Le temps de l’armistice

Enfin, la politique des drogues va marcher sur ses deux pieds : réduction des risques liés à l’usage pour ce qui est la santé, réduction des dommages causés par le trafic pour ce qui est la sécurité. Il reste encore une longue marche pour construire les régulations de l’avenir mais au moins, on sait désormais dans quelle direction aller. Le continent américain a déjà basculé dans l’ère nouvelle et le grand retournement menace désormais les Nations unies. Les Français ne l’ont pas compris, parce qu’ils restent enfermés dans l’alternative «  guerre à la drogue ou légalisation  ». Comme la légalisation des drogues n’est pas imaginable, du moins dans un avenir prévisible, la guerre à la drogue poursuit son escalade. Ces dernières années pourtant, les nouvelles d’outre-Atlantique n’ont cessé de tomber en cascade : « La guerre à la drogue est perdue !  » Qui s’en soucie ? Dans notre belle république, la guerre à la drogue doit se mener coûte que coûte.

Une forme d’armistice

Or justement, ce n’est déjà plus le cas sur le continent américain. À l’ONU même, où pourtant le langage le plus diplomatique est de rigueur, il n’est plus possible de masquer les conséquences de ce retournement. Dans un article publié dans Le Monde.fr, Bernard Leroy a d’ailleurs tenté d’alerter les Français : « La légalisation des drogues : une illusion  », écrit-il ce 12 avril 2012. Que se passe-t-il exactement à l’ONU pour que cet éminent avocat général, qui a longtemps représenté la France au sein de cet organisme, estime nécessaire de discuter cette illusion ? Le Guatemala a bien demandé la légalisation des drogues, mais en quoi ce petit pays peut-il provoquer un tel émoi ? Un autre article publié dans Le Monde peu après aurait dû le rassurer : Barack Obama était sans équivoque, « Pour les États-Unis, la légalisation de la drogue n’est pas une option  » (Le Monde, 20 avril 2012). S’il n’est effectivement pas question de légalisation de drogues, ce qui est à l’ordre du jour aujourd’hui, c’est plutôt une forme d’armistice.

C’est précisément ce qu’a proposé la Maison Blanche au sommet des Amériques en Colombie, ce 20 avril 2012 : « L’incarcération de masse est une politique du passé qui ignorait la nécessité d’avoir une approche plus équilibrée face à la drogue, entre santé et sécurité  », a ainsi déclaré Gil Kerlikowske, le responsable de la politique de lutte contre les drogues aux États-Unis. Voilà qui peut ressembler à une simple pétition de principe. La santé d’une part, la sécurité d’autre part, des objectifs sur lesquels tout le monde peut se mettre d’accord. Mais la prise de conscience de «  l’incarcération de masse  » est bien un tournant majeur. C’est le cœur de la discussion puisque dans ce même article, Bernard Leroy tient à rappeler qu’il est possible de ne pas incarcérer les usagers drogues sans renoncer à la prohibition. Sans doute. Il n’en reste pas moins que partout dans le monde, usagers de drogues et petits trafiquants remplissent pour moitié les prisons.

L’incarcération de masse

Mais nulle part au monde, l’incarcération n’a été aussi massive qu’aux États-Unis. Un livre vient de dénoncer ce scandale : The New Jim Crow : Mass Incarceration in the Age of Colorblindess, que l’on pourrait traduire par « Les nouvelles lois de ségrégation : L’incarcération de masse au temps du déni des discriminations raciales  ». En deux décennies de tolérance zéro, 30 millions de Blacks et quelques autres minorités ont été incarcérés pour une infraction liée aux drogues. Ces pratiques discriminatoires ont longtemps été masquées par l’idéologie « Law and Order  » qui sévit depuis les années Reagan, et que les Américains ont réussi à propager dans le monde entier. Dans les séries TV ou les films, les trafiquants de drogue sont toujours des Noirs, et c’est effectivement le cas dans la rue.

Mais comme le montre Michelle Alexander, auteure de ce best-seller, l’essentiel de ce marché se passe ailleurs. Les Blancs consomment plus de drogues illicites que les minorités et ils achètent leurs produits en appartement, dans les milieux festifs et plus récemment, sur le Net. Les quelque 2,5 millions d’incarcérations par an ont brisé des millions de vies, avec pour principale conséquence l’exacerbation de la violence et l’enferment dans la délinquance ou l’exclusion des victimes de la répression. La démonstration de Michelle Alexander ne laisse pas de doute : la lutte contre «  la  » drogue a pris la relève d’une ségrégation qui, depuis le mouvement des droits civiques, ne pouvait plus s’afficher. Le vingtième siècle se termine ainsi par cette dernière grande tragédie, dont les conséquences sociales et politiques vont peser longtemps sur les États-Unis. Il ne sera pas facile de sortir de ce piège qui exige une profonde réforme des administrations de la justice et de la police, non seulement au niveau fédéral, mais dans chaque État. Impossible sans un vaste mouvement d’opinion prenant conscience que la guerre à la drogue a servi de cache-sexe à une ségrégation raciale qui est aussi sociale.

Sortir du piège

La guerre à la drogue a ravagé le continent américain. Au Nord, les incarcérations massives d’usagers de drogues et de trafiquants de rue n’ont limité ni le nombre des consommateurs ni le marché des drogues. Au Sud, la guerre aux narcos n’a limité ni les énormes profits ni l’emprise mafieuse de ces organisations criminelles, qui menacent les démocraties par la corruption et la sécurité des citoyens par leur violence. Comment sortir de ce piège ? Rompre avec la démagogie et prendre au sérieux la question des drogues est le seul chemin. Bien sûr, le marché noir est dû à la prohibition, mais le système prohibitionniste est devenu une réalité internationale aussi difficile à réformer que les règles du commerce international, la financiarisation de l’économie et les paradis fiscaux. Le débat sur la prohibition des drogues est nécessaire – comme d’ailleurs sur toutes ces questions de fond – mais au-delà des positions de principe, pour agir avec efficacité, il faut prendre acte des réalités. Que peut-on faire aujourd’hui même dans le système tel qu’il est, pour enclencher une logique de changement ? C’est ce tournant qu’a pris la Commission mondiale de la politique des drogues à partir d’un premier constat : y compris dans le système prohibitionniste, tous les pays n’obtiennent pas les mêmes résultats.

Dans la santé, un bon résultat, c’est une politique qui protège effectivement la santé, ce qui est d’ailleurs l’objectif initial de la prohibition des drogues. Mais dans la lutte contre le trafic, qu’est-ce qu’un bon résultat ? Le programme de l’ONU qui s’était engagé à « éradiquer les drogues  » en dix ans a échoué en 2008, et une nouvelle expertise s’est mobilisée. Comme dans la réduction des risques liés à la consommation, il faut commencer par prendre acte des réalités. On estime généralement que la répression porte sur 5 à 10% de ce marché qui, comme tous les marchés, dépend de la demande. Ce qu’il faut éviter, c’est que la lutte contre le trafic renforce l’organisation mafieuse et la violence.

Renoncer à la tolérance zéro

C’est ce qui se passe lorsqu’on frappe les petits revendeurs. Les grosses saisies sont plus glorieuses, mais on aimerait bien savoir quelles en sont les conséquences sur le marché des drogues : qui profite de l’élimination de tels réseaux ? Les résultats doivent être évalués en termes de baisse de la criminalité et non pas en termes de saisies ou de nombre d’interpellations. C’est ce que recommande la Commission mondiale sur la politique des drogues dans son rapport de juin 2011. Mais c’était déjà l’objectif du Plan drogue 2009-2012 de l’Union européenne, car l’Europe a une certaine expérience en la matière. À Frankfort comme à Zurich ou Rotterdam, les villes européennes ont déjà mis en place des politiques locales pour réduire les nuisances liées aux drogues et protéger la santé des usagers de drogues : moins les usagers de drogues traînent dans les rue, mieux ça va pour tout le monde !

Le Portugal est donné en exemple parce que sa politique en a tiré les enseignements au niveau national. Les usagers, qui peuvent détenir jusqu’à dix jours de consommation, ne sont plus incarcérés, et le petit trafic de rue est toléré, à condition de ne pas gêner l’environnement. C’est tirer les leçons de l’expérience qui montre que plus les petits trafiquants de rue sont réprimés, plus le trafic est violent. Aux États-Unis, c’est le «  miracle de Boston  » qui fait figure de modèle1. Alors que cette ville faisait face à une hausse de la criminalité, associée au trafic de crack, une association caritative a proposé aux autorités de renoncer à la tolérance zéro (qui sanctionne systématiquement tout délit) pour se consacrer à la lutte contre la criminalité violente. Une démarche négociée avec les gangs, qui ont renoncé à l’utilisation d’armes à feu tandis que les faits non criminels étaient déjudiciarisés, la justice ne sanctionnant que les actes qui nuisent à autrui. Le commerce a été toléré, à la condition qu’il ne provoque pas de trouble ni dans l’environnement ni même au sein des gangs. Les résultats en termes de baisse de la criminalité ont été probants.

Aux marges de la loi

Le Brésil, l’Argentine, la Colombie, le Mexique ont commencé à dépénaliser l’usage. C’est le premier pas pour réorienter l’action des services répressifs. La France, elle, a adopté le modèle de la tolérance zéro en 2007, un an avant que son échec ne devienne probant aux États-Unis. Bien sûr, la France a manqué de places de prison, qu’il aurait fallu multiplier par 6 ou 7 pour atteindre les taux américains… Mais le nombre de personnes sanctionnées est monté en flèche. Or qu’a-t-on constaté ?

Dans les quartiers investis par le trafic, les comptes se règlent désormais avec armes à feu, ce qui n’était nullement de tradition dans les quartiers populaires français. En juin 2011, les fusillades et les morts ont fait scandale, et le débat s’est enfin ouvert sur la prohibition du cannabis. Si la prohibition est effectivement à l’origine du marché noir, l’escalade de la violence est-elle inéluctable ? La réponse est non. Tout dépend des objectifs et des pratiques des services de police. Quand un trafiquant a peur d’être balancé, il fait peur à son voisin. Quand un plan tombe, les règlements de compte suivent. La mairie de Saint-Ouen en a tiré les leçons. Après l’échec des interventions policières, elle a fait appel à des médiateurs, chargés de négocier entre trafiquants et habitants « pour éviter le pire  ». Réduire les dommages causés par le trafic, c’est tout simplement le bon sens. L’autoproduc-
ponses, qui se bricolent aux marges de la loi. Préfigurant les régulations de l’avenir, ces bricolages seront d’autant plus efficaces qu’ils seront intégrés dans des politiques locales ou nationales comme au Portugal. L’armistice est la première étape. C’est seulement quand la plupart des pays auront pris ce chemin qu’il sera possible de renégocier les conventions internationales.

L’avenir se fabrique au présent

Peut-être la prohibition finira-t-elle un jour par s’écrouler d’elle-même, tel le mur de Berlin. Mais plutôt que d’attendre le moment où les États devront reconnaître leur impuissance, mieux vaut dès aujourd’hui expérimenter de nouvelles formes de régulation du marché en évaluant leurs résultats, comme l’ont été ceux de la réduction des risques liés à l’usage. L’avenir se fabrique au présent : il nous

faudra fabriquer nous-mêmes la sortie de ce système prohibitionniste. Ce que nous demandons aujourd’hui aux responsables politiques, c’est de prendre leurs décisions en connaissance de cause, en fonction de ce que l’on sait. Lors de sa campagne présidentielle, Hollande s’était engagé à soumettre la question du cannabis à une commission européenne. Les experts de l’Observatoire européen des drogues sont prêts. Il y a des acquis sur lesquels il n’y a plus de doute possible – c’est le cas de la dépénalisation de l’usage et de la détention associée à la consommation. D’autres question exigent un développement de l’expertise : évaluer les conséquences de l’application des lois, mieux connaître l’organisation du trafic de drogues, et lutter contre l’emprise des mafias – en France en particulier, où cette question a été curieusement négligée. Bref, prendre la question des drogues au sérieux. Est-ce trop demander ?

Interview de Youth Rise : pour en finir avec le « Just Say No »

Le seul message adressé aux jeunes qui consomment des drogues est le «  Just Say No  », articulé avec un discours de prévention inopérant au regard des millions de jeunes dans le monde qui consomment des drogues.  » : Anita pose crûment les termes du sujet. Partout, la question des «  jeunes  » et celle de «  la drogue  » relèvent du registre émotionnel et moralisateur, une barrière psychologique qui place les adolescents et les jeunes adultes en dehors de l’approche pragmatique défendue par la réduction des risques. Sur le terrain sensible des addictions, certains mots déclenchent un réflexe conditionné : les jeunes doivent être protégés par tous les moyens, y compris la désinformation et les postures ridicules, autant de pierres jetées dans le jardin des «  jeunes  » qui dénient toute crédibilité aux adultes. C’est sur ce constat qu’a été fondée Youth Rise, en 2006 à Vancouver, lors de la 17ème Conférence internationale de réduction des risques. « L’absence de voix jeunes chez les acteurs des politiques de drogues  » est le leitmotiv de cette organisation aujourd’hui devenue incontournable sur la scène internationale de la réduction des risques.

Asud : Anita, pourquoi et comment as-tu intégré Youth Rise ?

Anita Krug : K Mon implication dans le projet est liée à mon histoire personnelle. J’ai consommé des drogues dures dès l’adolescence en Australie, ensuite j’ai voyagé et constaté que les jeunes usagers étaient plus fréquemment confrontés à de graves dénis de justice, et cela partout dans le monde. Je suis fermement convaincue que YR peut être l’outil qui permettra un jour aux jeunes consommateurs d’être enfin reconnus comme des acteurs légitimes de la politique de drogues.

Pourquoi établir une différence basée sur l’âge en matière de discrimination ? Tous les usagers ne sont-ils pas victimes de la guerre à la drogue ?

A K : Les jeunes usagers sont exclus des programmes de réduction des risques pour de multiples raisons. Pour prendre un exemple tragique, 45% des nouvelles infections VIH parmi les 15-24 ans sont dues au partage de seringues. Entre 72 et 96% des injecteurs de drogues déclarent avoir commencé avant l’âge de 25 ans. Or dans la plupart des pays (et notamment en France), il existe des normes légales qui interdisent de fournir du matériel stérile aux plus jeunes. Tout cela est sous-tendu par l’idée qu’il faut protéger «  l’innocence  » d’une jeunesse prétendument menacée par les actions de réduction des risques. Il est donc déplorable que ces programmes soient exclusivement destinés aux adultes et pas aux usagers potentiellement les plus en danger

Youth Rise se définit-elle comme un groupe d’autosupport d’usagers de drogues ?

A K : Nous ne posons pas le problème en ces termes. Nous nous définissons comme acteurs de la RdR (Harm Reductionist) tout en encourageant les jeunes consommateurs à rejoindre notre communauté. Notre but est de permettre aux jeunes consommateurs de s’exprimer en tant que personnes concernées, tout en nous refusant à les enfermer dans une identité d’«  usagers de drogues  » qui convient généralement à une population plus âgée. L’usage des drogues à l’adolescence est souvent plus expérimental, récréatif, fluide, il est important que nous reconnaissions cette pluralité d’approches chez nos adhérents.

Outre-Manche : tous unis contre la guerre à la drogue

Invité à s’exprimer lors du congrès annuel des personnes en « Recovery Treatment  »1, Matt Southwell, vieille connaissance d’Asud, expose les enjeux d’un rapprochement entre les groupes d’autosupport d’usagers de drogues et les associations prônant l’abstinence : si vous dites non à la drogue, dites aussi non à la guerre à la drogue.

Les groupes d’autosupport datent de la fin des années 70, avec la création du réseau de traitement de substitution méthadone (NAMA) aux États-Unis et celle du Junkie Bund à Rotterdam et Amsterdam. Le mouvement d’origine en Angleterre, représenté par des groupes comme Respect et Chemical Reaction (CR), retrace son histoire jusqu’aux racines hollandaises (…).
Pour comprendre les préoccupations des usagers de drog ues, il est important de les placer dans le contexte de notre histoire. Dans les années 90, lorsque Respect et CR ont été créés, les usagers militants étaient déjà partie prenante des actions contre le sida dans nos communautés. Les usagers activistes étaient impliqués dans l’éducation des pairs, le travail de rue et la mise en place de programmes d’échange de sering ues, même si ceuxci ont dû commencer dans l’illégalité, comme à Édimbourg. Ces groupes de terrain avaient noué un dialog ue avec le secteur thérapeutique spécialisé et occasionnellement, certains usagers ont même obtenu des emplois au sein des ces ser vices, en dépit des deux années d’abstinence requises.
Des services efficaces ont vu le jour grâce aux financements pour le VIH et contre l’abus de drogues. Cependant, lorsque la crise s’est résorbée, l’intérêt pour une implication active et significative des personnes consommatrices de drogues s’est aussi affaibli. En Écosse, foyer de l’école de pensée puritaine, les choses sont encore pires sous l’influence du gouvernement écossais. Après avoir été un modèle de participation collaborative, l’engagement de ces patients dans les services de soins est au plus bas, sauf à vouloir jouer le rôle du drogué reconnaissant. Conséquences : une réelle méfiance et dans de nombreux cas, un désengagement vis-à-vis du système de soins.

Un rapprochement stratégique

Respect et CR voient maintenant le système de soins comme un environnement largement hostile, qui nous fait perdre notre temps dans des réunions politiques prêtant peu attention à la science, et qui résiste activement à notre engagement. Plusieurs de nos activistes choisissent ainsi de s’éloigner des services spécialisés et de s’investir dans le soutien des pairs, dans leurs problèmes juridiques, leur besoin de conseils de réduction de risques ou de coaching pour contrôler leur consommation, ou face aux pressions du gouvernement(…). Les usagers de drogues militants qui sont restés représentants actifs dans le système de soins doivent cacher leur consommation et laisser les gens croire qu’eux aussi sont, comme les autres, « en rémission  ». Les pairs qui y travaillent sont devenus des «  champions  » de l’abstinence ou de façon moins condescendante, des assistants à l’abstinence. Le travail de rue consiste désormais à convaincre ceux qui sont encore dans le déni, et les ser vices de soins pour toxicomanes semblent rejouer une version de la réhabilitation tout droit venue de la révolution culturelle chinoise. Membres d’Inpud2, nous voyons les terribles abus commis contre les usagers de drogues au nom du traitement de la toxicomanie, ce qui nous fait apprécier le fameux système anglais malgré toutes ses limites. Nous avons le devoir de défendre ce modèle pour nos pairs britanniques et pour les activistes usagers de drogues du monde entier, qui le voient comme porteur d’espoir et de pratiques basées sur des preuves empiriques.
Au Royaume-Uni, les usagers de drogues militants de la réduction des risques et le mouvement «  Rehab  » ont entamé un rapprochement stratégique autour de quelques valeurs communes. La guerre livrée aux drogués est un fléau qui pèse sur tous les individus ayant fait l’expérience de l’usage. Quel que soit le niveau de leur consommation, tous les drogués du monde connaissent le poids de la stigmatisation et de l’exclusion. Que les choses soient claires, nous ne tenons pas le mouvement de «  l’abstinence  » pour responsable du contexte actuel.

Nous mobiliser pour résister

Le nouvel agenda puritain instauré par le New Labour a été un cauchemar pour le mouvement des usagers en Angleterre, un modèle qui ne respecte même pas les normes de participation des patients du ministère de la Santé.
Lorsque nous nous rencontrons, n’oubliez donc pas que telles sont nos expériences et notre histoire. Nous venons avec la volonté constructive de créer des partenariats, mais pas au détriment de notre réalité. Nous sommes à l’un des points les plus bas de l’histoire du traitement de la toxico manie en Angleterre, mais nous devons nous mobiliser pour résister, le défi étant de gérer le débat sur les traitements sans cautionner l’oppression des usagers de drog ues.
Ne parlez pas en notre nom si vous n’êtes pas un usager de drog ues actif. Même si nous avons des expériences communes et parfois des intérêts communs, notre perception du monde est différente de la vôtre. Si vous vous trouvez dans un forum où la voix des usagers est réprimée, réagissez pour demander que notre droit d’être entendus soit respecté, même si vous n’êtes pas de notre avis.
Ne nous enfermez pas dans le rôle de «  patients  ». Le modèle qui présente l’addiction comme une maladie est très problématique. La propagation de cette idéologie américaine n’est pas basée sur la science et suggère que ce serait mieux si les consommateurs de drog ues n’existaient pas…
Évoquez la sobriété comme une des approches possibles, mais pas comme un modèle universel pour tous (…). Nous apprécions les opportunités de débattre et de dialog uer. Même si la science est tout à fait claire sur la valeur de la réduction de risques, la consommation de drog ues est complexe et nécessite des réponses multiples.

