les toxicos comprendront tout de suite : la chasse (aux toxs) est ouverte. Elle sera impitoyable pour atteindre l’objectif fixé par notre cher Ministre de l’Intérieur : 50 000 interpellations, soit une augmentation de 65 % par rapport à l’année précédente !

Charmant programme qui promet une chaude ambiance dans les rues parisiennes, le film “L-627” n’y est pas étranger.

AVEC TENDRESSE…

Le lendemain de la nomination de M. Broussard aux stups, c’était au tour de M. Kouchner de monter au créneau, déclarant qu’il allait porter à 10 le nombre des programmes Méthadone (il n’y a actuellement que 50 places !), et créer des réseaux de médecins généralistes.

Une petite phrase a particulièrement retenu l’attention d’ASUD : « Il faut soigner les toxicomanes avec tendresse » (sic !).

On espère que M. Broussard l’a bien entendue… Et aussi que toutes ces belles déclarations se réaliseront rapidement et concrètement ?

Lettre ouverte d’un usager de drogue à Monsieur Bernard Kouchner, Ministre de la Santé

Monsieur le Ministre,

Je voudrais commencer cette lettre par ces trois mots : Déception, Désillusion et Désarroi ; dans l’ordre et avec toutes les nuances dont la langue française les a dotés.

Déception : car toutes vos interventions télévisées ou autres m’enchantaient, votre franchise, votre passion dénotaient dans le paysage politique ; vous évitiez la langue de bois de vos collègues et surtout vous parliez de problèmes quotidiens bien réels.

Désillusion : car si vous aussi vous baissez les bras et vous pliez aux solutions de facilités prônées par vos semblables, les politiques, je ne croirai plus en rien et perdrai les dernières illusions qui me restent quant au genre humain en général et à la politique en particulier…

Désarroi : car la solution qui m’était offerte jusqu’à maintenant étant supprimée, je retrouve les mêmes problèmes qu’avant avec le lot d’angoisse et de trouble qu’ils génèrent.

J’ai 35 ans et j’ai été toxicomane pendant sept ans. L’année dernière, j’ai découvert le Temgésic, ce médicament que vous venez de faire classer au tableau B des stupéfiants. Depuis un an donc, grâce à ce médicament et à un médecin un peu plus évolué que ses confrères, j’ai mené une vie beaucoup plus calme, retrouvé un travail stable et des repères solides et sûrs – je retrouvais confiance en moi et la confiance des autres ; en un mot je revivais.

Et voilà que tout d’un coup, vous M. Kouchner vous mettez un terme à tout cela.

J’espère que vous n’avez pas tenu compte que des pharmaciens et des docteurs pour prendre cette décision – J’espère que vous vous êtes entretenu avec d’anciens toxicomanes ou au moins avec les gens qui sont en contact avec ce milieu.

Je l’espère de tout cœur parce que moi je ne vous aurais sûrement pas conseillé ce genre de décision.

Vous allez me dire que je remplace simplement une drogue par une autre et je vous répondrai qu’à ce compte là, il faut classer l’alcool, les somnifères, les sados-masos, et même les homosexuels pourquoi pas au tableau B des stupéfiants. Vous ne pouvez pas vous permettre d’intervenir dans la vie des gens à ce point là.

Moi mon truc c’est le Temgésic pour l’instant en tout cas ; il m’a permis de décrocher de l’héroïne en douceur, de reprendre une vie normale, et un travail dans lequel on m’apprécie. Il m’a évité la descente aux enfers qu’est le quotidien du toxicomane. Je suis un intoxiqué aussi d’une autre manière avec ce médicament, mais d’abord on ne supprime pas 7 ans de dépendance d’un coup d’éponge, ensuite, je m’arrêterai quand j’en aurai marre, quand j’aurai envie de passer à autre chose, quand ma vie aura évolué suffisamment pour que je n’en ai plus besoin, et enfin troisièmement tant que je n’embête personne avec çà, tant que je m’assume avec mes problèmes, En quoi çà regarde les autres ?

Pourquoi se permet-on de décider pour moi de ce qui m’est profitable ou pas ?

Quoiqu’il en soit, à l’heure qu’il est, moi qui habite à côté de Strasbourg St Denis, je peux vous assurer qu’il m’est beaucoup plus facile de me procurer de l’héroïne que du Temgésic. Oui M. Kouchner.

Chaque jour je revois des dealers à qui j’achetais à l’époque ; je n’ai pas encore replongé là-dedans, je tiens trop à ma nouvelle vie, mais franchement il y a de quoi se pose des questions devant tant d’incompréhension, tant d’indifférence, tant d’obscurantisme.

