Göttingen

Deux membres du groupe ASUD ont participé, du 18 au 21 juin dernier, à la rencontre européenne des Groupes d’Auto-Support des personnes séropositives et malades du SIDA à Gôttingen, en Allemagne.

La rencontre avait lieu dans un petit manoir en pleine forêt, à quelques kilomètres de la ville. Après une chaleureuse fête d’accueil, au cours d’une soirée où étaient à l’honneur aussi bien la danse que les jeux de rôles destinés à permettre aux participants de faire connaissance, les travaux ont commencé dés le vendredi matin.

Une première réunion, à 10 heures, fut consacrée à la présentation des différents groupes représentés à la conférence – 48 en tout, venus de 23 pays. La séance fut ouverte par un discours préliminaire où l’un des organisateurs souligna le fait que ce que les participants avaient déjà en commun, c’était leur peur de la maladie, mais aussi leur volonté de lutter contre cette peur dans le cadre d’un groupe d’auto-support de séropositifs. Le plus ancien d’entre-eux est le groupe britannique Body-Positive, dont la création remonte à 1985. Il fut donc le premier à être présenté par un de ses membres. Puis vint le tour d’un groupe bulgare dont le représentant, Valéri, souligna la difficulté de s’assumer en tant qu’homosexuel dans son pays. Nous avons ensuite assisté à la présentation des autres groupes, dont celui qui avait organisé la réunion, ainsi qu’un groupe de femmes séropositives, puis, entre autres, un groupe gay danois, un groupe norvégien, le groupe anglais «Mainliners», composé d’Usagers de Drogues (UD) séropositifs… et le groupe ASUD lui-même.

Après un break suivi d’une lecture d’un message d’encouragement de la Commission des Communautés Européennes, divers autres groupes furent ainsi présentés, avec leurs activités, leurs problèmes et leurs approches spécifiques. Parmi eux, un groupe russe, slovène, maltais, hongrois et israélien.

Il serait sans doute trop long et un peu fastidieux de rapporter ici la teneur de toutes les interventions, notamment sur les problèmes particuliers du SIDA et de la séropositivité dans les ex «pays de l’Est». Mais nous pouvons pourtant résumer l’impression d’ensemble qui s’est dégagée de cette série de présentations. Elle tient en quelques mots : à savoir que dans les groupes de séropositifs, les UD sont dramatiquement sous-représentés. Et leurs problèmes spécifiques difficilement pris en compte…

Cette impression devait d’ailleurs se confirmer tout au long des trois jours de la rencontre. Et notamment au cours des ateliers de travail du vendredi après-midi, consacrés au fonctionnement interne des groupes d’auto­support. Malgré l’insistance des représentants d’ASUD, ainsi que de l’allemand Werner Hermann d’EIGDU et de l’anglais John Mordaunt de «Mainliners», il se trouva en effet impossible d’organiser un atelier réservé aux groupes d’UD et consacré à leurs problèmes particuliers, qui sont comme on s’en doute, largement différents de ceux que rencontrent les groupes d’homosexuels…

Si bien qu’en dépit de l’atmosphère décontractée de la conférence, de la gentillesse et de la tolérance des autres participants, ce n’est pas sans un léger sentiment de frustration que les représentants d’ASUD ont regagné leur chambre à l’issue de cette première journée…

Le samedi, quant à lui, fut voué aux différents réseaux qui, à l’échelon national, européen ou mondial, fédèrent les groupes d’auto-support de séropositifs. La réunion du matin, en fait, était axée sur une double question : quels sont ces réseaux ? Comment les utiliser ?