Nous souhaitons mieux comprendre les réseaux de traitement de la dépendance et les nuances entre les différentes composantes de ce «  mouvement  ». Nous sommes heureux de soutenir nos pairs dans les changements positifs survenus dans leurs vies et de les aider par quelque moyen que ce soit à réussir dans ce qu’ils souhaitent changer, dans la mesure où les options
sont validées par la science et qu’elles respectent les droits de l’homme…

Histoire de la prohibition des drogues avec Line Beauchesne

Line Beauchesne est professeure titulaire au Département de criminologie de l’Université d’Ottawa. Elle étudie la prohibition depuis 20 ans. De cette politique des drogues, elle dresse trois constats : l’inutilité, la nuisance et le gaspillage. Inutile, d’abord, parce qu’interdire n’élimine aucunement l’accessibilité des produits illicites. Nuisible, ensuite, parce que la prohibition oblige l’argent à suivre la voie des marchés noirs ce qui renforce le pouvoir des mafias dont les réseaux sont maintenant mondialisés. Gaspillage, enfin, parce que 95 % des ressources publiques investies vont à la répression plutôt qu’au traitement et à la prévention. L’échec est donc total : éliminer la drogue est une utopie et les moyens mis de l’avant ne font qu’empirer la situation.

La salle de consommation de Madrid menacée par la crise en Espagne

La presse espagnole relate la fermeture prochaine de l’unique salle de consommation de Madrid. (cf Ci dessous trois liens en Espagnol). A partir de ces trois articles, voici un état des lieux de la situation, qui comprend notamment, une baisse de 35% du financement des dépenses consacrées à la lutte contre la toxicomanie dans la région de Madrid…

Détail important : 2 des articles ci-dessous sont des articles du grand journal de droite ABC , genre Le Figaro, mais néanmoins trés critique sur cette fermeture, mais comme plusieurs idées se chevauchent dans les 3, je vous fais une présentation de l’ensemble sans les traiter un par un. Je vous ai donné aussi quelques clés sur la salle et la situation politique à Madrid et en Espagne pour bien comprendre les enjeux. Il n’y a pas que ce journal qui dénonce cette prochaine fermeture, le plus grand quotidien espagnol El Pais le fait aussi sur une double page centrale dans son édition de dimanche, d’autres canards aussi…

Dans l’ensemble, il y a bien en 1er lieu le manque de fric dû à la crise terrible en Espagne qui explique en grande partie que le contrat souscrit entre la Région (politiquement à droite avec le P.P.) et l’entreprise privée qui gère la salle de Conso, qui se termine le 31/12/2011, ne sera pas renouvelé. Cette salle, il faut le rappeler, fut ouverte en l’an 2000 par le président de droite de la Région de Madrid M. Gallardon, contre l’avis du maire de l’époque pourtant du même parti, le Parti Populaire et contre l’avis de son président M. Aznar, elle fut la 1ère salle de conso en Espagne avec une à Barcelonne. A ce propos, Gallardon, l’actuel maire de Madrid, déplore aussi fortement sa fermeture…

Mais remettons cela dans le contexte politique actuel : pour 2012, la région de Madrid (qui a la compétence en matière de santé) va baisser de 35% les dépenses consacrées à la lutte contre la toxicomanie!! Ce n’est pas juste la salle de conso qui est concernée, par exemple, des 20 appartements collectifs pour des post cures, il ne va en rester que 7 en 2012! Le centre de désinto El Batan avec 130 usagers va aussi fermer! C’est donc bien un choix politique que la droite qui gouverne Madrid et sa région a fait déjà depuis quelques temps de réduire les dépenses sociales, de l’éducation et de la santé, désengageant l’Etat au profit du privé et ce qui se passe à Madrid constitue un avant-goût de ce qui attend tous les espagnols avec le triomphe écrasant annoncé du P.P. (droite) aux prochaines élections générales dans 1 semaine et d’où sortira le prochain gouvernement. Comme dit le psychiatre José Cabrera (créateur de la salle de conso de madrid), avec la métha les UD ne volent plus ni n’attaquent personne, ils ne font plus peur, donc ils ne sont plus intéressant pour le pouvoir!!! Il semble qu’il ait raison!!

Le coût de fonctionnement de cette salle de 2000m2 est d’1 million d’€ par an mais il faut dire qu’elle offre non seulement tous les services habituels d’une salle d’injection avec aussi des consultations médicales, sociales et juridiques, mais en plus, elle est un centre de distribution de métha et de RDR, a une laverie pour vêtements, des douches, une salle à manger où sont servis 4 repas chauds par jour, une salle de repos-télé, une bibliothèque, une bourse de vêtements et un dortoir avec 40 lits, le tout ouvert 24/24H et 7/7 jours. Selon les responsables, la salle reçoit quand même encore 100 personnes par jour dont 40 restent dormir alors qu’à la grand époque -entre 2000 et 2009- il y avait en moyenne 400 à 500 U.D. par jour qui l’utilisaient sur les 3.000 à 4.000 U.D. qui venaient à las Bartanquillas tous les jours et on avait estimé le nombre total d’UD à environ 13.000 !!!

Officiellement, la conjoncture économique n’a rien à voir, la raison selon l’Agence Antidrogue c’est qu’elle ne servirait plus réellement à grand chose, mais alors pourquoi ne pas la réouvrir là où tout le monde (flics, médecins et assos de RDR°) s’accordent que la situation est exactement la même qu’à Las Barranquillas à la belle époque, c’est à dire sur la scène ouverte de Valdemingomez…?

Tout le monde s’insurge contre cette fermeture qui en 11 ans a sauvé des centaines de vies (dixit): d’abord les UD qui protestent , font et vont faire des manifs devant l’Agence antidrogue de la région de Madrid accompagnés par le personnel de la salle , des adictologues du service de santé public et des assos impliquées dans la RDR.

Ils ont reçu aussi le soutient du maire de Madrid, de la Junta de Seguridad de Districto de Vallecas (Commission chargé des questions de sécurité et d’ordre public réunissant des élus municipaux, la police municipale et nationale de chaque district de la capitale, ici donc celui de la banlieue de Madrid où est située la salle) qui a envoyé en particulier une lettre à la directrice de l’Agence antidrogue, donc aussi responsable de la salle de conso, en regrettant cette fermeture et SURTOUT qu’il n’y ait pas de prévision d’en ouvrir une autre à Valdemingomez où elle fait cruellement défaut car la situation y est dramatique, avec des chiffres équivalent à ceux de las Barranquillas.

Légalisation : « not if but when »

Le 2 novembre 2010, l‘État de Californie procédait au premier référendum de histoire consacré à la légalisation du cannabis. Intitulée « Proposition 19 », cette initiative avait pour but d’autoriser la possession d’une faible quantité de marijuana à des fins de consommation personnelle et d’en permettre la culture dans certaines conditions, par exemple en cas d’usage thérapeutique ou sur une surface inférieure à 2 m2. La vente au bénéfice de l’État était également envisagée. 54% des Californiens ont rejeté la proposition et 44% l’ont approuvée. L’analyse d’Ethan Nadelman, directeur du Drug Policy Alliance, le plus célèbre des activistes pro-cannabis(1)

Si l’initiative californienne pour la légalisation de la marijuana, la Proposition 19, n’a pas remporté la majorité des voix, elle représente malgré tout une victoire extraordinaire pour le mouvement global pour la légalisation de la marijuana. Cet échec indéniable sur le plan électoral est analysé par les militants américains comme une avancée significative en matière de crédibilité du concept de légalisation. Depuis la Proposition 19, la légalisation est une option sérieuse, vraisemblable et discutée rationnellement.

L’impact médiatique, non seulement en Californie mais à travers le pays tout entier et au niveau international, a été exceptionnel. La Proposition 19 est devenue l’initiative législative la plus célèbre de l’année en Californie et sur l’ensemble du territoire américain. Désormais, la question n’est plus de savoir s’il faut légaliser la marijuana mais de savoir comment le faire. Différents sondages réalisés en Californie ont montré que la majorité des citoyens de l’État étaient favorables à la légalisation. L’un des porte-parole du «Non à la proposition 19 » a même reconnu qu’il y avait, dans leurs rangs, un débat entre ceux qui restent hostiles à toute idée de légalisation et ceux qui y seraient plutôt favorables mais qui se méfient de certaines dispositions, voire des menaces du gouvernement fédéral. La Proposition 19 a permis de légitimer le discours public sur la marijuana. Un nombre toujours croissant d’élus ont soutenu l’initiative ou affirmé avoir voté pour elle et d’autres, plus nombreux encore, affirment, en privé, vouloir prendre une position publique sur le sujet. Des soutiens émanent également de syndicats ou d’organisations de défense des droits civils, comme la section californienne de l’Association nationale des officiers latinos.

L’attention s’est accrue au niveau international, notamment en Amérique du Sud où Calderon, le président mexicain, et Santos, son homologue colombien, n’ont pas manqué de critiquer la proposition, présentée comme un exemple de l’incohérence de la politique sur les drogues américaine. Le risque qu’elle puisse l’emporter les a cependant poussés à appeler à élargir le débat sur la légalisation et les alternatives à la politique actuelle. Alors qu’ils s’étaient publiquement exprimés contre la Proposition 19, la plupart des diplomates mexicains indiquaient de même, en privé, espérer qu’elle l’emporte.

Si personne n’a jamais cru que la victoire de la Proposition 19 se traduirait par la faillite instantanée des organisations criminelles mexicaines, tout le monde s’accorde à penser que cette mesure constituerait une étape importante vers la légalisation des deux côtés de la frontière. Et qu’elle entraînerait à terme la disparition des organisations criminelles, comme ce fut le cas pour les contrebandiers avec la fin de la prohibition de l’alcool. « Si la Californie pouvait donner l’exemple, espérait ainsi l’ancien président mexicain Vincente Fox à la radio la semaine dernière. Que Dieu fasse que la mesure l’emporte, et tous les autres États américains lui emboiteront le pas. »

Il est aujourd’hui de plus en plus évident que la légalisation de la marijuana intéresse particulièrement les jeunes et que soumettre cette question à un vote augmente les chances qu’ils aillent effectivement voter. Les deux principaux partis n’ont désormais pas d’autre choix que de s’y intéresser pour tenter de rallier le soutien des jeunes électeurs. Les Démocrates y voient, à juste titre, un bon moyen de rafler des voix aux Républicains. Interrogé sur la manière de remotiver les jeunes qui avaient été les premiers à soutenir Barack Obama, John Burton, le président du parti démocrate de Californie, a ainsi répondu par un seul mot : « l’herbe ». Il est cependant intéressant de noter que Meg Whitman, la candidate républicaine au poste de gouverneur de Californie, n’a pas activement fait campagne contre la Proposition 19, vraisemblablement pour ne pas s’aliéner le vote de jeunes électeurs qui ne soutiennent pas les Démocrates mais qui se sentent vraiment concernés par la légalisation de la marijuana.

Dans le paysage politique, les plus jeunes électeurs penchent de plus en plus vers le libertarisme(2), notamment à cause de questions comme celle de la marijuana. Démocrates et Républicains devront absolument prendre en compte cette question, surtout si Gary Johnson, l’ancien gouverneur du Nouveau-Mexique devenu champion de la légalisation et de la réduction des risques, se lance l’année prochaine dans la course à l’investiture républicaine pour les élections présidentielles. Ce qu’il fera sûrement. Les jeunes, notamment ceux qui votent pour la première fois, pourraient alors être nombreux à lui apporter leurs suffrages, plus encore si Ron Paul se décide à lui passer le relais.

Pour nous qui sommes depuis longtemps engagés dans une stratégie de réforme de la loi sur la marijuana, le plan reste le même que celui envisagé en cas de victoire de la Proposition 19 : soumettre cette question au vote dans les États où les sondages font apparaître une majorité d’opinions favorables, et introduire des projets de loi similaires dans les législations des États. La légalisation remportant désormais le soutien de près de 50 % des gens, non seulement en Californie mais dans un nombre grandissant d’États de l’ouest américain (Washington, Oregon, Alaska, Colorado et Nevada), il semble tout à fait probable que ce genre d’initiative y voit le jour dans les années à venir. S’il est encore trop tôt pour dire que la question sera à nouveau à l’ordre du jour du scrutin 2012 en Californie, on sait au moins qu’un projet de régulation et de taxe sur la marijuana sera évoqué pendant la législature, comme ce fut déjà le cas cette année. La Proposition 19 et la popularité croissante de la légalisation de la marijuana au niveau national les obligeant à relancer sérieusement le débat durant leur propre législature, une flopée de projets de réformes législatives du même type devrait suivre dans d’autres États.

La Proposition 19 peut d’ores et déjà s’enorgueillir d’une victoire dure à remporter : le gouverneur Arnold Schwarzenegger a récemment signé un projet de loi transformant la possession de marijuana, jusqu’alors considérée comme un acte de délinquance, en infraction sans arrestation, passible d’une simple amende comme pour le stationnement. Face aux 61 000 arrestations enregistrées l’an dernier pour possession de marijuana (environ trois fois plus qu’en 1990), ça n’est pas rien. Même s’il est généralement acquis que c’était avant tout pour saper un des arguments clés de la Proposition 19 que le gouverneur a accepté de signer la proposition faite par Mark Leno, un sénateur libéral.

Toutes les données démographiques, économiques et éthiques plaident en faveur de la fin de la prohibition de la marijuana. Plus de la moitié des électeurs californiens de moins de 50 ans ont dit qu’ils voteraient pour la Proposition 19, et ils l’ont probablement fait. Les plus jeunes y sont les plus favorables, les plus vieux les plus opposés. Quant aux arguments économiques en faveur de la légalisation (réduction des dépenses liées à l’application de la loi et revenus générés par la taxation de la marijuana légale), ils ne pourront que devenir de plus en plus convaincants. La marijuana ne va pas se légaliser toute seule mais, grâce à la pression politique de ceux qui pensent qu’il est grand temps de sortir la marijuana du placard et du système judiciaire, l’élan s’amplifie comme jamais parmi les Américains.

(1) Cet article a été publié le 3 novembre sur le site web The Huffington Post (traduction Jacqui Schneider-Harris)
(2) Contraction américaine de libéral-libertaire, le libertarisme se classe plutôt à droite, chez les républicains.

Les conventions internationales sur les stupéfiants n’interdisent pas les salles d’injection supervisées (SIS) !

Communiqué d’Asud, Fédération Addiction, Act Up – Paris, Gaïa Paris, Safe, Sos Hépatites Paris, salledeconsommation.fr,  SOS Drogue International

Ce mercredi à 18h15, la mission d’information parlementaire sur la toxicomanies auditionne Marc Moinard, expert auprès de l’Organisation Internationale de Contrôle des Stupéfiants (OICS). A cette occasion, le collectif du 19 mai tient à clarifier la position négative de l’OICS sur les centres d’injection supervisée, principal argument contre les centres d’injection supervisée avancé par la MILDT et l’Académie de médecine.

Établi en 1968, l’Organe International de Contrôle des Stupéfiants (OICS) est un organe de contrôle indépendant chargé de surveiller l’application des traités internationaux relatifs au contrôle des drogues. C’est une unité administrative du Programme des Nations Unies pour le Contrôle International des Drogues (PNUCID). Composé de 13 membres dont seulement trois sont des professionnels du soin, et d’autres viennent de pays encore éloignés de la démocratie, dont l’Iran, la Chine, la Thaïlande, l’Indonésie, l’OICS s’est souvent montré réticent au regard de la réduction des risques. Son avis de 1999 en fait le seul organisme à interpréter ces conventions comme limitatives à l’établissement de SIS. Cet avis, multipliant l’emploi du conditionnel et procédant d’un raisonnement par analogie aussi peu juridique que scientifique, a de plus varié sur le motif évoqué : en 1999, c’est la convention de 88 qui est évoquée, en 2003, c’est celle de 1961!

Or dans les conventions internationales relatives aux stupéfiants, de 1961, 1971 et 1988, qui codifient les engagements des États membres de l’ONU pour contrôler l’offre et la demande, aucune ne fait mention de salles d’injection supervisées, ni d’autres types particuliers de mesures de réduction des risques (comme les programmes de substitution à la méthadone ou les échanges de seringues).

De plus, en 2002, sur demande de l’OICS, la section des affaires légales du PNUCID rend un avis juridique qui précise qu’« il est difficile d’affirmer qu’établir des SIS corresponde à l’intention d’inciter, d’induire, d’aider ou de faciliter la consommation ou même la possession de drogues illégales ». Les auteurs précisent que si ces actions peuvent paraître insuffisantes d’un point de vue de « réduction de la demande », elles ne constituent pas une intention d’inciter à la commission d’un crime tel que stipulé dans la Convention de 1988. « L’intention des gouvernements est de fournir des conditions plus favorables à la santé pour ceux qui abusent des drogues, de réduire les risques d’infection par des maladies transmissibles et d’offrir des services d’assistance psychosociale et d’autres options de traitement ». Et cela en accord avec l’article 38, 1° de la convention de 1961 qui oblige les États à prendre « toutes les mesures possibles pour prévenir [l’usage] et pour assurer le prompt dépistage, le traitement, l’éducation, la postcure, la réadaptation et la réintégration sociale des personnes intéressées ».
C’est dans le même sens que des avis juridiques suisses(1), allemands(2) concluent que les SIS ne violent pas les traités internationaux.

L’OICS ne s’intéresse pas aux autres priorités de l’ONU telles que la lutte contre la pandémie VIH et la réduction de risques. Il a pris de nombreuses positions contre la réduction des risques ou cautionnant des politiques mortelles pour les usagers de drogues. Par exemple, en 2006, la proposition d’une reclassification de la buprénorphine sur la liste des stupéfiants, proposition rejetée par le comité d’experts sur la dépendance aux drogues de l’OMS en raison des bénéfices reconnus de la buprénorphine en termes de prévention du VIH et de réduction de la mortalité associée aux drogues(3). Dérogeant aux missions et principes édictés par la convention de 1961(4), il ne s’est opposé ni à la Russie où buprénorphine et méthadone sont considérées comme illégales, ni aux méthodes de traitement de pays qui incluent l’incarcération, les travaux forcés voire les électrochocs ou la lobotomie. Enfin, au cours de la « guerre aux drogues » menée par la Thaïlande en 2003, durant laquelle plus de 2500 usagers de drogue ont trouvé la mort et 50000 ont été incarcérés, l’OICS n’a pas hésité à exprimer sa confiance envers le gouvernement thaïlandais, l’encourageant à continuer ses « recherches » en termes de lutte contre la toxicomanie, estimant qu’elles auraient permis de diminuer la consommation de méthamphétamine.

Alors que l’efficacité des approches intégrant une palette variée de réponse, prévention, soins et RDR, est désormais prouvée scientifiquement, l’OICS apparaît ainsi comme uniquement centré sur les approches répressives. Il est étonnant et inquiétant de le voir élevé au rang d’avis absolu par le président de la MILDT et par l’Académie de Médecine !

(1) Bertil, C., Sychold, M. (2000) Use of Narcotic Drugs in public injecting rooms under
Public International Law – AVIS 99-121c. Swiss Institute of Comparative Law, p. 6.

(2) Hedrich, D. (2004) European report on drug consumption rooms. Luxembourg,
European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction, 96 p.

(3) ECDD. Buprenorphine (final decision). Geneva, World Health Organization, 2006

(4) Csete J, Wolfe D. « Progress or backsliding on HIV and illicit drugs in 2008 ? », Lancet, 2008, 371, 9627, 1820-1

La déclaration de Vienne

Le 28 juin, en prélude à la conférence mondiale sur le sida, 3 organisations scientifiques majeures (International AIDS Society, International Centre for Science in Drug Policy, BC Centre for Excellence in HIV/AIDS) lançaient un appel pour la réforme mondiale des politiques des drogues. Constatant que la « guerre à la drogue » avait des effets dévastateurs sur la santé et la sécurité des populations, elles appellent dans « la déclaration de Vienne » les gouvernements à réorienter leur politique des drogues en y intégrant des preuves scientifiques.

Lire et signer la déclaration de Vienne

Une expérience d’usager dans la salle de consommation de Madrid

Grand retour en arrière dans l’histoire de Speedy Gonzalez qui évoque sans détour son expérience d’usager de la salle de conso de Madrid il y a quelques années. Un témoignage qui démontre le rôle primordial que ces structures peuvent jouer pour compléter une politique globale de réduction des risques.

