Auteur/autrice : Ethan Nadelman

Légalisation : « not if but when »

Le 2 novembre 2010, l‘État de Californie procédait au premier référendum de histoire consacré à la légalisation du cannabis. Intitulée « Proposition 19 », cette initiative avait pour but d’autoriser la possession d’une faible quantité de marijuana à des fins de consommation personnelle et d’en permettre la culture dans certaines conditions, par exemple en cas d’usage thérapeutique ou sur une surface inférieure à 2 m2. La vente au bénéfice de l’État était également envisagée. 54% des Californiens ont rejeté la proposition et 44% l’ont approuvée. L’analyse d’Ethan Nadelman, directeur du Drug Policy Alliance, le plus célèbre des activistes pro-cannabis(1)

Si l’initiative californienne pour la légalisation de la marijuana, la Proposition 19, n’a pas remporté la majorité des voix, elle représente malgré tout une victoire extraordinaire pour le mouvement global pour la légalisation de la marijuana. Cet échec indéniable sur le plan électoral est analysé par les militants américains comme une avancée significative en matière de crédibilité du concept de légalisation. Depuis la Proposition 19, la légalisation est une option sérieuse, vraisemblable et discutée rationnellement.

L’impact médiatique, non seulement en Californie mais à travers le pays tout entier et au niveau international, a été exceptionnel. La Proposition 19 est devenue l’initiative législative la plus célèbre de l’année en Californie et sur l’ensemble du territoire américain. Désormais, la question n’est plus de savoir s’il faut légaliser la marijuana mais de savoir comment le faire. Différents sondages réalisés en Californie ont montré que la majorité des citoyens de l’État étaient favorables à la légalisation. L’un des porte-parole du «Non à la proposition 19 » a même reconnu qu’il y avait, dans leurs rangs, un débat entre ceux qui restent hostiles à toute idée de légalisation et ceux qui y seraient plutôt favorables mais qui se méfient de certaines dispositions, voire des menaces du gouvernement fédéral. La Proposition 19 a permis de légitimer le discours public sur la marijuana. Un nombre toujours croissant d’élus ont soutenu l’initiative ou affirmé avoir voté pour elle et d’autres, plus nombreux encore, affirment, en privé, vouloir prendre une position publique sur le sujet. Des soutiens émanent également de syndicats ou d’organisations de défense des droits civils, comme la section californienne de l’Association nationale des officiers latinos.

L’attention s’est accrue au niveau international, notamment en Amérique du Sud où Calderon, le président mexicain, et Santos, son homologue colombien, n’ont pas manqué de critiquer la proposition, présentée comme un exemple de l’incohérence de la politique sur les drogues américaine. Le risque qu’elle puisse l’emporter les a cependant poussés à appeler à élargir le débat sur la légalisation et les alternatives à la politique actuelle. Alors qu’ils s’étaient publiquement exprimés contre la Proposition 19, la plupart des diplomates mexicains indiquaient de même, en privé, espérer qu’elle l’emporte.

Si personne n’a jamais cru que la victoire de la Proposition 19 se traduirait par la faillite instantanée des organisations criminelles mexicaines, tout le monde s’accorde à penser que cette mesure constituerait une étape importante vers la légalisation des deux côtés de la frontière. Et qu’elle entraînerait à terme la disparition des organisations criminelles, comme ce fut le cas pour les contrebandiers avec la fin de la prohibition de l’alcool. « Si la Californie pouvait donner l’exemple, espérait ainsi l’ancien président mexicain Vincente Fox à la radio la semaine dernière. Que Dieu fasse que la mesure l’emporte, et tous les autres États américains lui emboiteront le pas. »

Il est aujourd’hui de plus en plus évident que la légalisation de la marijuana intéresse particulièrement les jeunes et que soumettre cette question à un vote augmente les chances qu’ils aillent effectivement voter. Les deux principaux partis n’ont désormais pas d’autre choix que de s’y intéresser pour tenter de rallier le soutien des jeunes électeurs. Les Démocrates y voient, à juste titre, un bon moyen de rafler des voix aux Républicains. Interrogé sur la manière de remotiver les jeunes qui avaient été les premiers à soutenir Barack Obama, John Burton, le président du parti démocrate de Californie, a ainsi répondu par un seul mot : « l’herbe ». Il est cependant intéressant de noter que Meg Whitman, la candidate républicaine au poste de gouverneur de Californie, n’a pas activement fait campagne contre la Proposition 19, vraisemblablement pour ne pas s’aliéner le vote de jeunes électeurs qui ne soutiennent pas les Démocrates mais qui se sentent vraiment concernés par la légalisation de la marijuana.