En réponse à ces questions vint d’abord la présentation d’ACT-UP, réseau autonome, indépendant et international de lutte contre le SIDA, spécialisé dans l’organisation d’actions à fort impact médiatique. Puis le réseau EATG organisé pour permettre aux malades du SIDA et aux séropositifs de reprendre le contrôle de leur traitement. Puis EIGDU, un réseau européen d’usagers de drogues, qui a son siège à Amsterdam. Puis EUROCASO, qui est un réseau d’organisations anti-SIDA européen en liaison avec ICASO, son homologue au niveau mondial, et qui s’occupe aussi bien d’échange d’informations et de techniques que de défense des Droits de l’Homme pour les séropositifs. Puis ILGA, organisation homosexuelle, puis l’International Steering Comittee, composé d’hommes et de femmes vivant avec le virus, et qui organise des conférences internationales.

La réunion s’acheva sur une communication d’un membre du Parlement Européen. Quant aux ateliers de travail de l’après-midi, ils furent consacrés aux modalités pratiques de l’organisation et de l’utilisation de ces réseaux. Là encore, les représentants d’ASUD ont regretté la sous-représentation des UD dans ces réseaux, et le manque, à part EIGDU, de réseaux spécifiques.

Quant à la journée du dimanche 21 juin, elle fut essentiellement axée sur les conclusions et les perspectives d’avenir des différents groupes, et sur la présentation de certaines de leurs réalisations. Ainsi le réseau informatique, et l’annuaire des groupes d’auto-support créé par EUROCASO. Ou l’organisation INTERACT fondée par ACT-UP pour collecter l’information recueilli par tous ses groupes – d’ailleurs ACT-UP parla de certains de ses projets, notamment celui d’intégrer les Usagers de Drogues.

Puis un intervenant parla de la nécessite de développer des traitements du SIDA compatibles avec les drogues, dont la méthadone, et pour les groupes, de se montrer plus attentifs aux besoins propres des différentes catégories de personnes touchées par la maladie.

Les ateliers de l’après-midi furent consacrés à la présentation d’un certains nombres de projets :

  • Création et développement d’un réseau informatique.
  • Création d’un réseau Paneuropéen des groupes AS (Auto-Support).
  • Développement de relations avec le réseau mondial des UD.
  • Soutien accru aux mouvements d’homosexuels et d’UD dans les pays de l’Est.
  • Création d’un secrétariat permanent pour l’ISC en vue de la conférence d’Amsterdam en juillet.

Comme on le voit, les membres d’ASUD n’ont pas perdu leur temps en se rendant à la conférence de Göttingen. Ne serait-ce que pour avoir l’occasion d’y souligner l’urgence absolue d’associer plus étroitement les UD à la création et à l’action des différents groupes anti-SIDA.

Oslo : la présence d’Asud au niveau européen

C’est tout naturellement que dès sa création, le groupe ASUD s’est inséré dans le réseau européen des groupes d’Auto-Support des usagers des drogues. Un ralliement tardif, certes (mais après tout, nous n’existons que depuis le 9 avril 1992) mais enthousiaste.

Comme ont été enthousiastes les applaudissements, qui, le 26 avril 1992 à Oslo, où s’était réuni le comité directeur du Réseau Européen, ont salué l’annonce de la création du groupe ASUD France.

La naissance du réseau européen que notre groupe ASUD vient donc de rallier, remonte à novembre 1990. C’est au cour d’un congrès organisé par le groupe allemand d’Auto-Support JES et financé par la Deutsche AIDS-Hielfe (Agence allemande de Lutte contre le SIDA) à Berlin et réunissant 30 participants venus de toute l’Europe de l’Ouest et de l’Est pour affirmer la volonté des groupes d’auto-suppport des usagers des drogues de prendre part en toute première ligne au combat de la prévention du SIDA, que l’idée de créer un réseau organisé des groupes ASUD européens , doté d’une structure permanente, s’est imposée.

Une idée qui devait prendre corps un an plus tard, du 29 novembre au 1er décembre 1991, toujours à Berlin. On a en effet pu voir, tout au long de cette nouvelle rencontre, le réseau européen esquissé, l’année précédente, s’élargir à de nouveaux participants (26 groupes au total), et se doter d’un secrétariat permanent ainsi que d’un comité directeur élu.

