Auteur/autrice : Eric Schneider

De la cocaïne et du soin

Nous y sommes : aux États-Unis comme en France, en passant par d’autres pays, les experts sont à la recherche du médicament miracle qui « guérira de la cocaïne ». Dans cette course à la pilule magique, le travail qui s’est fait avant est, bien évidemment, laissé de côté, et les expériences passées sont oubliées. Pourtant, les exemples de soin ou de réduction des risques liés à la cocaïne sont allés bien au-delà de l’administration de traitements médicamenteux ou de dons massifs de seringues.

Alors que le sevrage de cocaïne, comme sa prise en charge en générale, ne se faisaient que dans le cadre défini d’une « dépendance uniquement psychologique », plusieurs options de réponses sont mises en place en Angleterre dès le début des années 1990. Comme pour les usagers d’héroïne, c’est l’épidémie VIH qui va radicalement changer le cours des choses. Car c’est bien la nécessité d’enrayer la pandémie qui a amené la mise en place d’approches différentes dans la prise en charge des usagers de drogue par voie intraveineuse (UDVI). RdR et substitution s’inscrivent donc à l’ordre du jour pour les usagers d’opiacés. Puis, la RdR s’élargit à la réalité de l’usage de cocaïne (injections multiples et prises de risques qu’elles entraînent). Le besoin de prévention de la délinquance prend également une ampleur différente avec la « démocratisation » d’un produit jusqu‘alors considéré comme une « drogue de luxe ». Situation qui s’aggrave avec l’arrivée du crack.

Psychose et syndrome de sevrage

C’est dans cette même période (début des années 1990) que vont être reconnus et définis 2 aspects essentiels de l’usage de cocaïne, et plus largement de stimulants :
Tout d’abord, la « psychose liée à l’usage de stimulants » est identifiée comme telle par les experts psychiatriques, qui reconnaissent qu’elle se résout généralement avec l’arrêt des stimulants. Les cas de non résolution restent liés à la présence d’autres pathologies psychiatriques, sous-jacentes ou effectives.
Ensuite, le syndrome de sevrage est aussi reconnu, à travers 2 manifestations majeures :

  • Fébrilité intense, apathie, généralement en alternance pendant les 8 à 10 premiers jours ;
  • Entrée en dépression clinique dans une période variant de 4 à 8 semaines.

Deux aspects qui ne seront pris en compte qu’en second lieu, après les mesures de réduction des risques et de prévention de la délinquance.
Dans l’ordre chronologique, les premières interventions se résument à des dons accrus de seringues et de matériel d’injection afin de limiter au maximum le partage et la réutilisation de matériel. Un dernier phénomène beaucoup plus alarmant et notable chez les usagers de cocaïne, auquel s’ajoute le risque de confusion d’appartenance des seringues.
Puis en 1991, le Warrington Project met en place un programme de délivrance de cocaïne sous forme de reefers, des cigarettes injectées d’une solution fumable à base de cocaïne (il ne s’agit pas là du programme du Dr Marx qui délivrait, lui, de l’héroïne). Deux éléments principaux en ressortent :

  • L’utilisation des reefers permet une stabilisation de l’usage dans la plupart des cas, et réduit considérablement la délinquance et les prises de risques liées à cet usage ;
  • La prescription de stimulants reste très difficile à gérer du fait du risque d’installation de la psychose suscitée.

Un deuxième aspect déterminant lors de tentatives de substitution de la cocaïne aux amphétamines : les prescriptions sont, en effet, aussi « compliquées » à gérer, car il faut ajouter aux amphétamines des anxiolytiques et/ou hypnotiques pour la gestion du soir et de la nuit.
Autre réalité vite flagrante : les amphétamines ne correspondent pas aux usagers de cocaïne. Bien que de la même famille (stimulants), ces deux produits ont des actions radicalement différentes, et même si l’origine de la consommation est la recherche de « pêche » (et du flash pour les injecteurs), cette « pêche » va être différente pour chacun d’entre eux. Avec les amphétamines, il s’agit d’une augmentation de la performance physique ; avec la cocaïne, d’une surproduction intellectuelle et émotionnelle (le mot spirituel pourrait parfois être adapté). Ces éléments entraîneront vite l’abandon de l’utilisation d’amphétamines et d’autres médicaments à propriétés stimulantes dans un but de substitution à la cocaïne.

