Auteur/autrice : Loïc Courtais

Un Brève histoire de l’iboga

« J’ai marché ou volé sur une voie longue et multicolore, ou sur de nombreuses rivières, qui m’ont conduit à mes ancêtres qui, à leur tour, m’ont conduit aux grands dieux. »
C’est par ces quelques mots que le nouvel initié à l’un des différent cultes Bwiti tente de communiquer son expérience mystique, résultat d’heures de chants et de danses rituelles, associé à la prise d’une préparation à base de racine d’iboga. L’utilisation rituelle de l’iboga est principalement connue des tribus Fang et Mitsogho du Sud-Gabon. D’après la tradition orale, cette connaissance et son utilisation, ainsi que celles d’autres plantes médicinales ou psychotropes, dont sont issus les mythes fondateurs de la religion Bwiti leur aurait été enseignée par les pygmées de la forêt équatoriale.

Les européens découvrent la plante en 1819, à travers la description du Gabon d’Edward Bowdich. Dans leurs rapports, les officiers de district du Cameroun évoque cette « plante qui stimule le système nerveux, qu’on emploie pour effectuer de longues marches, de grands voyages en canoë ou pour rester éveiller la nuit. » C’est en 1939 qu’apparaît sur le marché pharmaceutique le Lambarène, des comprimés dosés à 0,20g. d’extrait d’iboga correspondant à 8 mg d’ibogaïne, dont la composition aurait été inspirée par le docteur Schweitzer, grand marcheur et explorateur infatigable. Haroun Tazieff, vulcanologue, raconte dans son livre: « Le gouffre de la pierre saint Martin » son expérience du lambarène, classé comme stimulant neuromusculaire, effaçant la fatigue, indiqué en cas de dépression, de convalescence, de maladies infectieuses, d’effort physique et intellectuel anormal. Devenu par la suite l’un des dopants préféré des sportifs d’après-guerre, le Lambarène fut retiré du marché en 1966, et l’ibogaïne interdite à la vente avant d’être classé comme produit dopant par le C.I.O. en 1989. C’est en testant ses vertus psychédéliques que Timothy Leary, et d’autres avec lui constate son pouvoir anti-addictif. Parmi eux, le futur docteur Lotsof, l’un des pionniers du traitement à l’ibogaïne qui lancera les premiers protocoles d’études cliniques. Ce n’est que plus tard que l’on apprendra que la C.I.A. menait déjà dans les années 50 un programme d’étude sur une population de morphinomanes afro-américains, étude dont les résultats sont toujours classés top-secret.

60 ans du LSD, happy birthday

En 1938, Albert Hoffmann synthétise un alcaloïde baptisé «Lyser Saür Diäthylamid». Enregistré 25e sur le cahier du laboratoire, il porte le nom de LSD 25. Quelques années plus tard, sa découverte,devenue «son enfant terrible», donne naissance au plus puissant des psychédéliques du XXe siècle.

Le plus fameux trip de l’histoire.

Le LSD 25 est un dérivé synthétique du claviceps purpurea, parasite de l’ergot du seigle. D’autres dérivés sont encore utilisés en médecine pour leur activité sur l’utérus ou l’appareil respiratoire, mais les propriétés psychoactives du LSD restèrent dans l’ombre des archives du Pr Hoffmann. Ce n’est qu’en avril 1943 qu’il décide de reprendre la synthèse du LSD afin d’en approfondir la connaissance. Et c’est alors qu’il terminait la cristallisation finale du tartrate de LSD qu’il fut pris de vertiges et d’ivresse. Il prit son vélo pour rentrer chez lui, et partit pour le plus fameux trip de l’histoire. Il consigna ensuite soigneusement ses perceptions dans ses notes de laboratoire-: «-Je devins soudainement ivre, le monde extérieur changea comme dans un rêve. Les objets semblèrent gagner en relief, affichant des dimensions inhabituelles, et les couleurs devinrent plus chaleureuses, la conscience de soi et la notion du temps furent également modifiées. Quand j’eus fermé les yeux, des images colorées étincelaient en un kaléidoscope rapide et changeant. Après quelques heures, la plaisante ébriété qui avait été expérimentée lorsque j’étais pleinement conscient disparut. Quelle est la raison de cet état-?-» Il dut chercher un moment parmi les substances qu’il avait manipulées avant de comprendre que l’acide, dont il ignorait encore toutes les propriétés, était responsable de ce voyage imprévu.

