Communiqué de l’Ordre National des Pharmaciens et d’Auto Support des Usagers de Drogues

Le refus de délivrance des traitements de substitution est une infraction.

En tant qu’acteurs de santé publique, les pharmaciens jouent un rôle de premier plan, en particulier dans le champ de la toxicomanie. C’est grâce à leur implication (délivrance de seringues stériles de trousses de prévention, de traitements de substitution) que la prévalence du VIH a nettement reculé chez les usagers de drogues par voie intraveineuse et que l’on a l’espoir de faire reculer un jour celle du VHC.

L’inexpérience et l’incompréhension mutuelle, associée à la crainte légitime suscitée par le comportement de certains usagers, ont abouti à une situation absurde : 25 % des pharmaciens d’officine (1 sur 4) refusent de délivrer certains médicaments de substitution sous des prétextes divers (d’après une enquête menée par Asud, voir Pharmaciens et usagers, le dialogue nécessaire).

PharmacienL’Ordre National de Pharmaciens et Asud sont associés pour dénoncer cette situation qui, loin de résoudre les tensions éventuelles, est une source de conflit supplémentaire entre usagers et pharmaciens.

Rappelons que le refus de délivrance d’un médicament autorisé sur présentation d’une ordonnance valide est une infraction au code de santé publique. Ce refus entraîne par ailleurs un effet de concentration des patients dans certaines officines. Cette « ghettoïsation » n’a que des effets pervers. Le manque à gagner volontairement assumé par les officines défaillantes entraîne une surreprésentation des gains liés à la substitution dans les autres officines, générant ainsi des ambiances équivoques sinon malsaines.

D’autre part, la colère légitime des patients littéralement chassés de certaines pharmacies contribue à entretenir le mythe des toxicomanes violents.

PESRappelons au contraire que, grâce à l’introduction des traitements de substitution dans les années 90, le nombre d’agressions de pharmaciens d’officine par des toxicomanes n’a cessé de baisser.

Asud-Journal et l’Ordre National des Pharmaciens se proposent d’agir concrètement pour améliorer la situation.

Dans un premier temps, l’ensemble des situations de rejet dont sont victimes les usagers vont être recensées afin d’établir une typologie. Si vous-même ou l’un de vos proches avez été victime d’un refus de délivrance, contactez Asud ou l’Ordre National des Pharmaciens à l’adresse suivante :

ASUD
206, rue de Belleville
75020 Paris

Ordre National des Pharmaciens
4, avenue Ruysdaël
75008 Paris

Contactez l’Observatoire du Droit des Usagers picto-odu

Pharmaciens et usagers, le dialogue nécessaire

Pharmacienne, Marie Debrus a effectué de nombreuses missions humanitaires pour la mission Rave de Médecins du monde. Sa double légitimité, de docteur en pharmacie d’une part, et de militante de la réduction des risques d’autre part, lui a permis d’explorer de nouvelles pistes dans la complexité des relations entre pharmaciens d’officine et usagers de drogues. C’est la synthèse de ce regard privilégié qu’elle nous a livré lors des troisièmes États généraux des usagers de substances illicites (Égus III).

Nous avons réalisé cette enquête financée par la DRASSIF en 2004 puis en 2006 (compte-rendu disponible auprès d’ASUD). Celle-ci était axée, non pas sur la substitution, mais sur l’accès aux Stéribox® en pharmacie. Nous avions prévu d’aller rencontrer une centaine d’officines à chaque fois. La première année, nous avons ainsi visité 93 pharmacies sur 6 arrondissements parisiens, les 1er, 2e, 3e, 10e, 14e et 19e. En 2006, nous avons porté l’enquête aux 12e, 13e et 20e arrondissements.

C’est une répartition géographique large avec des quartiers aux couleurs différentes. Nous avons tiré au sort les pharmacies visitées pour rester impartial et le plus objectif possible.

Au final, nous avons couvert 40 à 60 % des pharmacies de chaque arrondissement. L’image obtenue est donc assez représentative de la situation au sein de la capitale.

Enseigne-pharmacie-6Ouvrir le dialogue

L’objectif principal était d’informer le pharmacien sur l’importance du Stéribox® comme outil de prévention dans la transmission du VHC. Afin de favoriser les discussions et l’échange, nous avons mis en place un questionnaire qui ne portait pas seulement sur la question de la mise à disposition du matériel stérile, mais nous permettait d’aborder la question plus large de la perception des usagers de drogues par l’équipe officinale. Les questions étaient variées :

« Rencontrez-vous des problèmes dans votre officine ? Mettez-vous à disposition des seringues, des Stéribox®, des traitements de substitution, etc. ? »

Cette approche nous permettait d’ouvrir rapidement le dialogue et de discuter de la place de l’usager. Il est vrai que tout est lié, et nous ne pouvions pas poser la question de l’accès au Stéribox® sans aborder celle de l’accès aux traitements de substitution.

Le travail effectué sur les deux années était un peu différent. En 2004, les quartiers choisis étaient également plus exposés aux problématiques des drogues qu’en 2006. Je tiens à préciser qu’il s’agit de la situation parisienne afin de rester prudent quant à une éventuelle extrapolation. Par ailleurs, même si je vous présente un résultat global, une impression générale de notre travail, je tiens à souligner qu’il existe des situations très variées : du pharmacien qui expérimente l’échange de seringues dans son coin à celui qui aura une position extrême, rêvant encore d’un monde sans drogue.

Comprimés

Un jeune violent, agressif…

La plupart des équipes rencontrées ne comprennent pas le terme « usager de drogues ». Elles parlent plus volontiers de « toxicomane ». Nous devions utiliser ce même vocable pour nous faire comprendre. Elles ont une idée simplifiée de l’usager, plutôt fantasmée, proche de l’image véhiculée au cours des années 80 : un jeune violent, agressif, qui consomme des drogues parce qu’il est suicidaire, impossible à raisonner, avec qui on ne peut pas discuter. Les pharmaciens m’ont parlé à maintes reprises d’expériences assez fortes où ils ont été agressés physiquement, insultés… Cependant, lorsque je leur demandais quand l’événement avait eu lieu, j’apprenais que cela remontait à quelques années déjà. Ils restent traumatisés par une mauvaise expérience, ils ont peur et se sentent en danger. Le dialogue sur ce thème était ainsi difficile et délicat.

Préparateurs et pharmaciens n’avaient pas très envie d’aborder le sujet, mais ne le disaient pas ouvertement. Ils préféraient faire des détours et utilisaient de multiples prétextes. Nous avons persévéré et multiplié les visites et les rendez-vous. Nous avons finalement pu tenir de longues conversations, parfois très intéressantes. Apparemment, j’étais la première personne avec qui ils discutaient des usagers et des drogues. Ils se sentent un peu isolés, en porte-à-faux entre le médecin et l’usager. Les officinaux doivent gérer l’usager, mais ils ne savent pas comment faire, vers qui se tourner ou à qui demander conseil et soutien. Nous voulions comprendre pourquoi et comment ils se retrouvaient dans cette situation. Même si je ne suis pas issue de la filière officine, le fait que je sois moi-même pharmacien a probablement aidé puisque nous avions une formation commune.