Hiver 2002, 2h00 du matin. La nuit est bien noire et ça caille ce soir pour traverser la partie la plus désolée du bidonville gitan de Las Barranquillas, une scène ouverte à l’extérieur de Madrid où, à l’époque, 300 taudis vendaient de la CC, de la base et de l’héro 24h/24, un véritable supermarché de la défonce1 ! Marchant d’un pas rapide que les premiers signes du manque, le mauvais chemin de terre et le froid rendent chaotique, je me dirige au plus vite vers la Narcosala2 (salle de conso) serrant dans la main mon petit trésor : 2 doses d’héro et 2 de CC…

Un phare dans la nuit

Un no man’s land sordide et hostile où la présence de chiens qu’il faut parfois mettre en fuite à coup de pierres et les mauvaises rencontres rendent particulièrement flippant la nuit. Mais je n’ai pas le choix, rien à voir avec le courage ! Vu l’état déplorable de mes veines, je n’envisage pas du tout de me faire mon fix à l’extérieur dans le froid et l’obscurité. La hantise de tout perdre et de voir s’évanouir tous ses efforts en 1 seconde, sans compter les risques liés à une injection à l’aveuglette et puis, je n’ai même pas de seringues neuves… Ah, si l’administration avait eu la bonne idée d’installer cette structure au milieu de la scène ouverte, cela aurait grandement facilité les choses ! Mais à l’époque, la création de cette salle avait déjà été un véritable petit miracle en raison de l’opposition frontale de la mairie de Madrid qui y voyait « un encouragement au vice ». Partisan convaincu de la RdR et donc de l’utilité de cette structure, le président de la région – pourtant du même Parti Populaire de droite – dû peser de tout son poids pour l’obtenir3.
Je vois enfin des lumières au loin et, tel un phare pour le marin déboussolé, je m’en sers pour me guider dans cette nuit d’encre. J’accélère ma marche, je sais que dans quelques minutes je vais pouvoir pousser le piston et sentir dans mes veines (et aussitôt dans ma tête) la chaleur et l’énergie irremplaçable du speed-ball, et liquider (provisoirement) le manque qui me tenaille… Enfin, j’y suis ! Un ensemble de 3 bâtiments sur une surface de près de 2000 m2 offrant en plus de la salle d’injection, un dortoir avec une vingtaine de lits, une salle à manger offrant 3 repas chauds gratuits par jour, une laverie, des douches, une salle de repos avec télé, une bourse de vêtements, des consultations médicales, sociales et juridiques. Le tout, ouvert 24 heures sur 24, 7 jours sur 7…

Un vrai petit boudoir

Je monte en trébuchant les quelques marches du bâtiment qui abrite la salle d’injection. Elle est précédée d’une petite pièce où – en plus d’un vigile – la personne chargée de l’accueil me dit en me voyant arriver tout essoufflé et agité : « Cool mec, respire un bon coup, ce n’est pas bon d’être si nerveux, tu vas faire des conneries ! Donne-moi d’abord ton n° de dossier et prends du matériel stérile, tu sais que c’est obligatoire si tu veux rentrer ici. Ne t’inquiète pas, cela va être vite à toi. » Des mots que j’entends à peine mais qui me calment un peu. Vu l’heure et le peu de monde présent, l’ambiance est un peu plus relax que pendant la journée où passent parfois plus de 100 personnes4… L’endroit est aseptisé, genre hosto pas très gai ni convivial mais clean, chaud, bien éclairé et surtout, sûr. Et ça, dans cette jungle qu’est le bidonville, c’est beaucoup ! C’est rapidement mon tour. J’entre dans une plus grande salle au beau milieu de laquelle une table propose encore tout le matos stérile nécessaire à l’injection afin de l’avoir plus facilement sous la main si celui pris à l’entrée ne suffit pas.
Après m’avoir conseillé de me laver les mains dans un des grands lavabos situés de part et d’autre, un autre membre de l’équipe me désigne une cabine libre. Il est aussi chargé de surveiller les 10 cabines séparées par des parois en dur mais fermées par un simple rideau en plastique, permettant à l’usager de garder une certaine intimité sans pour autant le cacher totalement aux yeux du surveillant5.
Je m’assois enfin dans la cabine et malgré l’envie qui me tenaille, je m’y sens bien, j’apprécie sa tranquillité et sa sécurité. Bien qu’austère, c’est un vrai petit boudoir où je me dépêche de préparer mon mélange avec la moitié du matos (il faut bien en garder un peu…) sur la petite table qui est devant moi. Mais au bout de quelques tentatives infructueuses, ma nervosité revient au grand galop. Le spectacle que j’offre alors ne doit pas être terrible : le sang coule de plusieurs points d’injection, je n’en peux plus, je tremble, je commence à jurer. Ça fait des heures que j’attends cet instant et si près du but, je vais tout foutre en l’air !

« T’as vu la gueule de tes veines ? »

L’employé de la salle comprend vite que je suis en train de me massacrer, que le risque grandit, et appelle à la rescousse le toubib de garde qui arrive sur le champ : « Allons du calme, prends un autre embout, celui-ci est émoussé. Et puis regarde dans ta seringue, il y a maintenant un caillot de sang, tu dois refiltrer, t’inquiète on va y arriver ! » Sa présence et sa voix posée pleine d’assurance me permettent de souffler un peu. Je m’exécute et jette dans ma poubelle sécurisée la vieille aiguille et le coton sale. Tout en refusant que je m’injecte dans le cou6, il m’indique alors le meilleur point d’injection, et me conseille de me nettoyer les bras et de les passer sous l’eau chaude pour mieux faire ressortir les veines… Il ne touche à rien mais le courant passe… J’essaye à nouveau sans résultat mais cette fois, je garde mon calme. Je trouve enfin une veine pas trop mal et ça y est ! Tout va très vite : mille aiguilles transpercent mon cerveau, et je sens le produit arriver dans les maxillaires, ouf ! Une fois passé le flash du speed-ball, l’héro envahit tout mon corps comme une vague apaisante, je me reprends, j’ai envie de parler… Il est toujours là, me regarde, esquisse un sourire : « Bon, ça va ? Tu vois, le speed, c’est pas bon dans ces cas-là… » On commence à échanger quelques mots, sur tout, sur rien, sur moi… « T’as vu la gueule de tes veines ? Il faut que tu leur donnes des vacances et que t’y fasses plus attention en leur mettant cette pommade (il me tend un tube jaune). Je sais, c’est pas facile quand on shoote autant de fois par jour, mais avoue que si tu ne prenais pas autant de coke, tu shooterais déjà moins, non ? Je ne te propose pas de décro bien sûr, tu verras ça plus tard, mais tu pourrais déjà en finir avec la coke par voie intraveineuse. Fume-la, puis essayes de faire pareil avec l’héro et reviens me voir quand tu en seras là. On verra si tu veux vraiment passer à autre chose, à la métha, pourquoi pas ? Et demain si tu veux, on peut te faire un test VIH-VHC, ok ? Comme ça, tu verras où t’en es. »

Le chemin des vivants

C’était pas brillant. Ça faisait trop longtemps que je tombais dans une chute libre qui n’en finissait pas, restant parfois plusieurs jours sans sortir du bidonville… Je n’ai, bien sûr, pas suivi ses conseils tout de suite, mais cette conversation et d’autres qui ont suivi dans cette salle m’ont aidé à reprendre, tout doucement, le chemin des vivants… Grâce à la Narcosala, j’ai pu, comme beaucoup d’autres, retrouver quelques réflexes d’hygiène de base complètement oubliés. Mais ce fut surtout le premier lien avec une structure à un moment où je n’en avais plus aucun. La dernière chance, sur le lieu même où on se défonce, de prendre un peu soin de soi, de pouvoir peut-être faire un break ou d’envisager des possibilités de remonter. Parler à quelqu’un qui peut t’aider si tu le veux, mais qui va de toutes les manières déjà te rendre ta dignité en te traitant comme un être humain…


1) À lire notamment sur ces endroits typiques” espagnols, “Las Baranquillas, supermarché des drogues version ibérique” (Asud-Journal n°31) et “Cocaïne, castagnettes et corridas” (n°34).
2) Voir aussi “Salles de consommation à l’espagnole” (Asud-Journal n°37) pour une description complète et un historique de cette salle.
3) De son vrai nom Dispositif d’assistance à l’injection (Dave), cette structure créée en 2000 par l’administration régionale fut la deuxième salle de ce type à voir le jour en Espagne. Ouverte grâce à des fonds publics, sa gestion fut entièrement confiée à une société privée. De nombreuses autres salles ont depuis été créées dans le pays avec différents statuts.
4) À l’époque, car las Barranquillas est désormais en perte totale de vitesse au profit de Valdemingomez, une autre scène située plus loin. Mais la salle de conson est toujours là, victime de la lourdeur de son installation…. À quand une nouvelle salle ?
5) Éternel débat entre les partisans d’une surveillance plus facile des UD pour mieux prévenir d’éventuelles OD et le nécessaire besoin d’intimité pour réaliser cet acte. Une fois l’injection faite et compliquant cette question, reste le besoin de communiquer entre UD présents que ne permet pas l’isolement des cabines…
6) Ce point d’injection ainsi que les fémorales, les seins et l’appareil génital sont en effet strictement interdits dans la salle, comme l’injection par un membre de l’équipe ou par un autre UD.

Salle de conso : lettre ouverte de Julio Montaner, président de l’IAS à Mme Bachelot

Dans une lettre ouverte à Roselyne Bachelot, Julio Montaner, président de la conférence mondiale du Sida, et Edward Wood, professeur à l’Université de Colombie Britanique, apportent tous leur soutien à la Ministre pour l’expérimentation de salles de consommation de drogues à Paris.

>>Lettre ouverte de Julio Montaner (Président de l’IAS) à Roselyne Bachelot
>>International Aids Society

La prohibition est-elle soluble dans l’Atlantique ?

L’Amérique est en train de changer. Il y a peu, l’administration Bush confondait usagers de drogues et terroristes dans les forces du Mal. Mais depuis « yes, we can », le président lui-même confesse faire partie du club de ceux qui ont avalé la fumée. Le point, à l’occasion de la conférence bisannuelle du Drug Policy Alliance, le lobby américain des adversaires de la prohibition.

« I’m feeling good ! I’m feeling really good …». Ethan Nadelmann, le directeur du Drug Policy Alliance (DPA), est heureux. « The wind is on our back » (« nous avons le vent en poupe »), enchaine-t- il sous les ovations des 1 000 délégués réunis dans la bonne ville d’Albuquerque (Nouveau-Mexique). Nous sommes en novembre, il fait doux, et 2009 est une bonne cuvée pour les partisans du changement des politiques de drogues (Drug Policy Reformers).
Il faut dire que les antiprohibitionnistes américains reviennent de loin, de très loin. Depuis quarante ans, La Guerre à la Drogue (War on Drugs) creuse son sillon sans rencontrer beaucoup d’obstacles. À l’exception d’une embellie dans les années 1970 sous la présidence de Jimmy Carter, la répression de l’usage s’est accrue au même rythme que la rigidité du consensus antidrogue. Pire, les années 1980-90 –les années crack-cocaïne – ont autorisé toute les audaces, toutes les surenchères au service de la stigmatisation de tout ce qui touche aux substances illicites. Les Démocrates succèdent aux Républicains qui succèdent aux Démocrates, et l’ensemble de la classe politique récite depuis quarante ans une litanie sécuritaire bien rodée autour d’une évidence : « Drugs are bad ! »

War on Drugs

On oublie parfois que le concept de Guerre à la drogue est une invention historiquement datée, dont l’auteur s’appelle Richard Nixon. En 1969, lors d’une célèbre intervention au Sénat retransmise à la télévision, le président fait de La Drogue l’« Ennemi public n° 1 » du peuple américain. À l’instar du communisme pendant les années 1950 ou du terrorisme d’Al-Qaïda depuis l’attaque des tours jumelles, l’usage de drogues est promu au rang des grands fléaux à combattre par tous les moyens, y compris militaires.
1969-2009 : quarante années de violences policières, d’inflation carcérale, d’expéditions armées dans les États voisins et symétriquement, quarante années d’augmentation exponentielle de la consommation, de croissance des mafias et des bénéfices générés par le trafic international. Cette guerre a causé la mort de milliers de toxicos, dealers, voisins, petits frères, membres de gangs, en grande majorité Noirs ou Hispaniques. Elle a conduit des millions de fumeurs de marijuana derrière les barreaux et elle continue de déstabiliser gravement une partie de l’Amérique Latine, au point que de nombreuses voix y réclament la fin de la prohibition.
En 2009, Barack Obama fait renaitre les espoirs de tous ceux qui tentent de résister à cette déferlante. La biographie du nouveau président, la franchise avec laquelle il aborde ses propres consommations, la directive donnée aux procureurs fédéraux de ne plus poursuivre les planteurs de marijuana, autant de signes qui apparaissent comme un revirement quasi miraculeux aux yeux des activistes partisans d’un changement de politique. Il était donc particulièrement intéressant d’aller écouter ce que disent les lobbyistes du Drug Policy Alliance sur l’éclaircie de l’année 2009.

Comme du temps de l’Amérique « sèche »

L’Amérique est décidément une terre de contraste. Nulle part ailleurs la guerre à la drogue n’est combattue avec autant de ténacité que par les Américains eux-mêmes. Le Drug Policy Alliance – ex-Lindersmith Center – est une fondation patronnée par George Soros, l’un des hommes les plus riches du monde. L’animation et la direction du réseau sont confiées à un diplômé de Harvard, ancien professeur de droit international à l’université de Princeton, le très charismatique Ethan Nadelmann. En l’espace de quinze ans, cet intellectuel new-yorkais a hissé son organisation au tout premier plan. L’ancien « think tank » un peu élitiste du début est devenu une mécanique bien huilée qui martèle une seule idée : la guerre à la drogue est un fléau bien pire que celui qu’il prétend combattre. La comparaison avec le combat des années 1920 pour sortir de la prohibition de l’alcool s’impose dès que l’on analyse l’argumentaire des Drug Reformers. Comme du temps de l’Amérique « sèche », l’interdiction des drogues est désignée comme la principale responsable de la prospérité des mafias et de la permanence de la corruption aux États-Unis.
Pour toucher efficacement l’ensemble de la société, le DPA est organisé en lobby, à l’américaine. Un système qui associe des intellectuels et des politiques d’envergure nationale, qui cultive ses relais à l’université, essaime via les forces de police ou les représentants des minorités et privilégie, bien entendu, l‘intervention médiatique. Nulle part ailleurs dans le monde une telle machine de guerre n’eut été concevable, nulle part ailleurs les enjeux ne sont aussi déterminants. De par son importance géopolitique, et du fait de la place qu’elle occupe dans ce dossier, l’Amérique influence significativement la plupart des décisions internationales prise en matière de contrôle des stupéfiants. L’année 2009 sera donc peut-être un jour qualifiée d’historique.

Ensemble disparate

Aux États-Unis, la fonction d’activiste est une affaire sérieuse. À première vue, les délégués réunis au Conference Center d’Albuquerque ressemblent à un mélange improbable de militants de la Ligue des droits de l’Homme et d’adeptes de l’Église de scientologie. Tous ont en commun une ferveur presque religieuse dans la dénonciation des méfaits de la guerre menée contre les drogués, conjuguée à la certitude d’appartenir au camp des vainqueurs, de ceux qui sont du bon côté de la barrière. Bref, aux forces du Bien.
Derrière le stand des Étudiants américains pour la légalisation de la marijuana, on aperçoit quelques adolescents joufflus. Puis on transite vers celui des Mamans unies contre le mésusage et l’abus (Mothers Against Misuse and Abuse), où des mères de famille vous étouffent sous une montagne de flyers vantant la réduction des risques. On peut également visiter le stand des Forces de l’ordre contre la prohibition (Law Enforcement Against Prohibition) présidé par l’ineffable Jack Cole, un ancien flic du DEA « undercover » qui proclame la nécessité de légaliser toutes les drogues. En flânant un peu, on se rend compte que ces militants appartiennent à toutes les chapelles de l’Amérique, qu’ils ne partagent pas forcément les mêmes opinions politiques, et que leur penchant pour les drogues est tout aussi relatif. De nombreux ex-usagers de drogues issus des programmes d’abstinence en 12 étapes sont d’ailleurs de zélés militants du DPA. Un ensemble disparate uni derrière l’idée que l’État fédéral aggrave le problème en interdisant la consommation des citoyens américains. Un exemple ? L’orateur vedette de la clôture est un libéral, plutôt classé à droite, Gary E. Johnson.

« Candidat des drogués »

Ancien gouverneur du Nouveau Mexique, cet élu du parti républicain est un adversaire déclaré de la prohibition et bat, comme tel, les estrades du pays pour briser le mur de préjugés et de désinformation qui sévit, notamment dans les rangs de son propre parti. « Une femme, raconte-t-il, m’en voulait à mort d’avoir gracié une détenue condamnée à six ans de prison pour fabrication de fausses ordonnances.
– C’est un scandale. Vous êtes un criminel. J’ai été cocaïnomane pendant vingt ans, je sais que les drogues sont des poisons.
Elle a continué à s’énerver jusqu‘à ce que je lui demande si elle pensait vraiment que la prison aurait régler ses propres problèmes. Quelques années plus tard, un homme a déclenché un ouragan médiatique en clamant partout que la drogue avait tué 6 personnes de sa communauté. Les forces de police ont rapidement arrêté le dealer, qui a aussitôt été remplacé par un autre dealer, beaucoup plus dur, qui a causé la mort de 62 personnes…»
Mais le gouverneur sait également faire dans le genre plus léger : « On dit qu’il faut protéger notre jeunesse de la drogue. Mais si vous voulez des drogues, vous avez tout intérêt à vous adresser à un jeune plutôt qu’à un vieux car ce sont les jeunes qui savent où trouver les drogues, pas l’inverse. » Des anecdotes qui font le régal d’une salle chauffée à blanc qui scande « Insanity » (« infamie ») le poing levé après chaque démonstration de l’inanité des réponses répressives.
Si le gouverneur Johnson a de l’humour, ce n’est pas un rigolo. C’est un élu de premier plan, sérieusement en course pour la candidature des Républicains à la présidentielle. Il existe peu de nations où un homme politique de ce niveau prendrait ainsi le risque d’être étiqueté « candidat des drogués ».

« Yes, we can », « si, se puede »…

Mais la grande affaire, celle qui a polarisé tous les commentaires, est bien évidemment l’analyse des intentions de Barack Obama. La personnalité du président métis est effectivement l’objet de tous les espoirs et de toutes les interrogations. Dans son discours inaugural, Ethan Nadelmann a ainsi rappelé les signes positifs émis par la nouvelle administration, à commencer par la nomination d’un « Monsieur drogue », Gil Kerlikowske, acquis à la réduction des risques et auteur de la fameuse phrase critiquant le caractère métaphorique de la guerre à la drogue : « Nous ne sommes pas en guerre contre les gens de ce pays ». Le directeur du DPA n’a pas résisté au plaisir de citer le président Obama interrogé par la presse :
« Avez vous déjà fumé de la marijuana ?
– Oui.
– Mais avez-vous avalé la fumée ?
– Excusez-moi, je croyais que c’en était l’intérêt (I believe it was the point). »
Les similitudes entre notre « moment historique » et celui qui a vu s’effondrer la prohibition de l’alcool au début des années trente ont également été mises en perspective selon un angle particulièrement éclairant : une crise économique majeure, des produits toujours plus accessibles mais fournis par les mafias, une répression sélective qui sanctionne durement les « classes dangereuses » et favorise un climat d’hypocrisie générale chez les plus favorisés socialement.
« Si, se puede », ont scandé les 1 000 délégués en clôture de la conférence. Le « yes, we can » du président, hispanisé pour la bonne cause, a servi de cri de ralliement. Et l’on se prend à rêver d’une Alliance pour un changement de politique des drogues bien française, bâtie sur ce modèle. Il suffirait d’un milliardaire franchouillard militant du cannabis, de quelques anciens ministres partisans de la légalisation de la cocaïne, d’un syndicat de policiers engagé à fond dans le combat contre la loi de 70 !!!!

Il est clair que nos deux pays ont une conception très différente de la démocratie, de la liberté individuelle et du rôle de l’Etat. Ce qui fait sens pour un élu républicain comme pour un intellectuel « de gauche » new-yorkais, c’est avant tout l’atteinte insupportable à la vie privée, donc à la sacro-sainte liberté individuelle. L’interdiction fédérale de consommer tel ou tel type de drogues peut sérieusement être présentée comme un acte anti-Américain, contraire à toutes les traditions de ce pays depuis la guerre d’Indépendance. Qu’elle se décline sur le mode capitaliste ou dans une version libertaire, cette religion du Moi est toujours une idée forte à laquelle le citoyen de base reste attaché, car elle fonde la démocratie américaine. C’est donc bien la liberté individuelle, et non pas la réduction des risques ou les questions sanitaires, qui fédère les partisans du changement Outre-Atlantique. Un exemple qu’il conviendrait sans doute de méditer en 2010 quand nous célèbrerons les 40 ans de notre loi « liberticide » du 31 décembre 1970.

La croisade de l’ONU contre la drogue

Un monde sans drogue, c’est possible

« Les drogues sont en train de déchirer nos sociétés, engendrant la criminalité, répandant des maladies comme le sida, détruisant notre jeunesse et notre avenir. On compte aujourd’hui environ 190 millions de toxicomanes dans le monde. Aucun pays n’est à l’abri… La mondialisation du commerce de la drogue exige une réaction internationale », déclarait en 1998 le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, en préambule de la session spéciale de l’Assemblée générale des Nations unies à New York. Lors de cette grand-messe, les pays membres des Nations unies se donnèrent dix ans, d’une part pour éradiquer la culture du pavot, du cocaïer et du cannabis, et d’autre part pour réduire significativement l’offre et la demande de drogues illicites…« Un monde sans drogue, c’est possible », tel était leur slogan. Sous l’amicale pression des états-Unis, pour qui la prohibition est une aubaine (qui leur permet de régner par la force sur une partie du monde), les nations membres de l’ONU déclarèrent la « guerre à la drogue ». Et tout ce beau monde ( Jacques Chirac en était) de se donner rendez-vous à mi-parcours afin d’évaluer les effets positifs de la croisade lancée contre la drogue et les drogués.