A l’issue de son congrès fondateur de Berlin 1991, la toute nouvelle organisation européenne devait également adopter une déclaration résumant les objectifs et les revendications des groupes ASUD européens.

5 mois plus tard, en cette fin avril 1992, c’est à Oslo que le comité directeur, qui rassemblait une douzaine de personnes sous l’égide d’un observateur de l’OMS venu apporter le soutient de son organisation à l’action du réseau européen, a pu saluer la toute nouvelle création de notre groupe ASUD français.

Abdalla Toufik, membre élu du comité et messager du ralliement de notre groupe au réseau européen, a demandé au Comité son remplacement par un usager membre d’ASUD France, parce que, dit-il :

“J’ai démissionné du comité parce que, dans la logique de l’Auto-organisation des usagers des drogues, n’étant pas usager moi-même, il me semblait normal de céder ma place à Philippe Marchenay, responsable du groupe ASUD France. Le comité directeur a accepté ce remplacement , en dépit de la règle selon laquelle ses membres étaient en principe élus au scrutin nominal, et non par association. Tout le monde en effet a compris la nécessité pour ASUD France, d’y être représenté.”

Quant aux travaux de cette première réunion de ce comité directeur, ils ont été largement féconds, aboutissant notamment à la définition d’un double objectif pour l’action au niveau européen : la lutte contre le fléau du SIDA d’une part, et la protection des droits de l’Homme pour les usagers des drogues :

“Il ne s’agit pas, poursuit Abdalla, de promouvoir la Toxicomanie ou de devenir je ne sais quel carrefour de la défonce, mais de participer activement en tant qu usager des drogues, à la politique de réduction des risques à commencer par celui du SIDA. Or, les travaux du comité ont clairement mis en lumière le fait que c’est dans les états (Allemagne, Grande-Bretagne, Pays-Bas) où les pouvoirs publics ont enfin compris que rien ne peut être fait en matière de prévention sans le concours des usagers des drogues que sont menées les seules expériences réellement fructueuses. Les résultats sont là : il n’ a qu’à voir les statistiques ; partout où les usagers des drogues sont pris en compte, on observe que la contamination par le virus VIH est nettement moindre.

“C’est pourquoi nous comptons travailler avec nos partenaires européens sans oublier les conditions imposés par le contexte local, en servant à notre façon le double objectif du réseau : le droit à la santé et les Droits de l’Homme”.

“Pour nous, en France, cela veut dire entre autre faire en sorte d’élargir la palette des choix de vie proposés à l’usager, et surtout à l’usager malade. C’est à dire en un mot : abstinent ou non, avec ou sans drogue, survivre … vivre, tout simplement.”

Quoiqu’il en soit, c’est dès juillet prochain, à Amsterdam, où se trouve le siège officiel du réseau européen, que se tiendra la prochaine réunion du comité directeur, à l’occasion de la conférence mondiale du SIDA. Et notre groupe, bien que nouveau venu, entend bien y tenir un rôle actif, d’autant qu’il a été convenu à Oslo de lui confier la coordination des groupes francophones et d’Europe du sud. : Belgique, Suisse, Espagne, Italie et la Grèce.

Lettre d’un ami

Lors du colloque “Drogue et droits de l’Homme”, ce 10 avril 1992 à Nanterre, j’ai été agréablement surpris d’apprendre l’existence de votre groupe “ASUD”. Cette révélation s’est passée d’un façon assez cocasse d’ailleurs. Au moment où le Dr Marc Valeur déplorait la lecture que faisait les NA (Narcotic Anonyme) du toxicomane, qui constitue d’ailleurs leur idéologie et “l’esprit” de leur réunion – le toxicomane comme impuissant ou pour dire autrement comme malade incurable – vous dévoiliez à l’assistance votre existence, votre puissance, votre citoyenneté (ce qui va forcément à l’encontre de l’anonymat et de la maladie). Sans doute M.Valeur fut le plus étonné, alors qu’il ne voyait en France d’autres formes d’auto-support que les NA, mais le remarquable fut cet auditoire qui tout au long de la journée et de la soirée vous a ovationnés et soutenus et qui, en définitive, a pris parti pour vous.

