Auteur/autrice : Jhi-dou

Un traumatisme durable.

Cette histoire commence en 2009. À l’époque, j’étais déjà relativement expérimenté avec certains psychédéliques (cactus, champis magiques, salvia, cannabis fumé/ingéré…), j’avais pas mal lu sur l’aya (Jeremy Narby, Jean-Marie Delacroix, etc.) et vu les films de Jan Kounen. Comme beaucoup, j’ai été nourri de l’idée que cette expérience pouvait permettre de guérir certaines choses, que c’était une plante enseignante et le chaman, un guide.

J’avais aussi entendu parler des « arnaques ». J’avais vu partir quelques amis vers un séminaire
d’une semaine dans le sud de la France, et l’un d’eux m’a même appelé au cours de son troisième trip, complètement flippé : après avoir quitté le cercle de cérémonie, il était parti dans les bois, à moitié à poil, avec son téléphone et moi à l’autre bout du fil comme seul lien avec la réalité… J’avais réussi à le rassurer, le calmer, et il était finalement rentré un peu secoué et très excité par ses visions, mais avec plus de questions qu’avant. Bref, je connaissais « les risques ». Enfin, je le croyais.

Arrive donc le jour où j’ai la possibilité (et le sentiment que c’est le « bon moment ») de participer à une cérémonie. On m’a conseillé un « spécialiste » (H.L., en fait un rabatteur) que je vois une première fois seul, puis une seconde en groupe, avec d’autres intéressés et d’anciens participants venus parler de leur expérience et promouvoir ce qui nous attend. Tout ça me met en confiance, les chamans en question (C. et M., un couple de Brésiliens) semblent avoir déjà fait déjà beaucoup de cérémonies. Ils pratiquent à Bruxelles et Amsterdam (en France jusqu’à l’interdiction en 2005), avec une autre spécialité : le « kambo », venin d’une grenouille d’Amérique du Sud censé être un très puissant stimulant du système immunitaire… La cérémonie à laquelle je dois participer est donc un « pack » ayahuasca + kambo.

La peur au ventre

La semaine où je dois me décider, une appréhension persiste, mais je suis alors fermement persuadé qu’il faut vaincre ses peurs… Me voici donc inscrit (je paye la moitié, soit 80 €). Après deux jours sans aucune drogue ni sexe (une des recommandations importantes de l’organisateur), un des participants (T.) vient me chercher. Pour lui, ce n’est pas la première fois, c’est un teufeur qui a expérimenté pas mal de trucs. Un titre de Younger Brother (Ribbon on a Branch) passe dans la voiture. En l’écoutant, j’avais la sensation d’aller vers l’inconnu… et vers une sorte de « petite mort », au point d’envoyer des SMS (pour demander pardon, faire la paix) à plusieurs de mes proches. En arrivant dans la salle (à Bruxelles), je sens l’odeur caractéristique du palo santo (bois brûlé comme encens pendant les cérémonies). Je ne sais pas pourquoi mais mon corps rejette cette odeur, et soudain, une sensation dans le ventre me crie de NE PAS rentrer, de faire demi-tour et d’aller jusqu’à la gare la plus proche !!!

Je fais part de mes hésitations à la personne avec qui je suis venu. Mal à l’aise, il me dit que non, ça va aller. C’est alors que Mi., un type d’une cinquantaine d’années vient vers moi d’un pas très sûr de lui. C’est un chef d’entreprise, père de famille qui assure donner de l’aya à son garçon de 15 ans ! Il me fixe comme s’il pouvait lire en moi, décrivant les émotions que je ressens, et me rassure : « Ne t’inquiète pas, ça va aller. Je suis passé par là aussi, mais tu ne dois pas te laisser guider par la peur ! Si tu fais demi-tour maintenant, la peur te guidera toute ta vie ! » Soudain, le doute. Je ne sais plus trop. Le chaman (C.) vient à son tour, se présente et me met en confiance, me dit que tout va bien se passer, etc.