Nous voilà donc en 2003. L’absence de réunion préparatoire n’a pas facilité les débats lors de la 46e session de la Commission des stupéfiants. Faute de temps, mais surtout de bonne volonté, les délicates questions soulevées par les représentants de certains pays (Suisse, Hollande, Belgique…) sur le développement alternatif, le blanchiment de l’argent sale ou la réduction des risques, ont été évacuées.
Dans le document final adopté par 140 délégations, les États membres commencent ainsi par se dire « gravement préoccupés par les politiques et activités en faveur de la légalisation des stupéfiants et des substances psychotropes illicites qui ne sont pas conformes aux traités internationaux relatifs au contrôle des drogues et qui risqueraient de compromettre le régime international de contrôle des drogues ». Puis, après s’être félicités des progrès accomplis dans leur lutte contre le trafic, ils réaffirment leur volonté d’éradiquer les plantes à drogues dans les cinq ans à venir. Une dangereuse utopie de la «guerre à la drogue » défendue par les États-Unis avec le soutien de nombreuses dictatures, dénoncée par une manifestation européenne – à laquelle participaient des activistes d’Asud et du Circ – qui part du centre de Vienne pour se terminer 7 kilomètres plus loin, devant le siège des Nations unies(1).

Un bilan déplorable

Dix ans plus tard – en 2008 – force est de constater que l’offre et la demande de drogues ont augmenté partout dans le monde, et que la politique de prohibition pure et dure est un échec. La « guerre à la drogue » n’est pas qu’un concept. C’est aussi une réalité qui engendre de nombreux conflits de toute nature où sont quotidiennement bafoués les droits de l’homme les plus élémentaires.
En axant sa politique sur la répression et la stigmatisation des usagers, l’ONU a favorisé la diffusion du virus du sida. Mais les dégats ne sont pas que sanitaires, ils sont aussi sociaux : le crime organisé ne s’est jamais aussi bien porté. Au point, constatait benoîtement le directeur de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime en décembre 2008, que les cartels de la drogue ont participé au renflouement en liquidités de certaines banques victimes de la crise financière.

Ne pouvant – décence oblige – que constater les graves coûts humains et financiers de sa politique, la Commission des Nations unies sur les stupéfiants (CND) réunie à Vienne ne s’est pas avouée vaincue pour autant. Et Antonio Maria Costa, son porteparole, de déclarer que « le problème de la drogue au niveau mondial a été contenu, mais n’a pas été résolu»… L’année précédente, il annonçait même triomphalement que le « problème mondial des drogues était en train d’être endigué », tout en notant que la production d’opium afghan avait augmenté de 42% entre 2005 et 2006. Sa politique étant contestée par de nombreuses associations et par les délégations de plusieurs pays, l’ONU décide alors de s’accorder un an de réflexion pendant lequel ses différentes officines (2) se chargeront d’évaluer la pertinence des politiques menées depuis dix ans, en invitant la société civile à alimenter le débat.

Évidemment, aucune évaluation sérieuse de la politique ONUsienne n’a été entreprise. Les technocrates se sont agités pour que la Déclaration politique soit acceptée par consensus, sans lire les contributions de la coordination mondiale des ONG qui propose une politique respectant les droits de l’homme, une politique de réduction des risques impliquant les usagers.

La montagne accouche d’une souris

Le 11 mars 2009, plus de 1 400 responsables représentant 130 nations sont invités à la séance plénière du 54e sommet de l’ONU sur les drogues. Dans son discours inaugural, Antonio Maria Costa souhaite que « les États traitent la dépendance à la drogue comme une maladie et s’impliquent davantage dans la prévention, le traitement et la réduction des risques »… Une première, l’expression « réduction des risques » étant jusqu’alors bannie du vocabulaire des Nations unies. D’après le président de la CND, le trafic a pris des proportions que personne n’avait prévues. Une situation qui gangrène l’économie formelle et donne de l’eau au moulin des partisans (heureusement minoritaires) de la légalisation, et qui inquiète Antonio Maria Costa. Aussi, incite-t-il les États signataires des Conventions à lutter avec plus d’énergie encore contre le trafic, mais en aucun cas à mener une politique « en faveur des drogues ». De ce segment de haut niveau, les médias n’auront retenu que l’intervention d’Evo Morales demandant solennellement que la feuille de coca soit retirée du tableau des stupéfiants. « Si les effets étaient tels qu’on les décrits, affirme Evo Morales à la tribune, je ne serais jamais devenu président de la République. Si c’est une drogue, alors vous devez me mettre en prison.»

Parallèlement à la séance plénière, plusieurs tables rondes étaient organisées, où technocrates et experts du monde entier ont pu échanger leurs points de vue sur les axes à privilégier dans la politique à venir. Quelques représentants des usagers invités par des délégations nationales ont essayé de défendre leurs arguments.

Terminé fin 2008, le rapport de la Commission européenne sur « l’évolution du marché mondial des stupéfiants entre 1998 et 2007 » a été rendu public à quelques jours seulement de la réunion du CND… Et pour cause : composée d’experts internationaux indépendants, la commission démontre que la politique de l’ONU en matière de drogues est un échec sur toute la ligne. En témoignent les propos sans concession de Peter Reuter, son rapporteur : « La majorité des dommages observés proviennent des politiques menées plutôt que des drogues elles-mêmes » ou encore « la prohibition des drogues a provoqué des dégâts involontaires importants dont beaucoup étaient prévisibles. »

Le 11 mars, à l’entrée du bâtiment de l’ONU, des militants représentant les usagers ont distribué des tracts et brandi des pancartes dénonçant la guerre à la drogue et aux drogués : « The war on drugs destroys lives – We are not collateral damage, we are people. » (3)

Une motion déposée à la dernière minute par l’Allemagne et signée par 25 pays 4, pour demander que la réduction des risques fasse partie de la stratégie de l’ONU a provoqué l’ire de pays influents comme le Japon, la Russie, ou la Chine. Quant aux représentants de la délégation américaine, ils n’ont pas moufté, signe que la promesse de Barack Obama de privilégier la politique de réduction des risques fait son chemin (5).

L’impossible consensus

Les résultats du débat de haut niveau de la CND sont un demi-échec pour les délégations et les associations qui espéraient que l’expression « réduction des risques » figurerait dans la Déclaration politique de cette 54e session. À l’expression « Harm Reduction » sans doute trop réaliste, les technocrates préférèrent celle de « Services au soutien connexe » pour signifier timidement qu’ils vont désormais mener une politique de santé publique digne de ce nom.
Négociée en coulisses tout au long de l’année 2008, la déclaration politique finale de l’ONU est comme d’habitude pétrie de grands principes dans un vocabulaire très diplomatique et tarabiscoté. Un exemple ? Après avoir noté «l’augmentation alarmante » des cas de sida chez les usagers de drogues par voie intraveineuse, « réaffirmons notre volonté d’oeuvrer vers l’objectif de l’accès universel aux programmes globaux de prévention de l’usage illicite de drogues et au service de traitement, de soins et de soutiens connexes dans le strict respect des Conventions internationales relatives au contrôle des drogues et conformément à la législation nationale, eu égard à toutes les résolutions pertinentes des Nations unies et, le cas échéant, au guide technique de l’OMS, de l’UNODC et d’ONUSIDA, et prions l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime de s’acquitter de son mandat en la matière »… Ouf !
Et les États membres de se donner rendezvous en 2019, « la date butoir pour éliminer ou réduire sensiblement et de façon mesurable :
– La culture illicite du pavot à opium, du cocaïer et de la plante de cannabis ;
– La demande illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, et les risques sanitaires et sociaux liés aux drogue ;
– La production, la fabrication, la
commercialisation, la distribution et
le trafic illicites de substances psychotropes, notamment de drogues synthétiques ;
– Le détournement et le trafic illicite
de précurseurs ;
– Le blanchiment d’argent lié aux drogues illicites. »

Réduction des risques et prohibition : frères ennemis ou complices ?

À quoi sert la politique de réduction des risques (RdR) ? À protéger la santé de ceux qui consomment des drogues, tout en étant utile à leur entourage. Mais pour les partisans de la guerre à la drogue, tout ce qui peut aider les usagers de drogues est suspect : nous serions des défaitistes dans la guerre, des traîtres ou, pire encore, des prodrogues ! Inacceptable, donc !

Certains antiprohibitionnistes s’étaient, de même, montrés méfiants dans un premier temps : assimilée à la médicalisation des toxicomanes inscrite dans la loi de 1970 comme alternative à l’incarcération, la RdR était une fausse bonne réponse. Pourtant, les premiers militants de la réduction des risques étaient souvent eux-mêmes des antiprohibitionnistes. En 1993, avec Bertrand Lebeau, Phong, la première présidente d’Asud, et quelques autres, nous avons participé à la création du Mouvement de légalisation contrôlée (MLC), la première association antiprohibitionniste française dont Me Caballero était le président. Mais nous nous sommes rapidement éloignés du MLC. Nous n’étions pas d’accord sur la dépénalisation de l’usage : alors que nos amis du MLC pensaient que ça ne changerait rien au problème de la drogue, pour nous, passer du statut de délinquant à celui de citoyen, ce n’est pas rien. Ce n’est pas qu’une question de principe, c’est aussi une question de santé car, comme l’a montré la lutte contre le sida, plus les gens ont des droits, plus ils sont en mesure de protéger leur santé. L’alliance avec les médecins s’est faite sur cette nouvelle conception de la santé publique qui reconnaît à chacun le droit de choisir comment protéger sa propre santé.

Retour insidieux à la répression

Nous nous sommes engagés dans la réduction des risques pour obtenir des changements dans l’immédiat, sans attendre un ultérieur changement radical et même, en ce qui me concerne, pour y contribuer. S’il devient chaque jour plus évident que la guerre à la drogue est un échec, nous ne sortirons pas de cette impasse par un coup de baguette magique. Il faut expérimenter de nouvelles façons de faire, de nouvelles façons de réguler à la fois les consommations et les produits. Telle est ma position, mais que s’est-il passé en réalité ? Peut-on dire que la réduction des risques a changé la politique française ? Le seul changement majeur issu de la RdR est l’introduction des traitements
de substitution, mais comme certains le craignaient, cette médicalisation s’est accompagnée d’un renforcement de la prohibition. La réponse à l’usage est plus que jamais répressive.
Cette évolution était-elle inévitable ? La RdR a-t-elle atteint ses limites ? Je ne le pense pas.
Russie ou Thaïlande, États-Unis ou France, la RdR est une démarche qui peut s’inscrire dans n’importe quel système politique. C’est une de ses forces. Ses limites dépendent du contexte, du cadre légal et du rapport de forces. Or le moins que l’on puisse dire, c’est que le rapport de forces n’est pas favorable à la réduction des risques. Alors que nous étions parfaitement conscients qu’il ne pouvait y avoir de réelle avancée sans ce changement de la loi, nous n’avons pas réussi à obtenir la dépénalisation de l’usage. Distribuer des seringues et interdire de s’en servir est pourtant manifestement incohérent ! Le retour vers des réponses essentiellement répressives à l’usage a été insidieux. Compte tenu des résultats de la RdR, le gouvernement n’a pas pu la remettre en cause, du moins immédiatement. La loi de santé publique de 2004 a officialisé un dispositif institutionnel avec des objectifs purement médicaux : réduction des overdoses et lutte contre les maladies infectieuses. Mais la logique de la réduction des risques a été abandonnée : « La meilleure façon de protéger sa santé, c’est de ne pas consommer des drogues ! », dit-on désormais. Mais c’est bien sûr ! C’est même tellement évident qu’on se demande pourquoi nous n’y avons pas pensé plus tôt ! Sauf que ce raisonnement-là est précisément celui qui conduit à l’escalade de la guerre à la drogue. Ceux qui nous gouvernent savent très bien qu’on ne protège pas la santé des gens en les mettant en prison, mais ils sont convaincus que sanctionner quelques-uns fait peur au plus grand nombre. La peur du gendarme serait la meilleure des préventions. C’est ce raisonnement qui a conduit les Américains à incarcérer plus de 2 millions de personnes, sans supprimer pour autant ni la consommation de drogue ni le trafic. Nous faudra-t-il dix ans de répression, des centaines de milliers de vies détruites et un durcissement de la délinquance pour tirer le même bilan ?

Le désastre de la tolérance zéro

Nous nous sommes arrêtés en chemin. Avec un dispositif institutionnel restreint à des objectifs purement médicaux pour les usagers en grande exclusion, les équipes n’ont plus les moyens d’aller au-devant des nouvelles générations. En milieu festif, les actions ont été limitées à l’information. Le testing, qui fait appel à la responsabilité, aurait permis d’entrer en relation avec des usagers qui n’avaient a priori aucune demande de soin. C’est précisément une des missions de la RdR, mais le testing a été interdit et il n’y a plus de nouvelles expérimentations. De plus, la RdR en France est limitée à la gestion des consommations. À l’exception des prescriptions médicales, il n’y a pas d’expérience portant sur la gestion des produits. En Europe, les salles de consommation imposent de penser la question de l’accès aux produits, chaque ville ayant sa propre méthode, négociée avec les usagers à Genève, avec une zone de tolérance pour la revente à Berne, et même avec des
dealers dûment habilités à Rotterdam. Le cannabis a déjà donné lieu à quelques expérimentations qui répondent à une logique de réduction des risques, culture en Suisse, vente aux Pays-Bas, mais en France, le cannabis a été radicalement exclu de la logique de RdR. Résultat : nous avons connu la plus forte progression du nombre d’usagers de cannabis en Europe occidentale. Et pourtant, nous nous obstinons dans la répression ! Aujourd’hui, cette consommation se stabilise, une stabilisation que le gouvernement attribue malheureusement à la répression, alors qu’elle est tout simplement liée à l’expérience. Ce qui limite les consommations de drogues, cannabis ou alcool, ce n’est pas l’interdit, ce sont les effets qui sont ou non recherchés. Hier, j’espérais que l’Europe résisterait à la logique de guerre à la drogue à l’américaine. Mais aujourd’hui, le changement vient manifestement d’Amérique, au Nord comme au Sud (voir page suivante). Le problème, c’est que nombre de pays européens sont désormais tentés de reproduire le modèle de la tolérance zéro, à l’origine du désastre. La France fait figure de pionnière : interpellations massives, sanctions systématiques, casiers judiciaires, comparutions immédiates, peines planchers. Un modèle qui prétend prévenir la récidive, mais les casiers judiciaires démultiplient les obstacles : voilà qui ne peut qu’enfermer le plus grand nombre dans la délinquance. Les gangs américains sont issus de cette politique. Très récemment, Peter Reuter, un professeur de criminologie américain, en a fait la démonstration dans un rapport rendu à la Commission européenne (voir p. 18-19). Tout le problème est de savoir comment sortir de ce guêpier.

Convaincre le plus grand nombre

Si au niveau international, la grande majorité des antiprohibitionnistes soutient la réduction des risques, c’est que les seuls changements de la politique des drogues sont jusqu’à présent dus à la réduction des risques. Un jour peut-être l’ONU se décidera-t-elle à changer les conventions internationales, mais un changement radical ne sera possible que lorsqu’il aura convaincu une part décisive de l’opinion. L’avantage des expérimentations qui sont menées dès à présent, c’est qu’elles peuvent convaincre, par leurs résultats, des hommes et des femmes de bonne volonté, même s’ils ont a priori peur de la légalisation des drogues. C’est d’autant plus nécessaire que si la vente contrôlée de cannabis est relativement aisée à imaginer, il n’y a pas de solution toute faite pour les autres drogues, par exemple pour la cocaïne. « Dans un premier temps, il y aurait sans doute une augmentation du nombre de consommateurs », reconnaissent généralement les antiprohibitionnistes. Voilà qui n’est guère rassurant ! La plupart des gens ont peur des drogues, et au-delà de la propagande (qui a d’ailleurs été la plus efficace des publicités !), ce sont effectivement des poisons dont il faut réduire les risques. Il est clair que ce marché devra être régulé, et s’il est régulé, il y aura nécessairement du trafic. Ce serait évidemment le cas si la culture de la coca ou celle de cannabis sont légalisées. Ces expérimentations ne répondent que partiellement aux différents problèmes qui se posent sur le terrain, mais répondre partiellement vaut mieux que l’escalade continue vers une impasse.. Cocteau disait de l’opium qu’il faut s’en approcher comme on s’approche des fauves, en restant constamment sur ses gardes. Les fauves sont là, tapis dans les fossés, et il est illusoire d’espérer les exterminer tous ! Il nous faut apprendre à coexister avec eux. Autant le faire sans ajouter notre sauvagerie à la leur !

Étienne Apaire n’en fait qu’à sa tête

Alors que la politique de réduction des risques est inscrite dans la loi sur la santé publique depuis 2004, Étienne Apaire n’a pas soutenu à l’ONU la motion en faveur de la réduction des risques liés à l’usage de drogues.
Lors du 54e sommet de l’ONU sur les drogues une motion a été déposée à la dernière minute par l’Allemagne et signée par 25 pays, pour demander que la réduction des risques fasse partie de la stratégie internationale sur les drogues comme le préconise le rapport de la commission européenne sur « l’évolution du marché mondial des stupéfiants entre 1998 et 2007 ». Tandis que les représentants de la délégation américaine n’ont pas moufté, signe que la promesse de Barack Obama de privilégier la politique de réduction des risques fait son chemin, Étienne Apaire, lui, s’y opposait.

Dans une interview accordée de Vienne, le président de la Mildt n’a que du mépris pour le rapport de la Commission européenne – « un rapport parmi d’autres » – et encense l’ONU, quitte à travestir la réalité : « Nous nous félicitons de l’action de l’ONU contre le crime et la drogue qui, si elle n’a pas éradiqué la coca et le pavot, a par son action évité le délabrement de certains États et participé à la baisse de la consommation de cannabis dans le monde. On peut se poser la question de savoir quelle serait la situation si l’action de l’ONU n’avait pas existé. »

Conférence de presse Asud/Circ/Act Up Paris – Contre « la guerre à la drogue »

En 1998, réuni en session extraordinaire à New York, l’ONU s’était donné dix ans pour éradiquer la production de plantes à drogues et réduire significativement l’offre et la demande des drogues illicites.
À l’heure du bilan, en 2008, une évidence s’impose : « la guerre à la drogue » est un échec cuisant.

Le 11 et 12 mars 2009 à Vienne, en présence de l’ensemble des autorités concernées sur le plan international, l’ONU tiendra une assemblée dont l’objectif est de définir une nouvelle politique pour les dix années à venir.

Une coordination d’associations européennes (cf. pièce jointe), dont ASUD et le CIRC, ont décidé de participer le 11 mars à un rassemblement pacifique devant le bâtiment de l’ONU. Nous demandons que cesse cette politique répressive et stigmatisante pour les usagers. Nous souhaitons pour les drogues une politique plus pragmatique qui privilégie la réduction des risques plutôt qu’une répression aveugle et contre productive.

Pour que cette assemblée qui doit se prononcer sur la future politique des drogues ne soit pas occultée.
Pour que soient relayées les actions des militants européens se battant pour une réforme des traités internationaux,
ASUD, le CIRC,et Act Up Paris vous convient à une conférence de presse, le lundi 9 mars à 17 heures dans les locaux de l’association ASUD.

Toutes informations complémentaires au numéro suivant : 01 71 93 16 48 ( Fabrice Olivet ou Pierre Chappard)

Liens :

Pourquoi la Hollande et la Suisse font-elles marche arrière ?

Il y a encore quelques années, 2 pays européens se singularisaient par des politiques de drogues originales et innovantes : la Hollande et la Suisse. Ce n’est plus vrai aujourd’hui, et comprendre les raisons pour lesquelles leur dynamisme a pris fin est l’un des sujets les plus importants pour ceux qui tentent de promouvoir de nouvelles directions.

Cet échec, car c’est bien d’un échec qu’il s’agit, suppose de revenir sur un passé récent. C’est d’abord la Hollande qui a mis en œuvre une véritable révolution dans sa manière de gérer la question des drogues. Elle le fit en 1976, à une époque où la plupart des pays européens durcissaient leur législation, comme la France en 1970 ou la Suisse en 1975.