Chers amis, ce que je voudrais surtout vous dire, c’est qu’ici en Belgique, vous avez aussi notre soutien inconditionnel. Plusieurs belges présents ce 10 avril vous ont déjà exprimé chaleureusement leur sympathie et leur soutien. J’ai moi-même, lors de mon retour en Belgique, parlé de vous à plusieurs citoyens-consommateurs belges qui seraient partants pour la même aventure. L’idée nous est même venue de vous proposer de nous unir à vous, en respectant bien entendu les différences régionales inéluctables.

D’abord parce qu’en Belgique nous avons besoin d’une telle dynamique, ensuite et surtout parce que comme on dit ici “l’union fait la force”, avantage qu’il ne faudrait pas négliger dans l’Europe politique qui prend racine. Unissons nous aussi aux Suisses. Formons un front francophone. Je le dis avec d’autant plus d’aisance qu’il faut savoir que les groupes d’auto-support néerlandais, anglais ou allemand, qui ont une bonne longueur d’avance sur nous, ont déjà obtenu énormément de droits et de reconnaissances grâce à leur existence et aux groupes de pression qu’ils forment. Il n’est pas faux de dire que l’usager hollandais est un citoyen à part entière … en tant qu’usager. Un premier signe de cette union serait de diffuser le journal dans toute la France, la Belgique, la Suisse, mais il faudra aller plus loin.

L’idée d’un front francophone dépasse bien entendu notre légendaire unilinguisme. notre Politique* en France et en Belgique émane d’une conception bien française où la morale – le bien/le mal – gouverne la politique alors que d’autres, anglo-saxons, allemands ou néerlandais mettent en avant les réalités, le pragmatisme. ous ne sommes pas des parias, mais des êtres humains à part entière, ce que semblent oublier nos pays qui prétendent par ailleurs se laisser, guider par la charte des Droits de l’Homme. Ensemble nous serons plus forts pour rappeler notre existence, notre humanité et nos désirs à ceux qui se targuent de morale pour notre « bien ». Mais à quel titre ?

Encore un mot. A l’avenir, nous ne pourrons plus nous contenter d’être seulement auditeurs (participants) dans ces colloques d’experts, mais il faudra participer en tant qu’experts à ces colloques. Je n’ai pas peur de dire que nous sommes les experts par Excellence en matière de drogue. Cessons de laisser parler les autres à notre place et pour notre « bien ». Ils y ont droit, car un avis extérieur n’est pas à dédaigner, mais ils prennent toute la place. C’est un abus de pouvoir sinon de droit !

*Si la politique Suisse est en train de changer, c’est surtout au départ de la Suisse alémanique et non la Suisse romande.

Didier De Vleeschouwer, Sociologue – ex-usager

Massacre au Myanmar (ex-Birmanie)

D’après le chef du Centre Anti-Prostitution, une ONG thaïlandaise, 25 prostituées birmanes séropositives auraient été exécutées par injection de cyanure en fin 91 sur ordre des autorités de Rangoon.

Les vingt-cinq jeunes femmes avaient été, en même temps que plusieurs dizaines de leurs compatriotes, libérées du bordel de Thaïlande où elles travaillaient et refoulées vers leur pays d’origine par la police des mœurs thaïlandaises en juin dernier.

quand on sait qu’environ 40 000 prostituées birmanes travaillent dans les bordels du “pays du sourire”, pour la plupart membres de ces minorités ethniques contre lesquelles le régime de Rangoon mène par ailleurs une véritable guerre d’extermination sous couvert de “lutte contre la drogue”, et qu’on connaît d’autre part le peu de cas que font les généraux birmans de la vie humaine, on peut légitimement s’attendre à des lendemains sanglants… Alors, après les prostituées, à quand le massacre des UD séropositifs ?

