Auteur/autrice : Lucie-Therese Faure

Cannabis Social Club : mode d’emploi

Cannabis social club… Aussitôt, on pense à l’Espagne, la première à avoir vu se concrétiser le concept imaginé par Encod : un regroupement d’usagers solidaires partageant leur récolte commune. Le mouvement y a pris une ampleur exceptionnelle, ce qui a d’ailleurs entraîné quelques infléchissements de fonctionnement, dus au succès et à des interstices législatifs que la France ne possède pas.

Depuis quelques temps, on commence à parler des Cannabis social clubs français, qui sont issus de la même démarche, tout en revendiquant une forte connotation militante. Existant depuis à peine plus de six mois, leur succès tient au fait qu’ils correspondent à une volonté revendicatrice d’arrêter la clandestinité d’un certain nombre de jardiniers de plus ou moins longue date qui se sont retrouvés dans ce procédé non commercial. D’autres, plus novices, y trouvent une structure qui leur convient, transgressive certes, mais responsable. Parce qu’au point où on en est, il faut bien arriver à provoquer une ouverture de concertation absolument nécessaire.

Si ces clubs en sont encore un peu au stade de la construction, on en recense néanmoins 157 actuellement. D’autres sont en attente d’avalisation, et tous ont adhéré au même code de conduite. Le nombre de participants, tous adultes évidemment, est très variable, en majorité des petites structures de trois à six personnes dont, bien sûr, des usagers thérapeutiques. Le système est absolument encadré et permet une transparence parfaite. Aucun soupçon de deal quelconque ne doit être possible.

Un logiciel permettant de centraliser tous les paramètres est en cours de finalisation. Il permettra d’enregistrer les cultures, d’échantillonner les variétés, leurs usages plus ou moins spécifiques, les produits utilisés, les résultats obtenus, la quantité produite, le nombre de cultures indoor ou outdoor, etc. Respectant l’anonymat des clubs, la mise en commun de ces données permettra d’avoir une vue d’ensemble rationnelle sur tout le système. Un outil qui pourra sans doute à moyen terme remplacer le traditionnel « cahier de culture » auquel chaque club doit s’astreindre à cause de l’évidence inscrite dans la charte.

Il est intéressant de noter que la plupart des commentaires aux articles parus sont plutôt compréhensifs, ce qui n’était pas si prévisible que ça. Cette bonne volonté affichée par la fédération des CSC dans l’organisation et la clarté risque de n’être utile qu’au fonctionnement interne si les autorités ne voient pas la nécessité d’infléchir leur position calcifiée par trente ans d’immobilisme forcené.

Changeons le discours

D’après un récent sondage du Huffington Post, les Français, toute origine politique confondue, sont assez sceptiques sur l’efficacité d’une dépénalisation, voire plus encore à propos d’une légalisation pure et simple. Ils constatent par contre très majoritairement (à 77%) que la répression n’a pas de réels résultats. 10% n’ayant pas d’opinion sur le sujet, ne resteraient donc que 13% de convaincus.

Une majorité estime également que renforcer la prévention ne servirait à rien, de même qu’un usage encadré par l’État. De quoi déduire sans doute une tendance assez nette et forte au fatalisme impuissant face au phénomène. Comme si la société vivait avec la prohibition, mais sans aucune illusion sur son bien‑fondé, en dépit de toutes les déclarations revendiquant une morale dogmatique. Une sorte de résignation réaliste concernant les résultats obtenus par ces années de prohibition répressive, sans bien percevoir la manière d’en sortir.

Il serait donc totalement vain de prétendre que l’opinion publique n’est pas prête à entendre un discours nouveau, pragmatique celui‑là, basé sur des données objectives. Au contraire, tout le monde est bien d’accord sur le fait que la politique actuelle est un échec. Changeons donc le discours, c’est le moment. Parlons de prévention entre autres pour les 15/24 ans, champions d’Europe de la consommation, que les exhortations officielles n’arrivent guère à convaincre. Arrêtons de confondre les causes et les conséquences… Sachons informer, expliquer ce qu’il en est exactement, c’est le meilleur argument préventif qui puisse exister.

À plusieurs…

Pas si loin de nous, le Portugal a tenté l’expérience de la régulation en dépénalisant depuis dix ans. Les résultats sont probants. La consommation a diminué, pour toutes les drogues d’ailleurs. Il y a quelque temps, des commissions de parlementaires curieux avaient fait le voyage pour s’informer.

Bien dommage que ce n’ait pu aller plus loin. Cela montre en tout cas que si on veut réellement s’en donner les moyens, accompagner avec beaucoup de proximité, par de nombreux dispositifs c’est vrai, la volonté de stopper une consommation exponentielle est dans le domaine du possible, y compris dans un pays à tendance traditionnelle. L’Union Européenne a toujours laissé aux États la liberté d’agir comme bon leur semblait dans ce domaine

Les nouvelles directives stratégiques pour 2013‑2020 insistent, entre autres, sur les risques sanitaires et sociaux, ainsi que sur une approche visant à réduire la demande et l’offre sur le plan national. À leur encore petit niveau, les CSC peuvent y participer. À plusieurs, il est plus facile d’éviter de s’enfoncer dans la surconsommation. À plusieurs, on risque moins d’utiliser des produits de culture peu adéquats dans leur composition, avec risque de répercussions sur la santé. À plusieurs, les expérimentations de vaporisateurs sont moins aléatoires. Sans parler des échanges sur les dosages précis nécessaires pour une utilisation culinaire, de la réduction de risques dus à une négligence parfois innocente dans l’utilisation d’appareils, de l’information sur les huiles de massage, etc.