La théorie de la normalisation

À contre-courant, la Hollande décidait d’accorder « une faible priorité » à la question du cannabis et de mettre en place la théorie dite « des 2 marchés » en tolérant l’existence des coffee shops. Contrairement à une idée reçue (que l’on retrouve dans la plupart des articles consacrés récemment à cette question), la Hollande n’a jamais légalisé le cannabis, ne fut-ce que parce qu’elle aurait alors dû dénoncer les conventions internationales qu’elle avait signées. Le cannabis vendu par les coffee shops est donc issu du marché clandestin. C’est ce que les spécialistes appellent le « back door problem », « le problème de la porte de derrière ».
But recherché par les Hollandais : que quelqu’un qui veut se procurer du cannabis ne se voit pas aussi proposer d’autres drogues, héroïne, cocaïne, LSD, etc., un véritable objectif de santé publique. La théorie générale qui sous-tendait alors la politique néerlandaise était celle de la « normalisation » : moins on donnera de sens à l’usage de drogues, moins il en aura pour les jeunes. La prévention, une prévention intelligente qui dit la vérité sur les différentes drogues, en sera renforcée.
Pétris d’olievensteinisme, les intervenants français furent ulcérés par les élaborations bataves car ils défendaient la théorie exactement inverse : saturé de sens, l’usage de drogues était le signe d’une révolte et celui d’une souffrance lorsque l’usager basculait dans la dépendance.

Feue la tolérance hollandaise

Munis ce cette théorie, les Hollandais surent bien mieux répondre que les Français à l’épidémie d’hépatites B puis à celle du sida, en développant précocement l’accès aux seringues propres et les traitements par méthadone. Quant aux coffee shops, ils prirent place aux côtés d’autres mesures comme la légalisation de la prostitution ou l’euthanasie dans ce qui devint la « tolérance hollandaise ».
« Les coffee shops néerlandais menacés de fermeture » titrait Le Monde en novembre. Que s’est-il passé ? La tolérance hollandaise est morte, blessée une première fois avec l’assassinat du leader politique Pim Fortuyn en mai 2002, achevée en novembre 2004 avec celui de Theo Van Gogh par un islamiste d’origine marocaine qui laissa sur le cadavre un mot indiquant que sa prochaine victime serait l’ex-députée d’origine somalienne Ayaan Hirsi Ali, qui vit aujourd’hui aux États-Unis. Dans cette ambiance où le terrorisme, la délinquance et l’immigration extra-européenne devenaient les nouvelles obsessions de la société néerlandaise, la fameuse question du « back door problem » refit son apparition. Un phénomène qui a pris ces dernières années des proportions inquiétantes avec la prise de contrôle de certains coffee shops par des groupes criminels. La politique hollandaise des drogues est donc en panne pour un bon moment.

Les 4 piliers helvétiques

Passons maintenant à cette Europe en miniature qu’est la Confédération helvétique. Son tournant politique date de la fin des années 80, à une époque où l’épidémie de sida flambait et où s’étaient développées dans les villes germanophones, à commencer par Zurich, des « scènes ouvertes », les plus célèbres étant celle du Platzpitz puis du Letten. C’est dans ce climat que fut élaborée la théorie dite « des 4 piliers » : prévention, soin, répression, et « aide à la survie » grâce aux dispositifs visant à venir en aide aux toxicomanes les plus désinsérés en leur permettant un accès à la prévention, aux soins et à l’hébergement. Une expression bientôt remplacée par celle de « réduction des risques », mais l’idée reste la même : dispositifs de première ligne, large accès à la substitution par méthadone, accès aux soins hospitaliers et, last but not least, traitements d’héroïne médicalisée qui ne concernaient que quelques centaines d’usagers dans un cadre très strict, mais qui attirèrent l’attention de toute l’Europe.
Et c’est ainsi que, par un processus d’une très grande complexité, on mit en chantier une nouvelle loi où la théorie des 4 piliers figurait toute entière avec ses programmes de prescription d’héroïne. Mais c’est surtout en matière de cannabis que les Helvètes modifiaient radicalement la donne : dépénalisation de la consommation et de la production pour usage personnel. Ayant médité sur les impasses du « back door problem » hollandais et du tourisme de la drogue, les auteurs du projet autorisaient les planteurs de cannabis à écouler leur production dans les magasins de chanvre à 3 conditions : déclarer les quantités récoltées, ne pas vendre à des mineurs, ne pas vendre à des non Suisses. Une quasi-légalisation.

Rattrapés par le « back door problem »

Mais cette loi ne verra jamais le jour, pour une simple raison : l’Union démocratique du centre (UDC) de Christoph Blocher, un parti « populiste et xénophobe » selon l’expression consacrée, est désormais au cœur de la politique de la Confédération. Hostile à la politique des 4 piliers et à toute modification de la loi sur le cannabis, l’UDC a introduit des liens très forts entre drogue, immigration et délinquance et modifié de fond en comble le climat qui régnait sur ces questions. Si une récente votation populaire vient ainsi de valider la politique des 4 piliers, c’est en refusant parallèlement toute modification de la politique en matière de cannabis (voir page ??). La politique suisse des drogues est elle aussi en panne pour un bon moment.
Quelles leçons tirer de ces 2 expériences ? La première, c’est que les politiques de drogues, comme beaucoup d’autres politiques sectorielles, n’ont pas d’autonomie par rapport aux grandes questions politiques qui déterminent le cours d’une nation. En Suisse comme en Hollande, la montée en puissance des questions de sécurité publique (délinquance, groupes criminels), d’immigration, de terrorisme ont ôté tout dynamisme à l’inventivité des politiques de drogues et provoquent déjà des retours en arrière. La seconde leçon, c’est qu’entre la prohibition et la légalisation d’une drogue donnée, il n’y a probablement pas d’alternative. Le modèle des coffee shops, qui était précisément une sorte de moyen terme, prend eau de toutes parts lorsqu’il est rattrapé, dans une ambiance délétère, par le « back door problem ».
La « domestication du dragon » (Anne Coppel et Christian Bachmann) doit rester notre idée régulatrice. Mais la politique des drogues est une longue marche.

Cocaïne, castagnettes et corridas

Dans un paysage saturé par les traitements méthadone, la coke se situe désormais juste derrière le cannabis dans le hit-parade des produits illégaux consommés en Espagne.

La base ou cocaïne-base est en passe de remplacer la cruda, c’est-à-dire la coke normale. Reportage de notre envoyé permanent Speedy Gonzalez, toujours en embuscade au cœur des « scènes ouvertes » de la Péninsule, ces supermarchés de la drogue ouverts 24h/24.

Depuis deux ans, tous les signaux d’alarme – les très nombreux articles de journaux, débats et programmes de télé le démontrent tous les jours – retentissent dans la société espagnole toujours sensibilisée depuis la vague d’héro des années 70-80 qui a fait tant de dégâts. Toute une génération, en gros celle de la Movida, a été décimée, la parano sécuritaire s’est installée chez de nombreux commerçants, et des quartiers entiers furent très touchés. Que ce soit la presse sérieuse ou à sensation, les professionnels de la santé impliqués dans la réduction des risques ou les spécialistes des mouvements sociaux, pour une fois tout le monde est d’accord pour dire que si la consommation de coke n’a cessé de se développer à un rythme très soutenu depuis vingt ans, son explosion depuis dix ans est surtout due à son usage basé. Autrefois réservée à une élite branchée et de connaisseurs, la base (prononcer « bassé » en espagnol) s’est non seulement répandue dans le milieu traditionnel des usagers, mais aussi parmi les jeunes consommateurs. Descente sur le terrain pour essayer d’y voir clair…

L’heure de pointe

Banlieue de Madrid, 18 heures : une longue file de caisses garées sur les bas-côtés serpente le long de la petite route qui passe sous le périph et conduit à l’entrée du Pitis, un bidonville gitan (lire l’article Las Barranquillas, supermarché des drogues version ibérique publié dans le n°31 d’ASUD Journal), véritable « supermarché » de drogues dures ouvert 24h/24. On y trouve toute sorte de bagnoles : celles de « monsieur tout le monde » qui passent inaperçues, les poubelles-sur-roues qui font la cunda (le taxi depuis le centre-ville), et quelques très belles machines genre 4×4, coupés et berlines de luxe (une Jag toute neuve est là avec son légitime proprio bien propret)… Toutes les couches sociales et professionnelles semblent représentées. L’éventail est large. Des camionnettes d’artisans avec la pub pour leur boîte, des transporteurs en tout genre – dépanneuses, livraisons, parfois un gros camion –, des ouvriers entassés à 5 dans de petites caisses, des cadres solitaires de tous niveaux, des jeunes et des moins jeunes, des zonards, des BCBG, des bourgeoises, des prostituées…

Bref, le moins que l’on puisse dire, c’est que le phénomène ne touche pas que les UD traditionnels. Mais voyons de plus près ce qu’ils consomment et comment.

À l’intérieur des véhicules, chacun s’en donne à cœur joie. Mise à part une minorité qui sniffe et les éternels irréductibles de l’arbalète, la majeure partie « chasse le dragon » au speedball sur de l’alu ou fume de la base en doseur.

C’est l’heure de pointe : aux habitués qui vont et viennent toute la journée s’ajoutent ceux qui, rentrant du boulot, prennent leur dose de fin d’aprèm et, dans le meilleur des cas, emportent celle du soir. Après avoir remonté cette cohorte ininterrompue de fumoirs à 4 roues, je me gare sur le terre-plein qui sert de parking aux acheteurs. Une bande de gosses gitans entoure ma caisse pour me demander un clope. Ce sont les plus chiants et il vaut mieux ne pas faire le radin, sous peine d’avoir une mauvaise surprise en revenant (vitre pétée, feu de position éclaté…). L’endroit est très zone : maisons à moitié en ruines ou faites de bric et de broc, décharge à l’entrée, regards durs des payos-acheteurs (Gadjé en caló, la langue des gitans espagnols) ou des gitans-vendeurs (Il y a également des gitans accrocs, surtout à la coke, mais également à la base depuis quelque temps.), le tout plus proche des favelas sud-américaines que des cités, mêmes les plus dures, européennes.

ASUD34 Cocaïne Castagnettes et Corrida 3Ne plus avoir à « cuisiner »

J’accompagne mon pote faire ses « courses ». Après quelques mètres, on rentre dans une baraque où la doña nous accueille avec un regard méfiant. Mais son visage se détend quand elle me reconnaît :

« C’est toi ? Qué tal Marqués ? (« Comment ça va Marquis ? ») Cela fait longtemps que t’es pas venu !
— Un an, répondis-je, assez content. Beaucoup de monde ! Tout va bien ?
— On fait aller », réplique-t-elle modeste. Puis elle se retourne pour s’occuper de mon copain, business is business.

À côté de la balance électronique, j’aperçois un gros caillou de 4 à 5g de coke basée, environ 2 g de coke en poudre, et à peine 1g de cheval. Ce qui confirme la tendance du boom du marché de la coke basée. Le prix doit aussi y être pour quelque chose. Que la coke soit cruda (non cuisinée) ou la base faite, le prix est, en effet, le même : 50 € ! La qualité joue également un rôle : une fois la base obtenue, le dealer coupe très souvent le restant de coke en poudre afin de rattraper le manque à gagner dû à la vente de base au même prix. Quant aux quantités relativement faibles présentes sur la table, elles ne doivent tromper personne. Elles ne sont liées qu’à la prudence des vendeurs qui n’ont jamais beaucoup plus, le reste étant caché pas loin de là.

Bien que les mauvaises langues disent que cela n’arrive que lorsque le dealer n’a pas payé sa com aux keufs, il y a quand même des descentes de flics de temps en temps.

Cela ne fait pas si longtemps, 3 ou 4 ans peut être, que les gitans font eux-mêmes la base. Ils se contentaient auparavant de vendre la coke en poudre (et de l’héro, bien sûr). Mais face au succès commercial de certains de leurs collègues qui commencèrent à la baser, ils se sont tous mis à en faire, pour la plus grande joie des consommateurs. Pour baser de la coke deux méthodes sont possibles : avec du bicarbonate (délicat, ne pouvant pas être fait en petites quantités, mais plus sain) ou de l’ammoniaque (enfantin, marche même pour 1/10 de g, mais assez toxique.) Avec la perte de temps que cela représente et même si cela va assez vite avec l’ammoniaque, ces derniers étaient, en effet, tout contents de ne plus avoir à « cuisiner » le matos. En ne réalisant plus eux-mêmes l’opération, ils ne sont plus en mesure de contrôler la qualité du produit, mais ils peuvent aspirer tout de suite la bouffée qui va les mettre à un autre niveau en 1 ou 2 secondes.

ASUD34 Cocaïne Castagnettes et Corrida 4La fin totale du paquet et du fric

Une véritable montée en puissance où ils finissent par se sentir si bien, avec une telle pêche, apparemment si lucides : « Tu sais mec, quand je suis stone, je vois tout si clair…» Cette lucidité qui te fait partir dans un monologue ininterrompu, cette pêche qui vire fréquemment à la fébrilité, voire à l’hystérie, cette sensation d’invincibilité qui en a mené plus d’un à se foutre dans de terribles situations, y compris avec la justice… Sans parler de l’angoissante descente qui te fait répéter le geste une fois et encore une autre, jusqu’à la fin totale du paquet et du fric et plus qu’une chose en tête : « Merde, comment j’vais faire pour avoir des thunes et reprendre mon pied ? »

Début d’une longue glissade, qui prend souvent l’aspect d’une dégringolade que bien peu arrivent à contrôler. La base accroche salement. Je n’ai qu’à me regarder 2 ans en arrière : jamais dans mon histoire de toxicomanie de près de 30 ans je n’avais autant morflé. Et aujourd’hui, je vois ces pauvres mecs crades, les joues creusées, le corps amaigri et les yeux enfoncés dans les orbites qui les font ressembler à des vieillards de 30 ans, allant d’une voiture à l’autre pour quémander quelques centimes ou mieux, la précieuse taffe. Je ne parle même pas de ceux qui sont à la recherche de je ne sais quel trésor (fric ou képa) perdu par d’autres, le regard rivé au sol, dans une quête qui tourne à l’obsession. Chasse le passé et il revient au galop…

En sortant du « magasin », je croise plusieurs personnes du centre méthadone (lire l’article Les tribulations d’un « méthadonien » à Madrid paru dans le n°33 d’Asud-Journal) où je suis abonné. L’une d’entre elles s’arrête, me sert la main :

« Que fais-tu là ?, je lui demande, je croyais que tu avais mis le holà ?
— Ben ouais, mais tu sais bien comment c’est : un jour la déprime est la plus forte et tu remets ça, en te disant « cette fois-ci, je n’vais pas déconner ». Et puis très vite, t’es dans la même merde et souvent pire qu’avant ! »

Cet engouement pour la base n’a pas exclusivement puisé sa force parmi les nouveaux usagers et les anciens cocaïnomanes qu’une baisse de la qualité de leur produit favori a incité à baser pour retrouver des sensations perdues. Contrairement à ce qu’affirment les « spécialistes », l’accroissement de ce mode de conso n’est pas seulement dû à ces deux groupes.

Il s’explique aussi par tous ces UD substitués à la métha (le seul produit légalement disponible en Espagne) qui, au bout d’un temps plus ou moins long, dépriment et veulent ressentir quelque chose. Tant pis si cela n’a rien à voir avec les opiacés.

Tant pis si cela les mène à une situation qui n’a guère à envier à celle qu’ils avaient connue lorsqu’ils étaient junkies !

ASUD34 Cocaïne Castagnettes et Corrida 5«… les programmes méthadone, véritable pierre angulaire de la lutte contre la toxicomanie. »

Arrivée à point nommé

Une véritable torpille sous la ligne de flottaison de la politique très optimiste affichée par tous les gouvernements (de gauche comme de droite) face au supposé succès des programmes méthadone, véritable pierre angulaire de la lutte contre la toxicomanie. Dans ce contexte, on comprend mieux l’extrême réticence des autorités sanitaires à diminuer les dosages de ce produit en vue d’un sevrage total. La crainte de voir tous ces consommateurs retomber grave explique cette attitude car dans la plupart des cas, les patients n’ont fait qu’ajouter à leur dépendance aux opiacés celle de la coke basée. Petit problème tout de même, tous les patients (abstinents et multiconsommateurs) sont mis dans le même sac !

La base est donc arrivée à point nommé en Espagne pour donner un second souffle à un marché illégal qui était en perte de vitesse en raison du « tout méthadone ». Et on voit bien là les limites d’une politique très libérale en matière de consommation de drogues, qui n’a traité qu’une partie du problème sans avoir la volonté d’aller jusqu’au bout de sa logique : dépénaliser, dans un cadre bien défini, l’ensemble des activités (achat-vente…) qui en découlent. Par ailleurs, au niveau européen, l’Espagne ne pouvait et ne peut pas faire cavalier seul face à ses partenaires, sous peine de se voir mise à l’index. Suivant le précurseur hollandais, sa politique a été courageuse à l’époque car si la plupart des pays se sont aujourd’hui engouffrés dans cette voie, il n’en allait pas de même hier.

Face à cette déferlante de la base qui menace désormais de se propager au « royaume » de Marianne, va-t-on assister à la mise en place d’une nouvelle politique plus audacieuse ou va-t-on se contenter de mesures bouche-trous ?

ASUD34 Cocaïne Castagnettes et Corrida 2

Les tribulations d’un « méthadonien » à Madrid

En Espagne, méthadoniennes et méthadoniens font le pied de grue dans des programmas de tratamiento (centres de traitement) mis en place, comme en France, dans la foulée de la lutte contre le sida des années 90. Néanmoins, au quotidien, le train-train des patients n’est pas exactement celui des vacanciers de la Costa Brava. Vamos à la métha !

Madrid, 10h45

Comme chaque matin, je me rends à mon CADE (Centro de Atencion para Drogodependientes, centre de soins pour toxicomanes) pour prendre ma dose quotidienne. J’espère que le bus ne va pas tarder à arriver, car si je me pointe après 11h31 je suis bon pour attendre la réouverture à 12h15. Alors que le CADE n’ouvre que le matin de 8h30 à 13h30, il faut en effet jongler avec les horaires pour ne pas se casser le nez : premier obstacle ! Bien que ces centres soient publics, chacun d’eux a son propre mode de fonctionnement. Pour commencer, il existe de sacrées différences entre usagers d’une même région car, suivant où tu vis, tu peux y aller soit toute la journée, soit seulement le matin, et pour certains CADE (en grande banlieue), ça se réduit à 1⁄2 heure ! Cela prouve au moins que tout le monde n’est pas traité sur un pied d’égalité.

Aujourd’hui tout baigne, je suis arrivé dans les temps devant le bâtiment reconnaissable par sa fresque murale dans les tons bleu nuit, genre grande ville à la new-yorkaise. À l’entrée, un panneau indique clairement la fonction de cet endroit : « Centre d’addictions ». Il y a toutes sortes de gus dans mon centre, d’abord ceux qui y vont pour la coke et le cheval, ensuite les accros aux cachetons (amphés, tranquillisants), les alcoolos, et même les joueurs ! Avec la prolifération dans tous les cafés de machines à sous, la ludopathie s’étend et touche toutes les classes sociales, mais surtout les plus défavorisées, genre mère de famille qui craque tout le blé des courses du mois !