Les pharmaciens présents aux EGUS 3

Méconnaissance des drogues et du VHC

Le problème vient d’une méconnaissance sur le sujet des drogues. Tout d’abord, une méconnaissance des usages et des usagers. Comment comprendre l’usager si l’on ne connaît pas ses pratiques ? Puis, une méconnaissance vis-à-vis du VHC. Cela peut paraître étonnant de la part de professionnels de santé tels que les pharmaciens. En effet, ce virus est connu pour se transmettre par le sang, mais puisqu’ils ne connaissent pas les pratiques des usagers, les officinaux n’ont pas conscience du rôle du matériel de préparation à l’injection.

De nombreux pharmaciens m’ont dit : « Le VHC, je connais. Moi, je donne des seringues. Cela leur suffit amplement, c’est comme le sida. » Le problème est là. Les pharmaciens n’ont pas la conscience de l’importance de ce risque à travers le reste du matériel. La majorité des équipes ont déjà ouvert un Stéribox®, mais très peu savent à quoi servent les différents outils. Ils ne voient donc pas l’intérêt d’en distribuer. Selon eux, « cet outil va trop loin, il donne trop de facilité à l’usager ».

Incompréhension de la RdR

D’autre part, les équipes officinales ne comprennent absolument pas la démarche de réduction des risques. Les seuls objectifs recevables restent le soin et l’abstinence totale. L’usager s’en sort quand il est abstinent. Les pharmaciens refusent d’entrer dans une démarche de réduction des risques car ils la jugent inutile, ne saisissent pas ses buts et ses moyens. Ils ne discernent pas les enjeux et surtout, les bénéfices qu’elle peut apporter pour la santé des personnes, à plus ou moins long terme.

EGUS-3-Substitution-Pharmaciens

Malheureusement, cette démarche de réduction des risques n’est pas encore suffisamment enseignée en faculté. J’ai découvert le terme de RdR en lisant Asud journal alors que j’étais en stage en Centre de Soins Spécialisés pour Toxicomanes (CSST). J’ai ensuite rencontré des personnes sensibilisées sur le sujet qui ont su m’y amener, et j’ai finalement voulu m’investir dans ce domaine. Mais c’est le terrain qui m’a tout appris sur les sujets des drogues et de la RdR, pas la faculté de pharmacie. Même si à Paris, Patrick Beauverie y intervient de plus en plus et éveille progressivement les futurs pharmaciens à cette notion un peu particulière. (…)

Ni formés ni informés

Comment les pharmaciens pourraient-ils avoir une relation sereine avec les usagers sachant qu’ils ne sont pas assez formés ni informés sur les usagers et leurs pratiques, peu ou pas soutenus dans la gestion de l’usager ? Les officinaux se sentent désarçonnés, et nous notons une absence totale de « conduite à tenir » vis-à-vis de ces personnes. Aujourd’hui, le pharmacien ne dispose pas de toutes les notions nécessaires pour se positionner de manière éclairée sur la question des drogues. Chacun agit donc en fonction de ses convictions, et sa prise de position est souvent arbitraire puisque fonction de son vécu et de son jugement personnel. Ne pouvant comprendre l’officinal et la variation de ses réactions, les usagers peuvent perdre confiance dans ce professionnel de santé bien qu’ils aient inévitablement affaire à lui. L’avis personnel de l’officinal compte dans l’acceptation de la délivrance, mais il doit être éclairé d’éléments scientifiques et objectifs.

La relation entre usager et pharmacien étant biaisée, elle est compliquée et très conflictuelle.

Pharmaciens / toxicos : comment briser la glace ?

En anglais, pharmacie, c’est drugstore, le magasin de drogues. S’il est un lieu où les drogués devraient se sentir à l’aise, c’est là où l’on vend pilules, cachets, poudres… et seringues, même si c’est trop souvent le royaume de la pince à épiler ou du régime minceur. Retour avec Pierre Demeester sur cette clientèle « particulière ». Docteur en pharmacie, il a exercé pendant 21 ans rue La Fayette à Paris, à deux pas de la gare du Nord et deux jets de « caillou » de la scène du crack, un périmètre de la capitale très « prisé » par les tox et les SDF.

Quelle vision avais-tu de la toxicomanie au moment de ton installation ?

Aucune, en dehors des idées toutes faites. Cette « population » était plutôt éloignée de mon champ de vision. Bien élevé dans un milieu protégé, je n’avais jamais vraiment été en contact avec le monde toxico. Pour tout dire, avant ma 4ème année de fac, je n’avais jamais vu un joint ni de près ni de loin. Ce n’était pas mon univers.

Quels ont été tes premiers contacts professionnels avec des tox ?

Cinglants et rapides. J’ai repris la pharmacie en juillet 1985 et fin août, j’avais déjà été braqué 2 fois. Pour de l’argent, bien sûr, et par des toxicos (2 fois les mêmes !). J’emploie volontairement le terme toxico, car je n’en avais pas d’autre, et je ne le trouve pas spécialement dévalorisant.

Pharmacie-centrale-de-France-cachetÀ quel moment t’es-tu rendu compte que ta pharmacie était plus volontiers que d’autres visitée par des clients un peu « space » ?

Dès les premiers jours, le nombre de « clients Néo-Codion® » m’a vite fait comprendre le quartier. L’arrivée des ordonnances de Subutex®, et avant ça de Temgesic®, était donc logique et même souhaitée. Par contre, l’image de la méthadone étant mauvaise, je refusais systématiquement les ordonnances. C’est le rapprochement avec l’Espace Murger, le CSST de l’hôpital Fernand Widal, qui m’a fait changer d’avis. Le contact avec l’équipe soignante a été déterminant dans mon approche de la délivrance de produits de substitution.

Que voudrais-tu dire aux pharmaciens débutants qui seraient effrayés à l’idée d’honorer des ordonnances de Subutex® ?

Il n’y a pas grand-chose à dire à ceux qui refusent pour des raisons professionnelles, c’est-à-dire qui veulent exploiter leur pharmacie dans un environnement social aseptisé. à ceux qui sont plus ouverts, mais qui ont peur du milieu toxico et de son impact sur le reste de la clientèle, je peux dire que cette population est aussi hétérogène et variée que n’importe quelle autre et qu’il n’est pas aussi difficile qu’on le croit d’y faire le tri. Y’a des gentils et des méchants, des sympas (même des très sympas) et des casse-pieds, des malades qui se soignent, et des malins qui profitent. On peut leur faire comprendre que la relation pharmacien/usager doit rester dans un cadre extrêmement réglementé, que les dérapages ne sont pas longtemps tolérés. Et tant pis pour les méchants et les profiteurs. Les casse-pieds, on a l’habitude, on en a déjà plein dans le reste de la clientèle.

Bref, quand on délivre du Subutex®, on ne fait pas que subir, on choisit aussi le type de relation que l’on souhaite. La qualité de l’équipe officinale est également déterminante. Il faut que chacun travaille à l’unisson, tout en étant autonome, mais soutenu en cas de difficulté. On a tous nos petits clients favoris, et c’est très bien comme ça.

Peut-on (mieux) gagner sa vie en acceptant les ordonnances de substitution ?

Enseigne-Drugs-storeCertainement, mais il y a des choix à faire. Tout dépend du nombre d’ordonnances que l’on voit passer par jour. Si la mamie qui vient chercher ses Valda 2 fois par semaine se cogne systématiquement à un gus au look zarbi, elle risque de changer de crèmerie rapidement.

Il ne faut pas oublier qu’une pharmacie est un gros investissement financier qu’il faudra revendre un jour. L’acquéreur va éplucher les ventes (les temps ont changé…) pour savoir ce qu’il achète, et il sera difficile de céder une officine qui vend « trop » de Subutex®. Le chiffre d’affaires gagné d’un côté peut se perdre de l’autre.