Dans le paysage politique, les plus jeunes électeurs penchent de plus en plus vers le libertarisme(2), notamment à cause de questions comme celle de la marijuana. Démocrates et Républicains devront absolument prendre en compte cette question, surtout si Gary Johnson, l’ancien gouverneur du Nouveau-Mexique devenu champion de la légalisation et de la réduction des risques, se lance l’année prochaine dans la course à l’investiture républicaine pour les élections présidentielles. Ce qu’il fera sûrement. Les jeunes, notamment ceux qui votent pour la première fois, pourraient alors être nombreux à lui apporter leurs suffrages, plus encore si Ron Paul se décide à lui passer le relais.

Pour nous qui sommes depuis longtemps engagés dans une stratégie de réforme de la loi sur la marijuana, le plan reste le même que celui envisagé en cas de victoire de la Proposition 19 : soumettre cette question au vote dans les États où les sondages font apparaître une majorité d’opinions favorables, et introduire des projets de loi similaires dans les législations des États. La légalisation remportant désormais le soutien de près de 50 % des gens, non seulement en Californie mais dans un nombre grandissant d’États de l’ouest américain (Washington, Oregon, Alaska, Colorado et Nevada), il semble tout à fait probable que ce genre d’initiative y voit le jour dans les années à venir. S’il est encore trop tôt pour dire que la question sera à nouveau à l’ordre du jour du scrutin 2012 en Californie, on sait au moins qu’un projet de régulation et de taxe sur la marijuana sera évoqué pendant la législature, comme ce fut déjà le cas cette année. La Proposition 19 et la popularité croissante de la légalisation de la marijuana au niveau national les obligeant à relancer sérieusement le débat durant leur propre législature, une flopée de projets de réformes législatives du même type devrait suivre dans d’autres États.

La Proposition 19 peut d’ores et déjà s’enorgueillir d’une victoire dure à remporter : le gouverneur Arnold Schwarzenegger a récemment signé un projet de loi transformant la possession de marijuana, jusqu’alors considérée comme un acte de délinquance, en infraction sans arrestation, passible d’une simple amende comme pour le stationnement. Face aux 61 000 arrestations enregistrées l’an dernier pour possession de marijuana (environ trois fois plus qu’en 1990), ça n’est pas rien. Même s’il est généralement acquis que c’était avant tout pour saper un des arguments clés de la Proposition 19 que le gouverneur a accepté de signer la proposition faite par Mark Leno, un sénateur libéral.

Toutes les données démographiques, économiques et éthiques plaident en faveur de la fin de la prohibition de la marijuana. Plus de la moitié des électeurs californiens de moins de 50 ans ont dit qu’ils voteraient pour la Proposition 19, et ils l’ont probablement fait. Les plus jeunes y sont les plus favorables, les plus vieux les plus opposés. Quant aux arguments économiques en faveur de la légalisation (réduction des dépenses liées à l’application de la loi et revenus générés par la taxation de la marijuana légale), ils ne pourront que devenir de plus en plus convaincants. La marijuana ne va pas se légaliser toute seule mais, grâce à la pression politique de ceux qui pensent qu’il est grand temps de sortir la marijuana du placard et du système judiciaire, l’élan s’amplifie comme jamais parmi les Américains.

(1) Cet article a été publié le 3 novembre sur le site web The Huffington Post (traduction Jacqui Schneider-Harris)
(2) Contraction américaine de libéral-libertaire, le libertarisme se classe plutôt à droite, chez les républicains.

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