Je n’ai pas encore replongé parce que j’ai réussi à force d’obstination à trouver quand même quelques médecins qui ont le courage de braver leur ordre sacro-saint, et qui continuent courageusement à prescrire du Temgésic. Des médecins que vous devriez remercier M. Kouchner, car en plus d’enrayer l’épidémie de Sida qui terrasse la population toxicomane, ils permettent à des gens comme moi de continuer à vivre, à aimer, et à espérer. Des médecins qui vont sûrement avoir des ennuis un jour ou l’autre si vous continuez dans votre politique répressive à courte-vue. Si vous continuez à préférez de l’avis d’un Docteur Curtet à l’avis d’un Docteur comme M. Schwartzenberg parce qu’il est plus dans la norme, parce qu’il est plus confortable, parce qu’il remet moins en question tout le système – Réveillez vous M. Kouchner !

Faites comme pour le droit d’ingérence humanitaire. Combattez l’ordre établi. C’est aussi grave, c’est aussi important. Ne sous-estimez pas le problème.

Voilà. Je sais que vous avez mille autres problèmes, à résoudre surtout en ce moment, mais je voulais quand même attirer votre attention sur celui là parce qu’il me touche de près et parce que je vous estime encore comme homme même avec le peu d’éléments dont je dispose pour vous juger.

J’ai commencé cette lettre par trois mots pessimistes mais je voudrais la terminer en vous reconfirmant ma confiance dans le genre humain ; et je sais que vous aussi vous avez cette confiance autrement vous ne feriez sûrement pas ce que vous faites ni aussi bien.

Recevez, Monsieur, mes sincères salutations.

PS : ça m’embête beaucoup de rester anonyme mais je vis avec quelqu’un et je ne voudrais pas l’exposer à plus de problèmes qu’elle n’en a déjà en vous donnant mes coordonnées – une autre fois peut-être lorsque je vous remercierai d’avoir réintroduit le Temgésic dans le circuit normal sans restriction…

ASUD au Forum des Associations

ASUD était au rendez-vous lors du Forum des Associations, qui se tenait au Jeu de Paume à Paris du 30 nov. au 2 déc. 92, et qui réunissait une quarantaine d’associations ayant pour but la prévention du V.I.H.

Accueilli sur le stand d’A.P.A.R.T.S., A.S.U.D. a étonné le public. Il y aurait beaucoup à dire sur les contacts que nous avons noués, les rencontres que nous avons faites, les dialogues que nous avons engagés… Mais dans un premier temps, voici d’abord un bref résumé de ces trois jours.

LUNDI

Mise en place de notre stand, affiche, manifeste, et distribution du N°2 de notre journal. En fin d’après-midi, visite de Bernard Kouchner, actuel ministre de la santé, qui s’est arrêté devant notre stand, et a dialogué quelques instants (protocole oblige) avec Yvon, membre d’ASUD, se déclarant notamment favorable à notre action de lutte contre le sida dans le milieu des usagers des drogues par voie intraveineuse.

MARDI

Ouverture publique de la “Journée Mondiale de Lutte Contre le SIDA”. Beaucoup de monde et une foule de questions posées aux membres d’ASUD ; Qui êtes-vous ? Que faites-vous ? Comment vous joindre ? Pouvez vous accueillir les usagers ? Autant de questions que nous ne pouvions laisser sans réponses. Jack Lang était l’invité de cette journée, mais son intervention auprès des lycéens a été perturbée par les coups de sifflet d’un groupe de lutte anti-sida connu pour le caractère radical de ses actions. Littéralement assailli, c’est dans la confusion générale qu’il dut s’échapper vers d’autres lieux où il était sans doute attendu…

MERCREDI

Ce fut une journée de détente, ce qui nous permit de rencontrer des membres d’associations travaillant déjà sur les problèmes du V.I.H. dans le milieu des U.D.V.I, tel “Pluralis” dont le but est l’accès au soin de l’UDVI séropositif. Nous avons aussi pu nous faire connaître d’associations qui jusqu’à ce jour ignoraient notre existence. Les échanges d’informations, d’idées, d’adresses et parfois les prises de rendez-vous étaient le mot d’ordre de cette journée… Qu’on se le dise !

