Auteur/autrice : William Lowenstein

Le médecin peut-il sortir du cadre de prescription des MSO ?

William Lowenstein est médecin addictologue. Il a été en France l’un des premiers à travailler sur les liens entre le sida et l’usage de drogue. Il est aujourd’hui président du groupe de travail T2RA du Ministère de la Santé et de l’association SOS Addictions.

Cet article fait partie du dossier La prescription hors-cadre.

Je garde toujours ce cadre pas loin de mon bureau parce que c’est un résumé de nos problématiques médicales : c’est celui de la loi de 1972 qui, pour lutter contre les overdoses, retirait l’accès en vente libre des seringues. À l’époque, quelqu’un qui voulait avoir des seringues devait passer par ce chemin de croix de contrôles et au bout du compte, l’accessibilité avait quasiment disparu. Et parmi les mètres cubes de littérature pour expliquer pourquoi les usagers de drogues partagent leurs seringues, je vous assure que nulle part a été écrite l’évidence que si les usagers de drogues par voie intraveineuse partageaient leurs seringues, c’est parce qu’elles étaient vraiment dures à trouver. Par contre, toutes les théories sur le partage de l’injection en disent long sur la capacité de certains à interpréter des faits en dehors du pragmatisme. Et cette sortie du pragmatisme a coûté des dizaines de milliers de vies, que ce soit à travers le sida, l’hépatite, les cancers hépatiques…

Décret de 1972 (William Lowenstein)

Un cadre et une éthique

Pourquoi je vous parle de ça ? Parce que nous avons un cadre, une AMM, une loi de santé, un conseil national de l’Ordre, mais nous avons aussi une éthique. Et notre façon de nous positionner par rapport à la prescription hors AMM ou à la question qui nous est posée – Le médecin peut-il sortir du cadre de prescription des MSO ? – doit à mon avis se travailler à travers la conscience ou l’éthique de la relation entre le médecin et son patient. On est dans un cadre médical, avec une prescription de médicament (éventuellement remboursé par la Sécurité sociale) et une AMM. À partir de l’instant où l’usager franchit la porte de mon cabinet et où je vais prescrire sur une ordonnance sécurisée, à mes yeux, c’est un patient. Et ce n’est pas plus compliqué que ça pour dicter ma conduite, avec tout le respect que j’ai pour tous mes patients, y compris les usagers de drogues. Ce rappel à notre fonction est important parce que le médecin pourvoyeur de plaisir en prescription hors AMM comme le médecin prescripteur de Viagra® en dopage de la sexualité, c’est à mon avis un tout autre sujet.

Éthiquement parlant, des cadres comme ceux-là sont insupportables. Et des gens comme Jean et Clarisse ont fait en médecine libérale, ce qui était beaucoup plus difficile qu’en médecine hospitalière où on se sent beaucoup plus protégé par l’équipe. Il est beaucoup plus facile de taper sur un médecin libéral que sur un médecin hospitalier.

En ce qui concerne le cadre, c’est une réflexion éthique : quand un médecin a le sentiment qu’il doit sortir du cadre dans l’intérêt prioritaire de son patient, cet intérêt doit nous guider et c’est ce qui nous a amenés à nous faire traiter de « dealers en blouse blanche donnant de la drogue aux drogués ». Le révisionnisme a le droit d’exister partout, même en médecine hospitalo-universitaire.

L’importance du dialogue

« On ne prend pas des drogues seulement pour être usager de drogues. On peut essayer de préciser quels sont les effets de ces substances pour soi-même, mettre de l’intelligence dans ses consommations, pas seulement de la réduction des risques ou de la protection par rapport à l’endocardite, la septicémie ou les abcès. Dans l’échange qu’on peut avoir avec les patients, il faut arriver de temps en temps à ce que la neuroscience ou la médecine puissent préciser des choses vraiment utiles. Combien de personnes ont besoin du cannabis pour l’endormissement ? Quelle est l’importance des produits psychoactifs sur les troubles du sommeil ?
Je reste sidéré de voir des personnes qui viennent consulter et qui se demandent pourquoi leur relation aux autres s’est modifiée, de voir que quand tu fais la relation avec les troubles de l’appétit ou du sommeil, tu parles vraiment de quelque chose avec les usagers. »

Élargir le cadre

Concernant la prescription elle-même, je voudrais cibler trois thèmes principaux en disant « continuons d’élargir le cadre plutôt que de s’exposer toujours à en sortir, sauf en cas d’extrême nécessité ». Je l’illustrerai par 3 molécules qui nous intéressent :

