Auteur/autrice : Georges Lachaze

roll it on a river

Cannabinophiles,Happy 4/20! (ou presque)

Le 4/20, ou le 4 avril pour nos contrées qui mettent le jour et le mois dans le bon ordre, est la journée mondiale du cannabis. Un genre de Canna Pride. C’est la translation d’une « tradition » des cannabinophiles qui consomment à 4h20 (enfin 16h20 dans nos contrées qui pensent correctes). Un genre de Tea Time pour stoners. 

D’où vient cette tradition ? Va savoir. Plusieurs théories se confrontent et je prendrais bien le temps de vous les détailler, mais en fait on s’en fout. Mais alors totalement. Parce que ce 4/20 est bien sombre. Beaucoup s’en cognent comme de leur première couche. Ils regardent simplement leurs maigres réserves obtenues de haute lutte et à prix d’or en se disant fébrilement qu’il faut que ça tienne jusqu’au bout du confinement. Surtout ne pas gâcher. Préserver au moins le bédo du soir, une fois les enfants couchés, les courses grappillées, les obligations télétravaillées, les angoisses de l’actualité encaissées, les commandes livrées aux confinés ou la journée à l’hôpital terminée. Pour se détendre, appuyer sur pause, trouver du réconfort, réussir à dormir. Pour certains se soigner. Et tout simplement parce qu’on aime ça, pourquoi chercher des explications. 

Alcool, tabac (vapotage, mais il a fallu négocier) sont considérés comme produits de premières nécessité. Psychotropes de prescription et TSO (traitements de substitution aux opiacés) ont obtenu des facilités d’accès et de renouvèlement des ordonnances pour éviter une privation qui viendrait s’ajouter aux autres bouleversements nombreux de notre quotidien cloisonné. Pour toutes les personnes consommant ces produits, une réponse est proposée. Même si cette réponse est largement discutable dans son application et dénoncée dans nos prises de position depuis le début de la « guerre ». Mais force est de reconnaitre que les besoins de cette population sont pris en compte.Et heureusement ! Est-il besoin de rajouter au stress de la situation exceptionnelle que nous vivons les affres du manque et plus simplement l’angoisse liée à la perte d’une habitude ?

Pour les centaines de milliers d’usagers réguliers de cannabis et les quelques millions d’usagers occasionnelles : tintin.  Enfin si :

  • Fumez pas tout comme des gorets, sinon y en aura plus.
  • Prenez pas de risques en allant pécho parce que y a pas la case adhoc sur l’attestation.
  • Profitez-en pour « décrocher » ou faire une pause.
  • Evitez de vous reporter sur l’alcool et les cachetons.
  • Décompensez en silence, y en a qui confinent.
  • Soignez-vous avec de la vraie médecine de labo aux effets secondaires que vous aimez tant.
  • et….Faites pas chier. Je résume, la liste est non exhaustive. 

Soyons clairs, pour la majorité de ces personnes, point de « manque » ou de traumas profonds dûs à cette « pénurie » toute relative. Mais un inconfort. La sensation persistante d’être surtout déclassés dans notre société. Négligés. Des rebuts qui pour la plupart travaillent, contribuent à « l’effort de guerre » et à la vie sociale en général, voir même ne font pas de footing. Et qui en plus paient des impôts pour financer les agents qui les prennent pour cibles. Notre seul tort, préférer un produit qui n’est pas dans la liste validée. Une «mauvaise habitude », comme la qualifiait Obama (encore un oisif). Et comme il en existe tant d’autres. Pour mieux l’illustrer, le consommateur de cannabis est à l’addiction aux psychotropes ce que Netflix est à l’addiction aux écrans. Tout le monde sait l’état dans lequel nous plonge l’oubli de notre smartphone à la maison, sa perte ou son décès suite à une chute. Tout le monde, ces dernières semaines, a envisagé le chaos que représenterait le crash d’internet et du streaming. Vous serriez irritables, perdus, en quête d’un substitut (genre un livre ou autre divertissement analogique) ou tout autre chose passible de vous distraire ou juste de passer le temps. Cela fait-il de vous des addicts en manque chronique ? Bien sur que non. Et bien c’est EXACTEMENT la même chose pour les consommateurs de cannabis. Est-ce qu’il y en a pour qui c’est plus compliqué que ça ? Evidemment. Idem pour les écrans. Passer ses journées dans une salle de jeux en réseaux, c’est être dans l’abus. Fumer des pétards toute la journée aussi. Marier le café avec le calva au petit dej, pareil. Mais c’est loin d’être la majorité. Pour autant, la majorité des consommateurs de cannabis continue de subir les affres de cette prohibition en PLS comme notre système économique et social. Donc que reste-t-il à célébrer, si ce n’est 50 ans d’une prohibition édentée dont le confinement actuel vient de confirmer, même auprès des plus sceptiques, la totale ineptie ? Rien, si ce n’est la résistance à une discrimination d’un autre temps.