En bref, ce furent trois jours où le public a découvert une autre image du “toxicomane” que celle qu’on lui décrit habituellement, et où il a pu discuter tant de la “toxicomanie” que des problèmes du SIDA chez les UDVI. Les journalistes eux aussi étaient présents et (sans vouloir nous passer de la pommade), ils se sont surtout focalisés (caméra oblige) sur le stand d’ASUD.

Étonnant : Asud a surpris par sa présence, mais aussi par la qualité du dialogue qui s’est ouvert entre les différentes associations. Elles se sentent désemparées et déconcertées, et nous demandent conseil sur le type d’information et de discours préventif à tenir auprès des usagers de drogues, ou encore sur la direction à prendre dans la lutte spécifique qu’elles mènent dans la lutte contre le SIDA dans ce milieu.

Notre action a donc été dans l’ensemble très bien accueillie. Nous avons cependant pu constater au fil des rencontres, des lacunes littéralement hallucinantes au niveau de la prévention en direction des jeunes : ces lycéens, par exemple, qui ont pris les seringues posées sur le stand pour des stylos ! Il nous a fallu leur expliquer ce que c’était : l’outil de base de l’UDVI – et son arme n°1 contre le risque de contamination VIH ! Ce qui amène à poser une question aux parents : Comment voulez-vous que vos enfants fassent attention aux seringues qui traînent dans les caniveaux ou dans une poubelle si vous ne leur expliquez pas à quoi cela ressemble ? Je fus surpris de voir que ces enfants à qui l’on décrit dans tous les sens l’usage du préservatif, on ne leur explique pas à quoi ressemble une seringue, pour que s’ils en voient une, ils ne la prennent pas dans la main et surtout qu’ils ne jouent pas avec au risque de se piquer et de contracter le VIH…

Voilà : très positif donc, ce forum, tant pour les associations qui ne nous connaissaient pas et qui maintenant savent que l’on existe, que pour nous, qui ne connaissions pas forcément certaines associations qui pourraient être à même de nous aider dans notre action. Un forum qui, il faut le dire n’aurait jamais existé sans la présence et le soutien de l’AFLS (Association Française de Lutte contre le Sida) et Dieu sait, si ici, au groupe ASUD, nous sommes bien placés, puisque c’est notre existence même que nous devons à l’AFLS et au soutien qu’elle nous apporté dès le départ, pour savoir le rôle essentiel que cette organisation joue dans la lutte anti-SIDA.

Colloque anniversaire d’APPARTS

Le 28 novembre 92, le colloque anniversaire d’A.P.A.R.T.S, Association fondée en 1987 et qui propose des services d’aide aux malades en Île-de-France et à Marseille (Appartements de Relais Thérapeutique et Social, service social, aide à domicile, soutien aux malades du SIDA), a réuni 200 professionnels des soins et de l’accompagnement des malades et séropositifs, parmi lesquels de nombreux responsables du secteur associatif, mobilisés autour de la journée mondiale du 1er décembre.

Les membres d’ASUD étaient également présents, et ce, tout d’abord pour des raisons évidentes d’amitié et de reconnaissance. Comment oublier en effet que sans nos amis d’APARTS, à commencer par son président Jean Javanni, qui voici un an n’ont pas hésité dans un formidable geste de solidarité militante, à nous prêter, dans leurs propres locaux, le bureau et la logistique qui nous permettent de fonctionner au quotidien – le Groupe ASUD ne pourrait peut-être pas publier aujourd’hui ce journal.

Mais nous avions une autre raison d’être là, toute aussi évidente : c’est que les Usagers de Drogue sont une des catégories de population les plus lourdement touchées par le SIDA.

C’est à ce titre qu’entre autres, notre responsable Philippe Marchenay a été convié à animer un atelier de travail au cours duquel il a ainsi pu débattre avec… le commissaire Boucher, de la Brigade des Stupéfiants, et sa collègue Mme Boulanger. Bien que les deux policiers, en dépit d’une ouverture d’esprit et d’une volonté de dialogue évidentes, ne se soient guère démarqués des positions et des arguments répressifs habituels, leur présence même à ce débat ne peut qu’apparaître comme l’indice d’un début de changement radical dans l’attitude des Pouvoirs Publics à l’égard des drogues et de ceux qui en font usage.

C’est en effet la première fois en France que des policiers – des policiers des stups ! – s’asseyent officiellement avec des usagers de drogues à une table qui n’est pas une table d’interrogatoire !

Tout aussi significatifs de ce changement nous sont apparus la présence et les propos de Mme Barzach, qui en 87, alors qu’elle était Ministre de la Santé du Gouvernement Chirac, a, pour la première fois en France pris le risque politique de libéraliser la vente des seringues en pharmacie.