Pour le moment – et pour ce que nous en savons – la question n’est heureusement pas à l’ordre du jour … N’empêche que si j’étais birman, et toxico, et séropo, pour couronner le tout, j’aurais disons comme une tendance à me méfier des prises de sang.

Pour une politique de réduction des risques

Dans leur journal “Junkmail” de mars 1992 nos amis australiens se livrent à une comparaison entre la politique officielle de réduction des risques de la drogue dans leur pays et une expérience d’avant-garde mise en œuvre dans la région de Merseyde en Grande-Bretagne. L’auteur, Michael Rimmer en tire quelques réflexions qui ne valent pas seulement pour les Antipodes. Nous traduisons ici l’essentiel de cet article.

”Dans la région de Merseyside, au Royaume-Uni, on n’a pas enregistré depuis deux ans un seul cas de transmission du virus du SIDA par injection de drogues … Alors qu’à seulement 150Km de là, à Édimbourg (Ecosse), la majorité des usagers des drogues par voie intraveineuse ont un SIDA déclaré. Cela parce que les autorités sanitaires du MERSEYSIDE ont mis en œuvre une véritable politique de réduction des risques, alors que celles d’Édimbourg, imperturbables, continuent à “repeindre la cabine du capitaine tandis que le bateau coule”, c’est à dire à partir en guerre contre la drogue, pendant que le SIDA décime les usagers.

On parle beaucoup de “réduction des risques” mais on oublie souvent qu’une véritable réduction des risques impliquerait l’abandon de la politique de répression contre les usagers des drogues. Beaucoup d’autres spécialistes des problèmes d’alcool et des drogues, ainsi que ceux qui orientent la politique officielle en la matière ne voient la réduction des risques qu’à travers le préalable de l’abstinence.

Les puissants de notre société ont en réalité légalisé les drogues de leur choix (Tabac, alcool, etc ..) et interdit les nôtres, ce qui a rendu les drogues “illicites” bien plus dangereuses qu’elles ne le sont par elles-mêmes. Ils ont confisqué le débat sur les drogues en se servant d’un véritable tir de barrage de discours hystériques, passionnels, destinés à manipuler le peuple australien pour obtenir son soutien dans leur guerre contre la drogue. La vérité, c’est que la prohibition des drogues est une forme très efficace de contrôle social, et qu’il n’est pas question pour ceux qui tiennent les rênes du pouvoir de renoncer à un outil aussi commode simplement pour aider les “junkies” à ne pas contracter le SIDA.

Il faut savoir que l’Australie n’a prohibé l’héroïne qu’en 1954 à la suite de pressions considérables exercées par les États-Unis (…)

Il apparaît clairement à tous ceux qui connaissent les véritables données du problème que la grande majorité des dommages causés par la drogue est en fait imputable non aux drogues elles-mêmes, mais à leur prohibition (…)

Tant que ceux qui arrêtent la politique du pays ne comprendront pas cela, la réduction des risques ne relèvera jamais que du bavardage politicard. La prohibition des drogues met en danger ceux qui en font usage, et ce, pour de nombreuses raisons. Ils sont obligés de dissimuler leur consommation, ce qui fait qu’ils ne sont jamais certains d’avoir sous la main du matériel stérile là et au moment où ils en ont besoin, la loi interdisant notamment de mettre à leur disposition ledit matériel stérile sur les lieux précis où il le faudrait – à savoir là où on vend la dope… La répression impose à l’usager de drogues intraveineuses, un style de vie complètement disjoncté, qui rend la plupart du temps pratiquement impossibles les précautions sanitaires indispensables à une véritable “réduction des risques”. Plus encore, le couple infernal “prohibition-répression” dégrade l’image que l’usager se fait de lui-même, et son respect pour sa propre personne, ce qui n’est guère de nature à l’encourager à prendre soin de sa santé. En fait, la prohibition criminalise l’usager. Nos prisons en sont pleines, pourtant on leur interdit l’accès aux capotes et aux seringues stériles – qui sont pourtant notre seule arme face à la contamination du sida.