Comment refuser de vendre en cas de falsification évidente ?

C’est variable, ça dépend depuis combien de temps le mec galère pour se faire servir. S’il est carrément en manque, ça devient chaud. La chose la plus importante, c’est qu’il ne faut pas avoir de position de principe, genre « hors de question de céder », et prendre le type ou la fille c’est plus rare de haut. C’est comme ça que ça tourne mal si le gars est décidé. Il faut être ferme, mais toujours expliquer la raison du refus. Le plus important en cas de lourde insistance, c’est de lui trouver une solution. Si le type se rend compte qu’on n’en a pas rien à foutre de son cas, c’est déjà presque gagné. Et même si on ne trouve pas de solution (y’a des cas sociaux parfois…), je suis déjà « moins con que les autres » pour avoir cherché à l’aider, et donc mieux respecté. Mais certains jours, on est mal embouché, pas du tout patient, on s’énerve un peu trop, et ça tourne mal.

Quels conseils donner à quelqu’un qui est engagé dans un rapport de force avec un usager ?

Pharmacie-comptoirFermeté, mais humilité. Ne jamais « jeter » la personne, savoir céder s’il le faut, et délivrer l’ordonnance. Il faut savoir lâcher, même un « Ropinol, quat comprimmé par jour pandan 1 moi », prescrit par le Dr Guettotrou, gynéco-obstétricien à Pointe-à-Pitre…

Pourrait-on imaginer un rayon spécial « tox » (avec seringues, Stérimar®, Stéribox®, Stérifiltre®, kit sniff, dépliants Subutex®, etc…) comme il y a un rayon capotes ?

Une pharmacie n’est pas un coffee shop. Pourquoi pas un Steribox® offert pour l’achat de 2 Néo-Codion® ? Mais s’il y a de la place pour une zone confidentielle dans l’espace client, pourquoi pas.

Y a-t-il une certaine distance professionnelle à conserver, et si oui, quels sont les signaux annonciateurs du franchissement de la ligne jaune ?

Il y a toujours une barrière professionnelle à conserver. Bien sûr, il n’est pas interdit de se faire des amis, mais alors ce ne sont plus vraiment des clients. Il faut garder une certaine autorité pour bien gérer les situations. Chacun à sa place, et respect mutuel. Trop de complicité ou de confiance, et c’est souvent le dérapage. On avance une boîte, puis 2, et ça part en vrille. Donc respect des règles de délivrance, même si on se trouve sympa…

Quel a été ton plus grand stress ?

Pierre-Demeester-cocardéJ’ai une jolie photo de moi avec 2 yeux au beurre noir qui en témoigne douloureusement. Une ordonnance refusée pour un motif que je trouve maintenant futile (date d’ordo périmée), le type s’énerve vraiment, moi aussi, les flics débarquent, le sortent difficilement, et le laissent partir. La voiture de police reste un petit moment devant l’officine au cas où et… part. Cinq minutes plus tard, le gars revient fou de rage, fait le tour du comptoir et… boum. C’est le métier qui rentre, j’ai tout fait de travers. Une autre fois, un tox rentre dans l’officine, il vient de s’ouvrir les veines du poignet dans un coup de déprime. Ça pisse le sang de partout à gros jets. Je me jette dessus pour faire un point de compression et limiter l’hémorragie en attendant les pompiers. Dans l’urgence, je ne prends pas de précautions, pas de gants, rien. J’ai du sang un peu partout. Rien de grave, mais gros flip quand même.

Un souhait d’évolution de la réglementation concernant les stupéfiants ?

Pas d’assouplissement sur les règles de délivrance, il faut rester dans un cadre strict qui limite les excès. Par contre, il faut changer les obligations de gestion des stups par les pharmaciens. Ras-le-bol des registres, balances de stock, inventaires, fractionnements, et autres galères. On n’a vraiment pas que ça à faire, et ça retient les trop rares pharmaciens qui voudraient se lancer dans l’aventure.

Nom d’un pharmacien !

Ça y est ! Après le redoutable marathon législatif habituel Assemblée Nationale / Sénat / re Assemblée Nationale, le PLFSS ou Projet de loi de financement de la sécurité sociale a été enfin voté par les sénateurs. La Chambre haute a donc clos les incertitudes entretenues sur la légalité de ce satané nom du pharmacien, inscrit en toutes lettres et EN TOUTE ILLÉGALITÉ, sur de nombreuses ordonnances de traitement de substitution.

Résumé des épisodes précédents : jusqu’à aujourd’hui, le fait d’inscrire le nom d’un pharmacien sur une ordonnance relève de ce que la loi française condamne sous le savoureux vocable de « compérage » : entente délictueuse entre deux professionnels en vue de tromper les pratiques. En l’espèce, les deux « compères » sont le médecin d’un côté, le pharmacien de l’autre, tous deux, facteur aggravant, dépositaires d’une mission de santé publique. Le « compérage » est alors matérialisé par l’impossibilité où se trouve le consommateur de buprénorphine ou de méthadone d’aller dépenser son argent chez tel ou tel commerçant – quitte à changer d’avis au dernier moment. C’est précisément cette liberté qui est visée par le projet de loi voté par les sénateurs, et qui stipule l’obligation pour le médecin de mentionner le nom du pharmacien sur l’ordonnance.

Enseigne-pharmacie-5Pour devenir une réalité tangible dans la vie des usagers, ce projet de loi doit désormais faire l’objet d’un décret d’application. Un décret actuellement sur le bureau du ministre, autant dire qu’il est à la signature. Nous avons déjà protesté, officiellement et à plusieurs reprises, contre ce qui nous semble être une erreur de méthode. Le souci, louable, d’aplanir les difficultés réelles de communication entre usagers et personnel des officines risque, en effet, de déboucher sur l’accroissement des quiproquos et des inévitables disputes qui devrait en découler. Car s’il est souhaitable que le prescripteur établisse un contact téléphonique avec le pharmacien désigné, faire de ce préalable une obligation, risque d’augmenter considérablement les sources potentielles de conflit. Les patients, lâchés dans la jungle officinale en quête d’un professionnel compatissant vont donc devoir se rabattre sur des pharmacies « labellisés », ayant leur nom dûment mentionné. Quid de l’inattendu, de l’improvisation, du départ en vacances ou en week-end amoureux, de l’enterrement de la grand-mère, de l’engueulade avec le nouveau préparateur ? Notre inquiétude est partagée par de nombreux pharmaciens dont Jean Lamarche, président de l’association Croix verte et ruban rouge.

En matière de réglementation aussi, le mieux peut être l’ennemi du bien.

Les Douze Travaux d’EGUS

Issue des 1ers États Généraux des Usagers de la Substitution
Plate-forme de revendication des usagers de la substitution

Conférence de presse au Cyber-CRIPS, Tour Montparnasse
le mercredi 16 juin 2004 à 11h00

Introduction

Les usagers substitués demandent au jury de la Conférence de Consensus sur les traitements de substitution de Lyon (23 et 24 juin 2004) de prendre en compte spécifiquement chacun des points de la plate-forme suivante les « Douze Travaux d’EGUS 2004 ». Ils demandent également que le même souci de respect du contenu de cette plate-forme établie par les usagers préside aux décisions que les pouvoirs publics seront amenés prochainement à prendre en matière de traitements de substitution.