Deux options

Le constat est simple, la seule substitution à la cocaïne est la cocaïne. Deux options vont alors se dégager.
L’option médicamenteuse : 8 à 10 jours d’anxiolytiques (de préférence ayant un effet euphorisant), puis 3 à 4 mois de traitement préventif aux antidépresseurs. Sachant que pour cette option, il est indispensable que la personne reste absolument abstinente. En effet, pour certaines familles d’antidépresseurs l’usage concomitant de cocaïne neutralise le médicament, rendant le traitement inopérant. Pour d’autres, particulièrement à effet stimulant, l’usage concomitant de cocaïne pourrait entraîner l’overdose.
La seconde option repose sur des réponses, qui provoquent trop souvent chez les professionnels français un sourire sardonique synonyme de « ça ne marche pas » : acupuncture, aromathérapie, écoute intense (le counselling, de par son approche, s’est avéré être un excellent outil), et phytothérapie. Cette approche, qui repose sur des médecines naturelles (également appelées médecines douces, parallèles, etc.) a largement fait ses preuves.

  • L’acupuncture : basée sur le flux des énergies, elle aide au rétablissement d’un équilibre émotionnel, mais aussi dans le fonctionnement physique. La diminution de l’état de fébrilité est réelle, comme une considérable amélioration de la capacité à se poser et à potentialiser les entretiens individuels.
  • L’aromathérapie : l’utilisation des huiles essentielles, particulièrement dans le cadre de massages, accompagne les personnes dans une réconciliation avec leur corps, et les aide donc à se détacher de comportement type automutilation. Mais qui dit réconciliation et relation saine au corps, dit aussi amélioration de l’hygiène, meilleur rapport à la nutrition, redécouverte de l’esthétique et de la possibilité d’aimer son corps. Être en capacité d’aimer son corps signifie également le respecter et, plus important, le faire respecter. Cela rend aussi possible une relation avec le « toucher thérapeutique », en opposition au toucher abusif (qu’ont souvent connu les usagers).
    L’aromathérapie, et peut apaiser certaines anxiétés, douleurs, et autres symptômes du mal-être.
  • Enfin l’écoute intense (jusqu’à trois à quatre fois par semaine) est fondamentale avec les usagers de cocaïne. Sujets au « craving » (appétence en français), qui est un besoin immédiat et quasi irrésistible d’aller vers le produit, les consommateurs doivent pouvoir trouver un dérivatif lorsqu’il se déclenche. Parler, avoir quelqu’un de présent qui écoute, permet d’évacuer cette sensation (pour un temps au moins) et, dans la foulée, de formuler un grand nombre d’autres choses.

Bien sûr, certaines personnes nécessiteront, quoiqu’il en soit, un traitement médicamenteux. Bien sûr, tout le monde ne répond pas à ces médecines, comme tout le monde ne répond pas aux traitements médicamenteux. Bien sûr, il faut rester vigilant sur l’amorce de dépression clinique, mais tout counsellor ou psychologue qui se respecte saura en reconnaître les signes et orienter en conséquence. Par ailleurs, la rechute de cocaïne n’aurait pour conséquence directe que de retarder le processus de traitement, et ne présenterait pas de risques de contre-indications dont certaines pourraient être fatales.
Mais dans cette course à la pilule miracle, n’oublions pas que nous avons affaire à des êtres humains qui ont déjà subi bien des expérimentations destinées à satisfaire les ego des scientifiques et à faire marcher l’industrie du médoc. Le prix Nobel du soin aux toxicos n’existe pas encore, alors essayons de rester humble et d’œuvrer, dans le respect et la dignité des personnes, à leur bien être.

ASUD, association de patients très militants… ou de militants très patients ?