La carotte et le bâton

Devant, assis sur les marches, des habitués fument une clope ou parlent entre eux sous le doux soleil d’octobre. J’échange un regard complice avec Juan (tous les prénoms de cet article sont fictifs), on se voit souvent ici. On se connaît depuis le temps où j’allais « pécho » dans les bidonvilles gitans (lire l’article Las Barranquillas, supermarché des drogues version ibérique publié dans le n°31 d’Asud-Journal) et où on se fumait ensemble un alu (En Espagne, sida oblige et attrait de la base aidant, le gros de la conso de coke et de cheval se fume). Aujourd’hui, Juan est un peu emmerdé car il a peur qu’on lui demande de faire une analyse d’urine sous contrôle : généralement, une personne mate le patient à travers une vitre sans tain, sans tenir compte de son sexe, bonjour l’humiliation ! En ce moment, comme il n’arrive pas à avoir des résultats négatifs aux tests qui sont obligatoires tous les 10 jours pour l’héro et la coke, et ayant la malchance d’être suivi par un médecin moins cool que les autres, il sent qu’on va l’obliger à revenir tous les jours pour prendre sa dose de métha (à Madrid, c’est le seul produit de substitution, il n’y a donc pas de Subutex® et autre Skénan®), alors qu’il avait péniblement obtenu de l’avoir 1 fois par semaine. Bien sûr, officiellement, il ne s’agit pas de le punir, mais c’est soi-disant un problème de confiance. Il paraît que l’on ne peut pas donner 7 doses de métha à un mec qui se défonce, car il pourrait les prendre d’un seul coup ou les vendre ! On peut en douter. D’une part, résultats négatifs ou pas, quand tu dois quitter Madrid (preuves à l’appui), le CADE peut te filer jusqu’à 1 mois de traitement ! D’autre part, les vendre ne t’assurerait pas, ni en fric ni en durée, la même « couverture » qu’avec la métha ! Non, en vérité, ils pensent qu’en appliquant la réglementation à la lettre, tu vas être plus raisonnable, alors que ce système de carotte et de bâton ne peut marcher que dans… 10 % des cas…

« Alors, ça va ?, me demande le pote.
— On fait aller, je réponds laconiquement.
— Tu connais personne qui a une caisse ?
— Non, mais si tu attends un peu c’est l’heure où José le cundero (« Taxi » de la drogue qui t’emmène pour 4 €) vient prendre sa métha. Tu vas aller pécho ? Moi, j’essaye d’être sérieux, cela fait presque 3 mois que je ne prends que de la métha. Mais ils ne me la donnent pas encore une fois par semaine, et ils m’obligent à venir comme avant tous les jours ! Ah, si on réagissait tous ensemble, on pourrait déjà les obliger à ne plus nous traiter comme des mômes !
— Ben dis donc, t’es speed ce matin ! J’comprends que t’aies les boules. Moi au moins, j’me défonce à la base et un peu au bourrin, quelle merde ce système. Tu te souviens quand ils m’ont dit de m’démerder pour trouver un boulot « compatible avec la méthadone » quand je me plaignais des horaires d’ouverture !!
— Ouais, encore un bâton dans les roues. Bon, il faut que je rentre pour la prendre. Fais gaffe à toi quand même. »

ASUD33 Les tribulations d'un méthadonien à Madrid 2Poissons dans un aquarium

Avant de pousser la porte du centre, je regarde en arrière, et je vois soudain deux types sortir d’une caisse. Leur dégaine jeune et pseudo cool ne me trompe pas : ce sont des flics en civil, des chapas comme on dit par ici ! Ils arrêtent un gars qui sortait au même moment, et l’embarquent après lui avoir mis les menottes. Bien que la scène ne soit pas courante, je l’ai déjà vue, car c’est bien sûr plus pratique d’arrêter le suspect là où il doit venir prendre sa métha que d’essayer de le choper chez lui ou dans la rue. Tout s’est fait sans que personne ne bronche, et surtout pas le personnel du centre ! Seul hic dans l’histoire, cela n’encourage pas les futurs patients à venir suivre le programme de substitution. Encore une belle incohérence ! Je finis par rentrer dans le centre : l’atmosphère est aseptisée, froide, il y a même un vigile pour assurer le service d’ordre. Tout est nickel, des meufs, derrière leur vitre comme des poissons dans un aquarium, prennent les rendez-vous et s’occupent du côté administratif. On se croirait dans une banque. Tout est fait pour le confort du personnel, même si ce n’est pas très cool pour nous. On a l’impression d’être des pestiférés. On a beau dire que c’est pour notre bien et qu’un grand nombre d’entre nous ayant des défenses très basses, nous sommes plus vulnérables face aux microbes des gens bien portants, je n’y crois pas. Quelle hypocrisie ! Ces vitres sont évidemment là pour protéger le personnel administratif et sanitaire (distribution de métha, analyses d’urine…), tant au niveau d’éventuelles agressions que pour limiter les contacts. Seuls le médecin et le psy circulent librement !

Je fais la queue pour prendre ma dose journalière. Le vigile quitte son bureau d’où il matait les extérieurs avec un circuit de vidéosurveillance pour venir près de nous, on ne sait jamais ! C’est enfin mon tour. J’en profite pour demander des préservatifs et, comme d’habitude depuis 3 mois, on me répond qu’il n’y en n’a plus par manque de crédits. Vu que beaucoup d’entre nous sont séro et/ou porteurs du virus de l’hépatite C, cela paraît un peu léger. Du fric, il y en a pourtant bien eu pour refaire tout le centre à neuf…

Puis, je vais au comptoir où j’essaye de prendre un rencard avec le toubib, et surtout avec le psy de mon équipe. Véritable mission, impossible avant la fin du mois ! Les deux équipes de 4 membres (1 médecin, 1 psy, 1 infirmière et 1 assistante sociale) sont, en effet, nettement insuffisantes pour assurer le suivi raisonnable de XXX patients, et tous sont débordés, surtout le psy !

Pour un pays qui a la réputation d’être à la pointe du progrès en matière de drogues, la distribution de produits de substitution reste timorée en Espagne, coincée entre la méfiance des uns et la paranoïa des autres. Malgré les quelque 160 000 traitements métha (pour une population de 30 millions d’habitants), la question des drogues reste un souci majeur pour la société espagnole. D’autant que, comme en France, le challenge à relever ces prochaines années sera de faire face à l’explosion du marché de la base.

« Correlation », vers un réseau européendes usagers de drogues !

Du 16 au 19 novembre, Asud a participé à un séminaire sur l’Empowerment, initié par Correlation, un réseau européen de réduction des risques.
Ainsi, des fournisseurs de services de RDR, des groupes d’auto-support d’usagers de drogues et de parents d’usagers, se sont donnés rendez-vous pour parler d’empowerment, c’est à dire en langage décodé, d’émancipation des usagers de drogues.

Le séminaire s’est passé à Turin, ville italienne émergente qui s’éveille à la culture après des années d’industrialisation forcenée (c’est la ville de Fiat !).
Au bout de 10h de train avec panne de TGV qui nous obligera à en changer, 30 mn de taxi avec un conducteur français qui nous raconte l’histoire de Turin, nous voila accueilli dans un ancien monastère, loin de la ville : c’est bien du travail qui nous attend, et pas la dégustation des spécialités locales…
Après une nuit de repos, nous nous retrouvons dans une salle d’une trentaine de personnes, pour écouter en anglais, (il faut vraiment que je me perfectionne…promis, je commence demain…), les diverses expériences présentées :

  • Des turinois nous parlent de leur « drop-in » (l’équivalent de nos boutiques), ou des « peer operators » (des pairs) sont chargés de faire le lien entre professionels médico-sociaux et usagers de la rue. En Italie, la situation est à peu prés la meme qu’en France au niveau de l’échange de seringue et de l’accueil bas-seuil. Pour la substitution, la méthadone à une part de marché de 80% et le Subutex de 20% : c’est le contraire chez nous.
  • Le groupe suisse d’auto-support de parents d’UD nous fait une belle leçon de RDR, ce qui nous surprend beaucoup comparée à la situation française où des parents luttent contre celle-ci.
  • Des néérlandais nous présentent « le manuel de l’auto-support », qui décrit les conditions de réussite et les facteurs facilitants la création et la pérennisation d’un groupe d’auto-support : c’est très théorique, et nous semble loin de notre réalité…plus anarchique…

Lors de la deuxième journée, nous nous retrouvons entre groupes d’auto-support européens, pour discuter de la création d’un réseau européen d’usagers de drogues destiné à faire du lobbying au parlement européen et à aider à la création d’entité nationale. De telles expériences ayant déjà vu le jour et avortées, nous nous promettons de pas faire les mêmes erreurs et d’avancer à petit pas, avec l’expérience des anciens (dinosaure ?) comme Fabrice (-:.

Mais les séminaires, c’est surtout l’opportunité de belles rencontres informelles, de discutions de couloir, et l’occasion de refaire le monde entre passionnés de la RDR :
Ainsi, entre deux plats de pâtes, nous avons rencontré Enzo, qui tient une salle de consommation pour étrangers à Amsterdam. Surpris par tant de pragmatisme, nous lui avons promis de faire un reportage sur cette structure unique en Europe !
Autour d’un cappuccino, nous avons sympathisé avec Katerina, salariée d’une structure slovaque qui nous a décrit la situation de son pays : 9 programmes d’échanges de seringues, très peu de place méthadone et l’émergence des amphétamines, sorte de cocaïne du pauvre.
Et puis, il y avait aussi Théo, néerlandais, vétéran de la RDR et membre du très reconnu groupe d’auto-support LSD, Winnie, membre de la puissante DDUU (Danish Drug User Union) (plus de 1000 adhérents) et Stijn, président de BreakLine à Anvers. Tous aussi passionnant que passionnés !

Enfin, petite palme à Asud, la seule association d’auto-support présente à avoir un journal, et à avoir traversé dix ans de RDR… C’est dire l’état de fragilité des associations d’auto-support souvent éphémères en Europe. Convaincu de la nécessité de former un réseau européen solide et heureux de se connaitre (ou de se revoir), nous nous sommes donné rendez-vous à Varsovie, pour pouvoir continuer notre travail pendant la Conférence Internationale de Réduction des Risques. (IHRC in english…(-:).

Las Barranquillas, supermarché des drogues version ibérique

En matière de drogue aussi, l’Europe a du mal à réaliser son unité. Influencé tant par sa culture que par ses lois ou son régime social, chaque pays continue de mener sa barque.

Après la movida des années 1980-1990, l’Espagne a vu se développer des sortes de « supermarchés de la dope » équivalents aux grands squats parisiens, mais en beaucoup plus grand. Des scènes ouvertes qui prouvent – in vivo – que, sans véritable éducation à la santé et programmes de réduction des risques, le libre accès au produit favorise surtout les dealers qui, comme toujours, font leur beurre sur le dos des usagers.

Aujourd’hui, la voiture de la copine qui me conduit à ce bidonville gitan du sud de Madrid n’a rien à voir avec celles que j’avais l’habitude de prendre pour y aller il y a quelque temps. À l’époque, je m’y rendais avec des cundas, des « taxis de la drogue » comme diraient les médias, qui, pour 4 euros et une pointe de dope par tête, trimbalent 3 à 4 personnes du centre-ville jusqu’à la porte de la baraque où tu vas faire tes « courses », te laissent consommer dans la caisse – sauf te fixer – et te ramènent à la case départ. En général, la caisse est dans un sale état, tout comme son conducteur : vitres éclatées, papiers pas toujours en règle, hygiène des plus précaires…

Jungle organisée

Notre voiture quitte la route principale et en emprunte une autre plus petite mais en bon état jusqu’à la fourrière. Après, c’est une autre histoire, plus rien à voir ou plutôt tout ! Les yeux du néophyte s’écarquillent devant le spectacle qui s’offre à lui. Un ensemble de 80 baraques – Aujourd’hui, ce bled est en perte de vitesse au profit d’un autre, El Salobral. La pression policière, les grands travaux ont eu raison de lui, mais de 2001 à 2003, il a compté jusqu’à 300 baraques ! – , faites de matos de récup et de tôles ondulées, s’étendant de part et d’autre d’une piste boueuse ou poussiéreuse suivant la saison, pleine de trous, que des centaines d’UD parcourent à pied ou en caisse. Cela fourmille toujours : depuis le tox version BD d’Asud-Journal jusqu’au cadre dynamique (surtout après sa prise de coke !). À sa belle époque, ce bidonville, ou plutôt devrais-je dire cet hypermarché ouvert 24 h/24, recevait la visite de 4 000 personnes par jour et quelque 13 000 UD venaient s’y approvisionner (Selon El País du 16/04/2001).

Toute cette faune se croise, s’effleure, s’engueule, se parle parfois ou, le plus souvent, s’ignore. La vision est dantesque. Tu croises des zombis qui, le regard vide, te lancent un : « shuta-tranki-plata » (shooteuse-trankimazim-papier d’alu), mais cette jungle est bien plus structurée et organisée qu’il n’y paraît au premier abord. Une foule de petits métiers essaye d’y survivre : les cunderos qui t’emmènent en caisse, ceux qui vendent pour 0,50 euros une shooteuse ou l’alu que les bus de Médecins du monde ou d’Universida (groupe de RdR) leur ont échangé contre une poignée d’arbalètes ramassées par terre ou qu’ils sont allés prendre à la Narcosala (salle d’injection et de soins, cantine avec 3 repas chaud par jour, et dortoir) qui est à l’autre bout du bled, les guetteurs avec leur talkie-walkie à l’entrée du bidonville qui avertissent leur patron de l’arrivée des flics (police nationale, municipale et brigade des stups) dont ils connaissent toutes les voitures même banalisées, puis les machacas qui montent la garde devant la baraque même et qui utilisent un code pour le collègue qui ouvre et ferme la grosse porte en fer : uno (1) – tout beigne –, dos (2) – keufs en tenue –, tres (3) – civils-stups –.

Micra, machacas & chapas

Derrière la lourde, un long couloir sordide éclairé par une ampoule blafarde qui mène à un mur intérieur troué par une fenêtre grillagée derrière laquelle une femme, généralement une gitane (souvent la meuf du patron), te sert quand c’est ton tour et qui prend la commande : une micra (1/10 de gramme pour 5 euros) de cruda (coke non cuisinée), de caballo (héro) ou de base, ou 2 micras, ou ce que tu veux. La gitane, protégée par des barreaux prend ton fric, pèse devant toi, te donne ta micra, et au suivant !

Car il faut bien le dire, même si ce n’est pas politiquement correct, les gitans tiennent à Madrid et dans la plupart des grandes villes d’Espagne le marché au détail de la coke et de l’héro : Quartier Rusafa à Valence, Las Tres Mil viviendas à Séville, quartier de San Francisco à Bilbao… (El País du 15/05/2003). Et ce n’est pas tout : les mecs s’occupent de rentrer la dope dans le bidonville et d’assurer le service d’ordre, mais la vente est faite par leur meuf. Quand il y a une descente, ce qui est rare, ce sont les femmes qui se font embarquées et il n’est donc pas étonnant qu’elles constituent en taule 70 % des détenues alors que cette communauté ne représente que 0,3 % de la population (La population gitane espagnole et portugaise représente environ 100 000 personnes.). Plus grave encore, les fameux machacas ne sont que de pauvres hères, des non-gitans pratiquement réduits en esclavage, souvent battus à la moindre faute, qui servent leur patron avec une servilité qui ne s’explique que par leur niveau d’intoxication et qui ne touchent que quelques micras pour leur travail et leur docilité.

Au dehors, la salle d’injection étant trop loin, des mecs et des nanas se fixent par terre car le manque ou tout simplement l’envie les presse. D’autres vont se réfugier dans un taudis en ruine pour chasser le dragon à l’abri du vent, et tout cela sous le regard impassible des patrouilles de flics qui, jour et nuit, vont et viennent à 2 par voiture, parfois s’arrêtent à la hauteur d’une caisse pour demander au conducteur de leur montrer les clefs et de démarrer le véhicule avec celles-ci au premier coup de préférence (preuve indéniable que la voiture n’est pas piquée), puis repartent. D’autres fois, surtout la nuit, le contrôle est plus sévère : identité des occupants, papiers du véhicule, fouille de celui-ci, appel au central afin de voir si personne n’est recherché… Mais il n’est pas question, ou très rarement, de savoir si tu as de la drogue et combien ! En général, la division du travail des flics se fait de la façon suivante : ceux en uniforme s’occupent des consommateurs (avis de recherche…) et du maintien de l’ordre, les civils se chargent du trafic, donc des gitans. Ces derniers ne craignent d’ailleurs que les chapas (les civils qui te montrent leur plaque pour s’identifier), bien qu’il me soit arrivé sous le gouvernement de droite de me faire mettre par les stups un PV de 450 euros pour 2 micras de cc ! À deux pas d’une baraque où cela dealait sérieux, ils n’ont pas peur du ridicule !

Prisons Thaïes : des saisons en enfer

La Thaïlande, ses îles au soleil, ses plages, sa blanche et ses prisons. Nous avons reçu des lettres concordantes sur les terribles conditions de détention dans la nouvelle prison de M.H.S.* Des témoignages qui filent froid dans le dos.

La décro, à même le sol

J’ai connu Asud par l’intermédiaire de F., avec qui je séjourne dans la même prison thaïe. Peu d’Européens peuvent imaginer les conditions dans lesquelles nous, prisonniers, sommes contraints de vivre en Thaïlande.

U.D. depuis 6 ans, j’ai décidé de voyager pour voir du pays : après les Philippines, le Sri-Lanka, la Thaïlande, où je me suis fait arrêter avec 6 g d’héroïne. Une fois en prison, je fus coupé de tout contact extérieur (j’étais le premier étranger à innover cette prison). J’ai dû attendre un mois pour être jugé. Nous étions quatre ou cinq à attendre le jugement. Sans un regard, le soi-disant juge énumère les sentences. Cela n’a pas duré plus de 15 secondes… qui m’ont valu deux ans d’incarcération (du vite fait, bien fait). A ce moment-là, je sortais tout de juste de ma décro, et c’est comme un coup de massue qui s’abat su moi. La décro, il faut en parler. Elle se passe sans rien, à même le sol, et ce n’est pas avec la nourriture qu’ils nous donnent que l’on peut récupérer des forces (même un chien ne la mangerait pas). Bref, il m’a fallu trois semaines pour pouvoir avaler quelque chose, avec l’aide du chilli (piment) qui permet de ne pas sentir ce que l’on mange. J’ai complètement « fondu » mais je fais partie du pourcentage qui passe le cap, car un quart trépasse. Je suis libérable dans quelques mois, et je garderai le contact avec vous.

Claude

Attachés

Les conditions de détention en Thaïlande-Nord sont déplorables.

On peut assimiler la prison en Thaïlande aux prisons françaises de l’Ancien Régime. Les détenus sont attachés ; il n’y a pas pas d’infirmerie ni de médecin sur place. Avec une obligation d’acheter soi-même les médicaments, il ne fait pas bon tomber malade ni être indigent… Le gouvernement ne s’occupe pas de ses ressortissants étrangers, quatre mois peuvent s’écouler entre chaque visite du médecin et pas d’interprète non plus mis à la disposition par l’ambassade.

Est-ce les 400 kilomètres qui la séparent de Bangkok qui font de cette prison un enfer ou les mêmes traitements sévissent-ils dans toutes les prisons du pays ?

Eric

1m² par personne

La cellule ou Je passe un long moment, de 16 h 30 à 7 h du matin, mesure 4,30 m de large et 8,70 m. de long, pour quarante personnes. Cela fait moins de 1 m2 par personne, et les toilettes sont à l’intérieur.

Par deux fois, on m’a mis les chaînes aux pieds, après une bastonnade qui m’a valu une hospitalisation.

Entre janvier et février derniers, 14 personnes sont mortes dans la prison et dans l’indifférence la plus totale.

Frank

* Des précautions d’usage pour préserver l’anonymat et la sécurité des détenus nous obligent à changer les noms.

Rottercam, Balade à Rotterdam

Imaginez une ville où des junkies organisés en syndicat contrôlent prix et qualité de la dope, une ville dans laquelle des policiers aimables (!) pratiquent l’échange de seringues, où un Pasteur humaniste consacre une partie de son église à l’acceuil des toxs, où une Clinique de la Marijuana fournit sur prescription médicale de l’herbe aux malades du sida, etc, etc. Non cette ville stupéfiante ne sort pas de l’imagination poudrée d’un junk trop défoncé, cette ville existe sur la planète terre, elle est bien sûr aux Pays Bas et elle s’appelle ROTTERDAM.

La réputation sulfureuse de « Mecque de la came » qu’ a Rotterdam s’est répandue plus vite qu’une trainée de poudre dans le monde toxico. Si l’on va à Amsterdam pour fumer des pétards, visiter le musée du hash (parfois même celui de Van Gogh) et planer cool aux bords des canaux, pour la came, la vraie, la dure, c’est plutot vers « Rotter » qu’on se tourne. Chaque année des centaines d’accros français, assoiffés de poudre, débarquent comme des sauvages dans les rues de Rotterdam. Et là, le « paradis » devient pour beaucoup un véritable enfer! En 1995, vingt-quatre jeunes français sont morts d’overdose dans les rues de « Rotter », d’autres dizaines ont disjoncté, et certains d’entre eux, errent depuis des années, comme des zombies, à la recherche de quelques florins pour assurer encore un fix.

Autrefois des junkies romantiques allaient se finir sur les sommets de l’Himalaya, aujourd’hui les toxicos épuisés crèvent dans les squatts sordides du quartier de Spangen

Un départ et une arrivée mouvementée

14h 32, gare du Nord, nous nous installons confortablement dans le Thalys à destination d’Amsterdam. Le voyage commence mal: la loco est en panne et il nous faudra changer de train pour finallement partir avec plus d’une heure de retard. Notre flair tox nous fait vite repérer dans notre wagon quelques voyageurs à la mine »fatiguée ». Nos deux voisins font plutôt dans le style dealer (bagouses, chaines et dents en or, regards fuyant, etc.). Ils n’échangeront pas un mot avant de passer Bruxelles, passé cette ville, ils commencèrent à se détendre et nous adresseront même la parole…pour nous proposer un plan! Les deux lascars habitent à Rotterdam et bossent pour un grossiste dont ils nous laissent, « au cas ou », le tel.(nous apprendrons plus tard qu’ils revenaient d’une livraison en banlieue parisienne). En gare d’Anvers, monte un jeune type, look raver, qui se met à sillonner de long en large les wagons… Évidemment, il nous branche. Fred est belge, il bosse pour un dealer hollandais. Son taf consiste à rabattre les éventuels clients avant qu’ils n’arrivent en gare de Rotterdam où la concurrence est rude. Héro à 100 frs le gr, coke à 250, ecsta à 50 et l’hébergement est compris! Malgré notre manque d’intérêt, il nous file – « au cas ou » – le numéro du portable de son boss, sur lequel nous pouvons passer commande en toute tranquillité, celui-ci étant bidouillé et donc inécoutable. Fred nous explique également, toujours « au cas ou », qu’il est préférable à l’avenir de prendre rencart en Belgique pour faire le bizz, car Rotterdam est vraiment trop fliqué. Quelle organisation!
Décidément, voilà un reportage qui commence vraiment fort!
19h et des brouettes, arrivée à la Central Station de Rotterdam, et là, c’est l’enfer qui va commencer…
Nous avons à peine le temps de poser un pied sur le quai que déjà une horde de rabatteurs nous agrippe: « hé mon ami, viens chez moi j’ai de la bonne came », « salut mon frère, suis moi, tu peux même dormir chez moi et je fais des super prix ». Tous parlent parfaitement français, la plupart étant d’origine marocaine et montés à « Rotter » pour s’occuper de la clientèle des dopés français. Ces mecs sont des vraies sangsues, ils nous suivent dans la rue, nous saoulent de belles paroles et il nous faudra sauter précipitement dans un taxi pour enfin les larguer.
Pour ces nazes, un français vient forcément à « Rotter » pour la dope avec des biftons plein les poches…ce qui est d’ailleurs souvent vrai.