Le lendemain, pour être sûr, il reprit une dose de 250 microgrammes (les trips que l’on trouve actuellement dépassent rarement les120 microgrammes), une dose qu’il pensait infime puisque par comparaison la mescaline, le plus puissant hallucinogène connu jusqu’alors, agit à des doses de 280 milligrammes, soit plus de mille fois plus. Tout ne fut qu’hallucinations colorées et modification de la conscience de soi. L’expérience, de l’aveu même du professeur, fut beaucoup plus intense que celle de la veille et par certains aspects terrifiante avec, par moments, une impression de dépersonnalisation, et à d’autres, une impression d’agonie.
Le professeur Werner A. Stoll, psychiatre et fils du patron des laboratoires Sandoz, fut le premier à tester le LSD sur des patients. Chercher à traiter des troubles mentaux avec des produits psychoactifs n’était pas nouveau. Freud, par exemple, enthousiasmé par son expérience de la cocaïne, la testa, d’abord sur lui-même puis sur des patients atteints de divers troubles, avec peu de succès d’ailleurs. De nombreux produits psychoactifs
sont encore utilisés pour traiter le moindre trouble de l’humeur, en tête les benzos. Il n’est donc pas étonnant que les puissants effets du LSD aient fait naître l’espoir de pouvoir guérir psychoses et névroses à travers une sorte de super analyse expresse favorisée par la prise de LSD. Stoll conseillait aux psys qui souhaitaient l’utiliser en thérapie d’en faire l’essai sur eux-mêmes afin de vivre une sorte de psychose artificielle leur permettant de mieux comprendre leurs patients. C’est peut-être ici que le mythe du psy borderline prend sa source.

Des milliers de doses distribuées gratuitement

Approvisionnés gratuitement en acides par Sandoz qui cherchait une utilisation médicale à son nouveau produit pour lui assurer un débouché commercial, de nombreux psychiatres, en Europe et aux États-Unis, s’intéressèrent à leur tour à la «-LSD therapy-». C’est ainsi qu’entre 1950 et 1960 la firme Sandoz distribua en toute légalité des milliers de doses de LSD 25. Plus de mille articles parurent dans les revues scientifiques sur l’utilisation du LSD en thérapeutique
psychiatrique. Ces études portèrent sur plus de 40-000 cas. L’armée américaine, toujours en quête de nouveautés, y vit une arme incapacitante ou un potentiel sérum de vérité. Diverses expériences désastreuses furent menées. Un film existe encore, où l’on peut voir une unité de soldats anglais morts de rire et incapables d’exécuter les ordres de leur commandement. On apprit en 1976 que la CIA, intéressée par les drogues, mena dans les années 50 et 60 des expériences avec l’acide sur des soldats américains et des prisonniers de la Guerre froide. Ces prisonniers, shootés au LSD, au lieu de révéler tous leurs secrets, passèrent leur temps à halluciner et à se foutre de la gueule de leurs tortionnaires. La prise du produit étant souvent faite à l’insu de leur plein gré, on peut imaginer le cauchemar vécu par certains des «-cobayes-» après l’administration de doses de cheval. Ces tristes expériences provoquèrent des épisodes dépressifs majeurs. Il est, en effet, très dangereux de consommer de l’acide sans le savoir. Un des cas les plus connus est celui du docteur Olson qui se suicida en sautant par la fenêtre, après qu’on lui ait fait ingérer en douce du LSD au cours d’une de ces expériences. Pour sa famille, cet acte resta longtemps un mystère, Olson n’étant pas connu comme quelqu’un de dépressif, et encore moins suicidaire.
Dès 1960, au grand dam du professeur Hoffmann, la diffusion et l’expérimentation récréative du LSD se développent en parallèle des expérimentations médicalement contrôlées. D’abord aux USA où son usage se répandit comme une traînée de poudre dans les cercles artistiques et universitaires de la côte Est et de la Californie. Avant 1962, la vente, la détention et la consommation de LSD est tout à fait libre. C’est à cette époque que nombre d’étudiants et d’artistes en font la découverte dans des programmes
expérimentaux en tant que volontaires rémunérés. Parmi eux, de nombreux chanteurs, acteurs et écrivains comme Aldous Huxley qui raconte ses perceptions dans ses livres (Les Portes de la perception, Le Ciel et l’Enfer). La Beat generation et ses apôtres (Allen Ginsberg, William Burroughs, Jack Kerouac) ne sont pas en reste. Les futurs romanciers Ken Kesey (Vol au-dessus d’un nid de coucou) et Tom Wolf (L’Étoffe des héros, Acid test) seront à l’origine d’une nouvelle forme de journalisme, le «-gonzo-», où l’observateur devient partie prenante de l’événement qu’il raconte.
En 1962, les États-Unis instaurent une restriction sur la vente de LSD qui devra faire l’objet d’une demande d’autorisation spéciale auprès de la Food & Drug Administration. En 1965, la firme Sandoz, dépassée par l’usage récréatif de son produit, n’a pas réussi à en faire reconnaître l’utilisation médicale. Elle jette l’éponge, ou plutôt le buvard, et arrête la fabrication et la distribution du LSD en même temps que celle de la psilocybine.