Ces “ Douze Travaux d’EGUS 2004 ” ont été établis suite à la tenue des 1ers Etats Généraux des Usagers de la Substitution (EGUS 2004) à l’Auditorium de l’Hôpital Européen Georges Pompidou à Paris le 5 juin dernier. Il s’agissait d’une initiative conjointe d’Act Up-Paris et d’ASUD qui n’aurait pu voir le jour sans le soutien logistique du CRIPS Ile-de-France.

Quatre-vingt personnes étaient présentes et représentaient plus d’une vingtaine d’associations d’usagers de drogues et de la substitution en France, ainsi que des médecins, des représentants des pouvoirs publics et notamment le Dr Alain Morel, président de la Fédération Française d’Addictologie et président de la Conférence de Consensus.

Contexte

Si les politiques de substitution ont été mises en place à partir de la circulaire de 1994, et largement développées avec l’arrivée du Subutex© en 1996, c’est notamment, en pleine hécatombe de l’épidémie de sida, pour permettre la survie et faciliter l’accès aux soins des usagers de drogues (accès aux trithérapies anti-VIH, prise en charge psycho-sociale, etc…).

Aujourd’hui en 2004, alors que l’épidémie d’hépatites virales est particulièrement prévalante chez les usagers de drogues, il faut absolument mettre à jour ces politiques de substitution, en développant leur promotion et en élargissant l’accès aux traitements de substitution et, ainsi faciliter l’accès aux traitements des hépatites virales pour tous les usagers de drogues.

Indication et rappels

Le terme de “ MESUSAGE ” est à bannir, considérant qu’il recouvre un point de vue moral de la part des autorités, puisqu’il s’agit en fait de problèmes de prise en charge médicale, liés à l’observance, le respect de la galénique et les modes de consommation des produits de substitution. Si il y a un trafic de produits de substitution, fait que nous ne nions pas, il ne relève en rien d’un problème médical, mais plutôt des réponses manquantes des politiques de substitution actuelles, en France.

Il paraît essentiel de reconnaître et prendre en compte la place du plaisir dans la substitution, car même si un usager ne prend sa substitution que dans un but hédoniste, il faut privilégier le fait qu’il renonce déjà aux produits illicites et au trafic. Le plaisir a une place essentielle dans l’accès aux soins mais aussi dans le cadre d’une démarche thérapeutique.

C’est pourquoi, il est vraiment urgent de pouvoir rapidement pérenniser et développer aussi bien ces programmes que de nouveaux programmes pilotes de recherche pour des solutions ayant déjà fait leurs preuves, depuis longtemps, notamment dans de nombreux pays européens voisins.
La particularité de la substitution “ à la française ”, et ce qui a fait son succès si rapide, reconnu par l’ensemble des acteurs internationaux de la réduction des risques, a toujours été ses facilités d’accès et d’initiation, qu’il faut aujourd’hui consolider et absolument préserver, au risque de voir bon nombre d’usagers préférer retourner aux produits illicites, s’ils ne peuvent faire face à de nouvelles règles trop strictes.

Suite aux 1ers EGUS, les usagers de la substitution proposent :

Revendication n°1

Elargissement de la palette des produits de substitution (héroïne, morphiniques,codéïnés, etc…), et développement des galéniques adaptées (voie injectable, fumable, inhalable, buvable, sub-linguale, etc…).

Revendication n°2

Prise en compte des propositions de l’usager quantaux molécules et aux dosages envisagés, en vue d’un choix éclairé, aussi bien pour la prescription que la délivrance, en concertation avec le médecin et le pharmacien, de son choix. Assouplissement des règles de délivrance et des conditions administratives (avec extension de la règle des 28 jours à tous les produits).

Revendication n°3

Autorisation de primo-prescription en ville pour tous les produits de substitution Responsabilité du médecin traitant et non plus du primo-prescripteur une fois le traitement initié.

Revendication n°4

Reconnaissance de l’utilité de
l’alternance thérapeutique
(passage d’un produit à un autre au cours d’un traitement de substitution au long cours), alternance liée notamment à la question – aujourd’hui taboue – de l’importance du plaisir, de l’importance de pouvoir accéder à plusieurs produits et éviter ainsi la tolérance à un seul qui ne fait que renforcer la
dépendance, rendant aussi plus difficile, le sevrage des produits de substitution.

Revendication n°5

Développement des programmes de substitution “bas seuil”. Pérennisation des programmes et des structures d’accompagnement dites de “première ligne” (boutiques, P.E.S., intervention sur site festif, etc…). Les structures de bas seuil et de première ligne ne sont toujours pas reconnues et sont maintenues dans une précarisation et un cadre
expérimental, leur empêchant toute forme de reconnaissance et de pérennisation, alors que leur
efficacité n’a plus à être prouvée.

Revendication n°6

Développement de programmes d’éducation à la santé spécifiques pour les usagers de la substitution, depuis des interventions de première ligne jusqu’à des stages spécialisés.

Revendication n°7

Accès aux droits sociaux pour les usagers, notamment à l’hébergement comme condition de réussite d’un traitement de substitution. Prise en compte de l’état de santé dans les conditions d’obtention du RMI et des autres indemnités de protection sociale (la dernière réforme du RMI ayant supprimé la question de l’état de santé dans ses critères d’obtention) pour les usagers en
traitements.

Revendication n°8

Développement de programmes de sevrage de stupéfiants, sur demande de l’usager. Elaboration de recommandations précises pour le sevrage des produits de substitution, ainsi que des programmes d’accompagnement spécifiques, pour “ l’après substitution ”.

Revendication n°9

Principe absolu de la continuité du traitement de
substitution en prison
, ainsi qu’avant et après l’incarcération (mise en place de relais en ville, primo-prescription facilitée). Mise en place d’une consultation spécifique à l’entrée et à la sortie de prison, et d’une formation à la
prévention des overdoses
avant la sortie.

Revendication n°10 

Mise en place de projets-pilotes et de programmes alternatifs de recherche dans différents domaines : en matière de psycho-stimulants, souvent qualifiés de “speeds” par les usagers, expérimentation de sevrage et de substitution ;
expérimentation de l’iboga, etc…

Revendication n°11

Autorisation et prise en charge des examens biologiques
spécifiques
(dosages plasmatiques, méthadonémie, dépistage de stupéfiants, etc…) pour permettre aux usagers d’évaluer eux-mêmes, la réussite de leur traitement de substitution. Ces examens n’ont pas pour but un contrôle à l’initiative du médecin seul, mais en concertation avec l’usager. Les consommations parallèles, surtout pour le cannabis, ne peuvent être un critère de sanction, surtout par baisse des dosages de substitution, mais l’occasion de préciser à nouveau le but et les modalités de traitement.

Revendication n°12

Accès aux soins du VIH et des hépatites virales grâce au suivi des traitements de substitution.

Toutes ces revendications ayant pour but d’améliorer la vie quotidienne et la santé des usagers en traitements de substitution ne sauraient être appliquées efficacement, comme dans de nombreux pays européens, sans une dépénalisation de l’usage de tous les produits stupéfiants.

Prisons Thaïes : des saisons en enfer

La Thaïlande, ses îles au soleil, ses plages, sa blanche et ses prisons. Nous avons reçu des lettres concordantes sur les terribles conditions de détention dans la nouvelle prison de M.H.S.* Des témoignages qui filent froid dans le dos.

La décro, à même le sol

J’ai connu Asud par l’intermédiaire de F., avec qui je séjourne dans la même prison thaïe. Peu d’Européens peuvent imaginer les conditions dans lesquelles nous, prisonniers, sommes contraints de vivre en Thaïlande.