Perfide ironie du destin, que le cannabis, cette drogue d’oisifs patentés, vienne à manquer lorsque enfin l’inactivité est érigée au rang de grande cause nationale pour sauver la nation et son système de santé.

Georges Lachaze , le 04 avril 2020

Ungass 2016 – la fin du consensus international

Georges Lachaze, notre envoyé spécial à l’Ungass 2016, garde un souvenir contrasté de l’organisation onusienne. Doit-on y déceler un message politique ? Ambiance.

De façon générale, les ONG sont invitées à assister aux débats onusiens. Très récemment, le secrétaire général adjoint des Nations unies, le directeur exécutif de l’Unodc ainsi que le président de la CND* et du bureau d’organisation de l’Ungass ont reconnu la nécessité d’intégrer la société civile au processus de préparation ainsi qu’aux débats, à titre consultatif. Applaudissements, roulades, pétards et cotillons.

Lorsque l’on associe ONU et New York, on pense immédiatement « professionnalisme » et « organisation ». De ce côté-là, grosse déception. Des inscriptions via des Google Docs dignes d’une kermesse d’école, des confirmations par simples emails impersonnels, et de vulgaires impressions papier distribuées quotidiennement de la main à la main en pleine rue ! Ni formulaire d’inscription sécurisé sur le site officiel de l’ONU, ni confirmation nominative avec référence de dossier, ni réception des participants. Nada, walou, que dalle. Juste une organisation entre la teuf à l’ancienne avec infoline et le dealer du « street corner ». On a presque cru qu’on rentrerait sur donation. Pour simplifier les choses, ce petit manège se répétait tous les matins de très bonne heure (le temps de faire la queue dans la rue). Mais ce n’est pas tout. Non seulement l’obtention des sésames relevait du parcours du combattant mais au fil des heures, le niveau d’accès de tous les pass diminuait. Que de perte de temps et d’énergie à courir après des tickets de tombolas pour se voir au final refuser l’accès à la moitié des tables rondes.

SUBTILEMENT OSTRACISÉS

Officiellement, ce verrouillage graduel était dû à la COP21. L’Ungass se clôturait la veille de la signature de l’Accord de Paris, et la sécurité était au niveau rouge carmin à pois fluo. Aussi bien l’Ungass que la COP21 étant prévues depuis des mois, il est plus que probable que le protocole de sécurité de ces évènements l’était tout autant. Pourquoi donc ces girouettes protocolaires ? Pourquoi un tel décalage entre ces deux évènements ? Une chose est sûre, la COP21 posait plus de problèmes à l’organisation parce que les chefs d’États faisaient le déplacement, ce qui n’était pas le cas pour l’Ungass. Saluons l’engagement en faveur de l’écologie et du développement durable, mais nous souhaiterions voir la même implication sur la politique des drogues. Ça en dit déjà long. De plus, si l’argument sécuritaire est l’explication de ces dysfonctionnements, quel crédit lui prêter quand les mesures mises en place sont des inscriptions non-sécurisés et des pass en papier falsifiables au Copy-Top du coin ?

Cette organisation n’a pas surpris que des novices comme nous. Même les habitués de ce genre de raouts étaient effarés. Lors d’un débriefing organisé par la Mildeca, Michèle Ramis (ambassadrice chargée de la criminalité organisée et membre de la délégation française présente à l’ONU) a déclaré que sur place, « les ONG ont été maltraités ». Nathalie Latour, déléguée générale de la Fédération Addiction, a qualifié la situation « d’ubuesque ». Était-ce juste une mauvaise organisation ou une volonté délibérée et sournoise de compliquer la vie des ONG ? Malheureusement, c’est bien l’impression d’avoir été subtilement ostracisés qui domine chez nous. Des incidents similaires ont émaillé le High-Level Segment sur le sida il y a quelques semaines, avec l’exclusion pure et simple de certaines ONG LGBT. C’est regrettable, car cela risque de tendre les relations entre officiels et société civile, qui commençaient à peine à se normaliser.

Une dichotomie sur le rôle des usagers

C’est effectivement un secret de polichinelle : les travailleurs sociaux qui travaillent avec les usagers de drogues sont eux-mêmes un peu usagers, voire un peu beaucoup.

Cet article fait partie du dossier Les usagers-salariés du médicosocial.

Sondage EGUS 9

D’après un petit sondage anonyme réalisé par Internet auprès des participants à ces Égus à l’aide de simples questions (« Êtes-vous usager de drogues ? », « Professionnel de la RdR diplômé et usager de drogue ? » …), les plus représentés sont des professionnels de la RdR diplômés, qui constituent 55 % de la salle, dont la moitié sont usagers de drogues. Ce n’est donc pas négligeable. La réduction des risques s’est historiquement construite avec des associations d’autosupport ou communautaires où les usagers avaient toute leur place parce que leur expérience était prégnante.