Je commence à rentrer dans la salle puis, voyant que j’hésite encore un peu, le rabatteur dit : « Bon allez, on va pas y passer la nuit, si tu veux avoir peur toute ta vie, c’est ton problème. » Pris dans le mouvement, souhaitant vaincre ma peur, je paye le reste (80 €) et suis le groupe. Les hommes (une dizaine) d’un côté, les femmes (une dizaine également) de l’autre. Une photo du Christ est présente (ils font partie du Santo Daime), mais différentes divinités sont invoquées par le chaman au début de la cérémonie. Chaque participant se voit ensuite remettre un verre (que C. re-remplit à chaque fois) d’un breuvage ocre/orangé contenu dans une bouteille en plastique. Le goût est assez spécifique et pas très agréable, mais ayant déjà mangé des cactus à mescaline, ça ne me semble pas si mauvais. Mon voisin murmure parfois des « Tsss, tsss », comme dans les films de Jan Kounen…

Rien au début…

Au début, je ne sens rien, juste une légère torpeur, puis, quelques maux de ventre, quelques nausées. Les chants commencent, il y a aussi du tambour. La lumière est tamisée. Mon mode de pensée se met à changer doucement, se faisant plus clair. Une certaine « ivresse », indescriptible et légère, je vois la peau d’un serpent (avec des écailles fluo) fondre en surimpression sur toute la pièce… ! Ça continue comme ça pendant un bon moment, et j’ai une sorte de révélation : à l’instant où la pensée (tout juste naissante) se tapit dans mon esprit, une sorte de projecteur (la conscience ?) l’éclaire en grand et la met en évidence !!! Une vraie prise de conscience. Avec cet « outil », impossible par exemple de se laisser attraper par la peur ! Repérée dès qu’elle surgit, elle se volatilise d’elle-même ! J’ai l’impression de comprendre un peu ce que le Christ, Bouddha (et d’autres) ont tenté d’expliquer à l’humanité. Bref, j’use de ce « pouvoir » avec délectation, et cette découverte me rend euphorique. La cérémonie continue, jusqu’au moment où le chaman pousse un cri atroce !!!!!!! J’ai l’impression que quelque chose se déchire en moi, mais sur le coup, je n’y prête pas plus d’attention que ça. Le cri s’arrête, c’est le principal ! Ensuite, on nous distribue des instruments très simples (tambour, sifflets, maracas, etc.). Petit à petit, les sons se superposent harmonieusement, et nous faisons tous UN. C’est beau, certainement le meilleur moment dans la cérémonie, dont la première partie prend fin au bout de trois heures environ.

On prépare maintenant le kambo. Le couple de chamans brûle de fins bâtons pour obtenir une braise avec laquelle ils feront de légères brûlures sur l’épaule ou la jambe, pour rendre la peau perméable et y étaler le venin. Ainsi, le passage dans le sang est très rapide, et il paraît que dès que le cerveau reçoit l’information, le corps l’interprète comme… la FIN. Impossible de raisonner, le corps te dit « c’est fini, tu vas claquer ». Un des premiers à le faire est un gaillard bien rôdé à l’ayahuasca, dont je vois le visage devenir verdâtre et s’affaisser… Puis il glisse (on était assis) et semble perdre connaissance, tout en vomissant. Le « staff » s’occupe de lui pour ne pas qu’il avale son vomi et s’étouffe ! Franchement, j’ai aucune envie de prendre ça. Je le dis. On m’explique que l’aya est comme une bombe qui rase tout mais laisse un trou béant, et que le kambo agit lui comme un pansement. Tant pis, pas de pansement pour moi. Vers 4 heures du mat’, tout le monde va se coucher puis le lendemain, réveil assez tôt, petit déj’ en mode « discussions passionnées sur les révélations de la veille », et départ. Je redécolle vers midi avec le même « pilote » qu’à l’aller. Le trajet du retour est assez silencieux, la fatigue aidant.