  • La primo-prescription de méthadone en ville, pour laquelle ça a été long, mais c’est vraiment dans la dernière étape de la tuyauterie puisque tout le monde a donné son accord dans les tutelles pour que les médecins généralistes puissent primo-prescrire de la méthadone.
  • Les sulfates de morphine, et la fameuse lettre de Jean-François Girard de juin 1996 : ce n’était qu’une lettre qui mériterait d’être réactualisée parce que les médecins-conseils ne veulent plus prendre la responsabilité de valider le remboursement des traitements par sulfates de morphine. Il y a donc un vrai travail qui se fait avec une vraie question qui se pose : ce n’est pas la même chose de prescrire du Moscontin® ou du Skenan®. Avec le Moscontin®, on peut penser qu’il s’agit d’une administration per os, avec le Skenan®, on est dans une substitution par voie injectable qui ne dit pas son nom.
  • C’est là qu’on retrouve le troisième point : la substitution injectable, qui est enfin officiellement traitée par nos différentes tutelles, que ça soit la Mildeca, la commission des Stupéfiants et l’ANSM ou le groupe T2RA à la Direction générale de la Santé. Avec nécessité d’avoir une étude pilote qui tienne la route et qui définisse les indications. Quand je vois que dernièrement, dans un congrès de psy, il y a des annonces un peu prématurées sur telle ou telle molécule, je ne voudrais donc pas que ce que je vous dis là aille dans ce sens. On est en train de travailler là-dessus, il faut essayer d’accélérer les choses, mais ça ne veut pas dire que la BHD injectable est « votée » et qu’on peut la prescrire. D’ailleurs, elle n’existe pas encore sur le marché. Mais c’est intéressant de voir cette évolution vers la possibilité de prescription d’un MSO par voie injectable. Bien évidemment, c’est la buprénorphine qui a été retenue pour le côté safe que vous connaissez par rapport aux opiacés agonistes purs tels que la méthadone ou même, les sulfates de morphine. C’est le côté safe qui l’emporte.

Autant besoin d’eux qu’eux de nous

Le manque d’organisation des usagers

« Pour m’être construit à l’intersection des univers VIH/sida et usage de drogues, pour avoir travaillé sur le sida avec des organisations d’usagers qui sont allées jusqu’au groupe TRT5, le reproche que je puis faire, c’est qu’il n’y a pas cette organisation chez les usagers de drogues à la hauteur de ce qu’il y a eu dans le VIH. Et si les usagers de drogues, en connaissant la limite du soutien de l’Assemblée nationale, s’organisaient aussi un peu mieux en France, je pense qu’on aurait tous à y gagner. Mais cela ne nous défausse en rien de la frilosité et des insuffisances qui ont été dénoncées. Plus que des discours passionnés et passionnants sur le sujet, on serait très contents d’avoir des vraies études crédibles sur bien des aspects pour monter au front ensemble. »

Un dernier petit mot par rapport à cette phrase que j’ai souvent partagée avec vous : « les toxicomanes m’ont tout appris », parce que le toxicomane est le seul patient qui arrive avec son diagnostic et son traitement. Il suffit en gros de l’écouter pour savoir ce qu’il faut lui prescrire. J’ai toujours trouvé ça à la fois très sympathique et très vrai dans le partage des informations. Et je me suis toujours demandé pourquoi, dans ce cas-là, ils étaient dans une telle merde et pourquoi ils venaient nous voir s’ils avaient une telle connaissance. Je rajouterais donc juste une chose, c’est qu’on a autant besoin d’eux qu’eux de nous et que c’est justement dans ce respect des partages et des connaissances qu’on pourra avancer ensemble. Également d’un point de vue stratégique. Car sur la question « les usagers de drogues ne sont pas des malades », je pense que, vu l’état de l’opinion française sur le sujet, ce n’est pas la meilleure stratégie que l’on puisse proposer. Même si j’en comprends là aussi la recherche éthique et de dignité. Mais en pratique sur le terrain, oui, ce sont les usagers de drogues qui m’ont appris le plus important. Mais ils ne m’ont pas tout appris et j’espère surtout que nous leur avons aussi appris des choses pour pouvoir les protéger.

EGUS9 Fabrice Olivet

« Fabrice Olivet (ASUD) : Je crois beaucoup à la demande qui perdure, s’installe avec le temps, c’est un signe que l’offre médicale reste toujours inadaptée. Le hors-cadre dans la réduction des risques et la substitution reste une dynamique presque nécessaire du fait de l’existence de cette demande. Mais quid du visage officiel pour y répondre ?

EGUS9 William Lowenstein 3

William Lowenstein (SOS Addictions) : On a déjà travaillé je ne sais combien de fois sur l’élargissement de la palette thérapeutique. Je vois de plus en plus de personnes en demande de Ritaline® et je trouve qu’on ne travaille pas assez le sujet des neuro-excitants parce qu’avec les NPS, on est complètement dépassés. On a un wagon de retard mais ce n’est pas pour ça qu’on n’a rien à apporter. Toute la question se repose actuellement des neurostimulants parce que c’est qu’on voit de plus en plus au quotidien, avec une méconnaissance importante.
Il y a une très belle phrase d’un hématologue qui dit « la science est là pour édicter des lois générales mais en médecine, il y a autant de cas qu’il y a d’individus ». Elle sert beaucoup pour dicter un parcours médical : tu as besoin d’un cadre le plus adapté possible et après, de la capacité d’entendre ce qui est hors du cadre pour essayer de l’élargir et de s’y retrouve avec une méthodologie qui convienne »

Cet article fait partie du dossier La prescription hors-cadre.

 

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