Depuis 2002, Asud redéfinit son cadre de travail, une reflexion qui aboutit à redéfinir notre identité : sommes nous devenus des fonctionnaires de la défonce, les droguésofficiels de la République, les gentils patients alibis de la politique de réduction des risques ? Quid de l’espace militant ? Ou en est la lutte pour l’abrogation de la loi de 70 ?

Association d’êtres humains

1992, en pleine pandémie VIH se crée une nouvelle association, l’association d’Auto Support des Usagers de Drogues : ASUD. Des usagers de drogues qui se mobilisent, du jamais vu.Puis sort ASUD journal, pour et par les usagers. Mais que veulent ils donc ces usagers qui, normalement, cherchent plutôt à passer inaperçus. Une première revendication : l’abrogation de la loi 70 (législation des stupéfiants) et la dépénalisation de l’usage (dit) simple, là-dessus je reviendrai.
Et à part çà ? À part çà, ils ne veulent plus crever, dans l’ignorance et dans l’ombre, du SIDA. Ils ne sont plus d’accord pour mourir dans la honte et l’indifférence pour le crime d’usage simple. Ils refusent cette condamnation à mort implicite dans un pays où la peine de mort avait été, semble-t-il, abolie. Ils veulent un accès aux soins décent, digne de tout être humain. Ils demandent la possibilité de ne pas être condamnés à la contamination à VIH parce qu’ils sont usagers. Ils demandent des programmes de Réduction des Risques, le don de matériel
d’injection (en fait à l’époque on parle simplement de seringues). Pouvoir être soignés dans les hôpitaux sans avoir à subir un sevrage brutal, sans être immédiatement accusés d’être responsables de tout ce qui se passe mal dans les services. Marre d’être des bouc émissaires, marre d’être sous hommes (et femmes), ils demandent à être reconnus pour ce qu’ils sont : des êtres humains.

La rdr se met en place

1994 la RdR se met en place en France. Mais pour pouvoir appliquer cette mesure il faut être en contact avec les usagers, et, reconnaissons le, à l’époque le pourcentage d’usagers en lien avec les services n’était pas, disons, mirobolant. Alors les services font appel aux « anciens usagers ». Je ne développerai pas aujourd’hui le débat sur cette appellation, ce serait trop long. Mais je n’exclus pas d’y revenir dans un autre article, car ce processus et sa gestion, devrais-je dire non gestion, ont été très coûteux pour beaucoup de ces personnes concernées. Les ASUD se développent et participent activement à l’application de la RdR. Petit rappel historique pour lever toute ambiguïté, la mise en place de la RdR et le soutien à l’Auto Support n’ont jamais été à l’origine de gouvernements de gauche, mais bien de droite, malgré ce que certains aimeraient affirmer (particulièrement chez nos détracteurs).

1995, arrive la substitution

1995 voit arriver la substitution (méthadone). Outil de lutte contre le VIH (cf. : textes originaux), la méthadone est supposée être délivrée en priorité aux personnes les plus exclues, marginalisées et vulnérables, à haut risque de contamination à VIH. Mais le système de soins qui a tant décrié ce produit verra les choses autrement. Accès aux critères draconiens et quasi impossible à rencontrer pour les personnes censées en bénéficier (citées plus haut). Les textes seront d’ailleurs rapidement changés pour définir la méthadone comme outil de soin aux «toxicomanes» et s’assurer que sa maîtrise en est bien confinée aux centres de soins.

Association de patients

L’arrivée de la substitution marquera plus clairement l’entrée d’ASUD dans son rôle d’association de patients. L’association ne manque pas de tirer la sonnette d’alarme sur les conditions d’obtention de la méthadone et les laissés pour compte. En 1996 avec la mise sur le marché du Subutex ASUD sera parmi ceux qui très vite constateront et alerteront des dangers de l’injection de ce produit.
Notre association sera aussi à la pointe de l’information aux usagers sur les produits de substitution (articles, plaquettes, etc.).