La plus étrange période de ma vie

Le retour chez moi est assez étonnant : j’ai l’impression de redécouvrir ma rue ! Le soir, je me couche tôt, je me sens fatigué. Le lendemain après-midi, j’enchaîne le boulot et je me sens en
décalage, mais j’arrive pas à savoir exactement pourquoi. J’ai l’impression que quelque chose a
changé. La concentration me demande plus d’efforts que d’habitude. Ayant un poste à responsabilité, c’est un peu embêtant… Le surlendemain, je sens que quelque chose ne tourne pas rond. Nuit affreuse, sensations bizarres, je me réveille toutes les trente minutes, je transpire à grosses gouttes, je me sens anxieux. C’est le début de la plus étrange période de ma vie. Les jours suivants, je perds de plus en plus le sommeil, mes nuits sont très courtes, entrecoupées de réveils en sueur, avec des sensations bizarres au niveau du côté gauche de mon visage et de la tête. Je me sens comme dans La Quatrième Dimension. Ma perte de concentration s’aggrave et l’organisation me demande des efforts terribles ! J’ai aussi l’impression d’être beaucoup plus plongé dans l’instant présent. Plusieurs clients me demandent si ça va, j’ai pas l’air bien, mauvaise mine…

Je décide d’aller voir mon généraliste pour ces sensations étranges dans la joue. Il me fait faire quelques examens sans succès et, quand je lui parle de l’ayahuasca, finit par me proposer des anxiolytiques… J’en prendrai quelques jours : la confusion et les sensations étranges restent et en plus, je me sens abruti. Un soir, je fais une crise terrible au moment du repas : je vais m’enfermer dans ma chambre, j’ai une grosse sensation de mort imminente. C’est la PEUR à l’état pur. J’ai déjà vécu quelques crises d’angoisse mais là, ça n’a rien à voir… Je décide de recontacter l’organisateur de la cérémonie, qui me propose de revenir le mois prochain et « boire » à nouveau. Je n’en ai bien
sûr aucune envie (sans parler des 160 € à payer) et quand je le lui dis, il me lance « Alors t’as qu’à faire un peu de yoga ! » et raccroche. Quand je le contacterai plus tard sur Facebook pour lui faire part de ce qui m’arrive, il s’en lavera les mains en disant « on a déjà fait des milliers de cérémonies,
ça c’est toujours bien passé, donc c’est de ta faute ». J’apprendrai par la suite que plusieurs victimes ont déposé plainte contre ces gens-là, et que H.L. recrutait notamment via Facebook mais aussi sur des sites de rencontres !

Entre temps, je n’arrive plus du tout à gérer mon travail, je démissionne. Dans les transports en commun, c’est comme si je ressentais les émotions des gens x 1 000 !

C’est invivable… Je comprends peu à peu que nous avons tous une sorte de « carapace » qui, certes, nous empêche parfois d’être plus à l’écoute des autres mais nous permet aussi de fonctionner dans la société et de nous protéger. J’ai l’impression que l’aya à fait voler cette « couche » en éclats (donc toutes mes protections). Presque tous les jours, je vais jardiner dans un potager associatif. Le contact avec la terre me fait énormément de bien, m’ancre un peu. Je me sens tellement déconnecté de mon corps… !

Plusieurs années à m’en remettre

Presqu’un an plus tard, j’ai été voir une acupunctrice recommandée par une amie. Dès la première séance, j’ai ressenti un réel mieux-être (la première fois depuis que j’essayais tout un tas de méthodes pour me soigner) ! J’allais la voir toutes les trois semaines et au bout d’environ six mois, je me sentais nettement mieux, j’ai recommencé à travailler quelques heures par semaine grâce à une entreprise d’insertion (rien à voir avec mon ancien métier mais c’était déjà beaucoup pour moi). Tout n’était pas parfait (loin de là) mais je me sentais revivre et avec le recul, je peux dire que j’ai mis plusieurs années à me remettre de cette expérience qui a laissé des cicatrices.

Si certains pensent que je suis une exception, au fil des années, j’ai rencontré d’autres personnes gravement choquées par leur prise d’ayahuasca. La plupart n’ont pas la force de témoigner, ou ne veulent plus en parler, préférant continuer à vivre et tenter d’oublier. C’est aussi pour eux que j’ai écrit ce témoignage.