U.D. depuis 6 ans, j’ai décidé de voyager pour voir du pays : après les Philippines, le Sri-Lanka, la Thaïlande, où je me suis fait arrêter avec 6 g d’héroïne. Une fois en prison, je fus coupé de tout contact extérieur (j’étais le premier étranger à innover cette prison). J’ai dû attendre un mois pour être jugé. Nous étions quatre ou cinq à attendre le jugement. Sans un regard, le soi-disant juge énumère les sentences. Cela n’a pas duré plus de 15 secondes… qui m’ont valu deux ans d’incarcération (du vite fait, bien fait). A ce moment-là, je sortais tout de juste de ma décro, et c’est comme un coup de massue qui s’abat su moi. La décro, il faut en parler. Elle se passe sans rien, à même le sol, et ce n’est pas avec la nourriture qu’ils nous donnent que l’on peut récupérer des forces (même un chien ne la mangerait pas). Bref, il m’a fallu trois semaines pour pouvoir avaler quelque chose, avec l’aide du chilli (piment) qui permet de ne pas sentir ce que l’on mange. J’ai complètement « fondu » mais je fais partie du pourcentage qui passe le cap, car un quart trépasse. Je suis libérable dans quelques mois, et je garderai le contact avec vous.

Claude

Attachés

Les conditions de détention en Thaïlande-Nord sont déplorables.

On peut assimiler la prison en Thaïlande aux prisons françaises de l’Ancien Régime. Les détenus sont attachés ; il n’y a pas pas d’infirmerie ni de médecin sur place. Avec une obligation d’acheter soi-même les médicaments, il ne fait pas bon tomber malade ni être indigent… Le gouvernement ne s’occupe pas de ses ressortissants étrangers, quatre mois peuvent s’écouler entre chaque visite du médecin et pas d’interprète non plus mis à la disposition par l’ambassade.

Est-ce les 400 kilomètres qui la séparent de Bangkok qui font de cette prison un enfer ou les mêmes traitements sévissent-ils dans toutes les prisons du pays ?

Eric

1m² par personne

La cellule ou Je passe un long moment, de 16 h 30 à 7 h du matin, mesure 4,30 m de large et 8,70 m. de long, pour quarante personnes. Cela fait moins de 1 m2 par personne, et les toilettes sont à l’intérieur.

Par deux fois, on m’a mis les chaînes aux pieds, après une bastonnade qui m’a valu une hospitalisation.

Entre janvier et février derniers, 14 personnes sont mortes dans la prison et dans l’indifférence la plus totale.

Frank

* Des précautions d’usage pour préserver l’anonymat et la sécurité des détenus nous obligent à changer les noms.

10 mesures d’urgences contre la marginalisation et l’extension du SIDA chez les usagers de drogues

  1. Accès facilité aux seringues, généralisation des programmes d’échanges de seringues et installation de distributeurs automates
  2. Aise en place de programmes méthadone dans toutes les grandes villes françaises. (il n’y a actuellement que 52 places, uniquement à Paris)
  3. Organisation de réseaux de médecins généralistes se répartissant la prise en charge des toxicos, où circulerait une information spécifique. En corollaire, possibilité pour ceux-ci de prescrire des produits de substitution (y compris les spécialités inscrites aux tableau B)
  4. Accès libre, gratuit, anonyme et sans condition de sevrage aux soins médicaux et hospitaliers (prise en compte de la dépendance)
  5. Arrêt immédiat des incarcérations de toxicomanes pour simple délit d’usage de stupéfiant ; suppression de l’injonction thérapeutique.
  6. Prise en charge médicaux-sociale des détenus séropositifs pendant leur incarcération et au delà de leur sortie.
  7. Visite obligatoire d’un médecin aux toxicos en garde à vue depuis plus de 8 heures.
  8. Augmentation des places disponibles en post-cure (actuellement 600 lits pour près de 200 000 toxicos)
  9. Mise en place de structure d’accueil, d’hébergement pour les toxicos les plus marginalisés, souvent sans aucune couverture sociale.
  10. Aides des pouvoirs publics à la création et au fonctionnement autonome de groupes d’auto-support d’usagers et ex- usagers de drogues et participation aux décisions prises en matière de toxicomanie.

Arrêt de la cour de cassation

Désormais, en matière de stupéfiants, il suffit d’une simple dénonciation pour habiliter la police à intervenir en flagrant délit, c’est à dire à faire irruption au domicile d’un suspect à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, sans avoir besoin d’aucun document justificatif.

Rien de nouveau sous le soleil direz-vous. Eh si justement : ce qui est nouveau c’est qu’à présent, ce genre de pratique policière qui, pour être courante, n’en restait pas moins comme plus ou moins en marge du Code Pénal, se voit en effet officiellement consacrée par une toute récente jurisprudence de la plus haute juridiction française.

La Chambre Criminelle de la Cour de Cassation vient en effet de rendre un arrêt consacrant de fait le droit des policiers à intervenir en flagrant délit sur simple dénonciation, dès lors qu’il s’agit de stupéfiants. Et ce, en cassant voici trois semaines l’arrêt de la Cour d’Appel de Fort de France daté du 19 juillet 91, arrêt par lequel celle-ci annulait elle-même la procédure de flagrant délit engagée contre un nommé Riquier Max, suspecté de vente de drogue à la suite de la dénonciation d’un petit consommateur qui le désignait comme son fournisseur. Cette annulation avait été prononcée au motif que “la simple mise en cause (du suspect) ne saurait constituer l’indice apparent suffisant d’un comportement délictueux révélant l’existence d’un flagrant délit”.

En clair, la récente décision de la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation, en permettant à la police d’agir en flagrant délit sur simple dénonciation, lui donne un pouvoir quasi-discrétionnaire et dégagé de toute tutelle judiciaire en matière de stupéfiants…

Décidément non, comme répondait le flic qui l’embarquait à 3 h du mat’ après avoir défoncé sa porte au pauvre pékin menotté, assez naïf pour lui demander s’il avait un mandat – non vraiment, “On n’est pas dans un feuilleton américain, mon petit pote, on n’est pas à la télé” …Eh non, c’est vrai ; on est en France en mai 1992…

Massacre au Myanmar (ex-Birmanie)

D’après le chef du Centre Anti-Prostitution, une ONG thaïlandaise, 25 prostituées birmanes séropositives auraient été exécutées par injection de cyanure en fin 91 sur ordre des autorités de Rangoon.

Les vingt-cinq jeunes femmes avaient été, en même temps que plusieurs dizaines de leurs compatriotes, libérées du bordel de Thaïlande où elles travaillaient et refoulées vers leur pays d’origine par la police des mœurs thaïlandaises en juin dernier.

quand on sait qu’environ 40 000 prostituées birmanes travaillent dans les bordels du “pays du sourire”, pour la plupart membres de ces minorités ethniques contre lesquelles le régime de Rangoon mène par ailleurs une véritable guerre d’extermination sous couvert de “lutte contre la drogue”, et qu’on connaît d’autre part le peu de cas que font les généraux birmans de la vie humaine, on peut légitimement s’attendre à des lendemains sanglants… Alors, après les prostituées, à quand le massacre des UD séropositifs ?

Pour le moment – et pour ce que nous en savons – la question n’est heureusement pas à l’ordre du jour … N’empêche que si j’étais birman, et toxico, et séropo, pour couronner le tout, j’aurais disons comme une tendance à me méfier des prises de sang.