L’«-enfant terrible-» du Pr Hoffmann

Dès 1962, quelques psychonautes sentent le vent tourner et tentent de populariser l’expérience lysergique. Un certain Stanley Owsley produit en Californie des millions de trips vendus entre 1 et 2 dollars pièce dans les concerts pops. Arrêté en 1967 par la police, on saisira chez lui 200 grammes
de LSD, soit l’équivalent de 2 millions de doses à 100 microgrammes. Michael Hollingshead, autre figure marquante du mouvement psychédélique, distribue, quant à lui, du LSD gratuitement aux stars d’Hollywood et de la musique pop. Il rencontre en 1962 Timothy Leary et Richard Alpert, tous deux jeunes docteurs en psychologie de l’université d’Harvard. Nos deux compères considèrent les hallucinogènes comme des outils d’exploration de la conscience. Ils fondent, la même année et très officiellement,
le centre de recherche sur la personnalité. Devenus fervents prosélytes du LSD, dépassés eux aussi par l’effet de mode et par une expérimentation qui n’avait plus grand-chose de scientifique, ils sont discrètement congédiés d’Harvard en 1963. Leary fut à la fois le pape et le martyr du mouvement psychédélique. Son influence sur les sixties sera considérable. Les Moody Blues chantèrent ses exploits dans un hymne planant. Il participa à un nombre incroyable de performances, happenings, concerts et festivals. Sa devise, qui deviendra le slogan de tous les Freaks-: «-Turn on, tune in, drop out-» (branche-toi, accorde-toi, laisse tout tomber). Elle résume à elle seule toute une époque que nous raconte Michael Hollingshead dans son livre The man who turned on the world (L’homme qui brancha le monde).
Le mouvement psychédélique connut son apogée en même temps que la consommation
d’acide, au cours du Summer of love en 1969. Pas un concert des Grateful Dead ou un festival folk où l’acide ne soit distribué quasi gratuitement. Tout le monde a en tête l’épisode de Woodstock où, au micro, on entend l’avertissement du speaker qui fait déjà de la réduction des risques en conseillant de ne pas prendre les «-mauvais acides-» bleus et de préférer les roses. «-Pas de panique, y en aura pour tout le monde-»-! Ceux qui auraient pris des bleus et se sentiraient mal peuvent se diriger vers la tente. Ce que redoutait Hoffmann arrivait-: après l’espoir et l’enthousiasme qu’il avait suscités, le LSD devint la drogue à la mode qu’il fallait absolument avoir testée si l’on voulait être «-in-». On se mit à en prendre comme ça, sans savoir, sans réfléchir, pour faire comme les autres, ignorant souvent tout des risques et des effets secondaires.
Des dosages de 250 a 400 microgrammes étaient monnaie courante à l’époque, des doses énormes pour un premier test. On commença à compter les gens restés scotchés, les dépressions, les suicides. Les accidents auxquels on assista achevèrent de diaboliser le LSD dans une Amérique profonde et puritaine, effarée par l’émergence de la contre-culture. Ces accidents sont pourtant dus à la méconnaissance des risques
associés au produit ou à sa mauvaise qualité de fabrication par des apprentis chimistes. Hoffmann ajoute-: «-Plus son utilisation comme stupéfiant se généralisait, c’est-à-dire plus le nombre des incidents provoqués par une utilisation inadéquate en dehors de toute surveillance médicale augmentait, et plus le LSD devenait pour moi et pour la firme Sandoz l’enfant terrible.-»

Mystery of Eleusis, la fête du LSD.

La consommation restera importante pendant les années 70, mais connaîtra un déclin dans les années 80. Il faudra attendre la décennie suivante, les cyberpunks, l’acid music et le mouvement rave pour assister à une véritable redécouverte des psychédéliques. C’est aussi en Inde, du côté de Goa, qu’anciens hippies et nouveaux adeptes de la trance se donnent rendez-vous dans des endroits paradisiaques pour des fêtes en plein air. La trance a remplacé le blues halluciné et déjà électronique d’Hendrix. Ils sont à nouveau rassemblés pour célébrer la nature et ses mystères, à la manière des tribus nomades.

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