Qu’on en juge

« Face à la tragédie que vit notre pays avec la propagation du SIDA, il est inacceptable de rester passif par simple peur de considérations politiques ou électorales » a en effet déclaré avec force Madame Michèle Barzach, invitée à prononcer l’allocution de clôture du colloque anniversaire d’A.P.A.R.T.S., samedi 28 novembre 1992, à la Cité des Sciences et de l’Industrie de la Villette.

Sur ce point précis, à savoir la timidité de la politique officielle de prévention du SIDA, et en particulier chez les usagers des drogues, Madame Barzach s’est déclarée elle-même « révoltée et agressive » face à la passivité générale « des responsables qui parlent du SIDA sans même aller voir ce qui se passe dans la réalité. D’autant que les nombreuses évaluations conduites dans le monde permettent de savoir exactement où et comment agir ». Et reprenant certains points abordés lors de l’atelier consacré à la transmission du SIDA chez les usagers de drogues intraveineuses organisé avec le Groupe ASUD (Auto-Support-des Usagers de Drogues) elle a formulé le souhait qu’enfin un vrai débat soit engagé en France, y compris, en l’élargissant au cadre international, sur la question de la libéralisation des drogues.

Outre la partie cruciale de la prévention du SIDA chez les toxicomanes pour lesquels « on ne fait pas ce qu’il y aurait lieu de faire », Madame Barzach a évoqué l’incidence croissante des facteurs économiques dans les décisions en matière de santé. Elle a estimé que le scandale du sang contaminé avait produit un véritable électrochoc de l’opinion en posant de façon dramatique la confrontation de l’éthique morale et de l’argent. « On s’approche dangereusement de la ligne jaune » a-t-elle prévenu, et face à de nouvelles tragédies qui ne sont plus à exclure « la conscience des décideurs est aujourd’hui engagée ».

Enfin, après avoir qualifié d’« absurdes » les récentes propositions de dépistage obligatoire du SIDA, généralisé sur toute la population, Madame Barzach a conclu sur son inquiétude face à « une conscience médicale en danger et qu’il faut à tout prix préserver »… Non sans avoir auparavant évoqué l’exemple de la Suisse ou de Liverpool où l’urgence de la lutte contre le SIDA chez les UD a conduit à organiser la distribution contrôlée d’héroïne.

Festival Rock et Sida

Les 6,7 et 8 novembre a eu lieu au Café de la Danse le festival Rock et Sida, organisé par Sidathontour et Act-up qui avaient invité ASUD à y participer.

Enfin la prévention du SIDA s’adressait aussi aux usagers de drogues (jusque là toujours ignorés). Enfin l’usage de capotes et de seringues stériles étaient associés pour une prévention plus efficace.

Ceci d’autant plus que la consommation de dope est bien souvent intégrée a la culture Rock : “Sex and Drugs and Rock & Roll “l’hymne de Ian Dury est apparemment toujours d’actualité ! Il est donc capital de donner une information complète sur le “fix propre” (qui ne se limite pas à l’utilisation d’une pompe stérile), mais sans oublier les risques de contamination par voie sexuelle. En effet, si beaucoup de “toxs” ont changé leur mode d’utilisation de la shooteuse, nombreux sont ceux qui négligent de se protéger lors de rapports sexuels (contrairement aux idées reçues, les “toxs” ont aussi une vie sexuelle active).

Sachant que la population toxico est celle où le SIDA progresse le plus dramatiquement, on réalise l’urgence d’assurer enfin une prévention digne de ce nom.

Ces trois jours furent un succès, pour tous : salle comble chaque soir, ambiance très chaude mais sans dérapage, concerts furieux de quelques-uns des meilleurs groupes alternatifs français (avec une mention spéciale à Chihuahua, Beurks’ Band, Pigalle et bien sûr BB DOC !).

Entre chaque concert, de nombreuses personnes rendirent visite à ASUD où elles purent se procurer, outre notre journal, des plaquettes informatives sur le Safe Sex et le Fix propre (avec le Kit correspondant) Certains furent déçus, pensant qu’ASUD aurait pu leur fournir le “carburant”… Non, désolé, ASUD n’est pas un “pool de dealers” !!! – Beaucoup qui espéraient depuis longtemps qu’un groupe d’auto-support existe… et agisse, nous ont vivement encouragés à tenir bon ! Merci à Act-Up de nous avoir invités. Merci aussi à Aides qui nous a fourni les kits “Fixez propre”.

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