Leçon 1 : français = drogué = plein de tunes = gogo à plumer

Le chauffeur de taxi nous a lui aussi immédiatement étiqueté « tox », et quand nous lui demandons de nous trouver un hotel, il nous emmène direct dans un hotel situé… en plein quartier dope. Après quelques hésitations dues à nos tronches de français (donc de drogués), le réceptioniste nous file une chambre.
Ouf, nous voilà enfin tranquilles.

Jamais de répit…

21h. Après une douche réparatrice et un bon demi (de bière), nous repartons à l’aventure dans les rues de cette cité qui n’a pas fini de nous étonner.
Pas de bol, n’ayant plus d’argent hollandais, nous sommes obligés de retourner à cette putain de gare centrale, seul endroit où il est encore possible de changer un peu d’argent.
Les pénibles rabatteurs sont en embuscade autour d’ un lieu très stratégique: le guichet de change. Les malheureux 800 frs que nous changeons sous leurs regards brillants, décuplent leur ardeur! Deux d’entre eux nous ont dans le collimateur, et c’est des coriaces, avec eux même le coup du taxi ne marchera pas: ils ont carrément le culot de s’incruster dans notre voiture! Sentant une embrouille, le chauffeur coupe son moteur et nous demande de sortir. Il ne veut rien savoir, on est français donc pas clairs! Quelques’un de ses collègues viennent immédiatement à la rescousse au cas ou on comprendrait pas assez vite, tout ça sous le regard amusé des deux enfoirés de rabatteurs. La scène se passe juste devant la gare, à une dizaine de mètres d’un car de flics, complétement blasés..

Leçon 2 : français = drogué = emmerdeur = va te faire foutre! (n’attendez aucune aide de personne)

Tout celà commence à devenir extrêmement désagréable et nous décidons d’aller nous détendre au café le plus proche. Les deux embrouilleurs nous y rejoignent, et nous devrons changer de table puis taper une grosse geûlante pour les garder un peu à distance. On pense qu’ils vont se lasser, mais rien à faire, ils nous regardent patiemment dîner, chacun d’entre eux placé en embuscade aux deux sorties du troquet.
Même l’arrivée imminente d’un train en provenance de Paris, avec son lot de pigeons, ne les fait pas bouger. Fatigués de ce jeu stupide, nous décidons alors de joindre l’utile à l’agréable en appellant le numéro de tél. que nous avaient opportunément laissé nos deux dealers de voisins du Thalys. « Allo Khaled, on aimerait te voir, peux tu venir nous retrouver à la brasserie devant la gare? » Sitôt dit, sitôt fait et en moins de deux, Khaled arrive pour nous driver, au grand désespoir des 2 embrouilleurs.
Khaled c’est la pointure au-dessus, et les deux connards se trissent vite fait, bien fait!
Dix minutes plus tard, nous nous retrouvons bien écroulés dans un canapé au domicile de l’associé de Khaled, Bob. Bob deale coke et héro pour des quantités minimum de 50 gr. Il nous explique travailler principalement avec des français – il préfère d’ailleurs être payé en francs plutôt qu’en florins – et assure pouvoir assurer la livraison en France, moyennant un supplément. Très convivial il nous offre un thé à la menthe et dépose sous notre nez un gros (très gros) caillou de coke ainsi qu’un beau sac d’héro: « allez y les gars, faites comme chez vous, goûtez la bonne dope à Bob ». Comme on est poli on se plie à cette coutume locale, et c’est l’esprit bien pétillant que nous entrons dans le vif du sujet: les tarifs. Cent francs le gr d’héro turque et 300 frs la coke. C’est cher pour « Rotter », mais la qualité est là, merci Bob. Nous marchandons un peu histoire d’être crédible dans notre rôle d’acheteur tout en reprenant un bon gros rail de speedball « pour être bien sûr » et promettons de rappeller demain pour conclure le deal. Tchao Bob et merci pour tout!

Leçon 3: pour consommer à l’oeil, faites vous passer pour des dealers et testez…

Une église pas ordinaire.

Après une bonne nuit réparatrice, nous repartons àu turbin, direction la fameuse église St Paulus., temple des paumés. Peu avant d’y arriver, nous sommes abordés par un petit jeune bien abîmé, et tiens, comme par hasard il est français. Daniel est toxico – ça se voit – et fait la manche pour se payer son billet de retour. Son baratin est bien huilé et son regard de chien battu implore un peu de compassion, de préférence en espèces. Tout en lui donnant un billet de 25 florins, nous lui expliquons le but de notre présence ici et qu’il est inutile qu’il se fatigue à nous pipoter. Le bifton lui redonne une pêche d’enfer et il se rappelle soudainement qu’il se moque bien de rentrer en France. Très reconnaissant, il accepte de prendre rencart avec nous pour une interview et propose même de nous guider dans la jungle de “ rotter ”….Mais pour l’instant, il est très pressé car il doit aller transformer son billet en fix. A bientôt Daniel!
A priori rien ne distingue l’église Saint-Paulus d’une autre église, si ce n’est quelques écroulés trainant aux alentours. L’entrée est filtrée par une bénévole et il faut montrer patte blanche pour pénétrer dans ce lieu étonnant. Dans la nef, une place est occupée par des familles de sans papiers qui y vivent en attendant leur régularisation, le sous-sol est lui réservé aux junkies. La consommation de drogues dures est autorisée et même réglementée en ces lieux: une pièce sert de « shooting room », une autre est réservée aux fumeurs de dope. Du personnel médical veille au grain et une infirmière propose chaque semaine aux junkies un cours sur l’art du shoot propre. Trois dealers autorisés tiennent commerce dans ce vaste sous-sol. Aucune autre personne ne peut vendre sans se faire virer illico. Ces dealers sont réputés pour vendre à un bon prix de la bonne qualité et s’il faillaient à leurs devoirs, ils perdraient immédiatement leur place. Ils ne vendent que des petits paquets (héro et coke) entre 30 et 50 francs. Il leur est interdit de vendre plus de 3 fois par jour à une même personne, de fourguer de la cocaïne après 16h (pour éviter les délires la nuit), et de dealer hors de l’église. De plus chacun d’entre eux est tenu de respecter des horaires précis. Aujourd’hui c’est jeudi et le jeudi en Hollande c’est « le jour du social », c’est à dire l’équivalent de notre RMI, mais là c’est toutes les semaines 1000 frs, alors bien qu’il soit à peine 10h du matin il y a affluence autour des dealers tous les trois présents pour ne rien perdre de cette manne si sociale. Les choses se passent dans le calme, chacun concentré sur ses petites affaires. Aucune agressivité, ici il y a des règles claires qu’il faut respecter. La tolérance oui, le boxon non, et celui qui l’oublierait se verrait vite rappeller à l’ordre par un membre de l’équipe ou par un junk. Il faut préciser qu’il n’est pas si facile d’accéder à ce « coffe tox »: la demande est telle, que seuls les résidents rotterdamois peuvent obtenir une carte qui leur en ouvrira les portes. Daniel, le français que nous avons rencontré peu avant, a du attendre plusieurs mois avant d’obtenir ce sésame tant convoité. Mais l’organisation de la consommation de dopes n’est heureusement pas le seul service proposé par le pasteur Visser et son équipe de 200 bénévoles et 15 permanents.
A l’église St Paulus, vous pouvez manger un repas complet pour 5 francs, boire un café, jouer aux échecs, au ping-pong ou au baby-foot, lire les journeaux, peindre, consulter un médecin, prendre conseil auprès d’une assistante sociale, etc, etc. Un lieu comme on en a tant besoin en France… L’église aide aussi de nombreux français en galère à organiser leur retour dans des conditions correctes.

Leçon 4: mieux vaut être un junkie dans une église hollandaise qu’un “ sans-papiers ” dans une église française….

Vive la police!

Encore tout étonnés par tant de pragmatisme, notre guide, Lydia, décide de nous achever en nous enmenant visiter …le commissariat central de Rotterdam à deux pas d’ici. Un simple coup de fil pour prévenir les lardus de notre arrivée et nous voilà parti, avec quand même une petite appréhension bien française qui semble beaucoup amuser cette chère Lydia: « le drogué est un être humain, le policier aussi » nous dit-elle, « la police est au service de la population, et n’importe quel citoyen a le droit d’aller voir comment est utilisé l’argent de ses impôts ». On a décidement la désagréable impression de venir d’un pays habités par des barbares arriérés…
Ce qui nous frappe aussitôt en entrant dans ce commissariat, c’est que l’endroit est propre et moderne. Rien à voir avec les sinistres postes de police parisiens. Lydia nous présente comme ce que nous sommes, des usagers de drogues français syndiqués comme il y’en a tant en Hollande. L’acceuil est chalheureux, et nous nous baladons un peu partout, prenant des photos, posant 10 000 questions. Nous essayons d’imaginer la situation inverse, nous, essayant de faire visiter la brigade des stups à nos homologues hollandais… même si par miracle nous en obtenions l’autorisation, nous aurions trop honte de dévoiler à nos amis tant de saleté, tant de mépris si typiquement français. Les policiers hollandais n’ont aucune hostilité envers les usagers de drogues, seuls ceux qui commettent des délits autre que l’usage risquent une arrestation. On peut même estimer qu’ils sont bienveillant puisqu’il est possible à un tox d’aller se dépanner en shooteuses au commissariat! (essayez donc d’aller demander une pompe dans un commissariat français…) Un médecin de la ville passe chaque matin pour s’assurer du bon état de santé des éventuels toxs en garde à vue, il a avec lui de la méthadone pour ne jamais laisser quelqu’un en manque. Incroyable, non?
Après cette étonnante visite, Lydia nous raccompagne à l’église pour y rencontrer encore un policier, l’inspecteur A.J. Koopmans qui est affecté à la surveillance de la zone de la gare et donc de l’église qui se trouve dans son périmètre. L’inspecteur accepte avec gentillesse de discuter avec nous, en exclusivité pour Asud-Journal.
AJ Koopmans nous explique que son rôle est plus « diplomatique » que répressif. Sa mission est de veiller à ce que tout ce passe bien dans l’église et non d’y pourchasser les 3 dealers. Par contre il veille à ce qu’ils n’exercent pas leurs talents dans la rue, dans le cas contraire ils seraient arrêtés. Petite hypocrisie, quand l’inspecteur se promène au sous-sol, les transactions de dope stoppent, officiellement il ne se passe rien.
Son plus gros problème, sont les « narcos touristes » principalement les français.
Les français arrivent à Rotterdam avec beaucoup d’argent, ne respectent pas les règles en vigueur et terminent souvent à la rue, sans un rond et en sale état.
La police surveille les arrivées des trains en provenance de France et les français qui arrivent pour le bizness de dope sont vite repérés et pris en filature jusqu’à l’achat de came pour être interpellé et expulsé. Ce dispositif fait partie du fameux plan Victor en collaboration avec les polices belges et françaises. Un bus fait la navette entre la prison et la frontière deux fois par semaine pour ramener les imprudents, mais l’inspecteur concède qu’il arrive que l’expulsé revienne plus vite en ville que la navette! Avec la police d’Anvers, ils contrôlent en moyenne une dizaine de toxs dans chaque train qui rentre sur la France. Leur flair est bon, car 9 fois sur 10 le contrôle s’avère positif. A notre question quel message a-t il pour les usagers français, il répondra sans une hésitation: « restez chez vous!. La tolérance hollandaise n’est plus ce qu’elle était et vous n’êtes pas les bienvenus. Vous risquez de tout perdre en venant chez nous ». Nous terminons en évoquant les prises de position de notre président Chirac elles ne susciteront chez lui mépris. Il estime que Chirac ne sait pas de quoi il parle et qu’il serait mieux inspiré de s’occuper sérieusement de ses toxicos. Malgrès les déclarations guerrières de Chirac, l’heure est à la collaboration, et l’ancien patron de la police de Rotterdam vient d’être nommé en France pour améliorer les liaisons avec Paris. Le pauvre bougre va avoir un sacré boulôt!

Leçon 5 : un policier est aussi un être humain (particulièrement aux Pays-Bas)

Un syndicat pour les junkies

Le Rotterdam Junkie Bund (RJB) est une des plus anciennes associations d’usagers de drogues dans le monde. Ces pionniers ont d’ailleurs inspiré la création de nombreux groupes comme Asud. Dès la fin des séventies, bien avant l’irruption du sida, le R.J.B. a imposé aux autorités sanitaires la distribution gratuite de seringues. La municipalité subventionne cette organisation, ce qui ne l’empêche pas de lui faire des procès quand les droits des usagers lui semblent menacés. Aujourd’hui un petit bout de femme énergique d’une quarantaine d’années, Nora Storm, dirige avec passion le RJB. Lobbying, soutien aux usagers, et contrôle des maisons de deal représentent l’essentiel de ses activités. En accord avec la mairie, Nora Storm a aussi monté « Topscore », une sorte d’agence d’intérim pour junkies . Il s’agit surtout de petits boulots comme l’entretien des rues, mais ces emplois, tout comme la vente du journal de rue « ….. » ont considérablement amélioré la condition des junkies dans la ville et donc les relations avec la population. L’activité la plus spectaculaire reste le contrôle des « deal houses ». Les membres du syndicat vérifient que la dope qui y est vendue soit de bonne qualité, à des prix corrects, que les règles sanitaires de base soient respectées, et que les clients sont « convenablement » traités. Les maisons de deal reconnues par le RJB ont un macaron à l’entrée certifiant la bonne tenue de la baraque. La police tolère ces maisons de deal et travaille même en lien avec le RJB: dans le cas ou ils passerait des trucs craignos dans une de ces maisons, le RJB alerte les flics qui y font une descente et ferment la boutique. Cette methode est, d’après les policiers, les junkies, les intervenants et les riverains, très efficace pour diminuer les nuisances, garder le contact avec les toxs et surveiller le bizness. Prochain objectif du RJB, imposer une « shooting room » dans une maison utilisée pour la prostitution.

Leçon 6 : osons!

Débits de cannabis

Après toutes ces émotions, nous partons tester au Sensi Caffé la fameuse herbe hollandaise. Au menu du jour, hachisch népalais, manalais, afghan, libanais ou marocain plus tout un tas de variètés d’herbes locales. Notre choix se porte sur la « Chronics » et pour moins de 50 frs, nous en achetons un petit sachet particulièrement odorant. Cette herbe est de pure dynamite, et nous peinerons à retrouver le chemin de notre hotel. En Hollande la consommation de marijuana est vraiment bien intégrée dans la société et aucun parti politique – a l’exception du FN local- ne s’aventure a remettre en cause la tolérance à ce sujet. Il nous suffit de nous poster à la sortie du débit de beû Sensi pour constater à quel point la fumette s’est démocratisée: ça va du rasta, à la bourgeoise en mercédès en passant par l’étudiant en vélo. Les hollandais s’arrêtent acheter leurs joints comme, ils achètent un paquet de clopes. Avis aux français, l’herbe hollandaise est extrêmemente puissant alors allez-y mollo.
Les qualités médicales du cannabis sont également bien exploitées à Rotterdam. En 1993, l’Institut Medical de la Marijuana ouvrait ses portes sous l’impulsion de James Burton citoyen américain persécuté dans son pays pour avoir soigné son glaucôme avec de la marijuana. Un autre organisation, « Maripharm », travaille à produire une herbe clean pour les malades. Plus problèmatique est l’augmentation de la consommation parmi les jeunes d’ecstasy et de LSD. Ces drogues fabriquées dans des labos de fortune par des apprentis chimistes peu scrupuleux, sont souvent mal dosées et coupées avec n’importe quoi. Pour limiter les « bads trips », une assistance médicale est présente lors des raves et les gobeurs peuvent faire tester sur place leurs pills, histoire de savoir réellement ce qu’ils prennent. Le système semble efficace, aucun décès lié à l’ecstasy n’a été enregistré à Rotterdam.

Leçon 7 : 1 joint ça va, 2 joints ça dégage !

Daniel, tox français à « Rotter »

Quand nous avons rencontré Daniel, le premier truc qui nous a frappé, c’était sa gueule presque aussi ravagé que ses fringues. Pourtant Daniel n’a que 26 ans, mais vit ou plutot survit, dans les rues de Rotterdam depuis plus de 4 ans. Pourquoi a-t-il débarqué un jour ici pour ne plus en décoller, Daniel ne sait plus trop bien…enfin ici la came n’est pas chère et les toxicos sont à peu prés bien traités et en plus quand on est condamné comme Daniel à la prison en France, on est pas préssé de rentrer ! Pourtant la vie est dure à RotterCame, et pour assurer son gramme quotidien, Daniel fait la manche aux alentours de la gare, à la recherche de touristes français à qui il pourra faire ses yeux de cocker triste pour obtenir quelques florins destinés à un improbable retour. En Hollande, faire la manche est interdit et Daniel se fait souvent ramasser par les flics qui ne lui font pas de cadeaux, et les amendes pleuvent, avec parfois en primes quelques coup de pieds… Les amendes impayées lui ont déja valuun mois de taule et trois expulsions… suivies d’un retour immédiat. Heureusement pour Daniel, l’église St Paulus lui permet de manger un peu, de dormir au chaud et de garder le contact avec la réalité. Daniel regrette la fermeture du parc « Perron-Nul » et du quai « Zéro » ou la came se vendait et se consommer sans problèmes. Effectivement, la municipalité a depuis deux ans considérablement durci sa politique et les toxicos se sont dispersés dans les rues de la ville, génralement dans des squatts glauques, à l’abri des regards. La population etait excédé des nuisances générées par les narco-touristes qui erraient jour et nuit, défoncés à mort (la rue Binnenweg avait été rebaptisé « ghost avenue », c’est à dire la rue des fantomes). Malgré tout, Daniel estime les hollandais plus cool que les français et apprécie leur approche trés humaine des toxicos. Nous avons beau expliquer à Daniel qu’en France la politique des drogues évolue favorablement, l’idée du retour ne l’emballe pas trop. La méthadone ne l’interesse absolument pas, pour lui une dope ça s’injecte et ça défonce sinon aucun interet. Daniel semble avoir le profil type du mec concerné par la distribution médical d’héroïne, une ditribution qui vient de commencer ici dans la plus grande discretion et à laquelle il n’a aucune chance d’accéder.

Retour à la casba

Bilan de cette visite, une forte impression de rentrer dans un pays qui persiste à vivre au « moyen-age », quand d’autres expérimentent avec plus (ou moins) de succès des nouvelles pratiques.
Il y a à Rotterdam 2500 junkies recensés (mais dans la réalité sans doute près de 4000) pour 700 000 habitants, c’est à dire moins que dans la ville de Nice. La moitié d’entre eux suivent un programme méthadone et 12% sont séropositifs au VIH. Cela veut dire que dans une ville tolérante, où les dopes sont peu chères et facilement accessible, la toxicomanie est moins importante qu’en FRance ou la répression reste la priorité. Reste le problème du narco-tourisme et du trafic qui mine l’audacieuse et généreuse politique hollandaise.
Tant que seul un petit pays en Europe pratiquera une politique tolérante des drogues, celui-ci se verra évidemment envahir par des hordes de junkies, persécutés chez eux.
Rotterdam n’est surement pas un paradis pour junkies, encore moins un enfer, mais simplement une ville où les usagers de drogues sont considérés comme des êtres humains à part entière.