Une chamane préoccupée par les dérives actuelles m’a également assuré que s’occuper de plus de 3-4 personnes dans une cérémonie était irresponsable et dangereux. Contrairement à une idée largement répandue, les chamans sont loin d’être des « sages », comme l’ont malheureusement démontré certains faits divers tragiques (décès, abus sexuels lors de cérémonies). Un tourisme chamanique se développe par ailleurs et avec lui, les imposteurs attirés par l’appât du gain prolifèrent. N’oublions pas que l’individu sous psychédéliques se trouve dans un état de grande suggestibilité. Le chaman possède donc sur lui un pouvoir important et la liberté d’en user comme bon lui semble…

Pour finir, je souhaite remercier infiniment ma famille, mes amis, et particulièrement la femme qui partage ma vie, pour l’amour et la patience dont ils ont fait preuve à mon égard. Sans eux, je n’aurais probablement pas tenu le coup…

J HI-DOU

LSD, contre-culture et CIA : une love story

Si l’histoire de l’invention du LSD, substance psychédélique mythique, est relativement bien connue, le déroulement de son introduction comme drogue récréative dans la société reste plus flou. Et à l’heure où deux nouvelles substances de synthèse (NPS) apparaissent sur le marché européen chaque semaine, il est peut-être bon de se remémorer le parcours d’un des premiers NPS à se démocratiser.

Le meilleur « incapacitant chimique »

En avril 1953, Allen Dulles alors directeur de la CIA, autorisa l’opération MK-Ultra. Richard Helms prendra la tête de cette opération, qui visait à rattraper un retard supposé sur leurs adversaires communistes en matière de manipulation mentale. À la recherche d’un « sérum de vérité », les services secrets américains orienteront rapidement leurs recherches vers les molécules psychoactives. Des hallucinogènes, du cannabis, des amphétamines, des barbituriques et d’autres substances ont été administrés à des héroïnomanes emprisonnés à Lexington (dans le Kentucky), à des patients atteints de cancer en phase terminale à l’hôpital de Georgetown ou à des délinquants sexuels hospitalisés à l’hôpital Ionia (dans le Michigan). Des prostituées de New York et de San Francisco furent embauchées par George Hunter White et ses collègues de la CIA, qui observaient les réactions des clients drogués à leur insu derrière des glaces sans tain.

De nombreux médecins et psychiatres participèrent à ces expériences et violèrent ainsi le code de Nuremberg de déontologie médicale. Le docteur Cameron, par exemple (qui faisait partie de ceux ayant jugé les criminels nazis à la fin de la guerre), fit subir diverses méthodes de lavage de cerveau à 93 patients du Allan Memorial Institute de Montréal.

LSD et CIAMais la substance qui fascina le plus l’Agence fut sans aucun doute le LSD : inodore et incolore, actif à des doses infinitésimales et à longue durée d’action, il perturbait fortement le psychisme. Parallèlement à l’idée de l’utiliser dans les interrogatoires d’espions étrangers, la CIA se mit à l’expérimenter sur ses propres agents. Il fut aussi étudié par le service chimique de l’armée et testé directement sur des soldats à Edgewood Arsenal, dans le cadre d’un programme de recherche sur les « incapacitants chimiques ». Le PCP fut aussi utilisé à cette fin, mais c’est finalement le « BZ » (un anticholinergique) qui remporta la palme : ses effets hallucinogènes peuvent durer quarante-huit heures, il provoque désorientation, amnésie, vertiges et des effets secondaires jusqu’à plusieurs semaines après la prise.

Le Stanford Research Institute (SRI) de Palo Alto a également reçu des bourses du gouvernement pour mener des travaux en ce sens. C’est d’ailleurs là-bas que l’écrivain Ken Kesey et Robert Hunter (chanteur des Grateful Dead) expérimenteront pour la première fois l’acide, la mescaline et d’autres psychédéliques tels que l’AMT (pour plus de détails, lire Acid Test de Tom Wolf). Par la suite, Ken Kesey et les Merry Pranksters ont parcouru les États-Unis dans un bus multicolore en organisant les fameux « Acid Test », ces événements musicaux qui mélangeaient rock psychédélique, LSD et effets visuels…