Un mariage en garde-a-vue

Ce soir, ça fait plus d’une demi-heure que j’attends que le mec revienne avec ce que je lui ai demandé. Le voila, enfin! Vraiment décontracte, le mec, pour quelqu’un qui est surveillé par des civils. Je ne peux me douter de quoique-ce-soit déjà en tant que personne dépendante d’un produit plus cher qu’il ne vaut (tant pis). Personnellement, je ne pense qu’à ça. Ca fait presqu’ un an que je viens ici pour chercher mon plaisir, ce n’est pas journalier ! Mais juste une ou deux fois par semaine. C’est suffisant, et puis je n’aime pas courir après tous les jours. D’ailleurs, ça ne sert à rien, je préfère en avoir vraiment envie.

Toujours est-il que depuis le temps que je viens ici, je me suis rendu compte que les dealers extrêmement méfiants par expérience, ne revendent jamais s’ils estiment être surveillés. Et jusqu’à maintenant, tout c’est bien passé, le mec m’entraîne dans les escaliers. Je paye et je ne demande pas mon reste.

J’enfourche ma bécane, je démarre doucement et commence à descendre la rue tranquillement, enfin rassuré d’être en route pour la “casba” (maison). J’amorce un virage, et j’aperçois un type en train de renouer son lacet au beau milieu de la rue; je ralentis encore un peu histoire de passer en “lousdé” (en douce) à coté de lui.

Alors tout est allé très vite. Il relève la tête, me hèle et me demande une cigarette que je lui refuse poliment en m’arrêtant un dixième de seconde, ce qui suffit largement à son collègue planqué derrière une caisse, et qui me pécho (me prend) en traître le colbak (par le col) !

Je regarde l’autre : il se marre en me mettant sa plaque sous le nez. Ils m’entraînent dans une petite cage d’escalier à coté, et me demandent une première fois :

– Où est la came ?
– Je n’ai rien acheté!
– Allez … on t’a vu de toute façon !
– Je vous assure que je ne l’ai pas prise!
– Tu sais, à chaque fois qu’on gaule (prend) un tox,il nous donne toujours tout-de-suite sa dose; alors tu ferais mieux de faire pareil … de toute manière, on la trouvera !

Sur ce, ils commencent à me fouiller justement la bonne poche, et ressortent le keps (le paquet) entre leurs doigts. J’hallucinais ! Enfin … façon de parler, parce qu’à ce niveau là, question défonce, j’étais mal barré.

Les trois quart-d’ heure qui suivirent, je les ai passé accroché par les pinces (menottes) à l’escalier, ou plutôt à des barreaux, le temps que ces messieurs attrapent le dealer, non de bonbons, mais de bonbonnes. Ensuite ? Eh bien garde-à-vue, tentative des flics de m’amadouer pour que je balance le mec pour plus que ce qu’il a fait, puis le dépôt, le procureur le lendemain matin, couplé avec les médecins pour l’inévitable « injonction thérapeutique ». Total, à 15h30 je sortais tout juste. C’est quand même con le jour de mon mariage; c’était à 14h00 ! On dit une « vie de chien », je les envie!

MORALE : La veille de tes noces, abstiens-toi !

SYLVAIN

Synthèse des EGUS 2

Après ces deux jours et pour avoir assisté à cette même rencontre l’an passé, il est clair à mes yeux que les EGUS sont véritablement un espace de parole propre des usagers où se construit un discours spécifique. Un discours et une volonté d’améliorer la situation des usagers qui ont d’abord aboutis, en 2004, aux « 12 travaux d’EGUS », un ensemble de positions et de revendications qui ont pu être versées à la conférence de consensus sur les traitements de substitution.

Cette année, vous avez ouvert un questionnement centré sur le vécu des usagers dans deux domaines où l’on ne leur demande que rarement leur « expertise » :

  • La citoyenneté – donc la responsabilité pleine et entière – de ceux que l’on appelle usagers d’un côté (le vôtre), ou toxicomanes de l’autre (celui des institutions juridiques et médicales).
  • Le plaisir qui, même attaché à la consommation de drogues interdites, ne devrait plus être considéré comme une question inavouable ou une recherche honteuse dès lors qu’il s’agit de l’utilisation des médicaments de substitution.

Ce discours d’usager lorsqu’il s’exprime collectivement – et non plus dans le seul « colloque singulier » avec le médecin où, par définition, le rapport est déséquilibré puisque le médecin prescrit ou pas un produit dont l’usager (le patient) a besoin –crée inévitablement des tensions avec le regard et les conceptions médicales. Nous n’avons pas, en effet, les mêmes points de vue a priori sur les questions de la dépendance et de ce qui s’y joue. Cela n’est ni surprenant ni forcément problématique, ce sera même un facteur de mouvement et d’évolution si nous sommes capables d’inscrire ces tensions dans un dialogue et de définir des objectifs communs.

Pour ce faire aujourd’hui, je vous propose de commencer par identifier ces tensions qui sont à l’origine de nos malentendus, et d’en parler de façon aussi directe que vous savez le faire.

Vous aviez énoncé « les 12 travaux d’EGUS 1», j’ai repéré cette année « les 10 malentendus d’EGUS 2 »… Ce qui, s’il faut le préciser, ne remet évidemment pas en question vos 12 travaux-revendications avec lesquels nous sommes très fortement convergents, comme l’ont montré les conclusions de la conférence de consensus.

Avant d’en faire la liste et de m’arrêter sur quelques uns de ces malentendus, il me semble utile de noter que la ligne de partage entre usagers d’une part et médecins d’autre part n’est pas la seule et peut-être pas la plus forte des contradictions qui traversent le champ des drogues, de leurs usages et de l’intervention sociale qui les visent.

Pas plus que le monde médical et soignant n’est homogène dans son approche et ses représentations de la question, les usagers ne le sont dans leurs attentes et leurs manières de faire avec ou de se défaire des drogues. Je perçois ici, dans cette assemblée, que vous constituez un groupe d’usagers particulièrement initiés et ayant accès à des réseaux peu visibles (par exemple pour la prescription de médicaments opiacés « atypiques » ou l’expérimentation de protocoles non officiels). Ma situation n’est pas davantage représentative et je n’ai aucunement prétention à parler ici au nom de la médecine ni même des « intervenants en toxicomanie ». Je réagis à vos propos en tant que personne que je vous demande de ne pas réduire à une fonction de représentation, d’un groupe ou d’une corporation…

Ceci dit, venons-en à nos 10 malentendus.

1. La définition improbable ou (parfois) affirmée de la toxicomanie comme maladie chronique

L’enjeu de cette définition est évidemment capital pour savoir à qui, de l’individu concerné, du médecin ou de la société, est attribué le rôle clé dans cette affaire.

Je crois qu’entre la désignation d’une maladie chronique ou d’une conduite individuelle et assumée, il ne s’agit pas de faire un choix binaire, mais de savoir différencier le niveau ou la part du phénomène que l’on considère.

L’approche addictologique sur ce point, comme sur beaucoup d’autres, est une aide précieuse. Je vous invite à l’adopter davantage et à y apporter votre contribution.

La distinction des problématiques de l’usage, de l’abus et de la dépendance est ici fondamentale. Nos collègues alcoologues n’ont d’ailleurs plus aucun problème pour parler de l’alcoolo-dépendance comme maladie (tout en différenciant différents types de dépendance) et pour ne pas amalgamer tous les usagers et tous les usages problématiques dans le registre de « l’alcoolisme », alors que pour ce qui nous concerne cet amalgame est encore très fréquent sous le vocable de « toxicomanie ». La définition de la part pathologique du phénomène de consommation est particulièrement imprécise dans le domaine des substances illicites.