Brèves (été 1993)

Bloody yeuxUSA : au Kansas, trois dealers de crack ont été condamnés à la peine capitale, ayant été reconnus responsables de la mort de onze toxicos. Et comme là-bas ils ont le sens de l’humour, ils seront exécutés par injection toxique ! Et si on envoyait les responsables Français de la contamination HIV par transfusion se faire juger au Kansas ?

main jeterLes Pays-Bas violemment critiqués sur leur politique de répression des stupéfiants par un rapport de l’ONU. Les Néerlandais contestent les conclusions de ce rapport, et suggèrent qu’il a été rédigé sous la pression de la France. Il s’agirait d’une rivalité entre Paris et La-Haye, tous deux candidats au siège d’Europol, la future police européenne. (bizness is bizness …)

mainsRecord pulvérisé le 9 janvier dernier, avec la saisie de 14 tonnes d’héroïne afghane par l’armée turque sur un cargo en provenance du Pakistan. Sur le marché parisien, ça représenterait plus d’un milliard de “képas” !!!

Tête BDAprès Michelle BARZACH et Brice LALONDE, c’est Monique PELLETIER, ancien ministre de la famille, qui se déclare favorable à l’extension des programmes de méthadone et d’échange de seringues. Elle déclare que face au sida, “il faut passer à la vitesse supérieure”.

BaiserNaissance du MLC – Mouvement de Légalisation Contrôlée – animé par P. DOUGUET, avec la participation de l’avocat F. CABALLERO et du professeur Willy ROZENBAUM . Cette association entend promouvoir une alternative à la prohibition et à la répression, constatant que “l’interdiction des stupéfiants transforme leur usage en fléau”.

Bloody colère yeuxLe célèbre professeur CHORON bientôt au MLC ?
Extrait de son interview dans le journal BEST : “l’ivrogne chez nous, il a le nez rouge, il est un peu gonflé, là-bas l’opiomane est un peu maigre, c’est toute la différence ; mais il n’y a jamais de folie, la folie vient de la prohibition”.

Tchao HELNO ! Le chanteur des Négresses Vertes nous a quitté , victime d’une overdose (d’un produit toxique sans doute coupé à l’héroïne ?).

ASUD04_BusA Paris, l’action de “Médecins du Monde” est régulièrement troublée par certains services de police (sans doute dopés par les déclarations fracassantes de messieurs Quilès et Broussard) : interpellation des “toxs” à la sortie du bus de prévention et destruction des kits . On est décidément bien loin de Liverpool où la police oriente les toxicos interpellés vers les lieux d’échange de seringues et autres centres d’accueil . En effet, elle estime que sa mission consiste aussi à protéger la population du sida.

Bonne nouvelle : le ministre de la santé B. KOUCHNER a annoncé avant son départ que tous les séropositifs seront pris en charge à 100% par la sécurité sociale. Malheureusement ça ne changera pas grand chose pour les toxicomanes les plus marginalisés et sans aucune couverture sociale.
(M Kouchner est désormais remplacé par Mm Veil)

Incroyable : plusieurs toxicos strasbourgeois en ont été réduits (faute de places dans les centres d’accueil) à réclamer leur incarcération ! En effet , la région est confrontée à une forte augmentation de la toxicomanie et les rares structures médicales sont débordées, reste donc … la prison ! Connaissant les conditions de “vie” désastreuses des toxicos en milieu carcéral, on imagine l’ampleur du désespoir de ces personnes.

ASUD04_DoubleCeci est le sigle “de la “Double U.O.”, héroïne laotienne vendu aux G.I.’s américains durant la guerre du Vietnam.

Barbès en état de siège : Depuis la déclaration de guerre à la drogue faite par Messieurs Quilès et Broussard , le quartier de la Goutte d’Or est soumis régulièrement au quadrillage de la police, et l’arrivée de M. Pasqua au ministère de l’Intérieur ne fait qu’aggraver cette “politique” de harcèlement dont sont plus particulièrement victimes les toxicos.
Bilan de ces spectaculaires opérations anti drogues : dealers arrêtés : 0 ; quantité de drogue saisie : 0 ; restent quelques toxicos et quelques étrangers sans papiers en garde à vue . A la brigade des stups on appelle ça de la déstabilisation du deal de rue ! A part ça le prix du gramme d’héro dans le quartier est toujours à 500 francs, et largement disponible.

L’Italie dépénalise : après trois années de politique hyper-répressive qui a envoyé sous les verrous des milliers d’usagers, le gouvernement fait marche arrière en dépénalisant l’usage de stupéfiants. Ce nouveau décret a même été confirmé par un référendum (55% pour). Reste que la quantité de drogue tolérée est très faible : un dixième de gramme pour l’héroïne, un demi gramme pour le shit . Alors soit l’héroïne italienne est d’une pureté exceptionnelle, soit nos amis italiens sont condamnés à de multiples allers-retours …
Mais bon c’est quand même un progrès !

Une fois de plus la France est à la traîne en restant le seul pays de la C.E.E (avec le Luxembourg) à emprisonner les toxicos pour simple usage de stupéfiants.

Flash de dernière minute : aujourd’hui, 7 mai 1993, nous apprenons la démission de Mme Georgina Dufoix de la DGLDT ! Est-il vraiment nécessaire de préciser qu’ASUD se réjouit de cette nouvelle ?

ASUD04 VIH capote nez wolinskiAprès dix-huit mois de négociations serrées avec les pouvoirs publics, Médecins du Monde a mis en service un bus d’échanges de seringues fonctionnant trois soirs par semaine. Le besoin est réel, Strasbourg compte plus de 3000 toxicomanes dont un tiers est séropositif et les structures d’accueils spécialisées sont insuffisantes.

Pavot islamique : La police de Téhéran a découvert (puis détruit !) plusieurs plans de pavot dans les jardins du mausolée de l’Imam Khomeiny. Pendant ce temps les nombreux toxicos iraniens continuent de subir une répression féroce (exécution, incarcération massives)

Brésil : les UD de Sao Paulo interdits de prévention sida

Lorsque, pour tenter de parer à l’inquiétante progression du SIDA chez les UD locaux, les autorités sanitaires municipales de Sao Paulo, au Brésil, ont dès 1988 commencé à monter des programmer d’échange de seringues, ceux-ci ont été autoritairement interrompus par la justice fédérale.

Pourtant, et avec la bénédiction d’une municipalité consciente du danger de l’épidémie, les opérateurs de ces programmes ont passé outre. En riposte à quoi, la justice a engagé des poursuites contre la ville.

Et aujourd’hui, elle lui présente l’addition-exorbitante : 100.000 dollars environ par journée d’activité des programmes d’échanges en contravention avec la décision judiciaire.

Il est clair que cette peine d’amende fait délibérément obstacle à la prévention du SIDA chez une population d’UD au mode de vie naturellement marginal et précaire.

En somme, une version soft, légale, des exactions de ces groupes armés spécialisés dans l’extermination des gosses des rues, délinquants juvéniles et autres marginaux. Rien de bien étonnant malheureusement : n’oublions pas que le pays de la samba est aussi celui de ces fameux “Escadrons de la mort”.

Ibogaïne aux USA

La dépendance aux opiacés et à la cocaïne soignée grâce à l’ibogaïne, un produit tiré de l’iboga, drogue traditionnelle des sorciers camerounais.

C’est la solution que proposent, à l’initiative des groupes d’autosupport d’usagers de drogues, certains thérapeutes américains. Bien que l’ibogaïne soit actuellement très difficile à trouver aux USA, de nombreux spécialistes US se font les avocats d’une extension de son usage thérapeutique.

Dans la mesure où ce produit, malgré son actuel statut de semi-clandestinité ni légal ni illégal, ne figure pas non plus sur la liste américaine des stupéfiants, il semble que le NIDA (National Institute on Drug Abuse), qui est le plus important organisme spécialisé aux USA, ait donné son feu vert a des programmes prioritaires de recherche et d’expérimentation sur l’ibogaïne. La raison de cet empressement ? C’est que les pontes du NIDA se sont aperçus que cette drogue africaine peut jouer un rôle important dans la prévention du Sida en détournant les UD, à la fois de la pratique du shoot et de la consommation de la came frelatée des rues américaines, dont on pense par ailleurs qu’elle contribue à déprimer le système immunitaire.

Par ailleurs, l’Université de Miami a annoncé qu’elle commencerait dès le début 93 une série d’expérimentations cliniques de l’ibogaïne sur les personnes dépendantes de la coke…

Coke et héro : Une ambivalence qui pourrait surprendre au premier abord, la coke ayant un effet stimulant alors que celui des opiacés est sédatif…

Elle s’explique par le fait que ces deux types de produits, chacun à sa façon, partagent la caractéristique d’activer la production de dopamine dans le cerveau, la dopamine étant la substance chimique qui produit la sensation d’euphorie caractéristique des stupéfiants. C’est précisément à ce niveau qu’agit l’ibogaïne. Affaire à suivre.

Boom de la toxicomanie en Inde

Toxicomanie de masse, explosion de la contamination intraveineuse du SIDA, et de la criminalité liée au trafic clandestin de l’héroïne : l’Inde se découvre un sérieux problème de drogue. Et commence à s’en inquiéter au plus haut niveau.

Dans un pays dont la traditionnelle tolérance en matière d’usage de stups faisait une sorte de paradis pour les défoncés du monde entier, on comprend mal au premier abord pourquoi cette pratique est soudain perçue et dénoncée comme un problème. Et tous les vieux de la vieille des années 70, qui se sont enfumés les poumons à Manali, bronzé les fesses à Goa, troué les veines à Bénarès et explosé la tête un peu partout de l’Himalaya au Cap Comorin, s’en étonneront sans doute.

Mais ce que nos routards ne saisissent peut-être pas, c’est qu’un fait nouveau a bouleversé toutes les données en la matière. À savoir, le développement sous l’influence conjointe des lois répressives de la fin des années 70 d’une part, et de la guerre dans l’Afghanistan voisin d’autre part, d’un trafic et d’une toxicomanie locales. Une toxicomanie dure, au brown sugar fumé ou shooté dans des conditions apocalyptiques par une population d’UD urbaine, juvénile et prolétarisée. Plus rien à voir avec la consommation traditionnelle de shit et d’opium. Ni avec l’héro ou la morphine qui, jusque là, ne faisaient que transiter par le pays et dont la consommation, objet d’une tolérance de fait, était l’apanage presque exclusif des touristes étrangers pourvoyeurs de devises.

Aujourd’hui, le brown sugar (et même la blanche) importé du Pakistan ou produit sur place comme à Bénarès, envahit les bidonvilles des grandes cités indiennes. Et, sans même parler des problèmes sanitaires (dont évidemment le SIDA), y provoque une explosion de criminalité tout naturellement liée au trafic, lui-même stimulé par l’attitude d’une police souvent corrompue et dont la répression à outrance fait payer les complaisances à prix d’or.

Résultat : « Eh bien par exemple », déclare au magazine “Interdépendances”, M. Gabriel Britto, directeur du NARC, un organisme semi-officiel de recherche sur la toxicomanie, « Nous avons pu observer environ 100.000 toxicomanes rien qu’à Bombay… Une situation d’autant plus grave que nombre d’entre eux sont contaminés par le VIH. Ainsi, une étude réalisée dans l’Etat du Manipur à l’Est du pays, sur 900 toxicomanes, a révélé que 50 % d’entre eux étaient séropositifs…» On imagine aisément le désastre à l’échelle d’un pays de plus de 700 millions d’habitants dont l’immense majorité vit au dessous du seuil de pauvreté…

Les raisons de ce relativement brusque essor de la “toxicomanie” sont en grande partie d’ordre international. La guerre en Afghanistan tout d’abord qui depuis 1979, a poussé les différentes factions de guérilleros en quête de financement à multiplier les centres de production de brown dans tout le pays. Une production jusque là modeste et cantonnée dans les zones tribales de la frontière pakistano-afghane et qui, en s’intensifiant jusqu’à un niveau quasi industriel, a dû se trouver des débouchés autres que les pays occidentaux ou l’Iran et le Pakistan voisin. L’Inde était d’autant plus indiquée pour tenir ce rôle que l’afflux massif de réfugiés a permis à nombre de caïds afghans de la dope de s’y infiltrer pour venir sur place y faire leur business, en collaboration – ou en concurrence – avec les mafias locales.

À l’autre extrémité du pays, tout à l’Est, le Myanmar (ex-Birmanie) – un des trois côtés du fameux “Triangle d’or” – a joué un rôle à peu près similaire, bien qu’à une échelle plus réduite et seulement pour l’héroïne blanche.

Troisième facteur, enfin, le développement du commerce avec l’Australie. Celle-ci produit, exporte et vend au gouvernement indien une production d’opium capable, tant au point de vue prix qu’au point de vue qualité, de concurrencer celle que les cultivateurs indiens de pavot écoulaient pour les besoins des industries pharmaceutiques nationales. Lesdits cultivateurs se trouvant dès lors en difficulté pour écouler un volume par ailleurs croissant de production, ont donc cherché d’autres débouchés, même illégaux, pour leur opium. Et les ont facilement trouvés – sur place, dans un trafic clandestin en pleine expansion.

Cette expansion du trafic, et donc de la consommation locale, est bien sûr également liée au développement de conditions sociales particulières… Et peut-être pourrait-on se demander si le brusque durcissement des lois et de la répression à la fin des années 70 n’y a pas tenu une certaine place. Hypothèse corroborée par l’explosion spectaculaire de la consommation d’héroïne entre 1977 et 1979. C’est à dire avant et après la vague de répression en question… Quoiqu’il en soit une chose est désormais certaine : ce n’est pas en réprimant que l’Inde conjurera la caractère angoissant de l’actuelle vague de toxicomanie…

Et peut-être une part de la solution réside-t-elle en germe dans un travail de recherche, d’information et de prévention en vue d’un traitement non plus policier mais sanitaire et social du problème.

C’est ce à quoi se consacrent Gabriel Britto et sa petite équipe du NARC. Et il serait intéressant de savoir quelles conclusions ils tireront de leurs recherches quand celles-ci les amèneront à constater la simultanéité de phénomènes comme le durcissement de la répression, la fermeture des traditionnelles boutiques d’opium et de cannabis ainsi que des fumeries, avec la progression soudaine et galopante de la consommation – notamment intraveineuse d’héroïne…

À l’échelle d’un pays comme l’Inde, il y aura certainement de quoi s’interroger sur l’incidence de la prohibition et de la répression – le malheur c’est que d’ici là, ils seront des dizaines, des centaines peut-être des milliers d’indiens à se retrouver contaminés par le virus du SIDA…

IDUN un réseau mondial

À côté d’EIGDU, il existe maintenant un réseau mondial des usagers de drogues. Celui-ci est né en mars 92, à Melbourne en Australie, à la première conférence des UD par voie intraveineuse, qui a réuni plus de 50 personnes venues des cinq continents.

Son nom : IDUN, International Drug Users Network (réseau international des usagers de drogues).

Malgré les difficultés de communication – entre autres – qui ralentissent inévitablement la matérialisation et la mise en action d’un tel réseau, certains des membres fondateurs d’IDUN ont annoncé à leurs camarades européens d’EIGDU qu’ils étaient en train de préparer « un rapport annuel sur les UD intraveineuses et le VIH dans le plus grand nombre possible de pays » et que ce rapport serait présenté en mars 93 à la 4ème Conférence Internationale pour la Réduction des risques, qui aura lieu à Rotterdam et abritera également après celle de Melbourne l’année précédente, la seconde conférence mondiale des UDVI.

Souhaitons donc bonne chance et longue vie à IDUN, avec lequel ASUD souhaite bien sûr entrer en contact le plus vite possible.

Le réseau européen des groupes d’auto‑support (EIGDU)

Le Congrès de Berlin et la formation du Réseau

Le Réseau existe depuis décembre 1990, lorsque 30 usagers de drogues de sept pays européens se réunirent à Berlin à l’initiative du groupe d’auto-support allemand J.E.S. (“Junkies, Ex-junkies, Substitutes”).

Ce premier congrès se donna pour tâche de développer un réseau européen des groupes d’auto-support existants et de stimuler la formation de tels groupes dans les pays où il n’en existait pas.

Il a mis en chantier trois projets, dont le premier est de préparer une déclaration européenne qui sera adoptée au 2ème Congrès, réunissant 49 participants à Berlin en décembre 1991. Les principales revendications de cette déclaration portent sur la facilitation de l’accès aux soins des personnes atteintes et le renforcement de la prévention du VIH chez les usagers.

Le deuxième projet est de doter le réseau d’une existence légale et d’une structure permanente, avec un secrétariat dont le siège était fixé à Amsterdam, et transféré cette année à Amsterdam. C’est ainsi qu’au 2ème Congrès un Bureau (“General Board”) fut élu afin d’assurer la continuité du travail entre chaque congrès.

Le troisième projet est de préparer un mémorandum sur la situation des usagers de drogues dans les douze pays de la Communauté européenne et les Pays de l’Est. Ce mémorandum s’est achevé au Congrès de Vérone, au mois de décembre 92.

À ce jour, 27 groupes d’auto-support sont membres de ce Réseau.

Raisons d’être et revendications

EIGDU est donc né de l’initiative et par la volonté des usagers pour faire face à l’inefficacité et au peu de moyens mis en œuvre pour arrêter la progression de l’infection à VIH, ainsi que pour faciliter l’accès aux soins de ceux qui sont atteints, dans le contexte des conditions déplorables dans lesquelles vit l’écrasante majorité des usagers européens. Pour y parvenir, EIGDU se fixait quatre objectifs principaux :

Accélérer la mise en place des politiques et projets de réduction des risques.

  • Provoquer la renégociation des conventions internationales relatives à le drogue, en vue de donner la priorité à la lutte contre le sida au lieu de la “guerre à la drogue”, comme c’est le cas actuellement. Une guerre qui, pensent-ils, contrecarre à beaucoup d’égards les efforts de prévention du sida.
  • Faciliter l’accès aux soins des usagers vivant avec le VIH, séropositifs ou malades, surtout ceux qui sont incarcérés.
  • Être reconnus par leurs gouvernements respectifs comme partenaires privilégiés pour tout ce qui concerne la prévention du sida dans leur communauté.

EIGDU se donne pour tâche à la fois d’organiser les usagers de drogues dans les pays où ils ne sont pas encore organisés, en vue de faire pression sur « ceux qui prennent des décisions concernant nos vies et leur dire que nous sommes là. Vous devez parler avec nous, nous avons une expérience de laquelle il y a beaucoup à apprendre » (John Mordaunt, Mainliners)

L’idée est de se constituer là où cela est possible, à l’échelle locale, nationale ou européenne, en groupe de pression et de lobbying.

Depuis 1992, s’est aussi constitué un Réseau mondial d’auto-support d’usagers de drogues (“International Drug Users Network”), ce à l’occasion de la 3ème Conférence internationale sur la réduction des risques pour ces mêmes usagers (Melbourne, Australie), auquel EIGDU a adhéré, notamment avec des groupes d’Australie et des États-Unis.

EIGDU est également reconnu par la Communauté européenne et l’OMS.

Méthadone à Barcelone

Il semble que le «tir à l’arbalète» (intraveineuse) n’ait décidément pas droit de cité aux Jeux Olympiques de Barcelone. Pas de toxicos dans les rues pendant les Jeux, ont en effet décidé les autorités de la capitale catalane.

Les pauvres faisaient déjà des cauchemars à l’idée de hordes de camés surgis des ruelles sordides du Barrio­Chino pour aller se shooter en direct devant les caméras du monde entier ou taper une crise de manque au pied des tours High-tech du Village Olympique, avant d’aller harceler pour quelques pesetas les malheureux touristes venus prendre l’air sur les ramblas. C’est vrai que ça aurait- fait désordre – pas bon du tout pour l’image de la future super métropole méditerranéenne du XXlème siècle.

Mais comment s’en débarrasser ? Les emprisonner ? difficile : 40 ans de franquisme ont rendu le pays plutôt chatouilleux sur la question des Droits de l’Homme, fût-il toxico ! Les déporter en masse dans un quartier périphérique comme pour les prostituées et les travelos ? Dangereux ! pas question de créer un ghetto qui tournerait vite au souk à la défonce.

Que faire ? C’est là que les édiles catalans ont eu une idée lumineuse : pour éviter que la vision des camés en manque ne ternisse l’image de leur belle cité sportive moderne et dynamique, il n’y avait guère que 2 solutions. Ou bien supprimer les camés – ce qui était, on l’a vu plus haut, impossible – ou bien supprimer le manque … ce qu’ils se sont évertués à faire en faisant discrètement avertir les intéresses que des programmes méthadone d’urgence étaient mis à leur disposition dans les centres spécialisés – et voilà !

Même si l’on peut déplorer qu’il ait fallu attendre les Jeux Olympiques pour qu’on se préoccupe enfin de donner libre accès au produit à une population lourdement frappée par le Sida, il y aurait lieu de se réjouir de voir les autorités catalanes faire ce pas décisif dans la direction d’une vraie politique de réduction des risques. Mais il y a un «mais» – et de taille : c’est que les programmes méthadone en question étaient strictement limités à la durée des Jeux. Ce qui signifie que ceux-ci terminés, les toxicos ont été gentiment renvoyés, à la rue, à la marginalité et au Sida.

Décidément, même si les Jeux Olympiques on fait, l’espace d’un été, monter les toxicos catalans au podium de la réduction des risques, la médaille était, une fois de plus, en chocolat.

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