Le temps passant, ASUD étant reconnu à part entière en tant qu’acteur de la RdR, cette position de représentation des patients prend un rôle de plus en plus prépondérant.
Un point clé sera la réalisation de la première rencontre des EGUS (Etats Généraux des Usagers de Substitution). Enfin, ASUD s’engage avec l’ANIT (Association Nationale des Intervenants en Toxicomanie) dans la mise en oeuvre de la loi 2002, sur la création des Conseils de la Vie Sociale (CVS) au sein des structures de soins spécialisés et CAARUD adhérents de l’ANIT.
Et le militantisme me direz-vous. ASUD reste une association militante. Nous avons toujours cette revendication première : la dépénalisation de l’usage «simple», le respect du droit fondamental de toute personne qui est : le droit au choix individuel et privé. Et nous sommes aussi clairs sur le fait que pour faire un choix, il faut en avoir la capacité. Tout autant d’ailleurs que si nous parlons de droit au choix, il s’agit aussi bien du droit au choix de l’usage, qu’à celui du non usage. Nous avons été parmi les premiers à demander pourquoi la mise en place de la substitution devait entraîner la disparition des lits et lieux de sevrage. Nous nous sommes insurgés quand des personnes se sont vues refusées la réduction de leur traitement de substitution alors qu’ils se sentaient prêts à faire cette démarche et que là encore la toute puissance médicale a primé.

Association Militante

Et nous maintenons notre engagement de nous battre pour qu’être usager de substances ne soit plus un obstacle à la citoyenneté. Nous maintenons notre engagement de soutenir et représenter les usagers qui nous en donnent la légitimité, qu’ils soient ou non adhérents de l’association, car il s’agit bien d’une association et non d’une secte d’incitation et d’initiation à l’usage comme certains aimeraient le faire penser.
Nous ne prônons pas l’usage pour tous et encore moins l’initiation à l’usage des jeunes. Nous n’allons pas dans les écoles droguer les enfants de la chère France des Messieurs Le Bigot et autres. Parmi les Asudiens et les usagers en général il y a aussi des parents. Je ne les ai jamais entendu souhaiter pour leurs enfants un avenir reposant sur l’usage de drogues, bien au contraire. Ce n’est pas ASUD qui a amené un contexte social où dans certains endroits les seuls qui semblent avoir des perspectives de réussite sont les vendeurs de cannabis et non ceux qui cherchent désespérément un emploi digne de ce nom accommodé de surcroît d’un salaire digne de ce nom. Aucun membre ou représentant de l’association n’a, à ce jour, dit qu’il était souhaitable que les adolescents soient des fumeurs de cannabis ; mais ce que nous disons est qu’il n’est probablement pas utile et aidant pour ces adolescents qui ont fumé de les stigmatiser, étiqueter, médicaliser (rappelons au passage que c’est encore ASUD qui a tiré le signal d’alarme lorsque de jeunes adultes, pour certains toujours mineurs ont reçu un traitement de Subutex pour un usage encore récréationel de cannabis. Fort heureusement, à notre connaissance ces cas ont été de rares exceptions).

Clarifier ce que nous sommes

Enfin nous n’oublions pas qu’au moins une association de citoyens respectables a concrétisé pendant un temps son « combat contre la drogue » par la traque et le passage à tabac de simples usagers. Il est vrai qu’il aurait peut-être été plus risqué de s’attaquer à des dealers en état non seulement de se défendre, mais de se montrer plus dangereux pour ces courageux justiciers. Je n’ai encore jamais rencontré d’asudiens qui, équipés de matraques et autres bats de base-ball, allaient injecter de force des personnes vulnérables.
Alors arrêtons les mensonges et l’hypocrisie, les malfrats ne sont pas toujours ceux qu’on pense.

Je conclurai en rappelant que depuis plus de dix ans ASUD a été très clairement engagé dans la responsabilisation des usagers dans leurs pratiques et que c’est bien par la solidarité des pairs qu’est passée cette responsabilisation.
Voilà, s’il y avait besoin, j’espère que ces quelques mots auront clarifié ce que nous sommes, ce que nous ne sommes pas et ce que nous ne tolèrerons plus d’être qualifiés (merci d’avance à nos détracteurs d’en prendre bonne note).