Dans le Merseyside, au contraire, les gens qui sont dépendants des drogues se voient prescrire par ordonnance de l’héroïne, de la méthadone, de la déxamphétamine, de la cocaïne – en fonction de leurs besoins – ce qui leur épargne d’avoir à mener ce style de vie déstructuré qui est trop souvent leur lot. C’est ainsi que là-bas, la possibilité d’une véritable réduction des risques est en train de s’inscrire dans la réalité…

Tandis qu’ici, en Australie, le simple fait de posséder du matériel usagé peut conduire à une incrimination pour consommation de stupéfiants (bien que se ne soit pas en principe une preuve suffisante pour justifier une inculpation) ou à entraîner une perquisition. Ce n’est pas ainsi qu’on peut espérer réduire les risques – au contraire, on les augmente. En réalité, une véritable réduction des risques est impossible avec la législation qui prévaut actuellement en Australie.

Les programmes méthadone, en particulier, depuis la mise en œuvre de programmes dits “à faible niveau d’intervention”, nous sont proposés également comme exemple d’une politique de réduction des risques. Qu’en est-il réellement ?

A Canberra, où l’on dénombre huit mille usagers de drogues par voie intraveineuse, il n’y a que cent sept places pour des programmes méthadone, aucun “programme à bas niveau d’intervention”, et il n’existe qu’un seul point de distribution, éloigné du centre-ville. La loi interdit aux médecins généralistes de ville de prescrire de la méthadone et aux pharmaciens d’en délivrer. Les “toxicos” habilités à en recevoir, sont traités de façon proprement effarante, ils n’ont aucun droit – ce qui n’est pas pour engager les autres usagers à cesser de se shooter pour se mettre à la méthadone. L’obligation d’aller tous les jours chercher leur dose de méthadone enchaîne les usagers à la clinique où on la leur distribue. Un véritable esclavage, aggravé par l’obligation à la fois inutile et dégradante de subir un test d’urine sous surveillance. Le texte des “directives nationales sur la méthadone” stipule que l’un des buts des programmes est la diminution de l’usage illicite des drogues et que leur objectif final est l’abstinence. Les tests d’urine ne servent qu’à s’assurer de cette abstinence. Nous pensons quant à nous qu’à l’heure du sida, ces tests n’ont pas de raison d’être, à moins d’être expressément demandés par le patient lui-même.(…)

Un programme de réduction des risques digne de ce nom devrait au contraire offrir un choix d’amphés et d’opiacés variés à fumer à injecter ou à prendre oralement selon le choix de chacun. En fait, la plupart des programmes méthadone mis en œuvre ici ou là n’ont jamais fait que refléter le jugement moral du personnel soignant, et donc, de la société sans prendre en compte les désirs et les besoins des usagers. Leur rigidité même les rend inaptes à répondre à ces besoins.

En Angleterre, on ne parle en revanche presque pas de la contrainte quotidienne pour l’usager d’aller chercher sa dose après s’être soumis au test d’urine et les bases de la civilisation n’en sont pas ébranlées pour autant! Dans le Merseyside il y a deux cliniques où l’on donne de l’héroïne à fumer au lieu de méthadone, pour la simple raison qu’il est plus facile de décrocher de l’héroïne que de la méthadone et que la plupart des intéressés la préfèrent à celle-ci. Les programmes méthadone ne deviendront réellement des programmes de réduction des risques que lorsque les usagers se verront rendre la responsabilité de la gestion de leur consommation de drogues, c’est à dire de leur propre corps.”

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