Des structures hors-cadre législatif jusqu’au décret donnant voix à la RdR dans la politique de santé publique qui précise que « les acteurs professionnels de santé ou du travail social ou membres d’associations comme les personnes auxquelles s’adressent ces activités doivent être protégés des incriminations d’usage ou d’incitation à l’usage au cours de ces interventions. L’organisation de l’entraide et du soutien par les pairs fait partie des modalités d’intervention de ces actions. » La santé communautaire et les usagers pairs s’inscrivent donc dans ces processus. Pourtant, en 2007, la loi relative à la prévention de la délinquance stipule, dans son article 54, que les peines seront aggravées d’emprisonnement et/ou d’amendes en cas d’usage au volant et pour les personnes travaillant dans les services publics.

Un certain nombre de questions

Une dichotomie sur le rôle de ces usagers et ce qu’ils peuvent supporter ou pas, qui pose un certain nombre de questions : Pourquoi les usagers de drogues sont-ils bâillonnés ou dans le déni ? En raison de cette loi de prévention de la délinquance ? De leur crédibilité professionnelle ? Pour ne pas être réduits au seul statut d’usager ? Pour se protéger face aux sollicitations ? Parce que leur usage n’est, pour eux, pas représentatif des personnes croisées dans la structure, et qu’ils ne se considèrent donc pas comme usagers pairs ? Il y a également une certaine porosité (on peut arriver sans être usager et le devenir un peu ou l’inverse, ce n’est jamais figé dans le temps), mais aussi un problème de réglementation et la problématique des diplômes (l’obligation d’être diplômé, ce qui est compliqué pour certains). Au final, comment articuler la santé communautaire et l’autosupport dans les structures médicosociales, et comment cette place peut-elle ou doit-elle être prise en termes de management, de diplôme, d’identité, de militantisme… ?

Cet article fait partie du dossier Les usagers-salariés du médicosocial.

Ni délinquants, ni malades : citoyens

Agréée depuis 2007 par le ministère de la Santé pour représenter les patients accueillis dans les structures de soins et, le cas échéant, porter leurs intérêts en tant que personne morale, Asud a créé l’Observatoire du droit des usagers (ODU) dont l’objectif est d’offrir un espace d’expression pour permettre aux usagers de substances psychoactives de faire valoir leurs droits, d’assurer un plus grand contrôle sur leur santé, et de renforcer leurs compétences psychosociales.

Des usagers parlent aux usagers

Parmi ces témoignages, viennent d’abord les turpitudes liées à la maréchaussée qui, en dépit des recommandations de la circulaire du 17 juin 99, continue de faire la chasse aux tox aux abords des lieux de distribution de matériel stérile :

« À Paris, l’action de Médecins du monde est régulièrement troublée par certains services de police […] : interpellation des “tox” à la sortie du bus de prévention et destruction des kits. » (lire Les Brèves d’ASUD Journal N°4)

Un autre classique est l’abus et le mésusage des tests urinaires dans les centres de soins, entraînant punitions, chantages et infantilisation. Une personne sous Moscontin® et méthadone décrit son exclusion d’un programme après avoir refusé de se soumettre aux tests urinaires :

« Mme W., directrice, décide sans même me prévenir d’arrêter le don de méthadone et voilà, rien du jour au lendemain. Je pense qu’elle est vraiment irresponsable. Je pensais bêtement que la médecine ne jouerait pas à ce jeu-là. Cette histoire est très grave. Et je vous pose une question : a-t-on enfin des droits ? Jamais un dealer ne m’a fait ce genre de plaisanterie. » (lire Courrier des lecteurs d’ASUD Journal N°10)

Rappelons que ces tests n’ont pas un caractère obligatoire (vous avez le droit de les refuser, sauf pour une primo-prescription ou un passage à la forme gélule) et peuvent encore moins être un outil coercitif.