Discours d’ouverture du Président d’Asud

Bonjour,

Merci d’être présents aujourd’hui pour ces EGUS 3, merci aux organisateurs pour leur travail. Et merci au Docteur Didier Jayle Président de la MILDT pour avoir accepter d’ouvrir ces EGUS avec moi et pour le soutien continu de la MILDT à l’auto support et la réduction des risques.

L’année dernière j’avais fais le bilan des douze travaux d’EGUS. Je ne recommencerai pas cette année, de peur que cela ne devienne une litanie d’anniversaire de ce qui aurait pu se produire dans un monde où les usagers de drogues auraient été considérés comme des personnes à part entière, c’est-à-dire capables de penser, choisir et décider pour eux-mêmes. Plutôt que des sujets, des malades, des tox, des criminels, des irresponsables, méritant au mieux un regard condescendant, au pire (mais est-ce vraiment le pire pour nous usagers) d’être bannis de cette société qui ne tolère que les gens honorables, sachant, de préférence, manier le karcher (ce que nous constatons tous les jours). Il n’y aura donc pas de bilan de ce qui ne restera vraisemblablement que des vœux pieux. De ce pourquoi même, nombre de ceux que nous pensions les plus engagés ont arrêté de lutter, pour exemple : l’accès à un produit correspondant au choix de l’usager et la dépénalisation de l’usage. Réductions des risques, satisfactions des ego des uns et des autres, règlements de comptes, politiques, professionnels et/ou personnels, on peut se demander aujourd’hui dans lesquels de ces cadres se sont perdus les combats d’origine menés au nom des usagers. Et je ne vois pas que la paille dans l’œil du voisin, l’auto support et la santé communautaire n’ont pas échappé aux déchirements et querelles, et notre apprentissage s’est bien fait dans la douleur comme le veut notre culture judéo-chrétienne. Une vraie victoire dans tout cela, mais, hélas, trop tardive pour au moins deux générations d’usagers celle de la lutte contre l’épidémie VIH chez les usagers par voie I.V. A l’époque, les usagers de cannabis, de cocaïne et tout autre produit que l’héroïne n’étaient pas considérés comme des usagers nécessitant une attention quelconque.

Pourtant :

  • Les usagers de cocaïne deviennent gérables avec la méthadone, je cite : « Ils sont plus calmes sous métha », alors que la méthadone n’est ni un traitement, ni une substitution à la cocaïne, et les portes s’ouvrent, avec à la clé force expertise des méfaits d’une substance jusqu’alors consommée dans nombres de tissus sociaux et professionnels, sans que cela n’ait semblé provoquer de grandes inquiétudes avant. Il s’agit d’une des libertés prises avec cette molécule par certains prescripteurs.
  • Des budgets se débloquent pour des points écoute cannabis et nombre des experts qui demandaient hier la dépénalisation de l’usage au moins pour le cannabis ; le qualifiant de drogue douce ; mettent, aujourd’hui, en avant les graves dangers de l’usage de cette substance et l’absolue nécessité d’une prise en charge. Coïncidences de trajectoires me direz-vous…

Je ne parlerai pas de vraie victoire en ce qui concerne la substitution, mais de semi victoire. L’éventail de réponses n’a pas bougé depuis 1996, malgré moult débats, propositions, recommandations et autres résultantes des divers colloques, conférences, comités et commissions mis en place ces dix dernières années. Et je ne peux que condamner certaines pratiques de professionnels qui en ont la charge. Nous avons tout vu, l’affirmation de la toute puissance à travers un outil destiné à améliorer le quotidien des usagers ; expériences diverses de dosage, chantage à la privation, critères élitistes d’accès pour les personnes la nécessitant, exigence de projet de vie et de projet thérapeutique de personnes pour qui survivre jusqu’au lendemain constituait déjà un projet de vie ; et même refus de sevrage parce que la décision venait du « patient » !!! Non mais quel culot !!! Comment peut il penser qu’il sait qu’il est prêt à s’arrêter !!! ??