Leary, Ginsberg… et les autres

L’autre grand promoteur de l’acide à cette époque fut Timothy Leary. En 1957, le magazine Life publia un article de Gordon Wasson, banquier chez J.P. Morgan et mycologue, qui fit connaître les « champignons magiques » à Leary (ainsi qu’au grand public). N’ayant jamais pris aucune drogue, le futur gourou de la contre-culture s’envola pour le Mexique afin d’expérimenter ces fameux champignons. À son retour, le psychologue entama des recherches sur la psilocybine à l’université de Harvard, avec l’autorisation du Dr Harry Murray (président du département des Affaires sociales qui s’était occupé de recruter pour l’OSS pendant la Seconde Guerre mondiale). Il découvrit ensuite le LSD grâce à l’écrivain Aldous Huxley, qui conseilla à un certain Michael Hollingshead (ayant acquis 1 gramme de LSD en provenance des laboratoires Sandoz) de se rapprocher de Leary. À partir de ce moment, Timothy n’aura de cesse de promouvoir l’usage du LSD et finira par se faire expulser de l’université avec un collègue.

LSD-et-CIA-love-story-PascalAvec l’aide de William Mellon Hitchcock, un richissime homme d’affaires, il créa la Castalia Foundation et pu continuer ses expériences à Millbrook, dans un vaste domaine de l’État de New York. Et curieusement, les méthodes utilisées n’étaient pas si éloignées de celles de la CIA : les sessions étaient soigneusement « programmées » et des drogues mystérieuses distribuées. Le JB-118 par exemple, une substance proche du BZ, sorti des labos militaires fut offerte par un scientifique de la NASA (Steve Groff).

Le mouvement prit de l’ampleur, l’ancien psychologue de Harvard utilisait les médias à son avantage et son livre L’expérience psychédélique (inspiré du Livre des morts tibétain) devenait une sorte de bible pour ceux que les journaux appelaient « hippies ».

Si certains écrivains de la contre-culture (comme Allen Ginsberg) suivirent Leary, ce n’est pas le cas de tous. William Burroughs mettait en garde dès 1964 contre une possible manipulation, notamment dans une de ses nouvelles intitulée Nova Express : « Tirez la chasse sur leur Septième Ciel. Ils empoisonnent et monopolisent les drogues hallucinogènes. Apprenez à y arriver sans gnole chimique. »

Et alors que la guerre du Vietnam battait son plein et que les mouvements de contestation se multipliaient, les radicaux de la Nouvelle Gauche voyaient d’un mauvais œil l’apolitisme lié au mouvement psychédélique. Effectivement, le discours de Leary était sans équivoque : « Ne votez pas. Ne signez pas de pétition. Vous ne pouvez rien faire pour l’Amérique sur le plan politique. »

Même John Lennon, qui avait promotionné l’acide au travers de ses chansons (Lucy in the Sky with Diamonds ou Day in the Life) finira par dire : « Je lisais cette connerie de Leary. Nous jouions au jeu de tout le monde et je me suis détruit… »

Haight-Ashbury pour laboratoire

Le lieu emblématique de l’époque, un quartier de San Francisco du nom de Haight-Ashbury, était un concentré de contre-culture. Mais selon Tim Scully, un des chimistes clandestins de l’acide pendant les sixties, ce qui se passait là-bas ressemblait à une expérience de laboratoire… En effet, après une pénurie d’herbe au milieu de l’été 67, les amphétamines envahirent le quartier. Vint ensuite le DOM (2,5-dimethoxy-4-methylamphetamine) surnommé « STP » (sérénité, tranquillité, paix). Cette molécule avait été inventée en 1964 par un chimiste de la Dow Chemical Company qui fournissait Edgewood Arsenal, et avait servi d’incapacitant pour l’armée. La CIA l’utilisait aussi dans le cadre d’expériences sur la modification du comportement. Début 1967, curieusement, la formule avait filtré dans la communauté scientifique. Un des précurseurs essentiels à la fabrication du LSD étant très difficile à trouver à ce moment-là, Owsley (le plus gros fournisseur de LSD de l’époque) décida d’introduire le STP en remplacement. Surdosées (20 mg), les pilules entraînèrent de nombreux bad trips (tout comme le PCP qui circulait aussi). Il était utilisé au même moment par la CIA pour le programme MK-Ultra… et, selon un ancien membre de l’Agence, cette dernière aida des chimistes à monter des labos clandestins de LSD en Californie. Tout cela au moment du Summer of Love et soi-disant pour « surveiller ce qui se passait dans le ghetto de l’acide ». Un autre agent a qualifié le quartier de Haight-Ashbury « d’élevage de cobayes humains ». Le Dr Louis Jolyon West (psychiatre ayant travaillé pour la CIA) prit d’ailleurs une location au cœur de ce quartier afin d’étudier au plus près les hippies.