Cette question est cruciale, car s’il faut sans doute se garder d’une vision strictement bio-médicale, il faut accepter également que la dépendance – en particulier la plus « totale », celle aux opiacés – a une base neuro-biologique qui rend compte de son évolution autonome, et de la perte de contrôle qu’elle détermine, sapant jusqu’à la liberté même du sujet. Cela ne rend pas compte de tout, y compris de toute la dépendance, mais cela est une réalité peu contestable aujourd’hui.

Ce que le sujet fait de sa dépendance lui appartient, mais il ne peut pas toujours la contenir ou s’en extraire sans intervention extérieure, et, dans ce domaine, l’intervention médicale (au sens global, bien sûr) n’est sûrement pas la plus mauvaise.

C’est aussi cette vison médicale qui peut permettre de sortir d’une représentation par trop morale de la consommation de drogues et des problèmes qu’elle peut susciter, à condition qu’on lui accorde la légitimité d’énoncer des règles techniques, des règles de bonnes pratiques. J’y reviendrai.

2. La confusion entre traitements de substitution et Réduction des Risques

D’emblée en effet, les deux notions de substitution et de Réduction des Risques ont été associées, mêlées et amalgamées par les différents orateurs, (à commencer par le Président de la MILDT lui-même dans son introduction de ces États Généraux).

Je n’adhère pas à cette confusion.

Car si TSO et RdR ont des intersections et si les traitements de substitution ont obtenu leur légitimité dans l’opinion publique en tant que moyen de lutte contre le Sida, ils ne se superposent pas pour autant. Les TSO ne servent pas qu’à la RdR.

Des traitements peuvent effectivement ne viser que la diminution des risques, sans autre ambition qu’un accès à des droits, à une vie sociale plus satisfaisante et à des soins, mais d’autres substitutions peuvent avoir une visée d’aide au sevrage ou d’abstinence médicalement assistée selon des modalités variables (durée, cadre, etc.). Il est possible et nécessaire de faire cohabiter dans un même dispositif « des substitutions » avec cette diversité d’objectifs. À condition d’être clair sur cette diversité d’objectifs qui doit être explicitée et rendue visible par des différenciations de programmes, comme cela est le cas dans de nombreux pays anglo-saxons.

« La » substitution n’a guère de sens, il existe différentes formes et objectifs des traitements de substitution, et ne réduisons pas leur intérêt à la seule diminution des dommages.

3. La question sociale mise au premier rang des causalités

Elle est probablement, comme cela a été souvent répété ici, un déterminant essentiel des difficultés et des souffrances des usagers. Elle est, par exemple, à la source de nombreux comportements considérés comme des mésusages, voire des détournements.

Certes, cela est indéniablement vrai, mais jusqu’où et pour qui ? Car si tel était le cas toujours et pour tous, le « traitement social » (un logement, un revenu minimum, un accès simplifié aux produits) devrait suffire à changer suffisamment la situation et le devenir des usagers.

La toxicomanie est-elle un artefact de la prohibition ? Probablement pour une part, mais une part seulement.

De plus, la question sociale est plus complexe que ses aspects factuels posés en termes de moyens donnés à des individus ou à des catégories de population. C’est aussi de lien au monde dont il s’agit.

Faire contre-poids à une conception médico-biologique de la toxicomanie-maladie est nécessaire, j’en suis convaincu aussi. Mais sans doute faut-il se méfier qu’un réductionnisme n’en remplace pas un autre.

4. La citoyenneté des usagers doit être reconnue

La reconnaissance de cette citoyenneté passe d’abord par l’abolition de cette désignation légale des usagers comme délinquants ou comme malade sous contrainte. Nous militons aussi pour cela. Mais si la fin de toute pénalisation de l’usage est une condition nécessaire, elle n’est pas suffisante.

Car cette citoyenneté passe par l’exercice concret d’un droit d’expression et d’implication dans des lieux où il en est question, en particulier les lieux où il est question de leur traitement. J’avais déjà essayé d’insister sur ce point aux EGUS de 2004 : la loi du 2 janvier 2002 vous ouvre des droits dans les instituions médico-sociales, il faut vous en saisir et nous devons travailler avec vous pour leur mise en place.

Valère Rogissart disait hier : « Le droit des usagers et l’application de la loi du 2/01/02, c’est compliqué. » Ce n’est pas si compliqué si on fait l’effort d’y travailler ensemble.

Il y a quelques mois, l’ANIT Ile de France avait organisé en collaboration avec ASUD un séminaire régional sur les droits des usagers dans les institutions médico-sociales : cette réunion a réuni les deux orateurs (le président de l’ANIT et celui d’ASUD) et… trois personnes

Alors oui, dans ces conditions, c’est compliqué.

C’est un point de mobilisation sur lequel nous devons impérativement nous rencontrer pour travailler ensemble. Par exemple à l’occasion de formations me suggérait Madame Catherine Bernard de la DGS.

Le personnage joué par Clint Eastwood à la fin d’un western spaghetti très connu disait à son ennemi : « dans ce monde, il y a deux catégories de gens, ceux qui tiennent le revolver et ceux qui creusent, toi tu creuses ». Cela me semble s’appliquer assez bien à la répartition du pouvoir entre médecins et toxicomanes : il y a ceux qui tiennent le stylo et qui peuvent donner ou refuser une substance et il y a ceux dont une grande partie de leur état et de leur vie va dépendre de cette ordonnance. Nous, nous avons le stylo et le « produit »…

C’est un pouvoir immense. Et comme tout pouvoir sur autrui, il nécessite, en démocratie, des systèmes de contrôle et de rééquilibrage du pouvoir. Nous avons à inventer et à accepter ces systèmes qui nous contrôlent.

5. La question du sevrage, de l’abstinence ou du traitement à vie

Cette question a été soulevée pour réaffirmer une revendication à pouvoir choisir son traitement, comme à pouvoir l’arrêter ou le poursuivre à vie. Je partage entièrement cette revendication qui est une traduction directe de l’exercice de la citoyenneté.

C’est d’ailleurs l’une des conclusions saillantes de la conférence de consensus qui affirme, en substance : c’est le patient qui est le mieux placé pour savoir s’il veut arrêter le traitement et quand.

Faut-il améliorer des protocoles de fin de traitement ? Certainement. Et là, la balle est dans le camp de la médecine. La qualité du traitement, c’est aussi la qualité de son suivi et de son éventuel arrêt.

Mais j’ai été frappé que vous ne vous montriez pas plus critiques envers l’opposition qui est faite, en particulier dans le plan de la MILDT, entre substitution et abstinence. Une opposition qui légitime le projet de créer 20 Communautés Thérapeutiques (soit 600 places !) dévolues uniquement aux toxicomanes ayant choisi l’abstinence, et qui excluent le recours aux traitements de substitution. Comme s’il fallait faire contre poids à « trop de substitution » et revenir à l’abstinence « pure et dure » comme le réclame un quarteron de députés réactionnaires. Quarteron qui attaque férocement en même temps les médicaments de substitution, la RdR et les associations d’usagers, bien sûr.

L’abstinence voilà encore un mot à définir.