Non, une vraie victoire serait que l’écoute et la concertation soient la règle et non l’exception. Une vraie victoire serait l’élargissement de la palette de réponses en termes de soins : qu’il s’agisse de délivrance de produits ou traitements, ou, des offres d’accès au sevrage. Arrêtons de gommer les réponses existantes pour inscrire les nouvelles. Mettons les : côte à côte, et ouvrons les portes, alors nous pourrons vraiment parler de palette d’offres de soin.

Puisque je parle victoire, vraie, semi ou autre parlons de la pérennisation de la RdR : le dispositif CAARUD. Voilà l’exemple type d’une vraie fausse, semi ou quart de victoire. S’il en est parmi nous qui se voient sécurisés pour les quinze années à venir, qu’ils attendent la fin de la première période de trois ans qui décidera de qui reste CAARUD ou pas. Bien évidemment cette pérennisation était et reste indispensable. Mais de quoi parlons nous ? La fin de la précarité pour ses acteurs ? Loin s’en faut. Accompagnée de baisses de budgets drastiques, elle a déjà signifié des licenciements ; combien d’autres à venir ? Un grand chapiteau sous lequel seraient réunies toutes les structures oeuvrant dans la RdR ? Non plus, il y a maintenant RdR et RdR : celle qui s’inscrit dans le médicosocial et l’autre. De la reconnaissance de la RdR en tant qu’acteur de soin ? Que nenni, le Soin et la RdR dépendent de dispositifs bien distincts. Ce sont la différence et donc le contraire qui sont officialisés. Du résultat d’une réflexion et d’une concertation avec tous les acteurs de la RdR ? Encore non, c’était ça ou rien, et j’ai rencontré nombre de gens qui ne se sentaient ni informés ni concertés, pour ne pas dire qu’ils se sentaient lésés, ou/et instrumentalisés. D’aucun pourrait me rétorquer qu’il leur appartenait de se tenir informer et partie prenante ; je répondrai, tout d’abord, où était l’information et quelles étaient les plateformes qui permettaient de prendre part ; puis, qu’il s’agit bien là d’une partie du problème : les années et le quotidien amènent la routine et l’endormissement, nous ne pouvons nous permettre ni l’une ni l’autre. J’aimerais savoir combien de structures ont réellement débattu en C.A. l’entrée en CAARUD et ses conséquences. Il n’y avait pas le temps, il fallait produire les bilans, remplir les dossiers, préparer les dépôts de candidature et tout cela, bien sûr, dans les délais imposés. Il est fascinant de constater que sous les gouvernements quels qu’ils soient, certains changements sont désespérément lents et d’autres phénoménalement rapides. On peut aussi craindre que le passage d’un système de gestion à un autre sans préparation technique, pour ne pas dire formation, se transforme en un écueil fatal à des associations concernées. Et, bien sûr, il va aussi être de notre devoir de nous assurer, à tout moment, que cette obtention de statut ne nous entraîne pas dans des fonctionnements que nous avons tant reprochés à d’autres pendant des années.

J’ai souvent fait l’objet de remarques sur le fait que je n’étais pas assez consensuel. Combien de fois m’a-t-on dit qu’il ne fallait pas critiquer ce qu’on avait obtenu (même si c’était insuffisant) devant la menace qu’on nous le retire, qu’il ne fallait pas demander trop au risque de ne rien obtenir. Je pense avoir toujours fait mon possible pour ne critiquer que si je me mettais en force de proposition. Je suis navré, à chaque fois, aussi navré, d’entendre ces propos, et, je ne départirai pas du fait que je ne serai consensuel que lorsque le consensus sera non seulement acceptable, mais, satisfaisant.