Pendant ce temps, certains membres du Black Power étaient hostiles aux chanteurs de Soul Music qui faisaient l’apologie des psychédéliques : tout comme les radicaux de gauche, ils voyaient de nombreux « frères » plaquer la politique pour l’évasion. Il faut dire que l’usage de drogues devint aussi un prétexte bien utile au FBI pour arrêter certains militants.

Un des personnages les plus intrigants de cette période est probablement Ronald Stark (son vrai nom serait Ronald Shitsky), qui fut certainement le plus gros producteur de LSD entre 1969 et 1974. Mais ce trafiquant international avait une large palette d’activités à son actif : il fournissait l’organisation contre-culturelle des Brotherhood of Eternal Love aux USA, mais était aussi en lien avec des terroristes du Moyen-Orient, de l’IRA et de l’extrême droite italienne. La conclusion d’un magistrat italien qui enquêtait sur lui est qu’il appartenait aux services secrets américains ! Stark s’en vantait lui-même, et c’est grâce à une info de la CIA qu’il aurait pu fermer au bon moment son laboratoire français, en 1971. Tim Scully admit qu’il était possible qu’il ait été employé par l’Agence afin de répandre les hallucinogènes.

Comme le constatait William Burroughs, « le LSD rend les gens moins compétents, facile de voir pourquoi ils veulent qu’on se défonce ». De fait, de nombreux vétérans des années 60 (dont l’ancien White Panthers John Sinclair) pensèrent rétrospectivement qu’il était tout à fait envisageable que les services secrets aient inondé la jeunesse pour affaiblir leur révolte.

Quoi qu’il en soit, Timothy Leary estimera plus tard être parvenu à son objectif : mettre le plaisir et l’hédonisme au cœur de la société. Des années après, il déclarera que « le PC est le LSD des années 90 » et deviendra une figure importante de la cyberculture, mais c’est une autre histoire.

Lee-M-A-Lsd-Et-Cia-Quand-L-amerique-Etait-Sous-Acide-Livre-895561671_L[1]Les sources utilisées pour cet article proviennent essentiellement de l’excellent livre LSD et CIA: quand l’Amérique était sous acide de Martin A. Lee et Bruce Shlain. Les auteurs ont notamment utilisé plus de 20 000 documents gouvernementaux.

Lysergamides 2015 : un nouveau Summer of love ?

Image extraite de The Acid Eaters (1967) / Tony Nourmand Collection.

Le LSD-25 (représentant le plus connu de la famille des lysergamides) est probablement le psychédélique synthétique le plus populaire et consommé en Occident. Depuis sa découverte fortuite (en 1943) par le chimiste suisse Albert Hoffman, le diéthylamide de l’acide lysergique ne cesse de fasciner autant que d’effrayer… À tel point que son créateur l’avait surnommé « mon enfant terrible » !

Les justiciers du LSD

Se présentant comme un groupe de bénévoles ayant accès à des outils d’analyse professionnels, les LSD Avengers étaient soucieux de connaître la nature et la qualité des produits vendus pour du LSD sur Silk Road et de partager les résultats avec les autres usagers. Une des nombreuses démarches responsables favorisées par l’ex-plateforme de vente en ligne de drogues visant à réduire les risques sanitaires des utilisateurs.

Néanmoins, la disponibilité de l’acide reste relativement restreinte. Et même si le Deep Web (Lire Les pièges de l’achat de drogues en ligne) permet un accès plus grand à cette molécule, de nombreuses contrefaçons, parfois très dangereuses, comme le 25i-NBOMe (lire les nouvelles arnaques aux hallucinogènes), sont répertoriées régulièrement. Les LSD Avengers (lire ci-contre), notamment, ont permis de mettre au jour ces falsifications par des analyses régulières effectuées sur un panel de vendeurs du mythique Silk Road (fermé par le FBI en 2013).