Pour avancer dans cette question, je crois que nous devons admettre que l’abstinence nécessite pour bon nombre de personnes dépendantes une aide extérieure et que cette aide peut être (et doit généralement être) de diverses sortes. L’abstinence sans assistance médicale et médicamenteuse, mais avec une assistance communautaire n’a aucune supériorité que ce soit sur une abstinence avec traitement de substitution par exemple. C’est une option parmi d’autres, avec des avantages et des inconvénients.

Ne soyons pas dupe de l’emprise morale sur cette notion d’abstinence.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que la « critique de gauche » (selon les propos de François Nicolas) de la RdR rejoint parfaitement celle « de droite » pour promouvoir la même « alternative » : la mise à l’écart résidentielle pour ne pas dire la réclusion des toxicomanes avec injonction à l’abstinence.

6. Les patients chaotiques

C’est une question qui a été juste effleurée lors de ces États Généraux, pourtant nous ne devons ni l’occulter ni la minimiser : la continuité et la participation du patient à son traitement sont des conditions de son utilité. Au-delà des motifs divers de mésusages, l’existence de ces patients « chaotiques » – même s’ils sont une petite minorité – posent des problèmes cliniques et institutionnels réels, parfois graves. Problèmes d’instabilité, de ruptures, de transgressions, de violences (des éducateurs ont été sérieusement blessés, des équipes ont été menacées), de risques accrus, et un sentiment d’impuissance, tout cela n’est pas seulement le produit d’un manque de moyens ou d’une méconnaissance des intervenants sur les réalités vécues et les besoins de ces patients.

Il n’est sans doute guère possible ici de pousser plus loin cette question, mais les soignants s’interrogent forcément sur la nécessité de répondre à ces situations par un renforcement (et donc un durcissement) du cadre institutionnel. Et ces usagers, de fait fort mal pris en charge, rejetés de partout, aboutissent en prison et dans la rue avec de moins en moins d’issue. Ce n’est évidemment pas glorieux, pour personne. Mais quelles solutions ?

7. L’histoire, les positionnements des uns et des autres et leurs évolutions

Les « années Sida », qui ont vu arriver la Réduction des Risques et les traitements de substitution en France, ont modifié de nombreux équilibres, ébranlé de grandes certitudes et profondément changé la vision de nombre d’intervenants. Qui y a échappé ? Peu ou prou, personne.

Les pratiques ont aussi considérablement évolué, même s’il reste encore des rigidités inacceptables. La poursuite d’un dialogue étroit entre usagers et professionnels est l’une des conditions de la nécessaire capacité à évoluer des uns et des autres. Il nous faut préserver cette capacité à évoluer.

Nous avons aussi appris de cette période de remises en question qu’il nous fallait regarder plus loin que nos « histoires de chasse » et aller chercher les données validées, y compris celles que produisent « les autres », notamment les chercheurs et nos collègues à l’étranger, afin de ne pas se laisser aller à des discours d’expert qui ne reposent en réalité que sur la seule expérience personnelle de leur auteur et sa vision subjective du monde.

8. La substitution est un médicament mais c’est aussi une drogue

Drogue ou médicament, cela dépend de l’usage que l’on en fait. Cela a été dit par plusieurs intervenants et c’est une évidence. Tout médicament psychoactif, surtout s’il est opiacé, est susceptible d’être l’un et l’autre, l’un ou l’autre

Mais je veux attirer votre attention sur le risque qu’il y aurait à ne pas être clair sur le respect d’une distinction entre le produit-drogue et le médicament-traitement.

Rien n’est pire que les jeux de dupes entre usagers et soignants.

Selon moi ce qui fait qu’une molécule est un médicament tient :

  • aux propriétés de la molécule qui minimisent ses effets collatéraux ; c’est, par exemple, l’intérêt de la durée d’action qui diminue le nombre de prise et la tolérance.
  • l’intervention d’un prescripteur-soignant qui ouvre une triangulation et, de ce fait, un dialogue de nature à apporter une régulation et une maîtrise de l’utilisation de la molécule.

Dans ce sens, il me paraît contre productif de continuer d’utiliser le terme de « produits » pour désigner les médicaments de substitution. Cette confusion entretient dans l’opinion l’idée que ce ne sont pas de « vrais » traitements, et renforce la position de leurs adversaires qui n’ont aucune espèce de considération envers les usagers, bien au contraire.

9. La substitution, ça sert à quoi finalement ?

Quelqu’un a dit ici même, que ce qui fait soin dans la substitution c’est « la vie pacifiée », et que, je cite, « la fonction sociale de la substitution est plus importante que sa fonction médicale ». Je crois comprendre ce point de vue car je l’entends de la bouche de patients (comme disent les docteurs), et je crois que je partage cette vision.

Finalement, cet apaisement, cette pacification des relations avec autrui (et avec soi-même, parce que le manque ça crée des souffrances et des crises, et ça met la guerre un peu partout), n’est-ce pas ce que demandent les usagers ? Mais faut-il alors opposer un projet médical qui serait autre ou plus que cet apaisement, qui serait l’abstinence et l’arrêt de tout produit par exemple, et faudrait-il que le projet de l’usager soit forcément limité à celui d’être en paix avec les autres ? Le plus important n’est-il pas que le médecin et le patient (ou l’usager) déterminent un objectif commun et s’allient pour y parvenir, le traitement en étant l’un des moyens ? Certes, il est vrai que de nombreux Docteurs n’ont pas fait le deuil d’une représentation de « la guérison » qui serait définie par des standards médicaux et sociaux et auxquels le patient n’aurait plus qu’à se conformer. À nous de mieux faire comprendre ce que veut dire la participation au (et l’appropriation du) traitement et la notion d’alliance thérapeutique.

Cette alliance thérapeutique qui nous est si chère m’amène au dernier malentendu, et peut-être le plus significatif du conflit de logique qui existe entre nous…le malentendu du plaisir.

10. Et le plaisir dans tout ça ?

Faut-il s’offusquer que des patients veuillent retrouver par la prise de médicament de substitution le plaisir que leur a apporté l’opiacé pris en dehors de la médecine ? Sincèrement, je pense que tout soignant qui connaît ces questions et qui travaille auprès d’usagers ne peut répondre que par la négative : cette recherche du plaisir est partie intégrante de la consommation de la drogue et elle ne s’éteint pas magiquement avec les affres de la dépendance.

Pour autant, faut-il demander à la médecine de prescrire du plaisir ? Il y a à mes yeux beaucoup de risques à poser la question sous cet angle, le premier étant de créer une réticence supplémentaire du corps médical à aller sur le terrain du soin en toxicomanie. Car les médecins ne sont ni formés pour ni chargés de donner ou refuser du plaisir. Et bien heureusement : imaginez vous un instant de devoir aller réclamer une consultation à son médecin pour qu’il vous prescrive du plaisir ? Dans quel type de société cela nous engagerait-il ?

Mais cette réponse à la revendication du « droit au plaisir », bien que juste selon moi, n’est pas suffisante. Sans doute est-il possible de trouver un compromis acceptable, c’est-à-dire pour le médecin qui reste dans le cadre du soin, autour de la notion de « confort ». Confort à la fois en termes de molécule, de posologie et de relation aux soignants (au sens large). C’est sur ce type d’objectif commun que peut se fonder une réelle alliance, que le médecin appellera alliance thérapeutique et l’usager confiance.

Je suis en tout cas très heureux d’avoir été avec vous pendant ces deux jours, précisément parce que ce dialogue entre nous est non seulement passionnant, mais qu’il donne aussi les clés pour un confort et, allez, disons-le, un plaisir partagé. Du moins tel est mon espoir…

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