Hors la mise en place de ce dispositif a aussi exposé les limites de la solidarité associative. La politique du « premiers arrivés, premiers et derniers servis » a porté ses fruits installant plus souvent une mutualisation de façade, qu’une réfléchie et volontaire, et, accentuant la situation de compétition entre les associations. Il est difficile de préserver la solidarité quand on doit arriver le premier. Pourtant nous avons plus que jamais besoin de cette solidarité. La disparition des petites associations est programmée et active depuis plusieurs années à travers les stagnations et baisses de budgets, et, certains l’attendent avec une impatience grandissante. C’est pourtant bien ce tissu associatif avec ses variétés et ses différences, sa capacité d’innovation de création et d’adaptation rapides face à des situations nouvelles qui est la seule alternative à la lenteur et souvent l’immobilisme gouvernemental, administratif et institutionnel. Besoin aussi car la guerre aux drogués, toujours cachée sous le label de guerre à la drogue, qui s’était faite plus discrète pendant quelques années est bel et bien de retour en force. Les réponses répressives priment de plus en plus face au thérapeutique, à l’accompagnement et le soutien. Si nous avons encore à cœur le bien-être ou le mieux-être des usagers, il nous faut nous donner les moyens d’y faire front, et, cela passe indubitablement par l’unité et la solidarité.

Avant de conclure, je souhaite lancer une question ouverte à l’ancien Ministre de la Santé invité dans le cadre des rencontres nationales de la RdR :

« En 1998, après des assises nationales représentant trois jours de travail commun, quasiment tous les acteurs présents, quelque soit leur approche, reconnaissaient la dépénalisation de l’usage simple comme un préalable requis non seulement à la bonne mise en œuvre de la RdR, mais aussi à une entrée en soins satisfaisante (avec certes des déclinaisons variantes, mais le fond était acquis). Pourquoi le gouvernement en place n’a-t-il pas eu le courage politique d’aller jusqu’au bout des choses, se contentant de nous renvoyer la balle en disant que l’opinion publique n’était pas prête et qu’il nous fallait la préparer ? ». J’aimerais savoir un jour combien d’années il faut, aux yeux d’un gouvernement, pour qu’il décrète l’opinion publique suffisamment préparée.

En conclusion je me contenterai de deux citations :

Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, article premier :

Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.

Sans commentaire.

Et Ernesto Che Guevara :

Surtout soyez toujours capables de ressentir au plus profond de vous-mêmes toute injustice commise à l’égard de qui que ce soit, dans quelque partie du monde que ce soit. C’est la plus belle qualité d’un révolutionnaire.

C’est ce que j’espère pour nous, même si nous ne sommes pas des révolutionnaires.

Merci de votre attention

Droit de réponse suite à l’article prohibitionniste dans Valeurs Actuelles

ASUD, Auto-Support des Usagers de Drogues, a exigé la publication de ce droit de réponse aux accusations de prosélytisme et de gabegie de l’argent des subventions. L’article de Valeurs Actuelles du 18 mars 2005 fut un point d’orgue de la nouvelle campagne hystérique contre les usagers de drogues en France.

A Monsieur Arnaud Floch, journaliste à Valeurs Actuelles

Après avoir lu dans le n°3564 de V.A., votre dossier, consacré à la réduction des risques liés à l’usage des drogues nous avons été partagés entre l’étonnement et la colère.

Votre dossier appelle la réponse suivante : l’association, Auto-Support des Usagers de Drogues (ASUD), n’est pas une hydre menaçante pilotée par la gauche, comme le sous-entend vos propos. Non seulement nous n’employons modestement que quatre salariés à plein temps après 13 ans d’existence, mais nos premiers fonds nous ont été accordés par un gouvernement de droite justement, et ont été depuis régulièrement renouvelés lors de toutes les alternances.

Or d’après votre papier, la politique de réduction des risque (RdR) serait une politique « instaurée par la gauche » (p. 20). RIEN N’EST PLUS CONTRAIRE À L’HISTOIRE, et tous le spécialistes le disent et l’écrivent : la RdR est fille de la droite. C’est Michèle Barzach en 1987, alors Ministre de la Santé du premier gouvernement de cohabitation, qui inaugure cette politique en France en autorisant la vente de seringues stériles aux toxicomanes, un geste qui sauve de la contamination par le VIH des dizaines de milliers d’usagers de drogues. C’est ensuite Simone Veil et son secrétaire d’État Philippe Douste-Blazy en 1993 qui font passer le nombre de places méthadone de 50 à 5 000, et surtout autorisent la mise sur le marché de la buprénorphine (le Subutex) deux ans plus tard, faisant rapidement de la France l’un de pays les mieux dotés en matière de traitements de substitution aux opiacés.