Plus récemment, des acheteurs anonymes ont fait analyser des buvards acquis auprès de différents fournisseurs du Darknet par des associations de RdR (comme Energy Control en Espagne). Les résultats d’analyse révélaient des contaminants et/ou des dosages bien en-deçà de ce qui était annoncé.

AL-LAD et LSZ

Lysergamides 1 web

En parallèle, un laboratoire européen s’est spécialisé dans la création et la distribution d’analogues du LSD non-réglementés. Les deux premiers lysergamides à être commercialisés ont été l’AL-LAD et le LSZ. Ces composés existaient depuis plusieurs années dans le cadre de recherches scientifiques, mais ont été distribués en masse sous forme de buvards à partir de 2013 (jusqu’à leur interdiction au Royaume-Uni en janvier 2015). Si le LSZ a eu moins de succès (probablement en raison d’effets secondaires plus importants), l’AL-LAD est toujours disponible et légal dans certains pays.

De nombreux expérimentateurs trouvent qu’il est moins « profond » que l’acide, plus stimulant et euphorique. Cela reste néanmoins un psychédélique très puissant, actif dès 75 microgrammes, et qui a provoqué un nombre de bad trips non-négligeable ! Des réactions allergiques ont étés rapportées (plaques rouges sur le corps), des maux de ventre/nausées et quelques cas graves sans réelle explication : deux personnes présentant des analyses sanguines anormales ont été hospitalisées. Une autre hospitalisation (black out, convulsions, problèmes rénaux) a eu lieu à cause d’une interaction avec le lithium (déjà connu pour être dangereux en association avec le LSD).

Lysergamides 2 web1p-LSD, le petit frère du LSD

Peu de temps après l’interdiction anglaise, un nouvel analogue voyait le jour : le 1P-LSD. Ce dérivé est un homologue de l’ALD-52 qui, pour la petite histoire, aurait été vendu à la fin des Sixties par Tim Scully et Nicholas Sand (deux fameux fabricants de LSD) sous le nom d’Orange Sunshine (c’est du moins ce qu’ils affirmèrent lors de leur procès pour fabrication et vente de LSD). Selon certaines spéculations, le 1P-LSD serait une prodrogue du LSD : une fois ingéré, il se métaboliserait dans le corps en LSD-25. Au niveau des dosages, 100 microgrammes peuvent se révéler bien déstabilisants pour un néophyte. Pour de nombreux psychonautes, cette substance se révèle très proche (dans le ressenti) du « grand frère » lysergique. Selon certains, elle serait tout de même un peu moins visuelle et confuse, plus stimulante… Mais tout ceci est très subjectif (étant donné que le « Set and Setting » est particulièrement important avec les psychédéliques !).

L’arnaque parfaite ?

Si au premier abord, la nouvelle peut susciter l’enthousiasme, il faut garder en tête que ce nouveau produit de synthèse (NPS) a tout juste quelques mois d’existence, et qu’il est impossible de prévoir (sur la base d’une ressemblance) sa toxicité, la dose létale, etc. Il faut aussi prendre en compte la forte probabilité que cet été, une partie non-négligeable des buvards qui circuleront en teuf et dans les festivals pourra être du 1P-LSD. Pas de goût particulier, et actifs si on les avale directement (contrairement aux NBOMe), il ne semble pas y avoir de moyen fiable (à part l’analyse) pour les détecter. De plus, ce produit étant aussi disponible sous forme de cristaux, il y a fort à parier que certains dealers peu scrupuleux n’hésiteront pas à le vendre sous forme liquide (gouttes) en le faisant passer pour « l’original »

Dans ce contexte, le conseil de prendre un demi-trip (voire un quart) pour commencer est essentiel ! D’autant plus que le dosage des cartons circulants actuellement semble assez aléatoire… Et pour certaines personnes (question de métabolisme ?), le 1P-LSD est assez long à monter complètement. Attendre au moins trois heures avant d’en reprendre permet donc d’éviter les mauvaises surprises…

Pour finir, si certains prédisent déjà que l’été 2015 sera le nouveau « Summer of Love » de cette génération, une chose est sûre : l’été sera lysergique !

© 2020 A.S.U.D. Tous droits réservés.

Inscrivez-vous à notre newsletter