Ne voulant pas troubler le calme de leur salle d’attente, certains médecins ne s’embarrassent même pas de faux prétextes pour refuser une ordonnance :

« […] L’immense majorité des médecins nous a exclus du fameux serment d’Hippocrate. Cette situation est intolérable, et seuls les toxicos pourraient défendre leurs droits. Personne ne le fera pour eux. » (lire Courrier des lecteurs d’ASUD Journal N°12)

Reste le numéro 1 de ce Top des manquements aux droits des usagers : le refus de délivrance de traitements en pharmacie, qu’on camoufle derrière un panel non-exhaustif d’excuses bidons. Exemple pour 60mg de Moscontin® :

« Première excuse : ne prend pas la carte Paris Santé », puis dans Paris, « nous n’avons pas, il faut commander » […]. Nous avons encore fait deux tentatives, ils ont tous joué sur le coup de la livraison, lorsqu’ils n’ont pas déblatéré un monceau d’âneries. Découragés, nous sommes allés pécho. » (lire Courrier des lecteurs d’ASUD Journal N°9)

Si la mauvaise foi était une maladie, la plupart de ces pharmaciens auraient une cirrhose…

Vingt ans et toujours d’actualité

Si ce tour d’horizon doit faire résonance chez beaucoup d’entre vous, ce qui est embêtant, c’est que ces témoignages n’ont pas été recueillis par l’ODU, mais via des courriers reçus par Asud et publiés dans les premiers numéros du journal. Certains ont plus de vingt ans mais sont toujours d’actualité ! ! La preuve avec des témoignages récents recueillis par l’ODU :

« Suite à une agression physique, je me suis pris des coups au visage et je me suis fait voler mon traitement TSO. Je me suis rendu au commissariat rue aux […] à côté du Csapa […]. L’agent a refusé mon dépôt de plainte. » (M. F., Paris).

« Contrôle policier quasi systématique à la sortie ou l’entrée d’un Caarud, avec parfois provocation des usagers et bris de matériel de consommation pour provoquer un outrage éventuel qui [les conduira] au commissariat. » (M. B., Lille).

« Les urgences n’ont pas voulu faire une prise de sang pour voir si infection, juste me dire qu’il faut arrêter de s’injecter et me regarder avec indifférence ». (Mme H., La Roche-sur-Yon).

« Ces deux jeunes pharmaciens refusent de délivrer certaines prescriptions pourtant parfaitement rédigées, protocole et rédaction de l’ordonnance conforme à 100 % avec les règles en vigueur ! » (M. T., Goussainville).

Malheureusement, rien ne changera tant que ces manquements ne seront pas documentés, ni dénoncés. La RdR est aujourd’hui une politique de santé publique, les Caarud et Csapa ont un cadre légal et sont désormais des établissements médicosociaux, mais il reste beaucoup à faire concernant le droit des usagers et la citoyenneté. Cet aspect est cependant prévu par les politiques publiques et s’applique à tous les établissements médicosociaux, c’est la démocratie sanitaire.

Devenir des consomm’acteurs

Si ces établissements ont désormais obligation de mettre en place des outils favorisant la parole, la représentation et le droit des usagers dans les structures (Conseils de la vie sociale, groupes d’expression, Commissions des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge, etc.), encore faut-il que ces changements se concrétisent. Et outre de la bonne volonté, cela nécessite non seulement un accompagnement pour aider les structures à développer ce volet mais surtout, une implication des usagers. Ces outils ne peuvent exister que par vous et par votre volonté de changer les choses. Les droits s’accompagnent de devoirs, notamment celui de connaître et de faire respecter ces droits pour faire évoluer les conditions de vie, l’image des usagers de drogues et devenir des consomm’acteurs.

L’ODU est là pour ça. Mais ce dispositif n’est rien sans vous. S’il y a vingt ans, les témoignages reçus (spontanément) par Asud servaient à favoriser l’expression des usagers et à illustrer dans le journal les problématiques vécues quotidiennement, aujourd’hui, grâce à l’ODU, ils deviennent des « mains courantes » auprès des institutions publiques comme l’Agence régionale de santé (ARS) ou la Direction générale de la santé (DGS). Ils permettent de dénoncer les manquements aux droits des usagers en apportant des éléments comptables et concrets.

Dans un paysage médicosocial où l’anonymat prévaut du fait de la prohibition, déposer votre doléance en votre nom propre est un acte de citoyenneté.

« Cessons de laisser parler les autres à notre place et pour notre “bien”. »
Didier De Vleeschouwer, Sociologue (ex-usager)
(lire Lettre d’un ami, Asud-Journal n°1).

Cette réappropriation d’une citoyenneté confisquée par le statut de délinquant ou de malade est l’objet d’Asud depuis ses débuts :

« Quant à ce journal, chacune de ses pages, chacune de ses lignes est là pour témoigner, pour se faire l’écho de nos premiers pas d’usagers-citoyens responsables “à part entière”. […] Et pour affirmer notre volonté de nous faire les artisans de notre propre destin. À notre façon, pour peu seulement qu’on nous laisse disposer des outils dont nous avons besoin pour atteindre nos objectifs […] : le respect des droits de l’Homme… qu’il soit ou non usager des drogues. » Phuong-Thao, Éditorial N°1,

Ce texte figurait dans le tout premier numéro d’Asud-Journal, en 1992. L’ODU est aujourd’hui l’outil qui vous permettra de devenir les artisans de vos propres destins.

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