C’est parce qu’ils sont en phase d’expertise d’un usage raisonné, ouvert au thérapeutique, que les CSC souhaiteraient obtenir une sorte d’expérimentation dérogatoire, qui permettrait d’amorcer un dialogue public sur des perspectives qui s’inscriraient dès lors dans une volonté d’aller au-delà d’une tentation d’immobilisme pernicieux. Mais il reste bien difficile de provoquer un signe des autorités compétentes, montrant qu’elles ont bien conscience du problème ou qu’elles n’esquivent pas les conséquences de leur logique législative. On se souvient, au printemps dernier, de la tentative – finalement infructueuse – portée par Francis Caballero d’arriver à la cour d’assise et de faire respecter l’article 222-35 du code civil en vertu de l’article 206-27 du code de procédure pénale, ce qui aurait ainsi permis de déboucher de manière détournée sur le débat tant attendu.

Les Cannabis Social Club et la désobéissance civile

Comme on pouvait s’y attendre, le militantisme revendiqué des planteurs regroupés dans le Cannabis social club français (CSCF) a abouti au procès du porte-parole du mouvement, Dominique Broc, le 8 avril 2013. Ceux concernant les clubs locaux qui se sont déclarés en préfecture sont annoncés. Le dialogue est parfois bien difficile…

Pour les adhérents et les sympathisants du CSCF, il s’agit bien de désobéissance civile, d’une infraction consciente et intentionnelle, dans le but d’infléchir et de modifier les règles obsolètes en vigueur. Ainsi que l’a justement rappelé le procureur de Tours lors du procès du 8 avril, la loi est faite de règles collectives dont la force est supérieure aux actes individuels. Mais pour autant, le rôle de la loi n’est pas d’écrire l’Histoire.

Réalité du cannabis français

L’histoire actuelle du cannabis en France en est bien la preuve. C’est la substance illicite la plus répandue en dépit de toutes les interpellations, injonctions, interdictions, condamnations. Rien de plus commode pour un lycéen ou même un collégien d’en faire usage. Alors que le but officiel est exactement l’inverse. Les efforts actuels de prévention à coup de spots TV ou d’interventions en milieu scolaire ne servent qu’à alarmer les parents et relèvent plus d’une morale vertueuse que d’une information fondée sur des données scientifiques.

Quant aux adultes usagers de cannabis, beaucoup ont compris la nocivité sanitaire, sociale et financière du trafic. Ils cherchent donc à s’autonomiser le plus possible pour ne pas en être complice.

Il ne faut pas oublier les usagers dits « thérapeutiques », plus nombreux qu’on pourrait le croire, pour lesquels le cannabis convient mieux que les médicaments des laboratoires. Des recherches ont prouvé que certaines variétés sont plus efficaces que d’autres comme auxiliaires de traitements médicaux. En France, l’autoproduction est le seul moyen pour un patient de découvrir et se soigner avec la plante adaptée à sa pathologie.

Transparent et responsable

Le CSCF veut faciliter un usage encadré, responsable et non incitatif. Il s’inscrit complètement dans une réduction active des risques liés à l’usage du cannabis en prônant une information objective et une éducation à l’usage. Le fonctionnement des clubs se fait avec une volonté de transparence exemplaire qui offre une traçabilité parfaite propre à rassurer les autorités. Le CSCF veut contribuer à une évaluation objective du phénomène cannabis. Il est en train de se doter d’un outil d’observation qui permettra l’émergence de données inédites sur le plan épidémiologique, social, médical ou botanique.

Différentes formes de soutien

Alors, oui, il y a désobéissance civile générée par une situation catastrophique qu’il serait grand temps d’assainir. Ce mouvement suscite des soutiens parmi des inconnus, complètement insérés socialement, souvent non-consommateurs, qui se sont manifestés par des dons ou des encouragements auprès de l’avocat de Dominique Broc. Il y a aussi l’opération d’outing du peuple de l’herbe sur Facebook : près de 500 cartes d’autodénonciation d’origines très diverses et la soixantaine de lettres de soutien reçues par l’avocat. L’opinion publique est sensible à ce débat. On peut regretter le petit nombre de personnes présentes venues soutenir la cause des CSC lors du procès du 8 Avril. Beaucoup travaillent un lundi après‑midi, ils ont hésité à prendre une journée de congé. D’autres ne pouvaient pas faire face aux frais de transport. Mais le mouvement est lancé. Il va se construire davantage et perdurer.

Mouvement durable

Sur la base d’une reconnaissance mondiale de la faillite d’un système irréaliste, il s’agit simplement de ne pas laisser la situation empirer. Le cannabis n’a pas de dose létale contrairement à d’autres substances légales. Pourtant, mal encadré et accompagné d’une mauvaise information, son usage peut provoquer des désordres de toutes natures. Il serait important d’en prendre enfin conscience et d’agir en conséquence. Avec ordre et méthode, car il y a maintenant de très nombreux paramètres à prendre en compte. C’est dans cette démarche positive que le CSCF veut s’inscrire. Est-ce vraiment trop utopique ?

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