Quant au soi-disant échec de la RdR, le flou des affirmations gratuites de vos articles tente, là aussi, d’obscurcir la logique implacable des faits. Toutes les statistiques prouvent au contraire son succès foudroyant. En 10 ans, la RdR a fait des usagers de drogues un groupe quasiment exempt de contaminations VIH, et les overdoses sont passées durant la même période de 600 à moins de 100, ce qui est une sorte de miracle en terme de prévention,(Institut National de Veille Sanitaire, rapport 2004).

Mais surtout, et c’est probablement là l’explication de votre hargne à notre égard, elle a permis à des dizaines de milliers d’usagers de drogues de renouer avec la vie de famille, avec la vie professionnelle et bien souvent avec la vie tout court (Actes de la Conférence de Consensus sur les traitement de Substitution aux Opiacés). Or, rien ne semble plus vous exaspérer que cette réussite-là. En inscrivant les usagers de drogues sans restriction dans le domaine des soins, la réduction des risques nous donne des droits que la loi de 70 nous déniait jusqu’à présent.

Cela est dérangeant au point que votre papier essaye constamment de gommer ce qui fait la particularité d’ASUD. Or depuis 13 ans, nous ne cessons de nous affirmer tels que nous sommes : une association d’usagers et d’ex- usagers de substances psychoactives, considérant que notre consommation passée ou présente ne mérite pas la peine de mort à laquelle nous condamne la prohibition sous ses formes multiples. Non seulement notre objectif n’est pas de faire la promotion des drogues, mais nous sommes probablement mieux placés que l’association France sans Drogue pour en connaître les dangers.

Autre point, même tempérer d’une hypothétique approximation (vous nous dite « ou presque »), l’allégation concernant le montant de nos subventions est une navrante contre-vérité. Divisez ce chiffre par mille… ou presque.

Pourtant très au fait de la prose d’ASUD en ligne sur Internet, vous n’avez pas jugé utile de rappeler le long développement que nous consacrons à la question du prosélytisme, dans un courrier adressé au sénateur Bernard Plasait. De même, les citations attribuées à ASUD sont systématiquement ou tronquées ou sorties volontairement de leur contexte.

Notre site Internet ne fait nullement la promotion du cannabis – un délit toujours durement réprimé par le Code pénal. Nous y affirmons au contraire, dans un dossier consacré au cannabis thérapeutique, que le cannabis est une drogue, au même titre que l’héroïne ou la cocaïne. Notre propos est de s’intéresser aux personnes atteintes par diverses pathologies graves et qui déclarent avoir connues un soulagement médical grâce à la consommation de cannabis. Pour échapper au deal de rue, ces personnes ont souvent opté pour la culture et la production de leur propre chanvre. Nous avons donc considéré de notre devoir de faire le point sur tout ce qui peut exister comme informations sur le sujet, tout en clôturant notre propos d’un rappel à la loi long d’une page.

De même, nous n’avons jamais écrit, que l’usage des drogues était “protégé par la Déclaration des droits de l’Homme ”. En revanche, nous mentionnons souvent le fait que l’usage individuel, dans un lieu privé, par un adulte responsable n’est pas contradictoire avec l’exercice de la liberté tel qu’il est défini dans la Déclaration de 1789 : la liberté de chacun s’arrête là où commence celle des autres.

Sur la tombe de tous les drogués sacrifiés au mythe des sevrages répétitifs et obligatoires des années 70 à 90, on aurait pu inscrire cette phrase terrible prononcée par un psychiatre après le suicide d’un de ses patients en thérapie : “ Il est mort, certes, mais il est mort guéri ! ”

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